Cold Marching Funeral - PV Elerinna

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 Cold Marching Funeral - PV Elerinna

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Anonymous Invité
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MessageSujet: Cold Marching Funeral - PV Elerinna   Cold Marching Funeral - PV Elerinna Icon_minitimeLun 19 Jan - 23:13


Les bottes noires et usées de Léogan s'enfonçaient dans les congères épaisses que le vent hérissé d'iode avait charriées sur la crête de la falaise. Le froid commençait à devenir insupportable. Cela faisait maintenant presque vingt-quatre heures qu'il s'enlisait dans la neige et piétinait dans le givre du désert, des grottes de Fellel et de la toundra, ses chaussures s'étaient imprégnées d'humidité dans la course et il sentait venir un début douloureux d'onglée – il l'espérait – ou d'une saloperie de gelure dans ses pieds ankylosés. Un rictus répugné lui tordit le visage. Mais il n'était pas question de rejoindre le campement où les Lanetae fêtaient leurs retrouvailles dans de grandes embrassades éplorées, même le grand feu qui brûlait dans la baraque qu'ils avaient investie à Inoa ne suffirait pas à lui donner envie de faire semblant de participer à tout ça. Il marchait encore.
Il resserra sa cape de camouflage d'une blancheur désormais très douteuse sur ses guenilles dégueulasses de son propre sang et s'arrêta soudain au bord de la falaise. Le crissement de la neige qui accompagnait chacun de ses pas depuis la nuit dernière et qui était devenu extrêmement pénible à son ouïe de Sindarin se tut enfin.
Son regard charbonneux se porta sur les glaciers bleus qui dévalaient dans les cirques rocailleux jusque dans la mer et sur la mer qui tirait son immense étendue noire jusqu'à l'horizon où agonisait un soleil blafard et qui écumait férocement contre la roche, sous ses pieds. Le bruit transperçant du flux et du reflux, du sel contre le givre, lui cassait les oreilles, mais il était régulier, et pendant les quelques minutes de silence que Léogan s'accorda, il eut sur lui l'effet d'un métronome sur le jeu d'un musicien trop emporté.
Il ferma les yeux et respira profondément. Le froid lui mordit ses narines irritées, défonça son conduit nasal, lui laboura la gorge et s'enfonça brutalement dans ses poumons. Il toussa dans ses gants en cuir et se racla la gorge.

Les vents marins qui vrombissaient autour de lui l'aidaient à s'imaginer, derrière l'écran noir de ses paupières, que les volcans sous-glaciaires qui sillonnaient secrètement les côtes cimmériennes entraient soudain en éruption. La terre tremblait. Des myriades d'éclats de gel roulaient et s'entrechoquaient, aspirées par les bouches avides des crevasses qui s'ouvraient dans le glacier. Des chapes de vapeur brûlante montaient sous sa calotte et craquelaient la glace dans un fracas épouvantable. Sous ses bottes, l'eau grondait, prisonnière de la caldera, et jaillissait en geysers bouillants autour de lui, avec le gaz nauséabond du volcan. La fumée s'élevait sur des kilomètres dans le ciel bas et pâle, dans des tourbillons grisâtres de cendre et d'acide, étouffant bientôt la côte d'une nuit surnaturelle. Soudain, un craquement sinistre détonna dans la vallée et un déluge de boue et de glace – les glaciers qui courent – dévalèrent sur les terres qu'ils surplombaient. Tout en bas, derrière lui, dans la vallée couverte par la forêt boréale, le village de pêcheurs tout entier tremblait et du haut du cratère, il observait avec un plaisir vengeur la course paniquée de l'armée des Lanetae en pleine débandade qui fuyait vers les frontières eridaniennes. Les cris des soldats se perdirent dans le vacarme de l'eau bouillonnante et les vagissements des habitations balayées.

Il ouvrit les yeux. Devant lui, il n'y avait plus que le flux et le reflux crissant de l'océan. Depuis l'intervention d'Irina sur le fantôme qui hantait son esprit malade depuis des mois, sa folie s'était doucement calmée, comme l'eau bouillonnante d'un lac qui se lisse à nouveau mais demeure encore tiède et dangereuse. Il n'avait pas cessé d'être en colère pourtant. D'une rage sourde, dévorante, qui gardait son sang en ébullition sous sa peau dorée et flétrie et qu'il n'arrivait pas à épancher, même après avoir combattu, terrifié et tué encore et encore, il ne parvenait pas à se débarrasser du poison de sa fureur qui l'enflammait sans discontinuer – ou peut-être était-ce simplement qu'il ne le voulait pas.
Peut-être était-ce simplement qu'il ne voulait pas cesser d'être en colère contre Elerinna. Peut-être qu'il ne voulait pas lui pardonner le point d'orgue qu'elle avait mis à sa longue carrière de chaos politique et d'intrigues sordides dont il avait été l'un des principaux fers de lance. Il ne voulait certainement pas lui pardonner la guerre dans laquelle elle l'avait précipité sans prendre la peine d'en discuter, ni même de le mettre au parfum – en le manipulant comme elle avait manipulé tous ses autres outils en vérité, parce que c'était ce qu'il avait fini par devenir, un instrument comme un autre de son utopie subtile et aérienne. Il ne voulait pas lui pardonner ce coup de poignard dans le dos. Et surtout, il ne voulait pas lui pardonner de l'avoir laissé devenir l'homme qu'il était aujourd'hui, un traître, encore, un type sans substance qui n'avait aucune chance de se trouver une place nulle part, pas même auprès de la femme qu'il aimait et de son fils – de ne pas l'avoir même remarqué, de n'avoir pas vu qu'il s'était vidé de son sang pour elle au temple, de ne pas avoir pensé que sa vie à lui valait mieux que tous ces putains d'idéaux à la con. Il ne le voulait pas, définitivement.

Son visage émacié se durcit. Des marques de suie lézardaient sa peau comme un étrange archipel de tatouages – stigmates de la foudre qui s'était déchaînée contre les ennemis de la reine aux mille masques, qui les avait enfin faits tomber aux yeux du monde.
Il avait quitté discrètement les Lanetae quand ils avaient commencé à réfléchir ensemble à leurs futures stratégies, en lançant un regard très entendu à Elerinna, pour lui faire comprendre qu'il l'attendrait à l'extérieur où il voulait discuter en privé. Il ne faisait absolument pas confiance à Faéris pour envisager, comme il l'avait pourtant promis, de la convaincre de démanteler ses troupes. Il s'en chargerait. Il était là pour ça après tout.

Enfin, au bout d'un long moment d'attente, il entendit le pas d'Elerinna, oh tellement reconnaissable après toutes ces années passées à la suivre comme son ombre, à l'écouter parler, respirer, rire, pleurer et marcher.
Il ne se retourna vers elle que lorsque la neige cessa de crisser sous ses pas et lui adressa un sourire blafard.

« Toujours à lambiner, princesse, hein ? Rien ne change jamais... soupira-t-il, d'une voix éteinte, avant de baisser son regard, puis de le braquer à nouveau vers la mer. Rien ne change jamais vraiment. »
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Anonymous Invité
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MessageSujet: Re: Cold Marching Funeral - PV Elerinna   Cold Marching Funeral - PV Elerinna Icon_minitimeMer 28 Jan - 0:26

Le soir tombait sur les cimes, blafard et méchant. Dans le ciel terne et gris les nuages se déchiraient tranquillement, sans s'affoler, cruellement, sanguinolent comme des cadavres de dieux forts antiques abbatus par de formidables combats aux fracas immémoriaux. Le soleil déclinant était pâle et malade - il saignait, lui aussi, abondamment, malgré sa pâleur-. Son cercle jaune était ceint d'un liseré rouge qui brillait vilainement, et qui faisait des zigzags dans l'azur désastreux. Et il jetait maladivement ses derniers rayons sur la blanche neige qui semblait terne, elle-aussi, illuminée, piteusement, par les derniers feux de l'agonie céleste.

En sortant de sa tente, Elerinna avait adressé un dernier sourire à Karel, recroquevillée dans un coin, qui se réchauffait du mieux qu'elle le pouvait, enfouie sous les couvertures qu'on avait pu lui donner. La pauvre enfant grelottait, et parlait à peine; la fuite de Hellas l'avait profondément affectée, et elle semblait incapable d'exprimer quoique ce fut correctement, comme si elle n'était plus qu'un corps, engourdie, gauche et débile. Elle avait bien tenté de converser avec elle et de la réconforter. Mais rien n'y faisait. Karel la regardait avec ses grands yeux vides qui n'exprimaient plus rien, avec son visage blanc, pâle comme la mort et qui la regardait comme un terrible masque. Elle la regardait fixement, comme ça, sans broncher, et répondait lentement, détachant chaque syllabe avec une lenteur confuse et morne; parfois, elle souriait, mais c'était un sourire sans force et sans vie. Elerinna frémissait en regardant ce sourire-là, ces lèvres fines et serrées, bleues de froid, rigide, et qui ne savait plus rire. Férocement, la culpabilité lui dévorait le coeur sans vergogne, et la taraudait méchamment lorsqu'elle tentait de songer à d'autres choses.

Pourtant, l'ouvrage ne manquait pas. Il était urgent qu'elle organisât les démarches des jours à venir, qu'elle se penchât sur la stratégie à suivre, qu'elle se tint informée des ressources dont elle disposait, des options qui s'offraient à elle, et de toutes les menues démarches qui requéraient encore son attention. Cependant, elle ne parvenait pas à détacher ses pensées de Karel. L'enfant lui rappelait sa propre fille, qu'elle n'avait point vue depuis longtemps déjà et elle se sentait écrasé de honte en songeant qu'elle ne l'avait jamais vraiment connue, mais qu'elle l'avait laissée seule, au contraire, et qu'elle en était responsable. Sa fuite l'avait rendue plus humble, quelque part, du moins plus lucide. Elle n'était plus aveuglée par les illusions du pouvoir, mais était tombée de haut, comme on dit, sèchement, sans le vouloir, tout à fait par hasard, innocemment, et son coeur déjà malade s'était à nouveau remplie d'une sourde mélancolie, quand la déréliction s'était emparée d'elle. En somme, elle cherchait à se pardonner en Karel, mais ne parvenait qu'à se blesser davantage. La folle énergie de sa fuite, pleine d'une ivresse rageuse et splendide s'était mue en une morgue acérée et amère qui bouillonnait sans but en elle.

Dehors, elle contempla la fin du jour dans le froid, silencieusement, tandis que le blizzard bruissait à ses oreilles des plaintes inopportunes et lui fouettaient le cou à travers sa pelisse de laine chaude. Puis, elle regarda le petit camp balayé par les vents, installé à la frontière d'Inoa. Et, brusquement, dans la pâleur du soir tombant, tout cela lui parut tout à fait vain, sans espoir, froidement vouée à l'échec, fracassée d'avance sur l'autel de l'idéal; un mauvais tic lui agita la livre supérieur et elle eut comme un rictus. Elle enfonça son cou dans la laine, et s'efforça d'oublier le lourd sentiment qui pesait sur elle de toutes ses forces, et qui s'immisçait peu à peu dans son âme. Il fallait bien que ce monde s'effondrât, un jour ou l'autre; il était temps, enfin, que le monde vive à nouveau.

Lentement, elle se dirigea ver l'océan, à l'endroit que lui avait indiqué Léogan. Elle s'enfonçait péniblement dans la neige, qui crissait sous ses pas et qui n'en finissait pas d'étaler son manteau blanc sur tout ce qui vivait; toute cette blancheur, tout cette pureté, c'était à vous donner le tournis. Elerinna étouffait presque à ne voir que cela, à sa droite, à sa gauche, devant, et où qu'elle tournât la tête. C'était comme une gangue timide, comme une prison, mais à peine palpable, et qui semblait si belle, à regarder! Et le vent vrombissait sans coup férir, s'engouffrait dans sa gorge qu'il raclait violemment, en se tordant dans tous les sens, criaillant dans ses oreilles gelés, martelant ses paupières lourdes et endoloris. Enfin, elle parvint à la hauteur de Léogan.

Il avait le visage des grands jours, l'air plus sournois que d'habitude -et plus sérieux aussi-. Lorsqu'il se retourna vers elle, Elerinna remarqua ses yeux qui la regardaient, sans ciller, et qui étaient comme deux fentes de douleur et de reproche, qui étaient comme un vilain miroir de son âme, et qui lui renvoyait tout ce qu'elle était, tout ce qu'il lui semblait être, et qu'elle haïssait de plus en plus, jusqu'à ce que cela lui fut insupportable. Mais elle ne détourna pas le regard, et affronta sa douleur au travers de la sienne; il n'était pas question d'abandonner. Elle eut un rictus mauvais, impulsif, presque cruel, aux paroles de Léogan:

- Tout finit toujours par passer Léogan. Tout. Lui jeta-t-elle. Toi comme moi, nous passerons.

Elle le fixait encore. Léogan, lui, avait détourné les yeux, et contemplait l'océan, qui vagissait furieusement sur le rivage et y déversait des trombes d'eau glaciale. Il semblait abattu. La lassitude avait envahi son beau regard, ce regard qu'elle avait tant aimé et qui l'accusait, lui aussi, comme celui de Karel. Il avait, lui aussi, cette même fixité fatiguée, cette étincelle inquiète, cette couleur terne et morose. Coupable, Elerinna n'en fut pas moins bravache:

-Sil y'a quelque chose, qui ne change pas, continua-t-elle amèrement, c'est certainement nous. En sommes-nous capable, hein, tu peux me dire? Moi je dirai que oui. Mais toi, qu'est-ce que tu en dis, pour de vrai? Tu as toujours été foutrement défaitiste.

Elle avait prononcé ces dernières paroles sur un ton de défi, l'oeil fier et brillant. Elle se drapait dans la dignité, à défaut d'être innocente. Il fallait que tout ce ram-dam servît à quelque chose en fin de compte, ou qu'il profitât plus tard à quelques grands desseins; sans cela, tout eût été vain. Ce sombre présage s'immisçait encore davantage dans le coeur d'Elerinna, et lui dévorait tout ce qui lui restait de raison.

-Enfin, j'imagine que tu n'as pas demandé à me parler pour reprendre nos anciens entretiens métaphysiques, n'est-ce pas? Le questionna-t-elle avec une morgue impatiente. De toute façon, ils n'ont jamais mené qu'à des disputes. Au mieux sur des oreillers. Je t'écoute.

Son ton avait été plus sec qu'elle ne l'aurait voulu; son attitude était hautaine et fière. Elle frémissait d'angoisse et bouillonait d'amertume, en elle-même. La mer jetait toujours sur les rivages ses vagues millénaires et le vent sifflait férocement aux oreilles; les dernières lueurs du crépuscules eurent un éclat furieux et méchant.
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Anonymous Invité
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MessageSujet: Re: Cold Marching Funeral - PV Elerinna   Cold Marching Funeral - PV Elerinna Icon_minitimeSam 31 Jan - 17:56

Et immédiatement, il la sentit se tendre à ses côtés, d'une contraction crispée, à la manière d'un chien qu'on va frapper, qui craint la douleur et qui montre les crocs. Il éprouvait un picotement désagréable à l'endroit où ses deux grands yeux bleus le fixaient, comme si elle était en train d'y planter deux aiguilles corrosives. Elle lui éructa quelque chose. Il cilla doucement. Le ton avait été acide – une bile jaune qu'elle lui avait crachée au visage, un peu comme une fleur qui secrète d'un coup un truc visqueux pour empêcher un gros insecte de la bouffer. Mais ses mots, si elle avait vraiment voulu les faire agressifs, ce qui n'était même pas certain au fond, n'atteignirent pas Léogan. Il renifla légèrement. La neige tombait, un givre dur glaçait ses cheveux foncés, la mer criait toujours un bruit d'ongles qui crissent sur de l'ardoise.

« C'est pas à moi que tu l'apprendras. » rétorqua-t-il, d'un ton très égal.

Sans rire. Elle venait de le découvrir peut-être ? Après un siècle passé comme une éternité sur son trône de prêtresse de haut rang qui lui avait sans doute paru solide comme du roc sous ses miches délicates de grande dame, tout avait fini par lui paraître immuable. La chute devait être rude. Oui, Elerinna, tout passe, première leçon du grand tango de la décadence. Tu n'étais assise que sur des piliers de sel et de sable, ma belle, il fallait bien que ça s'effondre un jour.
Il lâcha finalement la mer du regard et se tourna vers elle, qui se tenait bien droite sous son épais manteau de laine, bien digne, là, avec son œil suintant d'orgueil comme un océan atrophié, et les restes piteux de sa coiffure sophistiquée de la veille. Il la scruta froidement. Que restait-il de l'adolescente qu'il avait connue autrefois, de sa modestie, de sa tristesse et de sa soif craintive de vivre ? Que des frissons. Des frissons presque imperceptibles, qui ne pouvaient pas lui échapper, à lui.

« Tu empestes la peur, Elerinna. » remarqua-t-il calmement.

La peur. Ce n'était pas le meilleur de ce qu'elle aurait pu garder, définitivement.
Il était un peu tard pour sentir le poids de la culpabilité, si c'était vraiment de la culpabilité qu'elle sentait, et pas la crainte d'être accusée ou rejetée pour des raisons qui ne l'avaient jamais intéressée, jusqu'à ce moment où l'abandon était devenu inéluctable.
Et elle trouvait encore le cran de badiner avec morgue, maintenant, de rouler des mécaniques et de faire comme si tout allait bien, comme si lui reprocher d'avoir été défaitiste avait encore une pertinence quelconque – c'était la grande reine de la dérobade en pleine démonstration. Comme il avait aimé cette insouciance pétillante et rieuse de jeune fille autrefois, lorsqu'ils n'étaient que des enfants qui s'aimaient au milieu d'une grande fête pleine de bruit et de couleurs. Peut-être qu'on ne pouvait aimer Elerinna qu'aux beaux jours, où on n'avait besoin que de joie, où tout était facile et où tout semblait évident. Où avait-elle vécu ces derniers temps, sinon dans le même monde que jadis, tandis que lui avait passé ses journées à traiter avec la pègre, à trucider et limoger les hommes du maire et à se faire trouer la peau ?
Sa mâchoire se crispa. Défaitiste.

« Sans doute parce que j'ai toujours été le plus pragmatique des deux, rétorqua-t-il, sèchement. Et vu où tout ça nous mène, je dirais même le plus lucide. On a perdu, Elerinna. » Ses mots tombèrent comme un couperet. Il n'eut pas d'égard pour la fierté qu'elle tendait d'afficher sur sa trouille laide de pauvre chérie qu'on va laisser sur le carreau. Il le lui dit bien en face, sans ciller une fois. « Pourtant ce n'est pas faute d'avoir fait des efforts, sinon il aurait été étonnant que tu gardes le pouvoir et la vie aussi longtemps. »

Fallait-il lui dire combien de fois il avait manqué de crever en vingt-quatre heures pour lui sauver son petit popotin princier ? Fallait-il lui dire que sa putain de débandade avait reposé sur une diversion où il s'était vidé de son sang, qu'elle avait détourné son regard négligent de lui et qu'elle était partie courir sans un scrupule dans les grottes de Fellel où il lui avait tracé une voie de sortie ? Fallait-il vraiment lui dire ou ça ne crevait donc pas assez les yeux comme ça, bordel ? Si Elerinna était encore en vie aujourd'hui, elle ne le devait qu'à lui – et à son foutre de défaitisme.
Il émit un sifflement méprisant et se détourna de son joli minois de poupée et de sa moue de grande-duchesse offusquée. Les mains enterrées dans les poches de son manteau, son visage coupant tourné vers la mer, les yeux brillants d'un éclat rétif, Léogan laissa couler quelques instants de silence incisifs et ménagea autant qu'il le put les vagues dévorantes de son ressentiment qui le rongeaient aussi inéluctablement que l'océan aurait raison un jour de ces falaises friables. Il observa pensivement la faible buée que formait sa respiration dans l'air gelé et qui disparaissait presque instantanément, comme un souffle avorté.

« Si on change, répondit-il enfin, d'un timbre rauque qui étouffa une toux, on change rarement comme on le veut. Ou comme on le devrait. Et puis... On finit par se rendre compte que tout, les mêmes choses ont recommencé ailleurs. Échec, échec, échec. » martela-t-il, d'une voix lente et sans âme.

Depuis qu'il avait été jeté hors de Canopée à grands coups de pied au train, depuis qu'il avait quitté Elerinna la première fois en conchiant sans remords les ambitions des Lanetae et de sa famille, après des semaines de procès et de cabane, il avait vécu parmi des êtres éphémères. Il s'attachait secrètement à eux et quand il sentait que le moment était venu, il se forçait à partir. Il ne changeait pas pour les autres, mais il passait lui aussi, à sa manière, et la mort pouvait le saisir n'importe quand. C'était sa façon de vivre. C'était elle qui venait à peine de comprendre, comme si toutes ces années passées dans le même temple, en pensant chaque jour aux mêmes idées, comme si tout était éternel, qui comprenait trop tard que tout était fugitif – presque inexistant. Tout n'était qu'une course après la mort, jalonnée d'échecs qui affaiblissaient les hommes jusqu'à la décrépitude. Pour les créatures centenaires comme eux, c'était davantage un marathon qu'une course, on y allait doucement, sans se presser, on avait encore un millénaire devant soi. Une tromperie de plus de la nature.
La course s'était accélérée pour Léogan, ces dernières années, quand les choses avaient vraiment commencé à devenir difficiles. Il n'avait pas le visage des grands jours que lui imaginait toujours Elerinna, peut-être dans les restes du vieil amour qu'elle avait eu pour lui : il était terne, exsangue, couvert de fiel et ridé d'amertume. Sa main gantée s'enfonça doucement dans les pans de son manteau et il appuya méthodiquement sur le pansement d'une des plaies encore sensibles qu'Orchid lui avait recousues quelques semaines plus tôt. Il eut un vertige, la douleur souleva un peu sa tristesse.

« Mais moi... j'ai changé, murmura-t-il, en fermant doucement ses paupières sur ses yeux brûlants. Je le sens au fond de moi, je me sens... Desséché. Je suis devenu comme le monde. Pressé de passer et de disparaître. »

Sa voix s'étrangla et il se tut. Il essuya d'un coup de manche la neige fondue qui faisait sur son visage un masque d'eau ruisselante. Il devait cesser d'être triste, maintenant, et marcher contre le vent plutôt que de se laisser porter comme il l'avait toujours fait.
Pourtant, il ne pouvait pas s'empêcher de ressentir un pincement au cœur en jetant un regard en arrière, aux espoirs qu'il avait eus, au chemin qu'ils avaient tracé ensemble, au travail acharné, à la douleur, aux obstacles, aux impossibilités – il ne parvenait pas, parmi tout ça, à se rappeler du matin où il s'était réveillé et où il avait compris que tout était déjà réduit en cendres.

« Tu as peut-être changé aussi. Ou alors tu as toujours été comme ça et je ne m'en suis pas aperçu. » murmura-t-il en la dévisageant d'un regard insondable.

Il observa longuement cette figure pâle, ce front large et ces yeux visionnaires pour qui il avait de nouveau tout laissé derrière lui – et il se dit qu'il n'avait plus qu'elle, encore une fois. Il avait encore laissé tout ce qui comptait pour lui filer entre ses doigts pour elle, il s'était arraché Irina et Aemyn, il n'avait plus nulle part où aller, ni rien à faire que de la suivre, et il ne comprenait pas bien pourquoi. Il ne savait pas non plus comment il était censé faire ce qu'il avait prévu de faire, comment lui annoncer qu'il tirait un trait définitif sur elle, alors que s'il la repoussait, il n'y avait plus que du vide devant lui pour précipiter ses pas.
Il finit par remarquer qu'il était en apnée depuis quelques secondes, saisi d'une panique qui l'avait gelé jusqu'à l'os, et il reprit une profonde inspiration en l'écoutant le remettre elle-même sur le chemin dur et solide de l'action.

« Non, en effet, acquiesça-t-il aussitôt, j'en ai fini de tortiller avec de la lâcheté métaphysique, j'ai pris ma décision. »

Sa voix avait été ferme. C'était comme s'il avait voulu se convaincre lui-même. Il avait remis son armure. Il n'avait pas besoin de s'ouvrir à elle pour faire ce qu'il avait à faire. Il fallait agir, et c'était tout. Il était droit, là, devant elle, droit et inflexible, il remonta sur son épaule le sac qui glissait sur son bras, ses yeux étaient graves.

« Je pars, Elerinna, dit-il, lentement. Je m'en vais. Je vais sauver ma peau, cette fois, parce que... Je tiens à la vie. Je peux encore en faire quelque chose. Ici vous êtes tous condamnés à la destruction et à la mort. »

Il remua douloureusement ses pieds dans ses bottes en pivotant vers le petit village d'Inoa, en contrebas, encore plein de fumées et envahi de tentes militaires, à l'orée de sa forêt de grands pins.

« Je l'ai montré à Faéris. Il l'a vu dans l'eau. Mais c'est un fou, il n'y a que l'honneur qui l'intéresse. Il m'a dit qu'il tâcherait de te convaincre de démanteler tes armées et je me demande encore pourquoi j'ai cru qu'il tiendrait parole auprès de moi, après le dernier coup fourré que vous m'avez fait, tous les deux. » Son visage se tordit d'un rictus acide, un petit instant, puis il serra la mâchoire et il se retourna d'un bloc vers elle. « Démantèle tes armées, Elerinna. Il est encore temps. Ce sont pour la plupart des mercenaires ! Quand ils se rendront compte qu'il n'y a aucune chance que vous triomphiez... A quinze-mille contre vingt-cinq mille soldats entraînés, en plein hiver, sans soutien d'aucune sorte, crois-tu qu'ils te suivront loyalement jusqu'à la mort ? Ha. »

Il lâcha un petit ricanement moqueur, les yeux plissés sur elle comme sur une pauvre petite fille qui s'est trop longtemps complus dans ses illusions.

« Heureusement, il est simple de les renvoyer, dit-il plus sérieusement. Dis-leur ce qu'il en est vraiment, qu'il n'y a pas d'or à se faire, que les villages qu'ils raseront sont pauvres, et ils ne resteront pas. Quant aux soldats sindarins que tu es en train de mener à l'abattoir, disperse-les, ils rentreront à Canopée en civils, peu à peu, sans attirer l'attention de la Reine. Ils y ont leur place, ils y ont une famille, des terres, des droits... énuméra-t-il, et il sentit une vague d'agacement refluer en lui, tandis que ses doigts se crispaient sur son sac de toile. Ce n'est pas parce que vous vous êtes privés de tout cela que vous devez en priver les autres ! Est-ce que j'ai fait sauter l'continent, moi, quand ça m'est arrivé ? » releva-t-il. Il ne parlait pas beaucoup de cette époque-là – il ne parlait d'ailleurs jamais beaucoup de ce qui lui causait de la contrariété ou de ce qui lui pesait et le rendait amer et faible. Son front se plissa, il déglutit. « Tu vas les faire mourir loin de ce qui leur est cher, sur une terre étrangère, pour une cause perdue qui ne les regarde même pas... Dis-moi, Elerinna, qu'est-ce qu'on est venus foutre ici, nous tous, putain de bordel de merde ?! »

Tous autant qu'ils étaient, qu'est-ce qu'ils étaient venus foutre à Cimméria, aujourd'hui, ou de longues décennies auparavant ? Il était resté cinquante ans dans ce pays de tarés, à travailler encore et encore, à se faire défoncer la gueule pour des problèmes qui ne l'avaient jamais regardé – et qui n'avaient jamais regardé qu'Elerinna parce qu'elle avait décidé, un beau jour d'illumination de sa jeunesse, d'y fourrer son nez pour le bien de cette malheureuse humanité. Hé bien, elle observe ce que tu as fait d'elle et elle te salue bien bas, l'humanité, Elerinna Lanetae. Merci pour elle, et merci pour nous.
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Anonymous Invité
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MessageSujet: Re: Cold Marching Funeral - PV Elerinna   Cold Marching Funeral - PV Elerinna Icon_minitimeMar 3 Fév - 19:42

Elle le regarda avec une morgue hautaine, avec dédain, d’un regard sordide et sans concession. D’un coup, il lui parut d’une incroyable lâcheté, et d’un zèle extraordinaire –mélange subtil mais sans délicatesse des qualités d’un bon subalterne-. Il était là, dans la neige, avec quelque chose de malveillant et de profondément mesquin dans les yeux, et il n’osait pas la regarder. Il fixait un point, au loin, sur l’horizon tristement déchainé, obstinément, avec rage même, très méticuleusement, comme s’il le faisait tout à fait exprès. Il semblait étrangement calme, mais dégageait tout à la fois quelque chose de très abattu et de sauvage. Ce dernier point, davantage que tous les autres, excita la fureur d’Elerinna. Il ne la regardait pas. Il la dédaignait, il se détournait d’elle ; peut-être même la méprisait-elle désormais. La belle sindarin sentait qu’il y’avait dans ce visage férocement tourné quelque chose définitif et de tragique. Quelque chose qui ne désirait plus d’elle et qui désirait en terminer pour de bon, crever l’abcès, vider ce sac de dégoût et de rancœur amer qui s’était accumulé et qui n’en finissait pas de déborder de tous les côtés ; il s’agissait en un mot de couper net à l’endroit où la plaie s’était infecté, avant que la mauvaise gangrène n’ait eu raison de l’ensemble. Si vraiment c’était cela, c’était à pleurer.

-Et toi tu empestes la fatalité et la maladie, lui répondit-elle du tac au tac, cruellement.

Elle lui avait dit cela méchamment, avec la petite satisfaction de frapper à l’endroit sensible ; elle sentait amèrement tout ce que Léogan devait penser d’elle. Elle n’avait pas besoin de sonder ses pensées, ou d’écouter plus avant son discours. C’était écrit sur son visage, sur ce masque morne et calme qui devait bouillonner furieusement à l’intérieur. Sur chaque trait de son visage impassible, elle devinait son amertume, ce sentiment avide de toute joie, rance et pernicieux, et qui arrachait avec lui tout ce qu’il y’avait d’espoir et d’illusion dans une âme. Autrefois, Elerinna trouvait ce penchant tout à fait singulier, et même charmant. Il lui donnait l’air singulier, original même, et était amusant. A l’époque, cependant, il n’était pas aussi fielleux, aussi profond et maladif, et n’avait pas encore l’ampleur corrosive et détachée qu’amplifiait une mélancolie de plus en plus profonde. Désormais, il lui rongeait le cœur, aspirait toutes formes d’illusions et d’espérance, et le laissait vide, sec, méchant ; en outre, il se détournait d’elle. Ca lui était insupportable, au plus haut point. D’un seul coup, elle avait acquis la certitude qu’il ne voulait plus d’elle, et ce sentiment l’obsédait prophétiquement, fanatiquement, alors même qu’il n’en paraissait rien que tout cela n’était encore que fabulation.
Elle éclata d’un rire hystérique, perçant, très aigüe, que le vent emporta dans un accès de rage fiévreuse. La bise claqua sur les peaux, perça les fourrures épaisses, mordit les chairs. La bourrasques couvrit presque complètement son accès de rire ; Léogan ne l’entendit d’ailleurs peut-être pas, car il n’eut aucune réaction. Il semblait tout à fait sûr de lui, désormais, et débitait son discours sèchement. Même, il l’ânonnait d’une voix rauque, sale, à moitié brisée, à peine audible au milieu des rafales.

-Aha, perdu ! S’exclama-t-elle avec une moue dégoûtée. Tu me fais rire Léogan. Qu’est-ce que nous avons perdu ? Tout commence au contraire ! Enfin tout commence !

A la fin de sa phrase, sa voix s’était exaltée et avait eu es accents prophétiques, presque dément. Le vent froid lui brûlait la cervelle, lui échauffait le corps ; elle était enfiévrée, désormais, et tremblait en parlant. Elle avait dans les yeux une lueur étrange, qui ne paraissait que rarement dans son regard, et qui était le symbole d’une sorte de folie tout à fait particulière, fanatique et rationnel, et la conséquence de la fièvre. La bise la rendait malade.

- Echec, échec, marmotta-t-elle d’un ton saccadé, tu n’as plus que ce mot à la bouche. Tu me fais peur, parfois Léogan.

Elle avait prononcé son nom avec une lenteur délibérée, en le fixant sans sourciller. Elle avait détachée chaque syllabe d’un ton neutre, sans intonation, froidement, et n’avait cessé de le regarder. Sa face lisse lui paraissait ravagée par une formidable expression de néant. Il était écartelé de douleur, asséché de tous les pores, sans espoir, calmement, sereinement accablé, sonné par l’inquiétude et par l’amertume. Elerinna fut envahi de pitié envers lui, et de beaucoup de rage. L’aimait-elle encore ? Elle avait cru en avoir fini avec cet amour de jeunesse et de passion trop vite usée ; mais à le voir ainsi, pitoyable et pathétique, son cœur à elle se serrait méchamment dans sa poitrine. Elle songea brusquement à ce qu’il avait été, à ce qu’il s’était dit, tous les deux, alors qu’ils étaient encore trop jeunes pour aimer sans détour. Elle avait voulu d’une histoire absolue, et lorsqu’elle s’était aperçue que cela éttait tout à fait impossible –peut-être à cause de son caractère par trop intransigeant- elle l’avait laissé couler, puis mourir. Elle crut tout à fait oublier, ou mort, du moins disparue. Mais il était là devant elle, elle il lui était impossible de n’avoir aucune pitié.

-Il n’y a pas que l’échec proféra-t-elle un peu plus fort. Parfois, il y’a aussi la victoire, le triomphe. Seulement, ce n’est pas si simple. Il y ‘a beaucoup de néant et de chaos dans un triomphe. C’est comme ça. On y peut rien du tout. Mais si on ne fait rien, on croupit toute la vie, et on meurt petitement, misérablement.

Mais il n’en avait pas fini avec son couplet. Au contraire, ça n’en finissait plus. Il vidait son baluchon de dégoût fastidieux, de haine trop longtemps retenue, d’amertume et de fiel. Et il le jetait là, comme ça, à ses pieds, sans vergogne. Il lui jetait au visage des années à ruminer sans coup férir, à se diriger droit dans le mur avec une férocité terrifiante et zélé ; des années d’un obscur labeur qu’il n’aimait pas et qui le détruisait. Elle se tut, et l’écouta. Lorsqu’il évoqua sa décision, comme un point d’orgue à tout ce qu’il avait dit précédemment, elle rugit :

-Tu n’as pas le droit, Léogan ! Tu n’as pas le droit !

Ses yeux brillaient d’angoisse. Au plus profond d’elle-même, elle était envahi par un sourd sentiment de trahison et de haine. La rage, couplée au désespoir, décuplait sa voix, qui se projetait férocement dans le blizzard avant de se perdre dans le soit tombant, tordue par les éléments  et jetée au bas des falaises millénaires.

-Il n’y a pas que la destruction, continua-t-elle rageusement. Tu te trompes parce que tu as peur. Au bout de tout, il y'a la liberté

Elle émit un ricanement méchant d’une voix grave, rauque, transformée par la peur et par ce poignard qui lui lacérait l’estomac.

-C’est toi qui as peur ! Lui jeta-t-elle au visage. C’est cela ! C’est cela ! Tu as peur parce que tu ne crois plus en rien, parce que tu ne vois rien autour de toi qui t’enthousiasme ! Tu crains d’en finir une bonne fois pour toute avec ici-bas si tout cela commence.

Elle avait ponctué sa phrase d’un grand geste du bras, désignai l’horizon. Par là, elle désignait la guerre, la destruction, tout ce qu’il peut y’avoir e plus malheureux et d’ignoble dans le monde. Mais ne fallait-il pas en passer par le plus effroyable des chaos, pour que l’homme ne soit pas une vanité répugnante ?
Tout au fond de son cœur, cependant, Elerinna pleurait amèrement. Elle sentait qu’elle perdait Léogan, et qu’elle le perdait pour toujours peut-être. Le désespoir la rendait cruelle et méchante, mesquine même. Elle était prêt à tout, même à le blesser, même à le tuer, pourvu qu’il ne l’abandonnât pas. Mais elle pressentait qu’il ne reviendrait pas, que sa décision était prise, irrévocablement, et qu’il allait partir. Ah le salaud ! Oui le salaud ! Il allait partir, après s’être enfuie avec elle au nez et à la barbe d’Irina, et l’abandonner comme ça, brusquement. Elle ne pouvait le supporter ; non, elle ne le pouvait pas. Ah le salaud ! le salaud ! Le salaud !
Dans sa folie, elle était prête à le blesser ; elle souffrait bien plus que de raison. Plutôt que de s’effondrer, suppliante, elle l’invectiva davantage. La souffrance la rendait ivre, mais elle refusait de lui donner raison. Rageusement, même, elle le poussa d toutes ses maigres forces, assez pour qu’il reculât de quelques pas.

-Tu n’es qu’un traitre ! hurlait-elle. Un sale traitre, méchant et mesquin ! Et tout ça pour quoi hein ? Pour quoi tu peux me dire ? Pour une autre prêtresse (elle éclata d’un rire gouailleur à c moment là). Tu ne peux pas t’en passer hein ? Il t’en faut une , de prêtresse, mais une plus jeune, avec plus d’avenir, sans doute ! Et puis tu pourras avoir d’autres enfants avec elle hein, une jolie famille ? –elle riait hystériquement-. Oh oui je te vois déjà l’abandonner, ta prochaine famille, et la laisser sans défense ! Ahahaha ! Je te vois déjà tout lâcher avec ta morgue de d’habitude !

Elle s’arrêta un bref instant, puis gronda d’une voix terrible :

-De toute façon je ne peux pas démanteler cette armée. Même si je le voulais bien, même si tu me suppliais, je ne pourrai pas.

Elle se détourna un instant. Sa poitrine était vide de tout ce qui fait d’une femme une femme ; il lui semblait être morte.

-Rash ne le permettrai jamais. Jeta-t-elle encore. Il s’est beaucoup investi là-dedans, de même que nombre de nos alliés.

Elle avait le souffle court ; elle dut fermer les yeux un instant car la tête lui tournait. Ses paupières étaient brulantes ainsi que son beau front pâle.

-Je ne le pourrai pas, même si je le pouvais ! Gémit-elle à nouveau. Tu comprends cela ? C’EST TOUT A FAIT IMPOSSIBLE.

Son esprit était s’en dessus dessous, partait dans tous les sens, hurlait, bouillonnant, trépignant, faisant un ram-dam infernal qui lui martelait le haut du front et lui frappaient impitoyablement les temps, avec une rigueur toute martiale et tragique. Il lui semblait n’être maîtresse de rien, n’être qu’un petit objet dans la main du monde et que sa fin approchait, qu’elle était là même ; la tête lui tournait, il lui semblait tomber. On l’aurait cru au bord de la démence. Elle sombrait dans le désespoir sans s’arrêter, comme une pierre, terriblement, horriblement, et sans espoir que cela s’arrêtât. Elle regardait Léogan avait un dédain outrancier et une rage de désespérée. Elle tremblait ; elle aurait voulu mourir ou le tuer. Elle n’avait plus ni de cœur ni d’âme. Elle était vide de tout et pleurait sa folie.
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MessageSujet: Re: Cold Marching Funeral - PV Elerinna   Cold Marching Funeral - PV Elerinna Icon_minitimeJeu 5 Fév - 22:49

Pendant qu'il regardait Elerinna gesticuler, parler vite et fort, d'un débit étourdissant, et se décomposer comme une femme vénale au milieu de sa lapidation, Léogan, interdit, se demandait fixement quelle erreur il avait bien pu faire avec elle. Elle parlait d'un conflit armé déséquilibré sur la toundra hostile et blanche de Cimméria comme d'un délice métaphysique, d'une abstraction prometteuse de plus dans sa vaste théorie de l'émancipation de l'individu humain ou... d'un poème particulièrement enthousiasmant. C'était déconcertant. Ahurissant même.
Comment aurait-il pu prévoir que toutes ses drôles d'épiphanies idéalistes pouvaient aboutir à une guerre... ? Qu'est-ce qui lui était passé sous le nez et qu'il n'avait pas vu avec Elerinna ? Qui s'était depuis toujours tapi sous son grand front de visionnaire politique élégante et raffinée, et qu'il n'avait pas vu ? Qu'est-ce qui clochait chez elle et qui lui avait échappé, à lui, pendant toutes ces années ?
Il ne répondait rien, il l'écoutait simplement proférer toutes ces choses en agitant ses bras dans de grands gestes tragiques. Elle avait l'air d'une illuminée, soudain, avec ses cheveux à moitié défaits et ses yeux brillants d'un éclat incompréhensible, d'une possédée ou d'une fanatique – il n'avait jamais vu ça. Et dire qu'il s'était longtemps moqué en sa compagnie des ferveurs religieuses exacerbées. C'était d'une ironie...

Il sentait qu'il avait échoué quelque part. Elle débitait son charabia à toute vapeur et il se rappelait, lui, ces jours d'autrefois où il l'avait sortie de sa belle demeure où elle avait été enfermée toute son enfance et où il avait prétendu qu'il réussirait à la faire exister pour de vrai, à lui faire vivre une infinité d'expériences fortes et étonnantes. Il lui avait fait connaître les fêtes flamboyantes, les gens les plus extravagants, les orgies qu’ils avaient animées par des chants éméchés et rieurs, par le son vif d’un clavecin entre deux vins, par des défis idiots et par des danses que l’alcool rend grotesques – tout ça n'avait été que féeries en vérité, il ne lui avait rien montré du monde tel qu'il était, sale, cruel, plein de feu, de sueur et de violence. A l'époque, il ne le connaissait sans doute pas aussi bien qu'aujourd'hui.
Mais de fait, c'était lui, c'était bien lui qui avait sorti la jolie poupée de sa maison en carton et qui l'avait encouragée à devenir une vraie personne de chair et de sang, malgré tous les hautes-sommités de la médecine qui s'étaient penchées sur son cas et avaient secoué la tête d'un air grave en concluant que ça ne tournait pas rond, là-haut. Il s'était cru plus intelligent que tout le monde et il l'avait emmenée avec lui.
Elerinna croyait vivre, mais elle était encore coincée quelque part dans une antichambre en déambulant et en criant comme si elle avait été dans la réalité. Il avait raté. Et ça lui faisait mal de se l'avouer maintenant, alors qu'il allait se tirer et la laisser là, ça lui nouait atrocement la gorge.

Et soudain, elle le poussa avec autant de violence qu'elle le pouvait et le mot « traître » résonna dans le crâne étourdi de Léogan qui, affaibli, chancela un peu dans la neige, et posa un regard troublé sur elle. Sa tête lui tourna. Et tout à coup, ce qu'elle glapissait de sa voix de soprano sous psychotrope le percuta brutalement. Il redescendit sur terre. Le froid s'empara tout à coup de ses entrailles, et il ouvrit de grands yeux, la respiration coincée au fond de ses poumons.

Il l'écoutait chanter son couplet avec son petit rire de tête insupportable, là, il se retenait très fort, les dents serrées, les ongles rentrés dans les paumes de ses mains, et elle disait n'importe quoi, tout ce qui lui passait par la tête, comme si ça avait le moindre sens, de l'imaginer entouré de marmots qu'il abandonnerait, et malgré tout, malgré tout, elle réussissait à le blesser, en plein dans le mille sans vraiment le savoir, parce que c'était juste une égoïste qui frappait à l'aveuglette, parce qu'elle ne pensait qu'à elle et à sa pauvre petite personne laissée à elle-même. Tout à coup, les jambes de Léogan se débloquèrent. Il attrapa Elerinna par le col moutonneux de son manteau et l'amena brutalement vers lui en la tirant sur la pointe de ses petits pieds.

« Ferme-la ! » hurla-t-il, en serrant le col entre ses doigts. Il s'immobilisa un instant, déglutit et reprit doucement sa respiration. Son cœur battait à toute allure. « Qu'est-ce que t'en sais ? Hein, qu'est-ce que t'en sais, au juste ?! Peut-être que j'en suis capable... Tu ne m'en as jamais donné l'occasion toi... De construire quelque chose. Et pourquoi ça t'emmerde à ce point que je me tire, tout à coup, alors que t'as jamais fait le moindre effort pour me donner envie de rester ? »

Il la relâcha sèchement et la laissa retrouver son équilibre dans la neige en reculant de quelques pas, la bouche tordue de dégoût. La rage grondait de plus en plus avidement dans son ventre.

« Et ne va pas me dire que JE ne protège pas notre fille, Elerinna, ne va pas me dire que MOI j'ai laissé MA FILLE sans défense ! poursuivit-il avec véhémence. Tu es complètement aveugle, ma parole ?! Tu sais que pendant que TU écrivais à ton père adoré de militariser tout votre foutu domaine – parce que ça c'est bien toi qui l'as fait, pas vrai ? – moi j'm'occupais de couvrir les arrières de Léna, de l'avertir et de veiller à ce qu'elle soit en sécurité ! Comment tu peux te permettre de me donner la moindre leçon sur le devoir familial ?! ON A JAMAIS ÉTÉ UNE FAMILLE ! T'étais bien trop occupée à te pavaner à Hellas en distribuant de jolies paroles à tous tes admirateurs ! »

Il reprit son souffle, pâle comme un linge. Cette dispute commençait déjà à tirer sur ses ressources, et les dieux savaient qu'il ne lui en restait plus beaucoup.

« Moi j'en ai une maintenant, de famille, reprit-il, plus calmement, et plus raisonnablement aussi. Enfin, j'en avais une. A l'heure qu'il est, c'est un peu moisi, j'te le concède, parce que je suis pas près de refoutre les pieds à la capitale sans passer par la case prison. Mais j'ai Irina. Et j'ai un fils. Je pourrais sans doute pas en avoir d'autres avec elle, parce que je te signale quand même qu'un Sindarin peut pas avoir une tripotée de marmots avec une Terrane. Mais Aemyn est mon fils. Et je te laisserai pas mettre en danger leurs vies avec ta guerre dégoulinante de grandeur et de noblesse. »

Il se redressa stoïquement, alors, et croisa les bras pour se camper en la défiant d'un regard mauvais. C'étaient des aveux complets qu'elle voulait ? Une confirmation ? Très bien, elle les avait. Elle les entendait de sa propre bouche. Alors ?

Il la fixait d'un regard dénué de tout sarcasme, cette-fois, tandis qu'elle semblait faire les cent pas dans une impasse quelque part sous son front triste. Elle était déjà dans tous ses états. Il n'avait pourtant pas dit la moitié des choses qu'il avait sur le cœur. C'était bien pour ça, rumina-t-il, les yeux aiguisés et durs de noirceur, c'était bien pour ça qu'il s'était toujours tu, qu'il avait toujours pris sur lui-même et qu'il s'était accroché tant bien que mal en lui faisant croire que tout allait bien. Bon sang, il lui avait seulement dit qu'il partait – il ne lui avait même avoué pourquoi, est-ce qu'elle en avait bien quelque chose à faire après tout, à gémir comme elle le faisait de son horreur subite de finir seule et abandonnée ? En fait, au fond de lui, Léogan en concevait une joie cruelle, de la voir presque s'arracher les cheveux à la simple idée de ne plus pouvoir tirer de lui tout ce qu'elle pouvait et le laisser sec et sans vie, sans rien lui donner en retour. Sans même s'en apercevoir. C'était satisfaisant, d'éveiller chez elle enfin de la souffrance, après s'être forcé toutes ces années à lui donner de la lumière alors qu'il n'y avait en lui que de la nuit. Ah, c'est la solitude qui te fait peur... ? Attends voir, un peu...
Il allait lui en donner, de bonnes raisons de pleurer. Elle ne savait rien. Elle n'avait jamais souffert pour de vrai. Elle n'avait jamais fait qu'imaginer la souffrance.

Et puis finalement, c'est là qu'elle recommença à s'égosiller. A crier d'une voix haut-perchée de chanteuse d'opéra ivre, que cette armée, c'était pas la sienne – ben tiens – et qu'elle était juste là pour faire office de plante en pot visiblement. Qu'elle n'avait aucun pouvoir décisionnel, et que comme d'habitude, elle ne ferait rien d'elle-même. Elle le hurla une fois, deux, à s'en exploser les cordes vocales et Léogan se prit l'arrête du nez entre les doigts pour empêcher une migraine de l'assaillir tout à coup.

« Ça va, j'ai entendu ! » s'exclama-t-il avec agacement.

Il secoua la tête et un grognement d'exaspération monta de sa cage thoracique. Les yeux d'Elerinna brillaient de cette émotion aiguë qui l'aurait autrefois transpercé, obligé à se taire, à lui sourire et à passer un pouce réconfortant sur ses joues pour en essuyer les larmes. Mais le moment était très mal choisi pour ces petites mièvreries de vieux amoureux. Elle devait prendre des décisions, maintenant, essuyer son petit visage rougi de sanglots, relever la tête, bomber le torse et agir – mettre un terme à toutes ces bêtises dont elle était à l'origine, comme une gosse tombée dans un caniveau dont les parents affolés alertent le village entier, le maire et toute la maréchaussée.

« Parce que naturellement, oui, releva-t-il impitoyablement. Ce n'est pas de ta faute à toi, ma pauvre amie ! Tu pourrais au moins assumer un minimum de pousser les choses jusqu'au bout, après tous les discours ronflants de radicalité que tu nous a servis, tu crois pas ? Mais non, hein, c'est de la faute de Rash. Non, toi t'as bien trop avalé de lumières célestes pour avoir fait quoi que ce soit de répréhensible, pas vrai ?! gronda-t-il, les crocs luisants de sarcasme et les yeux étincelants de colère. T'es qu'une pauvre victime, hein ? Comme toutes ces âmes abruties que tu prends en pitié sur ton chemin ? Une pauvre victime ! Eh ben que veux-tu que je te dise RESTE-LE ! Reste-le toute ta vie, puisque ça te plaît à ce point ! HA ! »

Là maintenant tout de suite, il avait juste envie de la prendre par le collet brutalement – avec ses grandes mains sales et brûlantes – et de la secouer dans tous les sens jusqu'à ce que ses deux pauvres neurones de bon sens perdus dans son crâne finissent par se rentrer dedans.
Il se contenta d'avancer d'un pas vers elle et de faire un grand geste de fureur en hurlant lui aussi, parce qu'il ne pouvait plus se retenir, et au cas où peut-être quelques décibels de plus réussiraient à la réveiller :

« Ou alors REVIENS UN PEU SUR TERRE NOM DE DIEU ! GRANDIS ELERINNA ! OUVRE LES YEUX UN PEU ! FAIS QUELQUE CHOSE PAR TOI-MÊME POUR UNE FOIS ! Où est-ce que tu te crois, dans quel conte tu t'es crue ?! 'Ça commence !' qu'elle me dit ! Qu'est-ce qui commence ?! La guerre ?! MAIS ENFIN ELERINNA LA GUERRE ÇA FAIT CINQUANTE ANS QUE ÇA DURE ! TU ÉTAIS OÙ ?! Tu étais où, putain, tu étais où quand... Quand... » balbutia-t-il, les yeux hagards.

Il jeta son sac par terre dans un grondement de rage et arracha la fibule de sa cape qui tomba à ses pieds dans la neige, puis il se débattit quelques instants avec son manteau taché abondamment de sang pour s'en débarrasser, les gestes saccadés par la fureur, quelques protections en cuir et enfin avec sa chemise qui s'écrasa la dernière sur son tas de vêtements. Le froid l'empoigna par la poitrine et bloqua sa respiration.
Il était sec et amaigri – pas très agréable à regarder et sans doute très loin des souvenirs idylliques qu'Elerinna avait de lui – ses épaules étaient larges et ses muscles encore bien formés, mais noueux, veinés, usés d'avoir été sollicités puis surmenés mécaniquement dans des tâches trop rudes pour une santé négligée et de plus en plus branlante. Sa peau dorée d'éternel étranger était terne, fatiguée, comme un vieux parchemin, mouchetée de brun et de bleus et traversée de cicatrices fragiles, des stigmates d'armes blanches, d'épée dans le flanc, de dague sous l'épaule, des traces de côtes fracassées. Tout ça n'était en fait que détails à première vue, parce que certaines marques laissées par les crocs du léviathan quelques mois plus tôt formaient encore sur sa poitrine, son dos et son ventre des plis de peau dégueulasses cousus de fil textile et des croûtes de sang séché, après avoir éclaté sous les impacts des dernières luttes de leur périple.
Ses poumons se gonflèrent d'un air glacial, il regardait Elerinna bien en face, immobile, les yeux agrandis de colère. Comment pouvait-elle avoir la prétention de penser qu'elle initiait quoi que ce soit ici ? Comment pouvait-elle croire une seconde qu'une explosion de violence pourrait régler tout ce qu'elle trouvait odieux parmi les hommes ? La brutalité, ça n'avait rien de révolutionnaire ! C'était la trivialité la plus bête du monde ! Qu'est-ce qu'elle voulait en faire ? Un pont de carcasses, de cadavres et de débris vers un monde meilleur ? Ha ! La bonne blague ! Y avait rien de plus nauséabond ni de plus niais sur terre que de donner des raisons à la guerre. Un carnage, ça ne devait pas s'expliquer. Si elle avait envie de détruire Cimméria, si elle avait une bonne pulsion de vengeance dans le ventre, elle pouvait bien tout faire sauter, mais qu'elle se taise enfin !

« T'étais où quand je me faisais défoncer la gueule dans les rues d'Hellas ?! déballa-t-il tout à coup. Dans quel château enchanté t'étais en train de pioncer, beauté, hein ?! T'étais où quand je courais dans le désert de glace pour étouffer une conspiration ridicule d'une de tes partisanes qui a coûté la vie à des DIZAINES de mes hommes ?! T'étais où quand Orchid me recousait la peau chez moi, point par point, après les massacres de ces dernières semaines dans les bas quartiers ?! T'étais où quand j'ai manqué de crever y a même pas vingt-quatre heures au temple ?! » Il brandit brusquement ses deux mains devant elle, dont la paume et le dos étaient cisaillées de deux longues cicatrices nacrées, et dont les phalanges gardaient encore les traces rougies des fractures, et il continua sans savoir si c'était lui ou quelqu'un d'autre qui gueulait, qui hurlait hystériquement sur Elerinna : « Quand IRINA, je te dis bien oui – IRINA – m'a empêché de m'vider d'mon sang, quand elle m'a soigné et permis de TE RETROUVER ?! TU ÉTAIS OÙ ?! » Un long frisson lui traversa l'échine et il reprit péniblement sa respiration. Ses bras tombèrent de part et d'autre de son corps. Il se redressa. Sa mâchoire se crispa, son menton se leva alors que ses lèvres dessinaient un rictus répugné. « Ah oui, j'oubliais, cracha-t-il, froidement. Tu sauvais ta peau par les grottes que je vous avais indiquées. Je serais crevé d'hémorragie, t'en saurais rien. Ces cinquante dernières années, j'ai été seul, Elerinna. En particulier vers la fin. Ne me reproche pas d'être allé aimer Irina. Tu t'es bien envoyée Verna sous mon nez, en ce qui te concerne. »

Il la fusilla intensément du regard et ramassa sa chemise d'un geste sec pour se rhabiller. Il n'avait jamais vraiment encaissé ce qui s'était passé avec cette petite bourgeoise hespériane à peine pubère. Pendant tout le temps qu'avait duré sa relation avec Elerinna, et qu'elles avaient passé à se bécoter devant lui, même en mission officielle où il avait eu la charge de protéger les deux donzelles, il avait eu du mal à l'admettre, mais il avait brûlé d'une jalousie infâme. Oh Elerinna ne s'était jamais interdit de collectionner les amants et les maîtresses, bien entendu, même lorsqu'ils étaient encore en relation, mais là elle s'était surpassée. Ce n'était pas comme si elle était ignorante des sentiments qu'il avait éprouvés pour elle. Ce n'était pas comme s'ils n'avaient pas eu de fille ensemble, à son arrivée à Cimméria. Et pendant toute l'année, il y avait eu partout des soupirs pathétiques et des minauderies dégoulinantes pour sa Verna, jusqu'au temple où elles avaient mené leurs coucheries, jusque dans ces rares moments qu'il partageait avec elle et où il ne jouait plus que le rôle de figurant pour porter la chandelle, jusqu'à ce que ça lui sorte par les yeux, enfin, et que leur amitié ou leur amour, si c'en avait jamais été, soit réduit à un petit tas de faux semblants atrophiés.
Il espérait qu'elle était en train de compter les mois de grossesse d'Irina, dans son esprit, et qu'elle les additionnait à l'âge d'Aemyn et plus encore au nombre inconnu de semaines – de mois – de liaison secrète qu'il avait vécue avec sa rivale, avant de concevoir avec elle un enfant impossible. En réalité, cette relation avait été fugitive, il avait été très longtemps sans revoir Irina une fois, à penser même que son fils avait été le fruit de son union avec Veto Havelle, et il n'avait formé de projets privés avec elle que depuis trois petits mois, mais il en avait marre d'avoir l'air de la victime ou du dindon de la farce, alors il laisserait l'imagination d'Elerinna lui composer une longue, vieille et atroce traîtrise qui lui resterait dans la gorge et dans la poitrine aussi longtemps qu'elle serait seule – jusqu'à, sans doute, ce qu'elle se console avec un nouveau mouchoir de poche qu'elle câlinerait chattement en l'appelant ami ou confident.
Lui il était comme une éponge gonflée de tous ses épanchements émotionnels. Il n'était plus capable d'absorber le moindre de ses atermoiements, il aurait peut-être fallu l'essorer avant, un bon coup, à compter qu'il soit encore utilisable avec tout ça.  

« ET JE ME FOUS DE TA CONNERIE DE LIBERTÉ T'ENTENDS ÇA JE M'EN BRANLE » aboya-t-il, soudain, avant d'être secoué d'un tremblement de froid, et de refermer son manteau sur sa chemise. Il la regarda d'un œil amer et essuya son front glacé d'un coup de manche en reniflant. « Pourquoi t'as toujours eu besoin... De tout agrandir... Et de plaquer tout ça loin devant nous, en nous faisant croire que ça pouvait s'atteindre un jour ? Je veux juste réussir... J'en ai juste marre d'être malheureux. J'en ai marre de ces guerres pour des idéaux en mousse et un avenir fantoche. J'ai jamais été ambitieux, j'ai toujours vu petit, peut-être bien. J'm'en balance, tu vois, des peuples libres ou j'sais pas quoi ! Tiens ils te remercieront, une fois que tu auras bien dévasté leur pays, les peuples libres ! Ha oui pardon ! s'interrompit-il en lui ricanant à la figure. Une fois que ton salaud de père et ses alliés obtus l'auront mis à sac, j'oubliais – tu n'y es pour rien. »

Il la regarda de haut, en haussant les sourcils comme devant la chose la plus étonnante du monde, et il éclata tout à coup d'un grand rire démentiel.

« Mais ma pauvre, pauvre chérie ! s'écria-t-il, avec un sourire cruel. Quelle cruche tu fais, mais quelle potiche, c'est incroyable ! DIS À TON PERE QUE C'EST UNE ESPECE D'AHURI ! Qu'est-ce qu'il comprend pas là ?! Quinze-mille hommes contre vingt-cinq mille, et bientôt y va faire moins quarante dans tout l'pays ! Ha il est beau le génie de la stratégie martiale de Canopée ! MAGNIFIQUE ! »

Son rire tomba en échos graves dans la falaise, pour se mêler aux crissements aigus de l'océan. Il fit quelques pas nerveux dans la neige, tout en grimaçant pour ses gelures qui faisaient vraiment la gueule dans ses bottes. Il propulsa malgré tout un caillou dans la mer d'une frappe du pied et hurla un bon coup dans le vide :

« MAIS QUELLE BANDE DE DÉGÉNÉRÉS C'EST INCROYABLE »

Ça lui faisait du bien de hurler. Hurler, crier jusqu'à disjoncter.
Il se retourna vers elle rageusement.
Les articulations de sa main étaient blanchies par l'effort exceptionnel qu'il déployait pour ne pas foutre une beigne à cette pauvre gamine pleurnicheuse.

« Qu'est-ce que t'as ? T'as peur de paraître ridicule maintenant ? Hein, c'est ça ? Haaa oui c'est vrai que vous passerez pas pour des lumières aux yeux du tout Isthéria et puis vos alliés risquent de tirer un peu la gueule – à côté de ça, tous les carnages du monde sont bien dérisoires. »

Il lui sourit avec une ironie fielleuse et déglutit lentement. Il se sentit fatigué, subitement. C'était pas son rôle, à lui, de faire ça, de venir plaider pour la veuve et l'orphelin, d'arrêter des guerres en se foutant droit dans le passage de cohortes de bonhommes qui poussaient avec eux des catapultes. Mais cette fois-ci il était un peu difficile de se sentir indifférent, de tourner le dos et de s'en aller. C'était trop écœurant. Il avait trop de choses à perdre. Et rien à gagner.
Il raccrocha sa fibule en se couvrant de sa cape et tenta de se réchauffer du mieux qu'il le put. Quelle idée d'abruti, encore.

« Je suis malade, ouais, acquiesça-t-il sèchement. J'ai perdu un bon litre de sang et on a pas arrêté de crapahuter dans tous les sens toute la nuit et toute la journée, ça fait des semaines que je ne dors plus. C'est TOI qui me rends malade. » cracha-t-il avec véhémence, bien en face de son visage.

Il la contempla un long moment, ses yeux noirs plantés dans les siens comme deux dagues glaciales. Pourquoi n'était-il pas parti plus tôt ? Pourquoi il partait pas maintenant ? Il pouvait aller voir Rash lui-même, frapper du poing sur la table et lui dire en face que même un troufion de seconde classe désavouerait ses ambitions de conquête d'opérette. Lui demander si c'était une farce, qu'il puisse en rire ! Et puis une fois l'affaire conclue, prendre ses cliques et ses claques et mettre les voiles ! Pourquoi est-ce qu'il était encore là à secouer Elerinna, alors qu'il était évident qu'elle se complaisait dans toute cette histoire à n'être qu'une princesse à sauver et n'avait pas l'intention de se donner la moindre prérogative ?
Qu'est-ce qu'il foutait encore ici ?
Il était transi de froid, jusqu'à la moelle, jusqu'au cœur. Oui, oui, certainement, il avait peur. Il se faisait violence. Mais c'était bien mal le connaître de croire qu'il redoutait un bouleversement de l'ordre du monde. Il ne craignait même pas la destruction. Il la désirait même ardemment dans ses moments de désespoir les plus intenses. Précisément – enfin merde, arrêtons de déconner cinq minutes, il se foutait pas mal de ce qu'était Cimméria et de ce que le pays deviendrait une fois la guerre consommée. Ce n'était pas chez lui. Il ne débordait pas de bons sentiments pour ces gens, pour le pauvre peuple ni pour ce qu'on appelait l'humanité. Mais il avait peur, voilà, il avait peur de ce qu'il était en train de faire. Il avait peur de ce qu'il serait une fois s'être opéré Elerinna, après avoir été contraint de quitter Irina et Aemyn, il avait peur de se retrouver sans point d'attache, sans rien, au milieu de nulle part comme une bête dont on a détruit le terrier et qu'on traque. C'était tout ce qui lui restait de cette vieille amitié qu'il était en train d'anéantir méthodiquement sous ses mots qui roulaient comme des rasoirs. Elerinna était son centre de gravité. Ou elle l'avait été, presque toute sa vie. Chaque fois qu'elle avait disparu ou qu'il l'avait rejetée, il était tombé au fond du trou. Sans elle il n'était rien du tout. Oui, bien sûr qu'il avait peur ! Il était en panique.

Mais il n'y avait rien d'autre à faire... ! C'était lui ou elle. Il devait partir, il devait réussir à partir ou il finirait très vite par crever ici, aussi stupidement que tous ces autres clampins qui se plaçaient entre elle et le monde pour l'en défendre, alors que la plus grande menace qui lui pendait au nez, elle l'avait créée toute seule. C'était elle qu'elle devait craindre. Et il n'y avait personne pour la protéger d'elle-même.

« C'est bon maintenant. T'as toute une armée pour te protéger, pauvre petite chose 'sans défense'. » la nargua-t-il. Oh elle finirait par se demander peut-être, à force de cruautés, ce qu'elle lui avait fait pour mériter tant de détestation... Il n'en était même pas encore venu au fait. Le voulait-il vraiment d'ailleurs ? Est-ce que ça en valait réellement la peine ? Ses yeux se posèrent sur elle et perdirent un instant, doucement, leur  dureté impitoyable. « Pourquoi t'aurais encore besoin de moi ? »
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MessageSujet: Re: Cold Marching Funeral - PV Elerinna   Cold Marching Funeral - PV Elerinna Icon_minitimeSam 7 Fév - 18:07

Léogan la saisit brutalement par le col, et l'attira d'un geste brusque jusqu'à lui. Elerinna sentit ses bras forts l'attirer sans qu'elle puisse résister; quant à lui, il était enragé et bleugait comme un forcené. Il sentait la sueur rance et le désespoir cruel. Ses yeux étaient deux fentes qui n'en finissaient plus de la haïr et qui la regardaient froidement, férocement, furieusement. Et ce regard lui fit peur; car il y'avait dans ces pupilles écarquillées, dans ces sourcils froncés, tordus même, dans cette bouche hurlante et travestie par la rage, quelque chose d'extraordinairement violent, contenu jusque là, et qu'il lui était impossible de contenir davantage. On aurait dit un possédé ou un dément. Une être dévoré de l'intérier par quelque folie, une créature malade et furieuse.

Elerinna en fut saisit de stupeur. Elle n'avait jamais vu Léogan dans un état pareil. Ca, pour être en colère, il l'était! Il l'était même à faire peur. Elle ne reconnaissait plus ce visage, ces traits sombres, méchamment étirés dans une espèce de fureur étranglée, informe, beuglante et laide. Et ce flot de parole! Toutes ces insanités qu'il débitait comme ça, avec l'air d'un fou échappé d'une maison de soin! Il était plein de rage, et il la déversait sur elle sans vergogne, en se hâtant même, dare-dare, à qui mieux-mieux! C'était le pathétique spectacle d'un amant éconduit, blessé au coeur même, qui s'avisait de se révolter une bonne fois pour toute contre la femme qui l'avait tant fait souffrir, ayant trouvé femme ailleurs, étant père désormais, et n'ayant plus d'attrait pour autre chose que pour la survie; Elerinna le trouva méprisable. Il bradait tout ce pour quoi il l'avait soutenu, la laissait en plan sans scrupule pour sauver sa peau, sa peau de lâche, de soldat et d'hypocrite mal dégrossi. D'un coup, elle le trouva foutrement enlaidi.

Etourdie, d'abord, par la violence de Léogan, Elerinna le considéra bientôt très froidement; elle le toisait, même. Il avait fini par la relâcher de sa forte étreinte, et éructait ses vindictes avec un petit air désespéré et arrogant à faire peur. Il essayait de lui faire mal, et il y parvenait, le salaud! Il y parvenait! Mais elle ne lui fit pas le plaisir de le laisser paraître. Elle le considéra au contraire avec une morgue accrue, et un petit air amusé, ironique.

- C'est ça, c'est ça, lui répondit-elle, narquoise, je t'ai empêchée toute ta vie d'élever notre fille dans une bicoque d'on ne sait où, pendant que tu aurai fait tes heures de rondes, comme un gentil petit soldat. Bah voyons! Quel beau tableau ! Pouah! le beau et preu Léogan, avec sa belle famille qu'il protégerait avec courage et fidélité! Ah on peut pas dire que ça soit pas beau ! Et le dimanche, tu aurai fait ton potager pendant que j'aurai cousu tes chausses, et ensuite, on aurait été bon pour une bonne culbute, et on serait reparti pour un tour, hein? Ahaha! Bravo Léogan, quelle vie merveilleuse! J'ai hâte de voir ce que ça va donner tout ça!

Elle faisait de sarcasme à tour de bras; elle ne s'arrêtait plus de taquiner les petites faiblesses qu'elle lui connaissait si bien, de s'engouffrer dans les brêches qu'il n'avait jamais colmaté et qui dégueulait de tous les côtés d'une rage amère, d'une colère mauvaise et injuste, et qui grouillait avec ça! et qu'il répandait derrière-lui, dans son sillage de tristesse tragique et misérable.

-Mais tu sais-quoi? Gronda-t-elle encore. Tout ça, c'est du pipeau! Tu te mens, tu te caches derrière des illusions. Tu ne crois plus en rien, tu n'y arrives plus. Déjà quand tu es parti sur ton île, là-bas, loin de tout, c'était pour ça. Tu étais incapable de gouverner ta vie comme il le fallait, de supporter qui tu étais hein?

Elle braqua son regard droit dans le sien, l'écrasa de tout son mépris, et lâcha enfin:

- En fin de compte, tu n'as jamais pu encaisser que ton frère ait été préféré à toi. Tout le drame de ta vie, c'est d'avoir été un échec aux yeux des tiens.

Mais lui non plus ne s'arrêtait pas. Il n'avait pas l'air de vouloir en finir, et il dégobillait tout ce qu'il pouvait, encore et encore. Lorsqu'il évoqua Léna, leur fille, un mauvais rictus passa sur le visage d'Elerinna. Alors ça non plus, il n'allait pas le laisser en paix, le salaud!

Qu'est-ce qu'il croyait, qu'elle ne pensait jamais à sa fille? Que ça ne luiss ait jamais le coeur, de la savoir sur les routes, on ne sait où ? Mais qu'est-ce qu'elle y pouvait, elle? A hellas, elle eut été malheureuse. Au milieu des intrigues, des dangers incessants qui agitaient l'ordre, qu'est-ce qu'elle y aurait fichu, hein? Elle serait devenu craintive, encore plus maladive qu'elle ne l'était déjà. Le climat de Cimméria aurait nui à sa santé, et elle aurait encourru en permanence des dangers bien plus grands que ceux qu'elle avait affronté jusqu'alors.
Elle serra les poings, mais ne répondit pas. C'était inutile. Dans un certains sens, elle était coupable; elle était mère, mais sa position ne lui permettait pas de l'etre tout à fait.Oh! Mais elle l'aimait, sa fille, très tendrement, bien qu'elle n'en parlât jamais. Elle l'aimait comme une petite partie d'elle, encore innocente et pure, et qu'il fallait protéger à tout prix. Au fond, c'était une grande souffrance pour elle. Une douleur enfouie qui revenait la titiller méchamment; une morsure bien profonde, bien lancinante à souhait, et qui ne s'éteignait jamais tout à fait.

Les ongles de ses doigts s'enfoncèrent dans la paume de ses mains avec tant de force qu'elle faillit hurler; elle se mordit la lèvre jusqu'au sang. Mais elle s'interdit de s'effondrer devant lui; il n'avait certainement pas été meilleur parent qu'elle ne l'avait été. Tout ce qu'il faisait, c'était se donner bonne conscience en instrumentalisant Léna, qui n'avait rien demandé dans tout ça, et qui ne souhaitait certainement pas que ses parents se haïssent à ce point. Et voilà qu'il parlait de sa nouvelle famille maintenant! C'était trop. On eut dit un enfant qui s'était trouvé des parents de substitution afin de connaitre un peu les joies de la famille.

Elle émit un petit rire sournois, et lui jeta au visage:

- Ta nouvelle famille, c'est encore une autre de tes mauvaises blagues, Léogan? Tu n'as jamais réussi à rester en place très longtemps. Tu finis toujours par te mordre, par t'épuiser toi-même. Tu te supportes tellement peu que tu dois toujours fuir un peu plus loin pour t'oublier

Et, cruellement, elle ajouta:

-Et puis, sa vie filera en un clin d'oeil. Tu la verras mourir tandis que toi, toi, tu resteras seule. Tu y as pensé à ça hein, dis-moi, dans ta ... nouvelle famille? Tout ce qu'il va t'arriver Léo, c'est de finir désespérément seul. Tu m'entends? Seul, à la pleurer, ta prêtresse rouge.

Cependant, il la regardait encore. D'un regard sombre et sans aménité. Il la défiait, avec ses yeux de damnés et son visage blafard. Quelle gueule ça lui faisait! Il avait l'air d'un cadavre encore à moitié vivant, qui s'agitait dans la tempête.

Elerinna lui rendit son regard sans sourciller. Elle ne lui céderait en rien. Elle avait décidé, le voyant si certains de son bon droit, si sur de sa bonne méchanceté, de ne lui donner aucune satisfaction. Il ne la verrait pas pleurer, bien que son coeur se déchirât à l'idée de le voir partir. Elle ne lui donnerait pas l'opportunité de la voir saisit d'effroi alors qu'il s'éloignerait, elle ne le laisserait pas jouir cruellement de son désarroi, de sa faiblesse. Elle s'efforça de rester bravache, stoïque, plantée dans la neige comme un piquet; elle l'écoutait sans ciller. Son visage était crispé dans une espèce de grimace ironique tandis qu'elle encaissait ses remarques acerbes, ses hurlements désordonnés de misérable.

-Tu n'as rien compris, ricanna-t-elle. Tu ne t'arrange pas, mon pauvre. Il n'y a pas de victime; tous ces soldats sont ici parce que je l'ai voulu. Seulement, je ne suis plus la seule responsable, c'est tout. C'est comme ça dans toutes les guerres. On est jamais tout seul à tout décider. Comme tu y vas aussi!

Et en effet il y allait, et de bon coeur encore! Il s'était mis à hurler, très brusquement. Il s'égosillait à plein poumon. Parfois, sa voix déraillait, et atteignait des hauteurs suraigües dont Elerinna peinait à croire qu'il eut pu les proférer et qui rendait sa voix parfaitement inaudible. Tout ce qui lui venait aux lèvres, il le proférait, très fort, avec une voix inhumaine pleine d'un immonde désespoir. Il l'éclaboussait avec les miasmes purulents de sa haine et de sa souffrance. Tout son paquet d'immondice, il le lui balançait comme ça, sans préambule, et il en avait accumulé du bazar, la canaille! Ca grouillait de partout. Et ça grouillait sacrément bien! Ca avait l'esthétique du dégueulasse.

Puis, d'un geste sec, il se débarassa de son vêtement. Il montrait son torse amaigri, sec, couturé de cicatrices et de croûtes navrantes à la face du monde. Il le défiait, et elle avec lui, de l'abattre. Eleinna en était certaine. Quoiqu'il en soit, il était dans un sale état. Ses membres, naguère vigoureux étaient zébrés de plaies, ainsi que son torse pâle, qui bleuissait dans le froid, sous l'impact des rafales. Par endroit, sa peau était jaune, parcheminé et sale. Certaines des plaies dessinaient de vilains zig zag sur son torse recousus qui offrait le pathétique spectacle d'un corps meurtri, blessé à mort, qui aurait du mourir mais qui avait resisté malgré tout. Elerinna frémit. Elle reconnaissait à peine cette poitrine grêle, qui se soulevait avec fureur et qui était si pâle, si laide, enlaidie par les combats et les années de loyaux service. Elle eut pitié de lui.
Mais lui n'avait pas terminé sa rengaine. Il ne cessait de l'accuser, de la mettre en faute. Il lui imputait ses errances et son absence; Elerinna, quant à elle, regardait son torse avec horreur et émotion. Elle savait les difficultés qu'avaient rencontré Léogan, mais jamais elle n'avait cru que cela avait atteint un tel degré de gravité. D'un coup, elle s'adoucit. Mais Léogan n'en avait pas terminé, et continuait sa ritournelle. Peut-être aurait-elle cessé ses sarcasmes, et eut-elle écoutée Léogan avec davantage d'attention s'il n'avait évoqué Irina, la prêtresse rouge, puis Verna. Hélas, il les évoqua toutes deux, avec toute la force que donnait l'amertume à son discours. Et ça n'y manqua pas: toute la morgue d'Elerinna lui revint. Elle le toisa superbement:

-Arrête un peu tes grands discours, Léogan, lui sussura-t-elle sournoisement. il ne te reste que ça, pour te défendre, de hurler? Tu es pathétique.

Il s'était revêtu de sa cape, et avait recouvert ses plaies. Elerinna regardait son visage défait, exsangue, souffreteux même. Son teint était cireux désormais; il semblait épuisé, mais ne cessait de gesticuler vainement et de crier. Elle était emplie de rage envers lui, et commençait à le haïr très franchement, comme on peut haïr un ancien amant qui vous trahit.

-Alors tu t'en fiche de la liberté? lui jeta-t-elle encore, et elle cracha à ses pieds. Tout ce que tu souhaites ce sont des petits choses?

Et elle elle regardait fixement, avec férocité, avec un incommensurable dédain dans la voie.

- Probablement que je me suis trompée alors, Léogan. Tu n'es qu'un petit homme qui fait de petites choses et qui n'aspirent pas à plus. Ah pour faire le drôle devant les dames, je t'ai connu averti! Mais après... ce sont juste de beaux sarcarsmes, prononcés avec beaucoup de dégoût des autres parce que tu es incapable de t'aimer toi-même. Tu fais le beau. C'est tout. Et dire ...

Elle s'arrêta un instant et avança vers lui. Elle le regardait toujours fixement; son visage était d'une pâleur effrayante. Lorsqu'elle fut à sa hauteur, elle dit d'une voix terrible:

-Et dire que je t'ai aimé. Alors que tu n'aspires à rien d'autre qu'une petite vie, bradée à rien, esclave de tout, subissant, toujours subissant hein? On a fait beaucoup de projets, ensemble, Léogan, et j'ai toujours cru que je pourrai compter sur toi jusqu'au bout. Et quand quelque chose arrive, qu'est-ce que tu fais? Tu te tailles. Encore.

Elle éclata de rire et le poussa violemment à nouveau avant de reprendre:

-Et tu feras pareil avec Irina, dis-moi? Non ne dis rien. Ne te défends pas. Je suis persuadée que tu le feras. TU ES INCAPABLE DE FAIRE AUTREMENT. TU ES JUSTE UN LACHE, LEOGAN!
Allez, va-t-en. Va vivre ta petite vie, avec ta petite famille, et tes petits objectifs. Au moins, là-bas, tu pourras faire le fier sans risque.


Prononcer ses mots lui avaient brisé le coeur. Elle avait du mal à croire, d'ailleurs, qu'elle les avait prononcé si facilement, si promptement, comme ça, pfiut! Et ça lui faisait mal, dans sa poitrine. Ca lui triturait les entrailles de le rejeter comme un malpropre, alors qu'il avait été avec elle durent ces cinq dernière décennies. Elle aurait suffoqué de douleur si elle ne s'était contrainte à un mépris affecté. Mais il la trahissait, lui aussi; il s'en allait, lui aussi. Il préférait cette prêtresse au coeur sombre qui la haïssait plus que tout qui avait inoculée cette haine dans celui de Léogan. Si elle avait pu lui trancher la tête, elle l'aurait sans hésiter.
Mais tout était terminée désormais, elle le sentait bien. Il lui était impossible, après tout cela, d'espérer quoique ce soit de lui. Il valait mieux que cela se terminât une bonne fois pour toute.
Comme dernière bravade, elle lui lança avec un méchant sourire qui lui barrait la figure et avec des étincelles mauvaises dans les yeux:

-C'est vrai, après tout hein, pourquoi j'aurai besoin de toi? Tu n'as toujours été qu'un échec. Un tout petit et pathétique échec.

Et elle se détourna de lui.
La souffrance lui dévastait la poitrine.
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MessageSujet: Re: Cold Marching Funeral - PV Elerinna   Cold Marching Funeral - PV Elerinna Icon_minitimeJeu 26 Fév - 17:15

« Pour ta gouverne, ma pauvre amie, je suis pas parti comme un ermite vivre à El Bahari, j'y ai échoué après un naufrage dont j'ai réchappé avec beaucoup de chance. T'en apprends tous les jours sur mon compte, c'est fou. »

Cette dispute commençait à l'agacer plus qu'à ne le blesser. Non seulement parce qu'il était persuadé qu'Elerinna ne voulait pas entendre la moitié de ce qu'il avait mis tant de temps à lui dire et qu'elle aurait dû comprendre seule et voir de ses propres yeux, mais aussi parce qu'elle s'acharnait à lui renvoyer la monnaie de sa pièce sans admettre la moindre de ses fautes, comme s'il s'agissait un jeu de cruauté gratuite où c'était à qui lancerait le plus de piques. Les siennes étaient d'autant moins affûtées qu'elle ne savait presque rien de lui à y regarder de plus près. Ce combat-là, qui n'était pas égal parce qu'elle ne s'était jamais donné de peine pour lui et qu'elle ne disposait donc d'aucune arme, Léogan n'en voulait pas de toute façon. Pour une fois, il n'était pas là pour foutre la merde, il était seulement venu chercher une réponse avant de prendre le large. S'il avait pu se tirer sans un mot, il l'aurait sans doute fait. Toutes ces scènes n'étaient d'aucune utilité. Elles ne servaient qu'à attiser un incendie haineux dans sa cage thoracique, qui menaçait de tout souffler en explosant – qu'à lui inspirer l'envie de faire souffrir Elerinna autant qu'il avait souffert de son indifférence.
L'air glacial de l'océan engouffra tout son sel dans ses poumons et une surcharge d'énergie  claqua sur son épiderme tandis qu'il écoutait Elerinna sans bouger d'un muscle. L'électricité remonta dans son échine et crépita dans sa nuque en mordant son cuir chevelu – elle s'insinua dans ses veines qui irradièrent d'un bleu aveuglant sous la peau de son visage.

« Mais je dois te remercier d'être venue me tirer charitablement de mon trou et de m'avoir ramené à notre bonne vieille civilisation, c'est ce que tu veux dire, hein ? Hé bien ! ironisa-t-il en souriant férocement. Grand merci, dame Elerinna ! C'est vrai que j'avais tout à fait ma place à Cimméria et j'aurais eu du mal à la trouver tout seul ! »

Il prit une profonde inspiration pour retenir la foudre qui grondait en lui comme un orage sous une chape de nuages noirs. Un tic magnétique lui saisit la nuque et il rabattit sèchement sa tête sur le côté, tandis qu'un éclair de lumière traversait ses iris monochromes. Il fit quelques pas dans la neige pour se calmer.

« Si j'ai profité d'aucune des opportunités qui se sont présentées à moi pour la quitter, mon île, sache que c'était parce que j'y gouvernais parfaitement mon existence, comme tu dis – mais je conçois que ce soit pas évident de te l'imaginer, dans ta petite cervelle de citadine ploutocrate et pantouflarde, je t'en excuse, lança-t-il d'une voix maîtrisée, en haussant un sourcil narquois. Sache que c'est pour tes fesses que j'ai quitté cette vie-là, Elerinna. En une nuit mon bagage était fait et je t'ai suivie jusque sur cette banquise où on se fossilise tous les deux depuis un demi-siècle ! Et aujourd'hui, même si je te quitte ici, j'ai fait assez dans ton intérêt pour risquer d'être exécuté pour haute-trahison, si ces gens mettent la main sur moi. Tu crois pas... Qu'au bout d'un moment... Ça suffit comme ça ?! »

Il l'écouta déballer ses dernières insultes et ne put retenir un ricanement sonore quand elle évoqua sa famille à lui, qu'il avait abandonnée près de deux siècles plus tôt et qu'il n'avait revue que par hasard depuis lors, à l'exception de son cadet, Ilyan, d'Elza, sa belle-soeur, et de son neveu Valistar, qui avaient comme lui déserté Canopée et qui vivaient à Hespéria, depuis que les crises morbides d'Ilyan avaient pris l'ascendant sur sa santé.
Qu'est-ce que ça avait à voir avec leur discussion ?

« Ben tiens, riposta-t-il d'un ton grinçant. Ça te facilite la vie de penser ça, pas vrai ? Et le drame de la tienne c'est que j'en suis venu à te préférer Irina, je présume. » acheva-t-il d'un ton mielleux.

Puisque c'était la manière dont elle voulait jouer...
Mais qu'est-ce qu'il en avait à foutre, du clan Jézékaël ? Il n'en faisait plus partie depuis des décennies et des décennies, les seuls rapports qu'il avait eu avec eux s'étaient résumés à quelques passe d'armes contre des assassins dans les moments les plus troublés – et à une proposition de contrat qu'il avait refusée vingt-quatre heures plus tôt et qui aurait pu lui coûter... Ses doigts frottèrent nerveusement ses paumes que le messager de Daeron avait épinglées comme des papillons sanglants sur toute la cartographie militaire de Faéris. Ses entrailles se serrèrent douloureusement dans son ventre.

Il enterra ses mains dans ses poches sous les pans de sa cape et sa main cogna contre la courte poignée de sa dague à rouelles, rangée à sa ceinture, qui lui avait servi dans de nombreux combats de chat par le passé et qu'il avait encore utilisée aujourd'hui pour passer dans les défauts des armures de ses adversaires. Un rire détraqué résonna tout à coup dans un coin de son esprit comme dans la froideur glauque d'une cellule.
« Je suis sûr que ça t'irait comme un gant ça, la 'liberté'. Tu devrais la prendre, quand elle sera juste à portée ... de ton épée. Oh ! Une dernière chose ! Le jour où ... ta 'diligence' arrivera ... Pense à avoir le courage de la prendre. Sinon elle risque de t'écraser comme un vulgaire insecte... »
Léogan tiqua et son regard noir, opaque, se figea sur les gouffres écumants de l'océan. Il y recueillit toute la violence du sel qui lacérait le givre à grands coups de lames contre les falaises mais ne refléta aucune lumière. Il avait le corps douloureux et transi de froid, son esprit ployait sous les grondements ulcérés d'Elerinna, les oreilles remplies de sa voix aiguë et acide piquée d'un grain sensible qui toujours l'avait fait frissonner, mais il restait droit et solidement campé dans ses bottes, trop droit et trop solide, les yeux fixes, l'air insondable, comme si ces mots rebondissaient sur une armure qui ne laissait rien le toucher, ou comme s'il n'y avait plus rien qu'elle ne pouvait toucher chez lui, plus rien qui soit ébranlable, plus rien du tout qui battait sous sa poitrine. Il était de pierre.
Le visage d'Elerinna, en revanche, avait la cruauté du désespoir. Elle devait consommer elle-même la rupture pour préserver sa fierté, alors elle crachait à son tour tout le venin qui suintait dans sa gorge, et ce qui faisait sans doute le plus mal, c'était qu'elle ne pleurait pas son départ à lui, mais celui du fantasme qu'elle avait eu de lui, de cette image merveilleuse d'un Léogan plein d'insurrection, de belle bravoure et de chevaleresque refoulé, de cette invention à qui elle avait fait l'amour et donné un enfant. Lui, le Léogan réel, le hors-la-loi naufragé, cet éternel étranger qui se foutait de la politique et des hommes pour lui préférer la liberté sauvage d'une île perdue dans l'océan ou du désert immense, cet imbécile qui s'était saigné aux quatre veines dans l'espoir égoïste de trouver une attache quelque part où elle lui avait promis une place, puis – après avoir réalisé la duplicité ignorante de ce marché – pour elle, juste pour elle, parce qu'il n'avait eu qu'elle ici, dans ce pays qui n'était pas le sien, ce type-là avait toujours été exclus de la relation qu'elle s'était imaginée toutes ces années avoir avec lui. Elle avait vécu avec le Léogan avec qui il lui avait convenu de vivre. Maintenant elle se débarrassait de lui en noircissant le portrait, histoire de ne jamais avoir affaire à ce qu'il était vraiment – c'était plus facile.
Pourtant, il décelait encore dans sa voix un appel, comme dans tout désespoir qui parle, cette note d'excitation qui la hantait et dont il se souviendrait toujours : une vibration musicale, une exigence impérieuse et chuchotée : 'Écoute-moi, écoute-moi !', l'assurance qu'elle avait vécu des instants radieux, magiques avec lui et que l'heure suivante lui en réservait d'autres, tout aussi magiques et radieux. Mais il ne devait pas se laisser prendre au jeu. Il avait de la volonté, il avait la force de résister à ses sirènes, il avait le courage de le faire, ce choix. D'autres choses attendaient qu'il y consacre du temps et de l'énergie qu'une guerre inutile ou les espoirs insensés d'une femme, alors il lui laisserait seulement la vérité pour recomposer sa pauvre âme brisée, il prendrait sa vie, qui était à lui, et il partirait. De toute façon le timbre d'argent d'Elerinna mourait doucement dans sa gorge à mesure qu'elle se convainquait qu'elle ne voulait plus de ce lâche, de ce traître – si rapidement en vérité, alors qu'il lui avait fallu à lui des années pour réaliser qu'il ne supportait plus de rester avec elle ; qu'était-ce ? Un mouchoir dans lequel elle s'était mouchée et qu'elle jetait derrière elle, rien de plus.
Et le beau chant de la sirène s'enrouait tandis qu'échouait son charme et finissait par se mêler indistinctement aux cris perçants des mouettes dans le ciel gris et noir du crépuscule d'hiver. Parfois, quand les nuages, solides comme de l'anthracite au-dessus de leurs têtes, toléraient qu'un flot de lumière se déverse sur terre, il semblait à Léogan que le soleil embrasait la neige et que dans ce feu aquatique Elerinna flottait et brûlait en faisant retentir ses criailleries d'oiseau pris au piège.
Il s'était pas mal fait insulter ces vingt-quatre dernières heures, et puis, il s'en était pris bien pris dans la gueule physiquement – de quoi convaincre un taureau d'arrêter sa charge, ou faire profondément douter un être humain normal de son bon droit. Mais Léogan n'avait jamais été dans son bon droit, il faisait uniquement ce qu'il avait à faire, ce qu'il avait décidé et ce qu'il souhaitait.

Cela ne signifiait pas qu'il ne ressentait pas toutes les injures qui sortaient de la bouche d'Elerinna comme autant de poignards dans sa poitrine. Étourdi par toutes ces paroles haineuses qui résonnaient au diapason de ce qu'il avait toujours pensé de lui-même, des craintes que lui causaient son naturel fugueur et inconstant, qu'il ne cessait de combattre et qui ne cessaient d'être confirmées par les lois des hommes, il se laissa pousser en arrière par Elerinna qui hurlait et chancela dans les congères. Ses dernières paroles claquèrent comme une cravache pour faire fuir un chien galeux et il recula lui-même en écarquillant les yeux, le cœur au bord des lèvres. Et elle se détourna vers le camp de son armée où elle avait tracé son destin de misère, en le laissant simplement là, comme si c'était elle, encore, qui avait décidé de la rupture, comme si ça satisfaisait son orgueil de s'en croire la responsable, comme si ça se faisait sans peine, de décider en quelques minutes que cinquante ans de relation comptaient pour de rien. Il avait vraiment été un bel abruti. Vraiment. Il aurait dû partir cent fois plus tôt. Chaque acte, chaque pas qu'elle faisait, chaque mot qu'elle disait témoignaient toujours plus de l'évidence qu'il avait refusé de voir toutes ces années : il n'y avait rien entre eux. Rien qu'un service à sens unique, qui l'avait vidé de ses forces et une fois qu'il n'y avait plus rien à assécher chez lui, qu'il le lui criait avec autant de franchise qu'il le pouvait, elle ne voulait plus l'entendre. Il ne servait plus... A rien. La rage explosa dans sa poitrine, l'aveugla un instant et il la rattrapa d'un pas vif pour la retourner violemment vers lui.

« Alors c'est ça ?! cracha-t-il, en la secouant par l'épaule. Pendant quelques temps, je suis la réponse à toutes tes prières et puis voilà que tout à coup, je ne suis plus qu'un paria à qui on ne donne même pas l'heure ! » Il lui saisit le bras pour ne pas la laisser s'échapper. Il se foutait qu'elle ne veuille pas entendre ce qu'il avait à dire. Elle l'entendrait tout de même, il ne pouvait plus garder ça en dedans. « Ouais tu m'as foutu en rogne ! gronda-t-il, les yeux luisants d'une colère incontrôlable, tandis que sa voix rauque jetait tout en vrac précipitamment et résonnait de plus en plus fort en contrebas. Tu voulais peut-être que j'écrase le coup, MERDE ALORS ! Je t'ai donné TOUT CE QUE J'AVAIS, je t'ai donné PLUS qu'on ne t'a JAMAIS donné ! Et qu'est-ce que j'ai reçu en échange ? Dis-moi, hein ? Un remerciement, un peu de gratitude ?! J'VAIS TE DIRE C'QUE J'AI EU, JE M'SUIS FAIT BAISER ! »

Il la relâcha brutalement et fit quelques pas en arrière pour pouvoir s'agiter de tout son saoul, empêtré dans la neige épaisse, dans les flots d'électricité qui couraient sur lui et dans les pans amples de ses vêtements. Il releva la tête avec une expression de fureur noire et poursuivit sans s'arrêter :

« Tu crois... Tu crois qu'avant toi, c'était ça, je menais une 'petite vie de rien du tout' ? Tu crois qu'il t'a suffit d'apparaître, toi, avec ton auréole en toc, pour que mon existence devienne digne d'être vécue ? » Il fit face à l'océan sèchement et avança mécaniquement, plein de vertige, pour cacher son malaise, avant de se retourner brusquement vers elle en faisant claquer sa cape. « JE SUIS CAPABLE DE VIVRE SANS TOI ! JE SERAI LIBRE POUR DE VRAI MOI TU M'ENTENDS ! AVEC TOI IL M'EST MÊME PAS DONNÉ DE SURVIVRE ! Et pour tous les autres ! Pour tous les autres, Orchid, ces soldats, cette mijaurée de Karel…c'est pareil. Ils crèveront tous pour ta gueule, prononça-t-il d'une voix caverneuse, avec une nausée. Et tu es... Tu es si narcissique, ça m'donne juste envie de gerber. »

C'était fantastique tout ce qu'elle était capable de dire et de penser plutôt que de s'avouer à elle-même, plutôt que de reconnaître devant lui qu'elle avait fait des erreurs, qu'elle s'était trompée et qu'elle avait fait du mal autour d'elle. Il n'avait pas eu besoin d'Irina pour en venir à détester ce qu'Elerinna faisait à cet instant. A moins qu'on ne l'interroge sur le sujet, Irina ne discutait jamais d'Elerinna. Surtout avec lui, grands dieux. Ils s'étaient bien assez disputés à ce sujet à Argyrei. Elle s'en était bien gardée : chaque fois qu'il avait abordé le sujet, elle s'était fermée tout à coup et avait retenu toute parole. Il comprenait soudain qu'elle n'aurait pas pu lui  dire ce qu'elle pensait sans être taxée plus ou moins légitimement de manipulatrice.
La répugnance qu'il ressentait pour Elerinna ne venait que de lui-même. Si elle avait été insufflée par quelque chose qui émanait d'Irina, ce n'était peut-être que l'attention qu'elle lui avait portée et qui lui avait fait éprouver lucidement le vide insupportable de sa relation avec Elerinna.

« Je vais te dire la vérité, moi, tout ce que tu arrives à faire, c'est enfoncer les pauvres types comme moi qui te suivent dans la merde, jeta-t-il froidement en se rapprochant d'elle. Tes paroles sont comme de l'opium. Tu nous emmènes dans une fumerie dégueulasse, on tire quelques bouffées et on oublie qu'on est rien que des rats enfermés dans une cage, on vit dans un rêve où on travaille à rendre les hommes libres, mais on ne quitte pas cette foutue fumerie. C'est tout ce qui se passe. »

Il fit un geste sec du poignet pour rejeter tout ça et le charger de toute sa révolte. Les idées se bousculaient dans son esprit, il les laissait couler sans retenue dans sa voix, sans les méditer, sans les transformer, les adoucir ou les rendre plus cruelles qu'elles ne l'étaient, et le reste de ce qu'il déballa ne fut rien d'autre qu'une précipitation de spontanéité brute :

« Tu as couru sur un point de fuite de la réalité, et moi j'ai couru derrière toi pour t'empêcher de te casser la gueule et je suis à bout de souffle, ne me traite pas de lâche, Elerinna, j'ai toujours fait ce qu'il y avait à faire, et c'est encore ce que je fais aujourd'hui, tu ne peux pas voir de la lâcheté là où il n'y a que du bon sens, c'est trop facile. Nous serons condamnés à la fin, nous sommes condamnés dès le départ, mais regarde-nous ! » Il s'arrêta tout à coup pour reprendre son souffle et avaler sa salive, les bras figés dans un geste convulsif qui les embrassaient elle et lui. « On est train de se saigner à blanc pour rien ! Je me suis tué à petit feu pour ta liberté, et je n'en ai pas vu l'ombre ! TU VAS TE TUER ! assena-t-il en l'attrapant par les deux épaules. Et tu ne trouveras rien... Rien... du tout ! Rien que des cadavres ! »

« On dit que les plus belles fleurs grandissent au bord de l'abîme... Mais c'est là aussi que meurt le plus grand nombre d'entre elles. »
Qu'est-ce qu'il essayait de faire ? Il n'avait pas à s'affoler comme ça, il devait retrouver son sang-froid. S'il ne se contrôlait pas un peu, il serait incapable de la laisser derrière lui, il temporiserait, il resterait là dans sa posture d'homme-bouclier habituel, paralysé par la peur de la perdre, il mourrait avec les autres, s'il ne choisissait pas...
« Si tu ne choisis pas, quelqu'un d'autre le fera pour toi. Et alors il ne te restera plus que l'amertume de ne pas t'être bougé plus tôt. Je ne crois pas que ce soit ce que tu veux, dans l'absolu. Fais simplement ce qui sauvera ta peau, ce qui maintiendra en vie ceux qui comptent à tes yeux, et ce qui te paraît correct selon ce en quoi tu crois. Dans cet ordre-là. »
Ses doigts tatoués de vieux motifs rougeâtres et striés de fines cicatrices se crispèrent sur les épaules d'Elerinna. Il la relâcha et ses mains glissèrent doucement sur les bras de la Sindarine. Son cœur rata un battement, il ne sut où poser son regard.

« En fait, toi et moi, c'est mort depuis longtemps, dit-il d'une voix blanche. Est-ce que ça a seulement existé, ça, je ne sais plus... Ce n'est pas maintenant que je me tire et que je te laisse derrière moi que les ponts sont brisés. Il a fallu que j'en vienne à cette décision, ce n'est qu'une conséquence d'un lent délitement auquel tu as aussi participé sans même t'en rendre compte. Sans chercher à t'en rendre compte. » souffla-t-il, presque pour lui-même, les yeux hagards. Et puis son visage retrouva cette expression de dureté inébranlable, tandis qu'au fond de lui, il brûlait de colère d'être si stupidement attaché à cette femme. « Je ne te dois rien, Elerinna. Notre entière relation a toujours tourné autour de toi. Maintenant je vais m'occuper un peu de moi, pour changer. Hein ? Ça t'épate, ça ! Bordel de merde, lâcha-t-il en se reculant un peu d'elle et en reprenant son souffle, tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour toi. »

Il s'interrompit et garda le silence quelques instants alors qu'il toisait Elerinna bien en face. Qu'est-ce qu'il en avait eu à foutre, lui, d'Hellas, de Cimméria, de la garde ? Elle avait vraiment cru que c'était pour ça qu'il était resté... ?

« Eh ben, prononça-t-il, le ton froid de déception. J'avais bien tort. »

Un éclair de douleur lui traversa la poitrine. Il la regarda de haut pendant de longues secondes, le menton levé, la mâchoire crispée, et il referma lentement ses poings pour contenir son écœurement. Puisque c'était ça, ouais, elle pouvait lui tourner le dos tout à coup et partir retrouver sa misérable petite famille, ça faciliterait les choses, et il s'en branlait. C'était aussi ce qu'elle voulait ? C'était ce qu'elle aurait.

« Alors ? » releva-t-il, soudain, avec un sourire mauvais. Parce qu'après tout, c'était elle qui avait voulu faire une scène, comme s'ils avaient été mariés depuis cinquante ans et qu'il lui avait annoncé au jour de leurs noces d'or qu'il allait la quitter pour une autre. Lui, il n'attendait qu'une réponse de sa part, claire et nette, un oui, ou un non – il ne lui avait jamais rien demandé de sa vie, elle lui devait bien un peu d'honnêteté à défaut de mieux. « Tu vas peut-être me répondre avant de retourner te pelotonner dans les bras de ton père, puisque tu te trouves miraculeusement un peu de responsabilité dans ce beau merdier ? Tu la démantèles, ton armée, ou pas ? »
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MessageSujet: Re: Cold Marching Funeral - PV Elerinna   Cold Marching Funeral - PV Elerinna Icon_minitimeJeu 9 Avr - 20:55

Le ciel s'étendait comme une ombre sur la mer décharnée. Debout sur le promontoir Léogan était livide comme un spectre et la fixait de ses yeux caves, enfoncés dans leurs orbites, et qui brillaient comme des malédictions. Son menton tremblait; sa voix était très rauque, gutturale même, et sortait de sa gorge comme des arrachements d'âme, commes des brulures, ou des gouttes de poison. Il haletait; et ses hurlements furieux glaçaient le coeur d'Elerinna.

Elle sentait, confusément, l'indicible souffrance qui giclait hors de lui, l'extraordinaire désespoir qui lui dévorait les entrailles, qui lui brulait la cervelle et elle le ressentait à son tour, puissament, décuplée par ses propres angoisses et pénétrant dans ses muscles, dans son crâne, dans son coeur, jusque dans les profondeurs nocturnes de ses veines qui bouillonnaient. Elle brûlait en même temps que lui, mourrait en même temps que lui, ressentait un profond dégoût d'elle-même, comme un profond anéantissement de ce qu'elle était, à mesure qu'il éructait ses insanités.

Cependant a cause du vent qui jetait ses rafales vers l'océan avec des mugissements brutaux, Elerinna ne comprenait qu'à moitié ce que Léogan lui jetait au visage. La bise balançait aux loins ses messages vindicatifs que le désespoir rendait particulièrement cruel. Elle entendait par bribe des morceaux des phrases, ou des paragraphes entiers qui la faisait frémir. Elle comprenait qu'il s'agissait là d'une rupture irréparable, d'une rupture définitive dont elle était responsable autant que lui et qu'il était impossible d'arrêter, désormais, bien qu'elle ne comprît pas tout à fait les causes d'un désastre sembable. Tout repentir était inutile. Il fallait consommer la boisson jusque la lie, et l'apprécier une bonne fois pour toute: ce serait probablement la dernière! La nausée s'immisça dans ses entrailles et corseta méchamment sa poitrine. Sous son crâne, des ouragans gesticulaient en hurlant. Elle sentait combien Léogan la détestait souverainement, combien il souffrait à cause d'elle et combien elle lui était néfaste, désormais. Cette terrible certitude s'installa tout naturellement en elle, tandis qu'elle regardait cette face ravagée, ce menton tremblant, ces membres tendues qui explosaient de colère et qui la rejettaient.

D'un coup, elle ne sut plus quoi répondre. Fini, la grande colère, les accès de fureur, les cris jetés au visage. Fini les émois illimités, les éclats de folie, les coups de sang! Fini ! Fini! Fini tout ce cirque indécent de violence sans retenue! Maintenant, lascivement, avec une lenteur atroce, mais très douce, une torpeur langoureuse se diffusait en elle. Elerinna se sentait très éloigné de tout cela. La haine de Léogan lui paraissait lointaine, presque anecodtique. Ce venin sombre qui s'était diffusé en elle n'avait plus d'effets sur elle; Comme ces individus, blessés mortellement, elle ne s'appercevait plus de la douleur qui lui broyait le coeur et les côtes. Elle était comme envelopée d'une gangue de froide émotionnalité, incapable de s'apercevoir de son propre malheur, dans un excès d'orgueuil et de souffrance mêlé. Il était temps que cela se terminât, désormais.

-Bon, très bien, et puis après? Lâcha-t-elle glaciale, alors que dans son oeil bleu brillait encore un reste d'amour à demi-mort; un petit reste qui s'envolait petit à petit à mesure qu'elle parlait. Tout va mal pour toi, et j'en suis responsable. A la bonne heure! Tu veux aller refaire ta vie avec ta petite opportuniste de rousse qui te rendra heureux pendant au moins trois décennies: Miracle ! Qu'est-ce que tu veux que je te dise, à la fin ? Fais comme ça te chante. Si tout est mort entre nous depuis longtemps, et bien barre-toi d'ici. Tu n'as rien à y faire. Va faire des galipettes bienheureuses, si c'est ce qui t'amuses. Mais si tu crois que je suis prête à sacrifier tout ces hommes pour rien, tu te gourres. Ce n'est pas de moi qu'il s'agit, Léogan. Je suis née chez les riches, chez les nobles, comme tu l'as bien rappellé tout au long de ton joli discour. Qu'est-ce que j'en ai à faire, moi, de la guerre? Je pourrai occuper une place de rang à Canopée et prospérer pendant des décennies, ou même des centaines d'années. Avec tout ce remue ménage, tout ce que je vais devenir, c'est une paria vouée à vaincre ou à sombrer dans l'oubli. Tu crois vraiment que je le fais de gaieté de coeur?

Elerinna cracha par terre et s'avança vers Léogan. Elle n'avait plus peur de lui, n'éprouvait ni pitié, ni dégout. Son coeur était sec, désormais, lisse et dur comme un métal sonore.

- Et bien va te faire voir. Lui jeta-t-elle en se détournant. Tu n'as juste rien compris. Tu crois que ça suffit, pour tout le monde, d'avoir un toit sur la tête et trois sous dans la tirelire? Me fais pas rire. On a tous les deux vues combien certains vivent au dépends des autres. J'aimerai en finir avec cette ignoble hiérarchie. Je dis pas que je me suis jamais trompée. Peut-être même que je me plante sur toute la ligne, peut-être que je n'aurai jamais du m'intégrer aux prêtresses, je ne sais pas. Tu vois, il y'a des tas de choses que j'ignore (du regard, elle le brava outrancièrement). Seulement, je parie que ça peut marcher, qu'une révolution peut tout faire basculer. Evidemment, il n'y a aucune certitude, evidemment, ça peut échouer lamentablement. Mais des certitudes Léo, tu en a beaucoup, hein ? J'en ai pas l'impression.

A nouveau, elle s'approcha de lui. Une énergie féroce lui parcourrait à nouveau le corps et lui fouettait le sang un bon coup. Elle le dévisagea longuement. Son visage était pâle, un peu jaunâtre, et maigre, bien plus maigre que naguère. Ses joues étaient un peu creuses et ses lèvres tremblotaient sous sa barbe mal entrenue.

-Alors tu crois vraiment que je vais la démanteler mon armée? ricana-t-elle. Mets toi plutôt ça où je pense. Plutôt crever. Tu sais ce que je vais faire, au contraire? Je vais diriger cette putain d'armée, et essayer d'en finir une bonne fois pour toute avec tout ça.  Avec, ou sans toi. Que ça te plaise, ou pas.

Sa lèvre supérieur s'étaient délicatement soulevée et s'était élargie, sur l'extérieur, de manière à former un mauvais ructis. Elle le défiait dans une ultime provocation et lui jetait des regards goguenards. Délicatement, presque tendrement, elle se pencha sur son épaule, et lui chuchota à l'oreille, très distinctement, d'une voix suave et douce presque avec délectation:

-Et ne crois pas que j'épargnerai ta prêtresse, Léo. Ce sera elle ou moi, et tu le sais très bien.
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MessageSujet: Re: Cold Marching Funeral - PV Elerinna   Cold Marching Funeral - PV Elerinna Icon_minitimeMar 14 Avr - 5:19

Elle ne l'écoutait pas. Ce qu'elle choisissait d'entendre, elle le fondait dans ce qu'elle s'imaginait savoir, pilait tout ça dans le mortier de son orgueil humilié et lui renvoyait à la figure la bouillie informe qu'elle en avait fait, enveloppée dans les jolies phrases qu'elle avait toujours su ciseler dans sa belle bouche si fine.
Léogan était dans un tel état de rage qu'il n'était même plus capable de la regarder en face. Il la considérait de travers et roulait des yeux parfois, tendu comme un arc, les poings serrés, tandis qu'elle lui débitait un nombre incroyable de sornettes à la minute – sur la vie confortable qu'un criminel d'Etat comme lui pouvait mener avec une prêtresse de Kesha, sur elle-même, et son bon cœur altruiste qui se battait pour des causes universelles, n'est-ce pas, contre le monde entier qui lui crachait dessus, la proscrivait à son tour et la traînait dans la boue, sur ce qui était bon pour les hommes et ce qui ne l'était pas. Elerinna, elle l'avait toujours su mieux que tout le monde, pas vrai ? Elle avait des certitudes, ça suffisait pour corrompre une démocratie pendant cinquante ans et écraser son peuple par la guerre puisque ça n'avait pas suffi à transformer le monde selon l'idéal qu'elle s'en faisait.

Quant à lui, il ne savait pas ce qu'il s'était imaginé, par quelle mièvrerie de l'esprit il avait pu croire qu'il arrêterait ce conflit à lui tout seul, en négociant en termes raisonnables avec des gens qui ne comprenaient rien à la situation de ce pays et au déséquilibre des forces en présence. Il n'était qu'un pantin ridicule qui s'acharnait à réclamer que la guerre n'ait pas lieu, mais quel pouvoir avait-il pour y faire barrage ? Elerinna n'avait que faire de logistique, de l'infériorité numérique de son armée de soudards vénaux, des différences subtiles entre l'invasion et la révolution, de la pauvreté de Cimméria et de la saison froide que le peuple et les soldats devraient affronter – elle volait trop haut pour ça ! C'était du prosaïsme de petites gens sans ambition !
C'était sans espoir.

Elle le surprit toutefois en s'approchant de lui plus qu'il n'était nécessaire, et, avec une œillade enjôleuse, posant son menton sur son épaule pour souffler un venin parfumé à son oreille. Son sang ne fit qu'un tour. Il faillit la repousser d'un coup sec, presque de panique et de fureur contre une proximité physique qu'il ne tolérait plus et qui lui mettait le cœur au bord des lèvres. Mais elle avait ces manières caressantes, ce discours éblouissant et cet air de bravade, qui cherchaient encore à le séduire, malgré tout, malgré les insultes, les accusations qui tombaient de leurs lèvres comme des lames de rasoirs, malgré le lourd ressentiment que lui se traînait et qui naissait seulement en elle. Elle aurait pu tourner les talons pour de bon, mais elle était encore là, à chantonner mélodieusement, le visage dans ses cheveux, la bouche près de son oreille, et il ne put s'empêcher de frissonner, tout en réprimant une nausée à l'entente de ses paroles.
Il détourna la tête avec une moue répugnée, paralysé sur place, incapable de prononcer un mot, et il se perdit dans son silence.

Oh, Erynn. Si seulement... Si seulement nous avions le choix...

Peu à peu, les traits de son visage se verrouillèrent, et ses yeux cernés devinrent insondables comme deux pierres qui ne réfléchissaient que le reflet sombre de celle qui les observaient.

« Non... murmura-t-il, finalement, la gorge serrée. Elle et moi, c'est fini. Essaie un peu de comprendre. Je ne peux pas revenir en arrière. Hellas est tout pour elle, pour moi c'est la prison et l'exécution. Tout est fini. » Tout était fini, oui. Que voulait-elle qu'il fasse ? Désormais il n'avait plus que le choix de participer à cette guerre ou de s'enfuir au diable vauvert, poursuivi par la moitié du continent... C'était impossible. C'était absurde. C'était... Une idée traversa subitement son esprit, comme une étoile brillante. Il cessa tout à coup de réfléchir et baissa la tête, l'air atone. Il réalisait... Il apercevait peut-être un moyen de régler le problème. Après tout... Après tout, qu'avait-il à perdre de plus ? Tout était déjà derrière lui... Il resta une minute, peut-être davantage comme plongé dans une profonde léthargie. Et finalement... « D'ailleurs j'ai déjà fait mon choix, annonça-t-il dans un souffle feutré. Je ne serais pas là sinon. Je l'ai abandonnée et je t'ai sauvée. »

Et tout à coup d'un mouvement vif, Léogan se redressa d'un seul bloc vers Elerinna et la toisa de ses deux yeux noirs et brillants logés dans leurs orbites charbonneuses, qui ne cillaient pas, qui se clouaient droit dans les siens et les transperçaient jusqu'à l'âme tandis qu'il avançait sur elle d'un pas lent mais froidement résolu.

« Oh, Elerinna... Ma belle, mon cœur, murmura-t-il, d'un ton mielleux, avant de poursuivre d'une voix précipitée et flamboyante. Tu es foutrement épatante, oui, tu es une femme étonnante, tu le sais, ça, oh oui tu le sais très bien. Une petite merveille d'aventures, de grands desseins et de visions incertaines, mais d'audace ! L'audace rattrape tout ! On trouve de l'espoir partout et en n'importe qui comme tu le dis si souvent, n'est-ce pas ? Et comme tu le dis si souvent, à quoi bon ruminer le passé... » conclut-il, en plissant ses yeux de fauve et en esquissant un sourire luisant. « En vrai, que pourrais-je vraiment te reprocher... ? Tu es là, fidèle à toi-même, sur le chemin que tu as toujours promis, je suis là, fidèle à moi-même, on n'a plus rien, toi et moi, plus rien que toi et moi. Oh, approche, ma colombe, viens. »

Il lui fit signe de venir d'un geste des mains en l'acculant sur le bord de la falaise. Sur son masque lumineux qu'il levait avec une morgue féroce, de fines craquelures apparaissaient  et disparaissaient, son sourire vacillait dans une pénombre inquiétante, ses yeux s'agrandissaient, ses traits se lissaient et se fronçaient de rictus, sa poitrine se soulevait avidement et ses poumons recrachaient de l'air comme les soufflets brûlants d'une forge.

« Devant moi, devant nous, c'est la... révolution, articula-t-il acidement, comme s'il pouvait décemment appeler 'révolution' l'invasion d'un pays par des forces étrangères, la révolution ou rien. Après tout... Nous vivons des temps redoutables, des mesures redoutables s'imposent. Quel pari délicieux, quelle idée précieuse... murmura-t-il d'une voix harmonieuse. Éminemment visionnaire et éclatante comme les tiennes l'ont toujours été ! Comment ai-je fait pour passer toutes ces années à tes côtés et l'oublier ? – ça, chérie, ça, je ne le saurais jamais... »

Il posa ses serres tièdes sur les épaules frêles d'Elerinna, qui lui semblait maintenant comme un tout petit oiseau blanc à la frontière de l'abîme. Il n'y avait que sa poigne pour la retenir de tomber dans le précipice et de fracasser sa jolie tête sur les rocs et le glace en contrebas. Un tout petit oiseau blanc qui le regardait de son œil innocent, pâle et inquiet, troublé mais trop loin de comprendre que les crocs de cette bête affamée se refermeraient bientôt sur lui. Il passa un bras derrière le dos souple de la jeune femme et l'attira contre lui avec une vieille élégance – un résidu de noblesse bizarre sur lui qui contrastait avec presque tout ce qui constituait sa personne, sa figure émaciée, ses habits crasseux, ses cheveux ternes.
Elle, Elerinna, était si belle, le front haut, les yeux immenses, bleus comme la mer profonde, la peau de lait, et des lèvres comme des pétales de rose – une adolescente fraîche à peine touchée par la déconvenue, encore.

« Bien sûr c'est douloureux, ça le sera pour tout le monde, je t'en veux encore atrocement, et si je pouvais te faire souffrir autant ne serait-ce qu'un instant... » murmura-t-il dans un souffle ténu mais incisif, les lèvres effleurant le coin de la mâchoire d'Elerinna et les doigts s'emmêlant dans ses mèches de cheveux blancs au-dessus de sa nuque. Il se redressa brusquement, jetant sa crinière noire en arrière, et éclata d'un grand rire sauvage qui résonna dans les cirques rocailleux, vibra comme une fêlure dans l'air gelé ; sous ses pieds les volcans sous-glaciaires entraient en éruption. « Mais ce n'est rien ! » s'écria-t-il, d'une voix grondante, en serrant plus fort la taille d'Elerinna contre lui, un sourire hâve et affamé sur son visage émacié. Saisissant fiévreusement sa main droite, il l'entraîna d'un pas félin et la fit tournoyer brutalement sur la neige qu'ils n'avaient cessé de piétiner dans cette clairière de pins perchée au-dessus de la falaise. « Que sommes-nous, toi et moi ? Pensons à ces malheureux des bas-étages qui ont toujours servi ceux d'en haut, combien il serait gratifiant de faire sauter le bâtiment et de les faire tous s'écrouler dans les débris, tous autant qu'ils sont ! Tous au même niveau, sur le sol bien solide, ou bien six pieds sous terre ! Détail, ricana-t-il, les yeux étincelants, quelle importance ! Une révolution, assena-t-il de sa voix rocailleuse qui éclatait de clarté et d'exaltation, en la faisant tournoyer encore une fois dans les pans amples de leurs capes, une table rase, une apocalypse, une bonne apocalypse... ! Feux d'artifice sur la grande place, bûchers monstrueux, vivas, vivas, vivas des foules déchaînées, sang, sable, cendre, poussière, effondrement sur la terre d'un ciel en morceaux...! Et nous qui nous saluerons notre public ! Merci, c'est trop ! Du moins s'il y a encore un public. » Il mit tout à coup fin à la valse infernale dans laquelle il l'avait traînée et la soutint en arrière, tandis que plissant infimement ses paupières flétries, il penchait sa figure grisâtre sur son visage délicat, sa peau laiteuse et ses grands yeux océaniques. « Je t'ai trahie, susurra-t-il, d'un ton doux et rassurant, si peu, là, un instant, c'est tout, rien de plus, un moment qui passe... Depuis toujours n'est-ce pas, on apprend le pardon et l'oubli, nous les apprendrons aussi, mon amour. » Il sourit avec férocité, les yeux pleins d'épiphanies noires, et serra plus fermement Elerinna contre lui. Son visage était à un souffle du sien, son autre main tâtonnait à sa ceinture d'armes sous sa cape. Ses doigts se refermèrent sur une garde, il frissonnait, quelque chose semblait s'accélérer en lui dans un martèlement continu de cloches dissonantes, le monde tournait à toute vitesse sous ses yeux. « Ce que j'ai abandonné est derrière moi, ce qui est derrière moi est mort. Ce qui est mort est mort ! La vie est faite pour les vivants, alors nous la vivrons, nous la vivrons jusqu'au bout et pour de bon... ! »

Un éclair argenté. La lame de sa dague l'avait presque saisie au cou. Tout se détraqua subitement. La réalité pleuvait sur lui en morceaux de verre brillants comme un immense miroir cassé. Les yeux en feu, le crâne plein d'un sifflement qui lui vrillait les tympans, il fut aveuglé un instant par le trouble et quelques gouttes de sang qui s'accrochèrent à ses cils et il sut aussitôt qu'il avait mal porté son coup, ou qu'elle avait eu un mouvement de recul au moment où elle avait vu la dague sortir de sa cape. Un feulement rauque lui traversa la gorge et il saisit Elerinna par la nuque pour l'empêcher de fuir et l'étreindre plus près de lui. Sa bouche était déformée par un cri aigu qui lui déchirait la cervelle. Le beau visage qu'il avait connu avait été marqué par la violence de son geste d'une plaie sanguinolente, qui lui montait du menton, lui arrachait presque les lèvres, barrait sa joue droite et bifurquait jusqu'à son front en lui lacérant l'arcade sourcilière.
Mystérieusement, il ne céda pas à la panique. Il plaqua froidement sa main qui tenait la dague sur sa bouche pour étouffer son hurlement et quand il mourut dans un borborygme éraillé au fond de sa gorge, il releva sa lame. En un instant, il l'abattit violemment dans son cou, à l'endroit exact de sa carotide qu'il trancha sur le coup, et tira la dague vers lui d'un geste sec. Les mains d'Elerinna se crispaient sur sa poitrine, ses ongles s'enfonçaient dans son manteau entrouvert et dans sa chemise, son cou ployait en arrière, ses os avaient craqué sinistrement quand il avait dégagé la lame de sa chair, tout son corps tremblait de spasmes et sa gorge crachait au visage de Léogan un sang rouge, plein et abondant.
Elle était faite de la même substance organique que les autres. Ce fut tout ce qui lui vint à l'esprit, comme un éclair de lucidité glacial, tandis qu'il fixait ses yeux opaques dans le regard bleu et révulsé d'Elerinna. Elle venait du même tas d'humus en décomposition que tout le reste.

Qu'il l'ait aimée n'y changeait rien. Parce que dans l'humanité entière, il y a deux sortes d'hommes, et seulement deux, il y a celle qui foule la terre et celle qui repose en dessous entre quatre planches de sapin. Sa nuque était chaude entre ses doigts, elle était presque méconnaissable. Qu'il l'ait aimée n'y changeait rien, il avait été capable de la tuer.
Parce que dans l'humanité entière, il y a deux sortes d'hommes, et seulement deux, il y a celle qui erre naïvement sans défense et celle qui écrase son pied dans le visage de l'autre.
Elerinna avait été de la première et rejoindrait les poussières de tous les cadavres humains qu'il avait laissés derrière lui.

Et pourtant, pourtant, maintenant que c'était fait, maintenant qu'elle suffoquait, la gorge inondée de sang, il la soutenait contre sa poitrine comme pour l'aider à partir dans la chaleur rassurante d'une étreinte, pour sentir ses derniers soubresauts de vie qui faiblissaient à mesure que s'instillait l'angoisse pour lui comme un poison sous sa peau. En quelques secondes à peine, sous son regard atone, Elerinna mourut, la tête renversée en arrière, rattachée péniblement à son cou mutilé, le front tourné vers le ciel crépusculaire.
Lorsqu'il ne sentit plus un souffle soulever son sein, Léogan sentit un long frisson lui traverser l'échine et lui monter en cerveau en un éclair. La rage, l'horreur et un accès subit et terrifiant de désespoir le saisirent et l'assommèrent presque. Ce corps inerte lui restait dans les bras et déversait encore des flots de sang sur lui, qui ruisselaient sur son visage luisant, sur les pans de sa cape et gouttaient sur la neige fumante.
L'air s'engouffra tout à coup dans ses poumons, il papillonna des paupières et leva ses yeux vers les astres brumeux du ciel, oppressé par un sanglot qui ne voulait toujours pas sortir. Il relâcha finalement le corps d'Elerinna qui s'effondra dans un bruit étouffé au fond d'une congère. Chancelant, les nerfs écorchés vifs, Léogan laissa sa dague lui échapper également des mains et se ficher dans la chair encore frémissante du cadavre qui gisait à ses pieds. Il s'en détourna aussitôt et avança vers le précipice, le cœur sale et brûlant.
Il trébucha une fois ou deux, tituba dans les rayons rouges du soleil et s'arrêta à l'extrême limite de tomber dans le vide, repêché par une violente bourrasque d'iode qui remontait de la mer et qui le repoussa en arrière. Il n'y voyait presque plus rien. A chaque seconde, il y avait quelque chose dans sa tête qui explosait dans une nuée aveuglante d'étoiles et d'atomes. C'était le grand bruit d'une machine infernale, qui couvrait tout, qui ne lui laissait entendre rien d'autre que ses engrenages mécaniques qui avaient roulé, claqué et cliqueté trop vite et trop longtemps, hoqueté, craché de lourds panaches de fumée et enfin déraillé, enfin, enfin, et maintenant le whisky, l'absinthe, le tabac, la cindine ou l'opium, tout ça n'aidait plus à ralentir la machine, parce qu'il n'y avait plus de machine. Elle avait volé en éclats, au moment où son bras s'était abattu sur Elerinna et où sa main lui avait déchiré le visage et la gorge, la même déflagration avait emporté l'automate et son architecte. Il ne restait plus qu'un animal pantelant, sale et brûlant, un fauve de sang et de sable, une bête calculatrice qui ne s'acharnait pas inutilement, qui avait égorgé sa proie d'une seule morsure – c'était suffisant. Il était vide, vide, vide, sale et brûlant. Vide, vide, vide. Il avait trouvé la liberté.
C'est seulement quand on a tout perdu, qu'on est libre de faire tout ce qu'on veut.

L'air qu'il avalait à grandes bouffées glaciales refroidissait laborieusement sa fièvre incendiaire et peu à peu, ses prunelles hagardes retrouvaient la vue. Il se calma, en douceur. Ses grands yeux noirs fixaient infiniment les deux soleils qui embrasaient la mer sur la ligne d'horizon, et qui jetaient de grands feux sur sa figure pourpre. Il passa une main poisseuse sur son front et se massa nerveusement. Il ne tremblait pas. Un silence compact l'envahissait, ponctué sporadiquement du bruit du sel qui se brisait sur le givre, tout était tristement paisible.
Elle avait valsé une dernière fois à son bras, et elle était morte. Comme ils avaient dansé autrefois, en baignant dans le lucre, les fêtes orgiaques, la musique extravagante, les beaux habits, les uniformes, les rires et l'alcool... Elle avait dansé une dernière fois dans la sordidité cimmérienne et elle lui avait recraché au visage toute la vie qu'elle lui avait prise et qu'il ne pourrait récupérer, même en miettes pulvérisées : toutes ces années avaient disparu. Presque un siècle de son existence venait de mourir avec elle et ne signifiait plus rien, plus rien que le néant intersidéral auquel venait de laisser place la supernova qui avait été son point de gravitation et qui avait explosée – un siècle d'existence qui n'avait jamais rien signifié. Un siècle de vacuité qui s'effondrait derrière ses pas. Il l'avait tuée et il s'était amputé en même temps d'un coup sec comme si Elerinna avait été une part nécrosée de lui, une blessure de guerre infectée dont il ne supportait plus la faiblesse, la laideur, et qui menaçait de lui prendre... Ce qui lui restait, quoi que ça puisse être. Les seuls remèdes à la gangrène étaient l'amputation ou la mort.
Léogan avait choisi la vie. Pour ce que ça pouvait bien encore valoir. Il n'avait plus de passé ni d'avenir. C'était peut-être la décision la plus absurde qu'il ait prise d'aussi loin que remontaient ses souvenirs.

Mais c'était sa décision. Il prit une profonde inspiration et se retourna vivement vers le village d'Inoa qui fumait en contrebas. C'était très bien tout ça, mais qu'est-ce qu'il allait faire maintenant ? Les cris d'Elerinna avaient certainement été entendus par quelqu'un, au camp, il ne tarderait pas à avoir de la visite. Il balaya les alentours d'un regard éteint.
Il était inutile de cacher le corps. Les traces de lutte et le sang qui s'était répandu dans la neige ne laissaient pas beaucoup de doutes sur la scène qui s'était déroulée ici. On ne tarderait pas à l'accuser – c'était loin d'être le crime parfait – Rash lui tomberait dessus, et dans l'état où il était, il ne vendrait pas cher sa propre peau. Le meurtre d'Elerinna signait l'échec des Lanetae dans leur entreprise orgueilleuse de guerre et de revanche. Il était probable que cela refroidirait les ardeurs de certains de leurs partisans, en tout cas, il faudrait que cet ensemble hétéroclite de troupes sindarines et mercenaires en vienne à un accord sur leur conduite à suivre. Avec un peu de chance, une partie de leur armée se déliterait d'elle-même. Cimméria gagnerait du temps. Irina gagnerait du temps.
Léogan tenta d'un geste vain et fébrile d'essuyer la sueur sanglante de son front et il leva son regard vers une butte, au loin, un peu plus en hauteur et qui donnait sur le village d'Inoa. Il cherchait dans une poche intérieure de sa cape sa boîte de tabac, et quand il mit la main dessus, il roula calmement une cigarette dans sa paume sale, la coinça entre ses lèvres et l'alluma en frottant ses doigts pour faire apparaître quelques crépitations bleutées. Il était aussi possible que l'assassinat de leur tête pensante, de leur figure de proue charismatique et visionnaire, insuffle à l’État-major assez de rage et de désespoir pour se lancer dans une opération massive de vendetta. Il écrasa ses yeux douloureux sous ses paupières et lâcha un souffle de fumée blanchâtre dans le soir gris qui couvrait la forêt de grands pins, la falaise, la mer et le village d'un lourd brouillard. Il fallait leur arracher les ailes avant qu'ils ne se croient le pouvoir de voler plus loin qu'ils n'en étaient capables.

Il referma sèchement les pans de sa cape sur lui et prit la direction du tertre qu'il avait repéré, en prenant de profondes et tièdes bouffées de tabac. Des décharges d'électricité bleues grimpaient sur son échine, mordaient sa nuque, craquaient dans les boucles de ses cheveux et irradiaient sous la peau de son visage. Il braqua ses iris froids et magnétiques sur le ciel et peu à peu, tandis qu'il grimpait d'un pas assuré sur la butte enneigée, l'air se chargeait d'une odeur d'orage, des nuages informes et bas apparurent mystérieusement et couvrirent le petit cirque rocailleux d'Inoa d'une pesante chape de plomb.
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Anonymous Invité
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MessageSujet: Re: Cold Marching Funeral - PV Elerinna   Cold Marching Funeral - PV Elerinna Icon_minitimeVen 29 Mai - 20:48

D'abord, il détourna la tête et se plongea dans un mutisme qu'Elerinna lui connaissait si bien. Elle le regarda, lui qui penchait la tête, les yeux baissés, l'air sombre. A quoi pouvait-il bien penser? Il lui était tout à fait impossible de le savoir. Elle devinait les cogitations abbatues qui devaient lui traverser l'esprit, les idées noires et pessimistes qui l'envahissaient à coup sur; pour un peu, elle l'eut entendue gémir en son for intérieur, et ruminer, encore et encore, comme il le faisait si bien depuis si longtemps, jusqu'à ce que son esprit se soit perdue dans des méandres tortueux et obscures, jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'emplie d'une morgue âcre, d'un pessimisme fétide et torturé.
Puis, il se redressa d'un coup, d'un seul.

Et alors ce fut la ritournelle, la grande, la belle, l'invincible ritournelle! Sa voix était mielleuse et avait des accents doux. Il l'enveloppait dans un flot de paroles et dans une flopée de promesses. Il était onctueux, caressant, et plein de morgue cependant. Il agissait brusquement, avec volupté pourtant, et sur son visage s'était peinte un expression exaltée qu'Elerinna n'aurait su traduire. Il avait le visage d'un dément, les yeux remplis d'une énergie extraordinaire, le teint blême qui rougissait comme sous le coup d'une émotion violente. Et ses mots transperçaient l'armure d'Elerinna, ses mots lui rentraient droit dans le coeur, sous la peau, lui perforaient l'estomac, l'intestin, et même l'âme. Léogan lui parut brusquement séduisant.

Il l'attira près de la falaise. Lorsqu'il évoqua la révolution, sa poitrine se souleva avec une force incroyable, comme s'il était galvanisé; mais ses yeux avaient des reflets inquiétants. Elerinna n'aperçut pas l'ombre qui y brillait sombrement. Elle n'écouta que les mots, ne vit qu'un Léogan galvanisé, transcendé. Elle l'écouta, dans son trouble, et fut même émue. Le discours de son ancien amant, cet homme qu'elle avait tant aimé, lui paraissait tant inespéré qu'elle voulut y croire de tout son coeur; presque elle se serait laissé fléchir, elle l'aurait pardonnée bien volontiers, et lui aurait donné tout ce qu'il souhaitait, tant que cela était en son pouvoir. Elle ne pressentait pas le danger, et s'exaltait avec lui. Un sourire fin, puis carnassier lui avait barré le visage. Ses yeux s'étaient enflammés, eux aussi, son coeur battait à tout rompre dans sa poitrine délicate, sous la pelisse.
Elle laissa échapper un petit 'oh' de surprise, lorsqu'il la saisit par la taille. Elle faillit laisser échapper un petit rire, un de ces rires cristallins qui échappent aux amantes ou aux courtisanes; mais elle se retint, et le rire lui resta dans la gorge. elle feignit l'indifférence. Même, elle le laissa se saisir d'elle, le laissa danser avec elle, dans un tango endiablé, dans une danse infernale dont il était le maître. Les mots parvenaient toujours à ses oreilles, sifflant à travers le vent mauvais, ce vent d'hiver qui heurtent les oreilles, qui cognent les têtes et les cervelles. Et toujours elle se laissaient charmer. Mais le ton lui sifflait parfois aux oreilles avec des accents mauvais, et les mains de Léogan, autour de sa taille, l'enserrait avec une force qui l'étouffait. Mais Elerinna se souvenait encore du souffle de Léogan, sur sa machoire, et de son regard planté dans le sien. Elle voulait y croire, malgré tout ce qu'elle lui avait jeté au visage, comme une garce infâme, elle voulait y croire, elle voulait y croire...

Les mots se firent plus âcres, plus mauvais. Elle sentit l'acidité sous le baume.

-Léo, commença-t-elle, Léo qu'est-ce que tu racontes ? Léo je t'...

Les mots s'étranglèrent dans sa gorge. En un éclair, l'acier avait entaillé sa chair, avait marqué sa gorge et son visage pour toujours. Les mots moururent sur ses lèvres tandis que Léogan, froidement, achevait son funeste ouvrage et lui ouvrait la gorge tout d'un coup, l'ayant plaqué à terre. Le sang s'échappa de la blessure à gros bouillon tandis que la belle sindarin râlait dans la neige, à travers la main de Léogan, plaquée sur son visage, comme un dernier linceul. Des spasmes l'agitaient, ses mains avaient de soubresauts de démentes.

Bientôt, elle cessa de bouger; tout était fini.

Elle était juste là, étendue dans la neige, roide et froide.

Ses yeux étaient encore grands ouvert et plein d'une indicible douleur.

Elle était morte.
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Anonymous Invité
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MessageSujet: Re: Cold Marching Funeral - PV Elerinna   Cold Marching Funeral - PV Elerinna Icon_minitimeMar 2 Juin - 5:44

Léogan avançait inexorablement dans la neige, trébuchait dans des crevasses et s'enfonçait dans les congères dans des craquements sourds, les yeux aveugles et le crâne lourd d'un vide étouffant. Il escaladait la butte qui surplombait la plaine d'Inoa sans réfléchir, se tordait le pied dans une ornière, gisait quelques instants étourdi par la douleur et le froid et se relevait pour poursuivre son ascension, poussé par une force incompréhensible. Un vacarme de voix dans sa tête se mêlait au sifflement aigu du vent. Il voyait encore le petit visage d'Elerinna, brûlant d'émotions, il entendait encore sa voix tremblante d'espoir entre ses lèvres roses, les mots qui s'y bousculaient, les mots, les mots, des mots... Pourquoi avait-elle voulu dire une chose pareille ? Oh il l'avait cherché, bien sûr, il avait voulu la faire espérer et la détruire d'un geste – c'était ce qu'il avait fait... Mais comment était-il possible, humainement possible, d'espérer aussi loin ? Comment avait-elle pu réaliser en un instant seulement qu'elle l'aimait, ou s'en rappeler si instantanément après tout ce qui s'était passé ? Comment pouvait-elle prétendre l'aimer après cinquante ans d'indifférence ?! Il avait simplement fallu lui mentir, lui dire ce qu'elle voulait entendre de lui, même avec l’ambiguïté la plus cruelle du monde, pour réveiller dans sa poitrine ce sentiment qu'elle avait ressentie autrefois pour un doppelgänger reluisant de ce qu'il avait été, pour il ne savait quel prince des contes, plein de puissance, de révolte et d'exaltation pour des insanités qui auraient rendu malade n'importe qui et qui l'avait rendu malade lui, pour de vrai. Son amour n'était qu'une fantaisie, il n'en voulait pas. Il n'en voulait pas... Elle était morte. Elle n'avait plus de faux amour à lui donner, elle était morte. Il prit une profonde inspiration et s'accrocha à un rocher pour finir d'escalader la butte enneigée. Il était un peu mort aussi du même coup de couteau. Qu'avait-il fait ? Il se souvenait d'être venu la trouver autrefois, de l'avoir emportée dans le tourbillon chaotique de son existence, il se souvenait de son âme innocente qu'il avait embrassée d'un baiser empoisonné, qu'il avait peinte en noir, et puis elle avait comme valsé avec un cyclone qui l'avait recrachée égoïstement pour pouvoir continuer à tout dévaster sur son passage. Il n'y avait plus qu'un petit effort à faire, un seul petit déchaînement de fureur de plus, pour qu'il ne reste vraiment plus rien d'Elerinna et de ses rêves.

Léogan était quelqu'un de méthodique. Quand il entreprenait quelque chose de sérieux, il le faisait jusqu'au bout.

Arrivé en haut du tertre, presque balayé par les bourrasques de sel et de neige qui remontaient en pic des falaises escarpées, il se traîna jusqu'au bord de son promontoire. Là, il tenta de se camper sur ses jambes autant que possible et plissa des yeux pour distinguer plus nettement les rues dévastées d'Inoa, envahies de Sindarins en armure et de mercenaires. Instinctivement, quoi que la tentative soit très vaine, il chercha à repérer la silhouette hagarde d'Orchid parmi tous ces gens d'armes inconnus et qui portaient un étendard dont elle s'était réclamée sans le reconnaître. Il espérait qu'elle aurait disparu dans la forêt de pins avec Grimrl, qu'elle se serait changée en louve et qu'elle aurait couru aussi loin que ses jambes auraient pu la porter, sans un regard en arrière. Il l'espérait si fort qu'il se prit à fermer les yeux pour en prier les dieux. En massacrant à l'aveugle tous ces gens dans la vallée, il ne pourrait rien se permettre pour la sauver. Ou pour l'épargner.
Les sourcils froncés, il leva la tête vers le ciel nuageux avec un vertige qui fit tourner le monde autour de lui. Il fallait tenir le coup.

Il remplit silencieusement sa poitrine de grandes bouffées d'oxygène. L'air était chargé d'un lourd magnétisme. Ses yeux noirs se fixèrent sur les stratus chargés d'électricité qui se pressaient au-dessus de lui sous son influence et qui commençaient à s'affronter dans des grondements menaçants. Une magie bleutée crépitait dans ses veines et jaillissait parfois en étincelles qui claquaient sur sa peau – il n'avait pas la moindre idée de comment il parvenait à canaliser cette force, ni de quelles ressources il la tirait, sauf peut-être d'une volonté qui dépassait ses limites physiques et qui l'étendrait raide mort dans les minutes qui suivraient, mais il serra les dents, son regard se durcit et il se concentra plus fort pour chasser ces pensées parasites.

Il ouvrit une main vers le ciel et baissa la tête en tremblant d'effort, les yeux fermés et la respiration profonde. La lumière du soleil déclina, et disparut. Les nuages s'enroulèrent en lourdes volutes, crachèrent un premier coup de tonnerre et comme si le bruit avait ouvert une brèche dans le couvercle noir du ciel, la pluie tomba en trombes drues et glaciales sur Léogan et sur Inoa. D'un geste de la main, il dirigea l'activité orageuse vers le village. Les nuages tournoyèrent lentement, se nourrirent de l'électricité dans l'atmosphère et avancèrent dans la cuve en s'épaississant monstrueusement jusqu'aux confins accidentés de l'horizon, piqué de sommets montagneux où descendaient des vapeurs grises qui flamboyaient dans le halo du soleil couchant. Au centre du cataclysme qui se préparait, Léogan avait l'impression d'être une outre d'eau presque vide qu'on pressait dans l'espoir toujours renouvelé d'en tirer une dernière goutte. Il sentait toute une énergie qui courait en lui et dont il n'avait jamais suspecté l'existence, son sang, sa moelle, ses os, tout ce qui lui donnait de se tenir debout, le quitter dans un flux ininterrompu, vampirisé par l'orage qui se gorgeait et s'engraissait de lui au-dessus du cirque rocailleux – qui devenait lui en désertant la carcasse fragile, cabossée et livide qui avait toujours tenu lieu pour lui d'enveloppe charnelle.
En contrebas, sous ses pieds, il entendait un tapage d'hommes en panique, qui couraient, minuscules et hurlants, comme une fourmilière qu'il aurait savaté de toutes ses forces. Tout ça sentait plutôt le roussi pour lui, nota-t-il, en entrouvrant difficilement ses yeux brûlants pour vérifier qu'aucun groupe de clampins armés ne prenait la direction du tertre, dans l'idée de foutre sur la gueule du paratonnerre qui s'apprêtait à déchaîner le feu du ciel sur leur armée en carton pâte. C'était pas comme s'il pouvait se permettre de traînasser sur la fin, il fallait boucler son affaire aussi vite que possible s'il voulait avoir une chance de se carapater ensuite – dans la mesure où il en serait encore capable.

Il secoua sa crinière charbonneuse pour reprendre ses esprits, ses bottes crissèrent dans la neige et tout son corps se crispa tandis qu'il projetait dans l'air une oscillation magique que la chape de nuages absorba en grondant comme un monstre affamé. Le ciel se déforma sous l'impulsion de Léo, quatre traits de foudre crevèrent simultanément sa croûte métallique et vibrèrent puissamment dans la stratosphère, avant d'éclater en scintillant sur les chaumières du village. Ébranlé par la force de sa propre attaque, il chancela sur ses jambes et s'écroula à genoux dans un banc de givre qui craqua et l'avala presque dans un amas de neige. Il se débattit dans la petite avalanche et parvint à arrêter sa chute en appuyant son pied contre un roc qu'il rencontra par hasard. Sonné, ankylosé par le froid, il lui fallut de longues secondes pour se remettre du choc, puis il se releva laborieusement pour contempler le désastre qu'il avait amorcé, le front dans une de ses mains transies. Une grande bâtisse avait pris feu au milieu d'Inoa. La lumière crue de l'incendie déchirait l'obscurité et commençait à se propager aux alentours, tandis que la foudre trouvait désormais elle-même ses points d'impact ça et là dans les rangs de l'armée des Lanetae. Les entrailles de Léo se serraient inexplicablement, pourtant il se sentait... relativement satisfait dans son écœurement. Son nez se fronça, un rictus nerveux passa sur son visage et il fit face à la chaîne de montagnes qui bordait la cuve bouillonnante d'Inoa, tenté par une idée qui avait une chance de l'envoyer sur le carreau mais qui serait probablement un coup de grâce pour les Lanetae par la même occasion.

Il se décida rapidement et tendit lentement une main vers le ciel, pour capturer irrésistiblement l'énergie magnétique du ciel, qui crépita dans ses doigts. Et tout à coup, un éclair jaillit en brillant de la masse compacte de nuages et se précipita avec un grand roulement de tonnerre dans la main tendue de Léogan, qui le recueillit en tremblant et le fit rouler dans sa paume, les yeux fixés sur le grand glacier. La foudre traversa tout son corps dans un vrombissement de lumières bleues et fauves qui vibrèrent et bourdonnèrent autour de lui. Ses veines irradiaient d'un feu qui lui transperça la peau en descendant dans son épaule, laissant sur son passage une large brûlure à la surface de sa peau fumante. Il se mordit les lèvres avec horreur, la gorge nouée, conscient que s'il peinait déjà à faire entrer la foudre dans son bras, il était possible qu'il ne survive pas à son explosion. Il tenta de se calmer, tant bien que mal, dans la fraction de seconde qui précéda la réception de l'éclair dans son centre, où il fusa et qui éclata comme une poudrière. La douleur fut si forte qu'il se ploya en deux mais dans un réflexe ultime, il parvint à lever son autre bras et à le diriger vers le glacier. La foudre jaillit dans son épaule droite qu'elle secoua d'un spasme déchirant, et enfin, elle bondit violemment entre ses doigts. Le trait illumina la vallée obscurcie de part en part et frappa le glacier dans un craquement sinistre, qui résonna lourdement parmi les coups de tonnerre. Projeté en arrière par la force de l'éclair, Léogan fut fauché dans les airs sur quelques mètres et retomba brutalement dans la neige où il roula comme une masse inerte. Il entendit à peine le bruit effroyable de la glace fondue et de la boue qui déversaient leur raz-de-marée sur Inoa, dans d'immenses nuages blancs de vapeur et de cendre.
Au milieu de tous ces mugissements infernaux des hommes, du ciel et de la terre, Léogan glissa doucement au bord de l'inconscience. Son corps exhalait une fumée âcre sous la pluie, à moitié enfoncé dans une congère. Il avait un goût métallique dans la bouche. Il sentait la brûlure d'une lésion courir sous ses vêtements, dans la ligne qu'avait traversée l'éclair, du bout des doigts de sa main gauche à son épaule, de son épaule à son ventre, et de son ventre à son bras droit. Le reste dansait sur ses yeux entrouverts dans une myriade de silhouettes floues et de points rouges qui lui transperçaient le crâne comme une batterie de clous.

Le temps passa indistinctement. Et puis, quelque chose dans son oreille interne commença à bourdonner bizarrement. Un picotement, comme des piqûres répétées de coups de jus, se propagea rapidement dans toutes les sinuosités de son système nerveux. Un spasme ébranla sa poitrine, il eut l'impression qu'un feu d'artifice pétait soudain sous son front. Une lumière bleutée crépita sur tout son corps. Et puis il retomba sèchement sur le sol. Il papillonna des paupières. Sa pupille bleue, chargée d'électricité, se dilata, ses yeux étincelèrent, il les ferma, les rouvrit, et la lumière crue s'atténua.
Il entendit très nettement des bruits de pas crisser dans la neige, le tintement des armes et des voix d'hommes hurler dans les bourrasques. Il se redressa mécaniquement. Ses tissus s'écorchèrent plus profondément mais d'instinct, il amortit la douleur et ne ressentit plus rien. Il se releva.

***

Fin du topic
Suite Léo : Discombobulate
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Cold Marching Funeral - PV Elerinna
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