Une coupe, une histoire [PV Serre Mordstreicht]

Il n'y avait pas besoin de musiques pour que les deux gorgoroths s'adonnaient à leur mime de bal. A leurs pas, il était facile d'imaginer le rythme et leur public était les tableaux de cette salle sans fenêtre. Il n'y avait que les maigres lumières du grand plafonnier pour les éclairer - des bougies que ses domestiques se devaient d'allumer quand la nuit tombait). Une drôle de peinture que celle d'un géant écailleux et d'une pie voleuse.

" C'est la première fois qu'on me le signifie d'une façon aussi diplomate. Votre foi en moi me touche. "

Alors qu'elle se laissa guider, la jeune femme se mit à rire.

" Quel modeste vous faites! Je suis certaine que je ne suis pas la première à vous féliciter pour cela. "

Le duo n'était pas parfait, mais il fallait dire qu'il y avait une "grande" différence entre eux. Toutefois, le talent du cavalier était là pour corriger les défauts de l'autre, et c'était à cela que l'on reconnaissait un bon partenaire de danse. Il vous couvrait, un peu comme un camarade de combat, le sang et les épées en moins.

" Avec un peu d'entraînement, nous pourrions en faire rougir de jalousie plus d'un lors des bals donnés par monsieur le maire. Qu'en pensez vous? "

Le sourire de Deirdre s'étira sur son visage. Elle n'était pas foncièrement mauvaise, mais elle appréciait ce genre de revanche. Elle qui était née dans les bas fonds d'Amaryl, regardée de hauts pour les bourgeois pour qui elle peignait des copies que ces idiots ne pouvaient s'acheter pour bien paraître, pouvoir les rendre jaloux de son succès ou de les battre à leur propre jeu l'amusait beaucoup.

" J'en pense que j'aime beaucoup votre idée, si vous êtes prêt à danser avec moi aussi longtemps qu'il le faut pour leur clouer le bec! "

Sur ces paroles et avec un air malicieux, la demoiselle aux poids plumes se permit de monter sur les pieds du géant afin de gagner quelques centimètres, mais cela l'obligea par la même occasion d'amoindrir la distance qu'il y avait entre eux.

" Permettez? Nous ne sommes pas encore en compétition, nous pouvons donc tricher au moins pour une danse? "

Deirdre sourit aimablement au cavalier.

" Cela me permettra de mieux saisir vos pas et de m’imprégner de vos mouvements. Ce sera aussi moins pénible pour vous... à moins que je vous gêne de trop? N'hésite pas à me le faire savoir. Je suis capable d'être une élève aussi appliquée qu'une hôtesse de qualité. "

Deirdre avait toujours été une femme entreprenante... ou bien une entrepreneuse. Voire les deux. On pourrait même aller jusqu'à dire qu'elle pouvait être sans gêne ou plus exactement une personne culottée. Elle avait toujours été une enfant espiègle et elle avait su conserver ce trait de caractère dans sa personnalité, même une fois adulte. Bien évidemment, elle ne jouait plus de la même manière et au même jeu.

" Vous êtes une excellente élève et vous ne me gênez point, bien au contraire."

La gorgoroth acceptait toujours les compliments. Libre à elle d'en faire ce que bon lui semblait, bien qu'elle était plutôt du partie à vouloir s'offrir elle-même des fleurs plutôt que d'attendre que les autres ne se décidèrent de prendre l'initiative. Même si maintenant qu'elle était décédée... du temps, elle en possédait.

" Parfait dans ce cas. "

Mais à peine eut-elle le temps de prononcer ces quelques mots que l'ancien yorka la prit totalement au dépourvu. Il était plutôt difficile de faire taire Deirdre, mais un miracle venait d'être accompli.... jusqu'à ce que le naturel revienne en galopant.

" Est-ce que toutes vos élèves ont le droit à ce genre de bonus en guise de bon point? "

La jeune femme eut une esquisse pleine d'espièglerie, et sa voix était teintée d'amusement, presque de provocation.

" Enseignez-vous d'autres disciplines? Je serais curieuse de savoir si vous récompensez vos élèves différemment selon la nature de l'étude et leur assiduité. Où peut-être suis-je une si bonne hôtesse que vous avez souhaitez me montrez O combien vous appréciez le service? "

La jeune femme se tenait toujours sur les pieds malheureux du grand reptilien, et toujours dans une position de danse. Elle n'avait pas bougé d'un pousse puisqu'elle le laissait mener le bal. Par contre, son regard ne mentait pas, qu'importe le nombre de verres qu'elle avait pu ingurgiter dans cette soirée, il brillait d'une bien étrange curiosité.

" Uniquement les plus belles. "

Le compliment ravissait la jeune femme et autant vous dire qu'elle persista à conserver son large sourire sur le visage. Si elle avait été une jeune fille naïve de la haute bourgeoisie, elle aurait sans doute glousser comme une pintade. Heureusement, que les dieux la préservent, elle n'avait jamais été de ces personnalités là.

" Quel vil flatteur vous faites! Vous savez comment faire plaisir à une femme! Hahaha! "

Le regard de la gorgoroth s'illumina de malice et de provocation.

" Je suis un homme de multiple talents, je récompense l'effort et la compétence mais je suis un homme qui sait témoigner sa gratitude. "

A cet instant, Deirdre sourit de plus belle et alors que la danse continuait, ainsi que les rondes et autres tournoiement, elle se serra un peu plus contre l'homme reptilien.

" Comme cela tombe bien! J'aime aussi les gens compétents et talentueux! Je possède le même code d'honneur qui consiste à justement récompenser les services rendus. "

" Vous êtes loin de me laisser indifférent. "

La jeune femme leva la tête en direction de Serre avec un sourire carnassier, elle qui paraissait si petite à côté de lui.

" Vraiment? Alors je pourrais me vanter d'avoir fait tomber un cavalier dans mes filets? Mais je me dois avant cela de devoir vous remercier pour cet agréable moment! "

La commerçante se pressa contre le yorka.

" Par contre, il faudra que vous m'aidiez. J'ai peur de manquer d'un peu de hauteur. "

" A votre service. "

C'était très étrange d'être embrassé par un homme lézard. Inexplicablement étrange et peu commun. De sa longue vie, elle ne se souvenait pas avoir eu une telle expérience et c'était peut-être ce qui l'amusait le plus - ou bien l'effet de l'alcool qui coulait dans ses veines. Il ne fallait pas croire, mais la jeune femme carburait à la liqueur depuis bien avant le dîner.

En tout cas, c'était assez unique et bien moins désagréable que l'on pourrait l'imaginer. Mieux encore, voilà que le grand cavalier fit un magnifique portée de gorgoroth qui ne manqua pas de la surprendre. Il lui vola même un autre baiser.

" Ohhh! Je ne me suis jamais sentie aussi bonne élève qu'en cet instant! Moi qui pourtant est une véritable indisciplinée! "

Deirdre se mit à rire.

" Comment la vue est, à ma hauteur? "

" La vue n'est pas trop mal! La verticalité de cette position me sied tout à fait! Et puis, je serais bien bête de ne pas profiter de ces centimètres supplémentaires.... même si ce n'est que pour quelques minutes. "

Dans le mouvement de Serre, la jeune femme avait naturellement porté l'un de ses bras à se tenir accrocher à l'épaule du grand cavalier.

" Vers quel lieu comptez-vous me transporter? Vers l'horizontalité de ma couche ou bien en direction d'une nouvelle leçon? "

La commerçante fit un clin d’œil malicieux et de toute façon, à cet instant précis, c'était son compagnon qui était maître de ses mouvements. Il fallait dire que l'on était pas trop mal de son point de vue.

Cette soirée serait définitivement la moins banale qui l'aurait été donné de vivre à Deirdre depuis bien longtemps. D'une part, parce que son partenaire de jeu était assez unique en son genre, d'autre part parce qu'elle ne s'était pas imaginée que cela finirait ainsi. Dans tous les cas, cela lui convenait étrangement. Il fallait savoir mettre un peu de piquant dans sa morne vie de gorgoroth.

En tout cas, la réponse sans équivoque du reptile la fit rire. Voilà un homme qui savait ce qu'il voulait et qui ne s'en cachait pas. Ce fut donc sans mal que ce dernier transporta la jeune femme comme une jeune mariée à qui ont faisait passer pour la première fois la porte de sa maison. C'était assez amusant.... surtout quand on voyait la tête du couple. Un yorka particulièrement grand. Une lhurgoyf qui ne l'était pas vraiment. Morts tous les deux de surcroît.

Pour Deirdre, ce fut assez plaisant de se laisser porter ainsi. Elle pourrait presque y prendre goût. Mais une fois sur son lit, c'était à bien d'autres nouveautés qu'elle souhaitait s'essayer. La jeune femme se tenait donc là, allongée sur le côté et lascive, un visage amusé par la situation. Mais elle arqua un sourcil quand elle le vit gigoter pour sortir une dague de son dos.

" Toujours sortir couvert."
" Vous m'en direz tant "

Un grand sourire malicieux s'étira sur son visage.

" Surprenez-moi Deirdre."
" Oh? Un défi? "

La nuit fut longue.... ou courte. Tout dépendait du point de vue avec lequel on observait les évènements. Pour Deirdre, elle n'aurait su clairement exprimer la chose car elle était possédée par un bien désagréable mal de crâne. Depuis combien d'année n'avait-elle pas pu autant de liqueur dans une seule journée? Son corps faiblirait donc à ce point? L'idée ne l'enchantait pas. Le visage enfoncé dans un épais coussin, son corps nu à peine recouvert par un drap froissé, elle était pourtant bel et bien dans son lit. Ce n'était que petit à petit que les choses se rappelaient à elle. L'invitation à Mordstreicht, le repas, la visite, la discussion, la danse et.... le dessert. Un curieux petit sourire se dessina sur son visage étouffé par les plumes d'oie de son oreiller. C'était ce que l'on appelait faire des affaires. Sacrée nuit!

Mais ce fut le jour qui l'a cueilli fraîchement. Un rayon de soleil traversa sa fenêtre pour venir lui chatouiller sa peau morte et refroidie. Tiens, c'était ouvert? Elle n'en avait pas le souvenir. S'étirant félinement pour venir ensuite frotter ses yeux fatigués, elle se redressa lentement pour s'asseoir et bâiller comme si le monde ne l'attendait pas. Il lui fallut tout de même quelques secondes pour se rendre compte qu'elle était seule et quand ses yeux éteints se portèrent sur la fenêtre, elle comprit. Elle se mit à rire aux éclats.

" Hahahahaahaha! Sacré cavalier! "

Lentement, la jeune femme sortit de son lit en prenant le drap qu'elle enroula tout autour d'elle et se rendit à la fenêtre. Par curiosité - ou précaution peut-être - elle jeta un coup d’œil en contre bas.

" Belle hauteur! "

La lumière commença à lui piquer les yeux mais elle fut néanmoins rassurée de ne pas voir de cadavre aux pieds de son hôtel. Cela ne serait pas bon pour les affaires.

" Je ne sais pas si je devrais me sentir vexée qu'il est fui comme un lapin ou flattée qu'il n'est pas voulu me heurter en restant à côté. "

Mais à peine eut-elle le temps de se faire la réflexion qu'un domestique toqua à la porte. Deirdre l'invita à entrer et se rendit compte qu'il s'agissait d'Uriel qui fronça des sourcils en apercevant sa maîtresse débraillée.

" Quoi? C'était pour le travail. "
" Madame. Vous ne pouvez pas laisser venir n'importe qui. On m'a reporté qu'un homme avait sauté de votre chambre avant de partir. "
" Tu es si sérieux mon jeune ami. Et ne fronce pas les sourcils ainsi. Tu abîmes ton joli visage. En attendant, j'aimerais bien prendre un bain. Peux-tu faire le nécessaire? "

Le jeune Uriel soupira mais il était évident qu'il n'aimait pas la situation. A vrai dire, il n'aimait pas la moindre personne ou plutôt le moindre homme qui pouvait s'approcher de la jeune femme.

" Oui Madame. "

***

Lorsque Deirdre désirait quelque chose, elle se donnait toujours les moyens de l'obtenir. Si autrefois cela lui demandait de la patience, maintenant que sa bourse était pleine de dias, les choses arrivaient avec étonnamment plus de rapidité. A sa grande surprise, on lui fit rapidement remonter l'information que son compagnon d'une nuit était à l'entrée. Elle, elle était toujours dans sa chambre.... et dans son bain.

Bien loin d'être gênée par les convenances - et surtout maintenant avec Serre - elle fit comprendre à l'un de ses majordomes que l'on pouvait faire monter son invité à ses appartements sans aucun problème. Et ce fut ainsi que le yorka fut escorté vers une chambre qu'il commençait à connaître. Là, le domestique toqua et présenta l'invité.

" Entrer! Ne le faites pas attendre! "

Quand le gorgoroth entra, il fut assez chanceux pour avoir une nouvelle vision de nue de Deirdre, mais de dos et ruisselante. Comme demandée, elle prenait son bain dans une grande baignoire dont l'eau fumait encore. Ses cheveux noirs étaient repoussés en arrière, dégageant parfaitement son visage et elle ne portait pas son bras artificiel. Ce dernier était posé sur une table derrière elle, au sec, et à côté d'un plateau où il y avait visiblement du café. Uriel était présent en bon bras-droit qu'il était, et aida Deirdre à sortir en lui tenant sa main valide. Puis dans le même temps, il se plaça devant la vue de Serre pour cacher sa maîtresse - bien qu'il eut largement le temps d'en profiter - et lui ouvrit un peignoir de couleur noire avec des liserets dorés. A cause de son disgracieux moignon, elle avait parfois besoin d'aide pour s'habiller - ou en tout cas pour le faire avec élégance.

" Comment allez-vous ce matin mon cher Serre? J'espère que le réveil n'a pas été trop... brutal? "

Elle sourit alors qu'Uriel lui noua la ceinture de son peignoir. Silencieux, ce dernier se posta derrière elle et semblait attendre qu'elle lui donna quelques ordres. Par contre, il ne cacha pas le mépris que lui inspirait le Yorka. Son regard prouvait qu'il savait ce qu'il s'était passé et qu'il désapprouvait totalement.

" Oh? Mais je vois que vous vous êtes changé? Si vous aviez besoin d'autres vêtements, nous aurions pu vous les faire amener vous savez. Ha?? Des viennoiseries aussi? Votre prévenance n'a d'égal que votre sens de l'honneur mon cher! "

La commerçante se tourna vers son domestique et lui fit un signe de tête. Il comprit rapidement qu'elle lui demandait de quitter la pièce. Bien évidemment, il y avait peu de chance qu'il ne s'éloigna de trop. Il demeurerait sans doute non loin de la porte. Une fois partie, Deirdre conserva son sourire et s'avança vers la table où se trouvait son bras mécanique ainsi que deux tasses.

" Un petit café? "

Deirdre se montrait bonne hôtesse, elle le faisait toujours et surtout avec les personnes qu'elle savait apprécier. Ce fut donc tout naturellement qu'elle proposa une boisson chaude pour accompagner les croissants et quoi de mieux qu'un bon café? Uriel l'avait préparé lui-même quelques instants plus tôt, avant de l'aider dans avec son bain.

Avec sa main valide, la jeune femme se saisit délicatement de la carafe et servit les deux boissons dans les tasses de porcelaines. Il s'ensuivit ensuite un geste pour indiquer à son camarade de prendre place. Il serait plus agréable de boire ainsi. Mais quand Serre lui proposa de l'aise pour sa prothèse, le sourire de Deirdre s'étira avec malice.

" Il est très élégant de votre part de me le proposer, mais cela signifierait que je devrais une nouvelle fois me mettre à nue devant vous. Je pense que vous avez dû avoir suffisamment votre compte. Je ne voudrais pas vous lasser si vite de ma vue. "

Elle se mit à rire. Mais à vrai dire, si son bras de métal semblait sophistiqué, il pouvait l'être dans le mécanisme car il était assez ingénieux pour fonctionner grâce à une pierre de sphène. Toutefois, en ce qui concernait la manière de le porter, il était tout ce qu'il y avait de plus rudimentaire : une sangle désagréable à porter au niveau de l'épaule. Heureusement que dans son malheur, elle n'était plus aussi sensible qu'autrefois. Tout cela pour dire que pour mettre son bras, il faudrait qu'elle retire une son peignoir. Guère bien pratique et convenable au moment de déguster de succulents croissants.

" Des fleurs? Que voilà une charmante idée. S'il est vrai que cela donnerait un peu de vie et de couleur aux murs de cet édifice, cela pourrait aussi amortir la chute de quelques gentilshommes. "

La ladrini prit sa tasse de café et la leva comme si elle trinquait avec le yorka.

" Oh! A ce propos, vous n'avez pas oublié ce que vous m'avez dit hier soir n'est-ce pas?  "

Un large sourire s'étira sur le visage de Deirdre.

" Que vous vous acquitteriez de vos dettes d'une autre façon, Mmm? Vous êtes un homme de parole Monsieur Mordstreicht. "

Le regard ambré de la jeune femme ne quitta pas une seule seconde celui de son invité. On y voyait toute sa malice et tout ce que cela pouvait présager, de bons ou de mauvais. C'était toujours un peu difficile à dire avec ce bout de femme.

" Enfin, ne vous en inquiétez pas. Je n'ai rien à vous demander pour le moment mais j'aimerais que nous puissions garder... de bonnes relations. Vous m'avez fait forte impression et pour un cavalier, vous êtes assez étonnant. "

Deirdre finit par poser sa tasse et croiser nonchalamment les jambes pendant qu'elle s'adossait à sa chaise.

" Pour cette raison, je ne vous demanderais jamais rien qui puisse aller à l'encontre de votre devoir. Mais vous voyagez sans doute beaucoup, vous devez croiser bien du monde, entendre des choses... Du coup, je me demandais si vous pouviez tendre l'oreille pour moi, de temps à autre. "

Elle passa sa main dans ses cheveux encore humides.

" Vous avez sans doute compris que je m'intéresse aux choses de valeurs, aux pièces rares, des objets étonnants... Si vous entendez parler, même en simple rumeur, de petites bricoles qui valent le détour. Je serais très intéressée d'en avoir quelques informations. Et bien évidemment, nous négocierons votre prix. "

La pie voleuse n'avait jamais totalement abandonné ses vieilles habitudes.

Lorsque son camarade lui confirma qu'il s'acquitterait de sa dette, un petit sourire s'étira sur son visage de poupée éteinte. Cela faisait longtemps qu'elle se méfiait des belles paroles et des promesses. Pourtant, aussi filou que semblait pouvoir être le yorka, elle était prête à prendre le risque. Mais le temps lui donnerait tort ou raison.

Cependant voilà, Serre la surprit par sa déception au point qu'elle arqua un sourcil. Vraiment? Était-il prêt à prendre des risques pour assouvir ses petits désirs de femme vénale? S'il avait été un ladrini, elle n'aurait aucun scrupule à lui confier une tâche impossible parce que cela était dans le "métier". Mais puisque son camarade était un cavalier, cela lui semblait être imprudent ou plutôt aventureux de sa part de lui en demander autant.

" Déçu? J'en suis bien malheureuse dans ce cas. Bien loin de moi le désir de vous décevoir d'une quelconque façon. Je pensais qu'il serait déplacé de ma part de vous demander de vous mettre dans une situation inconfortable à cause de mes... envies, nous dirons. "

Toutefois, si quelqu'un était prêt à prendre des risques pour elle... elle n'allait pas cracher dans la soupe. Prenant une mine un peu plus réfléchie, elle touilla machinalement  son café qu'elle avait posé. A quoi pensait-elle? A tout ce dont elle avait envie, et autant dire qu'il y avait des milliers de chose qui pourrait l'intéresser. Elle finit par lever les yeux vers son camarade.

" Si vraiment vous aimez les défis, il y a deux choses que je peux vous proposer ou plutôt, deux aventures potentielles. La première serait à Hellas, mais il faudrait pénétrer dans le temple de Kesha... et pour l'avoir fait il y a... des siècles, je peux vous assurer que la tâche n'est pas aisée. Nos prêtresses ne sont pas aussi saintes qu'elle le prétende et je sais qu'elle cache bien des petites choses. "

Pour être honnête, Deirdre ne les aimait pas trop. Si la gorgoroth convenait qu'elle jouait sur la vérité et la nature de ses desseins, elle n'en était pas pour autant tout à fait malhonnête sur la manière dont elle se conduisait. Quand elle voyait que l'on encensait ses femmes comme si elles étaient de véritables déesses de vertu, cela l'irritait.

" Sinon, il y a plus proche de chez vous à Umbriel, à l'académie de Talénor. Ils donnent des cours d'orfèvreries, ils exposent aussi des merveilles de leur fabrication. Parmi leurs bijoux, il en existe un particulièrement bien protéger puisqu'il s'agit d'un collier qui aurait appartenu à une reine de Taulmaril. "

Une reine. Voilà qui la fit sourire. Deirdre aimait l'argent, c'était certain, mais elle n'avait jamais été attirée par les hauts statuts de la noblesse. Cela représentait beaucoup trop de contraintes formelles. Par contre, si elle pouvait faire pâlir celles qui s'en croyaient de trop...

La conversation prit par la suite une tournure plus personnelle, et cela se lut dans les yeux de son invité. Par respect, Deirdre effaça son propre sourire et écouta avec beaucoup d'attention la demande du cavalier, alors qu'au même instant elle prenait une viennoiserie qu'il avait eut la gentillesse d'apporter - elle tenta de la manger le plus soigneusement possible, mais à une main, elle ne pouvait empêcher les miettes.

" Qu'est-ce qu'un ennemi de plus ou de moins? Je ne me suis jamais frottée à des cavaliers de Sharna... sauf si je vous compte, vous serez le premier. "

Deirdre lui adressa un petit sourire pour détendre un peu l'atmosphère mais elle reprit rapidement le sérieux de la conversation.

" Mais si je peux vous être utile, dite-moi en quoi? Je suppose que vous avez déjà un plan? "

La jeune femme reprit une gorgée de café.

Si quelques heures plus tôt, Serre avait eu l'occasion de rencontrer une femme beaucoup plus détendue, Deirdre possédait plus de facette qu'un diamant bien taillé. Son visage s'était quelque peu refermé pour montrer son sérieux et écoutait son camarade. D'ailleurs, elle n'osa plus toucher son croissant qui s'émiettait, ni boire la dernière gorgée de sa tasse de café.

" De faux papiers? C'est tout? Voilà que c'est moi qui vient à être déçue. "

A ces mots, elle se mit alors à réfléchir.

" Il me sera très facile de créer de faux documents. Si vous possédez une vieille lettre avec l'écriture de votre comte, je pourrais même travailler sur des écrits de sa main en étudiant son style. Si vous ne voulez que des réponses d'un hypothétique homme d'Eridania, cela sera sans difficulté. Je suis sure que je pourrais trouver un bourgeois gentilhomme qui porterait le chapeau. "

Une petite sourire s'afficha tout de même sur les traits de la jeune femme.

" Le seul véritable défi sera dans la création de copie des sceaux de votre cher monsieur. A part que vous en possédiez un original? Oh! Tant que j'y pense, sur une période qui s'étale de combien voulez-vous que nous fabriquions nos lettres? "

A ces paroles, la gorgoroth se leva laissant négligemment son peignoir lui glisser sur l'épaule de son bras sans main et se dirigea vers un petit secrétaire. Ce n'était qu'un bureau parmi tant d'autres mais elle avait toujours des "échantillons". Là, elle donna un coup dans un tiroir récalcitrant avec un petit mot de malédiction et finit par sortir des bouts de parchemins.

" Autrefois, je cherchais à vieillir les papiers en les trafiquants comme je pouvais, mais c'était bien avant de mourir et parce que je faisais avec les moyens du bord. C'était dur d'être pauvre. "

Ironie. Elle se rapprocha et posa les parchemins sur la table.

" Mon grand âge et peut-être parce que j'avais déjà un mauvais esprit, j'ai toujours pris l'habitude de garder quelques feuilles de papiers vierges de côté. Rien de mieux pour donner de l'authenticité à des documents que l'on veut officiel. "

Deirdre se mit à sourire.

" Alors Serre, depuis quand notre bon vieux comte trahirait les siens? "