Aydren Ryok

Une silhouette mystérieuse, élancée, maigre. Un petit corps menu sous un tas de vêtements vieux; une robe, des manches déchirées, des lanières, une ceinture, des bottes de peau, une cape de tissu, à capuche, des épaulettes droites d’os et pour couronner le tout, un imposant crâne lui cachant le visage. Elle vous observe par les naseaux de l’animal mort, ses cheveux bruns, presque noirs, sont souvent attachés dans une coiffure aussi compliquée que raffinée laisse deviner ses traits fins, doux. Ses oreilles pointues, percées de différents anneaux trônent là. Ils annoncent une nature peu connue. Ses lèvres pourpres sont les seules choses que l’on peut apercevoir, sous le masque. Ses yeux ? Rien n’est moins sûr, il faudrait enlever le crâne, ce qui lui arrive rarement.
Ses mains sont recouvertes de tissus déchirés, anciens gants, anciennes manches, réminiscences d’une ancienne vie désormais lointaine. Ses doigts sont munis d’ongles longs, négligés, incrustés de saleté.
De la peinture orne sa joue droite, rouge sang, souvent à moitié effacée. Parfois, on peut en distinguer sur le masque qui dissimule son visage.
Souvent couverte de poussière et de crasse, elle semble s’être constamment roulée par terre. Sa démarche, lente et chaloupée, met en valeur ses hanches généreuses, en comparaison de ses seins menus. Son aura dégage quelque chose de dérangeant, de mystique. Bien ou mal ? Difficile de trancher. Mais il y a toujours cette impression en la voyant, sa présence se remarque, tel un fantôme, une entité. Un air souvent hagard orne ses attitudes. Le visage souvent tourné vers le ciel, ses mouvements sont lents, réfléchis.
Ses armes pendent à ses flans, discrets, mais présents. Ils sont accrochés à la ceinture ornée. Elles semblent usées, fatiguées par les combats, par la mort.

Quand Aydren ne revêt pas son réel physique, elle se transforme. Petite, grande, puissante, faible, blonde, brune. Tout est possible. Tout n’est qu’imagination. Ses vêtements cependant, ne changeront, ils sont les seuls qu’elle porte sur le dos. Et les bourses pendues à sa ceinture, soigneusement dissimulées dans son dos, au chaud sous sa cape, ne contient que son argent, quelques plantes servant à ses poisons et quelques matériaux indispensables à sa survie. Elle porte également avec elle, toujours bien au chaud sous ses vêtements qui gonflent sa carrure, son sac de cuir. Elle parait de l’extérieur, sans possession.

Premièrement, Aydren a oublié son passé. Ou elle l'a mangé, lentement, rongé jusqu'à la moelle jusqu'à sa disparition pendant son emprisonnement. Petit à petit, elle a pensé à la mort, à la vie, elle a philosophé. La solitude et la mort ont ensuite forgé Aydren, en bien comme en mal. Si elle a appris à s’habituer à faire de longs voyages sans parler à personne, elle a du coup appris à parler seule, à elle-même ou à des animaux morts, ce qui revient au même, vu qu’il s’agit de sa volonté, sa magie, son esprit qui les fait s’animer. Pourrait-on aller jusqu’à dire qu’elle a développé une autre personnalité à force de jouer le rôle du rat mort pour se répondre à elle-même ? Elle le niera, tout comme elle niera tout petit écart mental dont elle pourrait faire preuve, longue discussion avec des amis imaginaires, des morts, elle-même, rituels relevant du tic, manies. Aydren a par exemple besoin d'avoir toujours les mains propres, ou de remercier les cadavres après les avoir utiliser, et les enterrer. Quand elle chasse, elle se promet d'utiliser les cadavres à une autre fin que de manger les bêtes.
Aydren respecte la mort, surtout quand elle joue avec. Voilà pourquoi elle demandera également toujours au cadavre si elle peut les utiliser quelques instants, même si jamais personne ne lui répondra.
La mort, bizarrement, est sa vie. Bien plus que les soins. Peut-être influencée et poussée par l'Aydren originelle. Elle désire profondément terminer ce que l'âme originelle du corps qu'elle a volé : percer elle secret de la Mort. Dieu, pas dieu ? Y a-t-il quelque chose après ? Aydren veut le savoir.
Elle s'entraîne même à devenir ventriloque, afin de leur redonner une sorte de vie, un "après", une dignité, presque. Pour l’instant, cela n’est pas très fructueux, mais elle essaie. Ne lui en parlez surtout pas, elle pourrait se vexer.
En présence d’autres êtres doués d’intelligence, elle change, elle se met à parler peu, à montrer peu ses expressions. Aydren est d’un calme à toute épreuve, mais ses limites sont bien là, et gare à ceux qui les franchiraient, une bête carnivore s’y terre, dans l’ombre. Heureusement, ce n’est encore jamais arrivé.
La Syliméa est serviable, malgré tout, elle tient son travail à coeur, même si sa passion, la mort, est complètement l’opposé. Elle veut s’intégrer, passer pour une bonne femme, une bonne terranne, une bonne guérisseuse. Elle cache sa magie, et elle cache sa réelle race. Elle n’hésite cependant pas à prendre des cadavres frais d’animaux pour faire croire que ceux-ci ne lui sont pas hostiles. Tout est bon pour paraitre normale, même si, intimement, elle espère un jour retrouver quelqu’un de son peuple, ou son peuple tout entier.
Au fond, Aydren est un peu comme tous les siens, elle en veut aux Sylphides, elle en veut à tous les représentants. Elle aimerait les exterminer, les voir souffrir, disparaître. Sa colère noire, bien que bien dissimulée, bouillonne dans un coin de son esprit. Elle sait que si un jour, elle croisait un sylphide et aurait l'opportunité de le tuer, elle le ferait, elle le ferait avec un grand plaisir.
Je pourrais encore longtemps vous parler d'elle même si elle est encore jeune dans ce corps et emplie d’un profond désir de découvrir le monde, de constater à quel point il a changé.

Le soleil lui avait fait comme un choc électrique quand enfin, elle fut libérée. Qui ? Pourquoi ? Quand ? Rien n’avait plus d’importance à ce moment là, elle voulait sortir, regarder le soleil, le sol, le ciel. Profiter enfin d’une liberté qu’elle n’espérait plus. Pouvoir enfin se demande quel corps infecter, quelle vie démarrer, quelle merveille découvrir.
La tâche fut longue et fastidieuse. Le continent grand, mystérieux, infini. Souvent, elle voulut abandonner et choisir un vie au hasard, un roturier, un chevalier quelconque qu’elle ne connaissait pas. Souvent, sa volonté flanchait. Pourtant, elle avait l’exact schéma de son corps en tête. L’exacte vie qu’elle voulait voler. Shaoh, tel était le nom qu’on lui avait donné, ou qu’elle-même s’était donné après son trop long séjour dans un foutu coffre, après avoir oublié son passé, perdu dans les ténèbres exigus de sa prison. Son rêve était précis. Une bourgeoise sans attache, une riche avec des talents, des connaissances, des ressources. Mais surtout, avec une passion, une passion qui ne pouvait pas la lâcher, pour avoir un but, une direction à prendre. Quelque chose qui lui donnerait envie de vivre, d’avance. Un projet à reprendre.
Un jour qu’elle se perdait dans les contrées désertiques d’Amaryl, elle furetait parmi les sages, les inventeurs, les extravagants, les vieux, les moins vieux. Mais surtout les demoiselles, très peu nombreuses. Son esprit lui criait d’arrêter, mais elle n’en faisait rien, elle voulait trouver, elle en avait besoin.
Et c’est au détour d’une chambre qu’elle la vit, au chevet d’un malade, les mains posées sur une contusion. Elle le soignait, réellement. Cette dame semblait douce, bienveillante, amicale, son sourire était si beau, ses cheveux aussi. Son visage transpirait la bonté. Soah la voulait, elle, tout de suite, maintenant. Mais elle ne pouvait pas, il fallait attendre. Il fallait l’observer, la connaître, s’assurer du choix, ne pas regretter.
L’observation dura plusieurs semaines.
Shaoh découvrit son atelier souterrain. Sa morgue. Ses expériences sur la mort. Son profond désir de faire revivre ce cadavre d’homme inconnu. La tourmente de son esprit faible, ses pleurs, ses peines.
Elle était parfaite.
Shaoh n’avait plus à perdre de temps. Elle s’insinua en elle, elle s’installa au plus profond de son être, pour la corrompre, faire de ce corps sa propriété. Et cela fut facile, son mental était déjà en miette. Il ne fallut qu’une grosse semaine pour qu’elle cède à sa volonté. Qu'elle renaquisse après l'avoir tuée, et puis à une femme élancé, confiante, heureuse, l'apparence de son ancien hôte. Son passé s’ouvrit à la Syliméa ; sa fuite de Phelga, l’abandon de toutes ses origines, le vol de la quasi-totalité de la fortune de ses parents corrompus, son exil, la résolution de l’énigme, son apprentissage de médecin. Son intégration. La rencontre de son futur mari. La mort de celui-ci, brutale, d’un arrêt du coeur. Elle comprit enfin qui était cet homme qu’elle tentait de converser, c’était lui. Elle apprit aussi la peur de ses pouvoirs de nécromancie que Shaoh, elle, réveilla. Et quelle puissance il s’agissait ! Aydren, tel était son nom désormais, n’osait pas l’utiliser. Elle l’avait oublié au fond de son âme, refoulé. Cela la faisait rire, il y avait tant de pouvoir, et la nature lui avait confié des némésis. Terrible ironie du sort. Shaoh, elle, était heureuse. Elle pouvait enfin vivre, toucher, ressentir des choses. Mais l’enfermement ne lui allait pas. Soigner des vieux aigris la dégoûtait. Vivre dans une cave froide et humide ne lui convenait pas. Elle devait voyager, vivre des expériences. Se venger. Elle devait voir le monde !
Ses affaires étaient maigres, au final. Elle n’avait aucune attache à quoique ce soit. Les érudits étaient tristes, mais ils comprenaient qu’une demoiselle d’une trentaine d’année avait besoin de voir autre chose qu’une bande de vieux fous. Personne ne voulut la retenir. On se contenta de bref au revoir, d’une lettre laissée sur un mur, pour qu’ils ne comprennent, via ses yeux, qu’il ne s’agissait plus d’Aydren. Mais bien d'une imitation, d'une simple copie, afin de pouvoir être libre.
Elle réfléchit longuement à sa condition, quand elle traversait le désert. Elle eut la chance de trouver un crâne de scala pour se cacher du reste du monde. Un nouveau départ comme celui-ci ne pouvait pas prendre un tournant dangereux à cause de stupides yeux indécis ou d’oreilles un peu trop pointues. Le début de son aventure n’était que détails et précautions. Que peur et émerveillement.
Petit à petit, ses marques étaient ancrées, son apparence acquise et acceptée. Ses habitudes et ses manies bien existantes. Elle pouvait enfin approcher les êtres intelligents et leur proposer ses services de soigneuses, leur vendre ses onguents, ses feuilles médicinales. Elle commençait à peine à travailler.
H apparut assez rapidement dans sa vie, à force de voyage, à force de solitude. Elle l’aimait, le chérissait, en prenait soin. Il devenait son compagnon factice, son voile posé sur sa triste solitude.
Aydren y trouvait son plaisir cependant. Tout allait pour le mieux. La vie avait repris. L’histoire pouvait recommencer à s’écrire. Son but, percer les secrets de la mort, tentait d’avancer, en vain. Mais rien ne pouvait faire abandonner la jeune Syliméa, rien.
Une chose qu’on apprenait, quand on restait enfermé dans un coffre pour des millénaires, c’était bien la patience.