Anything but Love ¤ PV Irina

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 Anything but Love ¤ PV Irina

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Anonymous Invité
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MessageSujet: Anything but Love ¤ PV Irina   Anything but Love  ¤  PV Irina Icon_minitimeDim 18 Jan - 23:48



Tout tourbillonnait, dansait, courait et tanguait comme une marche funèbre de détraqués et le crâne de Léogan contenait tout ça entre l'étau brûlant de ses tempes volcaniques. Des images saccadées et sporadiques se fracassaient à toute vitesse sur ses yeux fermés et martelaient ses nerfs à n'en plus finir.
Je t'ai dit de faire ça en douceur. Ce n'est quand même pas si difficile. Non, je ne te demande pas grand-chose, Léogan, même pas un effort de ta part.

Ses mains étaient noires. Il était sous terre. Le sol étouffant résonnait d'un bruit de cavalcade colossal.

Avant l'aube, tu vas mourir, tu sais ce que cela signifie, n'est-ce pas. Dix heures, il t'a accordé dix heures, c'était bien assez pour faire le travail, si tu m'avais laissé la place. J'ai le pouvoir de faire ce que tu souhaites. Et le pouvoir d'arrêter ce que tu ne veux pas voir arriver.
Il se retourna, le front cogné par un marteau fou furieux, et il la vit, elle, exsangue et sans vie, dans le voile de ses cheveux rouges, il vit entre ses mains noires une lame brillante, et sa voix lui transperça la cervelle comme le couteau lui avait transpercé la poitrine.
« Si périr est le prix à payer pour rétablir le culte que j’ai connu pour de bon, alors au moins je tomberai avec la satisfaction d’avoir accompli quelque chose qui en vaut la peine ! »
ÇA N'EN VAUT PAS LA PEINE. Tu entends ?! Ça n'en a JAMAIS valu la peine !

Tu es mort. Moi j'ai une chance de vivre. On ne me l'enlèvera pas !

« ARRÊTE ÇA SUFFIT ! »

Il ouvrit les yeux dans un rugissement, au milieu de la pièce froide du temple où il s'était enfermé, se cassa la figure de son banc en se débattant et s'éclata face contre terre. Aplati sur les dalles de marbre, essoufflé comme un lutteur, il retrouva soudain la douleur intolérable de ses mains percées de part en part et posa son front bouillonnant contre le sol glacial en poussant un gémissement pathétique. Puis il se redressa et ses yeux écarquillés se posèrent avec horreur sur la flaque de sang dans laquelle il nageait – son sang – il paniqua et se releva d'un bond, chancela, pris d'un profond vertige, perdit l'équilibre et se rétama une deuxième fois. Il trembla de tout son corps et avala péniblement sa salive acide en levant sa main gauche, qu'il avait réussi à enfoncer dans le gantelet de l'armure de Garadrhim et qui lui faisait l'impression de n'être plus que de la viande pulvérisée.
Et là, tout à coup, comme ça, devant lui, il y avait Erynn. Il la fixa d'un air interdit. Il se demanda un moment s'il était encore en train de délirer. La cage thoracique en vrac, les tripes en feu, la gorge emmêlée, nouée, atrophiée, il se releva précipitamment pour lui faire face.

Léo avait l’impression d’être dans un rêve. Tout lui semblait étrange ; il était dans une brume, dans une bruine délicate et légère qui rendait ses paupières lourdes et qui recouvrait le monde autour de lui ; il peinait à battre des cils, à distinguer clairement Erynn en face de lui. Il  devina, vaguement, sans comprendre vraiment, qu'il y avait quelque chose qui clochait chez elle.
Et soudain, elle explosa. L'espèce de bulle dont Léogan s'était senti enveloppé quelques secondes plus tôt éclata comme du verre. Il réalisa brutalement dans quel état la jeune femme s'était mise, que son bras était noir, étincelant comme couvert de pièces d'armure métalliques, que ses doigts s'étaient transformés en serres, que ses yeux étaient devenus deux écrans de fumée opaque et qu'un rictus de haine indescriptible tordait son visage tourné vers lui – et il se rappela alors ce qu'il avait fait. Il se campa sur ses jambes du mieux qu'il le put, ses talons raclèrent contre la pierre, il fronça des sourcils avec concentration et se prépara à encaisser la férocité des assauts de la prêtresse.
Elle s'approchait, avec un sourire froid et mordant, comme si elle allait le bouffer, ou lui arracher les yeux – les deux, peut-être, elle n'avait sans doute jamais subi de parjure aussi mortifiant que de la part d'Elerinna elle-même. La souffrance qui perça à travers les mots qu'elle vociféra heurta Léogan comme un grand coup dans la tempe. Paralysé d'horreur, il ouvrit à peine la bouche pour pouvoir l'arrêter d'un cri ou répliquer, pour hurler un truc, un chapelet de jurons en goyfar, pour la faire taire, rugir qu'elle se gourait sur toute la ligne, qu'il fallait qu'elle la ferme maintenant et qu'elle l'écoute – mais rien ne sortit. La colère d'Erynn l'engloutissait à son tour, comme un virus fulgurant, et lui ravageait le ventre comme s'il avait avalé de la soude ; il se transit du même dégoût quand elle cracha une bile corrosive et noire qui figurait déjà ses ébats futurs avec Elerinna.
Il serra les dents et se prit les dernières accusations d'Erynn en plein dans la figure. C'était impossible de nier que tout ça était de sa faute. Il avait vraiment pensé ce qu'il lui avait dit quelques mois auparavant, il y avait vraiment cru – et il avait tout foutu en l'air, tout seul, comme un grand. Le pire, peut-être, c'était qu'elle y avait cru aussi. Oh, Erynn...
Il secoua la tête, sous ses cheveux sales, débordant d'amertume, et prit une profonde inspiration pour se retenir de s'effondrer comme un morveux désespéré.
Il avait envie de chialer ou de buter quelqu'un. De foutre le feu partout. Mais le vrai problème, il le savait, c'était lui, et la vraie question, là, à cet instant, c'était s'il allait enfin crever et laisser tout ce beau monde en paix, ou s'il allait vivre et tenter d'arranger les choses plutôt que de tout faire exploser. Évidemment, dans son délire destructeur, tout ça n'avait malheureusement pas sa place et la petite voix de sa raison criait bien trop faiblement derrière tout le vacarme de sa violence et de son désespoir.

« L'avenir...? Vous croyez qu'on en a un, d'avenir ? Vous y avez cru ? Vous, le p'tit et moi, ici ? Redites... Regardez... Merde. » cracha-t-il, en pressant contre sa poitrine sa main dégueulasse, emprisonnée dans son étau de métal qui rutilait d'une blancheur aveuglante et qui pulsait presque contre lui comme un de ses propres organes. Les mots trébuchaient, se battaient dans sa gorge, il eut un hoquet mais il le ravala avec le reste de ses paroles et il se réduisit au silence, furieux de ses balbutiements et du spectacle pathétique qu'il offrait à Erynn,  en écrasant plus fort la chair ouverte de sa main contre son torse. La douleur monta en un éclair dans son crâne et en respirant péniblement, inspiré par la clarté subite qui s'y était faite, il parvint à achever ce qu'il voulait dire. « Regardez-moi dans les yeux, et redites-moi ça... Sans ciller... Redites-le moi, redites-le, allez-y. »

Il lui lâcha un ricanement délirant à la figure, ses yeux noirs étincelèrent d'une fièvre étrange en se plantant comme deux aiguilles glaciales dans ceux d'Erynn. C'était plus facile, devant ses deux orbites noires et vides, ça faisait moins mal. Son regard perçant, vert, trahi, plein de noirceur et de souffrance, aurait sans doute suffi à le glacer de culpabilité. Mais il n'était pas là. A sa place, il y avait le gouffre sans fond du démon, qui brassait les ténèbres et le néant, et s'offrait à lui comme la victime parfaite sur laquelle il pouvait déverser son fiel, sans remords ni scrupule – ce n'était plus Erynn. Et en même temps, en son for intérieur, loin dans un coin de sa poitrine qui le piquait cruellement, il savait que ce n'était personne d'autre qu'elle.
Il était campé devant Erynn, bien en face, c'était peut-être la folie qui tempêtait sous son crâne, s'inoculait comme un poison dans ses veines brûlantes et explosait dans sa cage thoracique, qui lui donnait envie de hurler, et le faisait sourire comme si on lui avait balancé de l'acide sur la gueule, c'était peut-être la folie qui lui prêtait encore la force fébrile de se tenir debout ; et c'était sans doute ce désespoir répugnant qui suintait de tout son être bancal et sanguinolent, qui lui foutait toute sa résistance en l'air, alignait ses mots comme si ça sortait de la bouche d'un putain d'attardé, ouais, c'était sûrement cette foutre de saloperie qui le faisait trembler comme un épileptique et menaçait de lui scier les genoux tout à coup, de le faire flancher soudain, à la façon d'un coup de matraque qu'on se prend derrière le crâne, et de le laisser par terre dégouliner d'un sang visqueux et noirâtre et chialer comme un mioche de trois ans et demi.
Mais il tenait bon. Il restait là, monolithique, le visage froissé dans un rictus de répugnance, droit et solide, trop droit et solide, il se forçait à ne pas bouger d'un poil mais son armure – l'armure invisible qu'il portait tout le temps, pas cette chose qui lui bouffait le bras comme un énorme parasite métallique – son armure de méchanceté gratuite se brisait en morceaux et c'était comme le décor d'un théâtre qui part en lambeaux et vomit sur sa seule spectatrice les machineries sordides des coulisses, l'horreur, la haine, le dégoût, le délire, bruts et violents, sans l'artifice confortable des mots qui d'usage les contenaient et ne leur donnaient qu'un minable petit tour retors et vicieux.

Il n'avait aucune raison de faire du mal à Erynn, pourtant. Elle ne méritait pas qu'il lui explose à la figure comme ça. Il n'en ressentait d'ailleurs aucune satisfaction. Il aurait pu seulement arrêter sa fureur, lui expliquer qu'il avait un plan, qu'il allait les sortir du pétrin, que ce n'était que l'affaire de quelques heures et puis qu'Elerinna ne serait plus qu'un mauvais souvenir – qu'il serait libre enfin, qu'il ne ferait plus que ce qu'il voudrait, et que tout ce qu'il voulait, c'était prendre soin d'Aemyn, d'elle, de lui-même aussi, enfin – rien de plus, pourquoi était-ce si difficile ? Mais il n'était pas assez abruti pour ne pas voir qu'il devait faire une croix dessus maintenant, avec tout ce qu'il avait fait, et tout ce qu'il avait prévu de faire – il pataugeait dans la haute-trahison comme il avait pataugé dans la merde toute sa vie, il avait encore brûlé toutes ses cartouches, ce n'était pas prévu, mais il allait devoir la quitter. Il devait partir. Il allait encore s'enfuir, lui filer entre les doigts comme de la fumée, s'évanouir au milieu de la nuit et elle ne pourrait rien n'y faire. S'il ne mourait pas de sa main ou d'hémorragie dans les prochaines minutes, évidemment. Mais cela revenait peut-être au même...

Une faiblesse plus brutale que les autres finit par le frapper en plein dans la poitrine et il se détourna en chancelant, pour n'en rien montrer à Irina, et surtout à Exanimis, qui devait déjà bien assez se délecter de ce qu'il percevait à travers le corps de la jeune femme. Il toussa comme un tuberculeux, ses yeux lui faisaient mal, son cœur lui faisait mal – et bordel, il crèverait de laisser Erynn derrière lui... Il y avait sûrement une solution, quelque chose qu'ils pourraient faire, n'importe quoi.
Sa botte buta aveuglément contre la lampe à huile, qui roula dans un bruit strident sur les dalles de marbre de la pièce et crissa sur ses tympans. Ses dents grincèrent, le feu qui brûlait dans une odeur d'encens obsédante entre ses pieds se jeta sur ses rétines, les flammes lui rongèrent les nerfs et les pupilles et la colère remonta tout à coup à l'assaut de son esprit malade.

« Si on faisait tout cramer... Si vous m'aidiez à tout faire exploser... balbutia-t-il, encore une fois, avant de se retourner vers elle, les entrailles tordues par la rage, pour hurler d'une voix éraillée et désagréable, qui n'a pas l'habitude de monter si haut et qui se pète la gueule pitoyablement en chemin : OUI ALORS OUI ALORS PEUT-ÊTRE QU'ON AURAIT UNE PUTAIN DE CHANCE ! »

Il se plia en deux tout à coup, à bout de forces.

« Pourquoi pas ? » croassa-t-il, avec un soupçon très faible d'espoir qui gisait encore dans les restes putrides et tremblants de leur relation tumultueuse. Il plaqua son poignet droit sur son front pour contenir la migraine qu'avait charrié tout ce désordre d'illusions qui lui montait soudain à la tête. « On partirait... murmura-t-il, d'une voix fragile. On reviendrait pas... ! Qu'est-ce que ça peut foutre... Tout ça ? »

Putain, il n'arrivait plus à tenir debout.

« Bordel de merde. »

Il retint une nausée atroce et trébucha sur quelques pas pour s'effondrer à nouveau sur le banc de prière. Les entrailles serrées, le dos appuyé contre le dossier, il ferma les yeux et laissa glisser ses mains sur sa chemise poisseuse. Tout son visage était baigné d'une sueur sanglante dont il sentait les gouttes rouler sur son cou. Il essuya plutôt vainement son front d'un coup de manche et rouvrit les paupières avant de se faire happer une fois de plus par les cauchemars. A la place, devant lui, il y avait Erynn, ses mots qui roulaient sur sa langue comme des lames de rasoirs, ses yeux d'encre et son bras infecté par cette saloperie d'engeance démoniaque, et il se demanda un instant si c'était franchement préférable.

« Vous pouvez m'anéantir si... C'est c'que vous voulez. » grogna-t-il, devant l'expression meurtrière qui ne quittait pas le visage de la jeune femme. Un autre rictus amer et provocateur lui tordit la bouche. « Ou m'laisser pisser l'sang ici, tranquillement, c'est p'tet plus facile. Si ça vous soulage, hein ? Et puis Elerinna peut bien crever... Qu'elle crève, ouais, alors tout l'monde crèvera avec, ça s'ra très bien, hahaha... » Il éclata d'un rire saccadé, la tête jetée en arrière, avant d'être interrompu par un hoquet, et de se sentir à nouveau envahi par une fureur dévastatrice. Il se redressa, blême, les yeux écarquillés, et s'écria : « Et VOUS, après vous aurez plus jamais à souffrir de qui que ce soit, JAMAIS ! Hein ? Qu'est-ce que vous en pensez... Erynn ? »

Son nom lui écorcha la bouche. Il s'écroula à nouveau sur le dossier du banc en haletant.
Au fond, il ne débitait pas toutes ces horreurs pour rien – c'était vrai, mais elle ne pouvait en avoir aucune idée. Léogan s'en foutait pas mal sur l'instant. Il voyait le bout. Il était allé trop loin.
Il releva la tête vers Erynn, la gorge serrée, les yeux enfin coupables. Il se fichait de ce que les prêtresses avaient pu penser de son intervention tout à l'heure, il était même très satisfait d'avoir pu lire de la peur sur leurs minois enfarinés, il se fichait que l’État-major l'accuse de corruption ou de déloyauté, mais il ne supportait pas qu'Erynn le regarde comme s'il l'avait trahie, comme s'ils ne connaissaient plus, ou comme s'ils ne s'étaient jamais connus, comme si plus rien n'était possible...
Si elle lui défonçait la gueule maintenant, ça pourrait peut-être lui faire du bien à lui aussi.

« Je m'débattrai pas beaucoup, marmonna-t-il, d'une voix blanche, les yeux fixés sur elle. J'vous jure. J'pourrai pas... »

Ça devenait vraiment trop dur, de lui faire mal.
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Anonymous Invité
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MessageSujet: Re: Anything but Love ¤ PV Irina   Anything but Love  ¤  PV Irina Icon_minitimeLun 2 Fév - 11:33



Anything but Love

Léogan . Irina

Une rage sourde et instable courait dans ses veines brûlantes, scintillant sous ses paupières comme une myriade d’étoiles en fin de vie. C’était un sentiment douloureux et étrangement familier, comme s’il avait toujours attendu là, tapi au fond de son être en guettant le bon moment pour faire le plus de dégâts possible. Ses yeux se posèrent sur Léogan pendant de longues secondes sans que son corps se décide à bouger. Il était là. Il n’était pas parti, pas encore. Des sentiments contradictoires se levèrent dans sa poitrine, en un bourdonnement qui monta à ses oreilles. Tout comme elle l’avait aperçu dans la salle du conseil, il était blessé et saignait encore abondamment des deux mains, rougies et mordues par le froid. Il chancelait le regard absent, se tenait dans un équilibre précaire, même assis. Il faisait peine à voir… Mais bien qu’il lui en coûte, Erynn ne bougea pas.
Il n’avait qu’à se faire soigner par sa précieuse, sa tendre Elerinna... L’immortelle, parfaite et fragile Elerinna. Ou bien il pouvait aussi se laisser mourir de désespoir en constatant qu’elle n’avait pas hésité une seconde à mettre les voiles sans lui, le laissant agoniser en se vidant de son sang. Du fond du cœur Erynn espérait qu’il se rendait compte le néant intersidéral que signifiait sa vie, son existence toute entière pour cette chose immonde. Il avait tout foutu en l’air pour elle une fois de plus, et ce en dépit du bon sens, de l’avenir qui se présentait à lui et de tout ce dont ils avaient convenu. Il n’était pas l’homme qu’elle avait rencontré à Argyrei, et encore moins le saltimbanque impulsif qu’elle avait appris à aimer. Qu’ils crèvent donc tous les deux, tout cela lui était bien égal.

Ses yeux vides se posèrent dans l’espace presque immense qui les séparait. Erynn ignorait jusqu’à quel point sa rivale lui avait dit la vérité. De toute façon cette femme ne faisait pas la différence entre la réalité et ses fantaisies, alors il serait idiot de prendre ses dires au pied de la lettre. Néanmoins il lui était impossible de se mentir, la mise en scène à laquelle les prêtresses avaient assisté était une distraction volontaire destinée à couvrir la fuite de leur ancienne dirigeante. Il n’y avait d’ailleurs même pas à réfléchir là-dessus, quand bien même elle manquait de sang-froid et de débrouillardise, cette improvisation sur le tas ne pouvait venir que de Léo. Les poings serrés, Erynn l’observa. Elle aurait aimé croire qu’il n’avait rien calculé, qu’il n’avait pas non plus prévu de s’enfuir. Cela faisait mal et il était tentant de croire que tout cela n’était qu’un regrettable malentendu. Il serait tellement plus aisé d’accepter que ce soit une erreur, si cela n’allait pas à l’encontre de sa conception du genre humain. C’était trop simple, trop beau pour être vrai en somme. Et s’il y avait une leçon qu’elle avait apprise à la dure, c’est que le monde n’est ni beau ni propre.
En baissant sa garde Erynn avait permis à cet homme de bénéficier de sa confiance, elle lui avait permis de lui mentir sans ciller. Elle lui avait donné une chance unique, qu’il avait saisie pour la trahir dès la première occasion. Au moins on peut dire que ça n’avait pas traîné, il n’avait même pas pris la peine de s’embourber dans une vie ennuyeuse et casanière, à des lieues de ce qu’il avait toujours dit rechercher. Dieux qu’elle avait été stupide de croire à son baratin. Et dire qu’il avait suffi qu’il débarque par la fenêtre, qu’il minaude avec une subtilité toute relative et se dise être désolé… C’était on ne peut plus humiliant. De fait elle ne s’était jamais sentie aussi rabaissée de toute sa vie. Et il valait mieux qu’il soit prêt à avaler le juste retour des choses, parce que ce dernier ne tarderait pas. Oh, elle y veillerait. Le voyant s’étaler à terre, la jeune femme resta immobile comme une statue, figée dans un calme très trompeur.

« J’y ai cru et j’ai lutté pour cet avenir voie le jour. Ce n’est pas votre cas, ne vous en faites pas vous l’avez laissez bien clair, désormais. » Elle s’approcha pour le regarder sans détour, maintenant sa position ascendante sans complexe. Avec mépris elle le toisa, se contenant de marcher sur ces plaies encore ouvertes. Ce serait trop facile de lui casser la gueule alors qu’il était déjà amoché, et ce ne serait pas drôle, il n’y aurait aucun mérite à le faire dans ces conditions. « Vous dire quoi ? Que vous n’êtes qu’une enflure qui m’a fait espérer pour rien ? C’est le cas. Vous n’êtes pas un homme. Vous êtes… vous êtes… » Son cœur s’emballait et la colère montait si fort que ses yeux lui piquaient de façon insupportable. Exanimis hurlait à l’intérieur de son esprit tourmenté, le démon se débattait furieusement pour pouvoir s’exprimer et s’occuper de celui qui les avait trahis. Il clamait justice, il clamait vengeance, ce pourquoi il était né et continuerait toujours d’exister. Il n’était finalement que le reflet violent de la révolte qui couvait silencieuse au fond de ses tripes.

Son apparence physique n’était que l’incarnation de la force et de la haine qui le mouvaient en nourrissant ses réserves d’énergie. Erynn était une coupe trop pleine, un sablier renversé qui déversait l’excédent d’essence divine dans l’espoir de contrôler ses actes. Qu’adviendrait-il si elle y échouait ? Un frisson lui parcourut l’échine tandis qu’elle remarqua les ombres inhabituelles dans le regard du sindarin. Elle l’avait vu dans toutes sortes d’états, des plus moroses aux plus enjoués, de la tristesse secrète aux incertitudes profondes. Il lui tournait le dos, au sens propre comme au figuré. Il lui tournait le dos et se fichait pas mal de ce qu’elle pourrait lui faire subir, ou de ce qu’elle pouvait ressentir. Il n’avait pas le droit. Mais cela, cette instabilité inexplicable, ce n’était pas habituel. Le saisissant par le col comme elle l’avait fait avec Arthwÿs un peu plus tôt, Erynn le souleva avec d’autant plus de facilité qu’il était moins lourd que son subalterne. La mâchoire comprimée elle serra le tissu sous sa gorge, l’empêchant partiellement de respirer de façon consciente. Ce serait tellement facile. Il était faible et ne se débattrait que faiblement. Il n’était pas en état d’opposer la moindre résistance, il suffirait d’un peu plus de force, d’un petit rien… Son regard retrouva subitement sa teinte naturelle.

« Vous anéantir ? Je pourrais vous tuer ici et maintenant, seulement vous n’avez pas peur. Mourir serait pour vous un soulagement et je ne vous ferai pas une telle faveur. Vous aurez nombre d’occasions de mourir très bientôt. »

Elle le relâcha brutalement et le regarda retomber mollement sur le banc, toujours aussi furieuse. Il fallait qu’il souffre, qu’il essuie les conséquences de ses actes. La mort serait une délivrance trop douce pour ce qu’il avait fait. Son bras lui restait inchangé, figé dans la noirceur millénaire qui menaçait de gagner toujours plus de terrain. Un instant Erynn posa la main gantée sur son visage. Il était brûlant. Chaud, toujours plus chaud. Tantôt son œil gauche tantôt sa peau semblèrent voilés par une vague invisible, déformés et effrités comme pour céder leur place à ce qui appartenait au dieu déchu. La moitié de son visage se fit d’une blancheur maladive, froissée et calcinée par un mal invisible. La prêtresse retint un cri de douleur rauque qui montait du fond de ses entrailles et sous le coup enterra ses griffes dans la chair. Le sang dégoulina de son front et de sa joue sans qu’elle ne réagisse. La chair se referma en quelques secondes à peine, sans retrouver son grain lisse. Les dents serrées Erynn grogna pour encaisser. Les phrases hachées par sa respiration difficile, elle luttait contre elle-même.

« Vous n’êtes qu’un lâche et un menteur ! Vous avez accouru aux côtés de quelqu’un que vous méprisez et vous êtes en train de tout sacrifier pour… Pour quoi au juste ? Comment pouvez-vous abandonner aussi facilement ? C’est là toute votre résolution à changer les choses ? Ou bien avez-vous vraiment pour plan de suivre cette garce, comme elle me l’a dit ? » Elle ferma les yeux un instant, sentant l’armure recouvrir le haut de son bras par une épaulière à tête d’aigle. C’était une lutte contre le temps, une bataille perdue d’avance contre une force contre laquelle il était impossible de gagner. Et tout ça… Tout ça c’était de sa faute ! En se tenant le bras, comme pour empêcher la contamination, Erynn tremblait. « Dites-moi la vérité, bon sang ! J’ai le droit de savoir pourquoi non seulement vous abandonnez le bateau qui est en train de couleur, mais aussi comment vous avez encore le courage de me parler de partir. Nan, désolée… Je n’ai pas signé pour le scénario de nouvelle romantique de bas étage. Remarque si tout ce qui vous intéresse c’est de fuir ce pays et vos responsabilités par la même occasion, vous ferez mieux de suivre l’autre abrutie. Fuir, ça c’est plus dans votre registre, non? »

Un sourire amer plia ses traits semi-monstrueux et lui arracha une grimace par la même occasion. La douleur l’empêchait de réfléchir distinctement, et pourtant une seule obsession s’imposait à tout le reste. Elle lui ferait regretter sa stupidité, il ravalerait chacune de ses promesses et chacun de ses mots d’amour jusqu’à ce que l’oxygène lui manque. À le voir ainsi assis sur ce banc, riant sans y croire comme un pantin désarticulé, elle avait envie de s’en aller, de tourner le dos à toute cette situation, à la fois trop dure et pathétique, puis oublier son existence. Il serait infiniment plus utile de se concentrer sur les fuyardes à rattraper, sur les mesures à prendre et les précautions à mettre en place pour protéger son pays ainsi que le duché de Nivéria des retombées de la guerre. Pourtant il ne lui facilitait pas la tâche. Il ne ripostait pas, il ne cherchait même pas à se défendre et cela plus que tout le reste, lui faisait perdre ses moyens. Bien, si son souhait était d’être libre, elle l’exaucerait. Approchant à grandes foulées Erynn arma son poing gauche, puis après réflexion, changea de côté. Enfin elle lui asséna un crochet de sa main saine, cognant sa pommette de toutes ses forces. Ordure.
Après l’impact elle retira son poing qu’elle agita en grimaçant, ignorant la douleur qui vrillait ses phalanges fragiles. Oh mais elle ne comptait pas s’arrêter là, pas en si bon chemin. Profitant du manque d’équilibre elle plaqua ses deux mains sur les siennes, immobilisant le soldat en bloquant son corps contre le sien. Leurs torses quasiment collés, elle le dévisagea avec rancune, affichant sa laideur démoniaque comme une arme vouée à le blesser. À supposer qu’il en ait quoi que ce soit à faire. Voilà ce qu’elle était devenue par sa faute, voilà le monstre qu’il faisait naître en elle. Oh c’était totalement faux, ce monstre c’était sûrement son visage le plus réel, mais qu’importe. En cette guerre privée tous les moyens étaient bons. Pressant les mains masculines pour ne pas le laisser se lever, elle projeta une décharge d’essence divine à travers ce contact. Injectant ainsi de l’énergie pure à travers sa peau, elle reconstitua les tissus de ses mains, qui se refermèrent en un processus accéléré qui lui donnerait l’impression d’avoir avalé une bombe… ou pris une drogue forte. Oh mais il serait guéri, pas vrai ? Relâchant la main qui n’était pas protégée par le gantelet corrompu, Irina y porta son attention. Elle avait déjà senti auparavant le pouvoir qui en émanait, et le contact avec le métal froid n’avait fait que confirmer ses soupçons initiaux. Quoi que ce soit qui animait ce truc, ce n’était pas net. De fait c’était même ce qui était en train de retourner la cervelle à Léo. Profitant de sa surprise et de sa faiblesse elle le lui ôta sans grande difficulté maintenant que sa blessure n’existait plus.

« Voilà, mon amour. » Elle le regarda avec sarcasme détenant la pièce de l’armure maudite entre les mains. Jouant avec cette dernière elle le nargua sans scrupules, même si au fond le monde semblait s’effondrer sous ses pieds. La fatigue la gagnait suite à une utilisation aussi concentrée de sa magie, bien qu’elle soit décidée à ne rien montrer. « Voilà. Vous êtes libres de toute contrainte, remis sur pied et privé de ce jouet qui vous rend encore plus bête que vous n’êtes. Aussitôt vous allez vite reprendre vos forces pour pouvoir retrouver votre bien aimée Elerinna ! Je vous souhaite bon voyage. Pour ma part je trouverai bien quelque chose à faire de ceci. À moins bien sûr que je ne m’inspire des amours féminines de certaines pour passer le temps. Après tout, les hommes sont des connards incapables de se prendre en main. Veto, vous, et seule Kesha sait qui encore. Oui, peut-être aurai-je plus de chance ailleurs… » Ou peut-être qu’elle détruirait ce temple et tous les partisans d’Elerinna avant de se lasser de sa petite farce. De fait il était même plutôt tentant de tout envoyer valser pour de bon, de tout détruire et abandonner. Jeter l’éponge. Regardant le gantelet sale et sanguinolent, Irina se prépara à le passer à son bras libre. Un peu plus ou un peu moins de folie, quelle différence ?

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Anonymous Invité
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MessageSujet: Re: Anything but Love ¤ PV Irina   Anything but Love  ¤  PV Irina Icon_minitimeMar 3 Fév - 12:38

Souvent, Léogan s'était demandé s'il devait avoir peur des noirceurs étranges qui se cachaient dans la lumière étincelante de ses prunelles de jade et qui louvoyaient comme un essaim menaçant ou un nuage orageux les jours de fureur. Erynn n'était pas une femme à la colère ordinaire. Tout au plus s'était-il méfié de ces ombres, en y réfléchissant – elles appartenaient au démon, et il n'était pas prêt à confondre la jeune femme avec Exanimis. Elles étaient au fond d'elle comme un feu assoupi. Quand on remuait un peu les braises d'un coup de tisonnier, elles montaient, se ravivaient et crachaient quelques cruautés ignobles, mais Erynn elle-même tenait à ce que ses flammes restent sous son contrôle. Si elle les laissait la dévorer, ce serait la fin. Tout ce que Léogan redoutait vraiment, c'était que ce soit sa fin à elle. Il avait évidemment craint, dans un sursaut d'instinct de survie, d'être happé lui-même par Exanimis cet été-là, mais la peur ne l'avait pas empêché de le défier bien en face comme il l'avait fait avec Erynn la première fois.
Il s'était demandé parfois jusqu'à quel point ses ombres pourraient altérer la prêtresse et la femme qu'il connaissait avant que la métamorphose ne soit complète. En cela, il méprisait profondément ce dieu déchu qu'il suspectait de n'attendre qu'un moment de délire comme celui-ci pour s'emparer d'Erynn, en prenant cette crise de rage pour un accord définitif. Profiter de ses erreurs et de ses fautes à lui pour prendre le dessus, c'était infâme.

Peut-être pas autant qu'une trahison en bonne et due forme cependant, comme celle dont Léogan avait flanqué tout à coup Erynn, précipitamment, au milieu d'un de ses plans improvisés sur le tas parce qu'il fallait bien faire quelque chose.
Effondré sur son banc, respirant difficilement, Léo n'attendait plus qu'elle vienne accomplir sa vengeance sur lui. Et non, il le reconnaissait, il n'éprouvait pas de peur, ni pour la mort, ni même pour la souffrance, et ce devait être une plaie pour elle qui aurait certainement préféré le voir trembler sous un large faisceau de terreurs, d'images de supplices et de douleurs anticipées – il était un peu intouchable dans son indifférence. Il le regrettait lui-même. C'était qu'il faisait une aussi piètre victime qu'un mauvais bourreau. Mais il n'avait pas assez d'amour-propre pour souffrir autant  qu'elle ne le souhaitait des vacheries qu'elle lui concoctait.
Pardon, Erynn, j'suis vraiment décevant en toute circonstance, c'est comme ça.
Pourtant il le méritait, ça ne faisait aucun doute. S'il n'y avait que ça, s'il en avait eu la force, il aurait bien tenté de concevoir un embryon d'horreur en imaginant ce qu'elle était capable de lui faire subir, mais il était trop assommé par la culpabilité, qui l'imprégnait jusqu'aux os à mesure qu'il se vidait de son sang, et par les attaques sporadiques de l'armure qui cuisait sa main gauche.

Finalement, il n'avait besoin que d'une chose, qu'elle lui pète la gueule et qu'on en finisse. Il ne serait pas capable de les sortir indemnes de cette guerre-là cette fois.
Quand les serres noires d'Erynn se refermèrent sur les pans de sa cape pour le soulever par le col, il n'eut qu'un faible geste de surprise et de résistance, ses mains se crispèrent mécaniquement sur la sienne et un hoquet lui traversa la gorge. Sa tête lui tourna. Pendant quelques secondes, il oublia comment respirer. Ses yeux se voilèrent et il se sentit presque navré de devoir faire un malaise dans l'instant. Ses pieds flottaient dans le vide, ses jambes bringuebalaient comme si elles ne lui appartenaient plus.
Le seul vrai coup de poignard qui réussit vraiment à se planter froidement dans sa poitrine, ce fut l'apparition improbable des yeux brillants d'Erynn qui dissipèrent le vide de ses orbites. Cela suffit à lui faire prendre une profonde inspiration, qui se déversa comme une fournaise dans ses poumons, et il entendit chacun de ses mots avec une clarté insupportable.

Elle le relâcha tout à coup et il sentit toute sa carcasse s'effondrer comme une masse inerte sur le banc, abasourdi. Quand il réussit à relever la tête vers elle, cependant, le spectacle qui l'attendait réussit enfin à l'horrifier. C'était le moment, on y était, ça allait arriver, et c'était de sa faute, évidemment. Qui d'autre pour se réclamer une telle catastrophe ? Il n'y avait que lui qui était capable de faire ça.
Il restait là, épuisé sur son banc, paralysé, et il ne savait ni ce qu'il devait faire, ni ce qu'il avait le droit de faire pour l'aider, ni s'il y avait bien quelque chose à faire. Il ne put que plonger son front dans ses mains cassées et frémissantes en le voyant enfoncer ses griffes dans son visage et la chair se refermer en fumant sur ses plaies sanglantes. Sa gorge se serra violemment, et il ressentit presque comme une délivrance le moment où elle se retourna vers lui pour l'accuser à grands cris. Il l'écouta enchaîner rageusement ses questions, sans ouvrir la bouche, le regard hagard, et il ne releva absolument rien.
La vérité... ? Il réfléchit intensément, le front plissé de concentration, pour tenter d'échapper aux murmures incessants de l'armure. La vérité, c'était que tout était foutu maintenant. Il avait voulu sauver les meubles et il se retrouvait là, à crever pitoyablement, ses projets à moitié consommés, après avoir seulement réussi la phase de son plan qui consistait à frapper Erynn dans le dos. Était-ce bien ce qu'elle voulait entendre ? Il secoua la tête faiblement. Elle n'y était pas, elle n'y était pas du tout.

Et tout à coup, il se prit son poing dans la figure. Il étouffa un bruit surpris et s'ébroua rapidement, les yeux pleins d'étincelles déchirantes, puis il siffla entre ses dents en frottant sa pommette contre son épaule. Il se demanda un petit instant quelle force de la nature lui donnait d'être encore conscient, mais il n'eut pas le temps de s'y intéresser davantage, parce qu'elle écrasa ses mains sur les siennes contre le banc et que la douleur le projeta en arrière. Et là-dessous, ça pissait le sang comme un feu d'artifice de fête nationale, ses os broyés se fissuraient dans des bruits insupportables, mais pire que tout, elle s'était presque collée à lui et le contemplait avec une haine si intense que toute sa douleur physique lui semblait terriblement dérisoire.
Il suffoquait péniblement, mais il ne la quittait pas des yeux. La colère lui nouait les tripes. Ses dents crissèrent les unes contre les autres et il contempla son œuvre, ce visage couvert de cloques, qui sentait le souffre, la cendre et le sang, avec une résolution inébranlable. Il n'avait pas l'intention de se lever, ni de fuir, il était exactement à l'endroit où il devait être pour une fois. C'était très bien comme ça.

Et tout à coup quelque chose explosa dans ses mains, brûla ses veines comme une ligne de poudre et lui fit sauter la cervelle. Il n'y eut plus rien. Un grand soleil laiteux, à la blancheur aveuglante. Très brièvement, là, un tout petit moment. Il ne se souvint plus de rien. Il ne ressentit plus rien. Il n'avait plus mal.
Un grand sursaut de noyé l'ébranla tout entier, et il se replia sur lui-même pour tousser à s'en rompre les bronches. Qu'est-ce qui s'était passé ?! L'armure, l'armure, elle aurait dû... Non.
Le gantelet lui glissa de la main avec une étrange facilité et coula dans les serres d'Erynn, tandis qu'elle l'empêchait encore de bouger, et une sorte de petit rire insupportable échappa soudain à Léogan.

« Ça y est ? lança-t-il, avec ironie, encore incapable de voir clair, mais le fiel déjà plein la bouche. J'suis sûr que vous manquez pas d'imagination, ça peut encore continuer, mais dites-moi au moins que ça vous fait du bien. »

Il darda ses yeux noirs sur elle, sans la voir, les lèvres encore tirées d'un sourire mauvais. Il l'entendit néanmoins susurrer d'une voix venimeuse quelques faux mots d'amour – aussi faux que ceux qu'il avait prononcés ces derniers mois, pas vrai ? – et ce qu'elle dit réussit à faire tourner trois fois le couteau dans ses plaies et à le blesser plus encore qu'il ne le croyait possible. Son rictus s'évanouit et peu à peu, il finit par réussir à discerner les traits abîmés du visage d'Erynn, à quelques centimètres du sien, et à bouger insensiblement ses mains neuves, à en caresser la paume de ses doigts avec un réconfort affreusement amer.
Il s'attendait à beaucoup de choses, mais pas vraiment à ça. Il ne trouva d'ailleurs rien à répondre. Son cœur battait à toute vitesse. Pourquoi le laissait-elle partir ? Il ne voulait pas partir. C'était pas ce qu'elle devait faire. Elle devait lui casser tous les os, elle devait le réduire à rien, pas le soigner et le laisser partir. De toute façon, haha, elle le bloquait encore contre le dossier de son banc, et il était bien trop affaibli et exsangue pour la forcer à se dégager. Il ne bougea pas.

Silencieusement, elle se redressa devant lui et considéra le gantelet dégueulasse de l'armure avec intérêt. Il frémit, d'un instinct plein de terreur et d'un manque abject. Il se tendit à son tour et la regarda d'un œil menaçant, comme un chien prêt à mordre, sans distinguer de sa peur de la voir enfiler ce gant et n'avoir pas le pouvoir de l'en protéger, et celle d'être spolié de cette saloperie sans laquelle il ne pouvait plus vivre, et qui l'avait déjà trahi en permettant à Erynn de le soigner.

« ENLEVEZ ÇA NE METTEZ PAS CE... »

Il ne put se retenir plus longtemps et bondit en avant. D'un geste brusque, il lui arracha le gantelet des griffes et le ramena vers lui, les yeux rivés sur elle avec une sévérité fatiguée. Les conséquences de cette audace presque suicidaire tandis qu'elle était en droit de venir assouvir sa vengeance sur lui – il le lui permettait, après tout, elle pouvait faire ce qu'elle voulait de lui – ces conséquences importaient peu. Elle se comportait comme une idiote.

« Ça suffira, martela-t-il d'un ton grave. C'est bon... J'ai merdé de tous les côtés, c'est pas la peine d'en rajouter une couche. Et... ça ne servirait à rien, de toute façon. »

L'armure avait déjà un porteur. Un porteur presque vaincu qui plus est – elle n'allait pas se fatiguer à en soumettre un autre, d'autant qu'Erynn et Exanimis étaient ensemble d'une autre trempe. Cela ne signifiait pas qu'elle ne lui ferait pas de mal, pourtant, et Léogan n'était pas prêt à courir ce risque. Il avait vécu trop longtemps sous l'influence de cette malédiction pour mal juger de son pouvoir. Même si Exanimis réussissait à envoyer bouler l'intrus d'une pichenette sur le museau, cette chose en savait déjà trop sur elle, et il lui suffirait sans doute d'une petite piqûre chirurgicale, d'une anecdote de cauchemar, d'une vision fugitive et destructrice, d'un rien, pour la faire sombrer davantage dans la folie. Elle serait réduite en morceaux. Et il serait encore vivant ; insupportablement vivant. Sa mâchoire se crispa férocement.
C'était bien ce qu'elle voulait. Se torpiller, c'était le pire qu'elle puisse faire pour le blesser, et lui faire sentir qu'il en était le seul coupable – comme s'il ne le savait pas assez bien –  ça devait ressembler pour elle à une merveille de vengeance. Seulement il n'était pas question qu'il la laisse faire.

« Vous êtes furieuse contre moi, admit-il calmement. Très bien, c'est normal. C'est à moi qu'il faut vous en prendre, pas à vous-même. »

Ses traits se durcirent froidement, mais il essuya la transpiration sanglante qui luisait sur son visage d'un coup de manche nerveux, avant de se laisser tomber contre le dossier du banc, à bout de forces. Elle pouvait lui démolir la gueule jusqu'à ne plus le reconnaître elle-même si elle le voulait, si ça la soulageait, si ça épuisait un peu toute la violence de son dégoût, si ça pouvait aider. C'était juste. Mais elle n'avait pas le droit de se foutre en l'air juste pour lui, ça lui soulevait le cœur, ça lui donnait envie de vomir toutes ses tripes et de se vider là de sa pitoyable substance – c'était effroyablement absurde. Et elle disait ne pas avoir signé pour une nouvelle romantique de bas-étage ?! Oh vraiment !
Ses yeux noirs, intransigeants, qu'il fixait sur elle comme jamais il ne l'avait fait, avec cette force glaciale qu'autrefois elle aurait peut-être pris pour de la supériorité de créature multicentenaire – finirent par la quitter dans un battement de cils. Le gantelet de l'armure s'embrasait dans sa main et un manque monstrueux hurlait dans tout son corps. Il avait le besoin physique, dévorant, de le rajuster sur sa main et de le sentir palpiter de puissance comme un de ses propres membres. Cela faisait déjà de longues secondes qu'il contemplait cette pièce de métal nacrée sur ses genoux. Il prit une inspiration tremblante et repoussa ses cheveux poisseux en arrière, puis il ferma les yeux, trop douloureusement conscient de la présence torturée d'Erynn devant lui. Un bourdonnement assourdissant obsédait ses oreilles et se fracassait méthodiquement dans son crâne. Il sentait quelque chose en lui, qui enroulait ses anneaux brûlants autour de sa lucidité et la comprimait dans un étau de plus en plus oppressant... Il fallait qu'il se maîtrise. Les cauchemars lui avaient montré ce qu'il était capable de faire dans un coup de sang, aveuglé par la rage ou la démence, et il se rappelait trop bien chacune des nuits où il avait rêvé qu'il l'avait tuée. A force d'inconstance, à force de lâcheté, à force de peur. Il lâcha brutalement le gantelet qui tomba sur le sol et rebondit dans un bruit cassant et plein d'échos. Ses mains se crispèrent sur son front et il redressa brutalement la tête pour tenter de se ramener à la réalité.
Il fallait qu'il parle. Il fallait qu'il pense à quelque chose de concret et de précis, il fallait qu'il lui explique, il fallait qu'il remette de l'ordre dans sa tête, ou tout allait sauter.
Les mots tombèrent de ses lèvres avec sécheresse, tandis qu'il se réhabituait à la lumière et que la silhouette déformée d'Erynn, rongée par une noirceur viciée, lui apparaissait de plus en plus nettement, et de plus en plus métamorphosée et corrompue à mesure que le temps passait.

« J'ai merdé, j'ai raté, mais j'ai essayé un truc, je veux pas que vous disiez que j'ai rien foutu, parce que c'est pas vrai. Seulement, ce n'est pas si facile, figurez-vous. Ça revient pas juste à trois petits choix de merde, ça revient pas juste à 'oh vais-je aimer, abandonner ou trahir cette cruche d'Irina', non, navré, oh vraiment navré, mon ange, si c'était aussi évident, on s'rait p'tet en train de se compter les dents avec la langue, là, plutôt que de se vomir dessus, vous croyez pas ?! »

Son visage était levé vers elle avec arrogance. Un rictus ironique le traversa et puis soudain il perdit la force de le garder tendu comme ça, il le laissa tomber sur sa poitrine dans un soupir.
Pourquoi était-ce si compliqué exactement ? Pourquoi était-ce si compliqué ? Pourquoi n'était-il pas capable d'en venir où il voulait, de réussir un truc, une fois, sans anicroche, comme ça, d'un coup d'un seul, brillamment, au moins une fois ? Seulement cette fois... Qu'est-ce qui clochait chez lui ? Est-ce que c'était ses décisions, qui n'avaient aucun sens, qu'il prenait en vrac et qui ne faisait qu'aggraver les choses qu'il voulait sauver ? Était-ce qu'il était complètement con, une fois pour toute, ou était-ce qu'il fallait prier un dieu pour que quelque chose dans sa vie fonctionne un jour ?!
Il scruta silencieusement la femme qui se tenait là, face à lui, tremblante de fureur, et il tenta de retrouver Erynn derrière les lambeaux de peau brûlés, l'armure démoniaque et les griffes acérées, et à travers le chaos qui battait son plein dans sa cervelle, il ressentit une tristesse intense qui le transperça de part en part.
Bravo, Léogan. Bravo, bien joué. T'as réussi ton coup. 'Ça n'en a jamais valu la peine', pas vrai ? Elle a compris la leçon, on dirait, tu fais vraiment un extraordinaire pédagogue.
Rien n'avait vraiment changé. Erynn continuait à nourrir ce monde vorace de sa substance, sans s'en nourrir elle-même, et lui, il était pareil au monde, il était un vampire parmi tous les autres, plus avide et plus affamé peut-être même – il n'était capable que de lui faire du mal.

« Ça ne devait pas se passer comme ça... protesta-t-il, d'une voix rauque, aussi bien contre lui-même que contre les accusations qu'elle avait crachées sur lui avec répugnance. Je m'étais dit que ce soir, je démissionnerais... Que j'enverrais Elerinna loin, que je lui sauverais les miches, bon, encore, mais qu'elle rentrerait chez sa famille de dégénérés et qu'on aurait plus rien à voir avec elle. Je pensais... J'en sais rien ! s'exclama-t-il soudain dans un sursaut, les yeux étincelants de rage. Que c'était possible de faire une connerie de boulot honnête pour une fois dans le coin ! Armurier, guide, maître d'armes, facteur d'instruments, bordel je sais pas, quelque chose ! »

Il se redressa péniblement et rapprocha son visage de la figure sulfureuse et maladive d'Erynn. Tout ça l'énervait. Fallait-il qu'il lui redise tout ce qu'il avait voulu pour eux et pour Aemyn ? Qu'il lui fasse un bilan complet de ses projets, de ses actes et de ses échecs systématiques ?
Le gantelet irradiait d'une chaleur intolérable à ses pieds. Son cœur bondit dans sa poitrine brutalement et il frappa un grand coup de pied dans la pièce de métal qui valdingua à travers la pièce et gémit un crissement interminable dans son crâne. Il grinça des dents presque de douleur et sur ses yeux crépitèrent des taches rouges et dansantes – le serpent, le lit, le couteau, le sang, les cheveux rouges, le serpent... – c'était à s'en fracasser la tête contre les murs.

« Vous croyez vraiment... articula-t-il, en contenant de plus en plus difficilement sa violence. Que c'est ça que je voulais ?! Une armée de quinze-mille débiles et une petite pute qui me dit la gueule à peine de travers 'oh écoute Léo, tire pas cette tronche et ramène-moi Elerinna dans dix heures ou je rase tous les villages pouilleux de la côte, tu peux faire ça au moins, non ?' » imita-t-il, avec un débit frénétique, les yeux agrandis de démence.

Ses doigts se crispèrent sur le banc, ses ongles s'enfoncèrent dans le bois, il avait l'impression de contenir une dizaine de barils de poudre à canon prêts à exploser.

« 'Oh mais bien sûr ! Avec plaisir, et quelques morceaux de glace dans ton cognac, mon vieil ami ? Merci, trop aimable !' C'est ce que vous me voyez répondre peut-être ?! Facile pour un salaud ! A l'évidence ! » cracha-t-il, brûlant d'une fièvre dévastatrice.

Il aurait voulu se lever et renverser toutes les lampes de la salle par terre et de faire grandir le feu qui crépitait autour d'eux dans des odeurs d'encens – c'était ridicule, ça ne servait à rien, mais il n'avait pas la force de faire davantage de bruit et de fureur.
Pardon, Erynn, ce n'est pas ce que je veux faire, pourquoi ne me fais-tu pas taire ?

« Ça a juste foiré, et j'ai dû me démerder !  s'écria-t-il, d'une voix cassée, dardant son regard hanté sur elle. Mais vous en savez rien, vous, pas vrai ?! Vous avez pas le cul entre deux chaises, non, vous êtes là pour une raison, vous avez... Hellas ! fit-il d'un ton grandiloquent, braquant son visage au-delà des arches de pierre, où au loin, derrière les jardins du temple, des lumières s'affolaient dans les rues de la cité. Vous suffit d'rester bien digne et d'faire votre... devoir ! Le reste, ça dépend pas d'vous, si ça contrarie vos plans, vous l'écrasez, si ça vous échappe, vous le laissez partir ! C'est tout ce que ça vaut, pour vous ? » gronda-t-il en se tendant comme un arc.

Il attrapa tout à coup Erynn par son bras gauche, la main serrée sur les écailles métalliques et noires comme la nuit, et il l'attira brusquement à lui pour couvrir la distance infâme qu'elle tenait à creuser entre eux pour le temps qu'il leur restait à vivre. Il reprit son souffle et la contempla d'un air de défi, à quelques centimètres à peine de son visage.
Ils valaient moins qu'Hellas, après tout, pas vrai ? Ce n'était pas si important. Léogan pouvait très bien se tirer aussi loin que le soleil se couche, il restait Cimméria, sa chère patrie à qui elle aurait vendu son âme plutôt que de lui appartenir à lui comme elle avait prétendu le vouloir... Voilà, mon amour, et bon voyage ! Oh pitié !
Au fond de lui, quelque chose avait envie de gifler Erynn. Au fond, sous l'embouteillage de remords et de désespoir, il y avait quelque chose qui rugissait la colère de ne pas mériter qu'elle se batte pour lui et qu'elle le retienne, quelque chose d'égoïste et de monstrueux qui montait, montait et allait bientôt déborder en vagues corrosives.
C'était toute l'importance qu'elle y accorde parce que c'est tout ce que ça vaut, Léo. Rien de plus.
Une émotion violente envahit ses prunelles noires et il déglutit difficilement. Oui, c'était sa faute. Il avait fait tout capoter, mais merde à la fin ce n'était pas en restant les mains dans les poches. Ça valait quelque chose, au moins pour lui. L'emprise de sa poigne autour du bras transformé d'Erynn se resserra férocement et il la tira plus près encore de lui, quitte à faire monter encore d'un cran la répulsion de la jeune femme.

« Ouais je ne suis qu'un foutu idiot, grogna-t-il, entre ses dents, j'ai aucune ambition, aucun mérite, aucun honneur, peut-être même aucune parole, je vous fais mal, mais je ne suis PAS un lâche. » Il s'interrompit un instant, presque surpris par sa propre défense. Il le pensait pourtant. Il ne s'était pas fait tant de mal ce soir pour se laisser taxer de lâcheté comme tous les jours où il n'avait rien tenté de peur de tout faire échouer. Il n'était pas un lâche. « En tout cas j'essaie de faire en sorte, parce que putain oui, vous savez quoi, si j'écoutais que mon instinct de survie, je serais à des lieues de ce putain de trou de ville, sans rien mais vivant ! »

Un spasme secoua sa poitrine. Ses doigts se contractèrent autour de son bras jusqu'à lui faire mal – s'il avait retrouvé ses mains, ce ne serait certainement pas pour la laisser partir. Son regard, pourtant, vrilla d'une faiblesse soudaine et sa voix coula plus doucement dans son souffle, presque imperceptible sur le visage supplicié d'Erynn :

« Mais je peux pas m'en aller sans vous, vous comprenez pas... ça ? »

Il la regarda avec tristesse. Oh, elle lui avait offert sa confiance, elle lui avait tendu la main pour le relever, mais quand prendrait-elle conscience qu'il lui avait remis tout ce qu'il était ce jour-là ? Il n'avait rien d'autre qu'elle. Le reste, si ça pouvait se vivre, ce n'était que du néant. Pourquoi ne le comprenait-elle pas ? S'il n'avait pas été lâche, ce soir-là, s'il n'avait pas été faire son sac et seller son cheval pour mettre les voiles après avoir vu ce qui se préparait aux remparts d'Hellas, ce n'était sans doute pas pour donner sa vie à Elerinna. Il en avait assez fait pour elle, il n'avait plus rien à lui donner. Quoi qu'il en coûte à son cher instinct de survie et sans doute aux conseils de priorité de ce vieux Fenris, il ne pouvait pas laisser Erynn et Aemyn derrière lui. Sans eux, il n'y avait que du vide en lui.
Mais il était certainement trop tard. Il avait mal joué. Ou alors il n'avait pas eu assez de cartes en main pour jouer autrement. Il devrait probablement foutre le camp aussi loin que le galop d'Ode pourrait le porter cette nuit-là ; ce qu'il avait fait et ce qu'il se préparait à faire ne resterait pas sans conséquence. L’État-major ne le laisserait pas s'en tirer comme ça. Il en avait fait assez pour finir à Umbriel dans un trou voisin de Torenheim pour de très longues années. Quelle ironie...
Une colère affreuse remonta en lui à cette pensée et il réalisa qu'une seule démonstration de tendresse à l'égard d'Erynn ne ferait qu'aggraver sa douleur au moment où il devrait vraiment partir. Peut-être qu'il valait mieux qu'elle le haïsse, au bout du compte. Peut-être qu'il valait mieux qu'elle noircisse son portrait avant de le planquer au fond d'un tiroir. Peut-être qu'il aurait mieux valu la laisser seule et ne pas l'approcher dans ce désert.

« C'est peut-être une erreur, grinça-t-il. C'est ce que vous pensez, non ? Argyrei, tout ça, c'était une erreur ? Ou est-ce que vous croyez plutôt... Que je l'ai fait exprès ?! C'est bien possible, après tout, tout est si noir autour de vous ! Les hommes sont de tels enfoirés... ricana-t-il, avant de se sentir envahi par un grand élan d'horreur, aux souvenirs de ces derniers mots, de ces mensonges qu'elle avait prononcés comme un clou qu'elle aurait enfoncé dans sa tête, et qui jamais ne s'arrête. Alors c'est ça ! Allez vous choisir une  Verna, et puis si vous trouvez que c'est pas encore assez, vous pouvez toujours vous la taper devant moi – je suis même capable de protéger votre plumard pendant, vous savez... »

Il l'avait déjà fait.
Un sourire grimaçant s'empara de ses lèvres flétries. C'était dégoûtant, c'était si extraordinairement minable tout ce qu'il était capable de supporter sans se révolter ni même sourciller.

« Oui, tiens, je l'ai fait exprès, ça me fend la poire, je prends mon pied, se marra-t-il, d'un rire froid et sans joie. C'est ce qu'elle vous a dit... ? »

La question avait été abrupte, mais le timbre plus fragile. Était-elle donc aussi bouleversée que les paroles de cette ancienne rivale, qu'elle méprisait, parvenaient elles aussi à lui faire mal ? Qu'est-ce qu'Elerinna avait bien pu lui dire ?! Quelle horreur absurde avait-elle pu prétendre, en disparaissant du temple – grâce à lui ? La panique s'engouffra soudain dans ses poumons et il ouvrit de grands yeux en relâchant enfin le bras d'Erynn.  
Il contemplait encore ce visage détruit, d'un blanc terne et rompu, et ses grands yeux verts au milieu, à moitié voilés, et il constata bizarrement qu'il n'éprouvait à cet instant où il aurait pu tout endurer, aucune peur à l'égard du démon. Il ne parvenait toujours pas à le confondre avec Erynn elle-même. S'il fallait qu'elle se transforme pour prendre une nouvelle figure, c'était qu'elle perdait quelque chose en chemin. Et c'était précisément cela, cette étincelle qui faisait d'elle celle qu'il aimait, qu'elle était en train de perdre en devenant cet avatar tout-puissant de la haine et de la vengeance.
Et si elle avait bien besoin de lui, au fond... ?
Il tendit lentement la main vers Erynn, les traits défaits de toute expression de sarcasme, et il posa doucement ses doigts sur son visage, où il essuya du pouce une trace de sang qui séchait. Elle était chaude, comme brûlante d'une très forte fièvre, il fronça imperceptiblement des sourcils, soucieux au milieu de sa propre brume. Ses doigts glissèrent sur sa pommette et effleurèrent sa joue, qu'il caressa légèrement en s'imaginant, ou en espérant, peut-être, vainement, que le contact de sa main neuve sur la peau craquelée, abîmée, cassée de son visage la soignerait aussi, la rassurerait et soulagerait l'incendie de démence qui courait dans ses veines.
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Anonymous Invité
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MessageSujet: Re: Anything but Love ¤ PV Irina   Anything but Love  ¤  PV Irina Icon_minitimeVen 13 Fév - 19:16


Anything but Love

Léogan . Irina

Léo avait toujours pensé qu'Erynn -et Exanimis à travers elle- ne constituaient qu'un duo inséparable et incertain, une équation indivisible avec laquelle il était toujours possible de conjuguer, pour peu qu'on sache faire preuve d'un peu de subtilité. Il l'avait toujours regardée d'un œil critique où l'empirisme prenait sans cesse le dessus, comme pour se rassurer face à cette vérité un peu trop dure à avaler. Il avait préféré croire qu'elle n'était qu'une victime à moitié consentante de ce parasite millénaire, plutôt que d'accepter qu'elle ait pu abriter un être tel quel lui pour plusieurs bonnes raisons. Or à les regarder ainsi unis au bord d'un gouffre vertigineux et menaçant, il n'y avait pas de place pour les coïncidences ou le hasard. Ils étaient une seule et même personne non seulement parce qu'ils partageaient un seul corps, mais aussi parce qu'un seul élément demeurait scindé distinctement : leurs consciences. Ce n'était pas pour autant que leurs volontés ne pouvaient converger, et à vrai dire en cette perte progressive de contrôle il y avait justement une communion presque parfaite, une jonction si puissante de leurs ressentis décuplés qu'il devenait virtuellement impossible de les contenir.
Exanimis n'était pas responsable de la colère qui lui sciait les muscles et lui vrillait la cervelle. Il serait tellement plus simple de le penser, et pourtant... Pourtant elle se servait du démon comme d'un exutoire, libérant enfin toutes ces choses tues à grande peine depuis des mois. Toutes ces rancunes mises de côté pour ne pas gâcher les efforts faits depuis tant de temps, toutes ces ripostes barbares qu'elle avait brûlé d'ébaucher de tous les côtés, comme un cheval fou qui ne peut plus s'arrêter une fois sa course lancée. Et maintenant ? Maintenant qu'importe. Qu'ils brûlent tous dans ce brasier qu'ils avaient créé de toutes pièces. Enfer que tout cela ! Elle pouvait bien être le monstre d'insensibilité, la mégère pernicieuse que dépeignaient les rumeurs, tout cela lui était bien égal. En fait elle se ferait un plaisir de leur donner raison. Qu'ils s'étouffent avec leurs jugements, qu'ils accrochent leurs valeurs fantaisie à leurs boutonnières, se pavanant le torse bombé de certitudes creuses et de bonne conscience !

Et puis de fait qu'est-ce que ça pouvait faire à tout ce beau monde -à commencer par Léogan- qu'elle ait passé un pacte avec une entité inconnue -fusse-il démon, dieu oublié et exilé ou vulgaire fantôme- ou qu'elle ait pu lui vendre son âme dans le processus ? Qu'est-ce que ça pouvait leur faire, à tous ces gens qui ne s'étaient pas souciés de son sort pendant toutes ces années ? Leur était-il seulement déjà passé par l'esprit que peut-être elle se sentait désormais complète et plus en paix avec elle-même qu'elle ne l'avait jamais été ? Mais non, tous continuaient à croire à Irina, la gentille Irina, la femme exemplaire qui avait sauvé le monde d'une épidémie mortelle, la prêtresse bienveillante et altruiste. Pfeuh. Le dédain se laissa lire sur ses traits à moitié défigurés, tandis que son regard absent voguait dans le vide. Cette seule idée lui donnait envie de leur cracher dessus, tous autant qu'ils étaient. Elle n'était pas cette idole de cristal qu'on vénère et qu'on admire de loin pour ses exploits, comme une vierge immaculée, indigne d'être approchée par des mortels qui la souilleraient irrémédiablement. A vrai dire ces conclusions stupides de ceux qui continuaient de se prétendre ses amis fidèles, ses proches absents à l'heure de vérité, tout cela lui donnait encore plus envie de tout envoyer valser, de tout détruire pour au moins enlever les sourires faussement compatissants de leurs visages. Et justement là était tout le problème. Ils pensaient savoir, ils pensaient saisir et pourtant ils ne comprenaient rien.
Prise d'une douleur plus aigüe, Erynn serra les dents pour encaisser et se plia instinctivement en deux. Lorsqu'elle put enfin se redresser, après des secondes de vide pénible qui lui parurent une éternité, elle fit à nouveau face à son amant... Celui qu'elle avait estimé être bien davantage. Léogan. Elle prononça doucement et savoura le goût acide de son prénom sur sa langue avant de le toiser d'un regard à la fois amer et triste. Les faits lui apparurent brutalement et sans appel : Il était comme les autres, au fond. Il l'accusait de mettre sa cause avant leur relation mais lui, qu'avait-il fait ? Il avait attendu qu'elle ait le dos tourné pour faire cavalier seul et prendre des décisions, non... des trahisons dont elle l'aurait jugé incapable. Sans doute avait-elle préféré surestimer ce qui les liait. Oui, sans doute n'était-elle qu'une sotte pour y avoir cru. Ce fut le déclic.

Il voulait la liberté. Elle la lui offrirait sur un plateau d'argent. Au moins il ne pourrait prétendre qu'il avait été retenu par la demande d'une femme, le sens du devoir ou l'amour d'un travail bien fait. Non, il serait libre et il prendrait ses propres décisions, seul. Erynn elle, n'était plus qu'un personnage secondaire, un rôle qu'elle acceptait volontiers après avoir été transformée en risée générale. Avec la violence de la déception, elle le guérit de force et lui insuffla l'énergie dont il avait besoin pour accomplir ce qu'il voulait. De fait peu lui importait maintenant qu'il quitte cette ville et la fasse brûler en même temps que tous ceux qui étaient dedans, elle y compris. Plongeant ses yeux dans les siens pour ce qui était certainement la dernière fois, Erynn répondit plus froidement qu'elle ne l'aurait cru. Dans sa tête il n'y avait plus de doute.

« Cela me fait énormément de bien de savoir que j'ai l'occasion de vous faire face avant que vous ne vous en alliez rejoindre votre Précieuse. Et puis j'ai bien le droit de garder un petit souvenir. Ce n'est pas cher payé pour m'avoir fait briser mes vœux. »

Elle n'avait pas souvenir d'en avoir parlé, et honnêtement elle ne pensait pas non plus qu'il s'en soucie. Bien qu'il se soit toujours montré respectueux envers la religion en général elle ne l'avait jamais considéré comme un vrai croyant, peut être aussi parce qu'il n'était pas vraiment capable d'en parler sans faire preuve de sarcasme et de détachement. Il n'était pas non plus question de le faire culpabiliser, après tout si elle visait à le blesser la foi ne serait pas le domaine qu'elle aurait privilégié. Néanmoins la référence sembla le tirer de sa torpeur et comme mu par un ressort tout juste découvert, il lui prit le gantelet d'entre les mains avec une urgence qui ne lui disait rien qui vaille. Oh, hé bien il se retrouvait du cran ? Penchant la tête sur le côté elle n'eut pas le réflexe de l'empêcher, bien qu'elle n'en saisisse pas trop la raison. Entre le bouillonnement qui la cuisait de l'intérieur, la surprise et le contrecoup du soin, Erynn avait perdu de sa vitesse de réaction. Cependant son besoin de faire justice lui, était toujours intact.

« Je rajouterai autant de couches qu'il me plaira. » Son ton se fit froid, tandis qu'elle continuait de l'observer d'entre ses paupières plissées par le mal-être. Son côté gauche n'était plus qu'un tas de chair piétinée et froissée, et même son œil cessa de s'ouvrir. En un sens elle voulait qu'il s'en aille, qu'il soit débecté par cette apparence et qu'il finisse par claquer la porte sans se retourner, lui permettant ainsi de régner sur ces ruines d'une vie passée. Et pourtant, au delà de la souffrance qui la déchirait en deux, Léo continuait de se vouloir conciliant et mesuré. Maudit soit-il, pourquoi se voulait-il raisonnable ? Elle pesta. « Oh vraiment ? Il fallait y penser avant. » Elle ne voulait pas de sa pitié, de son inquiétude ou de phrases creuses où il trébuchait sur chaque mot. Ce n'était pas pour le retenir qu'elle explosait, c'était au contraire pour le blesser le plus possible avant qu'il ne s'en aille. Erynn ne serait pas une autre de ces amoureuses éconduites pleurant jusqu'à se vider de toute vie. Elle ne serait pas de ces faibles. D'ailleurs quand il reprit de sa verve pour lui répondre avec une agressivité renouvelée, la prêtresse ne put s'empêcher de sourire de satisfaction. Il était pris à son propre jeu, poussé jusque dans ses retranchements. Il exultait et se débattait, mais au fond de ses yeux il y avait un gouffre béant, l'accueillant à bras ouverts. C'était tout ce qui comptait.

Son corps se redressa finalement avec peine, grinçant presque de ses mécanismes rouillés, et en même temps que la rage Exanimis se souleva, mû par la fierté plus que par quoi que ce soit d'autre. Le démon en elle brûlait d'écraser cette chose ridicule qui dévorait l'esprit tourmenté du sindarin, de la détruire pour asseoir sa supériorité incontestable. Par ailleurs il ne pouvait s'empêcher de remarquer comme ce petit homme se faisait si aisément aveugler, de quelle façon sa volonté médiocre se faisait saborder par l'esprit maudit et morcelé. Erynn le renvoya dans les limbes d'un recoin de sa tête, tombant en lambeaux petit à petit. Elle n'avait même plus la force de répondre à chacune des questions absurdes que lui posait le soldat, d'autant plus que réfléchir lui demandait un grand effort de concentration. Il fuyait. Il reconnaissait ses torts mais fuyait, il balbutiait et s'expliquait confusément, comme si à force de répéter son désarroi les choses finiraient par faire sens.
« Je ne veux pas d'explications. »

~ Et tu mens sans rougir de ta grossièreté. Je te félicite, femme. ~
« La ferme. »
~ Tu ne comptes même pas lui faire une déclaration désespérée, une mention à Aemyn, un léger chantage affectif ? Je t'ai connu plus combative, cela me déçoit. ~
« ... »
~ Tu ne vas tout de même pas le laisser partir avec l'autre ? Regarde-le, il arrive à peine à alligner deux mots. Touche-le et fais le craindre de trahir Cimméria. Ou alors laisse-moi supprimer cette chose qui le tient sous son emprise. ~
« Va mourir. »
~ Ce serait dommage de laisser l'Enfant seul. Je te rappelle que je suis ce qui t'offre la possibilité de le voir grandir. Si je disparais, tu t'étioleras si vite... Si vite que ne sauras pas quoi faire du temps qu'il te reste. ~
« Et toi, tu as retenu Anima quand elle a disparu, quand elle t'a tourné le dos sans mot dire ? Qui sait ce qu'elle fait à l'heure qu'il est ? Peut être prend-elle du bon temps en compagnie d'on ne sait combien de soupirants. Après tout Simalia a une beauté que même la mort n'a su voler. Je ne serais pas du tout étonnée que ta chère et tendre lui ait offert une nouvelle chance, une nouvelle apparence. Tous tes semblables ne sont pas des ignorants narcissiques et inutiles. J'aime à croire que ton cas n'est pas une généralité. »

Silence. La voix féminine s'élevait bien qu'aucune réponse ne soit audible. Seulement elle n'était plus en état de faire la différence entre ce qui se soufflait dans tête et ce qui était prononcé par une voix réelle. Tout devenait flou, des frontières de sa rationalité aux repères les plus physiques. Les yeux clos, la rouquine était immobile, les mains sur les tempes comme pour retenir le flux interminable qui en sortait. Perdue, elle se demandait pourquoi Léo n'était toujours pas parti, pourquoi il lui faisait face avec cet air désolé, et pourquoi pour une fois il cherchait à se justifier plutôt que de l'envoyer au diable et poursuivre sa route. Ce n'était pas... normal. « Pourquoi... Avoir agi seul ? » S'il avait vraiment cherché à trouver un moyen de bien faire, de les débarrasser de cette femme abjecte, pourquoi ne pas le lui avoir dit ? Pourquoi ne pas avoir demandé à Arthwÿs de lui transmettre ce message par télépathie, comme il l'avait fait avec Elerinna ? Elle ignorait toujours ce qui s'était dit, mais elle savait que cet échange avait bel et bien eu lieu. Et c'était suffisant à laisser planer le doute. Surprise, Erynn sursauta au bruit métallique que fit le gantelet en valdinguant dans un autre coin de la pièce. Toutefois plein d'autres choses étaient encore gênantes dans ce récit, notamment le bien fondé de cette décision qu'il avait prise sans consulter l'état major, ou au moins, la consulter elle. Avait-il craint qu'elle sacrifie la cité entière pour tuer Elerinna ? Certes l'idée était tentante, mais...

« Et vous vous avez été assez débile pour croire qu'une 'petite pute' -qu'un type assez stupide pour croire à ses fantasmes et mener son armée- accepterait de faire comme si de rien n'était en échange de l'escorte de madame sa sainteté ? Vous y croyez, à ça ?! » Elle contempla sa main gauche où se logeaient d'étranges étincelles crépitantes, et la referma aussitôt pour les emprisonner. Il s'attaquait maintenant à ce à quoi elle croyait, comme si le fait d'avoir un camp défini facilitait tout le reste. « Non, pas de ça avec moi. Ne me jetez pas votre indécision à la figure comme si j'en étais la responsable ! Ne me faites pas la morale sur la facilité de ma position, vous n'avez aucune idée de ce que ça représente. C'est bien facile de jeter la pierre, quand au final on n'est dépendant que de son propre courage à agir ! » Elle ronchonna et porta une main à son visage. Il était toujours aussi brûlant, et même sa main saine commença à roussir à son contact. La blessure se referma immédiatement mais elle ne put réprimer une plainte étouffée. Merde à la fin. « Vous vouliez savoir pourquoi j'ai toujours refusé de chercher à vous faire changer de camp ? Pourquoi j'ai évité de prononcer son nom ? Pourquoi avoir refusé de mélanger les choses ? Pour éviter ça ! » Elle fit un geste vague du bras, dodelinant de la tête d'un soupir à peine ravalé. C'était finalement lui qui avait tout remis sur le tapis de la plus horrible des façons, en la mettant au pied du mur, dans cette situation inextricable.

Il la saisit par le bras et la força à le regarder. Avec peu de force elle tenta de se dégager, seulement son corps entier lui faisait mal et le simple fait de se secouer lui donnait le tournis. Alors elle l'écouta fulminer de tout son soûl, lui exigeant presque de retirer ce qu'elle avait dit. Oh, alors comme ça il se vexait parce qu'elle l'avait traité de lâche. Comme quoi tout arrivait en ce bas monde. Tout, même le plus improbable. Une grande première qui hélas ne lui disait rien qui vaille. Pourquoi ce soudain changement après autant de temps ? La jeune femme sourit avec sarcasme, peinant à le regarder comme il se doit dans son état. Blessée par ce qu'il sous-entendait, elle lui répondit sur le coup. « Alors si ça vous tient tant à cœur, pourquoi ne pas avoir fui loin, 'sans rien mais vivant' ? »

Elle imita son intonation, ce qui parut bien artificiel de sa voix blanche et chargée. Erynn serra les poings pour ne rien lâcher face à l'exigence de son étreinte. Ce n'était presque rien en comparaison de la chaleur qui lui faisait prendre feu en dedans. Là, agitée par les bras masculins qui voulaient des réponses, et secouée par le nombre de démons intérieurs dont Exanimis n'était que le chef de file, elle eut un instant d'absence. Ses yeux étaient toujours du même vert profond, et pourtant son corps avait cessé de répondre. La voix sépulcrale du déchu prit alors les commandes, s'élevant sans prévenir et interrompant ce que son hôte avait à dire.

« Elle se laissera mourir. Elle le fait déjà, d'une certaine façon. » Les mots étaient froids mais rudes, pleins de la certitude de quelqu'un qui sait bien plus que d'autres n'en apprendront jamais. Les lèvres d'Erynn ne bougeaient pas, et pourtant Exanimis parlait distinctement, avec agressivité mais aussi la confusion des mots qui se bousculent. Pas de menace, pas de condition et surtout pas l'arrogance qui le caractérisait. Seulement un claquement dans l'air, et une voix familière qui résonna dans l'air, comme pour reproduire ce qui avait eu lieu plus tôt.

« Mais je ne pars pas seule, vois-tu. C'est toi, ma mignonne, qui va finir toute seule, à pleurer, la fin de tes jours maudits... Toi, et toi seule! Léogan, vois-tu, viens de m'offrir l'opportunité de m'enfuir, tranquillement, sans que tu puisses rien y faire. C'est exactement ça, ma mignonne, indécente, vipère, calomnieuse, engeance du démon, catin! Tu es impuissante désormais: tu ne peux rien y faire: je vais fuir, et tu ne vas pouvoir que constater ma disparition. Passe le bonjour pour moi à Lyrië, et mes plus sincères salutations! Je te retournerai celle de Léogan en retour, lorsque nous serons loin! » Les décibels montèrent désagréablement en même temps que le fiel de la sindarine. « Tu n'es qu'une petite ambitieuse. Tu te caches sous tes airs de juste, mais tu n'es qu'une conspiratrice, toi aussi, comme toutes les autres ! Ce que tu viens de faire, Alana elle-même le connut. Tu ne fais que rejouer une scène mille fois jouée dans ce monde, et très mal, en plus, car tu y échoues. Vois : Je m'en vais, grâce à Léogan, et sans que tu puisses rien y faire! Quelle ironie hein? Mais ne t'inquiète pas. Je prendrai soin de lui, MOI. »

Exanimis lui fit grâce de son avis sur cette scène pathétique de part en part. Elerinna n'était à ses yeux qu'une poussière gênante dans son œil, et sa manipulation grossière ne valait pas mieux que sa tentative de garder le pouvoir par la force. Erynn quant à elle avait vécu trop d'abandons pour vivre avec recul ce qu'elle avait déjà pressenti comme le suivant. Néanmoins c'était autre chose qui le préoccupait, bien au delà du crêpage de chignon de deux mortelles. Il avait pris les devants pour dire ce que la nordique ne révélerait jamais, espérant qu'au moins un d'entre eux se réveille et fasse enfin preuve de bon sens. Autrement il faudrait passer à des méthodes un peu différentes... et il était à peu près sûr que personne n'en ressortirait indemne...

« Si Aemyn périt, le pacte périt aussi. Et si le pacte est brisé... je n'ai plus de raison de tenir parole. » Le démon se retira à nouveau brusquement. C'était suffisant, il comprendrait. Comme une marionnette dont on coupe les fils, Erynn cilla faiblement de son œil sain et s'écroula à moitié sur Léogan.
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Anonymous Invité
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MessageSujet: Re: Anything but Love ¤ PV Irina   Anything but Love  ¤  PV Irina Icon_minitimeJeu 19 Fév - 18:57

Il sentait l'énergie d'Erynn courir sous sa peau, chatouiller ses nerfs et éclore dans ses veines, toujours plus intolérablement puissante, alors qu'elle tremblait devant lui et menaçait de s'écrouler à chaque instant avec ce rictus victorieux qui tirait douloureusement son visage défiguré. Elle voulait le forcer à la faire plonger. Peut-être pour lui prouver qu'il n'avait jamais fait que l'assécher jusqu'à la moelle pendant tous ces mois de relation – et lui donner le moyen de finir le travail une fois pour toute. Sans doute qu'elle voulait voir si cela le détruirait aussi, de la torpiller pour de bon. C'était ce qu'ils avaient toujours fait après tout : tester jusqu'à quel point de non-retour ils pouvaient tester leur indifférence...

Il cligna des yeux d'incompréhension lorsqu'elle révéla venimeusement qu'elle avait brisé ses vœux pour lui. Ce n'était pas tant la rupture d'une promesse de foi pour sa pomme qui l'avait assommé, mais plutôt qu'elle l'avait tu et qu'elle s'en servait aujourd'hui pour lui montrer qu'il s'était servi d'elle, qu'il avait pris ce qu'il voulait et qu'il la jetait maintenant derrière lui comme un mouchoir usagé ! Son baratin, elle y croyait ? Et elle s'attendait à ce qu'il y croit ?! C'était d'une mauvaise foi écœurante.
Elle creusait la distance par tous les moyens, elle voulait juste qu'il se tire, et qu'il emporte avec lui le plus de blessures dont elle pouvait le marquer. Elle n'entendait aucune de ses explications ni ne voulait l'exterminer purement et simplement, elle faisait comme s'il était possible de l'effacer de sa vie d'un claquement de doigt alors qu'elle ne cachait rien des inspirations d'autodestruction qu'il lui inspirait à chaque instant. Elle pétait carrément les plombs, elle ne se rendait pas compte... Qu'est-ce qu'elle voulait, vraiment ? Tout ça n'avait aucun sens...
« La ferme. »

« Va mourir. »

Léogan tressaillit de stupeur sur son banc. Il regarda Erynn droit dans les yeux, le regard écarquillé. Cette vulgarité soudaine, qu'il n'avait presque jamais entendue de sa voix, lui coupa le sifflet quelque temps et lui broya la cage thoracique comme un grand coup de poing. Le regard d'Erynn était d'une froideur de pierre. Elle avait prononcé ces mots avec une telle conviction qu'il crut vraiment un instant qu'il se lèverait pour la quitter et partir comme elle le lui commandait. Il resta interdit un long instant, le corps trop lourd et l'esprit trop confus pour ébaucher un geste, et soudain il comprit que ce n'était plus à lui que la prêtresse s'adressait, mais à Exanimis lui-même qui s'était apparemment manifesté dans ses pensées... Le spectacle aurait certainement eu quelque chose de terrifiant si Léo n'était pas devenu lui-même adepte des phénomènes occultes et s'il ne se sentait pas au même moment se décomposer en morceaux devant son regard ulcéré.
Et pourquoi avoir agi seul, hein ? Pourquoi l'avoir écartée sciemment de sa route pour faire ce qu'il jugeait bon d'être fait ? Pourquoi ne pas l'avoir avertie ? Pourquoi tout ce ressentiment qu'elle ne méritait pas et dont il débordait pour le monde entier ? Pourquoi n'avait-il pas voulu la mêler à ça … ?

« Parce que je... Je ne voulais pas vous... On avait dit qu'il ne fallait pas confondre... Je ne sais plus... »

Chacun des mots d'Erynn s'enfonçait comme un poignard dans sa poitrine où se creusait un gouffre béant. Il étouffait. Soudain, il se sentait percuté de plein fouet par la certitude qu'elle n'avait jamais pu comprendre la force de ce qu'il ressentait pour elle. Elle ne le connaissait pas. Malgré tous les pas qu'il avait ébauchés pour se livrer, pour dire, pour lui montrer – il suffisait d'une erreur pour couvrir le passé d'un doute terrifiant qui remettait en cause toute la clarté de leurs actes et la vérité de ce qui les liait. Il était plein d'un manque horrible, d'un néant horrible, d'un rien horrible dans un grand vide horrible, et il voyait distinctement combien ils avaient été seuls tous les deux même en s'efforçant de construire les bases d'une relation solide comme ils avaient voulu le faire ces dernières semaines. L'idée de perdre tout à coup la compréhension d'Erynn et la confiance de ses regards posés sur lui le précipitait dans un désespoir absolu. Le désert de son existence lui apparut brutalement avec sa clarté insupportable, aride et infini, et leur amour n'était plus qu'un mirage qui se dissipait sous ses yeux, qui lui crevait le cœur et le laissait plus seul avec lui-même qu'il ne l'avait jamais été. Au bout du compte, ça n'avait été qu'un fantôme de plus...
Non. Non, ce qu'il devait bien admettre, c'était qu'il n'y avait jamais eu d'autre fantôme – d'autre djinn insaisissable et fugitif, inconsistant comme de la fumée, sans substance ni pouvoir – pas d'autre spectre que lui-même. Il n'avait pas réussi à exister pour elle. Ils avaient été seuls.
Et ce n'était pas tant une trahison, au fond, qu'une confirmation de ce qu'il savait déjà. Ces miasmes de défection, d'insignifiance, d'incapacité crasse et de passivité inextricable. C'était en lui, profondément, tatoué sur toute sa peau, c'était dans son sang, jusque dans sa moelle.
Il se sentait se réduire à moins que rien sous le regard désillusionné d'Erynn. Il redevenait ce qu'il avait toujours été ; tout ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être ce jour-là à Argyrei – à cet instant, tandis qu'il luttait encore avec la dernière énergie contre la dissipation impitoyable du charme, et qu'il reprenait sa forme originaire de vermine à écraser, quand il était encore, au matin, un homme digne de fonder des espoirs, jamais il n'avait plus désiré disparaître pour de bon. Ses veines battaient frénétiquement contre ses tempes, il ne respirait plus, il avalait des goulées d'air saccadées et tentait de survivre dans un élan inexplicable à la froideur des accusations de cette femme qui n'avait plus, pour lui, que l'incompréhension douloureuse de quelqu'un qu'on a trompé depuis le premier jour. Une voix paniquée hurlait dans sa tête que c'était faux – il avait été sincère, il n'avait jamais, jamais voulu abuser son imagination, il avait toujours planté un couteau dans sa poitrine en venant l'aimer, à Argyrei, à Nivéria ou à Hellas. Avait-il fait l'erreur de montrer une fois seulement qu'il était capable de la rendre heureuse, quand ?

« Tiens donc ! vociféra-t-il ironiquement, avec un sourire acide. Je me demande qui s'est fait le plus d'illusions de vous ou de moi dans toute cette affaire ! » Il la regarda férocement. Il ne savait plus ce qu'il disait. Toute sa cervelle se déchiraient en lambeaux sous son front. Son délire allait la happer elle aussi, indistinctement, la déchiqueter et l'emporter, il était prêt à lui crier que c'était de sa faute également, à sa croisade de révolutionnaire qui renversait tout sans considérer un seul instant les catastrophes que son coup d'éclat pouvait provoquer – avait-elle été plus raisonnable que lui de penser qu'elle pouvait faire table rase tranquillement ici, que c'était possible de foutre à la porte des gens comme Elerinna et de reprendre tout à zéro sans déboire ? Qui s'était fait le plus d'idées, d'elle ou de lui, hein ?! « Vous pouvez vous foutre de ma gueule si ça vous chante, ouais. Mais sans moi, à l'heure qu'il est, y aurait je sais pas combien de trébuchets prêts à balancer de la caillasse contre vos remparts, avec une tripotée de mages sindarins pour  arroser la fête avec de la magie élémentaire, et au bas mot hein ! – vous croyez vraiment que Hellas aurait pu résister à un assaut éclair, ou même à un siège ? Pff ! Je suis p'têt pas une flèche, définitivement, hein, mais y avait que moi ici pour négocier sur le champ avec ces gens, j'ai tenté un truc sur le tas, c'était... Pas brillant. Mais j'ai fait de mon mieux. Si je suis pas à la hauteur... Hé ben, c'est pas comme si c'était la révélation du siècle de toute façon, fallait pas s'emballer... J'ai jamais compris pourquoi vous vous obstiniez... Pourquoi vous vouliez absolument que je sois... Ce que je ne suis pas... »

Sa voix se cassa la gueule à nouveau et il détourna le regard en serrant les dents. Il avait cependant été assez stupide pour s'aimer un peu dans les yeux d'Erynn. Et il le sentait au fond de lui, ça le rongeait, ça l'obsédait, il était encore assez stupide pour courir sans réfléchir après l'homme qu'elle avait voulu qu'il soit. Comme s'il avait une chance de le rattraper, peut-être cette fois, dans une ultime tentative, peut-être, puis de se glisser sous sa peau aussi facilement que dans un costume...

« S'il ne tient pas parole, je ferais tout ce qui est nécessaire pour les arrêter ou les détruire, ça s'arrête là. » prononça-t-il sèchement, les yeux luisants d'une détermination délirante.

Il irait jusqu'au bout. Tout ce qu'il était possible de faire, il le ferait. S'il crevait comme un chien dans le processus, ce serait en se battant, il ne lâcherait rien. Il n'y avait rien au monde pour le faire flancher, il ne se raviserait pas. A terme, il n'y avait que les lâches qui survivaient. Il n'avait plus que la vie à perdre et elle lui semblait désormais trop répugnante pour être sauvée telle qu'elle était.
Il serait digne de vivre ou il mourrait, c'était tout, c'était simple. Il en avait assez de tourner en rond, il n'en pouvait plus, de se le demander à chaque instant, de perdre, d'échouer toujours, et de toujours sauver sa peau d'extrême justesse, par chance, par hasard, par la dernière habileté d'un cafard trop opiniâtre, ce n'était plus supportable. Il fallait que ce soit clair maintenant, une fois pour toute.
C'était son épreuve, la sienne. Il avait parié qu'il était capable de la passer, autrefois... Et il la passerait, quelle qu'en soit l'issue.

Pour toute réponse, il ne leva qu'un regard de fauve, brûlant de colère, sur Erynn qui répétait encore, inlassablement, qu'il n'avait qu'à fuir puisqu'il tenait tant à survivre. Mais il ne voulait plus survivre. Il ne voulait pas partir. C'était lui qui déciderait cette fois-là, elle ne l'en empêcherait pas. Et qu'est-ce qu'elle voulait au juste ? Elle ne voulait pas d'explications, elle lui disait de foutre le camp, et puis elle lui demandait pourquoi – c'était toujours 'pourquoi ? pourquoi ?' avec elle, comme si ce n'était pas assez évident, comme s'il aurait fallu le lui hurler au visage de toutes ses forces jusqu'à la rendre sourde à toute autre voix ! Alors il lui montrerait... ! C'était peut-être ce qu'elle attendait, pas vrai ? Une preuve, quelque chose ! Il pousserait les choses jusqu'au bout et même s'il n'en revenait pas, il n'y aurait plus jamais aucun doute, plus JAMAIS !
Grands dieux, comme tout avait été clair, ce jour-là, sous le soleil du désert ! Que ne donnerait-il pas pour le revivre ! Il fermait les yeux et le souvenir du sable en tempête venait s'accrocher sur sa peau, une odeur de thé grisante remplissait ses poumons, il était face à elle sans secret dans leur îlot noir et elle, qui était si sûre, si entière, sans limite, il la voyait elle et il ne désirait qu'elle. Il ouvrait les yeux et le froid de Hellas le transperçait jusqu'aux os. Sa main glissa lentement dans le cou rêche et bouillonnant d'Erynn et elle le quitta dans une caresse presque insensible.

Et le temps se suspendit tout à coup dans ses grands yeux verts à la pénombre si fascinante. Léogan la scruta un instant avec souci et posa une main légère sur son épaule, pour la réveiller doucement, mais ce fut soudain la voix si reconnaissable d'Exanimis qui résonna fantomatiquement entre les pierres froides du temple. Les mots qu'il prononça, ce qu'il révéla avec une froideur sans détour, sans fanfaronnades ineptes de malheureux démon piégé dans un monde étranger au sien, figèrent Léo de terreur sur son banc. La voix du spectre susurra une moquerie venimeuse dans son esprit, le couteau s'abattit et transperça, les cheveux rouges s'enflammèrent dans l'incendie des lampes à huile, le gantelet crissa non loin, et Léogan plongea son front entre ses mains pour contenir toute sa tête qui allait exploser.
Elle se laissera mourir, c'est déjà en route, chacune de tes décisions ne fait que précipiter sa perte, il n'y a rien à faire, rien à faire, sauf peut-être...

« ...non... »

Allons, Léogan...
Ses ongles s'enfonçaient dans sa peau, il avait le crâne plein de bruissements, de chuchotis et de bruits qui menaçaient à chaque instant de l'emporter, et puis ce fut la voix d'Elerinna elle-même qui vint s'ajouter au vacarme et lui ouvrir un regard agrandi de fièvre sur Erynn. Il cessa de respirer. Il eut envie de rire de vertige ou de vomir.
'C'est toi qui vas finir seule... Toi, et toi seule ! Je m'en vais, je m'en vais, grâce à Léogan. Grâce à Léogan.'
Comment avait-elle osé ? Comment avait-elle osé alors qu'elle ne lui avait pas adressé le moindre mot en prenant lâchement la fuite ? Comment avait-elle osé l'utiliser, lui ?!
Allons, Léogan. Il faut y venir maintenant. Vois où mènent tous tes actes. Ils veulent tout dire et ne rien dire. Tu ne gagneras pas. Laisse-moi t'endormir, il n'y aura plus un bruit, et tout se résoudra si... Facilement.
Il ne voulait pas dormir, il ne voulait pas survivre, il ne voulait pas partir !
'Je te retournerai les salutations de Léogan, quand nous serons loin ! Ne t'inquiète pas. Je prendrai soin de lui, MOI !'

« ASSEZ »

Il se leva d'un bond du banc où il s'était effondré tout à l'heure. Une surcharge d'énergie lui traversa le corps et fit claquer ses anneaux électriques sur sa peau, des jambes et des bras jusqu'à la poitrine et au visage. Ses yeux étincelèrent d'un bleu trop vif, ses pupilles s'embrasèrent et il cracha comme s'il devait se dégorger de la haine qui lui montait aux lèvres comme de la bile.

« Sale hyène imbécile... »

Il tituba d'un pas sur le côté, le front encore emprisonné entre ses mains. Sale hyène imbécile... Elle ne comprenait décidément rien à rien ! Elle était complètement folle ! Il fallait faire quelque chose, la mettre hors d'état de nuire, l'envoyer loin, là où ses paroles fantasques ne trouveraient plus que le vide pour résonner ! Il fallait que cela cesse à la fin ! La vue lui revint peu à peu tandis qu'il faisait face au corps paralysé d'Erynn, là, presque détruit déjà par toutes ces absurdités sans nom qu'ils jouaient tous les deux ici.
Il marchait de long en large sans s'en apercevoir, les jambes agitées par les soubresauts violents de l'électricité qu'il générait sans retenue. Et elle l'avait crue ! C'était... C'était ridicule ! Tout ça n'avait aucun sens !
La voix d'Exanimis, péremptoire et calme dans tout ce tumulte, s'éleva gravement de nouveau et Léogan arrêta nerveusement ses allées et venues pour scruter Erynn, comme s'il pouvait transpercer le démon du regard. Ce qu'il entendit le désarçonna quelques secondes.
Il n'avait jamais pensé un instant que ce dieu méprisant, tout déchu qu'il soit, lui aurait livré aussi franchement ses plans. Il s'était attendu à devoir le tester encore des mois ou des années avant d'en arriver à une réponse aussi nette, mais maintenant qu'il y était, il se trouvait incapable d'éprouver du préjudice dans ce qu'il disait. Pourtant, il avait vu juste. Exanimis ne se préoccupait que de ses intérêts – d'Aemyn, de son hôte tant qu'Aemyn vivait, et si le petit venait à mourir, de rien d'autre que lui-même. Mais une fois qu'elle était dite, c'était une logique que Léogan comprenait et qui, dans ses circonstances, correspondait de très près à ses objectifs. Faire vivre Erynn, protéger le petit. Il ne savait pas si le démon entendait par là conclure un marché avec lui, ou s'il appelait à sa collaboration provisoire, mais ça y ressemblait très fort.
Léogan surmonta péniblement le vacarme de voix qui se mêlaient dans son esprit et fronça les sourcils avec défiance.

« C'est bon, murmura-t-il lentement d'une voix grave. Je vais le faire. »

Une tension palpable quitta la pièce brusquement et Léogan sentit la chose qui le hantait gronder de satisfaction comme une bête vorace à la disparition d'un prédateur plus gros qu'elle. Il crut que la douleur lui briserait le crâne et la nuque mais il dut rattraper le corps épuisé d'Erynn qui s'écroulait sur lui pour ne pas la laisser choir sur les dalles froides du temple. Rendu presque aveugle par la migraine lancinante qui lui écrasait les yeux, il s'efforça cependant de maîtriser les éclairs bleus qui dévoraient ses membres et de les ravaler comme il le pouvait, tandis que ses bras se refermaient sur les épaules frêles de la prêtresse. Il chancela maladroitement, entraîné par la sarabande infernale qui hurlait en lui, et peina à retrouver son sens de l'équilibre mais il ne lâcha pas Erynn. Il la serra toute entière contre lui, avec ses serres, ses traits défigurés par les brûlures, son armure d'écailles noires, il la serra de toutes ses forces pour l'empêcher de se dégager, si jamais elle en trouvait l'énergie, un bras pressé dans son dos, une main plongée dans ses cheveux flamboyants, au-dessus de sa nuque, et le visage plaqué contre sa tempe. Ils brûlaient l'un contre l'autre. Il sentait son pouls battre violemment sous ses doigts et son corps qui s'ébranlait d'inspirations puissantes et désespérées, comme si elle n'arrivait pas à puiser dans l'air autant d'oxygène qu'elle en aurait eu besoin. Ses yeux à lui étaient fermés douloureusement pour ne pas laisser échapper par ses orbites un flux de folie dégoûtant qui aurait blessé Erynn, ses mains tremblaient, mais caressaient en cercles doux les épaules et la tête de la jeune femme qu'il gardait puissamment contre lui. Il se fichait de ce qu'elle voulait pour une fois. Il se foutait de son dégoût, de sa colère, de ses doutes et de ses décisions. Il n'en avait rien à battre, il voulait qu'elle se taise et qu'elle cesse d'exploser dans tous les sens, qu'elle l'écoute pour de bon, et qu'elle comprenne. Ce qu'il voulait, c'était juste lui donner ce dont elle avait besoin... Et si ça ne lui plaisait pas, ça ne changeait pas grand-chose.
Tout empestait la fumée et le soufre autour d'eux. L'huile, le feu et l'encens formaient des nuages grisâtres qui piquaient les narines et engouffraient leurs pestilences étouffantes dans leurs poitrines. C'était comme cuire dans un four. Léogan ouvrit un regard fébrile, qui se précipita immédiatement par-delà des colonnades, sur le jardin enneigé du temple, et il fit aussitôt son choix.

« Laissez-vous faire. » murmura-t-il.

D'un geste fluide difficile à interrompre, il passa un bras dans son dos, l'autre sous ses genoux, et la souleva sans trop de peine malgré les vertiges qui lui faisaient tourner la tête – Erynn n'avait jamais pesé bien lourd heureusement. Il la serra contre sa poitrine, pour sécuriser son étreinte et déposa son visage dans ses cheveux à moitié défaits, au dessus de son front. Il respira profondément son parfum âcre, nota bêtement au fond de lui qu'il était sans doute très loin de sentir la rose de son côté, et traversa la salle d'un pas qu'il s'efforça de faire assuré.
Il franchit les colonnades et laissa ses yeux hagards errer sur les étendues blanches du jardin, s'accrocher hasardeusement aux silhouettes noires et décharnées des arbres sous la lumière des trois lunes et s'imagina un instant jusqu'où il pourrait courir en la gardant serrée dans ses bras comme ça, jusqu'où ils pourraient aller, jusqu'où il l'enlèverait si elle l'avait voulu... Et l'air glacial de Nivéria emporta toute la fumée de ses poumons.
Il marcha encore sur quelques pas. Les cheveux roux d'Erynn s'emmêlaient autour de lui. Bientôt, cependant, il ne se sentit plus la force d'avancer et il s'arrêta pour s'appuyer d'une épaule contre une colonne et déglutir laborieusement. Il serra la mâchoire et se laissa glisser contre la pierre pour s'y adosser et s'asseoir silencieusement sur les marches enneigées avec elle. Il enlaça la jeune femme plus solidement encore, si c'était possible, pour sentir sa présence au plus près de lui, sans plus de distance malgré tout ce qui s'était dit, et sa gorge se noua atrocement. Il fut longtemps sans pouvoir prononcer une parole. Il sentait que s'il ouvrait à peine la bouche, sa voix se casserait, ses mots se perdraient, un début de sanglot lui arracherait la poitrine, et tout serait foutu.

Alors il attendit. Il attendit patiemment que le nœud se défasse dans sa gorge, il tenta d'écraser sous ses paupières le bruit infernal de son crâne, et il oublia presque parfaitement qu'à l'heure qu'il était, Elerinna devait courir avec Orchid dans les grottes de Fellel jusqu'au désert de glace. Il attendit que tout passe et que ses yeux cessent de lui brûler, pour finalement réussir à enfiler précautionneusement une phrase derrière l'autre sur le fil fragile de sa voix, lumineuse comme un soleil noir, comme le dur cagnard du sud, mais chaude et douce comme un velours sur la peau abîmée d'Erynn.

« On est vraiment irrécupérables, vous et moi. » Sa main neuve massait légèrement son bras, ses yeux noirs, fatigués mais souriants, retombèrent sur le visage délicat, mais ravagé de la jeune femme. « Ça fait des semaines qu'on s'est pas vus, et... On n'est pas capables de se dire bonsoir sans déclencher les hostilités. »

Il se tut un instant, très incertain du bon goût de sa plaisanterie. Il la regarda soucieusement et referma étroitement les pans de la cape qu'elle portait sur sa poitrine.

« Ça va ? » demanda-t-il à voix basse.

Il l'observa soucieusement et lui laissa peu à peu davantage de liberté de mouvement afin de l'aider à se redresser contre lui. Le soutien de la colonne, derrière son dos, était d'un secours ineffable. Prudemment, il glissa ses doigts autour de la main saine d'Erynn et l'enveloppa dans une poigne tiède en caressant sa paume du pouce.

« J'ai agi seul parce que... chuchota-t-il à son oreille, comme un secret qu'il lui aurait soufflé. Je suis un abruti voilà tout. Et que je sais pas faire autrement, je n'y ai pas réfléchi. »

Tout s'était passé si vite... Naturellement, il en était entièrement responsable, les circonstances ne l'excusaient pas, mais il n'avait pas eu assez de temps pour méditer à d'autres solutions que celle qui se présentait systématiquement à lui depuis toujours : se sortir du pétrin comme un grand et ne compter sur personne. Cela avait certainement été une erreur, vis-à-vis d'Erynn à qui il avait promis de ne plus disparaître, malheureusement ce qui était fait était fait... Et encore maintenant, il voyait mal comment il aurait pu mieux s'en tirer...

« Mais surtout, vous auriez été obligée de fuir avec moi, si je vous avais rendue complice, ajouta-t-il, très doucement, en fronçant les sourcils tristement. 'Par n'importe quel moyen', on avait dit... Pourtant ça ne revient pas à vous libérer, de vous mettre dans le même panier que moi, de vous arracher à votre foyer et... De vous faire devenir ce que je suis... Vous comprenez ? »

Il cilla. Sa main était moite, elle caressait celle d'Erynn sans cesse et, soudain, une pointe de douleur aiguë dans toute sa tête la lui fit serrer  avec une force incontrôlable. Il la relâcha précipitamment et plaqua sa nuque à la colonne pour maîtriser le fourmillement d'images convulsives et aveuglantes qui l'assaillait. Il y parvint péniblement, ravala sa salive âcre et essuya la sueur qui perlait de son front d'un revers de manche.

« Je veux que vous viviez. » poursuivit-il avec difficulté, déterminé à finir ce qu'il avait à dire. Il ne pouvait pas se permettre de faiblir en ces circonstances. Elle avait besoin d'un point d'attache, de quelque chose pour éteindre les feux de sa confusion, stabiliser sa pensée dans des eaux rassurantes et qui peu à peu, désamorcerait la crise. Après toutes ces nuits d'insomnies et de démence, il en savait quelque chose. Il avait seulement tendance à penser qu'un ou deux bons verres de cognac ou de whisky pourraient l'aider lui à noyer tout ce qui se passait dans sa tête – et cette idée le piqua tout à coup d'une violente envie de fumer – mais il y avait mille fois mieux à faire dans le cas d'Erynn où il ne saurait se contenter de petites solutions minables de court terme. Il aurait voulu que ses mots, sa présence et ses gestes la soulagent, lui rendent ses forces, l'enveloppent d'une chaleur lumineuse et la guérissent... Mais pour ça, il fallait se concentrer sur elle. Il devait garder l'équilibre, coûte que coûte. « Et je veux que vous viviez comme vous l'entendez, Erynn, souffla-t-il dans ses cheveux. Ne vous laissez pas entraîner par mes actes, mes paroles ou mes erreurs. Nous ne sommes pas... Pareils. Vous avez vos chances, j'ai perdu les miennes depuis longtemps... »

Il ne pouvait pas y faire grand-chose, en vérité... Une fois qu'on était tombé dans cette espèce de spirale infernale, il était sans doute illusoire de penser pouvoir en sortir. Il avait voulu croire qu'il aurait pu choisir une autre route cette fois-ci, il avait réglé minutieusement chacun des paramètres qu'il pouvait contrôler pour aiguiller toute son existence sur d'autres rails, au moment exact où il en aurait l'opportunité, mais rien n'y avait fait. Il était embarqué dans quelque chose de plus gros que lui. Ce qu'il était ne le laisserait pas d'agir comme les hommes requéraient qu'il agisse. Quand on avait mis sa main dans l'eau froide – quand il y avait eu une première fois, un meurtre, une magouille un simple échange douteux, quand on l'avait fait, quand on avait eu un impact dans le milieu, on était obligé de recommencer. Léogan avait fait ce genre de boulot trop longtemps, il ne restait plus rien de son âme à sauver. Bien sûr il s'imaginait fort bien tout ce qu'Erynn, elle, avait accompli d'atrocités pour le compte d'Elerinna, et toutes celles qu'elles avaient perpétrées dans son propre intérêt, pour des motifs ou une satisfaction qui ne regardaient qu'elle, il n'en savait pas la moitié, elle n'en parlait pas, mais il était aisé de les deviner. Bien entendu. Mais elle avait l'opportunité de réaliser ce qu'elle avait toujours rêvé de réaliser, ici, au temple, à Hellas, elle avait une chance de se racheter, de faire autre chose de sa vie que de se salir les mains et d'être utilisée, et il n'était pas question que lui vienne tout gâcher pour un caprice puéril. Elle lui avait toujours dit que ce n'était pas à lui de juger ce qui était dans ses intérêts ou pas ou si elle pouvait lui faire confiance, mais à des moments critiques comme ceux-là, quand il était clair qu'il ne pourrait rien lui apporter de bon, que de vivre dans une éternelle fuite où elle ne pourrait plus rien bâtir, il devait prendre les devants seul. Au moins pour ne pas la forcer à choisir entre cette ville qui était son foyer et lui. Il porterait toute la responsabilité de ce qui arriverait. Si ça se passait mal, elle pourrait continuer à vivre.
Il fit glisser Erynn sur la marche où il était assis, précautionneusement, passa son bras derrière ses épaules, et sa main dans ses cheveux, il l'attira contre sa poitrine et l'enlaça doucement.

« Je... » s'étrangla-t-il, d'une voix blanche. Ses doigts se crispèrent sur elle. Un spasme lui parcourut les épaules. Il y avait au fond de son ventre un sanglot enfermé qui lui faisait mal et dans sa gorge un hoquet qui voulait sortir. Une de ses mains se glissa sous ses propres vêtements et trouva furtivement le chemin d'une de ses plaies fermées au fil textile. Il appuya dessus, enfonçant ses ongles dans la compresse, écrasant la chair à vif. La douleur sourde qui s'en échappa doucement lui fit tourner la tête et lui rappela l'impact du poing d'Irina sur sa pommette où il sentait qu'un bleu commençait à palpiter, et la brûlure de ses vêtements, autour de son cou, qui l'avaient presque étranglé. Il respira profondément, apaisé par les élancements qu'il suscitait, et nota vaguement pour lui-même que c'était devenu machinal maintenant. Quand il éprouvait une peine trop pénible, quand la culpabilité était trop forte, il se faisait mal, la douleur physique était plus facile à gérer. Il s'imaginait que ça soulevait un peu son malheur. Son bras se resserra à nouveau autour des épaules d'Erynn. « Je ne vous laisserai pas tomber, chuchota-t-il d'une voix résolue. Je suis désolé, je ne voudrais pas m'échapper entre vos doigts comme ça... Mais je ne peux pas vous aider autrement. J'essaierai de tout arranger, j'arrangerai tout. Je perdrai pas. Faites-moi confiance. Je reviendrai, je... » Le souffle lui manqua un petit instant. Il n'avait jamais réussi à le dire. Le croirait-elle de toute façon...? « On réparera tout ça, acheva-t-il, en caressant sa joue d'un contact aérien. On le renforcera. Rien n'est brisé, rien n'est brisé pour moi. Je... »

Il lâcha un soupir nerveux et pressa ses lèvres contre le front brûlant de cette femme qu'il aimait et qui n'en serait peut-être jamais assez persuadée. Il ferma les yeux et crispa ses paupières d'exaspération contre lui-même. Il sentait quelque chose perler au coin de ses yeux – il n'aurait su dire dans son état de confusion si c'était des larmes, de la transpiration, de la neige qui tombait sur eux et fondait sur sa peau, ou du sang, mais il s'essuya rapidement contre son épaule. Puis, délicatement, il défit la fibule de sa cape et couvrit le corps mince de la jeune femme d'un pan du tissu doublé de fourrure tout en se rapprochant au plus près d'elle.
L'air était pur dehors. Il inspirait profondément, comme si sa froideur presque compacte pouvait éteindre l'incendie qui le brûlait de l'intérieur. Il caressait les cheveux d'Erynn du bout des doigts, et sa tête rousse lui semblait fragile sous sa main ciselée de grands traits nacrés et couverte de croûtes de sang. Il parlait encore dans un murmure fluide et ondoyant pour l'apaiser, et déposa un baiser sur sa tempe.

« Même s'il vous semble que nous n'avons jamais été si loin l'un de l'autre, que nous ne le serons jamais plus que dans les jours à venir, dites-vous bien que nous nous battrons ensemble cette fois... J'ai besoin que vous teniez le coup, de votre côté, d'accord ? insista-t-il, avec sérieux, la gorgée nouée. Il faut que vous fassiez encore un effort. Résistez. Il faut le faire. Vous êtes forte. Pensez à Aemyn. Pensez à vous, aussi, pour une fois... Essayez, je vous en prie. »
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MessageSujet: Re: Anything but Love ¤ PV Irina   Anything but Love  ¤  PV Irina Icon_minitimeJeu 26 Fév - 18:38


Anything but Love

Léogan . Irina

Pourquoi s’obstinait-il à se percevoir comme un saltimbanque désinvolte et indolent, comme un zéphyr éphémère que rien ne pouvait retenir ? Pourquoi se fermait-il à la possibilité d’avoir un avenir un tant soit peu satisfaisant, qu’il soit à ses côtés ou bien ailleurs ? Comment quelqu’un qui se prétendait si libre pouvait se mentir aussi honteusement, à se fabriquer des barreaux de prison factices et inexistants ? Il n’était limité que par une chose, et c’étaient ses propres choix. Un rictus cruel crispa les lippes rouges et meurtries de la prêtresse, qui le fixait ouvertement entre deux grimaces. C’était lui qui depuis le départ avait voulu ‘faire semblant’ qui l’avait entraînée dans cette romance singulière et hors du temps ; alors pourquoi lui reprocher maintenant -après tout ce qu’ils avaient traversé, la distance et le manque mutuel encore trop frais- d’avoir voulu concrétiser ce jeu enfantin et le rendre réel ? Quelle espèce de sombre crétin pouvait être aussi obtus à tout ce qu’elle avait fait pour lui, et à ce qu’elle ressentait ? Était-elle renfermée à ce point-là, avait-elle donc complètement échoué à lui montrer ce qui l’animait ?
Et puis en quoi était-ce plus simple de nier qu’elle croyait en lui, qu’elle avait sciemment choisi de faire confiance à tout ce qu’ils avaient décidé ensemble, plutôt que de le voir comme un figurant accessoire de sa vie privée ? Était-ce si mal d’avoir voulu qu’il décide également, d’avoir voulu qu’il puisse enfin se donner une chance d’essayer ? Pensait-il que c’était dans son propre intérêt qu’elle avait voulu l’aider à guérir d’une maladie dont il refusait de reconnaître l’existence ? Et surtout comment pouvait-il se laisser briser à ce point par la négligence et l’égoïsme d’Elerinna, se laisser convaincre qu’il était bel et bien une ordure, une vulgaire immondice dont personne ne voulait et qui n’avait sa place nulle part ? Ça lui en bouchait un coin, qu’elle puisse vouloir son bien, tout simplement ? Était-il sourd, aveugle, bouché, ou juste con ? Il se méprenait complètement, il ne comprenait rien, et préférait garder ses putain de préjugés plutôt que regarder les faits en face.

Il tenait à s’occuper de tout ce merdier, plonger ses mains en plein dans les eaux troubles et vicieuses de la politique, comme si cela n’avait ni importance ni conséquences. Il était en train de tout envoyer valser sans réfléchir, poussé par l’urgence et le désespoir, soufflant sur leurs projets comme un vieux château de cartes dont il se serait lassé. L’amertume la heurta en pleine figure en même temps qu’un relent de souffre la fit tousser jusqu’à ce que ses poumons lui fassent mal. Et dire qu’il ne faisait même pas ça pour Hellas, dire qu’il se fichait éperdument de ce qui pouvait arriver à cette ville ou ses habitants… Il ne voulait pas protéger son poste, sa position ou une valeur… alors pourquoi ? S’il ne cherchait pas non plus à couvrir la retraite d’Elerinna -qui n’avait de stratégique que le nom- alors pourquoi bordel de bon dieu est-ce qu’il risquait l’exécution en se mettant les deux camps à dos ? L’idée qu’il puisse être le bouc émissaire sacrifié sur l’autel du grand zèle cimmérien lui retourna les tripes, à tel point qu’elle porta une main tremblante à son ventre, où ses boyaux semblaient avoir atteint l’ébullition.
Cette douleur… c’était insupportable. Son corps entier luttait contre les flammes corrosives du démon, que cette enveloppe peinait de plus en plus à contenir. Ses yeux pleins d’ombres instables se fixaient sur le visage masculin, comme un bateau à la dérive tentant désespérément de garder le cap. Or elle savait que son navire n’attendrait jamais la terre ferme. Plus rien ne l’attendait au-delà de cet épais brouillard, et son monde n’était plus qu’un marais stagnant où tout finit corrompu et mort. Ils avaient atteint le point du non-retour. Erynn sourit tristement, s’abandonnant à la peine dévorante qui la consumait. Exanimis se dressa au fond de sa tête et le noir recouvrit soudainement ses paupières. Tout disparut alors t’un battement de cils, et l’ancien démon prit le relais avec son plein consentement.

Déterminée et passablement agacée, l’entité millénaire sembla se contenter des quelques mots de Léo, qu’elle prit pour un assentiment. Néanmoins elle ne manqua pas de lui donner quelques précisions aiguisées, davantage un avertissement qu’un conseil. À croire qu’il était incapable d’un geste un tant soit peu courtois sans contrebalancer par un de ses traits d’esprit acariâtres.
« Tant que j’y suis, range ton misérable animal domestique au placard. Sa seule présence est une insulte à nos yeux. » Il agita sa main gantée d’un geste négligent et chassa la corruption de Léo comme on malmène une vermine un peu trop gênante. Ce fut une véritable gifle ésotérique qui eut le don de fermer le clapet du serpent sifflant sous son front, les laissant seul à seul avec les légers nuages noirs qui couvraient de plus en plus les membres tendus de la jeune femme. D’ailleurs la silhouette de cette dernière se plia dans un angle improbable en même temps que son Autre se replia, et vidée de ses forces elle fut attrapée de justesse par son amant. La violence de cet échange lui coupa cependant le souffle, la faisant haleter pendant de longues secondes, à la recherche de ce qui venait de se passer.
Trop faible pour le repousser ou même ébaucher l’ombre d’une protestation, elle ne put que froncer les sourcils alors que ses pieds quittaient le sol, et se mordre la lèvre pour retenir son désarroi. D’un bras hésitant elle entoura la nuque du sindarin, tandis que son bras ganté demeurait ballant et inerte le long de son corps. L’armure semblait peser trois tonnes bien qu’il n’en soit rien, et son énergie limitée par l’effort fourni à contrôler sa puissance commençait à manquer. Les yeux clos, Erynn posa sa joue lisse contre la tête de Léogan, dans un geste instinctif. Son corps lui paraissait d’une fraîcheur réconfortante en comparaison du sien, brûlant d’une fièvre surnaturelle. La rancune et la doute tourbillonnaient encore dans sa poitrine alourdie, voilant ses sentiments profonds d’une épaisse couche de contradiction. Et pourtant là dans ses bras, entourée de ces chaînes de chair et de non-dits ; pour la première fois depuis aussi loin qu’elle s’en souvienne, Erynn vit son monde trembler et ses résolutions flancher. Au diable ses plans, ses sacrifices, sa foi et tout le reste. En cet instant il ne restait plus en elle que le chagrin innommable de voir cet amour lui filer entre les doigts, définitivement.

Ce serait tellement… beau et tellement simple. Il suffirait qu’elle lui dise que finalement Hellas ne valait pas les sacrifices de toutes ces années de solitude, qu’elle lui promette de le suivre au gré du vent et de ses errances emportées, qu’elle emmène Aemyn et une paire d’autre vieilles bricoles et accepte de prendre la route sans destination précise. Il suffirait de quelques mots, d’un engagement bref et d’une épaule froide sur cette guerre inutile qui allait bientôt secouer une bonne partie du monde. Il suffirait d’un rien pour que peut-être ce bonheur inconnu et longtemps idéalisé lui tende enfin les bras. Irina déglutit. Elle pourrait être foncièrement égoïste pour la première fois de sa vie, et s’offrir - leur offrir- une chance d’être heureux loin de cette folie. L’adrénaline se mit à courir dans ses veines tourmentées et sa cervelle entière se mit à bourdonner.
Sa conscience semblait avoir fui ses sensations, momentanément endormies sous la dose de douleur qui ralentissait ses réflexions. Sonnée et vidée, la prêtresse se rendit à peine compte qu’ils étaient désormais assis à terre, sur les froides dalles de pierre du temple. Elle frissonna comme foudroyée de la tête aux pieds, mais ne se plaignit pas sous l’étreinte presque étouffante du soldat. ‘Au moins avait-il encore des mains pour lui briser les os’, pensa-t-elle avec une pointe d’ironie, un infime éclat survivant parmi l’enfer de chaleur qui lui vrillait les neurones. Malgré leur dispute et les coups échangés sans concessions, Erynn passa une main incertaine dans la chevelure rebelle de Léo, cillant pour chasser la brûlure de ses yeux à la vision de plus en plus floutée. Oui, ils étaient décidément irrécupérables. La rouquine acquiesça tristement, ce qui fit tomber plusieurs mèches de sa coiffure. Les fils rouges couvrirent se yeux et les protégèrent un peu de la lumière, aussi elle ne les dégagea pas.

En une illusion mille fois répétée elle lui assura que ça allait, sans pour autant le regarder. Ils savaient tous deux qu’elle n’avait jamais menti aussi mal, et que son état physique n’était qu’une des nombreuses raisons de son mal-être. Blessée de l’intérieur, détruite par le chemin facile qui se dressait devant elle en un parfait tapis rouge sans qu’elle puisse réunir le courage ou la force de s’y engager, Erynn se détestait toujours plus à chaque seconde qui passait. Leurs mains enlacées lui apparurent alors dans un contact réconfortant et insupportable, la confrontant brusquement à la réalité de l’échec qu’ils vivaient. Plus que jamais ce dernier lui apparut aveuglant et inéluctable, malgré la force de leurs sentiments et les pas maladroits qu’ils faisaient l’un vers l’autre.
Maintenant qu’il avait agi en la tenant à l’écart d’un choix trop dangereux, maintenant qu’il avait voulu ne pas mélanger les choses, elle se prenait à vouloir qu’il ait fait les choses autrement. Cela aurait au moins été moins difficile de le tenir à distance, moins pénible de le faire partir en brandissant leurs positions politiques comme une barrière infranchissable. Car que restait-il désormais ?
« Vous n’êtes qu’un homme qui a fait ce qu’il pensait juste. »

Il serait s’avancer que de dire qu’elle lui pardonnait, mais après les accusations échangées Erynn avait au moins compris ce qu’il pensait. Ou du moins elle en avait l’impression. Son regard se perdit dans le vide, alors qu’elle se laissa glisser au sol, à côté de Léo. Depuis quand avait-elle compris quoi que ce soit ? Se pouvait-il qu’Exanim… Non. Elle se refusait à le croire. « Cessez d’agir comme si je valais mieux que vous. » La colère perçait dans ses quelques mots en désordre qui résonnaient autant dans sa tête que contre les colonnes de pierre. Elle avait sûrement commis plus d’atrocités en trente-deux ans que lui en dix fois plus de temps. Elle était même quasiment sûre que ses pêchés étaient d’autant plus pervers qu’ils demeuraient cachés, et pourtant il continuait de penser qu’elle seule avait le droit de repartir à zéro. Son poing serré s’abattit à même le sol, causant un petit cratère à l’impact. La jeune femme ne sentit aucune douleur grâce à l’armure, mais cette force inhabituelle et mal employée vit vibrer tous les os de son bras jusqu’à l’épaule. Sa voix se brisa en même temps que sa volonté d’en découdre. « À quoi bon être libres si nous ne pouvons être ensemble ? »

Léo voulait qu’elle vive, tout en se condamnant au passage. Ce n’était pas correct et ce n’était d’ailleurs même pas un compromis. Il lui imposait tout cela une fois le mal déjà fait, coupant l’herbe sous le pied à une réaction qu’il connaissait à l’avance. C’était ignoble… Après tout ça c’était ignoble de toujours être capable de lui soutenir qu’il ne la laisserait pas tomber. Alors quoi, ils vivraient dans la clandestinité pour le restant de leurs jours, comme en ces semaines chaotiques où ils s’étaient retrouvés en secret pour s’aimer vite et fort, avant de retrouver leurs routines ? Tendue et immobile elle se laissa enlacer sans le repousser, mais ne fit aucun geste en sa direction non plus. Comme elle l’avait su depuis le départ, animée d’un pressentiment défaitiste, ils en arrivaient à une voie sans issue. Leur relation déjà hasardeuse venait de se faire amputer des deux jambes. Alors comment pouvaient-ils continuer d’avancer dans ces conditions ? Chacune des promesses qu’il lui répétait avec douceur, comme à enfant qu’on berce avant de dormir lui faisait plus mal que tout le reste.
Une larme solitaire roula sur son visage déformé, avant de disparaître en s’évaporant après quelques secondes à peine.
« On le renforcera. Rien n'est brisé, rien n'est brisé pour moi. Je... » Elle, elle était brisée. Au-delà de ce qu’elle pourrait expliquer ou rattraper, au-delà du sensé ou du dicible. Sûrement au-delà de ce qu’il pouvait penser, et de l’image intombable qu’il s’était fait de sa force. Une autre larme roula sur les traces de la première, et disparut tout aussi vite. Erynn soupira longuement, comme si respirer était devenu aussi douloureux que contenir ce qui couvait sous l’armure. Les mains serrées, la serpentine respirait profondément pour calmer les vagues d’essence divine qui menaçaient de la submerger. Le désespoir affluait en même temps qu’Exanimis effleurait toujours la surface de sa conscience. Pourtant sa voix blanche se fit entendre dans un calme artificiel.

« Alors si je comprends bien il faut que je tienne dans l’espoir que vous vous fassiez oublier et arriviez à échapper aux troupes des deux camps, qui voudront votre tête sur une pique ? Et je suis sensée faire quoi pendant ce temps indéterminé ? Prier ? »

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MessageSujet: Re: Anything but Love ¤ PV Irina   Anything but Love  ¤  PV Irina Icon_minitimeJeu 5 Mar - 2:39

La main d'Erynn passa dans ses cheveux dans une caresse légère et brûlante. Léogan perdit la tête, il cilla et crut que son cœur sautait d'un coup hors de sa poitrine en défonçant sa cage thoracique au passage. C'était une main indécise, presque craintive, mais c'était sa main à elle et un simple effleurement de ses doigts suffisait à tracer un sillon d'appartenance cuisant sur sa tête jusque dans les nerfs et les os de son échine et de son crâne. Ce n'était plus son poing qui le percutait dans la figure pour le refouler avec dégoût. C'était sa main, et elle glissait délicatement dans ses cheveux.
Un sursaut l'ébranla quand il entendit enfin une phrase indulgente franchir les lèvres sèches d'Erynn et quoi que sur le coup, ces mots furent pour lui d'un bienfait ineffable, quoi qu'ils coulèrent en lui comme un miel doux ou un baume de chaleur et de lumière, ils eurent un arrière-goût amer quand il réalisa qu'il ne les méritait pas.
Chaque fois qu'il la quittait, qu'il agissait de son côté – ou qu'il s'en gardait bien – c'était pour la retrouver dans un état chaque fois plus alarmant : qu'est-ce qu'il faisait d'elle ? Il se souvenait de cet après-midi terrible à Nivéria où il l'avait terrassée, puis recueillie à bout de nerfs au crépuscule, il fallait croire que cela ne lui avait pas suffit. Il allait finir par la tuer.

Le regard d'Erynn était aveugle et hagard, sa nuque portait péniblement sa tête qui partait en arrière parfois dans un effort surhumain, ou tombait sur sa poitrine comme pour se protéger de la lumière aveuglante que reflétait la neige. Il resserra sa grande cape noire autour d'elle et la contempla sans la moindre idée de ce qu'il devait faire, la gorge nouée.
Quant à lui, évidemment, pour achever le tableau, il se trouvait plus lucide et plus vif à chaque seconde qui s'écoulait. Depuis le départ d'Exanimis, qui lui avait secoué l'âme comme un tremblement de terre mystique, il avait le sentiment qu'on avait fait place nette sous son crâne. La fièvre tombait peu à peu et il trouvait son esprit harassé, mais léger, comme débarrassé d'un poids qu'il avait porté longtemps sans s'en apercevoir. Presque un an. Cela faisait presque un an qu'il n'avait pas vécu sans être constamment parasité par des images, des pensées et des pulsions sinistres et excitantes qui n'étaient pas les siennes. Il se sentait tout à coup très seul, et très petit, sur les marches de ce temple. C'était comme s'il avait perdu la part la plus puissante de lui-même soudain et qu'on l'avait recraché sans cérémonie dans un monde froid et silencieux. Épouvantablement silencieux.

Le bruit sourd que fit le poing ganté d'Erynn sur la marche des escaliers où ils étaient assis le tira brusquement de sa torpeur et la voix pleine de colère de la jeune femme résonna terriblement autour d'eux tandis que son corps tressautait contre Léogan, à la limite de l'effondrement. Il ne répondit rien et se contenta de la scruter avec une inquiétude plombée de tristesse, en se retenant d'affirmer qu'aux yeux du monde, elle valait infiniment plus que lui, malgré toutes toutes les fautes qu'elle se reprochait. Elle était plus précieuse à cette ville et à ces gens qu'il ne le serait jamais.
Et ce fut à cet instant qu'elle éclata en mille morceaux entre ses doigts. Sa voix se chargea d'un sanglot fragile, à peine retenu, et s'étrangla en prononçant la question la plus terrible qu'il lui avait été donner d'entendre de sa vie. Paralysé, et tout d'abord d'une froideur stupéfaite, il se sentit rapidement gagné par un effroi qui lui coupa brutalement la respiration.

Oh, elle ne pouvait pas faire ça. Elle n'en avait pas le droit, pas maintenant que tout avait été décidé. Non elle ne pouvait pas faire ça ! Elle ne pouvait pas retourner sa veste tout à coup, décréter que tout cela était au-delà de ce qu'elle pouvait supporter et lui demander de la prendre avec lui pour disparaître ensemble de la tourmente. Elle ne pouvait pas faire une chose pareille. Elle savait que c'était tout ce qu'il désirait jusqu'au plus profond de lui-même, il était plein, il était saturé de ce désir égoïste et puissant de leur liberté, il étouffait, il n'avait que ça au monde à cet instant – et quand il partirait, il n'aurait plus rien, rien qu'Elerinna et son armée à arrêter. Elle ne pouvait pas lui demander d'anéantir son rêve à elle pour réaliser le sien, et il n'avait pas non plus la force... Il n'avait plus la force d'écraser ses aspirations pour porter celles d'une autre tout seul... Elle devait revenir à elle, elle ne devait pas désespérer, elle ne devait pas...

« Oh, je voudrais... » Il pressa son visage contre la tête d'Erynn et le vide irritant qui tordait sa poitrine déborda dans un spasme pour lui remonter jusqu'aux yeux. Elle ne devait pas le tenter... « Je voudrais tant... » Partir loin, tous les trois, oublier tout, construire autre chose, ailleurs, un monde à eux, plus vaste que cette cité, infiniment vaste, où le bonheur affleurerait simplement et pourrait être saisi. Il écrasa des larmes de rage, de défaite et de dévastation sous ses paupières, dans les cheveux rouges d'Erynn. « Qu'il n'y ait que nous sur terre. »
Mais ce n'était pas le cas. Il frissonna longuement. Elle pleurait. Elle pleurait sans s'en cacher, de courtes larmes sulfureuses qui s'évaporaient dans l'air en laissant des traces frémissantes sur la suie de son visage. C'était la première fois qu'il la voyait pleurer. C'était lui qui avait fait ça. C'était lui qui la détruisait à petit feu – encore. Il prenait conscience, douloureusement, des détails ignobles de tout ce désastre dont il était à l'origine : d'avoir fait d'Erynn, sans son consentement, d'avoir fait d'elle la bénéficiaire, la responsable, de son sacrifice, parce qu'il était trop stupide pour agir autrement, ou même pour aimer autrement, parce qu'il y avait un truc qui clochait chez lui, un putain de rouage qui manquait, qui avait été enlevé, qui avait disparu ou il ne savait quoi, parce qu'il ne savait pas comment se réparer, ou si c'était réparable, ou si c'était dans sa tête, que ça l'obsédait chaque fois qu'il prenait une décision ou qu'il ouvrait la bouche, qu'il ne réfléchissait qu'à travers son échec permanent quand il pensait à Erynn, à Aemyn, à eux et à leur avenir. Et finalement il venait de la transformer pour elle-même en créature haïssable, parce qu'il n'était au fond qu'un salopard égocentrique.
« Vous auriez dû avoir le choix... souffla-t-il d'une voix rauque. Je m'enfonce tout seul, ce n'est pas votre faute. Je n'ai pas fait ce qui était juste, non... J'ai toujours limité nos chances et c'est encore ce que j'ai fait aujourd'hui, je réfléchis comme un infirme alors que je devrais... » Il perdit sa voix dans une inspiration difficile, et il leva les yeux au ciel en dodelinant de la tête, rempli d'exaspération contre lui-même. « Alors que je devrais être capable de faire autrement, ce n'est pas votre faute. » Il se força à lâcher un soupir nerveux dans la nuque de la jeune femme pour dénouer sa gorge. « Je suis tellement... Tellement désolé... »

Qu'est-ce que ça pouvait bien faire, qu'il soit désolé ? Qu'est-ce que ça changeait ? La faute n'aurait pas dû être commise, il n'y aurait pas dû avoir d'erreur, il n'aurait pas dû se donner motif d'être désolé. C'était tout.
Lourd de reproche et de détestation, le visage crispé par un rictus tordu, il l'écouta à nouveau parler avec son désespoir absolu, il la regarda tracer l'image effroyable de sa mort future, et il eut simplement envie de vomir. C'était comme avoir un boulet au pied et être contraint de sombrer avec elle malgré tous les efforts qu'il pouvait déployer pour remonter à la surface. Le cœur au bord des lèvres, l'estomac plein de bile et le souffle court, il essuya d'un coup de manche la sueur d'angoisse qui perlait à son front et tenta de maîtriser l'irrépressible envie d'exploser qui courait dans sa poitrine et dans tous les nerfs de son visage.

« Prier... ? répéta-t-il d'une voix rauque, le front martelé par une nouvelle migraine. Non, non, vous n'allez pas prier. Enfin vous priez si vous voulez, mais nom d'un chien, surtout, vous allez agir. »

C'était ce qu'il fallait faire.
Il déglutit.
Il ne devait pas céder au même désespoir – ou en tout cas, il devait le surpasser. Il devait prendre les devants. Si elle n'avait plus la force de lutter, il devait la lui donner. Il ne savait pas d'où il la sortirait, si elle venait de lui ou si elle était inventée, mais il la sentait qui rassemblait les îlots épars de sa volonté et de son intelligence et les ressouder avec l'efficace méthodique d'un militaire en mission.
Il fallait qu'ils remettent les pieds sur terre tous les deux, ou ils se perdraient dans des limbes de chagrin et de terreur où plus rien n'était plus jamais possible. Il y avait encore un avenir possible, pourtant – il fallait seulement se relever pour le poursuivre.

« Deux jours. » prononça-t-il d'un ton inébranlable. « Deux jours, pas un de plus. Je vous jure que vous me reverrez vivant dans deux jours. Je ne sais pas encore où, je ne sais pas encore comment, mais dans deux jours nous serons ensemble et j'aurai fait tout ce qui nécessite d'être accompli. »

Au point où il en était, il ne savait plus ce que valaient ses promesses aux yeux d'Erynn – qu'est-ce qu'il lui avait dit ? qu'il ne pourrait jamais vraiment disparaître pour elle ? qu'il serait le père de son enfant ? qu'ils ne laisseraient pas le monde décider à leur place ? Ce n'avait pas été un franc succès jusque là, non. Mais il lui avait au moins montré, il l'espérait, qu'il était prêt à tout pour les mener à leur terme et qu'il ne donnait pas sa parole pour rien. Il n'avait pas fini de se battre, lui, et s'il courait après une cause perdue, il n'en avait rien à foutre. C'était la seule qu'il avait.
Sa main glissa sur la joue d'Erynn et releva précautionneusement son visage vers lui.

« Tant que nous sommes en vie, nous déciderons ce qu'il adviendra de nous. Peu importe ce que prononcent les hommes, les commandements ne sont pas pour nous. Nous n'abandonnerons pas. Ils pourront me poursuivre, me couper les mains, essayer de me passer leurs épées en travers le corps, qu'ils viennent, mais quoi qu'il reste de moi... souffla-t-il en se penchant à son oreille avec douceur. Quoi qu'il reste de moi, je vous appartiens. »

Il écouta la respiration de la jeune femme pendant de longs instants, et il lui sembla que son monde n'était plus peuplé que de son souffle et des battements irréguliers de sa poitrine fragile. Les jardins étaient d'un calme trompeur, couvert peu à peu du froid argenté de la neige qui tombait dans un bruit de velours et qui glaçait les cheveux et la peau de Léogan, quand elle ne devenait que vapeur en effleurant Erynn. Ce silence paisible ne le dupait pas, en revanche. Il s'entendait ses pensées se bousculer dans la profondeur de la nuit, et si le froid le gardait éveillé, il plongeait également son esprit libéré de l'emprise du spectre dans une lucidité éblouissante, blanche et incisive. Toutes les idées d'action et toutes ces décisions qui s'enchaînaient dans sa tête lui transperçaient le crâne comme un milliard d'épines, et plus ses plans prenaient des contours précis, plus la réalité en le percutant sans trêve lui faisait mal jusque dans la moelle.
Il tâchait cependant de garder maîtrise de lui-même et de transformer toutes ses faiblesses en force et en volonté. Il avait la prémonition trop claire que tout reposait entre ses mains à présent. S'il n'était pas de roc, ils s'effondreraient tous les deux, s'il ne se retenait pas pour la retenir, ils sombreraient inexorablement.

« Il y a des choses à faire ici, reprit-il, dans un murmure solide, les yeux durs et intensément braqués sur elle, si vous ne voulez pas que la ville tombe entre les mains de Bellicio. Le temple sera désavoué si vous ne faites rien. Oubliez moi un petit instant, vous ne voulez pas que ça se produise, n'est-ce pas ? Non, bien sûr. Vous n'êtes pas arrivée jusque là pour vous faire marcher sur les pieds, vous m'entendez ? Non. Vous allez vous battre, Erynn, pendant ces deux jours, parce que c'est ce que vous avez toujours fait. C'est ce que vous êtes, une femme qui se bat et qui lâche rien. Et moi je vais vous donner vos armes. »

La culpabilité et l'angoisse le rendaient maladroit et empressé. Il tenta de redresser Erynn pour lui donner plus d'aplomb, mais il ne parvint qu'à la secouer inutilement en l'attirant contre sa poitrine, entre ses deux bras. Il rapprocha son visage blême du sien, incandescent, où s'évaporaient les larmes qui perlaient de ses cils, et soutint sa tête rousse en glissant sa main dans sa nuque. Ses lèvres glissèrent sur la pommette sèche d'Erynn, qui semblait s'effriter peu à peu, comme l'enveloppe d'un cratère qui menace d'entrer en éruption. Ce visage qu'elle disait corrompu ne le dégoûtait pas, il l'aurait embrassé de tout son saoul s'il était possible de le faire sans lui faire mal, mais le voir se dégrader si vite le mettait dans un état de panique.

« Je sais, je vous en demande beaucoup, et vous êtes fatiguée, très fatiguée, et une fois que tout ça sera fini, on prendra des vacances, ensemble, tous les deux, mais écoutez-moi, il faut m'écouter attentivement. »

Il tâtonna dans une de ses poches en ballottant nerveusement la jeune femme pour donner à son menton l'appui de son épaule, puis il trouva un trousseau qui cliqueta entre ses doigts tandis qu'il le présentait à Erynn.

« Ça, regardez, y a trois clefs. La petite ouvragée, en argent, ouais celle-là, c'est celle des appartements d'Elerinna. Vous allez vous y rendre dès que possible, c'est urgent. Dans sa chambre, reprit-il, mais il sentit qu'elle détournait la tête avec une irritation grondante à l'évocation d'Elerinna. Il la prit par les épaules pour la soutenir en face de lui avec sévérité. « Erynn, c'est important. Dans sa chambre, il y a une double bibliothèque. Tirez les deux colonnes de rangement de part et d'autre. Vous découvrirez une petite porte enfoncée dans le mur, que vous ouvrirez avec ça, dit-il en lui montrant une deuxième clef, longue, aux détails ciselés très compliqués. N'essayez pas de la forcer, il y a des enchantements. D'accord ? Là vous descendrez les escaliers. Vous allez vous trouver dans une salle d'archives. Il y a foule de documents confidentiels, de contrats passés clandestinement, de livres de comptes officieux – je ne sais pas jusqu'à quel point ils sont à jour – de preuves pour inculper la moitié d'Hellas de tout ce que vous voulez, des choses sur les partisans d'Elerinna que vous devrez pister de toute façon, et sans doute... Sans doute sur Alana, marmonna-t-il, avant de caresser le visage abîmé d'Erynn d'une main légère. Faites de la lumière, cela vous soulagera... Tout est rangé à sa place, vous vous y retrouverez sans mal. Surtout, il y a des documents essentiels sur Bellicio, nous nous en sommes servis pendant des années pour le tenir en laisse. C'est à vous de décider comment vous utiliserez toutes ces informations, elles vous rendront maîtresse de la ville. »

C'était après tout, l'usage des informations, qui ferait une différence essentielle entre la politique qu'avait menée Elerinna et celle qu'Irina mènerait à sa suite. Elle était libre d'en faire absolument ce qu'elle voulait pour construire ce qu'elle désirait et au fond de lui... Tout au fond de lui, derrière les décombres de désespoir et d'angoisse, Léogan était presque curieux de la voir réussir.

« Ensuite... Pardonnez-moi d'être si expéditif, il faut faire vite... murmura-t-il d'une voix oppressée, en calant Erynn dans son bras pour pouvoir la regarder bien en face et donner un repère à ses yeux rougis, aux paupières comme des pétales flétries et calcinées. Il espérait qu'elle avait encore l'esprit assez vif pour assimiler tout ce qu'il avait à lui dire, mais il avait l'intuition atroce que s'il temporisait encore et encore, elle finirait par ne plus avoir la force ni la volonté de rien. Pourtant, elle ne devait pas baisser les bras. Pas maintenant qu'ils devaient se battre, pas si près du but qu'elle avait toujours poursuivi. « Ensuite, je ne sais pas de quoi vous êtes au courant exactement, écoutez-moi seulement. Il y a plusieurs espèces de... Pègres qui grouillent à Cimméria et plus particulièrement à Hellas. J'ai très longtemps traité... Enfin, j'ai contribué à l'organisation et au développement de l'une d'entre elles qui est, avant d'être aux ordres d'Elerinna, dévouée au temple et qui nous a permis de garder un contrôle exclusif de notre secteur, voire d'empiéter sur celui de la Mairie quand c'était nécessaire. Évidemment, la garde a travaillé de paire avec elle, mais il n'y a pas de contrat fixe, ces gens-là... Font ce qu'ils veulent, quand ils le veulent. Je m'occupais personnellement des négociations, mais maintenant que je pars, il faut que quelqu'un d'autre leur mette la bride au cou... Sinon il est très probable que ça dégénère. Ils ont quelques comptes à régler avec les hommes de main de la Mairie depuis les troubles de ces derniers mois et... Un certain attachement pour les vendettas. »

Un petit sourire ironique se dessina sur ses lèvres.

« Vous irez dans les bas-quartiers du temple, dans la petite impasse du tisseur, poursuivit-il avec rigueur. Là, il y a un puits, et des barreaux camouflés à l'intérieur pour descendre jusqu'au fond. C'est un accès secret aux grottes de Fellel. Prenez le couloir aménagé. A force d'avancer, vous arriverez à une porte, frappez et demandez les Va'arda. Des jumeaux, des Yorkas lynx, Isha et Nicodème. Ce sont eux qui mènent la danse, dites-leur que vous venez de ma part. C'est à vous de décider quels rapports vous entretiendrez avec eux... Mais vous comprendrez qu'en chassant les rats du trou, d'autres viendront y loger le lendemain... Ce sont des gens bien. Ils peuvent vous être utiles. »

Son regard noir, fixé avec résolution dans la blancheur sélénite des jardins, crépita d'éclats de défi insensé tandis qu'il parlait. Erynn s'était sans doute figurée, par le passé, qu'il faisait partie des rares militaires qui remplissaient leur charge honorablement à Hellas. Il ne payait pas de mine comme ça, et il s'était toujours arrangé pour n'avoir aucune réputation particulière, si ce n'était celle d'être dévoué à Elerinna – et à cela il ne pouvait pas échapper. On s'était souvent fait de lui l'idée d'un homme intègre, d'un gradé méticuleux et d'un type bien, malgré ses phases caractérielles et sa mauvaise humeur chronique.
La vérité, c'était qu'il était facile de paraître sans histoire quand on avait la main sur l'inquisition de l'armée. Dans la réalité des faits, Léogan assumait toutes les crasses et tous les sales coups qu'il avait perpétrés tout au long de sa période de fonction. Et si la pègre avait admis de traiter avec lui toutes ces années, c'était qu'au fond il était l'un des leurs, malgré toute l'hypocrisie de son masque de représentant des autorités. En définitive, il y avait peut-être bien des gens de cette cité dont il se préoccupait du sort, en dehors d'Erynn et de leur enfant...
Son regard échoua cependant dans les yeux à la lumière ternie de sa protégée, qui s'étiolait doucement dans ses bras, et la culpabilité le saisit à la gorge. C'était sa ville. Cela avait toujours été sa ville. Elle la transformerait en ce qu'elle voudrait, il fallait qu'elle en ait conscience pour se sortir de cette ornière, changer de cap pour éviter le naufrage dans cette tempête imminente et poursuivre sa route.

« D'autant que... Ce ne sont pas les seuls en ville. Il y a les hommes de main de Bellicio, bien sûr, mais je suis aussi tombé sur des étrangers ces derniers temps qui agissent sur les docks et qui échangent certaines marchandises particulières avec le réseau clandestin de la Mairie, et même avec certains officiers de la garde municipale. J'en ai coincé un, y a quelques semaines. Je pense qu'en creusant... On pourrait remonter jusqu'à Bellicio lui-même. »

Ses traits se froncèrent et son front se marqua aussitôt des deux rides de souci transversales qui lui donnaient facilement cinq ans ou un siècle de plus au milieu de ses réflexions. Cette affaire-là pourrait devenir particulièrement préoccupante si guerre il devait y avoir, ou si la ville explosait de dissensions entre les partisans belliqueux d'Elerinna et les nouvelles autorités qui s'établissaient à Hellas.
Mais Erynn se rendrait compte du danger en temps et en heure. D'un geste malhabile, tandis qu'il tenait toujours la prêtresse contre lui, adossé à la colonne, il fit glisser la troisième clef dans sa main, une vieille chose en cuivre, lourde et tordue qu'il lui présenta avec moins de solennité que les autres.

« La dernière clef. C'est chez moi. Si vous y allez, forcez un peu sur le verrou vers la gauche, appuyez sur la porte, donnez un coup si ça s'ouvre vraiment pas... J'aurais dû faire appel à un serrurier depuis longtemps, mais... Bon. Faites attention où vous mettez les pieds, c'est un peu en désordre. » Toutes ces paroles semblaient d'une effarante banalité en ces heures sombres où il remettait les clefs de la ville à une femme qui avait un rêve à accomplir au milieu d'un cauchemar. Il eut l'impression, plus nette que de coutume, d'être hors de propos, lui, avec ses aspirations de rien, de grain de sable qui veut retourner au désert, de goutte d'eau à l'océan, et sa bicoque bancale où on ne pouvait entrer sans risquer trois fractures et une asphyxie – il se retint de parler de la jungle surnaturelle qui poussait dans le hall d'entrée et qu'elle devrait traverser pour accéder aux escaliers, et en vint à l'essentiel en glissant finalement le trousseau dans la poche intérieure de la cape d'Erynn. « Si jamais... vous pouvez vous y rendre avant qu'on ne décide de perquisitionner la maison, vous trouverez, dans mon bureau à l'étage, en cherchant un peu, des dossiers sur les enquêtes en cours et sur celle-ci plus spécifiquement. Et si... Enfin, si vous en avez l'opportunité... Il y a des instruments de musique là-d'dans, et j'aimerais pas qu'on... Mais peu importe, s'interrompit-il avec un petit geste agacé. Par contre, je vais vous laisser Ode. Là, elle poireaute devant le temple, et... Arthwÿs la parquera sûrement aux écuries de la caserne. Vous pourrez me la rendre... Dans deux jours. » murmura-t-il, dans un souffle réconfortant qu'il fit courir sur les doigts sains d'Erynn, qu'il embrassa doucement.

Il esquissa un faible sourire et soupira imperceptiblement. Dieux, que c'était difficile... Il caressait inlassablement les cheveux de la jeune femme, qui se défaisaient de leur coiffure entre ses doigts, et logeait sa tête contre la sienne, sa main enlacée dans sa poigne tiède. Sa fièvre surnaturelle qui, malgré tous ses efforts, ne s'apaisait pas, et continuait à la ravager de l'intérieur, commençait à l'alarmer sérieusement. Il ne savait pas quoi faire. Et sa belle armure, qu'il avait remise pour qu'elle trouve en lui un soutien solide, se fissurait à toute vitesse. Il songeait convulsivement à l'ultimatum des dix heures qu'on lui avait imparti et contemplait en même temps la ruine d'Erynn, qui se décomposait inexorablement entre ses bras...

« Mais d'abord je vais vous ramener chez vous et... Et vous allez me dire ce que je dois faire pour vous aider. Je peux pas vous laisser dans cet état là, il faut faire... Il y a bien quelque chose que je puisse faire. » Il déglutit nerveusement et posa une main tremblante sur le front moite d'Erynn. « Tenez vous à moi... A moins que vous ne vouliez... Marcher... Mais dans votre état, je préférerais pas, alors faudra beaucoup insister, et on n'a pas l'temps pour ça. » fit-il d'une traite, avec un semblant d'humour destiné à cacher la panique qui descendait froidement de son cerveau reptilien, engourdissait son échine et lui nouait douloureusement le ventre. Tout ce qu'il aurait les tripes de faire dans les prochaines heures serait vain et futile si Erynn... Sa poitrine lui fit mal tout à coup, traversée de part en part par une aiguille lancinante, il se raidit, un crépitement électrique traversa les veines de son visage et ses poumons s'atrophièrent sur le peu d'air qu'ils contenaient encore. Si Erynn mourait dans l'obscurité d'une salle de prière quand il partirait... Il retint une nausée dans sa gorge et détourna le regard pour cacher fébrilement son horreur. D'ailleurs il ne laissa pas le temps à son amante de s'en enquérir, il l'attira contre lui en passant un bras sous ses jambes, ajustant sa cape sur ses épaules, rabattant sa capuche sur sa tête rousse et lissant ses jupons avec tact. « Allez, un deux trois. »

Il se releva avec énergie, mais son élan fut trop brutal. La tête lui tourna violemment, il pâlit et tangua sur quelques pas. Le bon souvenir de tout ce sang qu'il avait perdu et qui couvrait désormais les dalles froides du temple se rappela à lui dans un éclat vif qui aveugla son regard. Il était dans un état difficilement descriptible. Une volonté invincible se bousculait dans le moindre nœud, la plus profonde sinuosité de son cerveau, et explosait dans tous ses membres au point qu'il ne sentait plus capable de tenir en place. La force d'Erynn enveloppait chacun de ses muscles et le mettait en mouvement à la façon d'une adrénaline surpuissante, mais dans l'effort, il éprouvait brusquement toute la faiblesse de ce corps exsangue que son âme, le courage ou son opiniâtreté légendaire traînait derrière elle comme la charge inutile et encombrante d'un cheval de traie.

Retenant une malédiction très fleurie, il eut un ricanement bizarre, et il fit craquer ses cervicales d'un mouvement sec de la nuque, puis signe à Erynn que ça irait très bien – il était un bonhomme, pas vrai, hein ? Une pure puissance virile, oui madame, capable d'abattre des montagnes et puis de prendre dans ses bras la dame de ses pensées, pour l'emmener loin, très loin, sur fond de soleil couchant. Tout à fait.
Il bénit malgré tout la nature qui avait fait la dame en question si mince et si légère et descendit les escaliers du jardin d'un pas mal-assuré, qu'il posait précautionneusement sur les marches étincelantes de verglas. Il valait mieux emprunter une sortie de service, ou s'en créer une – par chance, il était plutôt coutumier des faits – parce qu'il ne s'imaginait pas trimballer Irina sous sa forme presque démoniaque à travers tout le temple sous les yeux médusés de ses consœurs. Il avança, la tête basse, dans le manteau blanc des jardins, qui exhalaient une forte odeur de sève quand sous le vent glacé les pins frissonnaient de toutes leurs épines.
Léogan comptait sur la fièvre et le délire d'Erynn pour qu'elle ne saisisse pas qu'il l'avait couverte sous sa propre cape et qu'il s'exposait aux intempéries dans un simple manteau de cuir – de toute façon il n'était pas prêt à écouter ses protestations. Elle avait épuisé sa force en lui. C'était injuste, elle n'en avait pas eu le droit, mais elle l'avait fait. Maintenant elle ne l'empêcherait pas d'user de ce qu'elle lui avait offert pour la mener en lieu sûr, saine et sauve.

Les bottes couvertes de boue et les vêtements déjà trempés après être descendu dans les profondeurs du jardin, Léogan parvint au bout de quelques minutes d'avancée difficile devant les haies qui fermaient les domaines du temple. Le regard furtif, il y chercha un défaut dans la nuit et se glissa entre les branchages en serrant Erynn contre sa poitrine. Mejaÿ louvoya derrière lui aussi silencieusement et se faufila entre ses jambes comme son ombre.
Bientôt ils traversèrent une rue bourgeoise dans l'ombre haute des maisons aux façades sculptées et aux balcons en fer forgé où se bousculaient des Cimmériens surpris dans leur sommeil par l'agitation qui résonnait dans la ville. Les gens, accoudés aux balustrades, nerveux, s’interpellaient dans un grand brouhaha et suivaient des yeux toutes ces torches qui luisaient dans les mains de ces soldats qui allaient et venaient en faisant claquer précipitamment leurs bottes sur les pavés.
Léo rasa les murs silencieusement, les yeux fixés sur le bout de ses chaussures, Erynn parfaitement dissimulée sous sa cape, et marcha avec empressement, sans s'arrêter, jusqu'à se faire apostropher par un ingénu qui grelottait de tout son corps sous son armure de cuir et sous sa cape et qui le scruta, les yeux écarquillés, à la lumière de sa torche.

« Colonel ? Mais qu'est-ce que vous faites ici ? »

Léogan ravala sa salive et se retourna lentement vers son soldat, qui restait sur place comme deux ronds de flan et attendait visiblement qu'on lui fournisse une réponse en zieutant la silhouette camouflée de la jeune femme avec incompréhension.

« …hé ben j'suis en pleine séance de marche athlétique, comme vous l'voyez, répartit Léo avec beaucoup d'aplomb, avant de reprendre aussitôt le ton du supérieur mal luné qu'on lui connaissait bien. Qu'est-ce que ça peut vous foutre ? J'vous retourne la question, mon p'tit père ! Décanillez vite fait au turbin, ou j'vous mets trois jours aux arrêts !
– Oui ! sursauta d'un coup le petit seconde-classe, en se mettant illico au garde-à-vous. Oui, Monsieur !
– C'est pas possible ça, qui m'a fichu des traîne-savates pareils ! »

Le gamin tourna prestement les talons, le visage empourpré, courut de nouveau à ses affaires et quand il risqua un coup d’œil à l'endroit où se trouvait son colonel quelques secondes plus tôt, il n'y trouva plus que l'ombre de la grande bâtisse bourgeoise au couvert de laquelle Léogan avait disparu avec son mystérieux chargement.
Il emprunta un chemin de traverse obscur où il s'écroula dos au mur pour reprendre un instant son souffle, à grandes lampées fumeuses dans l'air du soir, et pour réinstaller plus solidement Erynn entre ses bras, tandis que ses doigts moites et engourdis par le froid se crispaient maladroitement et glissaient sur les cuisses de la jeune femme. En un moment, il était reparti et filait de mémoire jusqu'à l'antre de la vipère écarlate, comptant ses pas pour ne pas flancher ni montrer de faiblesse. Il n'y était jamais entré personnellement chez elle, mais il avait souvent rôdé aux alentours après avoir trouvé son adresse, pendant ces longs mois de solitude où elle s'était réfugiée à Nivéria. Il avait peut-être espéré stupidement lui tomber dessus par hasard – presque par hasard – et sauver un peu de sa fierté en faisant comme s'il n'avait pas cherché à la retrouver quand elle avait disparu. Mais tout cela semblait bien lointain désormais. Il serra nerveusement Erynn contre lui. La chaleur sulfureuse qui se dégageait de son corps transperçait les couches de vêtements dans une faible fumée. Oui, bien lointain, et bien dérisoire...
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MessageSujet: Re: Anything but Love ¤ PV Irina   Anything but Love  ¤  PV Irina Icon_minitimeDim 10 Mai - 19:12


Anything but Love

Léogan . Irina

Dans la situation critique où ils s’enlisaient il n’y avait plus d’espace pour la rudimentaire croyance ou l’espoir, même pour Erynn dont les convictions étaient de loin le trait de personnalité le plus solide. Devant l’abîme qui les vidait de toutes ressources, il était difficile de faire la part des choses. Il n’y avait ni Bien ni Mal, seulement le besoin impérieux qui soulevait leurs poitrines éreintées, une faim permanente qui érodait lentement leur énergie jusqu’à en avoir enfin raison. Il n’y avait plus que la brutalité d’une destinée brutale et injuste, des pensées qui leur échappaient davantage à chaque minute écoulée, avec la minutie d’une lame qui s’enfonce toujours plus loin dans les plaies. Malgré la fatigue, Erynn risqua une œillade vers l’homme qui était la principale raison de sa perte de contrôle. Une vive brûlure coupable remonta du fin fond de ses entrailles, de nombreuses questions faisant écho en son for intérieur.
Qu’avait cet homme de si d’extraordinaire au final ? Qu’est-ce qui chez lui parvenait à la toucher avec cette intensité méprisable et révoltante, assez pour la pousser au bord d’un gouffre de tentation, de renoncement dépourvu d’attentes ? Il n’était justement qu’un homme. Un être odieux, cruel, égoïste, acariâtre et bourru qui plus est. Certes il avait cette capacité de séduction innée mais ne serait jamais une incarnation de Fen, et il ne faisait rien pour être aimé de ses semblables. Il se fichait pas mal de l’opinion étrangère et les scrupules étaient loin de l’étouffer. Alors pourquoi lui, parmi tous les spécimens masculins que cette Terre pouvait porter ? Elle battit des cils et un oxygène précieux envahit douloureusement ses poumons meurtris. Il n’y avait probablement pas de réponse objective à cette question, et bien que son esprit cartésien s’en révolte, elle sut à cet instant que la rechercher serait une perte de temps. Les conclusions déjà mille fois répétées l'assaillirent.

Elle l’avait dans la peau. Il était un venin goûteux, à la fois toxique et salvateur, dans lequel on plonge par désespoir sans de se rendre compte qu’il est trop tard pour faire machine arrière. Avant même de réaliser l’erreur commise on est déjà pris entre ses filets d’airain, prisonniers du piège silencieux créé par son regard d’errant intrépide. Erynn regarda l’épais nuage blanchâtre filer dans l’air, avant de comprendre qu’il s’agissait de son propre souffle. Son esprit était embrouillé par des effluves de souffre et de cendres qui semblaient naître au fond de sa gorge. Il devenait difficile de parler, et au milieu de cette cour sillonnée de bourrasques, un frisson la secoua. Il faisait froid tout à coup, froid à en perdre le cœur, froid à en perdre la tête. Froid à en mourir sur un rebord de rue mal éclairée, comme elle avait failli le faire étant enfant avant qu’Alana ne la repêche par miracle. Mais il n’y avait plus d’Alana, désormais. Nouveau frisson, nouvelle onde d'horreur. Plus d’abri ni de réconfort. La rouquine attira un pan de cape sur ses épaules, échouant à recouvrir sa honte. Bientôt il n’y aurait plus d’Ordre non plus. Alors tout ce pour quoi elle avait lutté toutes ces années, la raison pour laquelle elle s’était désespérément accrochée à la vie s’éteindrait… aussi simplement qu’une flamme de bougie qu’on éteint sans y penser.

Silence. Il n'y avait plus qu'un silence lourd et épouvantable qu'elle n'avait plus la force de briser, un vide rampant sur sa peau et l'enveloppant petit à petit sans qu'elle puisse y faire quoi que ce soit. La colère et l'envie égoïste de lui supplier de rester furent noyées par sa fatigue, et l'expression tristement malsaine dissimulée par le rideau auburn de ses cheveux. Que restait-il maintenant, si ce n'est le regret navré de Léogan, qui la regardait comme on s'excuse à un chiot qu'on ne peut adopter ? Sur le coup elle sentit les restes épars de sa dignité voler en éclats, ce qui ne lui arracha plus qu'un froncement de sourcils. Ça non plus, ça ne l'atteignait plus. Elle n'avait plus rien à perdre. Plus rien si ce n'est la chaleur frêle qui se pressait contre sa tête, où de nombreuses réalités contradictoires s'entrechoquaient.
Cela n'avait plus d'importance de déterminer qui était le coupable, le bénéficiaire, la victime. Cela lui étaient bien égal, puisque le résultat ne changerait pas. La désertion d'Elerinna et les plans secrets de Léogan ne pourraient pas être arrêtés. Il était trop tard pour empêcher le pire, trop tard pour désamorcer la bombe qui les ferait tous exploser. Tout était perdu, Erynn le ressentait au fond de ses tripes. Ses jérémiades, ses plaintes faibles et ridicules, les excuses présentées par le sindarin pris au piège et le reste, ce n'était qu'un carcan de distractions qui ne pourraient changer l'issue de leur déchéance. D'un calme las elle battit des cils aux recommandations masculines, acquiesçant sagement à son bon sens sans en penser un traître mot. À son serment elle se fit plus sérieuse pourtant, et leva le visage vers lui. Il avait le courage de lui faire une promesse qu'il ne pourrait probablement tenir, il se dressait contre le sort comme si le vaincre ne dépendait que de sa volonté.

Elle le dévisagea lui et son air insolent de grand gamin qui se donne des airs d'adulte, bravache face à un monde tyrannique qui le clôture et l'enferme. Il bluffait. Il bluffait et essayait de lui faire croire que sa main était la meilleure, il trichait sans remords et lui jetait de la poudre aux yeux pour faire passer le tout. Oh elle ne doutait pas de sa sincérité de saltimbanque, seulement son discours tenait plus de la propagande populaire que de l'évidence avérée ou possible. Dans deux jours la ville serait sans doute en mains ennemies, tombée en même temps que sa Grande Prêtresse... voix de Kesha ou catin de Sharna, elle ne saurait plus le dire.
La douceur des engagements murmurés à son oreille faillit bien avoir raison de ce qu'il restait de sa retenue. Les mots prononcés avec tendresse se lovèrent en elle, réveillant au passage l'aigreur de l'injustice. Le sommeil la gagnait de plus en plus fort, anesthésiant son corps brûlant et langue venimeuse. Elle lui appartenait aussi, chaque once et chaque morceau, chaque ruine délaissée de la secrète Erynn et du tranchant d'Irina. Elle baragouina bien quelque chose mais rien d'intelligible ne franchit la barrière de ses lèvres. Les encouragements persistants lui parvinrent flous et répétitifs, dans une litanie qui visait à la pousser vers l'avant. La gravité de la voix de Léo la berça néanmoins, à tel point que son cerveau surchargé d'informations eut beaucoup de mal à tout intégrer.

Vidée de toute énergie si ce n'est la magie qui s'échappait de chacun de ses pores, Erynn protesta à peine aux secousses involontaires qui agitèrent son corps déplacé à plusieurs reprises. Elle n'était plus qu'une poupée de chiffon traînée dans tous les sens, trop faible pour se débattre ou réfléchir normalement. Ses doigts se refermèrent mollement sur une paire de clés, qui lui furent présentées comme le trésor capable de lui donner accès à tout ce qu'elle avait si ardemment conquis, miette par miette, durant les dernières années. Si elle avait été en pleine possession de ses moyens elle l'aurait probablement insulté pour avoir gardé tout cela hors de sa portée, elle l'aurait probablement injurié de n'avoir été rien de plus qu'un crétin de criminel au service d'une chienne trop vulgaire pour se prétendre noble. Mais dans le vide entre ses deux oreilles plus rien ne semblait exister assez longtemps, trop rapidement suppléé par les plaintes abyssales d'Exanimis et la dominance de la douleur fiévreuse qui la rongeait. De temps à autre elle faisait oui de la tête, espérant que tout cela, tous ces ordres confus s'arrêtent enfin. Ses doigts s'accrochèrent comme ils purent aux vêtements de Léo, alors qu'elle se sentait sombrer de plus en plus loin dans un trou noir et réconfortant.

« Je ferai... mon possible. » C'était tout ce qu'elle pouvait lui assurer. Il serait trop bête de ne pas tirer parti de toutes ces armes qu'il venait de lui céder. Il restait seulement à déterminer si elle aurait la force, la détermination nécessaires à en faire le meilleur usage. Pour cela il faudrait déjà qu'elle mémorise la quantité non négligeable de détails, et avec l'ébullition de ses neurones restants, ce n'était pas garanti. Plissant les yeux avec sérieux, Erynn joua les bons élèves et écouta aussi attentivement que son état le lui permettait. Cependant quelques éléments ne parvinrent jamais à son esprit engourdi, et la fièvre finit par avoir momentanément raison de sa résolution. Elle perdit connaissance quelque part après que Léogan la prenne dans ses bras, ce qui à défaut de mieux eut au moins l'avantage d'éviter une discussion inutile sur sa capacité à marcher seule. Sa tête bascula en arrière contre l'épaule du brun, qui avait déjà bien assez de mal à se déplacer à cause de ses blessures. La capuche recouvrit presque entièrement son visage, et son corps inanimé donna à la scène quelque chose de plus faussement macabre que chevaleresque.
La prêtresse avait sombré dans un sommeil agité, clairsemé de cauchemars désordonnés et absurdes où guettaient des créatures informes, sanguinaires et monstrueuses, qui faisaient trembler ses membres d'une frayeur artificielle mille fois suscité chez ses proies. Le néant l'aspirait et la recouvrait, il l'enrôlait et l'incluait entièrement de ses bras grand ouverts, l'invitant à ne jamais plus le quitter. S'en détourner fut donc une épreuve, un effort intense de se dégager de cette hypnose magnétique qui la récompensa par un retour à un corps endolori et un poids inhabituel causé par l'armure. Éveillée par la vibration dans la poitrine masculine lorsque Léogan cria à un homme de foutre le camp, Erynn émergea difficilement. Le corps de son amant était froid mais ça ne la dissuadait pas de se blottir un peu plus fort. Il était son point d'ancrage avec le monde réel. Une ancre qu'elle n'allait pas tarder à perdre. Cette pensée doucha son espoir à nouveau au fur et à mesure que ses points de repère retrouvaient leur place.

Déphasée, la religieuse posa sa joue sur le poitrail à peine recouvert de son porteur. Elle mit plusieurs minutes à comprendre qu'ils étaient désormais devant sa résidence principale. Il ne lui vint pourtant pas à l'esprit de demander comment il connaissait l'adresse, ni comment il avait eu la force de la traîner jusque-là. Néanmoins elle porta les doigts à ses lèvres et siffla d'un bruit aigu et à peine audible. Plusieurs secondes s'écoulèrent, ce qui la fit douter et l'incita à réitérer. Ce fut le moment que choisit un corbeau aux yeux dorés pour apparaître en battant des ailes, se posant nonchalamment sur son bras ganté avec une clé dans le bec. Irina la récupéra enfin en ignorant les remarques fort spirituelles du volatile perturbé par son état, et le laissa reprendre son envol. Néanmoins Raven se logea en hauteur à un endroit stratégique de la véranda du deuxième étage, s'assurant sans honte aucune de garder une parfaite vue de tout ce qui se passait.
Irina ouvrit la porte en faisant glisser la clé via la télékinésie, appréciant le bref soulagement que représentait la dépense d'essence divine. Elle mit bien de longues secondes de concentration à ouvrir la porte mais y réussit finalement, alors que Juniel se pressa pour voir qui essayait d'entrer. Son visage fin sortit avec méfiance de l’entrebâillement, et se referma aussitôt à la vue d'un étranger. Ce fut toutefois la vue de sa maîtresse qui la fit ouvrir brusquement, les invitant à rentrer dès qu'elle vit ses brûlures. Clypsène n'était pas encore revenue du temple, retenue par la réunion extraordinaire, et ensuite par le rassemblement des doyennes, secondant Lyrië dans son nouveau poste temporaire. Cela limitait donc le nombre de personnes capables de prendre soin d'Erynn, surtout dans une condition aussi instable. La gouvernante appela Alix avant de refermer derrière eux, demandant des explications tandis que Léogan reposait la rouquine au sol, après que cette dernière ait continuellement insisté. Elle ne risquait plus rien désormais... Plus rien si ce n'est traumatiser à vie la pauvre adolescente dont elle était la seule famille. Tremblotant d'appréhension, Irina rabattit le capuchon sur son front et se dissimula comme elle put, le pas chancelant. Se prenant plusieurs coins de meuble au passage, elle parvint à s'adosser contre le renfoncement d'un mur, à l'abri des yeux de son apprentie. La gêne et la honte la dévoraient, et une colère grondante faisait écho au désespoir dont elle était devenue l'incarnation. Un éclair de lucidité lui vrilla la tête en même temps que la migraine et elle se fit plus dure, impitoyable et exigeante face à ce qu'il lui restait à surmonter. S'adressant à Léogan, elle tut les mots d'amour qui menaçaient de l'étouffer, faisant du fiel son bouclier et de la rancune son arme.

« Allez-vous en. Faites ce que vous avez à faire. Je ne veux plus vous voir. » C'était le mensonge le moins convaincant qu'elle ait prononcé de sa vie, mais elle en avait besoin. Il le fallait, il fallait qu'elle s'en persuade afin de s'empêcher de commettre une folie. « Partez. » 'Revenez-moi avant que je ne défaille.' Elle déglutit, debout dans un équilibre très précaire, les yeux braqués dans le noir de la pièce à peine éclairée. Elle les ferma enfin pour ne plus le voir, se sauvegardant de cette image trop pénible. La séparation était déjà une déchirure, inutile d'en rajouter. Elle vit la cape masculine posée sur un sofa et soupira. Qu'il s'en aille et emmène tout ce qui lui appartenait. Les biens, les odeurs, les souvenirs, les sentiments et les promesses. Qu'il s'en aille. Maintenant. Ou jamais. Tout de suite. Sans doute. Peut-être. Sans attendre. Immédiatement. Merde. Erynn soupira puis se tut, alors qu'Exanimis susurrait au fond de son crâne.

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MessageSujet: Re: Anything but Love ¤ PV Irina   Anything but Love  ¤  PV Irina Icon_minitimeMar 12 Mai - 2:29

Quand il avait aidé Erynn à se remettre sur ses jambes et qu'elle s'était finalement décrochée de lui pour tituber dans son hall d'entrée, Léogan s'était senti soudain vidé de ses forces. Il avait appuyé une épaule contre le mur du couloir et il l'avait regardée s'éloigner précipitamment, la démarche incertaine, heurtant des meubles nerveusement en passant dans le salon. Il était resté là, le front emprisonné dans une de ses mains, il avait continué à la regarder se cacher honteusement sous sa capuche, et il s'était tu. Il éprouvait lui aussi, jusqu'au plus profond de lui-même, une sorte de dégoût qui le rongeait comme de l'acide, le malaise terrible de lui imposer sa présence dans la faiblesse, de lui infliger son regard quand elle fuyait l'étalage de sa fragilité, faute de pouvoir se draper dans la dignité, et surtout il mourait de honte d'en être le responsable.

Il faisait froid, dans cette petite maison en pierres, il y avait un goût de cendre dans le fond de l'air. Léogan regarda autour de lui avec un frisson hagard. Il entra dans le salon derrière elle, son regard s'accrocha brièvement à un portrait d'Alana, au mur, et il détourna rapidement les yeux. Pourquoi chaque fois qu'il entrait chez Erynn, que ce soit à Nivéria ou ici, fallait-il qu'il sente jusque dans sa moelle qu'il n'avait rien à y foutre ?
Il avança à peine et se soutint cavalièrement à l'encadrement de la porte du salon, les bras croisés comme un loquet, pour ne rien laisser voir de son trouble. Déjà, le contact de la jeune femme lui manquait, au-delà des mots, comme si c'était un premier pas vers l'amputation totale de leurs existences – et c'en était un. Un gouffre béant, plein de courants d'air et de vide, s'était ouvert dans sa poitrine quand il l'avait laissée partir. Quand elle s'était arrachée à lui pour le laisser partir.

Et avec la distance qu'elle venait de marquer résolument entre elle et lui, et la présence des deux jeunes filles dans la même pièce, il n'était même plus question d'envisager de la toucher une fois de plus, ni même de l'effleurer du regard, sous sa lourde cape qui voilait jusqu'à ses yeux et dont l'obscurité avalait tout son visage. En vérité, il n'en attendait pas moins d'elle, ou pas plus peut-être. Elle faisait ce qu'il y avait à faire, avec sa fermeté habituelle, malgré la déchéance, avec tout le cran dont elle était capable et qu'il aimait si fort chez elle. Et pourtant, pourtant... Même si tout son instinct l'avertissait que la rupture serait brutale, les mots qu'elle prononça s'enfoncèrent dans sa poitrine avec le tranchant affûté d'un poignard. Son souffle se bloqua tout à coup dans sa poitrine, une douleur innommable lui creva les yeux, et il ne savait pas si c'était le grain irrégulier et fragile de la voix d'Erynn, ou le souvenir de son visage brûlant lové contre lui pendant ces longues minutes de marche dans la ville, mais tout ça lui parut tout à coup d'une absurdité infernale. Il perdit pied.

Elle était là, devant lui, elle ne bougeait pas d'un cil, et sans doute qu'elle attendait qu'il parte là, tout de suite, maintenant, pour s'effondrer, mais il n'était pas capable de la laisser ici tout à coup, de détourner brusquement les talons et de claquer la porte derrière lui, il en était incapable. Il respira plus vite, son regard papillonna de tous les côtés dans l'espoir insensé d'y trouver quelque chose pour le retenir, mais c'était peine perdue. Il s'immobilisa soudain et comprit peu à peu, dans le silence, qu'il n'avait plus le choix.
Sa voix ne fut qu'un filet rauque qui s'échappa par hasard de sa gorge, comme un écho sourd qui s'extirpe des profondeurs d'une caverne.

« Comme vous voudrez. »

Il était incapable de fermer les yeux, pour lui. Il les gardait grands ouverts, fixés sur elle comme si tout à coup un tremblement de terre emporterait ce salon dans des débris de roc et des nuées de poussière, et la ferait disparaître de sa vue comme un mirage. Elle lui faisait perdre la tête, avec ses désirs et ses décisions contradictoires.
Mais dis-moi ce que tu veux vraiment Erynn, dis-le ! Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse toi et moi ? Merde ! Pars, reste, crève, survis, ne me laisse pas. Oh, oui, je suis désolé, tu es désolée, on est tous désolés ! Et si on écoutait un peu ce qu'on veut vraiment faire toi et moi pour une fois ! Qu'est-ce que ça donnerait de si dramatique, putain ? Personne n'est irremplaçable, on changera pas le monde, mais on peut suivre la route qu'on veut...
Un grondement de révolte palpitait sous sa poitrine. Léogan n'était simplement pas prêt à faciliter les choses. Il ne l'avait jamais été. Il était qu'un petit fauteur de troubles qui semait le doute et la terreur et qui faisait tout s'effondrer sur son passage. Sur chacun de ses pas, il y avait des ruines. Et dans le regard intense qu'il faisait peser sur Erynn, à cet instant, il y avait comme une bombe, un souffle et un grand bruit d'impact.
'Comme vous voudrez', ouais. Ce qu'elle voulait vraiment, il était trop stupide, ou trop décontenancé pour le deviner. Oh oui naturellement, il aurait été injuste de la laisser faire le choix tout seule, la ville ou Léo, Léo ou la ville, la ville ou elle-même. Alors il l'avait fait pour elle. Mais ça, c'était pas ce qu'il voulait lui, chiotte, bordel, merde ! Jamais c'était ce qu'il avait voulu ! Jamais il n'avait voulu de ses « partez, je ne veux plus vous voir », qu'est-ce qu'il allait bien pouvoir foutre lui maintenant ?! Il allait tout envoyer en l'air avec Elerinna et puis si on le descendait pas entre temps dans le désert de glace, il irait l'attendre quelque part, dans deux jours, est-ce qu'elle viendrait ? Et si elle ne venait pas ? Si elle en avait assez de souffrir à force de s'accrocher à lui comme à un canot de sauvetage épineux, ou il ne savait trop quoi ? Qu'est-ce qu'il deviendrait ? Qu'est-ce qu'elle deviendrait ? Il se passerait quoi, hein ? Y avait rien, après elle. Y avait pas eu quoi que ce soit non plus avant.

Mais la distance, l'obscurité, la froideur, tout ça lui coupa les jambes. Il aurait pu changer d'avis tout à coup, retourner sa veste, faire sauter tous les projets qu'il avait entrepris jusque là, et la ville avec, il aurait pu. Mais ces questions-là le paralysaient de terreur et après tout ce qu'il avait fait, il ne s'en sentait pas le droit – et cette interdiction dégueulasse, cette responsabilité d'homme adulte bien pensant, ça le révulsait, ça remplissait sa colère jusqu'à ras bord, jusqu'à en gerber, jusqu'à hurler.

« Ne restez pas plantée là comme une idiote, faites quelque chose, vociféra-t-il brutalement à la gouvernante, les yeux étincelants de fureur, emmenez-la s'allonger, elle ne peut pas rester debout très longtemps. » Parlez-lui, ne laissez jamais de silence, occupez-la, empêchez-la de mourir par pitié. Il se pinça l'arrête du nez pour faire taire tout ce désespoir compact qui suintait de ses pensées et il désigna le couloir d'entrée d'un geste fébrile. « Je vous laisse un pli, là. Vous le lui remettrez. Quand elle l'aura lu, il faudra le brûler. Ne vous occupez pas de moi, dans quelques minutes je suis parti. » Comme ce papier qui s'évanouirait bientôt en fumée.

Son poignet s'agita d'un mouvement sec pour les chasser de sa vue, Erynn et elle, et il attrapa sa cape vivement. Le gantelet de l'armure glissa d'une de ses poches intérieures, tomba, et ricocha dans un éclat cassant sur les dalles froides du salon. Les yeux de Léogan en suivirent la chute. Un spasme fit tressauter un pli de sa bouche et une veine dans son cou. Il resta figé comme une statue de glace pendant quelques instants, le regard absorbé par la lumière vif-argent de l'artefact, le souffle coupé. Il faudrait l'emmener. Il ne pouvait pas laisser ça là, de toute façon. Son regard remonta en flèche vers la silhouette noire d'Erynn, dissimulée dans un renfoncement, et son ventre se serra violemment. Un souffle d'air tremblant trouva finalement le chemin de ses poumons et il se pencha pour ramasser le gantelet. Il le fit sauter d'un air faussement distrait dans sa main. Ses bottes étaient clouées au sol. C'était le moment de se détourner et de dire au revoir, quelque chose, mais il n'était pas sûr d'avoir la volonté nécessaire pour le faire. Elle gardait son visage obstinément caché dans sa capuche, elle ne le regardait pas et il la fixait fiévreusement, comme au milieu d'un délire ou d'une hallucination. C'était injuste. Elle lui avait toujours donné l'impression d'être plus forte que lui, à savoir précisément ce qu'elle voulait, et à force de le récupérer au fond du trou, sans cesse, avec cette abnégation inaltérable, à force de lui redonner sa chance, chaque fois qu'il revenait vers elle, et qu'il l'asséchait de ses ressources qui trompeusement lui avaient paru inépuisables. Elle n'était pas plus forte que lui. Il ne pouvait pas simplement craquer là et la supplier de partir avec lui, lui demander la permission de rester ici avec elle, dans un coin, silencieusement, de voir le môme une dernière fois ou même attendre un mot de secours de sa part.
Elle avait peut-être été plus solide que lui pendant tout ce temps, mais elle n'était pas plus forte. Il avait fini par la briser, elle tombait en morceaux, et c'était la première fois que ça lui arrivait vraiment. Elle n'avait aucune idée de comment s'y prendre pour les recoller alors elle gisait là, tristement sur le sol, elle les regardait tous ces morceaux d'elle-même qui s'étaient éparpillés par terre comme s'ils étaient perdus à jamais et elle se laissait mourir. Au fond de Léogan il y avait un cri de panique atroce qui résonnait. Il était cet objet fragile qui était tombé mille fois, et retombé mille fois encore, mais qui s'était rafistolé avec les moyens du bord et qui était encore là, précairement entier, ou entièrement précaire, les deux en même temps. Ils étaient de la même espèce, tous les deux, de cette vermine dont on ne se débarrasse pas, mais il était le cafard qu'on avait écrasé cinq fois et qui avait survécu. Il avait plusieurs vies et elle n'en avait qu'une seule. Il savait comment se relever et avancer, alors c'était à lui de le faire.

Il la fixait et il aurait voulu hurler ce cri de panique qui lui arrachait les tympans à l'intérieur, faire sortir ce sanglot qui était coincé dans sa poitrine, lui dire qu'il l'aimait, enfin, mais rien ne se passait. Et certainement... que c'était mieux comme ça. Sa main droite passa machinalement à travers sa chemise entrouverte et il massa une de ses plaies mal refermées qui laissa échapper entre ses doigts et ses ongles une plainte lancinante. Un vertige lui fit tourner la tête et il oublia son horreur le temps de quelques secondes. Quand les taches rouges qui palpitaient sur ses rétines se furent éteintes, il fit face au fantôme déjà voilé d'obscurité qu'était Erynn, dans un coin de son salon, et il inclina durement la tête – presque militairement, avant de reculer d'un pas. Il portait des bottes de plomb, c'était impossible. Sa mâchoire se crispa, il secoua la tête avec agacement et se força brutalement à se retourner, sans un mot de plus, dans un silence maladroit et un regard ulcéré. S'il avait pu, il aurait couru. Il aurait couru jusqu'à sentir tous ses muscles brûler, jusqu'à sentir dans ses veines de la soude à la place de son sang. Puis il aurait couru encore. Il aurait cassé la figure de la première personne qu'il aurait croisé, il se serait défoulé sur une figure méconnaissable, il aurait tué quelqu'un.

Mais il ne le pouvait pas. Il balança sa cape sur son épaule et commença à attacher fébrilement le gantelet à sa ceinture d'armes, les mains tremblantes et le front trempé de sueur. Il disparut dans le couloir et chercha rapidement dans son manteau de quoi écrire, une capsule d'encre noire, une petite plume et un fin rouleau de parchemin, enroulé très étroitement qui avait jusque là été miraculeusement épargné par son hémorragie. Il s'essuya vainement les mains sur ses vêtements, déplia le parchemin sur le meuble d'entrée et commença à aligner des mots sévères et impersonnels, d'une écriture fermée comme des barreaux de prison. Clef en argent, appartements d'Elerinna. Double bibliothèque dans sa chambre. Tirer les deux colonnes de rangement. Ouvrir la porte avec la clef longue. Sa main tremblait. Il la leva et observa en grimaçant les marques rougies de ses nouveaux tissus couverts de bleus. Il était en train de dégueulasser le parchemin de sang séché. Fantastique.
Il prit une profonde inspiration et poursuivit son billet télégraphique d'un trait de plume incisif. Bas quartiers du temple, descendre dans le puits de l'impasse du tisseur. Rencontrer Isha et Nicodème Va'arda, jumeaux yorkas, cheveux noirs, yeux... Et tout à coup, un long cri de détresse résonna entre les murs austères et glacés de la demeure. Un tressaillement de panique gagna la main gauche de Léo et sa plume crissa sur sa page dans un gargouillis d'encre immonde.
C'était Aemyn. C'était Aemyn qui pleurait de toute la force de ses poumons quelque part dans une des chambres de la maison et il ne pouvait pas s'occuper de lui non plus.
Une lourde fumée blanche louvoya entre ses dents, il jeta la plume sur le meuble et s'écrasa dos contre un mur du couloir, la tête renversée en arrière. Qu'est-ce qu'il était en train de faire ?

On laissait le petit garçon hurler quelque part dans son berceau. La gouvernante et Alix étaient trop occupées autour d'Erynn  et lui, lui il était là, avec sa lettre abrégée et ses lambeaux de phrases sévères comme cette demeure sans vie – oh il haïssait cet endroit, il en détestait l'air, il détestait ses vieux meubles bien rangés, il détestait sa gouvernante effacée, il le haïssait si fort, il le haïssait pour être contraint de tout y abandonner... Et lui aussi il devait laisser Aemyn pleurer, encore et encore, sans s'arrêter, et les échos de ses pleurs résonner dans le vide. C'était un cauchemar.
Il plaqua le dos de sa main couverte d'encre sur son front moite et il se sentit brutalement sur le point de rupture. La respiration sifflante d'Erynn lui parvenait depuis le salon, il sentait encore son odeur sur lui, avec des relents de fournaise et de soufre, il ne respirait et il n'entendait qu'elle, l'air métallique de la maison, les sanglots d'Aemyn, son souffle si proche, si lointain, il se fractura d'un coup. Son cœur l'élança, la douleur irradia dans ses veines asséchées et éveilla des crampes qui lui tordirent les genoux et les mollets. Il se plia en deux et mesura qu'il avait besoin de s'asseoir maintenant. Il s'écroula silencieusement contre le mur en s'agrippant aux pierres qui saillaient et se laissa tomber sur le sol. Le sanglot gonfla dans sa poitrine et les larmes lui montèrent aux yeux entre ses paupières fermées. Brillant, Léo. T'auras presque fait un père modèle pendant un ou deux mois avant de... Disparaître dans la nature. De crever dans une congère. Un père modèle dont le gosse oublierait bientôt à quoi il ressemblait. C'était un cauchemar. Il ne pouvait pas être en train de vivre ça, ce n'était pas possible. Ses doigts se crispèrent dans ses cheveux, il se prit le visage entre les mains et il tenta encore une fois de se contenir dans un soupir tremblant, il fit des efforts terribles, il se raidit, voulut à nouveau avaler son sanglot, mais il n'y parvint pas. Il était fatigué, ses nerfs ne le supportaient plus. Il porta son front dans sa main humide d'encre, laissa l'autre pendre sur ses genoux tortueux et voila ses yeux pour pleurer sans bruit.

Le temps passa sans qu'il en ait conscience. Il était en train de se vider, petit à petit, de tout ce qu'il avait retenu au fond de lui tout ce temps et, physiquement en tout cas, c'était comme un soulagement qui se renouvelait sans cesse, à chaque pic de culpabilité qui remontait en flèche acérée dans sa poitrine et qui disparaissait éphémèrement dans ses larmes. Toutes ses fautes, ses pensées, ses décisions et ses désirs se diluaient confusément tandis qu'il s'assommait tout seul, recroquevillé près de la porte qu'il ne voulait pas franchir.
A un moment, Aemyn dut réaliser qu'il ne servait à rien de s'égosiller et ses hoquets se calmèrent peu à peu. Léo s'était oublié depuis quelques instants déjà, il s'était perdu dans les cris inconsolables du garçon et quand ils se turent tout à fait, il lui sembla qu'il sortait d'une torpeur pour en tomber dans une autre. Sa sensibilité était émoussée, sa volonté engourdie, son corps endolori. Il se releva machinalement et s'essuya le visage et les mains sur ses manches pour se repencher sur sa lettre où il avait tenté de porter une écriture sûre, et qui était désormais maculée de crasse et d'encre. Le papier était sec cependant et il prit parti d'achever d'y reproduire ses explications.
Il ratura fermement trois ou quatre formules d'encouragement qui auraient pu clore le courrier et le rendre moins abrupt, agacé par la stupidité qu'il leur trouvait et abandonna ses tentatives avec lassitude. Elle souffrirait quoi qu'il arrive, il n'y avait rien à faire.

Dans un automatisme protocolaire, la même mécanique insensée qui lui faisait plier ses vêtements et les poser sans y réfléchir n'importe où dans le grand capharnaüm de sa propre maison, il referma soigneusement la lettre en enveloppe et la plaça contre une chandelle éteinte, en évidence sur le meuble. Il la considéra pendant un temps, hébété, un spasme lui serrait la gorge, l'étranglait, enfermait en lui un vide épouvantable. Il tendait l'oreille, il entendait à peine Erynn désormais.
Il remit lentement ses gants puis, à pas feutrés, il avança jusqu'à la porte et posa une main sur la poignée. Allons, ce n'est jamais qu'une porte. T'as ça dans l'sang. Il l'ouvrit brutalement et sortit d'un pas vif en la refermant aussitôt derrière lui, comme un souvenir qu'on clôt précipitamment dans un coin de son esprit.

Le souffle court, mortifié par ce qu'il venait de faire, il se détourna et s'enfuit comme un voleur, la cape sous le bras, dévalant les quelques marches qui menaient au pallier de sa maison sans comprendre précisément ce qui se passait devant lui. Il bouscula une vieille femme en se jetant dans la rue et ne réalisa qu'après avoir couru comme un dératé sur une centaine de pas que ce devait être Clypsène qui rentrait du temple. Dans son trouble, au milieu des tourbillons de neige, cela le rassura à peine et il continua de courir droit devant lui, à découvert de tout au milieu de la nuit. Il courut jusqu'à se scier la poitrine. Il renversa des soldats en fendant des patrouilles désordonnées, il bondit par-dessus des murets couverts de givre, il glissa, se péta la gueule dans le caniveau, il se releva, chancela, suffoqua, s'arrêta, alluma une clope en grimaçant pour ses genoux écorchés, inspira une grande bouffée de tabac qui lui retourna la tête – et il courut encore. Il n'avait qu'une idée, une idée fixe, c'était de creuser le plus d'écart entre Erynn et lui, de partir et de tout oublier dans la course, de n'être plus qu'un animal en fuite, sans biens, sans souvenirs, de n'être plus capable de ressentir quoi que ce soit.
Y a un adage qui dit qu'on fait toujours du mal à ceux qu'on aime. Il oublie de dire qu'on aime surtout ceux qui nous font du mal. Ha, bordel, merde... Parce que ça faisait putain de mal, ouais. Est-ce qu'ils se seraient engagés, le premier jour, s'ils l'avaient su ? Et à quoi ça leur servait pour ce qu'ils avaient chacun à faire ? Ils couraient très bien à leur perte, tous les deux, avant de se connaître, ils étaient en bon chemin. Léo en désordre, sans calcul et sans destination, prêt à exploser et à tout emporter sur son passage, à contempler le monde s'écrouler avec lui d'un regard halluciné, Erynn avec ses convictions de femme de tête, les luttes qu'elle menait sans jamais baisser sa garde, jusqu'à l'épuisement, pour tout sauver dans cette ville exceptée elle-même, Erynn, sa rage et son destin tout tracé de sacrifices. Qu'est-ce qui lui avait pris de le laisser approcher ?
Ils étaient la pire chose qui leur soit jamais arrivé. La seule, quand ils s'étaient résignés à mal finir, quand ils auraient préféré seulement détruire, abandonner et disparaître, la seule qui les forcerait à se garder toujours plus longtemps en vie.

***

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