Les Gardiennes de la Forêt [pv : Sighild]

Il s'était écoulé plusieurs semaines depuis l'envoi d'un message écrit de la main de la Reine de Canopée à l'adresse de l'Eryl. La réponse parvint finalement jusqu'à Viwien, elle était positive. Une certaine appréhension marquait pourtant les traits de la sindarine alors qu'elle se rendait sur le lieu du rendez-vous convenu. Elle y attendrait plusieurs jours sa correspondante, il n'était pas aisé de fixer une date précise en ces temps troublés.

C'est donc au bord du grand lac dans lequel se jetaient les magnifiques et vertigineuses cascades vierges, que la reine s'installa. La région n'était pas dépeuplée, bien que plus sauvage encore que Canopée, il y avait ici et là quelques habitations se fondant dans la végétation.

Le lieu était propice aux balades et aux retraites spirituelles, c'était le cadre qu'avait choisi la Reine pour sa rencontre avec l'Eryl. Malgré ses quelques appréhensions, Viwien avait hâte de revoir celle qui fut sa cheffe et son amie. Sa soeur, elle l'espérait encore. Dans son coeur, rien n'avait changé et elle ne doutait guère que l'Eryl le sache. Lorsque la Reine avait abdiquée face à ses conseillers, et avait tue son amitié avec les Eryllis, elle avait envoyé un message prévenant l'Eryl. Elle lui avait expliqué la situation et son choix, qu'elle pensait être savamment pesé, les arguments de ses conseillers étaient avisés, quand bien même elle aurait préféré agir autrement.

Elle était Reine et cela lui imposait certaines décisions, pour protéger son peuple. Aujourd'hui, elle regrettait sans doute d'avoir acquiescé à une décision qui n'était pas la sienne mais ne remettait pas en cause ses conseillers, ils ne pensaient pas à mal. Aussi était tout à la fois anxieuse de revoir son ancienne amie, après tant d'années et ravie de pouvoir enfin affirmer sa propre position.

Au bord du lac, la reine n'en était plus vraiment une, sa tenue était simple, ses cheveux de feu laissé libre, nulle couronne n'ornait son jolie front. C'était une simple sindarine, allongée sur le dos, sa tête reposant sur contre le flanc d'un loup au pelage plus noir qu'une nuit sans lune. Entre ses mains, un lourd ouvrage qu'elle annotait parfois, qu'elle reposait aussi, de temps à autre, sur ses cuisses, pour admirer la surface scintillante du lac. Alors qu'elle reprenait sa lecture, le loup redressa soudain son museau, ses oreilles dressées. La Reine avait de la visite.

Le monde bougeait sans cesse depuis plusieurs années, obligeant les Eryllis à en faire autant. L'immobilisme n'était plus une option et renforcer les vieilles amitiés devenait une chose presque inéluctable. Alors lorsqu'un messager fit parvenir à Sighild une lettre de Viwien, celle qui était connue présentement pour être la reine des sindarins, un sourire était apparu sur son visage. Cela faisait plusieurs années que pour des raisons politiques, les deux jeunes femmes ne s'étaient vues, ni n'avaient entretenu de rapports. Une question d'image apparemment.... Mais l'Eryl ne lui en tenait absolument pas rancune. Cela avait été son choix et les Eryllis ne pouvaient retenir des femmes contre leurs grès. Cela n'en demeurait pas moins un déchirement de se séparer d'une amie, surtout que cela incluait la pénible tâche à la lhurgoyf d'effacer une partie des souvenirs de celles qui les quittaient. Alors que ses yeux se baladaient sur la feuille de papier, Sighild était gagnée par une forme de nostalgie à la pensée de sa vieille camarade et rapidement, elle lui fit parvenir une réponse... positive.

Le lieu de rendez-vous convenu se trouvait toujours en région forestière, l'endroit idéal pour les deux jeunes femmes. Mieux encore, la chance avait valu que l'Eryllis se rendit à Samhach, au sud de Noathis, raccourcissant ainsi son voyage pour se rendre aux cascades vierges en territoire sindarin. Elle avait fait le choix de voyager uniquement en compagnie de son loup, Zodiark, dont le pelage était cendré et ses extrémités noires. Toutefois, son œil borgne donnait toujours une impression étrange à l'animal, parfois inquiétant. Il n'avait pas connu Viwien puisqu'elle était partie il y avait des années, néanmoins, Sighild lui en avait partagé le souvenir pour qu'il puisse la reconnaître.

Ce fut après plusieurs jours après sa réponse que la jeune femme parvint au lac, et elle se fit au flair de son compagnon lupin pour lui désigner la position de son amie. Prudente, Sighild avançait toujours en se montrant alerte mais avec une certaine assurance qui prouvait qu'elle était habituée au milieu. Il fallait dire qu'elle connaissait bien les environs et elle n'avait jamais eu de problème avec les sindarins. Rapidement, Zodiark lui fit comprendre qu'il y avait un autre loup présent mais aussi sa vieille camarade.

" On dirait bien que la vie royale de sied bien.

La voix de l'Eryl sonnait chaleureusement alors qu'elle s'approchait de son ancienne camarade, allongée tout près de là avec une apparente décontraction.

" Je suis ravie de voir que tu aimes toujours les petits bonheurs simples. "

Un léger sourire apparut sur le visage de la jeune femme alors que son loup s'assit à ses côtés et qu'elle faisait un petit signe en direction de l'ouvrage qu'elle lisait. Elle avait beau être une reine aujourd'hui, il était toujours bon de savoir conserver une certaine forme de simplicité. Ceux qui oubliaient leur parcours devenait souvent de bien mauvais monarque.

La lhurgoyf demeura debout car elle n'était pas certaine que son amie désirait que leur entretien se déroula à ce point de rencontre et guettait simplement qu'elle engagea la conversation afin qu'elle lui fournisse plus de détails sur ses intentions.

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La reine de Canopée n'était plus ici, pour l'espace d'un instant, qu'une sindarine anonyme, puisque seule. A l’abri des regards, elle s'accordait un moment de solitude, si rare, si précieux. Elle sent bien, une pointe de culpabilité poindre dans l'espace serein de sa méditation. Elle sait aussi, que bientôt ce pique serait un mont qu'elle devrait gravir dès lors qu'elle rejoindrait la capitale et son trône. Être Reine n'était pas tant un fardeau qu'un continuel défis. Un défis de taille que la sindarine relevait, chaque jour, chaque heure, avec ténacité et, elle l'espérait, clarté.

Cette clarté, ne pouvait resté indéfiniment si elle restait enfermée dans son palais, à prendre les mêmes décisions, à parler aux mêmes personnes, sans jamais prendre de recul ou se confronter à des avis contraires, divergents, innovants. Cela étant, ce dernier point était très largement accompli par les conseillers de la Reine qui n'hésitaient guère à émettre des idées parfois peu orthodoxe et parfois aussi, tout à fait contraire à l'avis de la tête couronnée.

Ammat Isil se redresse alors que Viwien peut à son tour percevoir le bruit feutré, encore imperceptible pour les autres races, des pas de sa visiteuse. Elle se relève lentement, sachant à présent qu'il s'agissait de son invitée.

" On dirait bien que la vie royale de sied bien. "

Un sourire glisse sur les lèvres de la sindarine alors que Sighild se réjouit qu'elle apprécie encore les plaisirs simples. Viwien jette un regard à son livre, encore à moitié ouvert dans sa main.

- En réalité il s'agit davantage de devoirs à venir que d'une lecture plaisante mais..

Elle lâche nonchalamment l'ouvrage qui se referme avant de se coucher dans l'herbe. Le geste ferait sans doute hurler les bibliothécaires de Palantil et la reine aurait tout intérêt à s'occuper de ce brin d'herbe coincé entre deux pages avant de rendre le livre ou elle encourrait pire courroux que Taulmaril. Ses yeux couleur forêt se posèrent avec bienveillance sur le visage, inchangé, de celle qui fut sa supérieure et surtout, son amie.

La sindarine porte une main à son coeur puis à celui de la lhurgoyf, de ce geste sindarin sans équivoque, profondément affectueux et respectueux du cycle de la vie qui amenait à nouveau ce coeur battant près du sien.

- Te voir m’emplis d'un bonheur bien plus grand.

La sincérité de la reine ne saurait être remise en cause alors que son visage s'illumine d'un sourire reconnaissant. Elle était venu. Cela voulait déjà dire beaucoup pour la sindarine. A son côté, sans qu'elle n'y fasse vraiment attention, le grand loup au pelage noir qui l'accompagnait fixait avec une certaine méfiance le loup qui se tenait au côté de la lhurgoyf. Prenant conscience de la défiance du Dévoreur, la sindarine se tourna légèrement vers lui et lui adressa un signe d'apaisement tout en complétant :

- Ammat ne sois pas discourtois envers ma soeur et son compagnon.

Le large animal relève le museau vers celle qui jamais ne se considérera vraiment comme sa maîtresse, semble un instant la jauger avant de se détourner, se désintéressant momentanément des nouveaux venus pour aller se désaltérer dans le lac.

La sindarine elle, se tourna à nouveau vers celle qu'elle avait nommé sa "soeur".

- Si je peux toujours t'appeler ainsi ?

La question ne portait aucun sous-entendu, elle était franche et direct, comme l'était Viwien.

Lorsque l'Eryl arriva à la hauteur de la reine des sindarins, elle eut un petit sourire en coin à l'évocation de l'ouvrage qu'elle tenait entre ses mains. Du travail? Cela lui ressemblait beaucoup. La jeune femme avait toujours été une personnalité consciencieuse et son choix d'avoir voulu succéder à son père, ainsi que bien faire les choses, était tout à fait dans sa nature.

" Je vois... Je suppose que l'on pourrait dire que tu n'as pas changé. "

Lorsque cette dernière se leva pour lui faire l'honneur d'un geste aussi affectueux que ses paroles, la lhurgoyf baissa la tête en guise de politesse. Viwien était une amie lointaine, elle avait toujours eu de bon rapport et cela la rassurait de pouvoir la voir toujours ainsi.

" Bien sûr. Il s'agit d'un lien indéfectible. Tu as toujours été l'une de mes Sœurs mais si je demeure toujours un peu triste de ton départ. Je ne t'aurais tenu rancune que si traîtrise il y avait eu. "

Sighild afficha alors un sourire franc. Elle ne lui en voulait pas, mais qui ne serait pas triste de perdre une amie? Toutefois, loin des yeux ne signifiaient pas loin du cœur.

" Alors? Dis-moi tout. Quelles sont les raisons qui t'ont poussé à organiser cette rencontre? Même si je devine que cela doit être une question d'ordre plus politique que de courtoisie. "

L'amazone n'avait pas la prétention de dire qu'une reine voudrait la voir juste pour le plaisir de sa compagnie. Viwien ne se permettrait pas ce genre de comportement désinvolte. C'était pour cette même raison que leur rencontre était officieuse, elle n'avait pas oublié qu'il avait fallu à la sindarine reniée sa vie d'autrefois afin d'assurer son propre pouvoir auprès de son peuple, mais aussi à une échelle plus grande auprès des autres nations. Qui pourrait prendre au sérieux une Reine qui affichait son amitié avec un groupe de renégats?

" Tu ne m'en as pas beaucoup dit dans ta lettre. Je suis donc assez curieuse. "

Le visage de la jeune femme demeura impassible, au même titre que le temps n'avait fait aucun ravage sur ses traits. Elle demeurait physiquement la même que lors de leurs dernières rencontres, un avantage de son peuple. Il en fallait bien un après tout. D'un autre point de vue, Viwien aussi n'avait que très peu changée, du moins, sur un certain aspect. Le pouvoir l'aurait sans doute conduite à gagner en maturité, comme toutes les personnes qui se vouaient à devoir porter de nombreuses responsabilités. Même Sighild, lorsqu'elle gagna le titre d'Eryl, avait dû revoir quelques unes de ses positions.

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Au loin le fracas des cascades se déversant dans le lac devenait un léger bourdonnement, comme une sourde musique de fond. Infatigable, constante, une mélodie naturelle d'une rare violence, emprunte d'une puissance inarrêtable, écrasante qui parvenait à leurs oreilles comme le murmure sourd d'une implacable vérité. La nature reprendrait ses droits. Qu'importe le temps qu'il lui faudrait. Elle serait patiente, elle peut attendre, tout endurer des affronts que les insouciantes créatures lui font, chaque jour, en se croyant parfois bien invincibles. Cette vérité qui chantait à leurs oreilles, la Reine sindarine n'y était pas sourde. Elle tâchait d'ailleurs très sérieusement de l'écouter, croyant parfois déceler dans cette mélodie millénaire, les notes à venir.

Après l'avoir rassurée sur la relation qui les liait toujours, l'amazone entra dans le vif du sujet. Naturellement, elle voulait savoir pourquoi elle était là. Viwien ne doutait pas qu'il lui avait fallu plusieurs jours de voyage pour parvenir jusqu'au lieu de rendez-vous. La sindarine ne l'aurait effectivement pas faite déplacer si rapidement, pour échanger des courtoisies.

Viwien acquiesçait, presque gravement alors qu'elle se détournait de son invitée pour tourner son regard sur le vaste lac. L'eau ici était limpide et calme. Une surface lisse, sous laquelle des remous imperceptibles se faisaient échos du violent tambourinage des cascades.

- Tu as raison et je ne te ferais pas l'affront de broder mes mots.

Il était question de politique oui, mais il était aussi question de Viwien. La Reine de Canopée n'était pas connu pour être adepte des éléments de langage et autres langues de bois. Sa politique, ne ressemblait en rien à celle d'Eridania et c'était sur la clarté de sa pensée, la justesse de ses décisions, la transparence de son jugement, que son peuple avait pu compter durant ces dernières décennies. Consciente pourtant du ton sentencieux de ses mots, elle tourna à nouveau son menton vers son interlocutrice, lui adressa un léger sourire en lui indiquant un petit panier en osier posé sur le sol, non loin d'une couverture qui avait du être d'une grande qualité, à une époque, aujourd'hui visiblement élimée elle pouvait bien dater de ses années Eryllis.

- Enfin, tu peux te sustenter et t'assoir tout de même. Je serais brève mais pas impolie.

Brève, ce n'était pas certain car, son désir était grand de trouver un terrain d'entente. Cela étant, elle laissa l'Eryl se mettre à l'aise ou la rejoindre au bord du lac avant de poursuivre.

- Je t'ai invité ici, dans ce cadre bien peu protocolaire, à l'abri des regards et des oreilles, pour deux raisons. D'une part, pour que notre échange ne soit pas biaisé par le poids du regard de mes pairs.

Il était certain que seules ensemble elles avaient bien plus de liberté de parole, quelque soit la facilité avec laquelle elles s'exprimaient en public, elles avaient toutes deux un rôle important à jouer sur l'échiquier géopolitique de ce monde en constante tension et ne pouvaient tout se permettre en présence d'une cours royale.

- D'autre part, je te laisse ainsi la plénitude de tes choix, si cette conversation ne devait jamais avoir eu lieu, ainsi en sera-t-il.

Là il était question de la plénitude dont Viwien n'avait pas bénéficier lorsqu'elle avait du choisir de se détacher de ses soeurs. Elle n'imposerait pas le même carcan à l'Eryl. Elle pouvait après tout, partir à tout moment, la forêt ne connaissait pas de frontière entre Canopée et Noathis.

- Je n'irais pas par quatre chemins, je veux que Canopée et le Eryllis travaillent ensemble. [/color[color=#76D7C4]]

La reine fixait l'Eryl avec toute l'intensité d'un regard où se reflétait la forêt toute entière.

- Je ne veux pas entretenir de flou sur ma position quant à cette caste que tu diriges. Je serais à jamais une soeur de ces idéaux qui sont les vôtres et qui sont aussi ceux de Canopée. Sauvegarder la nature comme on le ferait pour une alliée indispensable, comme on le ferait pour notre propre maison.

Puisque elle était tout cela à la fois, pour les éryllis comme pour les sindarins. Une maison, une alliée, pourvoyant à tous leurs besoins essentiels. Les flammes qui léchaient les épaules sindarines s'enhardissaient sous la caresse d'une brise venue de l'est.

- Je veux que nous soyons alliées. Que cela soit signée sur un papier ou non, je m'en fiche bien, les actes comptent plus que les belles signatures pour des êtres tels que nous.

A ceux à qui le temps souriait, les signatures se perdaient bien plus vite que les faits.

- Je veux que les Eryllis et le monde sachent, qu'elles seront soutenues par Canopée si elles devaient être menacées par quoi que ce soit.

Par les dangers inconnus que recelaient Istheria et qui avaient tendance à se réveiller les uns après les autres mais aussi, et surtout, contre les dangers eux bien connus; la politique des hommes. Puis, il y avait l'Est. Cet Est que personne ne connaissait, dont personne n'était jamais revenu. Qui pouvait savoir quel genre de menace recelait cet inconnu ci.

- Je ne veux pas faire de vous ni des vassales, ni des citoyennes de Canopée, je n'exigerais rien de vous. Tout ce que je souhaite, c'est mettre fin à une situation ridiculement incertaine. Si je le pouvais, je serais à la fois reine et Eryllis.

La sindarine porte une main à son coeur, il était certain que ce dernier était tout à la fois à son peuple et à ses soeurs qu'elle avait du abandonner. L'honneur brûlait dans cette tignasse flamboyante sans jamais se consumer. Un honneur qu'elle avait trop longtemps laissé torturé par une prudence inutile.