_ Il parait que des personnes hauts-placées seraient gravement malades. _ Il parait que ça se bécotte "au bal de la Rose". _ Il parait que des créanciers en sont après un des conseillers de Ridolbar.
Sujet: Re: - Dream Maker, Life Taker - Jeu 18 Juin - 12:28
Comme dans un désert glacé, la boutique semblait balayer par un zéphire de courants d’air froids qui berçait doucement la poussière blanchâtre qui tapissait le sol sombre. Les fenêtres de verre légèrement fumées ne suffisaient pas à empêcher la fraîche chaleur du dehors de passer, aussi la température n’était guère élevé dans l’humble boutique. Sous les yeux verts des plantes en pots et autres bocaux, silencieusement posés sur des étagères de bois, un petit fantôme à la blancheur lunaire s’affairait doucement, dansant d’une table à l’autre, ondulant comme un spectre entre la boutique et la petite salle de l’arrière. Sur un porte-manteau, près de la porte, une cape rouge avait été déposée et attendait sagement le moment de repartir en vadrouille sous le gel habituel. Comme dans un nuage lourd et épais, une odeur de musc et d’iode remplissait tout le lieux, ajouté à quelques notes amers d’embruns et de fleurs sauvages, provenant de pays lointains, là où elles pouvaient pousser sans qu’une averse ne vienne les figer dans leur croissance éternelle.
C’était dans un silence de cathédrale que la sirène avait quitté le salon de thé, allant régler et saluer la tenancière avant de disparaître comme elle était arrivée, dans un cocon étrange d’allégresse et de trouble. Comme si, dans cet instant intemporel, elle avait perdue toute notion de mémoire, de ressentie, que tout n’était qu’une étrange aliénation qu’elle vivait sans prendre le temps de ressentir. Les choses avaient pris une tournure inattendue que son être n’avait pas eu le temps de comprendre. Cette sensation l’avait suivie comme son ombre jusqu’à ce qu’elle n’échoue dans sa boutique, glissant la grosse clé usée dans la serrure à moitié défaite. Son établissement faisait vraiment peine à voir. D’une sobriété extrême, seul l’enseigne pouvait indiquer son existence tant elle paraissait pauvre et banale aux yeux de tous. Othello n’avait jamais apprécié les artifices, aussi n’aimait-elle pas certaines pratiques connus des commerçants pour vendre – souvent à tort – tel ou tel produit, en les affichant tel des messies au centre de grande vitrine de verre, au milieu de frasque et de dentelle, orné d’or et autres arabesques affriolantes. Des colifichets et des fanfreluches qui ne manquaient pas de prouver leurs inutilités et leurs faiblesses à la moindre utilisation. Aussi, elle s’était juré de rester le plus simple possible, ne montrant que le strict minimum, préférant être reconnue pour la qualité de ses remèdes plutôt que par l’apparence de ses fioles.
Quand elle était arrivée, l’air froid l’avait saisie à la gorge comme rarement. Immédiatement, elle avait allumé un vieux poêle, priant pour qu’il fasse effet au plus vite. Une heure passe rapidement, après tout… Mais celle-ci lui parut durer une éternité. Sans trop comprendre pourquoi, une pierre lourde s’était posée au creux de son ventre, et dégageait par moment des nuées de sauterelles qui remontaient jusqu’à sa gorge dans de large frisson. Un mélange d’attente, d’appréhension et de crainte s’emparait tour à tour d’elle, qui essayait de s’occuper vainement en nettoyant l’endroit déjà propre ou en concoctant ça et là une potion en attente, ou en rangeant des fioles – sans grande passion. Allait-il seulement venir ? Après tout, mis à part ses paroles et son touché rassurant, elle n’avait pas d’assurance, pas de certitude qu’il oserait la retrouver et s’embarquer dans cette histoire – il n’en avait pas l’obligation après tout… Si il ne venait, ce serait sûrement mieux pour lui. Plus sûr, plus calme… La pierre s’était transformée en une mâchoire féroce qui mordait férocement ses entrailles. Une demie-heure s’était écoulée quand elle se ressaisit finalement. C’était inutile de se mettre dans de tels états. Ce n’était qu’une histoire, après tout. A ce moment, elle retrouva son calme vaporeux et son visage de poupée. Débarrassée de son manteau, elle arborait alors une longue robe, à la blancheur égale à celle de sa crinière léonine, collant à son buste comme un amant, mais laissant vaporeux ses bras et ses jambes. Elle jugea inutile de cacher ses mains : il connaissait déjà son amer marque, pourquoi vouloir la camoufler d’avantage ? Ses yeux d’ébènes s’était à nouveau recouverts d’un voile absent, qui contemplait parfois la porte. Elle était plongée dans son état léthargique et distant, dans cette moue détachée qui faisait sa froideur et son charme.
L’heure tournait toujours, et elle était à présent retournée à l’ouvrage, devant un grand chaudron où bouillonnait une mixture pourpre à la senteur féline et enivrante. Le nectar était destiné à apaiser les douleurs musculaires et les maux passagers, un de ses produits phares dont elle avait le secret. Une pensée la frappa soudain, et elle abandonna le récipient fumant quelques secondes pour se diriger vers une grande étagère rempli de bocaux et de bouteilles pleins à rabords, pour glisser sa main jusqu’au dernier étage, cherchant à taton dans le fond du renfoncement. Ses doigts parcoururent la douceur des verreries pendant quelques instants, tâtant leurs reliefs et leurs douceurs pour finalement s’arrêter sur une petite gourde. D’un geste habile, elle la tira vers elle… Avant de renverser une cagette d’une demie-douzaine de fioles vides posées là. Le verre tomba au sol dans un concert d’éclat, se rependant au sol comme un tapis d’aiguille. La sirène soupira… Puis deux coups vinrent frapper avec force sa lourde porte sombre.
Dans un geste bestial, elle avait redressé son visage et ses oreilles, braquées vers l’origine du son. Un frisson parcourut son dos alors, qu’elle se releva de sa flaque de débris, la gourde à la main. Etait-ce Fenris, ou un simple client ? Adroitement, la sirène se dirigea vers la porte dans cette démarche vaporeuse qui laissait l’impression qu’elle flottait sur l’air, sa longue traîne de cheveux glissant derrière elle comme un nuage cotonneux. Doucement, elle ouvrit la porte, relevant les yeux hauts pour retrouver le visage mordu par le froid du grand lupin de sable, à l’air happé par le climat de dehors, mais à l’œil aussi vif que lumineux. Un sourire lui échappa, laissant s’envoler toutes les sauterelles d’un coup. Avec soulagement, elle le laissa entrer, et referma derrière elle le regard méfiant, s’inquiétant alors du dehors comme si elle s’apprêtait à révéler des informations capitales. Dans un souffle, la bougie fut éteinte, laissée comme seule témoin trépassée des minutes qui allait suivre. « -Merci d’être venu Fenris. Je vous en suis reconnaissante. » Souffla-t-elle simplement, tant au grand marin qu’à elle-même. Doucement, elle revint vers le Llurghoyf qui attendait à présent, se retournant vers lui avec soulagement, les cheveux tombant devant son buste frêle.
Oscillant les yeux sur sa propre boutique, elle se retourna sur un petit bureau au fond de la pièce où se trouvait une vielle chaise de bois. « Vous pouvez-vous assoir si le cœur vous en dit. J’espère que le froid ne vous a pas fait trop de mal. » C’est alors qu’elle remarqua la petite gourde qu’elle tenait toujours fermement en main. « C’est pour vous. Tenez, c’est un remède contre la toux, et les rhumes. Cela devrait peut-être vous faire du bien… »
Avec une candeur et une timidité touchante, elle lui tendit la fiole abritée dans un manteau de cuir sommairement cousue, son visage encadrée par la vague lumière pâle qui émanait du dehors, les yeux brillants de la même reconnaissance que lorsqu’elle l’avait reconnue. Mais, prenant soudain conscience des bonnes manières et de la bienséance qu’elle s’évertuer à apprendre et à oublier, elle lui dit calmement, avec un mécanisme maladroit trahissant son manque de savoir-faire :
Sujet: Re: - Dream Maker, Life Taker - Dim 28 Juin - 22:53
Est-il possible de trouver un lieu entre toutes dimensions, qui flotte et s’élève, transcendant tout, traversant tout, en et hors de toute chose… L’être ne peut traverser le temps ou la matière. Pourtant, en de rares occasions, l’un et l’autre semblait pouvoir s’entremêler doucement pour former, le temps d’un soupir, de petites bulles d’existence. Des cocons intemporels qui défiaient tout, et dans lesquels on était libre de se perdre et de s’oublier, l’infime temps d’un soupir.
Les débris de verre qui jonchaient le sol lévitèrent élégamment dans un petit tourbillon, happant pendant quelques secondes le regard distrait de l’ondine à la tête perdue entre deux nébuleuses. C’était idiot, mais c’était la première fois qu’elle voyait une magie de l’air en action. Habituellement, elle aurait attendu le départ du loup doré pour ramasser le tout et le faire disparaître au fond d’une boîte – elle n’avait pas à craindre les blessures, de toute façon. Mais là, voir les éclats danser un menuet hypnotique sans qu’elle n’eut à lever le petit doigt lui procurait une étrange absence. Bientôt, les paillettes de verre formaient un petit tas scintillant, prêt à être balayer et à disparaître de la vue de tous. Absorbée par le spectacle, elle entendit vaguement les gémissements plaintifs de la chaise qui s’élevèrent dans la cathédrale de la boutique. En reprenant ses esprits, elle chercha du regard un autre siège où s’asseoir, sachant qu’elle en trouverait un dans l’arrière-boutique. Mais bon, ses jambes étaient encore suffisamment fortes pour la porter, faute d’être une grande queue de poisson. S’adossant timidement au comptoir, elle regarda le marin quelques secondes. Couvert de la tête au pied, son corps massivement taillé créait, dans l’austérité des lieux, un étrange paradoxe, tant ses cheveux d’ocres tranchaient sur le blanc des murs, et son œil azuréen, faute de s’accordait à son cache-œil, contrastait avec le noire funeste du bois.
Finalement, il avait peut-être raison. S’effaçant soudain, elle regarda, penaude, ses pieds quelques instants, se sentant amer de le remercier pour tout et pour rien. Sous les rayons froids du dehors, la lumière célestine créait une curieuse alchimie avec le blanc primaire qui hantait tant la boutique que la tenancière. Ses boucles perles couronnait avec masse son petit visage de porcelaine, se fondant presque dans la peinture, créant avec sa boutique une harmonie parfaite des plus étrange. Finalement, elle releva le regard vers lui, acquiesçant silencieusement. Elle avait compris sa demande : il était vrai qu’elle n’avait au fond pas de raison de le remercier sans cesse comme une brebis égarée. Il était là de son plain grés, après tout, et même si ses intentions étaient louables et franches, ce n’était pas un service que de l’impliquer dans cette histoire sombre. Quand elle poursuivit, elle hocha de nouveau la tête, cette fois-ci d’appréhension. Il était vrai qu’Othello, dans son attitude comme dans sa réponse, avait fait preuve d’un manque de méfiance certain et d’une confiance aveugle – sûrement un peu trop. Elle aurait pu peser le pour et le contre d’une telle action pendant des heures, se justifier de tant de façons possibles si elle n’avait pas déjà eut une réponse à lui donner : son instinct. L’ondine, toute yorka qu’elle était, faisait partie de ces êtres rares et marginaux qui n’accorde leurs confiance qu’une fois, et pour toute leurs vies, très souvent à tort. Un peu comme un chien, sous les traits d’une rascasse léonine qui hante les profondeurs. Cela allait contre ses réflexes primaires de survie, de peur et de méfiance. Mais cela faisait partie des aléas de son âme terrane, qui lui imposait parfois et trop souvent de faire preuve d’humanité. Le caractère inconstant et changeant de l’homme lui échappant, elle ne concevait que mal le propre de l’esprit que d’être traître. Et dans sa caste, elle l’apprenait tous les jours.
Mais elle ne se justifia pas pour autant. Les hybrides comme elle avait souvent le nez fin quand il fallait scruter l’âme d’une personne jusqu’à l’abîme de l’esprit. Et dans cette tâche, elle n’avait faillis qu’une seule fois. Cette erreur l’avait poussé à marcher sur des chardons ardents pendant de nombreuses années, aussi faisait-elle preuve, maintenant, de bien plus de finesse quand il s’agissait de ses fréquentations. Et elle le sentait : Fenris cachait en son fond quelqu’un de pur et d’honnête. Seulement, il l’avait abrité et protégé par tant de souvenirs et de secrets… Elle ne releva pas cela, se contentant de sourire sincèrement quand il la remercia pour sa compagnie. En réalité, elle se sentait encore poussée à le remercier, tant parfois elle pouvait se sentir seul entre ces murs blêmes, même accompagnée de ses deux félins aussi féroces qu’affectueux. Et la compagnie du marin lui était fort agréable, par ses gestes protecteurs et ses mots bienveillants, et même son humour un peu maladroit et familier qu’elle trouvait attachant. Mais elle se retint, se souvenant à juste titre qu’il l’avait privé – adroitement – de cette parole.
" - Vous n'avez pas l'air d'une mauvaise personne. Et vous ne m'avez pas donné de raisons de me méfier..." Répondit-elle poliment, indiquant discrètement ses oreilles animales.
C’est alors qu’il entra dans le vif du sujet. Même si elle s’était préparée, quelque part, à être ainsi dévoilée, l’ondine frémit de tout son dos. Sur ses bras s’hérissèrent sa peau. Ses oreilles s’élevèrent par crainte et par appréhension. Et elle se leva alors lentement, et silencieusement pour aller chercher une chaise dans la petite salle adjacente, et revint bientôt avec le petit objet, un tabouret qui semblait encore plus fragile et faible que la chaise de Fenris. Elle s’assit doucement à côté de lui, déjà coupable de le mettre dans la confidence alors qu’il n’y était pour rien. Un sourire rongé d’amitié et d’amertume la brisa un instant : il avait beau vouloir le nier, il avait un bon cœur.
« - Aucune de mes soeurs n'est au courant de tout cela. Seule une autre personne sait. » Souffla-t-elle, à voix absente. Ses yeux se firent d’onyx alors qu’ils s’enfuirent vers le sombre du bois des colombages. 'Savoir' était le mot juste: en réalité, elle ne s'était jamais confiée par rapport à la marque: ce témoin s'était simplement impliqué, devenu témoin sans peut-être même le vouloir. Ce n’était pas une fierté pour elle, même plus une honte et un poids, un mauvais souvenir de son ancienne naïveté. Ce qu’elle avait pu être idiote… Brusquement, elle s’arrêta, faisant glisser son regard abyssal sur le grand loup de mer. Que se cachait-il au creux de ce cœur, de cet âme pour montrer une telle dévotion ? Irait-il jusqu’au bout de sa parole ou voulait-il simplement se jouer d’une pauvre sirène naïve, une vulgaire rascasse écervelée ?... Même si elle ne voulait pas le croire, elle ne savait plus sur quel pied danser. Ses paroles avait laissé sur elle une empreinte étrange, et la laissait perplexe devant leurs étrange alchimie. Pendant quelques secondes, elle garda le silence, regardant pensivement entre ses longues mèches blanches les mains du géant… Sa gorge se noua légèrement, puis elle finit par relever les yeux vers Fenris et son œil énigmatique. Il avait l’air d’un marin qui avait tout vu, tout connu. Et qui allait au bout de ses paroles – même si elle savait baser tous ses aveux sur de simples spéculations. « - Mais dans cette ‘épreuve’ – la sirène marqua une pause sur ce mot, hésitant un instant si il était bien approprié – je n'étais pas seule. Cet ami était avec moi.» L’image du visage en larme de l’herboriste fut projeté violement dans son esprit, avant de ne plus formé qu’un flot abondant et ininterrompu de souvenirs. L’ombre d’un instant, c’était comme si l’albinos la regardait directement à travers l’œil voyant de l’homme des sables. Un nouveau frisson parcourut son dos, traversant douloureusement son ventre jusqu’à l’échine. Ce sujet tenait bien plus du piège que de l’affirmation, et elle se perdait encore quand elle essayait de se remémorer les liens complexes qui étaient nés ce jour-là. Alors qu'ils n'étaient que deux inconnus, ils s'étaient retrouvés tous deux unis par un lien du secret, dépositaire de cette marque. Une amitié naturelle et forte en était née. Et pourtant, cela faisait des mois que le contact était rompu, aucun d’entre eux n’osant envoyé une missive, et Othello laissée troublée par leur dernière rencontre se refuser toute lettre. Posé à côté de sa couche, dans sa cellule au temple, brillait toujours le catalyseur bleuté qu’il lui avait offert… L’avoir vu souffrant et déterminé l’avait rassuré à laisser son ami en plein travail, en quête d’un remède efficace contre son mal. « - C’est un peu comme avec vous et votre frère - à différents niveaux je présume. Il a veillé sur moi quand cela est arrivé. J’aimerai pouvoir en faire autant, mais... » Absente, ses doigts se mirent à danser sur la table un ballet incohérent, dessinant tantôt des cercles, tantôt des courbes élégantes, des constellations imaginaires. « Je suis souvent plus douée sous l’eau que les deux pieds sur terre… » Avoua-t-elle finalement, s’inondant des souvenirs d’embruns et d’iode de l’océan.
Sincèrement, elle regarda le mystérieux jeune homme, une lumière curieuse, doucement évanescente scintillant au fond de ses yeux, comme si dans cet étrange regard unique, elle pouvait plonger pour se retrouver loin de tout, à jamais donnée à la mer pour ne plus rien subir. Une liberté jouissive et enivrante… Il devait sûrement connaître cela, ce sentiment de plénitude total et d’abandon bouleversant, devenant une drogue au premier contact et qui devient vite une hantise persistante. Ses fins doigts cessèrent leur tour de passe-passe pour disparaître dans le labyrinthe de sa crinière, se frayant un passage pour soutenir sa tête dans un appui fragile et enfantin. Pendant de longues secondes, elle dessina le visage du jeune homme, s’imaginant alors ce qu’il avait bien pu vivre, et si, au fond, il pourrait seulement la comprendre quand elle viendrait à dire la vérité. Et au fond de son cœur de nacre, elle se sentait la curiosité et l’envie de l’aider, et de le connaître mieux. La véritable âme sous ce vagabond perdu.
« - Fenris… » Finit-elle par souffler doucement. Une poignée de seconde coula encore alors qu’elle hésita une dernière fois à poursuivre. « Avez-vous déjà cédé au mal pour protéger quelqu’un qui vous est cher ?...»
Réduire Kron à l’état de mal empirique était un peu extrême, mais elle pesait néanmoins chacun de ses mots. Sourde et grave, elle ignorait encore ce qui sortirait des lèvres doucement nacrés du llurghoyf… Mais elle avait déjà connue et fait les pires bassesses, rien ne pourrait plus la surprendre. Oserait-il seulement se confier, lui aussi, aux oreilles candides et nacrée de la fille des abysses ?
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Sujet: Re: - Dream Maker, Life Taker - Dim 5 Juil - 19:33
Sujet: Re: - Dream Maker, Life Taker - Sam 17 Oct - 20:59
Un clair-obscur apaisant et menaçant avait enveloppé la boutique, comme à chaque fois en cet heure, trop tardive pour être l’après-midi, et trop tôt pour être le soir. La lumière dansait sur un seul pied, ondulant doucement entre deux vagues, hésitant entre deux intensités, deux couleurs, l’une chaude et douce et l’autre froide et vide. Les carreaux troubles renvoyaient des halos mutilés et blanchâtre qui seyait étrangement à la pièce, d’une morosité déjà bien maladive. Mais cela n’avait l’air de gêné aucun d’entre eux. Le colosse à l’écu jouait habilement avec ses phalanges, et sous ses yeux, la sirène captivée le regardait faire, l’œil oscillant entre l’un ou l’autre de ses doigts, se laissant hypnotiser par les pirouettes mécaniques du dias usé. Il semblait si vieux qu’on ne distinguait presque plus les gravures de la monnaie. Ses mains l’étaient tout autant, pourtant, usées, recouvertes de corne, de marque de labeur depuis des années en mer. La sirène s’inquiéta alors de son âge, mais ce ne fut qu’une pensée éphémère, et replongea alors dans leur conversation comme si elle ne l’avait jamais quitté.
Avait-elle franchis la ligne, ou n’était-elle qu’un spectre ennuyeux et vague ? Plus elle tentait de se dégager dans son discours – plus ou moins bancal, à l’air maladroit et rapiécé – plus il lui sembla que le golem s’enfonçait dans un repli de son esprit qui lui était inaccessible. L’impression nonchalante et âpre de parler dans le vide la glaçait, et entendre sa voix résonner et rebondir tristement contre ses propres murs pour revenir péniblement, la queue entre les jambes à ses oreilles, cela lui était plus que désagréable. C’était en parti pour cela qu’elle n’aimait pas la conversation, les geste parlant mille fois mieux que les mots, et qu’elle ne se pliait qu’en partie aux dictats de la société, se contentant bien souvent d’une simple présence et posture pour correspondre à l’étiquette. Et dans la caste, c’était un exercice plutôt facile et convenant : loin d’être une des plus gradées, d’autres parlaient pour elle – une bénédiction, en somme. A présent, piégée par sa propre voix, Othello se retrouvait contrainte, liant entre ses cheveux ses doigts opalins dans un maigre soutient. Quand il parla, elle tourna le visage doucement, s’enfonçant un peu plus dans le matelas de sa crinière, l’édredon de sa tignasse blanche qui parfois avait les mêmes vertus qu’un drap plein de plumes. Comme libérée de ses fonctions, sa voix la calma, réveillant aussi l’atmosphère de la pièce par sa gravité masculine et bonhomme, son ton un peu malin de marin voyageur et ensoleillé de vagabond. Son œil… Elle leva brusquement le regard, détaillant subitement le cache-œil en cuir usé qui recouvrait une partie de son visage, ses coutures maladroites, trahie par des années de loyaux services, ses reliefs bourrus et artisanaux. Bizarrement, elle n’y avait pas prêté grande attention depuis leur rencontre au port. Sûrement par habitude des blessures lourdes et des amputations, pratique plutôt courante dans les hospices cimmériens, une griffe d’ours ou une dent de léviathan étant si vite arrivée. Inutile d’être médium pour savoir que ça n’avait pas été une période de joie et de félicité pour le marin. Son ton un peu distant, et sa phrase signifié tout, même si sa bonhommie et son humour abritait la douleur. C’était une carapace habile, que l’autodérision. Elle avait déjà remarqué qu’il le maniait comme un jouteur, arrondissant habilement les angles de la gravité par quelques mots qui faisaient sourire. Mais quand il eut finit, elle ne pu s’empêcher de se sentir mélancolique, trouvant pour la première fois que la douleur avait vaincu les mots, suintant involontairement de sa phrase sans qu’elle n’eut pu la contenir.
Les chaînes, les cicatrices, et son œil, tout cela lui apparut alors comme une toile anatomique, un réseau d’information qui trahissait d’un passé sombre et violent qu’elle n’avait su distinguer plus tôt. Avait-il été mêlé aux mauvaises personnes, avait-il commis, si ce n’est plusieurs crimes ? Petit à petit, elle enfoui toujours plus son regard dans le cache œil, une flèche qui voulait transpercer le cuir et le crâne et fondre dans son esprit pour lui arracher la douleur. Mais il lui fallait taire ses envies puériles et saintes, sa curiosité candide, et laisser le marin et ses secrets en paix – ou en pleine guerre ? Fenris n’avait pas l’air de vouloir en parler, et son respect pour lui la retint de lui poser plus de questions. Sans qu’elle n’en dise plus, elle se promit de lui retourner sa patience et sa bonté. Il poursuivit calmement, laissant la sirène l’écouter silencieusement, comme si elle avait été abrité sous les eaux et qu’elle se laisser bercer par les flots d’huile.
Il toucha alors une vérité singulière qu’elle comprit de suite, et elle ne put s’empêcher de baisser les yeux vers le bord de la table, se sentant brutalement remise à sa place, à faire des amalgames idiots qu’il ne lui appartenait pas de faire. Ses doigts s’entrechoquèrent de nouveau, se serrant brutalement, sentant dans l’étreinte des phalanges une douleur rauque et osseuse et une friction nerveuse et brûlante. Un sourire cruel déchira son visage, abrité par la pénombre de la pièce, et tiré par une fatalité douce et amère. Bien sûr que Duscisio serait là si elle en avait le besoin, comme elle serait là pour lui. Mais seul la nature de cette relation la tiraillait, et cet amer pesanteur d’être aimée sans pouvoir rendre la pareille la laissait comme un oiseau coincé dans le ciel, un oiseau à qui on aurait mutilé les pattes pour le pousser à planer encore et encore, et encore dans les cieux. Mais Fenris lui souffla bien vite de nouveau une joie. Sensible à son humour, elle le regarda de nouveau, apaisait par ses remarques et ses traits de langage. Deux frères qui se marient ? C’était bien amoral comme idée, et bien malsain de surcroit. Mais elle comprenait mieux à présent la nature de leur relation, et là où elle avait digressé en faisant des comparaisons qui n’avaient pas lieux d’être. S’il ne l’avait vu comme un frère, mais c’était tellement plus que cela. Une amitié profonde, fusionnel, une symbiose précieuse qui débouche sur une alchimie presque parfaite. Deux âmes sœurs, en somme. L’un complétant l’autre, un feu brûlant, réduisant en cendre le moindre conflit car il était plus fort que tout. Si tel était réellement le lien qui unissait le grand blond à son ami, ce devait être une très belle relation, quelque chose d’enviable que tout le monde recherche. Avoir quelqu’un sur qui compter, à tout instant, un rebord sur lequel s’appuyer quand ses pas venaient à s’approcher trop du bord de la falaise, et qu’on commence à trop dévorer des yeux le vide.
Penaude, elle l’observa alors dévisager son remède, après avoir lancé les yeux aux ciel dans un écho du passé, un fantôme joyeux lui ayant sûrement subtilisé l’esprit pendant quelques secondes. C’est alors qu’elle se rendit compte qu’elle était foncièrement sinistre. Lui qui était joyeux, bonhomme, un dandy des mers comme on en fait rarement, coincé dans la boutique d’une vieille sorcière des flots, à l’air mélancolique et glauque, obligé d’écouter une histoire qui n’était – fatalement ? – pas moins glauque et sinistre que tout le reste. Pas bien joyeux, en somme. Othello glissa son regard sur la table, se redressant un peu de sa drôle de pose, balayant ses cheveux d’un geste de tête alors que Fenris buvait le contenu du flacon, avant de cracher une nouvelle fois ses poumons dans une nouvelle brutale quinte de toux. Elle était d’ailleurs étonnant qu’à ce stade, il ait encore des poumons à cracher, tant il lui avait semblé qu’ils auraient déjà du exploser de nombreuses heures auparavant. Mais Othello était confiante en ses remèdes – il n’y avait que de cela dont elle ne doutait pas, plutôt. Il serait rapidement de nouveau sur pied… Et ses poumons ne pourraient en être que mieux. C’était amusant de voir son air hagard, son œil restant cherchant une once de concentration, alors qu’il se remettait d’un quelconque trouble du au manque d’air. Le climat n’était sincèrement pas son fort…
Eh oui, la sirène s’était cruellement obstinée à voir le monde en noir et blanc, s’essayant de temps en temps à voir une petite nuance à droite, à gauche, mais n’excellant pas dans l’exercice. Des années d’espionnage et de tâches sordides pour le compte d’Ellerinna lui aura sûrement formaté l’esprit suffisamment pour qu’elle ne voit le monde qu’en monochrome, et en étant nonne, qui plus est. Sage était-il d’avoir remarqué, à juste titre, que le problème était sûrement bien plus complexe que cela. Battant légèrement ses cils blancs, elle leva les yeux vers lui. Othello avait supposé que sa présence ici tenait de son itinéraire de marin, mais il semblait il y a avoir plus sous cela qu’une simple feuille de route. Payait-il ses choix en venant sur cette terre de froid – qui lui avait déjà bien fait payé son retour, d’ailleurs. Et même si son physique atypique trahissait une âme un peu tumultueuse, il ne ressemblait pas à un criminel de bas étage qui agit pour l’intérêt de sa bourse ou de ses désirs sombres, aussi se doutait-elle bien qu’il n’était pas là pour commettre un crime. Il semblait déjà bien coupable d’avoir emprunté une voie incertaine – ou du moins le croyait-elle. Et quand il évoqua ses choix, une certaine mélancolie envie son visage et ses gestes, et il prit soudain une attitude entièrement différente de celle qu’il avait montrée jadis. La sirène baissa alors ses oreilles, mêlée d’une surprise tempérée et de compassion. Elle eut envie de poser sa main sur son épaule, mais se retint vivement, prêtant une oreille attentive à ses paroles.
Chacun avait sa croix à porter, quelque fut sa taille, quelque fut son poids. Fenris n’échappait pas à la règle. Mais elle ignorait pourquoi il s’en voulait à ce point, révélant une facette de lui qu’elle ne connaissait pas encore. Quelque fut la gravité de ses choix, il l’avait justement dit : on ne revient pas en arrière. Le temps est irréversible, et ce serait blasphème que de le réécrire. Cela donnait des raisons supplémentaires de se battre pour remédier les choses, et espérer qu’elle s’améliore.
« - Nous faisons tous des choix, plus ou moins faciles à défaire. Seuls les idiots, les lâches et les indécis se dispensent d’agir… L’erreur est humaine. » Dit-elle simplement. Ses lèvres se rouvrirent quand…
Léo ? Ses oreilles se redressèrent soudain. Un Léo dans la garde prétorial, et qui plus est haut-gradé, elle n’en connaissait qu’un seul mais sous un autre colifichet. Colonel Jézékaël, aux ordres et aux petits soins d’Elerinna, pour le peu qu’elle en savait, toujours à la botte de la marionnettiste, à la suivre comme son ombre. Comme si Fenris pouvait être mêlé à ses petits caprices de pouvoirs, la sirène se redressa alors, involontairement brusque, plus brusque qu’elle n’aurait aimé paraître. La vérité sur leur relation n’était pas un mystère, Othello avait rejoint les bords d’Irina depuis quelques longs mois déjà, et ne désirait que la chute de la sindarine, que servait le lupin avec ferveur. Comme le noir et le blanc sur un échiquier imaginaire, il se confrontait sans jamais appartenir au même camp. A quel point Fenris pouvait tremper dans ses affaires ? Othello se sentit soudain plus froide, plus distante envers le grand homme de sable, comme si la falaise de sympathie qu’elle avait bâti envers lui avait commencé à s’effriter, doucement, alors qu’une méfiance désagréable naissait en son ventre, la bile lui remontant à la gorge. Jusqu’où en savait-il sur sa caste et sur les affaires de Léogan ? Etait-il lui-même mêlé à tout ça ?
Les frêles mains du froid avaient saisis la pièce et s’amusaient maintenant à diffuser, par maigres intervalles, de désagréables courants d’air. Une brise sournoise s’engouffrait par une vitre cassée, quelque part dans l’arrière-boutique. Elle gambadait alors joyeusement sur le parquet boisé, s’infiltrait sous les portes jusqu’à trouver les quelques parcelles de peaux visibles qu’elle pouvait alors mordre souhait. L’atmosphère s’était épaissie brutalement… Othello ne savait plus sur quel pied dansé. Elle regardait la main qui lui était présentée, ne sachant plus si elle venait d’un ami ou d’un ennemi, ne sachant plus s’il était bon de lui faire confiance, au risque de pactiser avec le mal. Ses yeux… Il parcourait ses doigts, cette paume chaleureuse, alors qu’elle sentait émaner de lui une onde rassurante, si contradictoire avec ses pensées. Poser ou pas sa main… Timidement, comme elle s’était laissé faire dans la douceur du Grand Bosco, elle déposa sa main, cherchant du bout des doigts à les glisser entre les siens pour refermer son emprise. Mais la sirène n’était pas dupe pour autant, et quelque part en son esprit, elle se sentait loin, infiniment plus loin qu’avant.
« - La vérité est que j’ai été idiote, et naïve. » Dit-elle, l’air absent, et mélancoliquement espiègle. On rit tous de ses propres erreurs, avec plus ou moins d’amertume, et plus ou moins de rancœur. « Il y a dans notre monde tant d’injustice, tant de cruauté… Tant de despotes et tant de dictateurs. Je pensais avoir besoin d’une arme pour me battre, sans comprendre qu’un combat peut être plus que physique ».
Et quand on a, comme elle, un passé dans l’espionnage et les petites besognes de tous types que l’on donne à une fausse sainte, l’idée de lever seule une armée contre le pouvoir, lame en main, était plus qu’utopique. Elle regarda de nouveau Fenris, son œil fatigué, un peu rougit par les quintes de toux et la maladie, se demandant si il s’intéressait vraiment à son histoire idiote, et si au fond, elle ne ferait pas mieux de se taire et de le laisser trouver un peu de repos. Ses doigts se refermèrent doucement, plus spontanément qu’avant, cherchant la chaleur et le calme dans les sillons de sa paume. Et s’il savait pour Ellerinna… S’il la soutenait, n’avait-elle pas dit les mots de trop ?
« - Pardonnez-moi mais… Léo, votre âme sœur… Est-ce bien Léogan Jézékaël, le colonel ? » C’était déjà presque trop en dire. Comment tourner les choses pour n’avoir pas l’air menacée ? « Je suis désolée mais… Bien sûr, il est évident que vous devez tout savoir de lui. J’en connais peu, mais je connais sa réputation, et qui il soutient. Mais… Il faut que je sache, que savez-vous de nous ? » Ses yeux se firent acier, aussi dure que la glace à l’horizon de l’eau, plus dure qu’elle ne l’aurait voulu. Rapidement, elle baissa les yeux, resserrant ses doigts à la recherche de soutient, ou de crainte. Une raison d’avoir pleinement confiance, sûrement, mais elle serait incapable de le dire.
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Sujet: Re: - Dream Maker, Life Taker - Mer 11 Nov - 18:44
Sujet: Re: - Dream Maker, Life Taker - Dim 7 Fév - 20:13
C’était étrange comme un simple mot peut convoquer autant de chaleur. Les frimas cimmérien qui encombrait la pièce et leur conversation s’élevèrent soudain quand elle dit le nom du lupin. Elle découvrit l’œil du borgne s’attendrirent, son visage s’adoucir, renaître avec chaleur. Nul doute que le lupin nourrissait pour le colonel des sentiments d’une profonde amitié. C’était un exercice pourtant bien difficile d’imaginer les deux êtres ensembles, et la demoiselle peina a y arriver. Elle connaissait le soldat comme quelqu’un de froid, distant, terne et taciturne. Et sa façon de suivre Ellerina à la trace... C’était un peu triste, quelque part. Comme sil était une de ces ombres qui hantent le temple comme tant d’autres ombres avant lui. Alors que Fenris, lui, semblait gai et gaillard, elle ne connaissait de Léogan que le gouffre de leur distance. Cependant le sourire chaleureux du llurghoyf faisait plaisir à voir. Mais quelque chose dans son œil changea, une lueur un peu triste qui lui fit ravaler son excès d’enthousiasme. Quelque chose s’était-il passé dans leur passé commun ? Cinquante ans... La jeune femme ne concevait même pas tout le temps que cela représentait, pas avec les quelques vingt et quelques années qu’elle avait elle-même vécu. Soudain, elle se rendit compte d’une étrange vérité : le marin parlait comme l’épouse trahie par son homme, volé par une autre femme qu’elle. Ou comme l’animal laissé, abandonné pour quelqu’un d’autre. Cette allégorie n’avait de sens qu’en y plaçant Hellas, qui était la cruelle et froide femme du nord qui avait conquis le sindarin et l’avait traîné jusqu’à ses bas-fonds. Cela ne lui faisait-il pas trop mal au cœur de revenir en ces terres ? Othello le regarda doucement, tentant de refermer un peu plus ses doigts pour le calmer un peu.
Mais la suite des choses, la naïade n’aurait pu le deviner, ni même l’attendre ou l’anticiper. Alors qu’elle le regarda pencher la tête, ne pouvant s’empêcher de trouver le geste attendrissant, elle remarqua bien vite que cela causer chez le marin une certaine... animosité. Discrètement, elle se recula sur son siège, ses oreilles se baissant sur l’arrière dans un réflexe animal. Quand il parla sèchement de son refus, elle en eut presque un sursaut, mais garda sa surprise pour elle, haussant simplement les sourcils dans une stupeur candide et naïve. Quoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Se demanda-t-elle, comprenant alors qu’elle avait fait le pas de trop. De toute évidence, elle avait poussé le marin dans un retranchement plus brûlant que les autres. Elle avait appuyé sur le bouton rouge... Mais quelle idiote... Alors qu’un bref silence s’installa quand son ton prit le tranchant de l’acier, elle voulut se lever, se dresser même, pour s’enfuir bien loin... La rascasse qui s’enfuit dans les fonds marins pour se trouver une cachette entre deux roches. Même si la réalité de la situation avait quelque chose d’attrayant. Passée fut la stupeur et les regrets, et elle pu finalement comprendre qu’elle l’avait eut, sa réponse. Et c’est avec une certaine jouissance qu’elle regarda le lupin s’énerver doucement, et jouer des mécaniques pour prouver son opinion. Il se pâmait, à sa façon, et jouait habilement des mots... Et quand il eut finit, Othello éclata de rire. Un rire franc, désarmant, vibrant. Grouillant d’une vie lointaine qui lui sauta avec joie et franchise à la gorge.
« - Eh bien, pardonnez mon audace ! » S’exclama-t-elle, sur un ton amusé qu’on ne lui connaissait pas. « Vous avez amplement raison, et vous faites bien. C’est important de veiller sur les êtres chers. Et au moins, » finit-elle par dire joyeusement « nous sommes d’accord sur un point. Notre dirigeante est une vraie vipère. » Faute avouée, à moitié pardonnée, non ? Othello n’allait pas lui en dire plus, surtout sil ne souhaitait pas s’en mêler. Après tout, il avait bien raison. Les affaires des prêtresses étaient compliquées, et il valait mieux s’en éloigner quand on le pouvait. Il avait, en cela, une place bien privilégiée...
La sirène soupira. Joyeusement, cette fois-ci. Cela avait du bon de rire. D’un seul coup, elle se sentit libérée de tout le poids de la méfiance et de la paranoïa qui reposait sur ses épaules et qui appuyait sur son dos, comme si le spectre de la peur s’était envolé comme il était venu, dans un nuage de vapeur sombre. Une sérénité nouvelle s’empara d’elle, et elle regarda quelques instants le lupin avec un énigmatique sourire au lèvre – en réalité, il ne s’y était pas décroché. Son coup de sang avait été amplement justifié. Après tout, il avait dû croire qu’elle en voulait à son ami et cherchait à le descendre, alors que les choses étaient tout autre. Sa spontanéité désarmante avait eu raison de ses craintes, finalement. Cela avait du bon d’être aussi franc que lui, et de se laisser aller à ses émotions. Il avait eu raison de son masque.
« - Ne bougez pas, je reviens dans quelques instants... » dit-elle finalement. Au bout du compte, il était temps de passer à table...
Doucement, la sirène se leva, entouré d’un bruit de drapé qui ressemblait à des dizaines de bruissements d’ailes. D’un geste, elle balaya sa chevelure sur le côté, regarda le marin une dernière fois et disparut dans le fond de la boutique. Ses pas la guidèrent avec une légèreté étonnante vers là où elle dormait habituellement. Son lit, plus précisément, qui la regardait comme un fantôme sous ses draps de coton. Le secret qu’il renfermait lui pesait sûrement, à lui-aussi. Doucement, dans un silence presque religieux, elle s’abaissa à hauteur du lit et tendit le bras dans l’obscurité qui se trouvait en dessous. Là, elle y sentit bien vite une forme imposante, abrité par un tissu rêche. Lentement, elle le tira vers elle et récupéra dans ses bras le long objet emmitouflé qu’elle porta dans ses bras. En revenant dans la salle, elle retrouva Fenris, et se rendit alors brutalement compte de la chaleur de la pièce. Prise d’un élan de culpabilité assez marqué, elle posa sa charge, et s’en alla allumer toutes les lumières possibles, soit à peu près six bougies çà et là, ainsi que deux lanternes et une lampe à huile. Autant dire que c’était la fête dans la boutique Lehoia. « Ce sera sûrement plus accueillant, comme ambiance ! » Dit-elle avec un sourire un peu maladroit. Tu devrais arrêter l'humour... Se moralisa-t-elle bien vite. Puis elle vint poser l’objet du délit sur la table, et fit signe au grand homme de sable de la rejoindre. L’heure de vérité... Doucement, elle tira le voile. Même si elle s’exposait au jugement, elle n’en avait plus cure. Cela ne lui importait plus. Elle avait confiance, et savait maintenant qu’il aurait la parole juste et l’opinion sage.
« - La lance de Kron. » Lui souffla-t-elle à demi-mot quand la longue meurtrière fut tout à fait à vue. Le métal noir, mat, à part pour les lames, ne renvoyait rien, pas même les douces ondulations des flammes de bougies. Othello tira alors sa manche pour se remémorer sa marque, regardant les deux fabriques de Kron comme symboles de ses souillures. « Ne la touchez surtout pas, elle... a des effets très néfastes sur ceux qui la tiennent trop longtemps. Peut-être en avez-vous entendu la légende en voyageant à travers le monde ?» Ce n’était pas tout à fait une question rhétorique. Une moitié d’elle-même en était réellement curieuse, l’autre voulait simplement s’épargner de raconter l’histoire. Elle préféra aussi taire la façon dont elle était entrée en sa possession – il avait déjà dû en entendre beaucoup, des histoires d’aventures. Mais, pour ce genre de chose, autant commencer par la fin. « - Finalement, c’est une histoire qui est vouée à ce terminer mal. Cette marque n’est pas vraiment une malédiction. C’est voulu. Pour récupérer cette lance, j’ai fait un pacte qui couvrirait mon vol auprès de Kron. Pour la posséder librement et m’en aller sans avoir à assumer les dégâts que j’ai causé au temple de Kron, je lui dois dix ans de servitude... Ou mon premier né. » Instinctivement, elle posa sa main sur son ventre, comme pour y sentir la mort, dont le cœur battait lentement, voué à s’éteindre. Il n’était pas proscrit pour une prêtresse d’avoir des enfants. Mais l’idée de mettre la mort au monde... Aucun être ne devrait être conçu pour mourir. Et pour ce qui était de changer de vœu, là non-plus, c’était chose possible. Mais elle savait ne pas avoir une espérance de vie comme celle de Fenris, ou même de Léogan dont elle connaissait la nature sindarine. L’horloge tournait inlassablement au-dessus de sa tête.
Brusquement, elle rabattit le tissu sur la lance, puis se retourna, posa le bas de son dos sur le rebord de la table pour regarder pénible ses doigts joints. « - C'est une histoire vraiment idiote... Je regrette tellement, maintenant. C’est une arme exceptionnelle, mais qui pousse à la folie. Et j’ai perdu mes chances d’avoir un... Enfin, je dois même songer qu’un jour, j’irai servir Kron au temple. Un pari perdu dans tous les cas. » Un sourire fané éclaira son visage diaphane, évanescent sous les lueurs des bougies, iridescent sous la pâleur du dehors. « Je vous remercie pour l’intérêt que vous portez à cette histoire. Mais vous voyez, il n’y a rien que l’on puisse y faire. Maintenant, vous savez tout. »
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Sujet: Re: - Dream Maker, Life Taker - Mer 2 Mar - 12:00
Sujet: Re: - Dream Maker, Life Taker - Dim 24 Avr - 21:24
Le rebord de la table lui fit rapidement mal, et elle releva un peu son bassin du meuble. La longue arrête de bois lui brisait les reins, aussi se redressa-t-elle doucement pour finalement s’asseoir de quelques centimètres sur le rebord. Etrangement, savoir que la lance était dans son dos la recouvrit de frissons, et elle sentit un sentiment désagréable naître dans son ventre. Parler de cette histoire ne lui était encore jamais arrivé, et cela l’avait troublé plus que de mesure. Elle s’était résolue au prix de longues heures de débats entre elle-même et sa tête pâle à accepter son sort. Mais le dire... C’était autre chose. Ca faisait mal. Dans son ventre, déjà, des centaines de poissons grouillant commençaient à s’agiter nerveusement, à fouiller allègrement dans sa chaire, secouant sa cage de peau de milles pensées qui remontaient comme des bulles jusqu’au fond de son esprit. L’image de la lame noire... C’était comme si elle l’avait encore dans les mains. Qu’elle sentait encore le sentiment d’abandon, de haine, de violence. Le besoin frénétique, presque bestial de tuer, pas par nécessité, mais par pure envie. La joie de voir jaillir le sang... Posséder la lance n’était pas le problème en soi. L’utiliser, c’était autre chose. C’était accepter de disparaître et de se s’abandonner à l’arme. La vue de son âme pourpre lui remua tellement les entrailles qu’elle en eut la nausée.
Quand Fenris prit la parole, l’ondine n’en fut étrangement pas surprise. Bien qu’elle ne connût le marin que très peu, elle commençait à cerner un peu son caractère franc et sincère. Aussi se doutait-elle qu’il aurait peut-être cette réaction, mais en était touchée malgré tout. Son dévouement aveugle sans rien connaître d’elle ou de son passée, cela lui faisait sincèrement chaud au cœur, au point qu’elle vint poser sa main sur la sienne, quand il osa la déposer doucement sur une de ses épaules. Le contact lui était serein, à présent, et elle commençait même à s’habituer à cette sensation qui lui était étrangère ou hostile avec tant d’autres. Ses cheveux joliment projetés sur son autre épaule, recouvrant généreusement une partie de son buste et de sa poitrine pour couler jusqu’à son genou, Othello écouta doucement, sans mot dire, le grand marin s’emporter, brûlant d’une force salvatrice qui le dépassait peut-être. Ses dents grincèrent sinistrement, pendant quelques secondes. C’était toute une frénésie qui s’emparait de lui, alors qu’il plaidait sa cause quand elle se savait coupable.
Se battre ? Oh, elle n’y avait guère pensé. Et si ce ne fut pas pour la détermination de Duscisio, cette pensé ne lui aurait même jamais traversé l’esprit. Depuis qu’elle avait commencé son périple qui la mènerait vers la lance, elle se savait souillée. Comme si, en vouant son temps à la recherche de l’artefact, elle avait vendu une partie de son âme à Kron, et s’était détournée de Kesha – l’ironie était que c’était dans le seul but de la protéger, elle et toutes les femmes qui croyaient fiévreusement en elle. Prête à tout, elle accomplit sa besogne, et devant le prêtre, elle ne songea même pas à refuser son pacte. L’idée ne lui traversa pas l’esprit... Car elle le méritait. Cette marque, ce poids, ce fardeau immense sur ses épaules : c’était un châtiment qu’elle s’était engagé à endurer à l’instant même où elle avait commencé son périple. Aussi n’y avait-elle pas songé. Et, à force de se convaincre, elle en avait abandonné tout espoir. Alors, comme pour se prouver que son cas n’était pas encore désespéré, elle se retourna vers le grand marin. Sa voix forte, qui poursuivait sans hésitation, sans frémir malgré le regard dépassé de la jeune femme, sa détermination lui remua quelque chose au fond du cœur, sans qu’elle ne pût mettre la main dessus.
Une nouvelle fois, elle posa sa main sur son ventre. Oh non, il n’était pas un taré. Et même si vouloir s’embarquer dans cette entreprise relevait peut-être d’un goût légèrement prononcé pour le masochisme, elle lui en était une nouvelle fois reconnaissante. Malgré cela, elle ne pouvait s’empêcher de se sentir coupable de le voir s’élancer pour elle avec tant de fougue. Comme si, le glaive à la main, elle le guidait doucement vers la mort. Elle resserra sa main, et la tira doucement à elle pour la saisir pleinement de ses dix doigts. Pouvaient-ils à eux seuls retrouver Gwyden et défaire le pacte ? Elle ne savait même pas si une telle chose était faisable, elle irait jusqu’à emmener le grand marin jusqu’en Argyrei avec pour seul raison la bienveillance du lupin ? Ce serait bien injuste pour lui, alors qu’elle se tenait là, sans pouvoir lui rendre la pareille. Ses paumes se serrèrent sur la partie de peau qu’elle tenait, y emmêlant leurs doigts, des mèches blanches qui traînaient par-là, et les doutes qui commençaient à germer dans son esprit, alors que son visage rester impassible.
Les poissons étaient devenus fous dans son ventre. Ils grouillaient comme des cafards sous sa peau opaline, elle les voyait presque ouvrir béat leur bouche. Ils avaient peur. Peur du doute insensé que Fenris avait fait naître en elle. Et sil avait raison, et qu’il fallait se battre ? Quand il eut finit, gorgé de bonté, de fougue, d’une chaleur déterminée qu’elle avait rarement vue, elle le dévisagea, son œil unique, scrutant le moindre sillon de lumière. Sa peau, ses traits fatigués, enrhumés. Tout. Tout ce qui pourrait l’aider à comprendre d’où lui venait cette force, cet espoir brûlant qu’il nourrissait pour sa malédiction, et qui lui valait sa bienveillance.
Et pourtant, elle avait commis sa faute. Son esprit vacillait doucement face à ce pêcher qui était le siens, et pourtant, Kesha lui envoyait ce preux chevalier, qui semblait si immense dans sa boutique, et pourtant si vulnérable avec son nez rougit et ses yeux humides. Décidément, l’ondine ne savait plus sur quel pied dansé. Avant qu’il ne soit trop tard... L’immense sablier du temps qui l’entraînait encore et toujours vers le néant de la mort, où les mains de Kron l’attendaient, ses grands doigts squelettiques ouverts. Non, elle ne voulait pas le servir et le prier. Ni lui offrir son premier né, dont elle tiendrait le corps sans vie du bout des doigts, incapable de pleurer, sachant très bien qu’il n’en serait pas autrement. L’idée même la révulsait... Elle le regarda, avec acharnement maintenant. Elle avait envie d’y croire.
Mais l’idée d’emmener Fenris dans ces intrigues religieuses, même de gaieté de cœur, ne lui plaisait guère. Le pauvre n’avait rien fait pour se retrouver mêlé la dedans, de quelle droit pouvait-elle l’impliquer dans cette sombre affaire et lui voler sa liberté ? Et s’il venait à être blessé... Le temple de Kron était un endroit sombre, et le prêtre Gwyden l’était plus encore, avec une touche sinistre de tourment qui lui seyait à merveille. Il peut changer un homme, aussi fort et fougueux fut-il. Othello détendit doucement ses deux bras, laissant glisser la grande main du géant qui parut soudain immense dans les siennes jusque dans une seule de ses paumes, puis vint rapidement la recouvrir avec sa deuxième main.
« - Merci beaucoup Fenris pour votre bienveillance. Je ne sais pas quoi faire pour la mériter. » Dit-elle simplement, toujours incertaine quand à quoi dire, ou quoi faire. Elle regarda quelques secondes leurs mains, la peur au ventre. Si elle acceptait, elle savait qu’elle risquait de l’entraîner vers un territoire sombre. Et il y avait la lance... Elle avait bien remarqué son œil quand il avait vu les lames noires. Cette lueur fascinée devant la matière obscure, la curiosité interdite qui l’avait saisi. Qu’adviendrait-il sil venait à l’utiliser ? Et il ne méritait pas d’être la victime de sa fougue... Aussi ne voulait-elle pas lui imposer cela, alors qu’il risquerait de le regretter une fois embarqué dans cette histoire. Elle hésita longtemps, pesa doucement sa parole avant de dire, doucement et calmement :
« - Argyrei est un pays brûlant, qui cache un temple sombre, et obscur. Je ne sais pas vraiment si je veux vous faire risquer ce périple. Ni même si je désire y remettre les pieds... Mais vous avez raison, amplement, dans tout ce que vous me dites. Vraiment, je ne sais pas si je le mérite. » Dit-elle en souriant tristement. Hésitante, elle leva une main, et la posa à son tour sur l’épaule emmitouflé du grand cyclope avec la même prévenance qu’il eut pour elle, dût elle-même se tenir sur la pointe des pieds. « Mais je ne veux pas que vous preniez cette décision ainsi. Prenez le temps d’y réfléchir... Et si demain, votre détermination est sans faille, revenez me trouver. Et... Je consentirais à ce que nous nous trouvions une solution ensembles. » Finalement, elle rendit les armes. Elle n’aurait le courage de l’éconduire à cet instant, et elle ne savait même pas si elle le voulait. Le loup avait raison, comme Duscisio avant lui, et elle commençait à y croire comme eux. L’envie de se battre commençait à renaître, faible, mais présente.
Pourtant, au fond de son cœur, elle priait pour que Fenris fasse preuve d’égoïsme et ne prenne pas le risque de l’aider. Lui ne méritait pas cela... Même si, quelque part, elle espérait vraiment le contraire.
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Sujet: Re: - Dream Maker, Life Taker - Dim 22 Mai - 19:33
Sujet: Re: - Dream Maker, Life Taker - Ven 3 Juin - 19:43
Les paroles du grand loup, dont le regard prévenant la couvait doucement, la ramenèrent loin, jusque dans le désert aride qui abritait le temps. Dans ses paroles, elle sentit de nouveau la chaleur étouffante lui mordre la gorge comme un tigre affamé, la sueur séchée qui lui collait la peau comme du sel, son souffle sec, désespéré de trouver un peu de fraîcheur à inhaler. Et ce vent sourd qui balayait la steppe pour soulever çà et là des collines de sables qui leur piquaient les yeux. Les soleils irradiaient tout dans une lumière aveuglante, et ils voyaient à peine l’horizon tant il était tordu, distordu par la chaleur ambiante. Et la nuit... Oh, la nuit avait été plus paisible, pour ce qu’ils s’étaient mis à l’abri. Pourtant la splendeur et la grandeur des lieux lui était monté à la tête, laissant la sirène dans un état de fièvre mystique, presque maladif, à regarder cet immense endroit dans une enivrante contemplation. Dans un tourbillon de sable fumeux, elle s’imagina alors voir surgir Fenris, la tresse blonde se fondant dans le brouillard ocre, le regard vibrant avec l’âme du désert. Maintenant qu’elle y songeait, elle s’aperçut que le jeune homme semblait connaître beaucoup de lieux, et cela agrandit encore le gouffre qu’il y avait entre le marin et ce qu’elle savait de lui. Il semblait avoir un passé long et riche, quelque chose qu’elle ne pourrait s’imaginer en aucune façon. C’est alors qu’elle s’aperçut que sa gestuelle était somme toute très déplacée. On aurait presque dit qu’elle le maternait comme un enfant, alors qu’il avait sûrement une vie bien plus longue, et plus avancée que la sienne. Se sentant soudain dépassée, elle se réprima, de peur de vexer le grand homme de sable.
Et pourtant, c’est avec beaucoup de prévenance qu’il lui répondit, sans tenir compte de la rudesse de son geste. Obstiné ? Elle lui sourit. Effectivement, il avait l’air d’avoir un côté têtu. Mais elle n’y voyait pas un défaut, bien au contraire. La détermination était un des atouts qu’elle avait toujours su admiré, elle qui en manquait tant. Car il fallait faire preuve de patience, d’abnégation et de piété, et bien plus encore quand on se montrait aussi dévoué. La jeune femme était sincèrement touchée, bien plus qu’elle ne le montrait, faute de pouvoir l’exprimer clairement. Quand Fenris eut fini de parler, elle acquiesça sans mot dire, certaine de ce qu’il disait.
Soudain, doucement, elle sentit la main du marin glisser délicatement dans son dos, poussant la jeune femme à lever le regard vers son œil brillant de mer. L’espace d’un instant, elle crut distinguer quelque chose au fond de son regard. Un éclair, une étincelle... Ou plutôt une porte, un passage ouvert vers les profondeurs de son âme, luisant d’une apaisante lumière dans l’abîme de cet iris. Une sérénité troublante l’envahit soudain, elle qui avait eu si peur quelques secondes auparavant. Mais ce regard-là réchaufferait jusqu’au bout de son cœur, sans qu’elle ne sut l’expliquer. On l’avait rarement regardé avec autant d’intensité. La sensation de chaleur qui se dégageait de sa peau la fit frémir, et sa peau sembla se détendre, marquée de son empreinte. Soudain, elle sentit la douce pression dans son dos qui l’attirait dans ses bras, pour être abritée par ce grand corps, découvrant un contact qu’elle n’avait que trop rarement ressenti, et ressentant à chaque fois un rare frisson. Du haut de sa taille, la petite dame arrivait tout juste à hauteur du poitrail puissant, sentant sous la couche de tissu la finesse de la musculature travaillée par des années de vagabondage au travers du continent. Le contact de sa main était chaud et agréable, et son vêtement dégageait une odeur de sel et de musc qui lui rappela les voyages et les vents de mers. Ses yeux restèrent pourtant grands ouverts, tant la surprise la tétanisait dans cette étreinte fragile. Que faire ? Que ressentir ? La sirène ne savait comment interpréter ce geste d’une douceur remarquable. Bien que dans un autre contexte, il aurait été aisé de mal interpréter cette accolade spontanée. Et pourtant, elle n’osait croire qu’il le faisait par arrière-pensée douteuse... Ô, qu’elle aurait aimé qu’il utilise son pouvoir une nouvelle fois pour mieux comprendre. Mais au fond de son esprit, enveloppée de ces bras de marin, elle se sentait comme l’ondine qu’elle était, dorlotée par les vagues, l’écume jouant avec son visage, le souffle de Fenris chatouillant ses oreilles comme une brise tranquille. Si elle fermait les yeux, la lumière grise du dehors deviendrait peut-être un magnifique crépuscule...
Ses bras tombèrent doucement sur ses côtés, et releva gentiment ses mains vers dos du grand homme, l’entourant également au niveau du bassin, là où ses mains se retrouvaient le plus facilement. Othello se sentit incroyablement bien, pour l’éclair de seconde qu’elle resta là, détendue, avant qu’il ne s’éloigne. Elle comprit alors qu’il s’agissait de bon sens, et y vit de pures intentions. D’une part parce qu’elle se refusait à croire que le Lupin eut nourrit une quelconque arrière-pensée, et d’autre part, car tout dans sa gestuelle et dans son regard indiqué qu’il était sincère. Et puis... Depuis quelques heures, elle avait l’impression qu’ils avaient tissés une confiance sincère. S’il avait nourrit un désir déplacé, il ne l’aurait pas laissé filé aussi vite, non ?
De nouveau, elle le regarda de face, remarquant que le marin avait le sourire aux lèvres. Elle fit de même, et lui renvoya une esquisse sincère de paix, un visage qu’elle n’avait montré qu’à une poignée de personnes, et peut-être moins que ça, peut-être juste une ou deux. Peut-être qu’à lui. Se laissant réchauffée quelques secondes dans sa crinière de lune, elle regarda une dernière fois le grand marin de sable, entouré de sa fourrure, sous ses longs cheveux blonds de blé, signé de cet œil unique qui était si parlant, un peu rougit par le rhume.
« - Je vous remercie du fond du cœur, Fenris. Le hasard fait bien les choses. » Elle regarda la porte avec un soupçon d’amertume, puis se résout à le libérer de sa tanière maussade. « J’imagine que je vous dis à demain. » Un nouveau sourire éclaira timidement son visage, alors qu’elle dévisageait à présent le mauvais temps comme une vieille ennemie. La seule chose qu’elle espérait, maintenant, fut que le lendemain, le temps fut meilleur pour sa santé d’homme du sud... Car elle savait déjà qu’il ferait comme il l’avait dit, et qu’elle le retrouvera quand les lunes se seraient couchées. Après tout, n’était-il pas obstiné une fois qu’il se mettait quelque chose en tête ?