[Domaine des Wei] - Un curieux visiteur.

La farouche Néréide tiqua à mon indécente proposition mais, sans se laisser déstabiliser pour autant, elle me rétorqua doucereusement, un fin sourire aux lèvres:

"À se demander ce qui vous exciterait le plus, en supposant que je vous cède. Ma glorieuse personne ou le navire."

Amusé par cette répartie, je lui retournai une petite moue charmeuse et lui rétorquai sur le ton de la plaisanterie:

"Si merveilleux que soit votre navire, il ne m'a jamais donné envie de m'ébattre avec lui, contrairement à vous."

Je haussai légèrement les épaules en ajoutant plus sérieusement:

"Par ailleurs, si cela advient ce ne sera pas à moi que vous céderez, mais à votre seul désir de passer un agréable moment en ma compagnie."

Peu soucieux de lui imposer plus longtemps que nécessaire une proximité qu'elle ne désirait peut-être pas malgré les apparences dûes au jeu ambiguë dans lequel nous nous étions engagés, je me relevai fluidement lorsqu'elle m'y incita d'une légère pression sur la poitrine et lui tendis courtoisement une main pour l'aider à se remettre elle-même debout. Elle s'abstint bien évidemment de m'en remercier, fierté obligeant, puis m'adressa une moue accusatrice après s'être avisée des dégâts que mon geste avait causés. Pourtant, peut-être était-ce moi qui me faisait des idées, mais son regard me parut démentir cette accusation. Ce qui ne changeait finalement pas grand chose car je ne songeai nullement à m'en excuser, après tout c'était bel et bien elle qui était venue me provoquer en s'asseyant sur moi et en m'étranglant à moitié. Et puis, elle avait des serviteurs et c'était à ça qu'ils servaient, entre autres.

Je ramassai néanmoins le contrat, miraculeusement sorti indemne du combat, tout en contemplant pensivement Jing alors qu'elle se dirigeait vers son bureau et s'y installait. Dans quel pétrin étais-je en train de me fourrer? J'aurais dû la détester, la manipuler sans vergogne, et voilà que j'en venais presque à l'admirer? Oh, sa beauté aurait pu ensorceler n'importe quel homme normalement constitué, bien sûr, mais des belles femmes j'en avais côtoyé bon nombre et cela faisait des siècles qu'aucune n'avait seulement su éveiller mon intérêt. Je laissai toutefois ces reflexions de côté pour la rejoindre rapidement, l'heure n'étant plus aux caprices, et m'installai à mon tour en lui tendant les documents. Elle y fit les modifications adéquates et les signa avant de me demander d'un ton calme et poli avec quel genre de bouteille je souhaitais fêter cette occasion, à quoi je répondis avec un fin sourire:

"Eh bien, que diriez-vous d'un rhum ambré de cent ans d'âge? Je gage qu'il en reste quelques bouteilles dans votre cabine..."

Laissant planer le mystère sur la présence desdites bouteilles, je me concentrai sur l'accord et, après mise au point des ultimes détails, en signai les deux exemplaires et y apposais mon sceau ducal. Lorsque ce fut fait, Jing reprit:

"Je prévois notre prochain départ pour dans quelques mois environ. Vous serez évidement informé de la date afin que mes entreprises n’empiètent pas sur les vôtres. Je suppose que d’ici là vous souhaiteriez avoir libre accès au Ao Kuang – et logiquement à mon chantier naval. Si vous êtes donc amené à rester sur les Berges Dorées durant un temps déterminé ou non, je ne peux décemment plus vous faire dormir à l’auberge du coin"

Haussant imperceptiblement les épaules avec un détachement que je devinai feint, au moins partiellement, compte tenu des échanges qui avaient précédé ladite signature, elle poursuivit:

"Aussi je mets à votre disposition l’aile du domaine réservée aux invités."

Inutile de dire que j'aurais largement préféré qu'elle m'invite dans sa couche mais, cela ne faisant malheureusement pas partie de notre accord, j'inclinai légèrement la tête en guise de remerciement tandis qu'elle rangeait l'un des exemplaires du contrat et me remettait l'autre. Elle se leva, mouvement que je suivis aussitôt, puis se dirigea avec sa grâce habituelle vers la porte qu'elle ouvrit en ajoutant:

"Je suppose qu’une visite du Ao Kuang s’impose, quand bien même vous le connaissez déjà sur le bout des doigts. Permettez toutefois que je m’habille plus chaudement avant ça. Il serait malencontreux que j’attrape froid avec ces vêtements mouillés par votre faute."

Je lui offris un franc sourire à ces mots et, tout en sortant de la pièce comme elle me le demandait afin qu'elle puisse se changer, je lui lançai en passant, avec une petite oeillade charmeuse et discrètement mutine:

"Je vous en prie. Lorsque vous serez prête à affronter la froidure, j'aurai une proposition à vous faire pour occuper ces prochains mois plus agréablement, et utilement, qu'en restant ici."

Alors que la Néréide s’informait de la boisson avec laquelle ils trinqueraient à cette signature, Nathanaël proposa un Rhum de 100ans d’âge qui se trouvait au sein même du Ao Kuang et plus précisément dans sa cabine ; ce qui titilla évidement notre Capitaine qui arqua légèrement un sourcil. Le Sindarin se portait-il déjà garant de révéler l’un des secrets du navire. Même s’il ne s’agissait en l’occurrence que d’une cave à vins savamment dissimulée. Elle conclut par un simple : Soit. Avant de s’occuper de cette assommante session – et c’était peu dire après sa chute. Une fois les documents signés, Wei remit un des exemplaire au Sindarin et lui proposa une visite du navire en bonne et due forme. Peut-être dans le but aussi d’être informée de l’état général de son précieux vaisseau ; une part d’elle ne pouvant s’empêcher de craindre ladite usure des fameuses pièces enchantées.

C’est poliment qu’elle le congédia de son bureau et expliqua qu’un changement de tenue s’imposait néanmoins avant ça. Nathanaël approuva et expliqua que lorsque la Capitaine serait fin prête à affronter les basses températures, il serait ravi du lui faire part en chemin d’un projet qui saurait l’occuper pendant ces mois sur la terre ferme. Le regard abyssal de la Néréide s’ancra un instant dans celui du Sindarin, mais resta silencieuse à ce propos. Elle raccompagna ensuite l’homme au salon se trouvant au rez-de-chaussée.

« Évitez de tourmenter ma colombe en mon absence.» Lui recommanda notre pâle amie avant de retourner à son étage ; demandant à Chang’e de faire préparer une diligence pour eux.

De bonne volonté, Wei ne fit guère attendre plus longtemps que nécessaire son invité comme elle avait eu le caprice de le faire jusqu’à présent. C’est vêtue d’un vêtement plus traditionnel aux Wei, soit un kimono nuancé de bleu et brodé d’argent qu’elle refit son apparition. Le tissu d’excellente facture et plus épais, couplé avec une étole surmontée de fourrure se promettaient d’apporter une protection suffisante. Son chignon avait été volontairement défait, par souci du détail ; son côté strict étant peu raccord avec son nouvel ensemble. Au lieu de ça ses lisses et longs cheveux noirs étaient dorénavant noués en queue de cheval basse. Elle observa le Sindarin. Et au cas où il ne l’aurait pas remarqué. ~

« Pardonnez cette attente. Je suis prête. » Déclara-t-elle simplement. « Si vous voulez bien vous donner la peine. » Joignant la parole d’un mouvement discret et gracieux du bras, invitant Nathanaël à la suivre. Ce n’est qu’une fois que l’homme l’ait rejoint que la Capitaine prit la direction de la cours. La diligence les attendait d’ores et déjà, tirée par quatre splendides chevaux noirs. Le cocher apparu aussitôt pour leur ouvrir la porte. Wei entra logiquement la première, faisant preuve d’une étonnante aisance malgré son vêtement et s’installa confortablement sur la banquette. Une fois rejointe par Nathanaël elle ordonna à ce qu’on les mène aux Berges Dorées. Plus précisément là où mouillait actuellement le Ao Kuang. Soit près de chantier naval. Un claquement de rennes suffit à mettre les chevaux au trot.

La Néréide profita alors du trajet pour mettre en avant un autre sujet. « Quelle propositions aviez-vous en tête pour m’occuper, Nathanaël ? Croyez bien que mes séjours sur la terre ferme sont d’être utilisés en temps libre. » L’interrogea calmement la Néréide tout en faisant subtilement remarquer que cette offre se devait d’être intéressante et fructueuse. En soit de ce que l’on est en droit d’attendre d’un partenaire commercial comme le Duc.

Son regard jusqu’à lors dirigé vers l’immensité de l’océan revint se poser vers le Sindarin, visiblement prête à lui prêter une oreille attentive pour cette occasion. Son dos maintenu droit et haut port-de-tête trahissaient encore d’une éducation militaire, mais qui ne gâchait en rien sa féminité. Je suppose. Un moue faussement boudeuse et outrée fut alors esquissée. Finaude et malicieuse, Wei ajouta d’un ton pourtant égale au précédent.

« À moins que les détails d’une telle entreprise ne peuvent-être livrés que sur l’oreiller ; traitant indépendamment de mes compétences. Mais j’ose espérer que ce n’est nullement votre genre. Je n’apprécierai guère d’être usée et abusée comme une catin de bas-étage. Ni comme l’une de vos poulardes que vous appréciez tant plumer. » À dire vrai Wei serait plus métaphoriquement une créature écailleuse. À moins que le Sindarin veuille s’essayer à plumer la Néréide sous forme la plus monstrueuse et dangereuse. Mais elle ne saurait alors être tenue responsable des conséquences.

Jing haussa un sourcil lorsque j'évoquais indirectement une cache qu'elle n'aurait découverte à bord du Ao Kuang, mais elle s'abstint de poser la moindre question à ce propos, tout comme elle se garda de m'interroger à propos de cette occupation que j'entendais lui proposer pour les mois à venir. Au lieu de cela, elle me conduisit dans un salon du rez-de-chaussée où nous retrouvâmes Chang'e, que la Néréide me pria de ne point tourmenter en l'appelant sa colombe. Je lui promis de me montrer sage, un léger sourire au lèvres, amusé de ce surnom qui semblait si bien coller à la jeune servante pour ce que j'en avais vu, puis j'attendis avec une certaine impatience que Jing se préparât. J'allais retrouver le pont du Léviathan, ou plutôt du Ao Kuang tel qu'il se nommait maintenant, enfin!

Semblant décidée maintenant à faire preuve de bonne volonté, la Néréide ne prit que le temps strictement nécessaire pour se changer et c'est revêtue d'un luxueux et épais kimono bleu brodé d'argent qu'elle fit son entrée dans le salon. Munie par ailleurs d'une chaude étole de fourrure, elle avait également changé de coiffure, sa longue et soyeuse chevelure de jais simplement attachée en une queue de cheval basse. Je la contemplai sans détour d'un regard admiratif lorsqu'elle s'approcha de moi, appréciant à sa juste valeur cette tenue et cette coiffure qui lui donnaient un air bien moins strict que je ne lui avais vu jusqu'ici. Etait-ce un signe qu'elle commençait à se détendre un peu en ma présence? Quand elle me demanda de lui pardonner l'attente, je m'inclinai gracieusement pour lui répondre:

"Il n'y a rien à pardonner. Vous êtes éblouissante ma chère, s'il m'est permis de le dire, cette tenue vous sied à merveille."

Elle m'invita ensuite à la suivre et me conduisit dans la cour où attendait une diligence attelée de quatre magnifiques chevaux noirs. A peine approchâmes nous du véhicule que son cocher se précipita pour nous en ouvrir la porte, je laissai naturellement Jing monter la première, ce qu'elle fit avec une étonnante aisance compte tenu de ses vêtements, et la rejoignis sans traîner. Après avoir ordonné au conducteur de nous conduire à l'endroit où était amarré le Ao Kuang, la Néréide se décida enfin à m'interroger calmement, le regard rivé à l'océan visible par les fenêtres:

"Quelles propositions aviez-vous en tête pour m’occuper, Nathanaël ? Croyez bien que mes séjours sur la terre ferme sont loin d’être utilisés en temps libre."

Fière et droite, la tête haute dans une posture quasiment martiale, son attention revint se river sur moi et elle esquissa une moue faussement boudeuse, voire outrée, avant d'ajouter avec une certaine malice:

"À moins que les détails d’une telle entreprise ne puissent être livrés que sur l’oreiller ; traitant indépendamment de mes compétences. Mais j’ose espérer que ce n’est nullement votre genre. Je n’apprécierai guère d’être usée et abusée comme une catin de bas-étage. Ni comme l’une de vos poulardes que vous appréciez tant plumer."

Je plissai légèrement les yeux à ces mots, la scrutant en silence durant quelques secondes avant de lui répondre d'une voix soigneusement modulée pour laisser percer un léger étonnement quelque peu contrarié:

"Très chère Jing, même un aveugle ne saurait vous confondre avec ces filles de petite vertu ou les volailles colorées qui hantent les cours, or j'ai une excellente vue. S'il advenait que nous passions un peu de bon temps ensemble j'en serai ravi, mais nos affaires ne sont nullement dépendantes du moelleux d'un oreiller, ne mélangeons pas tout."

Je marquai une brève pause pour souligner mes paroles, le regard rivé au fond du sien, puis je repris posément:

"Ce que j'aimerais vous proposer, c'est de prendre la mer ensemble pour amener le Ao Kuang dans un chantier naval de Cebrenia. Il n'y a que peu de forêts en Argyrei et le bois qui en sort est loin de valoir celui que nous trouvons dans mon pays. Bien sûr nous pourrions en faire livrer ici, mais outre le fait que le coût du transport serait très élevé, cela prendrait un temps considérable et avec cette neige incongrue il pourrait aussi bien ne jamais arriver."

Nouveau temps de silence, juste assez long pour lui permettre de soupeser la pertinence de mes mots, puis je poursuivis:

"Ce trajet me permettrait de contrôler l'ensemble du navire et de définir exactement quelles pièces sont à remplacer. Arrivés au chantier naval, je pourrais commander le bois nécessaire et le faire préparer correctement, ce qui prendra quelques semaines. Nous pourrions utiliser ce délai pour nous rendre à Canopée, où je pourrais vous présenter aux personnes qui comptent afin qu'elles sachent que vous êtes désormais mon alliée et mon associée. Nous pourrions également profiter de ce séjour pour négocier quelques juteux contrats, cela va sans dire. Par ailleurs, et je pense que c'est important, cela vous permettrait d'avoir une idée concrète des avantages que je suis en mesure de vous apporter."

Je laissai alors un sourire doucement ironique ourler mes lèvres et achevai d'un ton faussement blasé:

"Bien évidemment, il nous faudra participer à quelques soirées mondaines et supporter les volailles qui s'y pavanent, mais c'est un maigre prix à payer en regard de ce que nous en tirerons. Et puis, je me fais fort de vous distraire assez pour que cela ne vous soit pas une corvée, je suis même sûr que vous finirez par y prendre goût. Qu'en dites-vous?"