Joindre l'utile à l'agréable.

À peine le soleil commençait à darder de ses rayons le Duché et ses alentours qu’un curieux, mais méticuleux manège s’opérait. Valencia, après plusieurs jours de représentation en ces lieux, approchait désormais du départ. Tandis que les manutentionnaires aboutissaient au démontage de la dernière, mais plus fragile structure, le Onério réfléchissait encore au plan de route ; ayant été informé par les locaux de l’insécurité qui régnait sur certaines … le Duché peinant visiblement à y remettre de l’ordre.

À l’orée du camp Valencia, bien loin de toutes ces préoccupations – ou plutôt incapable d’y faire grand-chose, une partie de notre troupe ambulante profitait de ces derniers instants en Nivéria. Notamment composée d’enfants qui, après plusieurs jours sur place s’étaient liés d’amitié avec ceux d’ici. On y comptait bien évidement les parents de ces derniers. Ou si ce n’était pas le cas, ceux se portant garant de leur surveillance pendant qu’eux étaient demandés ailleurs. Comme ce fut le cas pour Esha … en charge des « Terreurs de Valencia ». J’ai surnommé : les Jumeaux. Deux petits monstres qui auront eu tout le loisir de mettre en évidence cette réputation, dans un autre chapitre. Heureusement pour notre Terran, elle n’était pas seule dans cette galère. En charge de les épuiser en les faisant courir et grimper partout, eux ainsi que d’autres, Geeti.

C’est avec un sourire attendri et un regard pétillant d’amusement qu’Esha observa sa minuscule renarde se mêler à la garderie, poussant des couinements autoritaires qui semblèrent faire bien plus écho aux oreilles des jeunots que ceux de leurs parents légitimes. La menace d’une morsure peut-être. Quoique ce n’était pas genre de sa compagne, en plus d’être trop peu efficace venant d’un Fennec. Après s’être assurée que Geeti gérait son affaire, ou son pseudo règne de terreur, notre danseuse reporta son regard émeraude sur son bouquin, tout en se cherchant une meilleure position contre l’arbre où elle s’était adossée. Vêtue d’une tenue de voyage somme toute basique, soit une chemise épaisse en lin blanc et un pantalon brun. On était loin des tenues échancrées aux couleurs affriolantes, des belles parures et des coiffures élaborées. Un envers du décor qu’Esha avait toujours plaisir à retrouver, car synonyme de repos et d’anonymat pour elle. Quel comble pour une danseuse du ventre d’être pudique, tout de même !

Alors que la Terran avait à peine entamée sa ligne qu’une voix féminine l’interpella à sa droite, avant que son épaule se heurte à la sienne.

« On pourrait presque voir de la fumée s’échapper de ses oreilles, à notre Onério ! » Dit sa comparse d’une voix rieuse. Après un battement de cils traduisant de sa surprise, elle coula son regard si particulier en direction de l’intéressé. Un sourire à la fois amusé et compatissant ourla un instant ses lèvres, le devinant en train de se faire de sacrés nœuds dans le cerveau.

« On ne peut pas lui reprocher de s’inquiéter pour la troupe. » Le défendit Esha.

« Il s’inquiète pour les brigands ? »

La Terran opina distraitement. « Apparemment. » Ce qui en soi n’était pas un fait rare. N’importe qui sillonnant les routes se risquait à ce genre de mauvaise rencontre. Heureusement Valencia comptait son lot de combattants parmi ceux qui se sont offert une nouvelle vie ici. Et quand cela était vraiment nécessaire, Onério n’hésitait pas à engager des mercenaires. Parfois rien que le nombre suffisait à dissuader les voleurs et coupe-jarret. Ce que tous s’accordait à préférer. Plutôt qu’un affrontement sanglant au milieu de femmes, d’enfants et de vieillards. Et c’est sûrement pour ça que le ‘’Chef de Meute Valencien’’ hésitait autant.

« Il pourrait quand même protéger un peu mieux ses terres et ses gens, le Duc. » Hasarda l’autre danseuse toute en s’affalant dans l’herbe. Oubliez la grâce .. et dîtes bonjour à l’otarie échouée en bord de mer.

Esha fronça légèrement le nez à cette remarque. Pourtant, c’est calmement que la Terran rétorqua. « La forêt est grande et connue des brigands. Je doute que ce soit une mince affaire de les débusquer. »

« Ni un petit budget. Tout ça pour des fermiers et des nomades. » Ajoute-t-elle dans un souffle lourd de jugement. Voyant apparemment l’immobilisme du Duc comme pur désintérêt pour sa peuplade. Ce qui était peut-être vrai après tout. Mais Esha n’était pas du genre à se mêler des affaires politiques, religieuses ou que sais-je encore d’un pays. Bien consciente que ceci nécessitait une gestion, une vision et une compréhension bien supérieur au leur. Et qu’il existe pour eux aussi une sorte d’envers du décor. C’est sur un trait d’humour qu’Esha rétorqua tout de même.

« Tu es une éternelle ronchonne. »

« Et toi une éternelle optimiste. Ça contrebalance ! » Répliqua son amie, provoquant chez son vis-à-vis un rire solaire.

« Mais bien sûr… » Tout en refermant son bouquin après en avoir marqué la page, le posant sur ses genoux. Elle coula ensuite son regard de jade en direction de la bande tonitruante, qui eut apparemment raison de Geeti .. qui se trouvait écrasée – sans risquer toutefois d’être blessée – sous le poids gamins ; offrant un regard à-demi suppliant à la nomade. Esha lâcha un soupir, l’air faussement dépité, avant de se relever pour revenir à la rescousse.

« Courage, courage, j’arrive ! »
 

Alors qu’Esha s’apprêtait à venir en aide à son compagnon à quatre pattes, l’attention des enfants fut détournée de ce dernier à l’approche d’un cavalier à l’armure rutilante ; soit au combien plus intéressant que la renarde. La nomade observa l’individu. À la fois prudente et curieuse. L’homme avait tout le set du chevalier. Pour autant Esha ne vit aucun signe d’appartenance au Duché. Alors que faisait-il ici ?

La réponse fut rapidement donnée. Et ce de la bouche même de l’inconnu qui, sitôt le pied à terre, fit preuve d’éloquence et – avouons-le - soigna sa mise en scène. Le tout sous le regard brillant des gamins. Il se décrivit comme un chevalier errant offrant ses services à qui le veut … Ce que d’autres interprèterons plus vulgairement comme un mercenaire. Mais ôtez-moi d’un doute, rares étaient les mercenaires pouvant s’offrir un tel équipement et destrier. L’homme ajouta au passage être dores et déjà séduit par la compagnie Valencienne et par conséquent prêt à leur faire ‘’un prix d’ami’’.

Au terme de cette litanie .. Esha commenta ses dires en inclinant légèrement la tête. Soit bien plus subtile que sa comparse Lhyra, qui arqua un sourcil pour traduire de sa dubitation ; semblable à la plupart des personnes présentes. Ce fut donc à notre timide danseuse de prendre l’initiative, semble-t-il. Exercice dans lequel elle n’est jamais particulièrement à l’aise. Si ce n’est lors de ses représentation. Après avoir récupérée Geeti dans ses bras, elle s’approcha du Chevalier jusqu’à une distance qu’elle estimait respectable. Une fois l’attention de l’homme captée Esha prit la parole. Sa voix était douce et ses lèvres ourlées d’un sourire aimable.

« Pour Onerio – notre chef donc, vous étiez à quelques mètres de le faire profiter de votre ‘’prestation’’. » Commence-t-elle. Peut-être un brin taquine à ce moment-là. Mais pas du tout moqueuse. Une saltimbanque ne se risquerait pas à se montrer insultante. Encore moins une personne comme Esha.

« Mais je peux vous conduire à lui si vous le désirez, Messire.. » Elle appuya subtilement sur ce dernier mot, en quête d’un prénom et d’un nom. Ponctuant son geste en inclinant légèrement la tête de côté, son regard émeraude toujours sur lui.

Ce n’est qu’une fois que cette banalité aura été remplie que la Terran – tout en le gratifiant certainement d’un autre sourire, incitera poliment son vis-à-vis à la suivre … non sans l’avoir au préalable libéré des enfants ; accrochés à lui comme des papillons de nuit contre une lanterne.