La chasse est ouverte ! [PV Samaléone]

Au final, la liberté avait quelque chose de décevant…

C’est une constatation qui me frappe tandis que j’arpentais les rues malfamées de Mavro Limani sous une pluie battante.

Voilà quelques semaines maintenant que j’ai quitté la prison d’Umbriel. Très sincèrement, je n’aurais jamais pensé que ma lettre trouverait destinataire. Il s’agissait d’un acte désespéré et irréfléchi. J’ai encore du mal à croire que le Grand Maître ait répondu à mon appel, à vrai dire. Cela en dit long sur l’état de leur situation. Oh, non… Je ne me fais pas d’idée à ce sujet. Si j’ai été libérée, ce n’est très certainement pas pour mon nom, ni ma réputation. Les deux ont dû se perdre au fil des âges.  

Non, si les Cavaliers ont décidé de me libérer c’est qu’ils ont certainement besoin de grossir leurs rangs. La situation doit être critique pour rapatrier une démente enfermée depuis 500 ans dans les bas-fonds d’Umbriel…

La retour à Themisto fut… différent de ce à quoi je m’attendais. Je ne pensais pas que la nostalgie me gagnerait tant. Reprendre le chemin du Manoir Cavalieri faisait remonter tellement de souvenirs me remémorant ce que j’avais perdu. L’accueil, aussi, fut très différents de ce que j’avais prévu. A peine arrivé et direction les quartiers des Cavaliers. Je venais de quitter une prison pour une autre. Certes, la chambre que l’on m’avait assignée était bien plus confortable que la cellule où j’avais passé le dernier demi-millénaire mais une geôle restait une geôle, quel que soit son confort.

Une semaine.

C’est le temps qu’on me laissa végéter dans cette pièce sans que je ne croise âme qui vive. Pas l’ombre d’un Grand Maître ou du Commandant de mon ancienne faction. Je pensais qu’un officier aurait au moins été envoyé à ma rencontre dès mon arrivée. Mais rien… Il fallut attendre sept jours avant de voir un visage autre que celui du gardien m’apportant mes repas. Quand cela arriva enfin, l’homme face à moi se contenta de me tendre un bout de papier.

Un ordre de mission.

- Vois ça comme une opportunité de nous montrer ta bonne volonté. Avait-il dit.

Oh mais j’y compte bien, vraiment ! Tout ce qu’il faut c’est m’envoyer combattre. Mais ça ne sera pas pour tout de suite, visiblement. Quelle déception…

Non, on n’attend pas de moi que je reprenne les armes. Juste que je traque un traître de seconde zone. Quelle déception, moi qui m’attendais à retourner au combat, je me retrouve à devoir jouer les chiens de chasse. Ce n’est pas ce que j’avais espéré mais j’obéis.

“Un bon soldat obéit aux ordres sans poser de question”, comme le disait si bien mon père d’adoption. Plus vite je finirai cette mission et plus vite je pourrai obtenir ce à quoi j’aspire.
Sauf que les choses s’annoncent beaucoup plus compliquées que prévue. J’ai honte de l’avouer, j’ai rapidement perdu la traces de ma cible. Visiblement, le bonhomme a conscience d’être recherché et a l’avantage de bien connaître la ville. Après avoir passé une heure à errer sous la pluie, je me décide à entrer dans une taverne répondant à l’adorable nom de “Au couteau sanglant”. Un nom qui annonce d’emblée la couleur… A l'intérieur, aucune surprise. L’endroit est rempli de marins avinés à l’allure peu avenantes, de là à savoir s’il s’agit de pirates ou de commerçants… C’est difficile de faire la différence entre les deux mais cela m’importe peu à vrai dire. Tout ce que je veux, c’est finir cette mission au plus vite.

- Je cherche un dénommé Ycar. On m’a dit que je pourrai trouver des informations à son sujet ici. Dis-je au tenancier tout en m’installant au bar et déposant quelques dias sur celui-ci, un peu plus que ce qu’il était nécessaire à ma consommation. Le pauvre péon que j’avais malmené avait été clair à ce sujet, si je voulais des informations, il allait falloir que je mette un peu du miens et de ma poche, surtout.

L’homme me fixe et blémis l’espace d’un instant tandis que son regard se porte derrière moi. Je tourne la tête et balaie la salle du regard, essayant de suivre le sien mais sans succès. Que regarde-t-il ainsi ? Est-ce que quelqu’un d’autre est sur la piste du soldat ? Ycar se cache-t-il ici ? Aucun moyen de le savoir. Je soupire et reporte mon attention sur mon vis-à-vis attendant qu’il daigne me répondre.

Vraiment, pour le moment,  la liberté est loin de ce que j'imaginais...

La chance surgit souvent au moment et à l’endroit où on s’attend le moins à la croiser.

Et alors que je fixe l’aubergiste, attendant une réponse à la question que je viens de lui poser, une silhouette vient s’écraser lourdement contre le bar, juste à côté de moi. Je détache donc mon regard de l’homme pour le poser sur la nouvelle arrivante qui est… Eh bien… Disons que j’ai du mal à comprendre pourquoi les gens me trouve effrayante quand on voit la dégaine de certains…

J’arque un sourcil tandis que la jeune femme me fait une proposition à laquelle je ne m’attendais nullement. Visiblement, elle cherche aussi Ycar et ne semble pas le porter dans son coeur. J’esquisse un fin sourire tandis qu’elle exige de moi que je partage mes informations avec elle.

Quel étrange personnage…

Je n’accède toutefois pas à sa demande, pesant le pour et le contre. Une aide tombée du ciel - un plutôt du bar… - aussi rapidement, c’est un suspect, non ? D’un autre côté,cela me simplifierait nettement la tâche d’avoir à mes côtés quelqu’un qui connaisse les lieux. Et quelque chose me disait que je ne trouverais pas mieux que cette fille qui… A-t-elle remarqué que sa bouteille était brisée ? Ah, maintenant oui.

- Écoute euh comment tu t’appelles. Je te propose mon aide, mais tu me laisses lui trancher la tête, ça te semble équitable ? Un bon marché ça hein. Si tu veux qu’on retrouve notre lascar je connais qu’un seul endroit dans cette ville pourrie où on pourrait le trouver. Tu me suis ?

C’est tentant, il faut bien l’avouer… Et cela m’éviterait d’avoir à jouer des poings et des dias pendant des heures, surtout que ma bourse est plutôt maigre pour l’instant. Je soupire. Si je veux rentrer le plus rapidement possible, c’est ma meilleure option, pour l’instant.

- Je m’appelle Yukia. Et je consens à te laisser couper la tête d’Ycar si je peux ensuite la récupérer. Je… risque d’en avoir besoin.

Les Cavaliers allaient très certainement vouloir une preuve de mon travail accompli. Ramener la tête du pauvre bougre me semblait être la meilleure preuve possible.

- Le tuer, c’est vraiment tout ce que tu comptes réclamer ? Parce que j’aime autant prévenir, je n’ai pas grande chose à offrir. Mais si ce prix te convient, et bien… Faisons donc affaires. Dis-je tout en serrant la main de mon vis-à-vis. Et donc, par où commençons nous, très chère…

Je ne finis pas ma phrase et la laisse un suspens, laissant sous-entendre que j’aimerais bien connaître l’identité de ma comparse de fortune.

Un personnage étrange mais visiblement plein de surprises…

Les présentations sont désormais faites et visiblement, cette chère capitaine ne semble rien vouloir de plus de ma part que la tête d’Ycar. Peut-être cela changera-t-il à la fin de la mission...Ou non. Peu importe, de toute façon.

Je la suis silencieusement, la laissant nous guider dans le dédale de rues de Mavro Limani, soupirant tout de même en voyant le crachin qui nous accueille à la sortie du “Couteau Sanglant”. Je n’étais pas certaine que mon pardessus puisse totalement me protéger de cette pluie torrentielle. Au moins, avec un tel temps, notre fugitif n’ira très certainement pas très loin.  Samaléone semble d’ailleurs avoir une petite hypothèse quant à l’endroit où le fourbe se cache.

* Même si elle a un informateur, ça risque de prendre du temps* Je songe, quelque peu contrariée.

Je veux finir cette mission rapidement.

J’arque un sourcil tandis que je vois la pirate se pencher sur l’eau. A-t-elle perdu quelque chose ? J’hausse les épaules tandis qu’elle murmure je ne sais quoi. L’alcool lui monte très certainement à la tête. Ca va être long...

- Tu es sûre que tout va b…

J’ai peut-être été médisante...

Les mots meurent sur le bord de mes lèvres tandis que je vois d’étranges silhouettes émerger de l’eau. Je les suis d’un regard effaré, silencieuse, tandis que Samaléone leur donne des ordres. Les sbires disparaissent ensuite sous la pluie et le silence s’installe, seul le clapotis de l’épaisse pluie résonne. Je ne dis rien et me contente de fouiller mes souvenirs, à la recherche de quelques chose de similaire à ce que peut faire la pirate, sans trouver. C’est la première fois que j’assiste à une telle démonstration et je dois bien avouer que cela m’intrigue au plus haut point. Mais je ne dis rien, l’une des créatures est de retour.

- On peut utiliser la manière forte: je me transforme, m’occupe du menu fretin et tu t’occupes d’intercepter Ycar. Ou alors on utilise la manière douce : on entre, je m’occupe du menu fretin et tu interceptes Ycar. Je laisse planer le silence un court instant. Je plaisante, évidemment.

Comment ça, mon sens de l’humour est douteux ?!

- Plus sérieusement, la subtilité n’est guère mon fort mais s’il faut agir sans faire de remous je peux, peut-être, me saisir d’Ycar avant que qui que ce soit ne puisse lever le petit doigt et ressortir aussi vite. Tout dépendra de la configuration de cet entrepôt. Alors, pour commencer, on pourrait peut-être s’y rendre et observer un peu. Qu’en dis-tu ?

Et sur cette dernière question, je fais mine de faire quelques pas dans la direction d’où avait surgi la créature de la pirate, histoire d’initier le mouvement. C'est certes une chose intelligente que d’établir un plan mais cette pluie commence vraiment à devenir désagréable et l’idée d’être au sec est des plus séduisante, même si cela veut dire devoir avoir à faire à quelques péons crasseux de ce port.

Dans le bon mood:

Une telle invitation, ca ne se refuse pas.

Un fin sourire étire mes lèvres tandis que Samaléone s’étonne et me demande si je suis apparentée à la race de Yorkas. C’en est presque mignon. Je suis tentée de lui dévoiler le pot-au-roses tout de suite mais je me ravise bien vite. Autant garder cela secret jusqu’au tout dernier moment. Non pas que je craigne son jugement ou une quelconque menace. Mais plus tard la pirate saura et plus grande sera sa surprise et plus grand sera mon amusement…

Nous nous dirigeons donc vers le bâtiments désigné par son étrange serviteur. La crachin nous accompagne toujours, je suis trempée malgré mon par-dessus, ca devient vraiment dérangeant… Nous ne mettons que quelques minutes pour arriver à notre destination. Les alentours sont vide et l’endroit semble des plus banal. Un simple entrepôt de stockage. La cachette parfaite pour un fuyard. Ca m’arrange qu’il n’y ait personne à l’extérieur, ca fera moins de témoin à faire taire.

Et alors que j’observe la bâtisse, la morte-vivante prend la parole.

- Écoute ma belle, si la subtilité n’est pas ton, fort sache que tu as devant toi l’incarnation du chaos.

Je souris de plus belle et l’observe attentivement. La tension de l’air est soudainement devenue palpable. La magie est à l’oeuvre et elle ne tarde pas à se manifester tandis que Samaléone pénètre les lieux avec panache.

Décidément, je ne peux pas refuser une telle invitation…

Je ne sais pas ce qu’il me prend. Je sais pourtant que c’est risqué mais bon… Il n’y a personne à l’extérieur et ceux à l’intérieur ne sortiront pas de là vivant alors autant se laisser aller un peu. De toute façon, je ne peux pas résister. Je l’ai ressenti, ce frisson qui ne m’a plus traversé depuis des siècles. Le frisson de la Bataille et du Carnage. Alors, je me laisse aller à cette douce euphorie qui m’envahit, à mes pulsions et ma vraie nature surgit

Une entrée infernale ! Une morte-vivante à la magie destructrice (visiblement) et armée jusqu’aux dents, suivie d’une créature cauchemardesque. On aurait presque pu croire que nous étions deux messages surgis du plus profonde des Enfers.)

- Si tu es l’incarnation, du chaos, saches que suis son enfant fidèle et dévoué, Ô Capitaine ! Dis-je d’une voix grondante et tonnante, complètement inhumaine tandis que je dépasse tranquillement Samaléone. Elle ne doit probablement rien comprendre au Goyfar mais ce n’est pas grave.

Devant nous, ils sont moins d’une dizaine. Des gueux pour la plupart. Quelques uns semblent avoir des lames, rien de bien affolant pour le monstre que je suis. Ils semblent terrorisés mais certains se montrent assez farouches que pour dégainer. Bien bien, ça n’en sera que plus amusant ! D’autres semblent complètement terrorisés. On ne peut pas vraiment leur en vouloir. C’est un monstre qui se tient devant eux. Dame Mort a décidé que leur temps était venu et c’est moi qu’elle envoie pour accomplir cette tâche. Trois des peureux tentent de fuir par l’arrière du bâtiment. J’empale le plus proche à l’aide de ma queue et barre la route aux deux autres d’un bond. Ycar ? Je m’en fiche un peu, seule sa tête m'intéresse. Samaléone semble tout à fait capable de s’en occuper. Pour l’instant, l’heure des réjouissances a sonné et je compte bien en profiter…

Un carnage en bonne et due forme…

Mon petit tour semble avoir l'effet escompté à en juger par l'exclamation de la pirate. Ça me fait rire légèrement mais ce rire donne plus l'impression d'un horrible grognement, ce qui ne rassure visiblement pas nos compères de la soirée. Je me détourne de Samaléone pour me reconcentre sur les deux pauvres bonshommes à qui j’ai coupé la fuite.

Un simple coup de queue suffirait pour m’en débarrasser.

- Faisons en sorte de faire durer le plaisir Je grogne dans ma langue natale.

J’attends donc que l’un d’entre eux fasse le premier mouvement, tel un chat jouant avec des souris. Ca ne tarde pas, l’un des deux bougres essaie de fuire par la droite. Je bondis aussitôt le saisi à la jambe jusqu’avant qu’il ne soit hors de ma portée et l’éloigne de la porte de sortie du hangar. Il se débat pour tenter de libérer sa jambe de ma mâchoire, s’accroche à tout ce qu’il peut pour éviter d’être tiré plus en arrière mais rien n’y faire. J’ai bien plus de force que lui sous cette forme. Il n’y a aucune échappatoire pour lui. Son comparse, en revanche, tente sa chance et profite que je m’amuse avec l’autre homme pour tenter de s’échapper. Il a à peine le temps de parcourir un mètre qu’il se retrouve empalé et jeté sur les autres hommes de main d’Ycar qui me foncent dessus.

Cela devrait les retenir un petit peu.

- Bien bien ! A quelle sauce vais-je donc te manger ?Je demande à ma proie tandis que pose une patte avant sur son abdomen, laissant mes griffes pénétrer ses chairs. Pour seule réponse, le piégé plante un dague dans la patte qui l'emprisonne. Je grogne de douleur mais ne lâche pas prise. J’ai connu pire douleur sur le champ de bataille. C’est toujours mieux quand le dîner se débat un peu !

Avant que le badaud n’ait le temps de récupérer sa lame, je plante mes crocs dans sa gorge. L’odeur et le goût du sang envahissent ma gueule et mes narines, me faisant un peu plus plonger dans la frénésie meurtrière qui m’a envahie. Je me détourne bien vite de ce jouet cassé pour me focaliser sur les trois gros bras arrivant dans ma direction. Ils ont l’air un peu plus coriaces et téméraires. Je leur fais face, le ventre presque collé au sol, les muscles bandés, tel un félin prêt à bondir. Et c’était ce que je m’apprêtais à faire si un bruit de tous les diables ne l’avait pas distraite.

Je tourne aussitôt ma tête vers la source de ce son semblable au tonnerre. Est-ce l”étrange arme que tient Samaléone qui a fait ce boucan ? Dans tous les cas, si on doit se fier à l’état du cadavre à ses pieds, cette drôle de chose fait des ravages. L’idée de m’en procurer une me traverse l’esprit, l’espace d’une seconde. Cette distraction me coûte cher…

Une boule de feu s’écrase sur mon museau, me faisant gronder de douleur et m’ébrouer dans tous les sens pour tenter d’éteindre la flamme qui me mange la peau. J’y arrive non sans mal. Mes adversaires en profite pour se rapprocher. Un devant, un à gauche et un à droite. Lequel est pyromancien ? Aucune façon de la savoir. Ils comptent attaquer simultanément. Il faut que je les en empêche. Je décide donc de rabattre ma queue sur la droite et fauche ainsi l’assaillant de droite et celui qui me fait face. L’assaillant de gauche est envoyé contre ma carapace, celui de face esquive de justesse et écope juste d’une estafilade. Le troisième profite de la diversion pour me foncer dessus. Par je ne sais quelle chance, le coup de patte que je lui lance - dans l’espoir de le faire reculer - fait mouche. Le bougre me fixe un instant, hébété avant de s'effondrer au sol, les viscères à l’air.

Il n’en reste donc plus qu’un seul.

C’est lui le mage de feu. Il a déjà deux flammes au creux des mains, prêtes à me fondre dessus. Rien ne sert de prendre des risques, je l’attaque à distance me servant de mon meilleur atout sous cette forme. Je fais un bond sur le côté, évitant sa magie et vise sa tête de la queue. Les pics latéraux de celle-ci viennent se ficher dans son crâne. Une fois certaine de son trépas, je m’approche du cadavre et le saisis dans ma gueule pour le déloger. L’entreprise n’est pas aisée mais j’arrive à m’en défaire au bout d’un moment. Un silence de mort règne à présent dans le hangar, on n’entend que mes grognements et le bruits des chairs malmenées. Ce silence me laisse supposé que Samaléone a aussi fini de son côté. Je jette tout de même un regard dans sa direction tandis que je reprends forme humaine.

- Ma foi… Ce fut bref mais intense. Je suis presque triste que ce soit déjà fini… Je trouve que l’on forme un duo d’exception ! Je lui dis tandis que je pose une main sur la brûlure qui me barre le visage et cherche de l’oeil des vêtements qui n’ont pas été réduits en charpie par notre assaut.

L'inconvénient avec les transformations, c’est que bien souvent les vêtements n’y survivent pas.

Toute les bonnes choses ont malheureusement une fin…

Immobile, j’observe le macabre tableau que nous avons créé, Samaléone et moi. Il n’y a pas à dire, aucune n’a fait dans la dentelle ! Je sens d’ailleurs mon corps frémir de toute part. Il réclame encore du sang et je me fais violence pour ne pas me laisser emporter par mes instincts de monstre. La plaisanterie de la pirate fait office d’une bonne diversion. Je souris simplement.

C’est décidément un bien étrange personnage ! Étrange mais plaisant. Sa propension au carnage a suffit à ce qu’elle s’attire ma sympathie dans tous les cas.

C’était bien amusant de se battre en sa compagnie mais il est temps de quitter les lieux. Je récupère donc la tête d’Ycar, récupère et des vêtements et la bourse d’un badaud - il n’y a pas grand chose mais cela me permettra de regagner Thémisto - et nous voilà partie en direction d’une taverne nommé “Le Goéland Putride”. L’endroit est tout aussi charmant que le nom mais déjà un peu plus accueillant que le “Couteau Sanglant”.

Je suis silencieusement Samaléone et m’installe. La magie de la jeune femme est de nouveau sollicité mais cette fois d’une façon que je n’aurais jamais soupçonné.

- C’est… Je laisse ma phrase en suspend, essayant de me saisir de l’un des “bout de papiers”. J’arrive à m’en saisir, ce qui m’étonne au plus haut point. Intéressant ! Je n’ai jamais vu la magie utilisée autrement que pour combattre. J’avoue que c’est une première !

Je relâche le mémo, et reporte mon attention sur ce que ma compagne griffonne. Quoi ? C’est à ça que je ressemble ? Pas étonnant que tout le monde prenne peur…

- Alors ! Qui, quoi où et comment ?

-Et bien, en voilà des questions ! Je réplique sur un ton taquin.

Je laisse planer le silence un instant tandis que je prend un gorgée de ma commande.

- Jouons à jeu  ! Tu es d’accord ? Je réponds à l’une de tes questions et en échange, tu réponds à l’une des miennes. Qui, donc ? Et bien, comme dit plus tôt je me prénomme Yukia. Yukia Rasphodos. Et j’appartiens à la race des Lhurgoyfs.

Voilà bien longtemps que l’envie de converser ne m’avait pas pris. C’est plutôt inédit. En un demi-millénaire de vie, j’ai initié moi-même la conversation moins d’une trentaine de fois. La dernière fois, cela était avec Alyse - une autre Cavalière - durant la guerre de Taulmaril.

- A moi, maintenant ! Qu’est-ce que c’est que cette arme que tu trimbales avec toi ? Je demande tout en pointant le drôle d’objet du doigt. Il me semble que Samaléone lui a donné un nom mais il m’est déjà sorti de l’esprit.

J’avais rarement eu autant d’intérêt pour une conversation.  

A ma grande joie, la pirate se prête avec entrain à mon jeu. Elle ne semble pas connaître la race des Lhurgoyfs et les questions à ce sujet fusent. Elle se rappelle toute seule à l’ordre et finit par répondre à ma question. Je l’écoute attentivement tout en sirotant tranquille ma bière. Cet objet mortel qu’elle traîne à sa ceinture se nomme Colère et la description que Samaléone m’en fait la rend encore plus attrayante à les yeux.

- Une telle arme aurait fait des ravages à Taulmarill… Je murmure pour moi-même tandis que mon regard ne se détache pas de l’arme.

Je reste silencieuse un instant, essayant de me figurer les dégâts qu’aurait pu faire une telle arme sur le champ de bataille. La voix de Samaléone ma ramène au présent. J’ai un petit sourire en coin tandis que la question sur mon âge fuse.

- Essaie donc de deviner... Dis-je tandis qu’un sourire paresseux se glisse sur mes lèvres. Cela ne devrait pas être trop compliqué compte-tenu de l’indice glissé plus tôt. Quant à l’armée et bien… Je n’ai jamais connu que ça, quasiment… On m’a dressé pour être un bon soldat, le meilleur. Je n’ai pas de de réel talent pour autre chose, ni d’ambition particulière alors pour l’instant, je me contente de cela.

Je me tais, laisse mon regard vagabonder dans la salle principale de la taverne et finis par avaler d’une traite le reste de mon breuvage. Je n’ai nullement envie de penser à tout cela pour l’instant.

- Et pour répondre à ta toute première question Je reprends, espérant que la conversation chasserais les vieux fantômes qui menaçaient de revenir me hanter d’un moment à l’autre. On n’a pas de “réelle forme”, le monstre et l’humain sont un seul et même être. C’est juste que certains décident de totalement s’abandonner à la bête tandis que d’autres la font taire. Et puis, il y a ceux qui sont entre les deux… Mais dis-moi… Tu n’es pas une Terrane non plus, n’est-ce pas ?

J’en suis même sûre. Samaléone ressemble à une Terrane mais quand on s’y attarde plus, quelque chose cloche. Son teint est différent de celui d’un Terran. Il est livide, même peut-être plus que le mien, presque grisâtre… Comme celui d’un cadavre…

Certains soldats en parlaient durant la guerre, de ces cadavres qui se relevaient. Je n’en avais jamais croisé durant le temps qu’avait duré le conflit mais ces récits de grands-mères avaient ressurgit un grand nombre de fois. Je n’y avais pas cru à l’époque et n’y croyais toujours pas, ca paraissait tellement incongrus.

Je sais… Venant d’une femme capable de se transformer en monstre, c’est un peu comme si l’hôpital se fichait de la charité.

Ne jamais juger un livre à sa couverture !

Je ris de bon coeur tandis que Samaléone semble enfin prendre conscience de mon âge et m’avoue avoir pensé que j’étais une jeune fleur.

- Cent ans est déjà une âge vénérable, capitaine ! Je lui glisse d’un air taquin tandis que je lève ma nouvelle choppe dans sa direction, comme si je trinquais à sa santé.

Le silence plane un instant, tandis que la pirate termine sa bouteille d’une traite. Je dois avouer être impressionnée par la descente qu’elle a ! Elle me confirme ensuite que ces racontars de grand-mère qui erraient dans le camp du temps de la guerre n’en étaient pas tout à fait. Elle me livre un morceau de son histoire. Elle aussi a l’air d’avoir bien roulé sa bosse et d’avoir connu son lot de malheurs aussi. Comme tout un chacun dans ce monde, j’imagine…

- Comme quoi on en apprend tous les jours, malgré les siècles. Je souffle tandis qu’elle me parle de son étrange lien à la mer et à la mort.

Il est clair que c’est un fait des plus indéniables !

J’observe ma bière, pensive. J’envie un peu Samaléone. Elle a un but, une raison d’avancer tandis que je ne fais qu’errer en attendant quelque chose qui ne viendra sans doute jamais. Sa question me tire de mes pensées.

- Pas que je sache… Nous avons été longtemps chassés, aussi sommes-nous éparpillés à travers le monde. C’est déjà rare qu’un enfant Lhurgoyf grandissent avec ses parents alors… Qu’il y ait tout un regroupement de ceux de ma race me paraît assez improbable. Mais bon… Qui sait ? Le monde a tellement changé en 500 ans. Peut-être est-ce le cas aujourd’hui. En tout cas, si ça l’est, j’ignore où ils se trouvent.

Je reste silencieuse un instant, essayant de me figurer ce que pourrait donner une société, un regroupement seulement composé de Lhurgoyfs. Je n’y arrive pas. Je me rends finalement compte que je connais très peu les miens. Les seuls que j’ai croisé, ce fut sur le champ de bataille et, ce n’est un secret pour personne, la guerre changent complètement les gens. Je ne sais pas comment se comportent ceux de mon peuple quand ils ne se battent pas. C’est un peu triste…

- Mais je connais peut-être quelqu’un qui pourrait répondre à certaines de tes questions. Dis-je tandis que l’image d’Alyse me vient à l’esprit. Elle en sait peut-être un peu plus que moi à ce sujet puisqu’elle n’a pas été enfermée durant un demi-millénaire.

- Mais dis-moi, simple curiosité. Est-ce que tout ton équipage est… Je cherche mes mots un instant Comme toi ?

La question est incongrue, je m’en rends bien compte mais elle me taraude l’esprit depuis que Samaléone m’a avoué sa nature. J’essaie de me figurer un instant à quoi pourrait ressembler un équipage de morts-vivants. Des gens sans tête, avec des membres manquants, peut-être même des squelettes animés ! Un rire silencieux m’échappe devant le ridicule de l’image mentale que je viens de créer. Un tel équipage ne doit guère être pratique. Ou alors est-ce le plus redoutable de tous, un équipage qui ne craint ni la mort ni la douleur.

Depuis quand n’avais pas passé une soirée comme celle-là à parler de tout et de rien en toute insouciance ?

Je n’en ai aucune idée mais cela me plaît bien ! La compagnie de Samaléone est fort agréable et intéressante. A tel point que je finis par m’emmêler les pinceaux. Enfin, cela c’est sans doute à cause de l’alcool…

- Ah ! Autant pour moi ! Je réponds les joues un peu rougies par l’alcool. Tu verras ! une fois le premier siècle passé, le temps devient quelque chose d’assez abstrait.

Je me suis amusée à imaginer un équipage fait de cadavres décharnés et de squelettes, juste pour rire mais il semble au final que je ne suis pas très loin du compte. J’écoute ce que la pirate dit avec une attention et une curiosité non feinte. Il existe encore de sacrées bizarreries en ce bas-monde !

- Je paierai cher pour voir ça…

Mais il faudra visiblement attendre d’être morte pour cela !

Un fin sourire étire mes lèvres tandis que la morte-vivante finit sa bouteille d’un trait et lorgne sur la mienne. Du bout des doigts, je pousse ma choppe vers elle et recommande à boire. La bourse de ce pauvre Icar ne lui sera plus utile alors autant boire à sa santé, n’est-ce pas ? Tout ce qu’elle contient y passe. Et la nuit file à une vitesse inouïe tandis que je parle de tout et de rien avec Samaléone. C’est agréable de discuter ainsi de tout et de rien. Je l’avais oublié. En ai-je déjà seulement fait l’expérience ?

Ce sont  les pâles rayons du soleil filtrant à travers les fenêtres du Couteau Sanglant qui me font reprendre contact avec la réalité. La nuit est passée si vite...

- Bien… Je crois qu’il est temps pour moi d’y aller. Ce n’est pas que ta compagnie m’incommode mais notre bougre est attendu par mes supérieurs. Dis-je tout la sacoche contenant la tête d’Ycar.

Un dernier salut et me voilà partie. Finalement, la liberté n’est pas si décevante que cela ! Il y a des siècles que je ne m’étais pas amusée ainsi !