A Semblance of Normality

Immédiatement, elle est saisie par la chaleur étouffante du volcan. Même dans ses cauchemars les intenses, elle n’aurait pu imaginer le bélier d’air déshydraté qui la cueilit alors qu’elle se faufila dans l'entrebâillement que les Zélos réprobateurs lui ménageaient. Non qu’ils aient proféré un quelconque reproche, mais leur mine grave et disait long sur la folie dans laquelle la rouquine se lançait. Il ne suffit pas d’avoir une chevelure de feu pour supporter la chaleur volcanique prisée par les maître des lieux.

Elle se tourna vers l’extérieur pour chercher le secours d’une bouffée d’air frais qui ne vint pas et pour se demander si elle allait franchir le pas. Mais elle n’avait pas fait tout cela pour s’arrêter à la fournaise d’un air qui après tout ménageait son maître. Son entêtement n’allait pas cette fois lui porter préjudice alors qu’il lui avait été si profitable jusque là.

Elle avait déjà oublié les épreuves de la montagne et les rencontres perdues, égarées dans les ombres de son égoïsme. Elle le sentit elle était restée la même que lors de sa venue au monde, mais une part d’elle même avait changé au contact du vieux forgeron. Son absence de jugement sur elle et sa fidèle bienveillance n’avait pas laissé de prise à l’excuse de sa naissance violente qui la mettait au ban du monde. La Sindarine avait pu paradoxalement s’épanouir durant les semaines passées. Sa douceur et l’harmonie qu’elle tissait avec le monde laissait une plus grande place encore à l’insouciance qui était devenue la sienne au fil des siècles précédents sa rencontre avec la Syliméa donc la rage et le cynisme passait peu à peu au second plan. Cela ne sautait sans doute pas aux yeux, ne serait-ce que parce que peu de monde la connaissait suffisamment pour se livrer à la comparaison, mais en elle quelque chose de serein s’était installé qui la rendait plus souple et sans doute plus belle. Enfin c’est ce qu’elle se plaisait à se dire lorsque des duels introspectifs agitaient les deux Elië.

Et puis l’étonnement. Il fait chaud certes, mais pas autant que l’ouverture des portes ne le lui avait laissé supposer. Sans doute la contraste avec la fraîcheur de la pierre du temple. Ses yeux courent sur les détails d'ingénierie et d’architecture du lieu qui rougeoie sans toutefois l’agresser ni la consumer comme elle aurait pu le craindre en entrant ici. Elle sourit de sa stupidité: il fallait bien que les assistants du maître forgeron puissent entrer et survivre! La main de Bor n’avait pas ménagé son ingéniosité pour rendre l’endroit accessible au commun des mortels et les conduits de fluides variés qui le parcouraient lui donnait l’apparence d’un lieu émergé d’un autre monde où l’industrie aurait effacé les âmes rebelles. La Sindarine frissonna d’une sainte frayeur, devinant le sort funeste des forêts. Pendant un instant elle eut envie de rebrousser chemin tandis qu la Syliméa admirait les prouesses techniques et l'entraînait plus profondément. Plus profondément jusqu’au sein des seins ou en tout cas ce qu’elle pense être le sein des seins.

Pourquoi s’attendait-elle a quelque chose de plus travaillé, de plus abouti? L’aspect frustre de l’endroit pourrait presque la décevoir si elle ne devait une nouvelle fois s concentrer sur sa lutte contre la chaleur qui est encore montée d’un cran. De même, la présence des autres forgerons a quelque chose de démistificateur. Où est donc passé le grand maître seul en communion avec le volcan seul face au feu et au métal. Elle se demande aussi pourquoi elle s’était forgé cette image de son maître au travail. Après tout, n’est-il pas naturel que les grandes oeuvres soient le fruit de toute une équipe qui gravite autour d’un centre inspiré? I ne lui faut pas longtemps pour repérer la fraîche alcove, s’y réfugier et profiter de l’eau qui y est mise à disposition. Elle se rend compte alors de toute l’eau qu’elle a déjà perdue et qui plaque le tissu souple de ses vêtements sur ses courbes. Elle relâche un bouton de sa tunique sans souci des regards concentrés sur leur ouvrage et secoue doucement son encolure vertigineuse pour y guider un courant d’air qu’elle voudrait plus frais encore, mais qui lui donne l’illusion de remonter vers des températures plus humaines. Ses yeux changent d’éclat au gré de ses émotions. Admiration et effroi, intérêt et besoin de fuir ce lieu qui n’a rien de naturel pour une Sindarine toujours attachée au silence des futaies malgré son éloignement de Canopée depuis bien trop longtemps. Le bruit du marteau pilon surtout agresse ses sens. Elle ne peut même pas espérer pouvoir protéger seulement ses oreilles déjà au supplice car ses narines semblent recevoir des effluves métalliques et acides chaque tombée du poing de métal et son corps tout entier est secoué par la pulsation qu’il impose à l’air, même sa langue goûte le fer sans pouvoir l’apprécier comme au sein d’une gorgée sanguine.

Mais la curiosité est toujours chez elle la plus forte. Alors elle quitte l’asile ménagé pour les visiteurs pour se diriger vers la forge du colosse. Le colosse! C’est bien la première fois qu’il ne paraît pas aussi titanesque. Ce serait même le contraire d’un titan en comparaison de l’outil qu’il manipule. Il semblerait presque vulnérable à côté de ce marteau de cauchemar. Seule son ombre vibrante au rythme des rougeoiement de la lave lui rend sa véritable échelle. Elle a saisi deux cruches et s’approche de son maître, le sourire au lèvre. Un sourire où la reconnaissance le dispute à son espièglerie coutumière. Elle pense à la forge en attente en Arganath. Pourrait-elle rivaliser avec celle-ci? Elle en doute, mais le Duc n’est pas du genre à se lancer dans des travaux qui ne comble pas les objectifs.

Elle sait qu’elle assiste à quelque chose de sacré, même si elle n’en comprend pas tous les rites et ne se pose pas plus que question. Elle est déjà tolérée ici, elle ne va pas risquer d’interrompre le dialogue entre le maître et la matière Elle pose la cruche qu’elle a destinée à son maître sur un cuir qui recouvre un roc ou une enclume et repère un courant d’air dans l’alcove providentielle où elle profitera d’un peu de fraîcheur et observe le balai des geste précautionneux et précis qui répondent aux séismes de métal et au rythmiques métalliques. Elle imagine une toile pandémoniaque qui capterait la fragilité du colosse et sa force de contrôle sur les éléments qu’il entremêle. Elle lui trouverait une place chez elle et elle sait déjà où, dans l’endroit de sa demeure qui se rapproche les plus des profondeurs de cette forge.

Lorsqu’il la rejoint, enfin elle l’accueille avec un oeil rempli d’étoiles enfantine et émerveillées, même si sa peau de rouquine doit prendre des teintes outrepassant largement le rose dans la chaleur qui l’enveloppe.

Elle, d’ordinaire si prolixe en verbe même inutiles et frivole ,ne sait que répondre à la question de l’artisan qui se désaltère. Peut être parce que bien ici n’est inutile ou frivole. Elle ne peut que lever à hauteur d’épaule, des bras impuissants à décrire ses sentiments et lancer son regard ébloui et un sourire grisé sur tous les recoins et les prodiges du lieu.

Enfin elle s’entend murmurer sans savoir si ses mots atteignent le forgeron dans la respiration du lieu et le battement du coeur:

“C’est grand.”

Toutes les acceptions de ce terme sont présents dans sa bouche mais elle se rend compte qu’il peut paraître dérisoire dans les oreilles de son maître. Grand comme le monde, grand comme un empire bâti sur les rêves d’un conquérant, grand comme le champ éternel de la vie, grand comme le génie du monde, grand l’horizon infini, grand comme le vent qui porte le pollen d’une vallée à l’autre…

Mais le maître n’attend aucune louange. Il sait ce que valent les choses et enchaîne sur d’autres projets des projets pour lui, des projets qui impliquent la rouquine. Au passage, il exprime le sentiment de liberté qui l’a envahie depuis qu’ils ont quitté le duché et qui ne s’est pas démenti même dans le monastère où les règles sont pourtant bien apparentes. Elle le suit comme une enfant suivrait son père vers des aventures sans fin, presque en sautillant d’impatience mais sa foulée est celle d’une femme panthère de celles qui ronronne, terrasse et disparaît. Elle suit en silence attendant la demande de Brom Ode'Bahalmarche même si elle sait qu’elle aura bien du mal à lui refuser quoi que ce soit.

La remonté en surface est presque la fin d’un rêve. Tout semble soudain étriqué et lui faut un temps d’adaptation pour que les choses reprennent leur allure grandiose qu’elles peuvent objectivement avoir mais que les profondeur lui ont ravie dans les yeux de la Syliméa. Il faut toute la précision des gestes de l’artisan pour la recentrer sans déception sur les petites choses qui font les grandes oeuvres.

Elle suit les doigts colossaux ajuster comme un horloger les derniers détails de l’épée essayant de leur donner un sens. Ce n’est pas qu’elle n’en trouve pas au moment où la main se porte ici ou là mais elle est loin de pouvoir les imaginer ou les anticiper. Chaque attention portée à l’arme est comme un cadeau qui lui est fait et dont le propriétaire ne sera sans doute pas conscient si ce n’est parce que grâce à elle, il restera en vie ou deviendra une légende combattante. Au fur et à mesure son regard s’allume plus intensément si cela est encore possible après les merveilles qui lui ont été présentées. Un sentiment confus d’harmonie s’insinue doucement en elle. Elle imagine qu’elle empoigne avec douceur la garde et comme pour faire écho à ce songe, l’arme se tend vers elle alors que le forgeron ordonne. Avec respect elle tend ses mains pour recevoir la lame et incline la tête autant devant son maître que devant l’objet.

Elle n’a aucun effort pour se faire le prolongement de l’arme nouvellement née et se met d’instinct en garde comme elle a appris et enchaîne les mouvement de parade d’esquive de taille et d’estoc afin de sentir les équilibres offerts par sa partenaire. l’acier virevolte et la femme autour à moins que ce ne soit le contraire. elle n’a jamais senti un tel accord avec une arme même avec les points durs dans certains mouvements plus extrêmes que d’autres, elle la croirait parfaite si elle n’était alors stoppée et que qu’un nouveau réglage ne venait encore améliorer ses sensations. Et alors elle commence à comprendre et sa concentration au plus haut, un sourire irradie sa danse. Ce pourrait être un sourire de triomphe de celle qui a enfin obtenu ce qu’elle désirait depuis si longtemps, mais c’est le sourire simple de celle qui a passé toutes les épreuves mais ce elle aussi qui se sent aimée de son maître et qui lui accorde en échange toute sa reconnaissance et plus si elle en est capable.

Et puis le mots viennent mettre un terme à quelque chose, même si ce n’est que pour démarrer un nouveau chapitre. Elle aimerait remercier mais elle sait que les mots sont dérisoires pour le maître et qu’il lui rétorquera qu’elle a gagné le droit de la manier. Et puis il reprend l’arme et c’est comme une amputation qu’elle subit. elle comprend alors les paroles de la femme serpent concernant le lien entre une arme et son porteur. elle lui en voue bien moins de ressentiment et jette un regard inquiet au forgeron tout en gardant un silence ardent.

Le reste est comme perçu à travers un brouillard. Si elle s’embête? Ce n’est pas son genre et il doit le savoir. Mais là n’est pas la question. Il peut lui demander ce qu’il veut et elle se demande s’il en est conscient et ce n’est pas le titre de Dervish Prentis qui en est la cause. Voici maintenant des semaines que son destin lui est lié et qu’elle regimbe comme une pouliche sauvage dans un korall trop étroit et maintenant que la porte s’ouvre, elle se sent libre d’accéder à la demande de celui qui a fait d’elle une prisonnière volontaire. Est-ce cela le véritable esclavage? Celui de se sentir liée à une personne qui ne nous demande rien ou si peu? Elle laisse volontiers cette question de côté tout comme lui n’attend pas sa réponse. En quelque mots, il a retracé leur histoire et résumé les liens qui les unissent. Elle sourit d’un peu de nostalgie mais de beaucoup de tendresse pour le titan qu’elle avait espéré berner et qui a finalement fait ce qu’il voulait d’elle autant.

Elle regarde s’éloigner en caressant la main qui a été si comblée et le portrait d’Audrey se dessine sur la porte de la forge qui se referme sur lui.
Lorsqu’il s’évanouit, elle réalise que c’est tout son corps qui vibre encore de la danse avec l’acier. C’est tout son corps qui appelle encore une nouvelle danse. Aller se coucher n’est pas la plus mauvaise idée non mais elle sait qu’elle ne trouvera pas le sommeil. Chacun de ses muscles est en manque d’une partie d’eux-mêmes. Quel dérivatif pourra lui faire oublier ce qu’elle vient de vivre?

Ses pas la conduisent vers la cellule d’un maître d’arme qui lui ouvre à peine surpris de la trouver devant sa porte.

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Lorsque le jour point, elle est à la table de son maître, seule. Songeuse, elle a en fin de compte très bien dormi. Ses ébats se sont réduits à leur plus simple expression alors qu’elle a compris qu’ils ne réussiraient pas à la divertir de ce qu’elle venait de vivre. Alors très vite, comme une adolescente qui a découché, elle est retournée comme une ombre sur sa couche de prentis et s’est endormie dans des vagues de danses et d’argent, de chaleur et de caresse tandis qu’une lame venait l’habiter jusqu’à échanger leurs rôles.

Le maître est absent et c’est à croire qu’il a oublié la mission qu’il voulait lui confier. Elle pouffe à cette pensée. Comment imaginer qu’il oublie ce genre de chose surtout lorsque ladite mission concerne son élève et Arganath? Alors, après un bain lascif, elle prépare sans hâte ses effets. Quel que soit le destin de ce jour, elle sait qu’il ne l’attend pas ici. Elle sera à n’en pas douter sur le route du duché de Téckum Seh’ ou en partance pour Hespéria. Et puis elle attend. Elle aimerait juste s’allonger sur le lit qui a déjà été refait, dans une paresse qu’elle affectionne, mais se relève aussitôt. Non ce n’était pas les pas du maître, mais coeur et une explosion plus puissante que les autres. Quelque part, des sacs d’or donnent des droits sur des armes. Elle fait tourner doucement un bol de thé fumant entre ses mains orphelines et glisse une flamme capillaire derrière son oreille. Quelque part de l’acier vivant se dirige vers un râtelier d’or pour satisfaire un caprice qui aurait pu être le sien. Aussi le jugement n’est pas en elle. Elle mesure les changements que sa quête a opéré en elle, mais ne parvient pas encore à en faire le tour. Quelque part, un maître d’arme teste une lame et rédige un rapport. Pense-t-il à elle? Elle repose un livre qui ne parvient pas à retenir son attention et regarde vers l’extérieur. Au dessus de l’horizon une tempête rougeoyante forge la ligne tracée par Brom Ode'Bahalmarche.

A son arrivée elle se retourne vivement avec le sourire de l’amante qui a attendu son alter égo trop longtemps. Ses yeux voyagent du visage recuit au paquet avant de répondre.

“Ca me tente.”

Ne le savait-il pas déjà?

Le voyage a été long, une nouvelle fois bercé par des pensées vagabondes et interlopes tiraillées entre le bien-être et le désespoir. La dernière journée fut joyeuse comme celle de l’enfant qui rentre chez ses parents après une trop longue absence même si ce n’est que le temps de la classe. Le temps de traverser la cité simplement à pris trop de temps et le chemin et les rues l’ont poudrée de poussière. Lorsque les murs se dressent devant elle, elle n’a qu’une idée prendre soin d’elle. Elle est épuisée mais elle ne saurait dire si ce sont les millions de pas qu’elle a alignés ou les millions de pensées qu’elle a tissées qui lui ôtent toute énergie.

Lorsqu’elle croise le regard de l’apprentie, elle sait que le maître l’attend. Est-ce une sentinelle de la cité et du temple qui l’a annoncée ? Est-ce un messager d’Arganath qui l’a précédée ? Est-elle une guetteuse depuis qu'elle est partie? Le maître n’attend pas et il ne lui vient pas en tête à la belle arpenteuse de différer l’entrevue. Le maître attend et elle accourt.

Elle rejette au loin sa fatigue et redresse la tête, fière et indomptable après la défaite du voyage. Ses yeux brillent à nouveau de la flamme qui n’aurait jamais dû la quitter. Elle suit la petite qui la guide par des couloirs encore inconnus de ses pas. En arrivant, elle ralentit le pas devant le faste qui l’attend et qui lui est destiné. Ses prunelles enfantines reflètent les ors et le luxe dont elle sait n’être pas digne. Le silence l’entoure et les parfums l’enveloppent avant sa tenue de maîtresse d’arme qu’elle est loin d’être encore. Elle se laisse faire se demandant quelle tâche on attend de sa part. Elle devine qu’elle en lien avec les armes mais sera-ce un défi, l’essai d’une lame, un jugement dont elle serait l’accusée lui traverse même aussi l’esprit. Mais elle se sent le cœur ferme et l'âme affûtée par la certitude de son innocence.

La voici devant le porte de la chambre. Seules la bourse de paiement et la lettre qu'elle dépose sur le guéridon à l'entré rappellent d'où elle vient. Intimidée et muette attendant que le maître se réveille, ses yeux tombent sur l’écrin. Lentement et en silence elle s’approche comme une danseuse. Elle jette un regard au grand lit et se tient droite devant le puits de lumière, les bras le long du corps. Ses yeux parcourent le tissu. Elle sourit. Il l’a si souvent nommée ainsi qu’elle reconnait la rune. Elle n’ose cependant croire que cela lui soit destiné. C’est pourtant si évident. Le jour tant attendu est enfin arrivé et il se doit d'être parfait comme le premier rendez-vous de deux amoureux. Sa main se lève vers la soie rouge et s’arrête. Elle regarde encore vers la chambre. C’est un moment qu’elle voudrait partager avec lui, elle qui ne partage jamais rien. Ses doigts sourient, caressent le tissu et s’attardent sur la rune. Elle pince le feu qui protège la lame comme pour l’envoler et laisse retomber sa main contre sa cuisse.

Alors elle retourne à la porte qui garde le sommeil du maître et s’y pose droite et féline et attend. Elle ne sait combien de temps elle se dressera là avant qu’il ne la rejoigne…

Elle n’a pas longtemps à attendre avant que sa seule présence n’importune son maître. Elle était certaine qu’elle suffirait à la mettre en éveil et sourit de sa première victoire. Elle espère qu’il se lèvera et viendra être le témoin de son premier regard sur le précieux cadeau. Mais si elle est joueuse, il semble l’être aussi ou bien est-ce autre chose qui l’incite à la laisser se débrouiller avec le présent toujours dissimulé sous l’étole. Quelque chose comme de la fatigue bien sûr en tout cas c’est lui qui le dit ou comme de la pudeur.

En effet, malgré cette hypothétique fatigue, confirmer par la langueur de son palais, il a encore l’énergie pour une tirade dont il n’est pas si coutumier mais dont il a tout de même le secret. Tranquille elle l’écoute, se laissant traverser par les émotions comme le vent traverse la plaine sans trouver d’arbre à faire chanter. Pourtant elle sent une rage joviale s’emparer d’elle petit à petit.

Quoi ? Elle serait seule pour prendre possession de l’arme ?! Ce n’est pas qu’elle tant besoin que cela d’une présence quelconque, mais il n’est as une présence quelconque. Il est le maître. Il est la Main de Bor et ce qui vient de lui est investi de quelque chose de supplémentaire. Cette lame de sort pas de n’importe quelle forge perdue au milieu de la cité. Ni même d’une forge parmi celles du temple. Elle vient du cœur de forge, du repère que seul Brom Ode'Bahalmarche investit dans laquelle lui seul peut rester travailler. Il voudrait qu’elle se passe de sa présence ?

Mais peut être ne veut-il en fait que la mettre à l’épreuve une dernière fois ? Eprouver sa patience ? Ce serait bien le genre du colosse, mais elle n’a cure maintenant de ce cette sorte de test. Elle a déjà prouvé que la patience faisait désormais partie des compétences et aujourd’hui elle n’a pas envie de la solliciter pour répondre au caprice de de son maître, mais les paroles de ce dernier lui donnent envie de rire.

*Ah ! Il veut manger une demoiselle, ma beauté ! Lui donnerons nous cette possibilité ?
_ Sans doute mon amour et nous pourrions même le provoquer pour cela. *

Elle fait jouer ses doigts déliés comme ceux d’une dentelière tandis qu’il poursuit son discours de forgeron bougon. Il avait le chic pour appuyer sur les cordes sensibles ! Si elle ne lui plaisait ? Comment pouvait-elle le savoir ?!! L’attendre ?!! A l’entendre cela allait durer des jours et malgré la voyage, elle n’était pas si épuisée que cela. Elle ne tiendrait jamais si longtemps mais au lieu d’engager d’avantage, ses yeux pétillèrent de la permission implicite qui lui était donnée de faire connaissance avec son cadeau. En effet elle l’(avait gagné, bien mérité, mais elle estimait toujours qu’il s’agissait là d’un cadeau que lui faisait le forgeron comme il en avait été de son corset de cuir. Dissimulée dans son écrin, l’arme n’en avait que plus de valeur à ses yeux que toutes celles que les bourses bien garnies pouvaient s’offrir.

Quand-aux échange entre le Duc et son forgeron et ami attitré, elle n’en avait que faire. Elle avait eu tout le voyage de retour pour digérer l’humiliation qui lui avait été faite et ces eux là pouvaient bien s’envoyer tous les colis ou toutes les missives qu’ils voulaient, l’objet qui l’attendait dans la pièce à côté avait bien plus de valeur que tous leurs secrets réunis. Un sourire canaille se peint sur son visage tandis qu’elle entre à pas de loup dans le chambre pour se porter au chevet du Maître pour déposer sur la joue rude un baiser de soie. Puis elle se retire sur la pointe des pieds en direction du trésor qui l’attend.
A mesure qu’elle approche de l’écrin rougeoyant, elle sent son cœur battre plus fort. La gravité de son allure le dispute au sourire radieux qui précède une découverte magique de même qu’elle se sent aussi intimidée qu’impatiente.  Les formes qui bossuent le tissu ne laissent pas de doute sur ce qu’il dissimule tout en réservant encore sa part d’émerveillement auquel elle tente de se préparer.

Enfin, lentement avec des gestes qui découvriraient le trésor le plus fragile elle soulève et dépose le tissu en retenant son souffle. Elle est là plus belle qu’elle n’aurait osé l’imaginer. Le moiré du Damas donne à ses reflets des chants indéfinissables où le feu se marie à la glace. La forme en est parfaite autant que les couleurs. Les yeux de la rouquine caressent l’arme du pommeau à la pointe. Elle en fait le tour sous la lumière du puits pour l’admirer. Elle sait que ce moment, elle ne le vivra qu’une fois. Elle caresse le pommeau du bout du doigt comme on le ferait d’un fruit magnifique mais vénéneux. Le maître lui apprendrait plus tard son secret. Puis elle fait glisser sa manche sur sa main gauche pour la glisser sous la lame tandis que l’autre en fait autant sous la garde.  Il lui semble tenir la chose la plus fragile des choses alors que tout crie sa puissance et sa force. Elle sent le métal vibrer lorsqu’il glisse sur le tissu de sa tunique de maître d’arme. La poignée au niveau des yeux, elle suit la courbure de la lame et la rectitude du plat du métal. Elle retint son souffle, subjuguée par tant d’équilibre et de savoir-faire. Puis la lame glissa sur le bras et elle teint l’arme au bout de son bras pour en apprécier l’équilibre, faisant jouer son poignet et la prise de ses doigts sur la garde, laissant l’arme vivre dans l’air et en reprenant le contrôle. Chaque mouvement de l’arme était ressenti juste ce qu’il fallait pour ne pas solliciter trop la musculature de son bras et de sa main.

Puis soudain, elle bloqua l’arme à l’arrière de son bras avant d’évaluer l’espace autour d’elle. Malgré les proportions du lieu à la hauteur de son maître, elle craignait qu’il ne soit pas suffisant alors avec précautions, elle saisit le fourreau et y glissa son arme avant de plier le tout dans la soie et se diriger vers une salle d’arme où elle pourrait à loisir essayer les enchainements que lui dicterait celle qui était en passe de devenir le prolongement d’elle-même. Elle connaissait maintenant la direction à suivre pour en rejoindre le secteur. Elle n’eut pas longtemps à chercher avant qu’une salle s’ouvre devant elle, libre de tout occupant. Elle ouvrit son précieux écrin avec les mêmes précautions que chez son maître avant de se diriger posément vers le centre de l’arène. Elle salua en pensée son maître qui devait être encore perdu dans les méandres d’un rêve de forge ou de bataille et se mit en garde. Elle débuta par les enchainements de base afin de prendre contact avec le sabre comme on prends contact avec un nouvel ami et jauger de son dévouement. Puis les enchaînements se firent plus rapides et plus complexes mettant en jeu chaque fois plus d’équilibre chez la Ladrini mais aussi chez la lame qui obéissait sans faillir aux moindres sollicitations de son bras. Au fur et à mesure ses battement cardiaques montaient en fréquence et sa respiration se faisait plus profonde, mais le métal se montrait intraitable et obéissait à chacun des changements de direction ou d’orientation qu’elle lui imposait sans solliciter trop violemment sa musculature. Elle alla jusqu’au derniers enchaînements que le maître lui avait appris sans qu’elle ne décèle de résistance de déséquilibre. Aucun à-coup qui vienne l’inquiéter. Alors, elle s’oublia dans un long enchainement qui ressemblait plus à une danse qu’à un combat, comme un musicien de laisse entrainer par son propre solo. Lorsque qu’elle glissa la lame au fourreau après avoir vérifié sa propreté, elle avait le sourire radieux d’un matin de printemps.

Elle resta un long moment au centre de la salle d’entraînement se demandant comment elle prolongerait ce moment.