Voyage à bord de la Blanche-Nef

News & Infos

C'est ici que vous trouverez les dernières infos du moment, les utiles et moins utiles.

Temps actuel

Effectifs

• Eryllis: 3
• Ladrinis: 9
• Eclaris: 5
• Prêtresses: 5
• Cavaliers de S.: 5
• Nérozias: 6
• Gélovigiens: 3
• Ascans: 0
• Marins de N.: 4
• Civils: 15

Lien recherché

- Walter cherche de Preux chevaliers.
_ Raël veut des clients.
_ Deirdre a besoin d'employé!

Les Rumeurs

_ Il parait que des personnes hauts-placées seraient gravement malades.
_ Il parait que ça se bécotte "au bal de la Rose".
_ Il parait que des créanciers en sont après un des conseillers de Ridolbar.

Code par MV/Shoki - Never Utopia



 
AccueilAccueil  FAQFAQ  RechercherRechercher  Dernières imagesDernières images  MembresMembres  GroupesGroupes  S'enregistrerS'enregistrer  ConnexionConnexion  


Le deal à ne pas rater :
Jeux, jouets et Lego : le deuxième à -50% (large sélection)
Voir le deal

Partagez
 

 Voyage à bord de la Blanche-Nef

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
AuteurMessage
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeSam 29 Juin - 12:29

Trois jours auparavant…

A cause de l’épidémie, les affaires de la guilde avaient toutes été suspendues durant plusieurs mois, l’organisation se remettait donc tout doucement en place. Sytrinn, n’avait qu’une hâte : reprendre du service. C’était pour cela qu’elle allait tous les jours aux nouvelles, croisant les doigts à peine l’entrée du repaire franchie, espérant qu’on lui donne ne serait-ce que la plus infime des directives. Mais ses visites se soldaient toujours par un échec et elle repartait bredouille, si l’on peut dire, en direction d’une taverne ou d’un autre lieu fréquenté dans lequel elle pourrait avoir la moindre petite information qui la mettrait sur la voie d’un futur contrat à remplir. Rien à faire. Sarnahroa, Sarnahroa… Les gens n’avaient que ce mot là à la bouche. Tous les jours se ressemblaient depuis la fin de la mise en quarantaine à Tyrhénium…

- Pssst !

Tous les jours se ressemblaient, mais celui-ci serait peut-être annonciateur d’une délivrance. Sytrinn, qui faisait des allers-venus incessants entre les pièces du repaire, s’immobilisa dans le couloir, à quelque pas d’une porte entrouverte.  

- Pssst ! Gamine ? C’est toi ?  

La jeune femme fit demi-tour et passa la tête dans l’encadrement de la porte, une expression intriguée sur le visage.

- Eh ben, répond quand on t’parle, bon sang. Aller, amène-toi.

Elle obéit, quelque peu interloquée, et avança dans le désordre que présentait la pièce. Des livres prenaient la poussière sur les étagères ou jonchaient le sol, en compagnie de toute sorte de saletés, d’insectes morts et de baquets remplis de différentes mixtures. Contre un mur était disposée une longue table recouverte d’une fine pellicule de crasse où se mélangeaient feuilles séchées, racines ou baies plus ou moins écrasées parmi les ustensiles de découpe, les récipients et autres outils. Sur le bureau qui faisait plutôt office de continuité au plan de travail, s’entassaient la paperasse et les bocaux, semblables à ceux posés un peu partout dans la salle, dans lesquels flottaient des restes d’animaux. Ce fut derrière ce bureau que la demoiselle trouva la source de la voix qui l’avait sollicitée. Un petit homme, était en train de broyer des graines dans un mortier à l’aide d’un pilon qu’il tenait fermement. Son visage buriné, plissé par l’âge et la concentration, était encadré de cheveux blancs et gras, plaqués en arrière et lui arrivant au-dessous des oreilles. Des sourcils broussailleux surplombait un regard bleu et perçant et une barbe de plusieurs jours accentuait l’air bougon que lui donnait ses lèvres pincées. De nombreuses brûlures et entailles apparaissaient sur ses avant-bras et ses mains épaisses qui s’activaient à moudre énergiquement les graines à l’odeur infecte que contenait le mortier.
Cet homme avait toujours œuvré pour les Ladrinis et il était connu de tous ici, bien qu’il soit continuellement terré dans sa tanière : un repaire au sein même du Repaire. Sans doute le doyen de la guilde, son caractère bien trempé n’avait fait que s’affirmer avec l’âge, mais s’il ne ménageait personne, on pouvait toujours compter sur lui pour obtenir en un temps record une arme redoutable, concoctée par ses soins. « Gunther, le Maître empoisonneur » était, en quelque sorte, son titre officiel. Mais ici, tout le monde l’appelait le Vieux Gunther, respecté de tous ses pairs, voire même un peu craint parfois. Sytrinn ne l’avait que rarement vu depuis son intégration, mais le vieux solitaire qu’il était avait l’œil sur tout au repaire et il en savait sûrement bien plus sur elle qu’elle ne pouvait l’imaginer.
A la vue de l’air refrogné qu’il affichait, la jeune femme ne pu s’empêcher de sourire.              

- Vous souhaiteriez me parler, monsieur ?
- Bah, épargne-moi tes manières, tu veux ? Fit-il d’une voix grave et quelque peu enrouée, sans lever les yeux de son mortier. J’te vois un peu trop par ici, en c’moment. Tu t’ennuies ferme, pas vrai ? Bon, écoute, si tu sais pas quoi faire d’ta peau, j’ai un service à te d’mander.
- Quel est-il ?
- J’voudrais que t’ailles me trouver ça, dit-il en lui tendant un morceau de parchemin.
- Auriez-vous une préférence pour une herboristerie particulière ? Demanda Sytrinn en prenant connaissance de la liste.  
- Une herboristerie ? Haha ! Argh... Il se massa les tempes tout en reprenant. C’est bien parce qu’il y avait que toi dans l’coin, sinon j’aurais causé à quelqu’un de plus dégourdi… Ça t’fait sourire ? Il poussa un soupir exaspéré. Bon, y a pas d’herboristerie qui tienne, ce sont des plantes exotiques rares qui me reviendront moins chères cueillies de tes p'tites mimines. J’te balance sur un rafiot, direction El Bahari, gamine. J’connais un gars qui pourra s’arranger avec quelqu’un dans l’port de Mavro Limani. Rien n’est fixé mais, pars du principe que ton bateau prend la mer dans trois jours, alors débrouille-toi pour être au rendez-vous. Reviens vivante, c’est tout c’que j’ai à t’dire. C’est pas que j’t’aime bien, loin d'là, mais j’ai vraiment besoin de ces plantes et les voyages, c'est plus d'mon âge.
- Bien, monsieur. Merci de votre confiance, dit Sytrinn, ravie, avant de prendre congé.
- J’te fais pas conf… Et arrête de sourire, comme ça ! Lui lança-t-il tandis qu’elle passait la porte. Il se remit à moudre les graines tout en bougonnant. Insupportable… Des claques ! Des claques, voilà c’qui lui aurait fallu à cette pimbêche…


*******************


Emmitouflée dans une cape brune lui arrivant à hauteur des mollets, Sytrinn resserra ses mains gantées sur les rênes de son cheval. Ce dernier s’arrêta devant une auberge, celle indiquée par les instructions qu’avait faites parvenir le vieux Gunther à la demoiselle avant son départ. En effet, elle avait pu trouver dans la case qui lui était attribuée aux repaire, dans laquelle elle pouvait déposer quelques affaires, un parchemin écrit de la main de l’empoisonneur. Celui-ci n’avait visiblement pas souhaité avoir une autre conversation avec la ladrini, mais il avait néanmoins prit le temps de lui noter en détails la marche à suivre. Le grand-père savait sans doute que la jeune femme n’était jamais allée à Phelgra, il lui avait donc indiqué une auberge dans laquelle elle serait attendue à Thémisto, pour sa première halte, ainsi que celle devant laquelle elle se trouvait à l’instant même, à Mavro Limani.
Lorsqu’elle descendit de sa monture, l’aubergiste balayait l’entrée de son établissement.

- Bonjour, monsieur. Permettez-moi de me présenter, je…
- Ah ! On vous attendait, vous êtes la p’tite-fille de c’vieux croûton de Gunther !
- C’est cela même. Ravie, monsieur, fit-elle en inclinant la tête et en veillant bien à dissimuler son étonnement quant à ce qu’elle venait d’entendre.
- Ce coureur ! Il s’était bien gardé d’me dire qu’il avait d’la marmaille, haha ! Permettez-moi d’vous dire que s’il m’avait pas prévenu de votre arrivée, j’vous aurais pris pour une aristo égarée ! Il repartit d’un rire gras, une main sur la bedaine, sous le regard amusé de la jeune femme. Mais entrez donc, v’nez prendre un p’tit quelque chose à boire. Ah et pour votre canasson, vous en faites pas, il peut rester ici, on s’en occupera.

Autour d’un verre, profitant quelques instants de la chaleur réconfortante de l’auberge, Sytrinn s’était vu expliquer le chemin menant jusqu’au port. A présent, elle marchait sur le quai, un sac plus gros que lourd sur l’épaule. Il contenait quelques affaires, des documents et de quoi conserver les plantes qu’elle récolterait. Comme le lui avait dit l’aubergiste, il n’y avait pas beaucoup de bateaux dans le port aujourd’hui, mais cela ne l'empêcha pas de s'extasier devant ces géants de bois. Elle n’eut pas beaucoup de mal à trouver celui qu’elle cherchait, le seul sur lequel l’équipage s’activait en vue d’un départ imminent.
En cette fin d’après-midi glaciale, un rayon de soleil orangé vint fendre les nuages, obligeant la ladrini à mettre sa main en visière afin de ne pas être éblouie lorsqu’elle s’adressa à ceux qui s’affairaient sur le navire.

- Bonsoir ! Veuillez me pardonner, pouvez-vous me dire s’il s’agit bien de la Blanche-Nef, je vous prie ? Demanda-t-elle en haussant la voix pour se faire entendre.

Si c’était le cas, ils avaient dû être mis au courant de sa venue. Gunther avait précisé dans sa lettre que l’aubergiste aurait négocié au préalable son voyage à bord et l’avait introduite comme étant la jeune élève d’un scientifique, envoyée par ce dernier à El Bahari afin de se familiariser avec la flore et d’en prélever quelques échantillons.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeSam 29 Juin - 15:30

Cèdre n'en revenait pas. Le Capitaine leur avait dit qu'ils avaient reçu une requête. Les Marins de Noxis pouvaient avoir le bras long quand le besoin se faisait sentir, mais demander des faveurs obligeait à un retour, et apparemment, il s'agissait d'un cas de ce genre. Quelqu'un qui aurait dit à quelqu'un qui aurait dit à une autre personne qu'une "élève scientifique quelque chose" avait besoin d'un transport pour un trajet jusque El Bahari. La Zélos n'avait pu s'empêcher de grogner. Sérieusement, pour qui prenaient-ils la Blanche-Nef? Ils avaient beau aider, ils n'étaient pas une connerie de charrette!

Elle se calma instantanément quand elle se rendit compte qu'elle venait de tordre sa gamelle en une boulette de métal. Avec un soupir, elle s'accroupit contre la rambarde et entreprit de rendre sa forme d'origine au récipient. Ce fut plutôt réussi, à part une marque de doigt sur un rebord. Au moins, on ne le lui emprunterait plus. En réalité, ce qui avait déclenché ce mouvement d'indignation était que, après des années où elle n'avait été considéré que comme un marin, on venait de lui dire qu'elle était une femme et devrait veiller à ce que leur "invitée" se sente à l'aise au milieu de tous ces rustauds de mousses en manque de... compagnie féminine. Elle ne s'était pas DU TOUT sentie vexée par cette remarque, et avait donc acquiescé, les dents encore plus serrées que d'ordinaire, la mine renfrognée.

Étonnamment, ceux qui appréciaient d'ordinaire la taquiner pour la faire sortir de ses gonds prenaient le large, à tout le moins autant que possible sur les quelques dizaines de mètres de pont supérieur. Le Capitaine n'était pas allé jusqu'à prêté sa cabine, seulement celle du Bosco dans le château arrière malgré tout. Elle avait dû la nettoyer elle-même et y installer des draps propres et tout le toutim avant de pouvoir revenir à ses activités habituelles. Les marins étaient nerveux, Cèdre ne décolérait pas, le Capitaine ne s'apercevait de rien, tout allait bien.

Le message était arrivé par pigeon voyageur directement, les obligeant à dévier leur cap pour revenir à Mavro Limani. L'équipage aurait l'occasion de rester à terre deux jours avant que la donzelle n'arrive. Revenir à Phelgra n'était toujours pas de tout repos, et cette épreuve rajoutait encore à l'irritation du Maître-Charpentier. Avec angoisse, elle avait vu approcher les eaux boueuses pleines de déchets, presque marron à force de contamination humaine. Elle avait l'impression d'entendre les rats galoper sur et sous les pavés, d'être littéralement étouffée par les puanteurs de la ville et sa corruption, comme si elle avait besoin de l'air du large pour respirer normalement.

Avec un soupir, elle renonça à son tour à terre. Il y avait beaucoup à faire, notamment réparer et renforcer le safran, sous peine de ne pouvoir s'engager dans le mois de traversée. La saison n'était pas la meilleure possible et, avec leur chance légendaire (même si elle y était pour beaucoup) ils ne manqueraient pas d'essuyer un grain monumental. Soulen soit louée, ils avaient jusque-là presque tous survécu.

Avec un soupir, elle se rendit en cale, faisant un usage parcimonieux des dons confiés par Bor pour remettre en état la pièce de bois à travers la coque. Elle n'appréciait pas particulièrement cette sensation de se sentir devenir immatérielle, de fusionner pendant quelques secondes avec la matière avant de finalement passer au travers, émerger à l'air libre. Elle avait toujours au cœur la crainte de perdre sa concentration et de rester bloquée, fondue à jamais dans la coque du navire, ou pire, de perdre sa main. Elle était son outil de travail, et elle ne supporterait sûrement jamais de devenir impotente.

Cependant, jusque-là, par la grâce de Bor, elle n'avait jamais eu d'accident. Ce fut malgré tout en tremblant qu'elle s'adossa à la coque, assise à même la cale, une fois le travail achevé. D'un regard distrait, elle remarqua qu'une de ses pierres de sphène commençait à prendre une couleur dangereusement proche du gris de sa peau. Il lui fallut quelques heures pour reprendre son souffle et se remettre suffisamment pour remonter sur le pont alors que le reste de l'équipage arrivait pour charger les vivres. Avec un peu de chance, leur ordinaire serait amélioré par les droits de passage et par la crainte de décevoir ceux qui envoyaient cette jeune scientifique sur leur navire de pirate.

Le chargement se déroula sans encombre et ils n'attendaient presque plus qu'elle quand un rassemblement de mousses à bâbord lui mit la puce à l'oreille. Ils riaient en montrant quelque chose du doigt, sifflant admirativement et lançant des invectives graveleuses quelque chose aperçue sur le quai. En secouant la tête dans une bruit de perles, Cèdre s'apprêtait à passer son chemin quand elle entendit une voix féminine semblant terriblement bien élevée demandant s'il s'agissait de la Blanche-Nef. Un des gamins répondit que c'était écrit sur la coque avant de tomber à l'eau. La taloche puissante lui aurait décollé le crâne si la Zélos n'y avait pas prêté attention, mais cela ne l'empêcha pas de tous les regarder de son air dédaigneux, un sourcil relevé, la bouche tournée vers le bas. Ils avaient du travail et n'auraient pas dû être là, ils le savaient et se mordraient les doigts d'avoir été pris en flagrant délit.

La femme prit une inspiration empuantie qui lui arracha une petite grimace (guère différente de son expression habituelle) avant de tourner ses presque deux mètres vers le quai de pierre. Ses yeux bleu nuit virent une petite silhouette à l'air fragile portant un lourd et volumineux sac, vêtue comme un homme mais armée. C'était une bonne chose, il n'était jamais prudent de sortir sans protection à Phelgra. Les cheveux blonds semblaient longs et bien entretenus, comme le reste de sa personne. Sans même un regard pour ses propres cheveux tressés et noir, sa peau grise couturée de cicatrice, les tatouages qu'elle savait orner son front, ou même ses pieds nus, ses courtes chausses et sa brassière, elle se pencha pour répondre, en désignant le garnement qui remontait péniblement en s'ébrouant comme un chien (et ne sentant sûrement pas meilleur), poussant sa voix presque trop grave pour être féminine, grondant comme le ressac:


"Oui M'dame, c'bien la Blanche-Nef. Jory va prend' vot' sac et vous montrer la pass'relle. N'attendait pu qu'vous. Si vous avez des r'quêtes ou des questions, d'mandez-moi..."

Sur ces mots, la Zélos accompagna leur trajet de son pas si chaloupé adapté à la mer, guettant que le jeune pirate s'excusait bien poliment, puis se posta à la sortie de la passerelle, suffisamment éloignée pour ne pas causer sa chute accidentelle comme cela semblait si souvent se dérouler dans son entourage. Avec un peu de chance, se dit-elle, la jeune aristocrate ne faisait pas que s'amuser à jouer à la scientifique et pourrait avoir une discussion cohérente sans s'exclamer à chaque pas que la mer sentait le poisson ou que l'eau mouillait... Ou que les marins étaient vulgaires.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeSam 29 Juin - 19:32

Si le but de sa question avait été de signifier sa présence, elle se dit qu’elle aurait pu prononcer quelque chose de moins idiot lorsque, parmi le brouhaha que faisaient les matelots, la remarque pertinente de l’un d’eux parvint à ses oreilles. Tout en contemplant le nom inscrit sur ladite coque, elle se félicita intérieurement avec force ironie. Bon, au moins, elle pouvait se faire une petite idée de la manière dont elle serait perçue par ses compagnons de voyages, désormais. On lui collait régulièrement l’étiquette de la « pimbêche » comme elle l’avait si bien entendu de la bouche de son envoyeur, alors qu’elle venait de quitter son atelier. Cela ne la dérangeait pas outre mesure et elle adorait en jouer par moments.

Sytrinn sortit de ses pensées quand elle vit le morveux passer par-dessus bord. Elle identifia bien vite l’auteur de cette claque magistrale comme étant une femme, malgré sa carrure. Il s’agissait, sans l’ombre d’un doute, d’une Zélos, à en juger par la couleur de sa peau que la demoiselle réussit à distinguer en dépit du contre-jour. Au milieu de tous ces hommes, elle devait faire preuve d’une patience à toute épreuve et surtout posséder un sacré tempérament. Mais, cela, la ladrini avait pu le constater à la vue de son geste empreint de tendresse à l’égard de celui qui regagnait le quai à la nage. La voix puissante de la Zélos retentit dans le port à l’intention de Sytrinn qui acquiesça tout en se disant que les caprices du vieux Gunther l’avait amenée à représenter un poids pour cet équipage. Mais elle ferait son possible pour que les semaines à venir se passent mieux que son arrivée.      

Le jeune Jory, dans un piteux état, s'approcha de la demoiselle et s'excusa. Elle put sentir dans sa voix qu’il n'était pas réellement désolé et qu’il trouvait la situation complètement injuste. Car elle l’était, en effet.

- Ce serait plutôt à moi de vous présenter des excuses, jeune homme. Ma remarque était d’une sottise sans égal. Elle plaça une main devant elle. Inutile de porter mon sac, il n’est pas lourd. Vous devriez vous dépêcher de me conduire à bord afin que vous puissiez vous réchauffer au plus vite. Vous allez attraper la mort dans cet état ! Je vous suis, termina-t-elle avec un sourire.

A quelques pas derrière le marin, elle commençait à appréhender cette aventure. C’était la première fois de sa vie qu’elle montait sur un bateau et il y avait de fortes chances qu’elle commette toutes sortes de maladresses. Peut-être même serait-elle malade ? Elle était tellement heureuse de se rendre enfin utile, qu’elle n’avait même pas songé qu’elle pourrait bien devenir le pire des boulets pour la Blanche-Nef et la plus pitoyable des déceptions pour la guilde ! D’un léger mouvement de tête, elle chassa ces tourments de son esprit. Ce n’était vraiment pas le moment de se laisser gagner par le manque de confiance en soi. Si elle devait faire des idioties, elle se moquerait d’elle avant que d’autres ne le fassent et si elle devait être malade… Eh bien, elle serrerait les dents. Brillante solution, cela va sans dire…

L’ironie dont elle fit intérieurement preuve lui permit de se décontracter. De toute manière, impossible de reculer à présent. Son regard se porta sur l’eau à l’aspect plus que douteux, puis sur Jory qui la précédait. Trempé jusqu’aux os, le garçon s’efforçait de contrôler ses tremblements. Le froid qui les étreignait avait au moins le mérite de rendre l’odorat de la terrane moins sensible, bien qu’elle pouvait quand même percevoir l’odeur nauséabonde des environs. Elle n’avait jamais mis les pieds à Phelgra, mais pouvait enfin constater par elle-même que ce que l’on en disait de cet endroit était vrai. La crasse, l’insécurité… Cela n’avait pas été dans la plus grande sérénité qu’elle avait voyagé à travers le continent noir, malgré le fait qu’elle considérait que la sûreté absolue n’existait pas, où que l’on se trouve.

Sytrinn s’engagea sur la passerelle. Celle-ci manquait de stabilité à cause des mouvements du bateau, mais la ladrini l’emprunta sans difficulté, ayant déjà crapahuté sur des échafaudages bien plus instables que cette planche. Tant qu’elle supporterait son poids, tout irait bien. Quelques secondes plus tard, l’intruse se trouvait enfin à bord. Maintenant face à la zélos, elle put mieux se rendre compte de son allure. Les parcelles de sa peau à découvert faisait montre d’une existence qui avait due être douloureuse. D’importantes cicatrices marquaient non seulement son corps, mais aussi son visage. Un visage peu amène dans lequel s’incrustaient deux saphirs qui la toisaient. La terrane afficha un léger sourire et, tout en levant la tête pour plonger son regard dans celui de la femme, lui tendit une main franche, bien que ridiculement petite comparée à celle qui pourrait aisément la broyer.

- Madame, permettez-moi de me présenter : Sytrinn Sandström. Je vous suis très reconnaissante de tolérer ma présence sur votre bateau. C’est la première fois que je navigue, mais si je puis vous être d’une quelconque utilité, faites-le moi savoir.

En réalité, elle refusait de passer des semaines à croupir dans un coin de la Blanche-Nef et ne comptait pas non plus que quelqu'un vienne solliciter son aide. Sa curiosité l'implorait déjà de détourner son attention de son interlocutrice pour observer les moindres détails de l'embarcation et d'en comprendre le fonctionnement. Bien qu'elle puisse être maladroite au début, elle espérait qu'on aurait suffisamment de patience pour lui montrer les gestes que tout bon marin doit savoir exécuter. Deux possibilités se profilaient, soit on attendrait d'elle qu'elle se tienne tranquille, auquel cas il y aurait de fortes chances qu'elle se suicide ou qu'elle désobéisse, soit on lui ferait connaître la joie des corvées les moins glorifiantes. Et cette deuxième possibilité lui convenait parfaitement.


Dernière édition par Sytrinn Sandström le Sam 29 Juin - 19:36, édité 2 fois
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeSam 29 Juin - 20:17

D'un œil expert, Cèdre regarda la terrienne parcourir la passerelle. Elle était agile, cela se voyait, et peut-être même qu'elle s'en sortirait. Il n'y avait plus qu'à lui souhaiter qu'elle n'aurait pas le mal de mer. Et elle espérait vraiment qu'elle ne l'aurait pas, car elle sentait gros comme une maison qu'elle en serait responsable. Elle n'était pas une foutue garde-chiourme, mais après tout, Phelgra restait Phelgra.

Quand elle vit débarquer Jory, sans le sac de la Dame mais trempé jusqu'aux os, elle se contenta de le regarder. Il savait qu'il n'avait plus qu'à aller se débarbouiller, se changer, et aller laver le pont. Il aurait toutes les pires taches à accomplir pendant quelques jours pour sa sottise. Elle détourna ensuite le regard vers leur invitée alors que celle-ci levait également les yeux vers elle. Elle n'était pas bien grande, et plutôt fluette, et si elle n'était pas qu'un rat de bibliothèque, elle pourrait peut-être bien aller s'amuser avec les gabiers. Enfin si elle n'avait i le mal de mer ni le vertige. Après tout, ça bougeait beaucoup dans la mâture.

Du coin de l’œil, elle vit que Filos, curieux comme une pie, détalait dans leur direction, un biscuit à la main. Il avait dû chiper quelque chose dans la coquerie et se disait qu'on n'oserait pas le réprimander devant l'intruse. Après un grand bond, le capucin s'accrocha d'une patte à l'oreille de la Zélos, enroulant sa queue autour de son cou, et commença à grignoter son bien volé en envoyant des miettes qui dévalèrent le corps sculptural de la femme. Cela se déroula en un instant, à peine le temps pour la passagère de lui tendre sa petite main blanche et se présenter... en 'appelant Madame.

Elle entendit vaguement l'équipage éclater de rire derrière elle, et il s'en fallu de peu pour qu'elle dédaigne ce salut, mais on les avait enjoints à la politesse aussi serra-t-elle très légèrement dans la sienne la petite main et répondit-elle d'un ton relativement amical, mais de sa voix basse, désormais presque inaudible:


"On peut abandonner les ronds d'jambe, Sytrinn. Pas d'chichis sur c'navire. L'est pas à moi d'ailleurs, c'est l'Capitaine qu'y faut r'mercier..."

Elle avait remarqué que sa main était bien calleuse pour celle d'une scientifique, mais elle n'en fit pas la remarque. Si la jeune femme voulait dissimuler ses passe-temps, tant mieux pour elle. D'un autre côté... Cela pouvait ouvrir des perspectives. Avec un léger sourire qui dévoila quelques dents limées, elle se retourna et lui fit un léger signe de main l'enjoignant à la suivre. Elle n'avait aucun problème à marcher sur le pont en mouvement, ses pieds nus accrochant bien sur le bois. Elle ne fit pas l'effort de détourner la tête de son but, esquivant les voiles en train d'être ferlées, les cordes et les pirates en effervescence, mais n'en poursuivit pas moins son discours:

"Si t'as pas peur de t'blesser, tu s'ras mieux sans bottes. Accroche mieux sur l'pont. L'bosco a débarrassé sa cabine pour toi. Chais pas quel genre d'scientifique t'es, mais la dernière fois, y voulait tout voir et tout comprend'. On va attendre d'voir si t'es malade avant d't'envoyer voir la vigie, mais s'tu veux, j't'emmènerai avec moi. Tout c'qui est en bois ici est mon royaume..."

Elle avait dit cette phrase avec un air de propriétaire. Elle naviguait sur la Blanche-Nef depuis longtemps, au moins à l'échelle des Terrans. Elle était même vieille selon leurs critères. Elle aperçut le timonier et lui fit signe qu'ils étaient bons pour partir, le passager mystère était là. Elle poursuivit sa route alors que la délicate manœuvre de sortie de port démarrait, faisant tanguer le navire comme s'il était en pleine tempête. Soucieuse malgré tout, elle fit demi-tour pour retenir la jeune femme par l'épaule, attendant de voir si son teint déjà pâle virait au vert ou non. Ce serait en quelque sorte l'épreuve déterminante pour savoir si elle serait condamnée à au moins trois semaines de torture, ou si elle pourrait évoluer à peu près normalement parmi eux...
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeDim 30 Juin - 12:09

A peine avait-elle tendu la main vers la zélos qu’un petit singe vint se joindre aux présentations, en prenant ses aises sur l’épaule de cette dernière. Sytrinn avait dû encore commettre une bévue, car dès qu’elle avait ouvert la bouche, les ricanements reprirent. Mais lorsque sa main disparut dans celle de son interlocutrice, celle-ci se contenta de la mettre au parfum, sans même se présenter en retour. Les lèvres de la ladrini s’étirèrent en un sourire un peu gêné.

Durant la saison de l’épidémie, elle était restée cloîtrée chez elle, en immersion totale pendant plus de trois mois dans son milieu natal. Elle dut se rendre à l’évidence qu’elle avait repris de « mauvaises habitudes » au vu de la politesse exacerbée dont elle faisait preuve. Car si elle avait été amenée à côtoyer plus que jamais ses domestiques et à apprendre les tâches ménagères qui leur incombent, cela faisait des décennies qu’ils travaillaient pour la famille Sandström et leur humilité n’avait d’égal que leur politesse la plus soutenue. Maintenant à bord de la Blanche-Nef, Sytrinn se résolut à s’efforcer de chasser ce naturel qui ne paraissait être que préciosité factice aux yeux des autres. Cela commencerait par ne plus appeler cette femme « Madame ». Le mot avait résonné dans son esprit à la façon dont l’avaient prononcé les matelots en la mimant.

Si le navire ne lui appartenait pas, la zélos avait toutefois la prestance pour en être le capitaine. Elle lui fit un signe de la main et la terrane marcha à sa suite. Contrairement à ce qu’elle avait pu penser suite à « l’épreuve de la passerelle », le bateau était encore moins stable que cette dernière et tanguait d’autant plus qu’il était en pleine manœuvre. Voilà encore qu’elle maudissait d’être restée prisonnière de sa propre demeure, ses aptitudes à maîtriser équilibre et agilité qu’elle travaillait sans cesse en temps normal, s’étaient quelque peu ensommeillées. Et ses muscles, n’en parlons pas. A part ceux de ses bras qui avaient été mis à contribution dans le récurage et autres corvées, le reste… Oh, elle n’avait pas tout perdu, loin de là ; les premiers temps à bord la feraient un peu souffrir, mais elle reprendrait vite du poil de la bête.

Sytrinn écouta les remarques de son guide en veillant à préserver la cadence que lui imposait les mouvements du bateau. Elle qui avait toujours escaladé avec ses bottes, elle prit note du conseil en se disant que ce n’était pas plus mal qu’elle se fasse un peu de corne aux pieds. Peut-être même qu’à l’avenir elle s’infiltrerait chez ses cibles pieds nus, qui sait ? D’autres ladrinis devaient sûrement déjà privilégier cette manière de se déplacer, beaucoup plus discrète. En revanche, il s’agissait de la saison hivernale et si la zélos avait certainement un métabolisme plus robuste que le sien, au vu du peu de tissu qui la recouvrait, ce serait risquer l’amputation si elle se baladait les orteils à l’air. Peut-être ferait-il moins froid dans quelques jours, à mesure qu'ils s'approcheraient de leur but ?    

Tandis qu’elle se familiarisait avec le mouvement, le navire pencha soudainement, la prenant par surprise. Avant qu’elle ne perde l’équilibre, une main ferme la retint par l’épaule.

- Ouf ! Merci, c’est pas passé loin ! Dit-elle en se stabilisant de nouveau en affichant un sourire reconnaissant. Ah oui, je voulais vous dire, ce n’était pas la peine de déloger le maître d’équipage de sa cabine, un coin de planche ou je pouvais m’enrouler dans ma cape suffisait, dit-elle spontanément. Si la cabine a été rangée et nettoyer pour moi, je suis désolée de paraître aussi ingrate. Mais le bosco peut profiter de sa cabine propre, comme ça. Mes excuses à celui qui s’est chargé de l’entretien de la cabine, termina-t-elle par un sourire navré.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeMar 2 Juil - 10:46

Cèdre observa quelques instants la jeune femme et le contraste intéressant qu'offraient leur peau ainsi rapprochée. Puis elle reporta son attention sur son teint, les sourcils froncés. D'un geste qui n'était ni doux ni brusque, simplement un peu rapide, elle lâcha son épaule, empoigna son menton, lui levant la tête et la tourna de droite à gauche pour vérifier qu'elle ne changeait pas de couleur. C'était souvent le premier symptôme du mal de mer, et elle n'avait pas vraiment envie de se faire vomir dessus.

Elle hocha donc la tête, satisfaite, avant de vraiment écouter ce qu'elle avait dit. Et pour le coup, elle ne put que continuer à froncer les sourcils et croiser les bras, l'air ombrageux. Le bosco n'avait pas fait ça de gaieté de cœur, mais il comprenait les nécessités du large. D'ailleurs, si elle-même avait eu une cabine, ils n'auraient pas eu besoin de ça. Non pas qu'elle en demandât une, mais simplement, ça aurait facilité la tâche pour "ce genre" de mission. Aussi, quand elle reprit la parole, son ton était rien moins que réprobateur, sa voix toujours aussi grave et presque inaudible:


"C'pas pour ton confort qu'le bosco a libéré sa cabine, ma fille, c'est pour çui d'l'équipage. Y passent des mois sans voir c'qu'est une femme, et on veut pas d'ennuis avec ceux qui t'ont envoyée là. Donc t'as la cabine, fin d'la discussion."

Il était évident, quand la Zélos parlait, qu'elle avait simplement l'habitude d'être obéie sans discussion, et qu'elle était absolument persuadée que, cette fois encore, cela suffirait. Elle n'était pas vraiment diplomate, et elle ne comprenait pas vraiment pourquoi c'était elle qui devait s'occuper de leur invitée. Le Capitaine, avec ses mots fleuris et ses manières de Cour, s'en sortirait certainement mieux.

D'ailleurs, en parlant du loup, elle l'entendit arriver, ses bottes claquant sur le pont de bois avec tant de force qu'elle ne put s'empêcher de faire la grimace. *Qui l'entretien l'pont, d'après lui?* Cependant, le Capitaine était un homme charmant, et un très beau spécimen de l'espèce Terrane. Ses cheveux noirs et lisses attachés en catogan dégageaient son visage un peu carré, à la ligne de mâchoire dessinée. Sa peau burinée par le soleil... Non, ça pas vraiment. Sa peau un peu pâlotte pour un marin offrait un joli contraste avec ses yeux gris clair, et il s'habillait toujours avec beaucoup de soin. D'ailleurs, d'après Cèdre, s'il tombait à l'eau, il avait toutes les chances de couler.

Il s'approcha donc, un sourire aux lèvres, s'inclina devant leur passagère, lui fit un baisemain et tout le toutim, avant de s'adresser au Maître-Charpentier, sans pour autant quitter la jeune femme des yeux:


"Comment se fait-il que Madame ait toujours son sac sur le dos, Cèdre? Tu es chargée d'elle jusqu'à nouvel ordre et cela signifie veiller à son confort de toutes les façons possibles!"

La susnommée ne put que baisser la tête, fixant ses orteils gris s'agitant sur le pont comme de gros vers, les mains croisées derrière le dos. Elle n'aimait pas discuter avec le Capitaine alors qu'elle l'avait vu haut comme trois pommes et ne réussissant même pas à enrouler une corde correctement. Elle avait l'impression que si elle commençait, elle ne finirait jamais de l'agonir de reproches. Aussi se taisait-elle et acquiesçait-elle, vaincue avant d'avoir combattu.

D'ailleurs, le Capitaine ne lui laissa ni le temps de répondre, ni à son invitée de protester avant d'enchaîner:


"Et qu'allez-vous donc explorer sur El Bahari? Vous vous intéressez principalement à la faune, à la flore, ou aux... peuplades locales?"

La Zélos laissa la discussion se poursuivre, avec juste un regard pour Sytrinn. Il ne fallait pas contredire le Capitaine, ce serait encore pire par la suite, et elle espérait que la jeune femme avait compris son geste. Aussi, pendant que les deux jeunes Terrans échangeaient, elle continua à regarder l'activité du pont, Filos toujours accroché d'une main à son oreille, de l'autre à ses cheveux, jouant avec les perles de verre qu'il faisait tinter l'une contre l'autre ou absorber la lumière pour projeter des arcs-en-ciel multicolores sur ses épaules dénudées.

Les manœuvres se passaient pour le mieux, semblait-il, puisque tout le monde était à son poste et s'activait. Le timonier jeta un coup d’œil depuis la barre, l'aperçut faire le pied de grue devant les deux jeunes, et lui offrit un sourire compatissant auquel elle répondit par un simple plissement des yeux. Ils étaient beaucoup à avoir rejeté la tâche sur elle, et ils avaient maintenant beau jeu de penser qu'elle n'avait pas de chance... Un léger soupir inaudible lui échappa. *'toute façon, la chance, ç'a jamais été mon truc.*


Note:
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeMar 2 Juil - 16:07

La jeune femme ne comprit pas pourquoi on la fixait avec tant d’insistance et adopta machinalement la même expression que la zélos, à la différence près que sous ses sourcils froncés pouvait se lire l’interrogation. Elle eut un petit mouvement de recul lorsque la femme entreprit de l’examiner en soulevant son menton. Alors que sa tête pivotait d’un côté puis de l’autre, Sytrinn se dit que le regard sévère qui se posait sur elle entendait vérifier si son cerveau était réellement vide ou si elle faisait exprès d’accumuler les remarques niaises. Se sentant quelque peu lamentable, elle se contenta d’acquiescer à la réplique du maître- charpentier en se demandant pourquoi l’évidence ne s’était pas imposée d’elle-même dans son esprit, mais aussi, en accusant le coup face à cette réalité qui venait la frapper de plein fouet : elle était une femme.

Elle était une femme, - bien vu, l’amie ! - sauf qu’elle avait du mal à l’accepter. Ce déni s’était opéré il y a quelques années, tandis qu’elle sortait de l’enfance. Son corps avait déjà accompli sa part du marché dans ce devenir féminin et tout doucement, son esprit envisageait de faire de même. Mais voilà, chez elle, cette démarche mentale n’avait pas pu aboutir, ni même commencer. A à peine quinze ans, ce corps changé qu’elle tendait à accepter, avait été bafoué, contraint, comme un objet sans âme, à assouvir ce qui semblait être le besoin primaire de cet inconnu. Cependant, ce pantin avait bel et bien une âme, une âme trop enfantine encore. Comment accepter de devenir pleinement ce qu’on était avec un tel accueil dans cette vie de femme ? Eh bien, on ne l’acceptait pas vraiment, justement, et on grandissait dans un déni douloureux, piètre mur dissimulant de fragiles fondations. Sytrinn était consciente de tout cela et avait fait de cette mauvaise expérience le tournant de son histoire. Néanmoins, faire de cela une force restait bien difficile dans les faits, bien qu’elle n’avait pas d’autre choix que d’accepter ce qui ne pouvait être changé. Ainsi, elle paraissait conserver la douceur de l’enfance qu’elle n’avait pas vraiment quittée, alliée à un tempérament à dominante masculine.

Soudain, elle releva la tête car des bruits de pas arrivaient dans leur direction. La ladrini, en un bref regard, devina qu’il s’agissait du capitaine. Elle remarqua d’ailleurs qu’il était le premier ici qu’elle voyait les pieds couverts, enfin, qu’elle voyait être entièrement couvert, tout simplement. Aucune oreille pointue, aucune caractéristique animale apparente, il devait lui aussi être terran. De toute évidence, il était très attaché à la notion d’élégance et bien que cela ne lui fasse pas un grand effet, elle sut reconnaître qu’il était plutôt bel homme. Sytrinn tendit la main afin de serrer la sienne…

- Sytrinn Sandström, ravie de vous rencon… trer.

… Mais celui-ci s’en saisit et la tourna afin d’y déposer un baiser. Elle se sentit bête. *Ah, féminité, quand tu nous tiens…* Ironisa-t-elle en silence.  

- Comment se fait-il que Madame ait toujours son sac sur le dos, Cèdre? Tu es chargée d'elle jusqu'à nouvel ordre et cela signifie veiller à son confort de toutes les façons possibles !

Madame ?! D’habitude, elle se faisait appeler « mademoiselle », « gamine » ou « pimbêche », mais pas « Madame » ! Ils s’étaient tous donnés le mot pour lui faire manger de son statut de femme, ou quoi ? Au moins, elle comprenait désormais ce qu’avait pu ressentir la zélos, un peu plus tôt. La jeune femme s’était insurgée de la sorte, intérieurement, mais bien vite elle pensa à celle qui se faisait reprendre par son supérieur. Elle afficha un air interloqué et ouvrit la bouche dire quelques chose en sa défense, mais le capitaine ne lui en laissa pas l’occasion.

- Et qu'allez-vous donc explorer sur El Bahari? Vous vous intéressez principalement à la faune, à la flore, ou aux... peuplades locales ?

Sytrinn croisa brièvement le regard de la zélos avant de répondre à l’homme avec un sourire.

- La flore, monsieur. L’île regorge de plantes rares que mon maître m’a envoyée étudier. Il m’a encouragée à faire le voyage pour me donner un aperçu de la vie de chercheur-scientifique à laquelle j’aspire. Aussi, vous suis-je infiniment reconnaissante de l’aide précieuse que vous m’apportez, aujourd’hui, termina-t-elle en inclinant noblement la tête.

Tout en s’exprimant, elle avait pu sentir la tension qui émanait de la femme restée à côté d’elle. Surtout que sa manière de parler n’avait pas dû apaiser son agacement. Sans doute devait-elle prendre énormément sur elle depuis quelques temps, de par son rôle de « préposée au confort de l’invitée ». Elle se demandait combien le capitaine avait été payé pour qu’elle soit « invitée », tiens.  

Spoiler:
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeMer 3 Juil - 11:52

La magie du rond de jambe. Car c'était une magie en soi, et d'une certaine façon, Cèdre la craignait plus encore que celle que ses catalyseurs lui permettaient de mettre en œuvre. Le diplomatie n'avait jamais été son fort, très honnêtement, même si à une époque elle avait dû apprendre à bien parler et à se présenter de la meilleure façon possible. Mais cette époque était révolue, et la gamine des rues de Thémisto toujours cachée en elle se plaisait à parler aussi mal, parce qu'on le lui permettait, et surtout parce que les autres marins n'en avaient cure.

Elle laissa donc les mots de velours du Capitaine tirer les vers du nez de leur invitée, même si la Zélos continuait à avoir des doutes sur son identité. Mais après tout, dans certains endroits, ce n'était pas une mauvaise idée de savoir se défendre. En définitive, cette jeune femme était pleine de contradictions. Terriblement précieuse et en même temps inconsciente de son statut de femme, scientifique, donc intelligente, mais avec des mains pleines de cals dus au maniement d'une arme quelconque... Avec circonspection, elle ramena ses mains dans son giron pour les regarder. Outre le fait qu'il s'agisse de battoirs énormes, il y avait sous ses doigts presque autant de corne que sous ses pieds, à cause du bois, de son labrys, et des cicatrices qui les parcouraient.

Pensive, elle continua à écouter distraitement les échanges. Ainsi donc, elle allait à El Bahari pour la flore? C'était étrange. Il y avait sûrement de nombreuses choses à faire là-bas, alors pourquoi donner la flore comme excuse? A moins que ce n'en soit pas une. Difficile à savoir, en réalité. Avec résignation, la pirate serra la mâchoire alors que le Capitaine s'apprêtait à poursuivre son discours, mais elle aperçut du coin de l’œil un mousse qui s'approchait timidement. D'un geste du menton, elle lui demanda la raison de sa présence et celui-ci, tout aussi silencieusement, lui indiqua le timonier qui leur faisait de grands gestes pour faire rappliquer le gardien des cartes maritimes.

Cèdre prit donc une grande inspiration, posa une main sur sa hanche, la seconde grattouilla le menton de Filos, et elle se racla la gorge plutôt bruyamment. Surpris, le Capitaine se retourna brusquement vers elle, et elle n'eut plus qu'à lui désigner le timonier d'un vague geste de la main. Le jeune Terran lui lança un regard sévère qu'elle n'essaya même pas de soutenir, avant de se tourner à nouveau vers sa passagère:


"Vous m'excuserez, Dame Sandström, il semblerait que rien ne puisse être décidé ici sans mon accord. Je dois vous laisser pour la bonne marche de notre voyage. Mais je ne doute pas que nous nous reverrons... Et n'hésitez pas à demander tout ce que vous voulez à Cèdre, elle est là pour vous servir pendant ce voyage."

Avec un sourire éblouissant, il se dirigea vers le banc qui lui était réservé à côté de la barre, alors que le roulis du navire s'apaisait et qu'il prenait son allure de croisière. Avant de disparaître de leur vue, il ne put cependant s'empêcher de lancer un nouvel avertissement à son Maître-Charpentier:

"Installe donc vite cette Dame dans sa cabine, Cèdre. Déjà que tu n'as pas pris son sac, tu ne vas pas la laisser griller sur le pont quand même!"

La Zélos étira les lèvres en un sourire qui donnait plus l'impression d'un chien montrant les dents avant de mordre, dévoilant les ravages d'une bonne lime sur une dentition un peu proéminente, avant de secouer la tête, faisant cliqueter les dizaines de perle ornant sa chevelure et délogeant le capucin qui fila en direction du mât le plus proche pour aller embêter quelqu'un d'autre. Elle lâcha ensuite, presque trop bas pour être entendue:

"Evidemment qu'tu la croiseras encore c't'un navire..."

Avec un soupir, elle se tourna vers la passagère en se demandant ce que celle-ci devait penser de cette mascarade. Elle décida donc de changer de sujet, puisque les rouages internes de leur organisation n'avait pas d'intérêt pour les extérieurs:

"T'as pas l'air d'avoir l'mal de mer, c't'une bonne chose. On va aller poser tes affaires et on visitera s'tu veux. Y a pas grand-chose à voir m'enfin ça t'évitera d'te perdre au début."

La pirate n'essaya même pas de lui prendre son sac, semblant se moquer éperdument des ordres de son Capitaine. En réalité c'était un test. Si Sytrinn lui demandait de porter ses affaires, elle ne lui montrerait pas tous les trésors de la Blanche-Nef. Sinon... Eh bien, ça restait à voir, en réalité. Cependant, elle prit les devants, ses pieds nus presque silencieux sur le bois qu'elle connaissait sur le bout des doigts, arrivant très rapidement à une des cabines du château arrière. D'un geste nonchalant, elle l'ouvrit, dévoilant un espace plutôt exigu, équipé d'une couchette, d'un coffre et de quelques étagères fixées au mur. Un petit hublot ouvrait sur le large. D'un ample geste du bras, elle fit signe à la Terrane d'entre avant de lui expliquer:

"La porte s'verrouille. Pour la nuit, pis pour les grains. Ca évite qu'l'eau rent' à l'intérieur. C'est l'même système qu'les écoutilles des ponts inférieurs..."

Son expression s'adoucit alors qu'elle effleurait la porte. Elle l'avait faite elle-même, sous les ordres de l'ancien Capitaine, qui en avait assez de voir ses cartes détrempées à chaque vague un peu haute. Appuyée dans l'encadrement plus petit qu'elle, elle attendit la réaction de la terrienne. Rares étaient ceux qui ne se plaignaient pas que ce soit aussi... petit. C'était aussi une des raisons pour lesquelles la Zélos n'avait pas de cabine. Attentive, elle observa son invitée.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeMer 3 Juil - 20:50

Alors qu’elle terminait sa phrase, son regard fut attiré par un mouvement. Un matelot voulait visiblement prévenir son supérieur de quelque chose. Visiblement gêné, il osa néanmoins jeter un coup d’œil à la nouvelle arrivante, mais sembla immédiatement le regretter tandis qu’elle le regardait à son tour. Il s’attendait sûrement à ce qu’elle le toise avec dédain, au lieu de ça, elle le gratifia d’un sourire pour l’encourager à s’exprimer. Mais ce dernier se référa plutôt à la zélos qui fit passer son message au capitaine d’une manière qui étira davantage les lèvres de l’aristocrate. Pas d’chichis sur c’navire, hein …

- Vous m'excuserez, Dame Sandström, il semblerait que rien ne puisse être décidé ici sans mon accord. Je dois vous laisser pour la bonne marche de notre voyage. Mais je ne doute pas que nous nous reverrons... Et n'hésitez pas à demander tout ce que vous voulez à Cèdre, elle est là pour vous servir pendant ce voyage.      
   
Le voilà qui revenait à la charge avec sa « Dame ». Par ailleurs, ne serait-il pas quelque peu prétentieux à se sentir le besoin de souligner de la sorte son importance sur le navire ? Coupant court à ses réflexions désobligeantes, elle se dit qu’elle ne savait rien sur son compte elle qu’elle ferait mieux de se rasséréner. Ce n’était pas évident d’arriver dans le quotidien d’un groupe qui avait ses habitudes, de briser une dynamique. Qu’avait-t-elle à leur rendre en retour ? Le capitaine avait dû certainement recevoir une belle somme pour accepter de faire un tel détour. Mais elle pensait que celui-ci n’était pas gêné d’accepter de l’argent pour qu’une cruche se greffe à l’effectif sans le rendre plus efficace, voire même, pour le ralentir. Il aurait des exigences identiques à l’égard de son maître-charpentier, seulement elle serait encombrée d’un poids dont lui n’aurait pas à se soucier. Aussi le sourire de la demoiselle disparut lorsqu’il prononça le mot « servir » et glissa encore quelques reproches à l’intention de la zélos. Elle se garda bien de lâcher la remarque qu’elle ruminait depuis quelques minutes sur sa galanterie quelque peu paradoxale. Quand on se prétendait aristo’, on ne laissait pas une femme faire le sale boulot, fusse-t-elle une zélos de deux mètres de haut. La demoiselle se rendit soudain compte qu’elle s’auto critiquait au passage, depuis tout à l’heure, et se dit qu’elle ferait mieux d’arrêter de se laisser aller à des réflexions stupides.

Dès qu’il se fut éloigné, Sytrinn laissa échapper un léger soupir de soulagement, teinté d’agacement, faisant écho à celui de la pirate. Cependant, dès que celle-ci se retourna vers elle, elle adopta précipitamment une mine innocente, quoiqu’un peu coupable. Acquiesçant à sa proposition elle esquissa un pas en arrière pour l’inviter à passer devant.
Tout en la suivant, elle jeta un regard au port qui s’éloignait. C’était assez étrange de penser qu’elle quittait la terre ferme, assez angoissant aussi. Cette première fois en mer la rendait heureuse de par la nouveauté de l’événement, mais elle n’était pas vraiment rassurée. L’impression agréable de voler était teintée d’une appréhension face à l’inconnu, car elle réalisait qu’elle était complètement livrée à la nature, désormais, et que sous cette eau sombre et traîtresse pouvaient se cacher toutes sortes de créatures et… Elle secoua la tête. N’importe quoi. Si elle commençait à avoir des pensées aussi puériles, alors… Pourtant, elle ne s’imaginait pas qu’elle venait de mettre le doigt sur une peur réelle, dont elle n’avait pas eu l’occasion de soupçonner l’existence. Du moins, jusqu’à maintenant.

La zélos s’arrêta et ouvrit la porte de ce qui serait la cabine de la ladrini durant le voyage. Cette dernière entra sans dire un mot : son attention était déjà accaparée par la petite pièce. En silence, elle effleura les étagères, le coffre, le dessus du lit et l’encadrement de bois dans lequel il était niché. Puis elle réalisa que la lumière du jour éclairait l’endroit et se tourna vers sa source. Le hublot offrait une vue imprenable sur la mer rougie par les quelques rayons du soleil couchant qui filtraient au travers des nuages. Elle n’aurait pu imaginer mieux pour son séjour. La jeune femme avait un peu lu au sujet de la marine et avait pu voir quelques représentations de l’intérieur d’un bateau, elle savait que les cabines étaient un luxe. La dimension de la pièce la rassurait, il n’y avait pas besoin de place supplémentaire, elle était tout simplement à sa taille. Le mobilier se limitait au strict nécessaire et cela était très bien comme ça. Inutile de s’encombrer de fioritures, d’arabesques ou de peintures, elle appréciait ce côté brut et boisé qui la ramenait à ses racines terriennes qu’elle venait juste de quitter. Elle posa doucement son sac sur le sol, juste en dessous du hublot et se retourna vers la zélos.

- Merci, dit-elle sincèrement, tout en posant de nouveau sa main sur le bois entourant la couchette.

Elle regrettait honteusement de n’avoir que ça à lui dire, mais elle avait bien compris que ce n’était pas de gaieté de cœur qu’on l’avait faite monter à bord et obligée à dormir ici. Ce privilège auquel elle avait droit n’était autre qu’un placement dans une cage dorée afin de l’isoler de l’équipage et d’ainsi garantir aux marins le « confort » de l’absence de tentation. Etait-il justifié de traiter ces matelots comme s’ils étaient dominés par des pulsions animales ? Sytrinn savait mieux que quiconque ce dont l’homme pouvait être capable, mais enfin, il s’agissait vraiment d’un manque de considération vis-à-vis d’un être semblable à soi-même que de lui sauter dessus à la première occasion. Tous les hommes n’étaient pas si dénués de conscience morale. Les marins étaient peut-être un peu lourdauds, certes. Cependant, ils n’avaient pas le vice qu’on leur reprochait d’avoir, elle en était presque sûre. Et puis, ce n’était pas parce qu’elle s’enfermerait le soir à double tour dans cette cabine, qu’en journée ils n’auraient pas tout le loisir de la coincer dans un endroit à l’abri des regards. Mais cela n’arriverait jamais de toute façon, même s’ils en avaient l’intention.

- Vous me faites visiter ? Proposa-t-elle avec un sourire amical afin de briser le silence.


Dernière édition par Sytrinn Sandström le Dim 7 Juil - 0:49, édité 1 fois
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeVen 5 Juil - 13:51

La Zélos laissa son regard se perdre à l'horizon. Elle avait entendu Sytrinn soupirer également lorsque le Capitaine était parti rejoindre le timonier. En une sens, elle comprenait qu'il soit difficile à cerner. C'était quelqu'un de bien, mais il avait eu la malchance, en quelque sorte, d'hériter de la Blanche-Nef et de son équipage, qui sillonnait les mers depuis qu'il était né et voir même plus encore, mais surtout, composé de marins qui l'avaient vu alors qu'il n'était qu'un vulgaire mousse et un gabier de misaine. C'était toujours compliqué de respecter et d'obéir à quelqu'un qu'on avait eu sous ses ordres, qu'on avait appelé "Gamin" ou "Petit" pendant des années.

Il avait simplement du mal à être vraiment à l'aise face à eux, et avait donc tendance à être un peu trop dur, comme pour compenser le passé. Cèdre secoua la tête. Elle aimait bien le Capitaine, même si elle avait du mal à le considérer comme tel, mais... Il hésitait toujours entre deux mondes. Il aimait le faste des terriens, mais c'était un Marin de Noxis convaincu. Un paradoxe sur pattes.

Elle reporta ensuite son attention sur la jeune invitée. Celle-ci semblait satisfaite de la cabine, finalement, encore un bon point pour elle. Cependant, elle n'avait pas eu l'air à l'aise avec les mesures prises pour sa "sécurité", et son instabilité faisait penser qu'elle n'avait jamais mis les pieds sur un navire digne de ce nom, voire même sur un navire tout court. Aussi, lorsque la jeune femme proposa de son propre chef d'aller visiter, le Maître-Charpentier la prit par l'épaule pour l'amener près du plat-bord, du côté du large. Avec un soupir, elle plia sa grande carcasse jusqu'à appuyer ses avant-bras sur la rambarde, et fixa ses yeux sombres comme la nuit sur les étendues huileuses avant de commencer à parler, la voix presque trop basse pour être audible:


"J'ai l'impression qu'ça t'plaît pas qu'on t'ait parquée dans une cabine, même après qu'j'ai expliqué pourquoi. J'vais t'dire un truc. En vrai, tu risques rien. Les pi...marins d'la Blanche-Nef sont tous des gars biens, sinon y s'raient déjà d'la pâté pour requins. Mais dans l'infini des possibles, y'a çui où il arriv'rait quet'chose. Et crois-le ou non, on n'aimerait pas qu'ça arrive, et toi non plus, j'peux t'l'assurer. Après..."

Cèdre laissa échapper un nouveau soupir. Elle avait besoin que Sytrinn la prenne au sérieux sur ce qu'elle s'apprêtait à lui expliquer, et son accent de gosse des rues n'aidait pas les gens à se concentrer sur le fond. Elle devait déjà être assez surprise de l'avoir entendue parler "d'infini des possibles" alors que... Oui, elle savait qu'elle avait l'air d'une brute épaisse avec le cerveau de la taille d'un petit pois, et elle en jouait même parfois, mais arrivait des moments comme celui-ci où, même si elle n'avait pas envie de faire d'effort, elle avait besoin qu'on se rende compte du cerveau qui tournait à plein régime derrière cette façade froide et arrogante. Elle prit donc quelques secondes pour se remémorer les façons de bien parler et reprit avec un demi-sourire ironique qui dévoila une canine limée:

"Je vais faire la traduction pour que tu saisisses bien ce que je vais te dire, Sytrinn. Je n'ai pas toujours vécu sur un navire, et fut une époque où je ne savais même pas à quoi ça ressemblait. Quant à la mer... C'était encore une autre histoire. Si je te dis ça, c'est parce que quand on n'a l'habitude que des horizons fermés des terriens, des murs qui barrent la vue, ou même des arbres qui arrêtent le regard, la mer peut faire peur. Et en réalité, elle DOIT faire peur. La mer est la plus douce des garces, et la plus cruelle des mères. Quand tu es perdue au beau milieu de l'océan, que tu n'as que les étoiles pour te guider et la confiance que tu portes à ton Capitaine et ton timonier, à ce moment-là, tu comprends tout son charme, et tu ressens la plus intense des frayeurs. Et si jamais on essuie un grain, alors là... Enfin, tu verras bien, parce qu'à mon avis, au vu de la saison et de la route qu'on doit prendre, on y aura droit."

Pendant quelques secondes, ses sourcils retrouvèrent leur place normale, lui donnant un air beaucoup plus doux, celui qu'elle avait dû avoir dans ses jeunes années, avant le meurtre, avant le mercenariat, avant la prostitution, avant l'esclavage, avant la solitude. Puis elle toucha du doigt les trois plumes de mer qui ornaient son front, et son expression redevint celle qu'elle arborait habituellement. Elle s'étira ensuite comme un chat, un grand chat gris terriblement musclé, et invita de la tête la jeune femme à la suivre:

"Ca m'a fatiguée d'parler comme les gens intelligents. Allez, viens, on va faire l'tour du propriétaire. Commençons par la proue, on finira par la barre, on esquiv'ra p'têt' l'Capitaine."

Elle l'entraîna donc dans son sillage, lui montrant la sculpture délicate de la figure de proue, le pont supérieur, le travail du bosco et des gabiers dans les voiles, saluant de la main la vigie dans le nid-de-pie, descendant par l'écoutille pour visiter la coquerie, les quartiers des matelots, les ponts inférieurs, puis la cale où étaient stockées les marchandises et les vivres pour leur mois de traversée. Elle remonta ensuite pour lui indiquer de la main la cabine du Capitaine, avant de lui présenter le timonier, un homme d'allure austère mais qui était un véritable boute-en-train à l'humour décapant. Avec un hochement de tête, elle laissa la jeune femme observer tout son saoul pendant qu'elle-même surveillait le travail du safran. Elle avait dû le réparer souvent, et elle avait peur qu'il finisse par s'épuiser, malgré ses interventions. Le bois était un matériau vivant dont il fallait prendre soin, après tout...


Note:
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeDim 7 Juil - 0:48

Spoiler:

Distance, retenue, contrôle de soi, faisaient partie du champ lexical de l’aristocratie dans laquelle avait grandi Sytrinn. Aussi les familiarités verbales, et surtout physiques, avaient-elles été exceptionnelles entre les membres de sa famille, bien que ceux-ci se soient porté un amour indéniable et inconditionnel. La jeune femme avait alors dû apprendre à gérer son rapport au contact physique. Celui-ci ayant été soudainement précipité dans la violence lors de son agression, ce fut donc immédiatement dans la violence qu’elle s’était exercée, faisant d’ailleurs preuve d’un certain talent pour le combat à mains nues. En revanche, le contact non violent restait plus difficile pour elle à appréhender. En rejoignant les ladrinis, elle avait été amenée à côtoyer le peuple et cette immersion lui avait permis de s’habituer à un rapport physique différent, plus prégnant. Elle acceptait désormais mieux certains gestes envers elle, ne les prenant plus pour un manque de respect ou une menace, comme, par exemple, la main que posait la zélos sur son épaule. Il fut un temps où elle se serait mise sur ses gardes, tandis qu’aujourd’hui elle s’étonnait d’être digne d’affection, aussi minime soit-elle. Car, malgré tout, elle restait très sensible au moindre élan à son égard, bon ou mauvais. Et il pouvait facilement passer de l’un à l’autre dans l’esprit de l’aristocrate.

Se laissant guider, si fluette à côté de la pirate qu’une pression trop forte de la main de cette dernière sur son épaule lui aurait fait rejoindre El Bahari par les airs, elle vint poser ses mains sur la rambarde. Elle prit une grande inspiration, profitant de l’air marin épuré des odeurs atroces de Mavro Limani, sans la terminer, toutefois, car la femme à côté d’elle s’était mise à parler. Tout en l’écoutant, ses prunelles dorées scrutaient l’horizon en cherchant un défaut à sa ligne qui semblait ne pas en avoir. La zélos confirmait ce qu’elle avait pensé un peu plus tôt. Elle se doutait bien que si ces matelot avaient été des mauvais bougres, ils n’auraient pas fait long feu ici. Mais, étant bien placée pour le savoir, elle était aussi la première à penser que tout le monde était capable des pires actes si quelque chose venait pousser leur auteur à les commettre. Il y avait toujours un déclencheur dans ce genre de situation et la victime avait toujours sa part de responsabilité même si elle n’en avait pas conscience. Elle provoquerait un incident si elle s’amusait à faire du gringue aux marins, tout comme elle pouvait en provoquer un involontairement parce qu’elle était une jeune femme à l’allure frêle sur laquelle n’importe quel homme penserait avoir le dessus. Evidemment, elle ne souhaitait pas qu’il arrive quoi que ce soit, car il y aurait confrontation et cela pourrait possiblement se terminer par sa mort ou celle d’autrui. Et elle n’avait pas particulièrement envie que son identité soit révélée.

Par ailleurs, la demoiselle avait remarqué le lapsus qu’avait failli faire son interlocutrice quant à la leur et un léger sourire en coin avait étiré ses lèvres. Réminiscences de contes pour enfants ou simple préjugé, elle s’était tout suite faite à l’idée que les marins étaient tous plus moins des pirates. Quand ils naviguaient avec de la marchandise, les attaques à leur encontre étaient tentantes et même le plus honnête des marins, n’avait pas d’autre choix que de se défendre et d’attaquer en retour. Ce marin là, par instinct de survie, deviendrait immanquablement un pirate. Livré ainsi à la nature, impuissant face à elle, il tâcherait au moins de gagner le combat face à son semblable. La mer était, plus que n’importe où ailleurs, le lieu ou s’appliquait la loi du plus fort.

Peut-être que le raisonnement de la ladrini était faux, mais, dénuée de toute expérience dans le domaine en arrivant à bord, elle espérait, avec le temps, pouvoir s’en faire un qu’elle inscrirait comme vérité dans son esprit. Après, que ceux qui l’entouraient soient des pirates la rendait curieuse de savoir comment fonctionnait ce groupe semblable au sien. Il était possible que sa guilde entretiennent déjà des relations avec ce genre de mercenaires, fort possible même. Cependant, elle ne savait rien de cette équipage et demeurerait scientifique jusqu’à nouvel ordre.
Alors qu’elle s’apprêtait à poursuivre son discours, la zélos s’interrompit et soupira. Sytrinn la regarda sans prononcer un mot, détaillant son visage gris en quête d’un indice à propos de ce qui la contrariait. Il sembla à la jeune femme qu’elle avait quelque chose d’important à lui dire et qu’elle cherchait le meilleur moyen d’être entendue et comprise. Lorsqu’elle reprit la parole, la demoiselle lui rendit son sourire, quelque peu teinté d’amusement en songeant à l’image que son interlocutrice devait avoir d’elle. Elle n’avait pas besoin d’une traduction. Ce qu’elle avait immédiatement apprécié chez Cèdre était son authenticité. La ladrini supposa alors que c’était plutôt elle qui avait besoin de s’exprimer de la sorte pour se rassurer, pour se sentir crédible aux yeux de quelqu’un qu’elle ne connaissait pas. Du moins, pas assez pour savoir qu’elle la prendrait au sérieux, quelle que soit sa manière de parler.  

Tout en écoutant, Sytrinn fut surprise et touchée qu’elle lui fasse part d’une partie de son expérience. Elle put comprendre que l’ambiguïté de ses ressentis à l’égard de cette mer qui l’accueillait, était normale et partagée par la pirate. Ce discours lui permit d’appréhender cette peur avec, étrangement, plus de sérénité. Même si, selon les dires de son interlocutrice, elle aurait bientôt de bonnes raisons d’éprouver cette crainte. En se tournant vers cette dernière, elle put voir que son visage s’était détendu et n’arborait plus l’air sévère qu’il avait d’habitude. Mais le répit qu’elle avait donné au muscle de son front, malheureusement pour lui, ne dura pas. Ses sourcils se froncèrent de nouveau avant qu’elle n’invite la nouvelle arrivante à débuter la visite.

- Ca m'a fatiguée d'parler comme les gens intelligents. Allez, viens, on va faire l'tour du propriétaire. Commençons par la proue, on finira par la barre, on esquiv'ra p'têt' l'Capitaine.

Cette remarque eut le don d’amuser la ladrini qui lâcha un petit rire en remuant la tête de gauche à droite.  

- Parler comme les gens intelligents ne veut pas dire qu’on l’est… Dans ma vie j'ai rencontré beaucoup de gens qui avaient l'art de dire de la plus belle des manières les sottises les plus grandes. Et c'était pire quand leur discours était dénué de fond, car ils n'étaient même plus drôles ! Fit-elle en roulant des yeux. T’as pas b’soin d’me parler comme l’font les aristos’ pour m’prouver qu’t’en as là d’dans, Cèdre, fit Sytrinn avec un sourire tout en se tapotant la tempe du bout de l'index.

A l’entendre, on aurait pu jurer qu’elle avait passé toute sa vie dans la rue. Son apparence lui faisait perdre toute crédibilité, mais lors de missions où elle s’était vêtue du déguisement adéquat, on n’y avait vu que du feu. Ce langage n’était pas le plus naturel à adopter pour elle, mais avec le temps, la difficulté s’était amenuisée. En revanche, elle se demandait à quelle occasion la pirate avait appris à s’exprimer « comme le font les gens intelligents ». Mais pour l’heure, la jeune femme avait hâte qu’elle lui fasse visiter le navire.

Tout d’abord, la demoiselle se pencha par-dessus la rambarde pour admirer la figure de proue tout écoutant les commentaires que la zélos faisait à son sujet. Cette dernière lui présenta ensuite les différents postes tenus par les matelots. Sytrinn put serrer la main du bosco et discuter brièvement avec lui, puis faire signe aux gabiers et à la vigie pour les saluer, avant de succomber à la tentation. Agrippant le cordage, elle attendit l’approbation de Cèdre et prit de la hauteur. Grimpant rapidement et sans difficulté, elle qui avait l’habitude de devoir chercher des prises dans les murs qu’elle escaladait, elle croisa un gabier avec lequel elle échangea quelques mots sur son travail, puis termina son ascension par la vigie. L’homme l’invita à le rejoindre dans le nid-de-pie, elle le salua, parla un peu avec lui tout en admirant la vue et fit signe au maître-charpentier avant de descendre aussi vite qu’elle était montée, pour continuer la visite. Les deux femmes s’engouffrèrent ensuite dans les entrailles de la Blanche-Nef pour rencontrer le cuisinier qui remuait le contenu fumant d’une grosse marmite, puis quelques marins qui se reposaient dans les quartiers qui leur étaient réservés. Après être passées par la cale, être finalement remontées et avoir situé la cabine du Capitaine, elles terminèrent la visite par la barre où la ladrini fit la connaissance du timonier qui lui expliqua son travail et lui raconta quelques anecdotes sur le ton de l’humour. Entre deux éclats de rire, Sytrinn jetait de brefs coups d’œil à la zélos qui lui tournait le dos, observant quelque chose par-dessus bord. La jeune femme prit congé du marin pour venir la rejoindre et s’accouder à la rambarde. En une heure, le ciel s’était considérablement assombri alors qu’une faible lumière persistait malgré la disparition du soleil.

- Tu dois rire de me voir m’extasier devant tout ça, pas vrai ? Enfin, rire… Dit-elle en jugeant que son visage n’avait pas changé d’expression. Elle fixa de nouveau l’écume que laissait le bateau derrière lui. J’aimerais beaucoup te voir travailler, tu me montreras ? J’imagine que ce navire, c’est pas mal ton œuvre, Cèdre, continua-t-elle en tapotant de la paume le bois sur lequel elle appuyait ses bras. Cèdre… Ce prénom doit avoir une histoire, n’est-ce pas ? Dit pensivement la jeune femme en levant la tête vers le ciel.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeDim 7 Juil - 10:55

Cèdre n'avait pas souri devant l'imitation du parler des gamins de rue de Sytrinn. Parler "comme les gens intelligents", comme elle disait, n'était pas un jeu pour elle. Plutôt un moyen de prouver une théorie. Les préjugés raciaux avaient toujours été forts à l'encontre des Zélos. La plupart, dont les Terrans, et même eux en majorité, considéraient que puisqu'ils étaient forts, qu'ils parlaient peu, ils ne devaient certainement pas réfléchir beaucoup. Ce parler de courtisane avait été une véritable épreuve pour elle, et elle n'appréciait rien plus que de s'exprimer comme elle l'entendait, liberté que les Marins de Noxis lui offraient. Mais si elle l'avait pu... Ah, elle en aurait fait des choses si elle avait été autre chose que Cèdre...

Le Maître-Charpentier s'amusa cependant malgré tout de la visite, notant que la jeune femme grimpait avec aisance dans la mâture. Bonne chose, à savoir, qui pourrait être utile. Mais, une fois encore, elle se demanda comment une scientifique pouvait bien posséder une telle aisance en escalade... Sûrement une question qui resterait sans réponse, mais ce ne serait ni la première ni la dernière. Lorsque, installée à la poupe, elle entendit la première remarque de la terrienne, la pirate ne put s'empêcher de lui jeter un regard en coin. Est-ce qu'elle ne venait pas de lui qu'elle n'avait pas d'humour, ou qu'à défaut, son visage n'exprimait rien? Elle laissa échapper un petit "Ah" ironique. Elle ne montrait rien depuis tellement longtemps qu'elle trouvait amusant qu'on lui en fasse la remarque. Et en un sens, leur invitée avait de la chance d'être sur son navire en pleine mer et pas dans une taverne. Elle en avait déjà étalé plus d'un pour bien moins que ça...

Du bout du doigt, elle effleura les tatouages ornant son front, avant de se retourner vers la jeune femme et de lui répondre, la voix presque couverte par les craquements du bois, les claquements des voiles et le bruit de la houle et du vent:


"Les gens n'aiment pas travailler avec moi. Ca porte la poisse. Mais s'tu veux tu pourras r'garder d'loin. Pas sure qu'ça t'intéresse d'un aut' côté, mais qui sait c'qui fait avancer les scientifiques?"

Elle laissa couler sa remarque. Elle n'était pas fausse en soi, elle se demandait toujours quel vent poussait leur voile. Quant à son nom... Elle regarda la jeune femme avant de montrer du doigt son pendentif, puis d'indiquer son propre torse, qui n'était orné que d'une marque au fer rouge et de multiples cicatrices:

"Sytrinn, hein? L'origine d'ton nom est sûr'ment plus intéressante qu'la mienne, si j'en crois la pierre qui pend à ton cou. Cèdre c'est... Chais pas, prédestiné, p't'êt', si on s'fie à ma carrière actuelle. Ou simplement circonstanciel. J'aurais pu m'app'ler "balais", "seau", "planche", ou un aut' truc du même genre si j'en crois c'qu'on m'a dit. Ah, au fait... Aucun intérêt, mais Berrenal. Mon nom d'famille..."

La politesse était tellement inutile parfois. Après tout, ça l'avancerait à quoi, la jeune Sandström, de connaître son nom de famille? A lui écrire? Mais oui, bien sûr... Une nouvelle fois, elle se morigéna. S'attacher n'apportait rien de bon, surtout aux autres. Elle était un danger, par les outils de Bor! Un vrai danger... Avec nostalgie, elle reporta son attention sur la ligne parfaite du sillage laissé par la Blanche-Nef. C'était le meilleur indicateur de santé du navire. La coque était en parfait état, le safran aussi. Elle l'espérait, parce qu'elle le sentait mal, ce voyage...


***


Presque deux semaines s'étaient écoulées depuis leur départ. La Zélos avait eu raison, leur régime alimentaire était bien meilleur que d'habitude, ce qui n'était pas un mal. Elle n'avait pas encore eu l'occasion de montrer à Sytrinn son travail, puisqu'il n'y avait rien eu à faire. En revanche, le bosco ne s'était pas fait prier pour lui montrer comment enrouler des cordes ou ferler une voile. Le moindre coup de vent quand la jeune femme était dans la mâture, et le cœur de Cèdre ratait un battement. Elle était responsable d'elle, et elle savait ce que ça voulait dire. S'il lui arrivait quelque chose, elle était bonne pour aller s'expliquer elle-même au Conseil des Marins, et le plus probablement sans espoir de retour. "On ne perd pas les passagers" aurait pu être inscrit en tant que règle primordiale dans le code des Marins, si plus de pirates avaient su lire.

Enfin bref, tout allait donc à peu près bien à part les sueurs froides fréquentes de la Zélos, si ce n'était que depuis la veille au soir, de méchants nuages noirs s'accumulaient à l'horizon. Le grain serait fort et, à en croire les éclairs qui illuminaient la masse d'encre, vraiment violent. Chacun s'y préparait donc de son mieux et le Maître-Charpentier courait partout depuis le début de son quart pour vérifier qu'aucune pièce n'était endommagée, même de façon minimale. Entre deux aller-retour, elle avait mis la jeune Terrane au vent des règles de sécurité:


"Tu t'attaches à un truc solide avec un vrai nœud. D'mande au Bosco comment on fait. Et tu t'accroches TOUJOURS à quet'chose. Tu n'lâches ta prise que quand t'en as déjà une aut'en main. Compris?"

Et, sans qu'ils le prévoient, le ciel s'était déchaîné. Ils avaient l'impression d'évoluer en plein cœur de la nuit la plus noire. Soulen avait déchaîné sa colère. La mer était démontée et la Blanche-Nef s'enfonçait dans des creux de plusieurs mètres. Les rouleaux d'une eau salée et surtout glacée déferlaient sur le pont en continu, laissant à peine le temps aux pirates de respirer sous la pluie battant qui leur frappait la tête et les épaules. La foudre s'abattait presque sans discontinuer, menaçant sans cesse de mettre le feu aux mâts. Le navire tanguait, penchant parfois presque à la verticale.

Cèdre ne comptait plus le nombre de personnes rattrapées in extremis alors qu'elles passaient par-dessus bord. Pendant ce qui semblait des heures, elle avait aidé le timonier à tenir la barre, pour tenter de maintenir le cap malgré la tempête, mais un craquement un peu fort l'avait incitée à lui conseiller de laisser couler. Il serait toujours temps de retrouver la route plus tard, à condition que la Blanche-Nef reste entière. Le navire était donc livré aux éléments alors que, trempée jusqu'aux os, le Maître-Charpentier se battait contre la nature pour garder son galion en un seul morceau.

Jusque-là, elle n'avait pas eu le temps de se préoccuper de leur passagère, espérant sincèrement que celle-ci, soit avait suivi son conseil, soit s'était enfermée dans sa cabine étanche pour ne pas rester dans leurs pattes. Cependant, accrochées des deux mains aux cordes de la mâture, en plein vent, deux morceaux de planche entre les dents, montant pour essayer de stabiliser le nid-de-pie qui menaçait de s'écrouler sur le pont, Cèdre essayait de ne pas y penser. Beaucoup dépendait de son action. Assise, les chevilles verrouillées, ses outils à la main, elle luttait pour garder son équilibre, pour ne pas tomber plusieurs mètres plus bas dans l'eau démontée. Les éclairs, bien trop proches, l'aveuglaient, comme la pluie, et elle savait ne devoir la réussite possible de son action qu'à l'habitude et aux sensations que ses doigts engourdis par le froid parvenaient à capter.

Elle ne s'interrompit qu'un bref instant lorsque l'écho d'un appel retentit sur le pont, lui déchirant le cœur. Il disait "Homme à la mer", mais tous savaient que, par un temps pareil, on ne pouvait rien faire. Soit il survivrait jusqu'à ce que la mer se calme, soit Soulen aurait eu son sacrifice pour la journée et tous prieraient pour qu'elle en soit apaisée...


Note:
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeMer 17 Juil - 21:44

Spoiler:

Sytrinn regarda vaguement le geste que fit la zélos en direction de son pendentif puis d'une marque située sur son propre torse. La ladrini l'avait remarquée dès qu'elle s'était approchée de Cèdre et, à part deviner qu'elle avait dû être esclave à une époque, elle n'eut aucune pensée particulière à ce sujet. Non pas que, de par son statut de noble, elle soit parfaitement indifférente aux inégalités présentes dans ce monde, mais elle se disait que chacun avait son histoire et qu'il fallait l'accepter.

- Je trouve que ça reste une belle coïncidence qu'on t'ait donné ce prénom quand on voit ton métier, aujourd'hui. Je ne connais pas vraiment la raison pour laquelle on m'a appelée comme ça. La couleur de cheveux, peut-être ? Ou des yeux... Enfin, tout ce que je sais, c'est que ce n'est pas une citrine, dit-elle en agitant la pierre devant son propre nez. Mais, bien vu, bien vu... Bon, je vais aller déballer mes affaires.

La jeune femme s'éloigna de quelques pas, avant de se retourner.

- Merci pour la visite, Cèdre. Ou devrais-je dire, Dame Berrenal, fit-elle en parodiant l'aristocrate qu'elle était, s'inclinant tout en faisant un rond de jambe. J'plaisante... Ajouta-t-elle en haussant les épaules, alors qu'elle lui tournait de nouveau le dos pour rejoindre sa cabine.

Une fois qu'elle se trouva seule dans l'espace qui lui était réservé, Sytrinn fit craquer bruyamment ses doigts et entreprit de retirer ses bottes. Finalement, elle suivrait tout de suite le conseil de la zélos, bien décidée à se mettre dans le bain le plus vite possible. Et elle avait bien raison, au vu de ce qui l'attendait...


***


Deux semaines, déjà... Deux semaines durant lesquelles la ladrini s'était efforcée de devenir un petit matelot relativement compétant. Dès le lendemain de son arrivée, elle était allée trouver le bosco qui l'envoya sans tarder dans la mâture. Si la jeune femme y était allée ravie, un sourire en coin avait barré le visage de l'homme qui pressentait que son enthousiasme serait de courte durée. Effectivement, le tout n'était pas d'escalader. Encore fallait-il se stabiliser pour pouvoir manœuvrer correctement.

Le premier essai fut une catastrophe. On aurait dit que le vent s'acharnait à vouloir la décrocher du cordage et elle se fit quelques frayeurs, les bonnes frayeurs qui lui rappelaient le temps où elle débutait son entraînement pour entrer chez les Ladrinis. Le bosco s'était alors empressé de lui ordonner de descendre avant qu'un accident ne se produise. Et ce fut sous les moqueries des matelots et le regard noir de Cèdre qu'elle regagna le pont et fut envoyée aux corvées de nettoyage avec les mousses. Là, elle fut accueillie par Jory. Le garçon, âgé de quinze ans tout au plus, lui lança un balai, une serpillière et une remarque sur ses cheveux ébouriffés qui lui tombaient dans les yeux et dont elle recrachait quelques mèches coincées entre ses lèvres. Le repas du soir s'était déroulé dans les ricanements et les plaisanteries à son intention. Plaisanteries lourdaudes auxquelles elle répondait par un sourire amusé, quoiqu'un peu las. Si la zélos voulut les faire taire pour ne pas avoir de représailles si jamais la petite allait tout rapporter au Capitaine, cette dernière lui demanda de laisser couler. Les gabiers racontaient ses exploits à ceux qui n'avaient pas pu y assister et quand les regards se tournaient vers l'intéressée, elle en rajoutait une couche, histoire de dédramatiser face à sa maladresse. Manque de chance pour les marins, ce n'était pas avec Sytrinn qu'ils auraient eu la satisfaction de voir une donzelle piquer une crise de nerfs, fondre en larmes et se réfugier dans sa cabine. Bien sûr, quand elle se retrouva seule dans celle-ci, elle accusa un peu le coup de s'être sentie si médiocre. Cela dit, partir de rien dans un domaine sous-entendait qu'elle ne pouvait que s'améliorer et c'était bien ce qu'elle comptait faire.

Le lendemain, le bosco fut surpris qu'elle fasse son apparition de bon matin, s'attendant plutôt à voir débarquer le Capitaine, furieux, chez qui elle serait allée se plaindre ou, dans le meilleur des cas, à ce qu'elle soit en train de ruminer sa honte dans un coin isolé de la Blanche-Nef. Au lieu de ça, la ladrini se campa devant lui, attendant ses ordres. Ses cheveux étaient noués en une tresse partant du sommet de son crâne et tombant dans son dos, attachée à son extrémité par un petit ruban brun et ses chausses étaient retroussées pour arriver juste au-dessus du mollet. Le maître d'équipage fit signe à la demoiselle en direction de la mâture dans laquelle elle grimpa et se stabilisa avec beaucoup plus de facilité. Bien, il était temps de retenter l'expérience : ferler une voile. Si Sytrinn avait échoué la veille, c'était parce qu'elle avait considéré le vent comme son ennemi. Or, il était inutile de lutter, il fallait s'adapter et jouer avec lui. Tout comme le jour précédent, un gabier resta non loin d'elle en cas de problème. Jusque là, il n'avait servi qu'à ricaner au moindre faux pas et il était bien parti pour recommencer, pouffant de rire avant même qu'elle n'ai fait quoi que ce soit. La jeune femme n'y prêta pas attention et sollicita sa bonne mémoire pour se rappeler de la marche à suivre.

- T'es prête ? Cria le bosco sur le pont. Bon, alors, commence par...
- Ne me dites rien, s'il vous plaît ! Je vais essayer de le faire sans votre aide !
- T'es sûre de toi ? Demanda-t-il, étonné. Très bien, très bien... ! Fais-en qu'à ta tête, mais viens pas t'plaindre, après... Fit-il pour lui-même en balayant l'air d'un geste de la main.  

Prenant une grande inspiration, tandis que le gabier retenait un gloussement, Sytrinn se mit à l’œuvre, se remémorant petit à petit les étapes de l'opération. La voile était lourde et la corde horizontale qui supportait le poids de la terrane bougeait dangereusement sous ses pieds, lui en tailladant lentement la peau. Penchée en avant, la vergue dans le ventre menaçant de lui faire régurgiter son petit-déjeuner, et le dos voûté mis à rude épreuve alors que ses bras s'affairaient avec la toile, la demoiselle fronçait les sourcils, concentrée sur sa tâche. Une veine battait sur son front alors que des perles de sueur s'y formaient, son visage contracté rougissait sous l'effort et sa respiration se faisait plus rapide et plus bruyante, mais elle se démenait plutôt bien. Si bien que le gabier la fixait sans rien dire, semblant plongé autant qu'elle dans sa manœuvre et partageant presque sa fatigue. Elle était allée lentement et avait dû recommencer certaines étapes à plusieurs reprises, parfois elle avait baissé sa garde et un coup de vent l'avait faite se balancer et s'agripper à la vergue, mais la voilà qui finalisait son travail tant bien que mal, exténuée. Une fois l'opération terminée, elle reprit son souffle tout en se redressant et une rafale en profita pour la déséquilibrer. Le gabier la rattrapa de justesse et l'aida à s'asseoir dans le cordage. Elle fut surprise que l'homme ait un tel geste à son égard, mais il n'avait plus le cœur à lui faire des réflexions, sidéré par le comportement de cette tête de mule qu'il avait devant lui. Avant qu'elle ne redescende, il lui donna même quelques conseils quant à la manière de se tenir et d'agir pour ménager ses muscles et ses articulations, pour avoir une meilleure stabilité et se fatiguer moins vite.

Lorsqu'elle regagna le pont, le bosco ne fit aucun commentaire. Il lui accorda une pause avant d'attaquer les corvées et lui recommanda d'aller se soigner. Elle ne comprit pas tout de suite, mais quand elle se mit à marcher, elle sentit que quelque chose collait sous ses pas et constata que du sang suintait de deux plaies présentes sous chacune de ses voûtes plantaires. La corde l'avait bien arrangée, apparemment. Ainsi, ce fut les pieds désinfectés, bandés et chaussés que la jeune femme rejoignit Jory qui, cette fois, lui tendit le balai et la serpillière, et sans réflexions désobligeantes, s'il vous plaît.

Et puis, les jours se succédèrent. Sytrinn prit un bon coup de main dans le ferlage des voiles, ses pieds cicatrisèrent et s'accoutumèrent aux frottements exercés par les cordes, ses muscles s'habituaient à ce quotidien et la jeune femme ne grimaçait plus de douleur lorsqu'elle se retournait dans sa couchette. Le bosco lui apprit à accomplir d'autres tâches ou manœuvres,  mais elle était tous les jours de corvées auprès de Jory. Ce dernier s'était adouci avec le temps bien qu'il ait gardé l'habitude de régulièrement lancer des remarques piquantes à l'intention de sa camarade qui, dénuée de susceptibilité, lui renvoyait des compliments toujours plus élogieux et ironiques pour le faire enrager. Si leurs échanges ressemblaient le plus souvent à des joutes verbales adolescentes, une complicité s'était peu à peu tissée entre les deux jeunes gens. Parfois, à la fin de la journée, ils rendaient visite au timonier, histoire de rire un peu, ou bien ils s'accoudaient à une rambarde et contemplaient la mer, somnolant à moitié, mais le bosco n'était jamais très loin pour leur dire de bouger leurs jeunes carcasses ou de déguerpir.

Plus le temps passait, plus Sytrinn posait sur ces marins un regard bienveillant. Il lui semblait que cet équipage était comme une grande famille, avec ses plaisanteries un peu vaches, ses accolades amicales, ses disputes et débuts de bagarre où un frère était toujours là pour s'interposer... Elle pensait alors souvent à sa guilde, à sa famille. Elle était bien différente. Ses membres venaient de toute part et se considéraient comme frères et sœurs, pourtant les contrats ne les réunissaient pas forcément. La plupart des ladrinis agissaient solitairement, d'autres étaient amenés à se croiser furtivement au repaire, et les missions en association se faisaient le plus souvent par deux ou par trois dans le meilleur des cas. Leur chef organisait des banquets pour fêter les réussites de chacun et Sytrinn profitait de ces instants de réunion le plus possible pour apprendre à connaître ces frères et sœurs qu'elle voyait si peu. Tout le monde s'entendait bien, comment aurait-il pu en être autrement ? Ils ne vivaient pas en permanence les uns avec les autres comme les marins de la Blanche-Nef et n'avaient donc aucune occasion de se quereller, en plus de partir du principe qu'on était solidaire de celui qui faisait parti de la même famille que soi. Et si traître il y avait, la demoiselle apprenait parfois son identité alors même qu'il venait de disparaître. Chez les Ladrinis, on était lié en dépit de l'anonymat. Pouvait-on réellement appeler ça une famille ? En tout cas, le chef voulait vraiment qu'il en soit ainsi. Mais certains ladrinis voyaient les choses différemment et considéraient la guilde comme une communauté où l'on possédait quelques amis...

En quinze jour, Sytrinn espérait donc que sa présence pesait moins qu'au départ du navire et qu'elle s'était peu à peu fondue dans le quotidien de cette famille qui l'accueillait. Elle n'échappait toujours pas aux plaisanteries des pirates, mais celles-ci étaient devenues moins cinglantes et les tapes dans le dos qui les accompagnaient lui prouvaient qu'elles étaient plus amicales qu'autre chose. Bien sûr, jamais la demoiselle ne fut ni importunée ni agressée par un marin, comme elle l'avait pensé et comme le lui avait confirmé Cèdre. D'ailleurs, cette dernière l'avait constamment à l’œil, prenant sa responsabilité très au sérieux. L'aristocrate ne souhaitait pas qu'elle ait d'ennuis par sa faute et veillait à l'inquiéter le moins possible, se doutant bien que ce n'était pas par affection qu'elle la surveillait ainsi. Le rythme de vie imposé par la navigation n'avait pas offert aux deux femmes l'opportunité de discuter, d'autant que l'une comme l'autre, à leur manière, n'étaient pas très bavardes sur leur personne. Pourtant, si Sytrinn était aussi peu douce et expansive que la pirate, elle appréciait sincèrement être en sa compagnie.

Mais après le calme, vint la tempête...

- Tu t'attaches à un truc solide avec un vrai nœud. D'mande au Bosco comment on fait. Et tu t'accroches TOUJOURS à quet'chose. Tu n'lâches ta prise que quand t'en as déjà une aut'en main. Compris?

Cèdre était intransigeante, Sytrinn le savait, et dans ces moments là elle ne pouvait qu’acquiescer et obéir. Le bosco ne se trouvait pas loin et avait entendu les ordres de la zélos à l'intention de l'aristocrate. Il poussa un soupir résigné. Immédiatement, il empoigna le bras de la ladrini, la planta dans un coin où elle ne risquait pas de trébucher et saisit une corde.

- Regarde bien ! Tu vois ? Comme ça et puis comme ça. Là, tu passes ça ici, tu tires bien fort pour serrer et c'est bon.
- Qu'est-ce que je peux faire ?
- Rien, rien ! Tout à l'heure tu nous as bien aidé, l'rafiot était encore assez stable, mais là ça s'complique. Alors, reste tranquille, va !      

Désormais seule, Sytrinn se sentait comme une enfant, ballottée de tous côtés, qui n'avait rien de mieux à faire que de se mettre à l'abri pour permettre aux adultes de résoudre une situation qu'elle ne comprenait pas. Se cramponnant là où le bosco l'avait laissée, elle observait, impuissante, les marins s'activer et lutter contre les éléments. En levant les yeux, elle reconnut Cèdre, perchée près du nid-de-pie, ombre perdue parmi les ténèbres qui l'entouraient. Mais bien vite, elle dut détourner le regard car un éclair l'aveugla. Elle vérifia que le Maître-charpentier allait bien et entreprit de regagner à contre cœur sa cabine en titubant sous la pluie qui lui martelait le crâne et lui permettait à peine de pouvoir distinguer le futur objet auquel elle pourrait s'accrocher. Attendant que le bateau tangue moins pour pouvoir se déplacer, elle se tenait fermement à une corde enroulée autour d'un mât. Mais alors qu'elle s'apprêtait à s'élancer, quelqu'un surgit de l'écoutille devant elle.

- Des cordes ! Des cordes ! On arrive plus à maint'nir la marchandise là-d'ssous !
- Jory ?!

Elle se saisit d'une corde enroulée non loin d'elle.

- Ne la lance pas, elle est beaucoup trop lourde ! Cria-t-il en se jetant dans sa direction pour la prendre lui même.
- Qu'est-ce que... Mais accroche-toi, bon sang !

A peine le garçon avait-il agrippé la corde, qu'une vague les submergea. La jeune femme sentit que Jory avait lâché prise et essuya ses yeux pour le chercher du regard. Par elle ne savait quel miracle, il avait réussi à se cramponner au plancher.

- Reste accroché, j'arrive ! Lui cria Sytrinn tout en attachant la corde autour du mât, puis autour de sa taille.

Mais lorsqu'elle se retourna vers le malheureux, il était parvenu à se remettre debout et écarquillait déjà les yeux face à la deuxième vague qui s'apprêtait à les emporter. La demoiselle s'élança vers lui mais le navire bascula. Tombant la tête la première, elle glissa quatre mètres plus bas que sa cible. L'adolescent mangeait de nouveau le plancher et s'agrippait de toutes ses forces.

- Rinn, j'vais lâcher ! Hurla-t-il dans un sanglot.

A peine eut-il articulé ces mots, qu'elle l'entendit pousser un cri déchirant. La vague venait de frapper la coque et le choc l'avait délogé de sa prise. Suivi de l'énorme vague qui dévalait le pont, il glissait en agitant les bras dans l'espoir de ne pas quitter ces planches qui se dérobaient sous lui à une vitesse folle. Sytrinn, elle, se tenait prête. Ses doigts fins tremblaient de devoir retenir le poids de son corps, mais lorsque Jory arriva à sa hauteur, elle tendit le bras dans sa direction et réussit à l'attraper. Tout en glissant, elle l'attira contre elle.

- Respire !

La vague les souleva, les ensevelit, leur fit perdre tout repères. Dans leur tourmente, une voix : « Homme à la mer ! » ; et ils surent qu'ils n'appartenaient plus à la Blanche-Nef. Leurs corps brisèrent la surface sombre et le froid les infiltra comme une décharge électrique jusque dans leur os. Ils tourbillonnaient, ils étaient projetés tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Sytrinn sentit les doigts de Jory se crisper dans son dos. Il était toujours là. Rassurée, elle lâcha sa prise autour de lui pour trouver la corde. A ce même moment, dans ce qu'elle pensait être les  profondeurs, une lumière l'aveugla. Un éclair, l'air libre ! Le jeune homme avait pivoté autour d'elle et la ladrini put nager librement, avec son aide, vers la surface. La tête hors de l'eau, ils toussèrent et reprirent leur souffle quelques secondes, avant qu'une autre vague ne viennent les engloutir. Cette fois, ils eurent moins de mal à remonter à la surface et la ladrini se dépêcha de se hisser, elle et Jory, à l'aide de la corde tendue qui l'enserrait.

- Continue d-de battre des p-pieds ! Il f-faut se dépêcher s-sinon on va m-mourir de f-froid ! Cria-t-elle dans son dos en claquant des dents.

Par chance, la corde les avait maintenus proches du bateau. Néanmoins, si la distance entre lui et eux n'était pas bien grande, la parcourir n'était pas une mince affaire. Tandis qu'elle peinait à se tracter, son compagnon sur le dos, la jeune femme devait lutter contre les vagues qui tentaient des les faire dériver. Subissant chaque assaut en serrant désespérément la corde et en priant pour que Jory tienne bon, agrippé derrière elle, Sytrinn sentait son corps s'engourdir et son pouls s'accélérer. *Vite ! Vite !*. Ils passèrent de longues minutes à batailler sans cesse contre les remous et le froid qui les saisissait. Mais alors qu'ils n'étaient qu'à quelques mètres de la coque, la ladrini réalisa que le mousse ne nageait plus.

- Eh, J-Jory ! J-Jory, tu m-m'entends ?! Appela-t-elle d'une voix étranglée.

Pas de réponse. Se tenant d'une seule main en surface, grâce à la corde, elle ramena tant bien que mal son camarade sur son ventre. Son cœur battait encore, mais plus pour longtemps.

- A L'AIDE ! Elle avait crié de toutes ses forces, mais sa voix brisée par le froid et l'engourdissement ne portait pas le moins du monde. A l'aide... Lâcha-t-elle dans un sanglot.

Elle devait rester en vie le plus longtemps possible, sinon Jory n'aurait aucune chance de s'en sortir. Sytrinn cessa de nager et plaça ses jambes autour du garçon pour le soutenir et garder sa tête hors de l'eau. Ses muscles devaient lui faire un mal de chien, mais elle avait tellement froid qu'aucune douleur ne pouvait plus l'atteindre. Suite à cette réflexion, elle se dit qu'il n'y avait vraiment plus d'espoir et qu'elle avait été d'ailleurs bien bête d'avoir espéré. Alors, elle serra les dents, ferma les yeux et demeura ainsi accrochée à cette corde, un adolescent mourant sur sa poitrine. Puis elle porta son attention sur sa propre respiration. Elle suffoquait littéralement. Elle n'arrivait pas à reprendre son souffle correctement. Était-ce dû au froid ? Sans doute. Mais il lui semblait qu'elle était gagnée par une frayeur immense tout à coup. Elle ouvrit les yeux et son cœur rata un battement. Elle  était submergée par l'angoisse. Ces ténèbres autour d'elle, cette eau sombre et agitée, la mer était-elle sans fond ? Que renfermait-elle ? La jeune femme se sentait si vulnérable au milieu des ces étendues noires. Elle avait si peur.

Puis, telle une claque, une vague la sortit de sa torpeur. Par ailleurs, elle sembla avoir le même effet sur Jory. Elle le sentit remuer faiblement la tête et vit ses paupières bouger brièvement. Entre moments de conscience et d'inconscience, il était à la frontière du coma. Il pouvait encore s'en sortir ! Sytrinn sentit des larmes chaudes roulées sur ses joues. Elle serra davantage son camarade et fit appel à ses dernière forces. Se concentrant sur le corps du garçon, elle put en percevoir la chaleur et l'accroître grâce à son pourvoir. Le catalyseur qu'elle portait autour du coup vint la soutenir dans ce dernier effort et brilla dans l'obscurité. Cependant, la jeune femme ne tiendrait pas longtemps ainsi, elle était déjà si faible.        
       


Dernière édition par Sytrinn Sandström le Ven 19 Juil - 18:23, édité 1 fois
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeJeu 18 Juil - 19:10

Notes:

Le bois glissait sous ses doigts. Elle pouvait sentir sa prise se relâcher autour de ses jambes musculeuses alors même qu'elle apportait la dernière touche à sa réparation. Encore un clou, un petit coup de maillet, et la structure tiendrait au moins le temps de la tempête. Comme bien souvent, elle travaillait en aveugle, les yeux fermés, ses paupières cinglés par une pluie glaciale et drue, sa position précaire compromise par des rafales de vent qui la faisaient tanguer et aurait donné des nausées au plus solide des estomacs, son ouïe presque assourdie par le tonnerre retentissant et le fracas lointain des vagues claquant contre la coque, percées doucement par le vague murmure des hurlements des pirates qui tentaient de faire parvenir leurs ordres au mousses et aux gabiers.

"Un homme à la mer". Elle l'avait entendu la première fois sans que cela déchire le voile épais de sa concentration. Cependant, l'urgence du ton alors qu'elle descendait, prudemment, les cordes reliées au mât lui mit la puce à l'oreille. Avec toute la ferveur qu'elle pu rassembler, elle pria Bor, Soulen et tout le panthéon que leur invitée ne soit pas comprise dans le lot de ceux passés par-dessus bord.

Elle s'était plutôt bien intégrée durant les deux dernières semaines, faisant un certain effort pour se faire bien voir par le Bosco, même si en réalité, les tâches les plus subtiles revenaient au Timonier. Dans le folklore des terriens, un bâtiment ne fonctionnait que parce que des gueules cassées tiraient une corde et qu'une voile se déployait et se ferlait, ou que les mousses passaient leur vie à briquer le pont. Mais travailler à la barre était sans doute aucun le travail le plus capital quand on voulait aller "quelque part". Parce que c'était bien mignon de naviguer, mais sans but, cela perdait de son sens, selon Cèdre.

Ainsi donc, Sytrinn avait gagné l'appellation de gabier de misaine, ce qui en réalité faisait rire tout le monde, parce que ça signifiait qu'elle était un mousse travaillant dans la voilure, mais de bas étage, et astiquait régulièrement le pont avec Jory, dont la punition avait été rallongée après qu'un autre mousse ait cafté au Capitaine ce qu'il avait fait. Ils s'entendaient bien, même si la Zélos soupçonnait le gamin de se faire des illusions (ce dont on ne pouvait le blâmer dans la mesure où son expérience des femmes se limitait à des filles de joie et à elle-même, soit pas mieux). Mais ils s'étaient attachés l'un à l'autre. Elle avait bien vu le bizutage initial, cependant, elle n'aurait pas essayé de l'empêcher ou d'en faire part au Capitaine. Elle avait décidé qu'elle voulait voir comment la vie à bord se déroulait, alors elle en verrait les bons et les mauvais côtés. Il était dit que certaines bêtes, dans la nature, laissaient leurs petits se débrouiller pour la sélection naturelle et qu'ils deviennent fort, et Cèdre n'avait jamais connu que ça, donc elle l'appliquait de la même façon à celle que l'on avait mis sous sa responsabilité.

Lorsque la plante calleuse de son pied atterrit enfin sur le bois humide du pont, toutes les réflexions que le Maître-Charpentier avait pu se faire éclatèrent comme des bulles de savon. Son esprit était déjà concentré sur la prochaine tâche, soit aller se rendre compte des dégâts réels subis par la barre lors de leurs tentatives initiales de conserver leur route en plein cœur d'une colère extrêmement virulente de la capricieuse Soulen. Agrippée d'une main au mât, elle cracha au sol, son eau intérieure rejoignant bien vite celles de la Déesse lors d'une déferlante qui la laissa dégoulinante d'eau. Elle s'apprêtait à s'élancer, le navire presque à la verticale suivant la mer déchaînée, quand elle remarqua la corde mal attachée à un second mât.

C'était une sorte de petit miracle que celle-ci tînt, et un nœud aussi mauvais n'avait pu être réalisé par un matelot accompli. Anxieuse, elle cligna frénétiquement des yeux après avoir été aveuglée par un éclair, et suivi du regard la corde, en cherchant la seconde extrémité. Un juron quelque part entre "Miséricorde!" et "Par les couilles de Bor!" lui échappa. Par-dessus bord. Évidemment, il n'aurait pas pu en être autrement. Son esprit peina à faire le lien entre la chute de la personne sous sa responsabilité dans une mer déchaînée (alors même qu'elle lui avait dit de ne pas bouger, par les Dieux!) et le morceau de corde dont le lien, lentement mais inexorablement, se défaisait. Mais, alors qu'il cédait dans un claquement qui passa inaperçu au milieu du brouhaha des cris, du tonnerre, du vent, des craquements de bois, du martèlement de la pluie, la Zélos s'élança.

Ses pas assurés par des décennies à fouler ce pont par tous les temps frappèrent le bois auquel elle était intimement liée alors que ses grosses mains calleuses et grises agrippèrent la corde de chanvre qui lui brûla la paume avant de finalement se stabiliser. Seule et sans attache, elle lutta contre les vagues et contre la Déesse, glissant sur le pont détrempée, avant de parvenir à enrouler le cordage autour de son épaule et d'atteindre la rambarde qui lui servit d'appui. La voix du Bosco s'éleva, lui confirmant que la jeune Terrane avait sauté à l'eau pour repêcher Jory, et elle se promit de tancer l'inconsciente pour lui expliquer les risques. Ce serait déjà un miracle (un autre!) si le gamin survivait dans ces eaux glacées et d'une terrible violence, sans compter les prédateurs qui ne tarderaient pas à arriver. Ce qui lui fit penser que ce serait également probablement une bonne idée de se dépêcher de sortir l'autre de là, avant qu'une catastrophe véritablement irréversible n'advienne.

Trois marins vinrent lui prêter main-forte pour héler le fil (finalement ténu) qui reliait les naufragés à la vie. En chœur, ils parvinrent à les ramener suffisamment, entre deux vagues, pour que Cèdre puisse les apercevoir. La corde était fortement serrée autour de Sytrinn, et elle devait probablement avoir des difficultés à respirer à cause de cela, et le bleu qui envahissait le visage de Jory ne présageait rien de bon. Cependant, elle pressentait qu'il était inutile de lui crier de le lâcher pour sauver sa peau. Le corps presque sans vie devait peser terriblement lourd, malgré le sel qui le portait à la surface, et les vagues devaient les entraîner au loin, lestée qu'elle était par ce poids mort. Avec un soupir las, elle héla deux autres marins, qui lui apportèrent une corde, prirent sa ceinture et vinrent la remplacer.

Une nouvelle vague, pendant laquelle elle parvint à faire un nœud solide sur cette balustrade qui tiendrait (elle y avait veillé de nombreuses fois), puis elle se jeta à l'eau en un plongeon parfait. Ce que lui avaient appris ses nombreuses mésaventures serait, pour une fois, bien utile. Les poumons pleins, elle ne chercha pas à remonter à la surface immédiatement, laissant les hauts-fonds, moins violents que les vagues extérieurs, la guider vers son but. Sa tête émergea à peine entre deux vagues, pour qu'elle puisse reprendre son souffle et se guider, se propulsant de sa brasse puissante. Elle ne portait rien de superflu sur elle, à part ses bracelets, mais ils n'étaient pas un obstacle. Lorsqu'elle vit enfin les jambes emmêlées des deux jeunes gens, elle laissa échapper un soupir qu'elle regretta quand une nouvelle vague s'abattit sur sa tête. *Ne pas gaspiller son souffle*

Dès qu'elle le put, elle empoigna la corde qui retenait les naufragés, s'y arrimant fortement avant de réussir à obtenir suffisamment de lest pour les attacher sur son propre cordage. Ils étaient épais et son propre nœud permettrait à la téméraire terrienne de mieux respirer, ce dont elle s'assura en découpant son attache, lui entaillant légèrement les côtes au passage. Rien de grave, mais la blessure piquerait un peu par la suite. Sytrinn avait l'air concentré sur Jory, mais ils tiendraient cette fois, pendant que Cèdre, qui n'était plus retenue que par la force de ses bras puissants, les hélait, réduisant la distance en enroulant le cordage sur lui-même au fur et à mesure. De l'autre côté, sur le pont, les marins les encourageaient de toute la force de leur voix, tirant eux aussi dans de grands ahans rythmiques jusqu'à ce que, enfin, ils atteignent le bord et le pont.

Durant leur périple, la tempête s'était peu à peu calmée, comme si les évènements voulus par Soulen étaient advenus et qu'elle repartait, satisfaite, laissant à peine quelques creux dans son sillage, malgré la pluie glaçante toujours battante et le vent fort. A bout de souffle, la Zélos laissa le Bosco mener les naufragés dans le ventre du navire, à l'abri derrière les écoutilles étanches qu'elle avait créées, alors qu'un second marin lui rendait ses affaires. Heureusement que le cuir était traité, car il reprit sa place, malgré l'eau et le sel, sur ses hanches larges. Avec un grognement, elle se releva finalement et repartit au travail. Il n'y avait pas de fainéants pendant une tempête. La seule satisfaction qu'elle avait pour l'instant était que les deux étaient saufs, même si pas forcément sains, et certainement suffisamment épuisés pour dormir pendant une journée. Et elle leur souhaitait d'être bien reposés quand elle finirait par leur tomber dessus...

Et donc, au terme de plusieurs heures de réparation compliquées (il avait fallu convaincre le timonier de la laisser finir avant d'essayer de reprendre le cap), épuisées aussi bien physiquement que mentalement, courbaturée, trempée, bosselée et surgelée, elle se dirigea (enfin) vers l'entrepont pour savoir où en étaient les deux rescapés. C'était vraiment une guigne (à qui la faute?) que le Chirurgien ne soit plus à bord et qu'ils n'aient toujours pas trouvé de remplacement, même si le Capitaine s'en sortait en général pour la plupart des petites interventions (quand il daignait baisser les yeux sur vous). Cependant, Cèdre ne se faisait pas d'illusions, il serait aux petits soins pour la jeune femme.

D'ailleurs, quelle ne fut pas sa surprise (hunhun) de le voir, parfaitement sec et plein de bons mots, à son chevet quand la Zélos poussa la porte. Aussi joyeuse et souriante qu'un esprit vengeur, elle s'adossa à la porte, gouttant rageusement sur le pont intermédiaire, effrayante dans son silence réprobateur. Cela ne fut pas du goût du Capitaine qui lui fit promettre de se rendre dans son bur... dans sa cabine quand Sytrinn serait réveillée, afin de "faire le point sur la situation". De toute évidence, grâce à l'intervention de la Terrane, quelle qu'elle ait bien pu être, Jory survivrait, mais l'épuisement avait eu raison des deux jeunes gens, et c'est donc dans cette attente immobile, glacée et semblant terriblement immuable que le Maître-Charpentier de la Blanche-Nef attendit le réveil de celle qui avait bien failli les faire tous mourir de peur.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeVen 19 Juil - 18:17

Trente secondes, voilà le temps qu'elle put tenir, puis son catalyseur cessa de luire. Sytrinn perçut un sursaut dans le corps de son camarade avant qu'il ne sombre de nouveau dans le brouillard. Elle avait peut-être prolongé sa vie de quelques instants, mais était-ce vraiment utile ? N'aurait-il pas mieux valu qu'elle préserve ses dernières forces pour se tirer de là toute seule ? Non, elle n'y serait pas arrivé de toute façon, son pouls entamait sa phase de ralentissement et elle peinait à garder les yeux ouverts. Sa main figée autour de la corde ne la retenait plus du tout et elle voyait le bateau s'éloigner peu à peu. C'était fichu. Cependant, quitte à mourir, elle ne serait pas seule. La ladrini baissa son regard sur le garçon. Il aurait pu paraître en train de dormir paisiblement, bercé par le courant et les lents battements du cœur de la jeune femme, si son teint bleuté ne venait pas briser cette illusion.

Sytrinn resserra son étreinte autour de lui, mais même ce geste simple lui était difficile et elle ne savait pas si elle était parvenue à le réaliser correctement tant ses sensations étaient inhibées par le froid. Son visage revêtait les atours d'une mort prochaine, se parant d'un voile blanchâtre maculé du violacé de ses lèvres et de ses paupières. Le mental de la ladrini la maintenait en vie depuis plusieurs minutes tandis que son corps l'implorait de succomber. Et il aurait bientôt raison de sa volonté, cette résistance connaîtrait immanquablement une fin, bonne ou mauvaise.

Les yeux mi-clos, embués de gouttes salées, la demoiselle distinguait péniblement les volutes de vapeur blanche qui s'échappaient faiblement d'entre les lèvres de Jory parfois mêlées à sa propre respiration. Puis un éclair vint déchirer ses pupilles et faire tressaillir son âme. La surprise effondra les derniers fondements du peu de conscience qui lui restait et le bruit des vagues ne fut plus qu'un bourdonnement lointain, les éclairs, une lueur pâle parmi le flou. L'eau s'infiltra dans ses narines puis dans ses poumons, le sel brûlant tout sur son passage. Elle voulut tousser, mais à chaque inspiration elle se noyait un peu plus. Elle se noyait. La tête de son compagnon demeurait toujours en surface, mais ne tarderait pas à prendre le même chemin.

Un contact bref, tranchant. Désormais, elle n'appartenait ni à la Blanche-Nef, ni même à la vie. La mer avait enfin eu ce qu'elle voulait, le cordon avait cédé. Peut-être un prédateur marin entamait-il sa proie ? Cette coupure qu'elle avait ressenti n'était-elle pas celle provenant d'une dent acérée ? La ladrini sentit quelque chose s'enrouler autour d'elle. Un serpent ? Mais pourquoi ne l'emmenait-il pas vers le fond ? De l'oxygène. Son corps réagit tout seul une fois l'air libre retrouvé, ses poumons évacuèrent l'eau qu'ils avaient engrangé et la jeune femme, toussant à n'en plus pouvoir, resserra sa prise sur Jory comme s'il avait été son radeau de sauvetage. Cependant, elle perçut une autre présence et prit conscience que c'était elle qui était à l'origine du mouvement.

Perdue dans une sorte de folie, Sytrinn ne savait pas réellement si elle était enfin morte ou si elle était sauvée. Mais pour rien au monde elle n'aurait quitté cette présence soudaine qui la guidait dans l'inconnu. Tous ses sens étaient brouillés, elle tendit péniblement un bras vers Cèdre et l'enroula autour de son cou. En ce moment elle ne se souvenait plus de rien, pas même de son propre nom ni de sa propre histoire. Pourtant, dans ce chaos intérieur, cette présence à laquelle elle s'accrochait désespérément lui inspirait quelque chose d'infime qui lui était familier. Comme un animal qui viendrait de naître, rejoignant instinctivement sa mère, son seul salut, la jeune femme s'accrochait à la zélos. Le menton posé sur cette épaule rassurante, elle recouvrait petit à petit la vue, le bourdon dans ses oreilles se transforma en concert de voix.

Finalement, elle sentit son corps s'élever puis, après quelques instants, reposer sur du solide. Là, on lui retira son compagnon et elle fut contrainte de libérer la pirate de son étreinte, avant de perdre connaissance.

Au fil du temps, son visage perdit son masque cadavéreux. Néanmoins, son teint demeurait encore très pâle, ses lèvres légèrement violacées et ses yeux clos paraissaient irrités et rougis à cause du sel. En la voyant ainsi, la confondre avec une gorgoroth ne serait pas surprenant. Le sommeil dans lequel Sytrinn était plongé, n'en demeurait pas moins agité par moment. Alors qu'elle semblait prête à se réveiller, elle ne faisait que remuer et pousser de faibles plaintes tandis que des perles de sueur se formaient sur son front. Personne n'aurait su dire à quel mauvais rêve elle était en proie, peut-être ne s'en souviendrait-elle même pas une fois consciente.

Et puis, après l'absence, le retour. Sa première sensation fut la lourdeur de son corps, sa première pensée fut qu'elle savait qu'elle se réveillait mais que ce n'était pas semblable à d'habitude. Elle éprouva alors une petite crainte quant à ouvrir les yeux, mais ce résolut à le faire. Le mince interstice que laissèrent se former ses paupières, la fit immédiatement grimacer et annuler son action. Portant mollement une main à son visage, elle sentit que celle-ci était emmitouflée. Un bandage ? Inquiète, elle voulait maintenant savoir ce qu'il se tramait. L'aristocrate tenta d'ouvrir à nouveau les yeux, la lumière les rendait plus douloureux et quelques larmes s'en échappèrent. Tout en les essuyant, elle voulut se redresser mais ses muscles protestèrent. Que se passait-il, enfin ? La journée commençait mal, elle était d'une humeur massacrante. En fronçant les sourcils, elle tourna la tête pour observer autour d'elle : ce n'était pas sa chambre, ce n'était pas le Manoir et elle doutait même de se trouver à Tyrhénium. Son minois affichait un air des plus contrarié et elle resta ainsi hébétée quelques secondes avant que des éléments ne lui reviennent peu à peu à l'esprit.


Dernière édition par Sytrinn Sandström le Lun 22 Juil - 16:50, édité 1 fois
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeSam 20 Juil - 13:18

Mourir de peur n'était peut-être pas le terme, en réalité. S'étouffer de rage y ressemblerait plus. D'ailleurs, elle savait qu'elle ne tiendrait pas longtemps cette posture attentiste. Non pas qu'elle soit incapable de se tenir immobile pendant quelques heures, simplement, elle savait très bien ce qui se déroulerait quand elle irait voir le Capitaine, et elle ne voulait pas que la jeune femme y assiste. Parce qu'elle s'interposerait, et qu'en définitive, une fois qu'elle serait débarquée, ce serait pire encore. Après tout, quelques coups ne la tueraient pas. Ils ne l'avaient jamais fait jusqu'à présent, et elle escomptait bien vivre encore cent-sept ans. Même plus, à choisir. Soulen et Bor veillaient sur son âme et elle partirait quand le temps serait venu pour elle...

Secouant la tête, elle sortit dans le couloir et mit un planton devant la porte. Un mousse qui devait courir la chercher dans la cabine du Capitaine ou sur le pont (suivant le spectacle qu'il voudrait donner) si jamais Sytrinn se réveillait. Puis, d'un pas pesant, laissant toujours de larges flaques d'eau sur son chemin, la Zélos se rendit au poste de commandement comme on se rend à l'échafaud. Ce n'en était pas très loin, en définitive. Enfin, toute proportion gardée, car elle avait connu bien pire... véritablement. Elle étouffa donc un soupir avant de baisser la tête pour franchir la porte.


***

Finalement, ça s'était passé à la fois mieux et moins bien que prévu. Moins bien parce qu'il n'avait même pas écouté sa version de l'histoire, se contentant de rejeter toute la faute sur elle, éructant insulte sur accusation, la traitant comme une enfant attardée alors qu'elle avait sept fois son âge. Mais elle avait l'habitude, donc elle avait accepté les remontrances sans broncher, ce qui énerva le Capitaine plus encore. Elle en avait donc été quitte de quelques coups de fouet supplémentaires. Comme si elle avait défié son autorité sous le simple prétexte de réparer le navire... Quelle stupidité, n'est-ce pas?

Cèdre secoua la tête, déclenchant de vigoureux élancements dans son dos. Après tout, une dizaine de cicatrices de plus ou de moins, ça ne changeait pas grand-chose. Mais ses cheveux dégoulinaient encore d'eau de mer, qui prenait un malin plaisir à dévaler son corps, aiguillonnant la douleur. Elle sentait plus qu'elle ne voyait les rigoles rosâtres qui terminaient en grosses gouttes sur les planches du pont. Elle revint malgré tout à sa réflexion sur l'entrevue avec le Capitaine, reléguant le mal au second plan comme elle l'avait souvent fait.

Donc, tout compte fait, cela ne s'était pas si mal passé, parce que le seul moment où elle avait pu ouvrir la bouche pour suggérer que les pirates n'apprécieraient pas le châtiment publique et risquaient d'en vouloir à la Terrane, elle avait été écoutée. Il s'en était donc chargé lui-même, raison pour laquelle elle souffrait vraiment. Le Bosco n'était pas aussi sévère quand il savait que la faute était partagée, surtout concernant la sécurité des invités. Ce n'était pas comme si elle l'avait poussée par-dessus bord, si?

Par chance (pour une fois), elle atteignit sa "cabine" de toile sans rencontrer personne, comme s'ils s'étaient donnés le mot. Elle n'avait pourtant pas émis un son, mais le Capitaine avait suffisamment hurlé pour deux. Ce soupçon se renforça quand elle vit la basse d'eau douce et une tunique longue sans manche, d'un gris tellement seyant qu'elle aurait l'impression de ne rien porter. Elle se souvenait que quand le timonier l'avait achetée, elle était blanche.

Malheureusement, elle ne pouvait pas se permettre de s'afficher, toute sanguinolente, sur le pont ou devant leur invitée. Les pratiques de l'équipage ne regardaient personne d'autre. Donc, torse-nue, assise sur sa couchette, elle puisa partiellement dans sa force intérieure, partiellement dans le catalyseur pâlichon qui enserrait son poignet droit, et accéléra sa guérison. Elle doutait que qui que ce soit sache qu'elle en était capable, et elle ne comptait pas tout effacer (sinon elle était bonne pour y avoir à nouveau droit), simplement éviter de teinter les ponts de rouge. Ce n'était plus elle qui nettoyait, mais elle avait pitié des apprentis.

Après cet effort qui la laissa pantelante, elle se contraignit à utiliser l'eau douce pour retirer le sang puis se laver les cheveux. Si elle ne le faisait pas, elle finirait par pouvoir arracher les tresses en tirant un petit coup sec dessus. Elle défit donc les nattes, rangeant soigneusement les perles dans un petit sac prévu à cet effet, puis décida de laisser la masse noire, abîmée et horriblement frisée, faire bloc autour de sa tête, descendant jusque ses reins. Elle allait devoir les couper bientôt, ils devenaient difficiles à entretenir. En attendant ce moment, cependant, elle les laissa libres, puis se changea, revêtant des braies bouffantes en coton noir qui s'arrêtaient au genoux, une brassière noire, puis la tunique grise qui la couvrait globalement jusqu'à la taille. Elle lui allait tout juste, et elle savait que le timonier flottait dedans. Vint enfin sa ceinture, et elle était parée.

Avec un sourire qui se mua en grognement de douleur, elle secoua la tête, puis retourna, luttant pour garder les yeux ouverts, jusqu'à la cabine du Chirurgien. Elle jeta un œil sur Jory, qui ronflait désormais comme un sonneur, un bol de bouillon vide au sol à côté de la couchette. Elle intercepta le Maître Coq qui parlementait avec le mousse en faction, et elle lui prit le bol des mains avant de les renvoyer tous les deux, de fort méchante humeur, dans leurs pénates.

Lorsqu'elle repoussa la porte, elle vit Sytrinn agitée par de sombres cauchemars, aussi décida-t-elle de s'asseoir à proximité, se tenant bien droite pour ménager son dos, le bol de soupe dans les mains pour lui éviter de se renverser si la Nef tanguait, le bout de ses cheveux traînant sur le plancher. Elle la vit ensuite entrouvrir les yeux, les refermer vivement, porter la main à son front bandé (remonter sur la balustrade avec deux personnes attachées à elle n'avait pas été mince affaire, et il était possible... voire probable... qu'ils se soient cognés dans le processus), et tenter de se redresser. Avec un soupir, Cèdre l'attrapa par le col d'une tunique trop grande pour elle (elle l'avait changée personnellement avant de retourner à ses réparations), et l'installa en position assise d'un simple effort du poignet, avant de lui fourrer le bol de soupe entre les mains, sans un mot.

L'air renfrogné et contrarié que la jeune pseudo-scientifique projetait alentour n'était pas particulièrement pour plaire à la Zélos, mais elle ne pouvait pas franchement faire la fine bouche. Elle aurait voulu lui hurler dessus pour son imprudence, mais elle n'était ni sa mère (heureusement pour elle) ni son supérieur hiérarchique (deux fois heureusement), aussi n'avait-elle aucune autorité. Les mains désormais libres, elle se contenta donc de croiser les bras sous sa poitrine et de lancer d'une voix encore plus basse que d'ordinaire (l'eau de mer donnait mal  la tête quand on en buvait trop, d'expérience):


"T'émerges? Mal partout? C'normal... T'es sur la Blanche-Nef, Soulen a pas voulu d'toi, ni d'Jory. Et bois ça, ça t'réchauff'ras."

En un sens, Cèdre espérait qu'elle ne parlerait pas trop, parce qu'une série de remontrances (alors qu'elle en avait autant pour son compte) suffisait pour une elle journée, et de l'autre côté, elle pensait que si la jeune femme ne prenait pas la parole, elle finirait très probablement par s'endormir au contact apaisant du bois, bercée par le doux roulis de fin de tempête...
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeLun 22 Juil - 16:47

Alors qu'elle commençait à peine à se remémorer les événements, le processus fut suspendu par un geste vif en sa direction. Une main la saisit par le col pour venir la redresser. Ainsi brutalement campée sur son postérieur, elle se vit recevoir un bol, placé tout aussi fermement entre ses mains. Cette succession d'actions ne fit qu'accroître sa mauvaise humeur et son visage s'empourpra légèrement sous la colère. Resserrant sa prise autour du récipient pour ne pas le lancer à travers pièce, elle tenta de se rasséréner. Sytrinn ne comprenait rien à la situation, tout ne lui était pas revenu à la mémoire et elle se sentait comme prise dans un piège. Sans même passer par le visage de la personne assise près d'elle, ses yeux se posèrent instinctivement sur la ceinture de cette dernière à la recherche d'une arme qu'elle pourrait subtiliser pour se sortir de là. Mais à la vue des outils, un premier déclic se fit sans son esprit. Levant le regard vers celui, bleu nuit, de sa surveillante, elle assura sa pensée quant à son identité. Elle ne l'avait pas immédiatement reconnue car ses cheveux dénoués cascadaient jusqu'au sol et elle était... Plus vêtue que d'ordinaire. Tout cela s'était passé en une fraction de seconde et la ladrini fixait désormais un point devant elle alors qu'elle était foudroyée par les souvenirs et le mal de crâne.

- T'émerges? Mal partout? C'normal... T'es sur la Blanche-Nef, Soulen a pas voulu d'toi, ni d'Jory. Et bois ça, ça t'réchauff'ras.

Cette voix, ce ton, aucun doute, il s'agissait bien de la zélos. Détournant son attention du relief formé par ses orteils sous la couverture, elle planta ses prunelles dorées dans celles de la pirate. La jeune femme semblait être sortie la fureur de l'incompréhension et son teint avait de nouveau perdu ses couleurs. Une expression indéchiffrable sur le visage, elle ne paraissait pas vouloir sonder l'âme de sa compagne, ni vouloir lui communiquer quoi que ce soit, trouvant simplement un nouveau lieu où poser son regard tandis qu'elle se laissait aller à ses pensées.

Cet état de faiblesse la contrariait au plus haut point. Néanmoins, en la maintenant ainsi assommée, il la tenait justement à l'écart de l'énervement. Sytrinn avait l'air tout à fait calme, en somme. Le problème était que cette sérénité apparente ne serait que de courte durée et, le sachant, la demoiselle appréhendait anxieusement sa perte de patience à venir.

Alors, voilà, elle s'en était sortie après tout. Elle était vivante ! Et Jory aussi, apparemment. Mais il était pourtant difficile de s'en réjouir. Pourquoi ? Eh bien, peut-être parce que cette constatation supposait qu'elle avait failli mourir. Elle avait failli mourir et la personne qu'elle fixait était responsable d'elle. Que serait-il arrivé si elle était finalement morte ? Bien sûr, égoïstement pensant, cela ne l'aurait pas concernée le moins du monde, alors pourquoi se torturer l'esprit avec la responsabilité d'une autre ? Parce que sa propre responsabilité était aussi impliquée. Donc, elle avait été égoïste en voulant secourir le garçon car elle s'était mise elle-même en danger et cela avait mis Cèdre dans une situation délicate...

Se sentant glisser dans une réflexion tortueuse, elle fronça les sourcils et détourna les yeux de ceux de la zélos. D'une main, elle souleva la couverture pour juger de l'état de son corps, avant de la replacer. Elle tâta son ventre douloureux et perçut la présence d'un bandage, puis elle porta de nouveau sa main au visage car il lui semblait avoir remarqué quelque chose tout à l'heure... Son front aussi était pansé. La jeune femme lâcha un soupir, mélange de dépit et d'agacement, puis approcha le bol de ses lèvres, sans grande conviction. Elle but le bouillon d'une traite, comme du petit lait, et posa sa gamelle en passant le bout de sa langue sur sa lèvre supérieure.

- Jory s'en est tiré, alors... Tant mieux.

Aucune émotion ne transparaissait dans sa voix anormalement rauque, enrouée à cause du sel qui avait irrité sa gorge, mais elle était réellement soulagée et heureuse d'apprendre la survie de son camarade. Elle se tut quelques secondes, le regard dans le vague, avant de reprendre du même ton monocorde.

- Je sais... Soupira-t-elle. Je sais les douceurs que tu t'empêches de me cracher à la figure. Et je sais que c'est pas l'envie de me coller un aller-retour qui te manque, mais... Quoi que tu aurais pu me dire, m'interdire ou me prouver, je n'aurais pas agi différemment. Maintenant... Si tu veux te défouler sur moi, fais donc. Je comprends.

Personne ne lui avait clairement mentionné cela, mais elle s'était doutée qu'un homme à la mer restait à la mer dans une tempête pareille. Il était aussi probable qu'elle ait sous-estimé la situation. Sytrinn s'était lancée spontanément à la rescousse du marin, incapable de demeurer impuissante face à sa chute du navire. Le temps de peser le pour et le contre ne lui avait pas été accordé par la nature et elle avait seulement eut la présence d'esprit de se sécuriser à l'aide d'une corde médiocrement attachée. Pas le temps non plus de s'appliquer à faire un nœud parfait. Avec le recul, la jeune femme se disait qu'à vouloir sauver un mousse elle avait mis en jeu la vie de leurs  sauveteurs. Elle aurait aimé pouvoir affirmer que venir en aide à Jory ne relevait que de son propre choix et n'engageait que sa propre vie, mais son statut d'invitée ne la plaçait pas seule responsable d'elle-même et, elle le savait, c'était ce qui les avait sauvés. Un simple gabier de misaine aurait été abandonné à la volonté de Soulen.

La ladrini jeta un coup d’œil vers la pirate. Son apparence du moment la rendait en quelque sorte plus féminine. Sans savoir pourquoi, elle eut l'impression d'avoir devant elle une Eryllis, l'imaginant loin de la mer qu'elle affectionnait, en guerrière des forêts. Mais pour l'heure, la femme sauvage avait plutôt l'air d'une combattante éreintée et cette langueur dans son attitude la faisait paraître plus douce qu'elle ne l'était. Elle se tenait bien droite, cependant l'aristocrate ne lui connaissait pas un tel maintien et de toute évidence, elle n'était pas le genre de personne possédant une fierté débordante, exprimant sa prétention jusque dans son allure. Cèdre ne se donnerait pas cette peine pour faire bonne figure, surtout dans la fatigue.

- Pour le savon, tu peux me le passer plus tard. Je ne risque pas d'aller bien loin de toute façon. Elle plongea ses yeux dans les siens. Tu sembles... épuisée.

Son ton était inquiet et son regard inquisiteur. Elle ignorait combien de temps elle avait dormi mais elle avait le mauvais pressentiment qu'en son absence et par sa faute, quelque chose s'était passé. D'ailleurs, elle se demandait quel avait été le rôle du Capitaine durant la tempête et si ce dernier était au courant de cet incident. Inconsciemment, l'homme lui était revenu à l'esprit. Il était presque invisible sur ce navire mais la demoiselle ressentait sa présence comme une menace, elle qui n'avait jamais connu que l'autorité bienveillante du meneur des Ladrinis. Dès leur rencontre, le Capitaine de la Blanche-Nef ne lui avait pas vraiment inspiré confiance de par son comportement à l'égard des matelots et plus encore, vis-à-vis du Maître-charpentier.

Sytrinn avait la manie de s'arrêter sur des détails, chose qui lui avait rendu service plus d'une fois au cours de ses missions mais qui, à d'autres moments, l'avait faite cogiter des heures alors qu'il n'y avait pas de raison de s'inquiéter. Et plus elle regardait Cèdre, plus elle se posait de questions et passait en revue toute éventualité.

- Cèdre, à part ta fatigue... Quelque chose ne va pas. Dit la jeune femme en plantant son regard sérieux dans celui de la zélos. Et c'est en train de m'énerver. Elle soupira après un court silence. Je ne voudrais pas dire ou faire une bêtise supplémentaire, alors je vais me contenter de la boucler, termina-t-elle en fixant le plafond, l'air contrarié.  


Dernière édition par Sytrinn Sandström le Mer 24 Juil - 0:55, édité 1 fois
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitimeLun 22 Juil - 19:48

Le choc. Elle ne voyait que ça pour expliquer l'état d'hébétude de la jeune femme. Elle avait eu l'air terriblement énervée, puis, d'un coup, probablement quand elle avait repris conscience de son environnement, tout sentiment l'avait quittée. Cela ne promettait rien de bon pour la suite, mais pour l'instant, ce n'était pas la préoccupation première de la Zélos. Si elle mangeait et ne rendait pas tout, ce serait déjà une bonne chose.

Elle l'observa donc attentivement, la laissant croiser ce regard bleu nuit chaleureux qui était presque à sa hauteur (pour une fois), et surtout, commencer à parler. Sa voix était rauque, à cause de l'eau ingérée, mais elle n'aurait aucune séquelle durable. Cependant, lorsqu'elle aborda ce qu'elle aurait voulu lui faire... Bien entendu, au départ, Cèdre lui en avait beaucoup voulu. Elle n'avait pas réfléchi aux conséquences, pensant tout savoir de la façon dont fonctionnait un navire alors qu'elle ne l'avait arpenté que pendant deux petites semaines et n'ayant jamais affronté un grain.

Elle avait plongé, stupidement, il fallait l'admettre, mais l'intention était bonne. Et plus elle y réfléchissait, moins elle était énervée. Bien sûr, les terriens n'avaient aucune idée des conséquences de leurs actes quand ils étaient invités, et c'était évidemment une source de tracas permanent. Mais elle avait principalement été surprise. Elle avait eu peur. Elle s'était aussi doutée qu'une chose pareille finirait par arriver. Elle n'était pas appelée cousin du lièvre sans raison. Tous les coups foireux lui tombaient dessus, et celui-ci n'aurait pu faire exception. Il s'était d'ailleurs mieux terminé que beaucoup d'autres, personne n'était mort donc, à la réflexion, tout allait bien.

Et puis, elle était bien trop épuisée pour contrôler sa force, donc la simple idée de la frapper et de lui arracher la tête la faisait grimacer. Il aurait été dommage que ses efforts soient réduits à néant. Ce n'avait pas été aussi facile qu'il y paraissait de la sortir de là avec seulement une estafilade et une bosse (même si les deux étaient de son fait). En plus, elle ne risquait effectivement pas d'aller bien loin, sauf si elle escomptait finir le trajet jusque El Bahari à la nage. Déconseillé au vu de ses performances antérieures, cela dit.

Mais plus les minutes passaient, plus elle sentait le regard inquisiteur de Sytrinn sur elle. Elle ne comprit d'abord pas sa sollicitude. Peu de personnes en faisaient montre envers elle. Sur la Blanche-Nef, elle était un vétéran, celui sur lequel les gens comptaient plus que l'inverse. Et à terre, elle était une géante musculeuse à l'air peu engageant. Personne ne s'était inquiété pour elle depuis... Depuis Thémisto, en fait. C'était à la fois étrange, réconfortant, et effrayant. Les gens autour d'elle mouraient, c'était incontestable. Elle préférait savoir les gens auxquels elle tenait vivants que proches d'elle. Non pas qu'elle ne veuille pas souffrir, elle pensait avoir eu son compte, mais simplement... tuer des gens était une chose. Qu'ils meurent à cause d'elle, c'était bien plus dur.

Mais en entendant sa dernière phrase, qu'elle jugeait, au ton, quelque part entre énervée, exaspérée et boudeuse, elle se dit qu'elle lui devait une explication. Non, en fait, elle ne lui devait rien, mais elle sentait qu'il fallait lui faire comprendre que chez les pirates, à tout le moins ici, la discipline était une chose qui ne s'appliquait pas à coups de beaux discours, et que chaque acte avait des conséquence non seulement pour soi, mais aussi pour l'équipage. Posant la main (moins délicatement que prévu) sur le bord de la couchette, elle entama son discours de sa voix basse, rendue un peu plus lente par la fatigue:


"J'vais pas t'agonir d'injures, ma belle. Et j'vais pas crier non plus. J'sais pas comment ça s'passe dans ta communauté, scientifique ou pas d'ailleurs, peu importe. Mais sur un bâtiment comme la Blanche-Nef, on est comme... Comme une horloge. J'pense que c'est la métaphore qu'tu comprendras l'mieux. Enfin si t'as d'jà ouvert une horloge. Sinon ça march'ra pas. Enfin on va essayer comme ça. Pour te donner une idée, chaque mat'lot est un rouage. Et il y en a de plus gros, comme le Cap'taine qui tient les cartes, le timonier qui tient la barre, le Bosco qui donne les ordres et gère le déploiement des voiles, et puis moi, bien sûr, qui entretien la structure. A nous tous on fait tourner les aiguilles. C'est toujours triste de perdre une p'tite pièce, la machine fonctionne moins bien. Mais ça arrive, et ça s'change. Même une grosse, ça s'change en fait, mais c'est plus dur. Mais l'problème, c'est quand une grosse pièce doit quitter son engrenage pour s'occuper d'une petite. Ca met en péril toute l'horloge. T'as compris où j'veux en v'nir, non? Ici, pour s'assurer qu'l'horloge fonctionne, la parlotte ça sert à rien. En mer, tu l'as vu, y faut êt' sûr qu'on peut faire confiance à chacun pour t'nir son poste. Et pour endosser ses responsabilités. Même si les deux sont parfois en contradiction. Et sur des gens aussi durs et... foutrement têtus, soyons honnête, une discipline musclée est nécessaire. T'avais trouvé ça injuste qu'Jory soit d'corvée d'nettoyage juste pasqu'il t'avait manqué d'respect, non? Dis-toi que j'suis une des plus coulantes..."

Avec un soupir, Cèdre observa sa main, ses ongles courts, ses longs doigts gris couverts de cals, les écorchures et les cicatrices qui les sillonnaient. D'un côté, elle avait envie de lui expliquer clairement, mais de l'autre, ça ne la regardait pas. Et elle ne voulait pas que ça remonte aux oreilles du Capitaine, d'autant qu'il n'y était pas forcément pour grand-chose. D'ailleurs, peut-être fallait-il prendre les choses à revers. Elle releva les yeux, une ombre de sourire indulgent sur les lèvres. Elle avait mal, mais en même temps, elle était fière de lui:

"T'sais... L'Capitaine est jeune. Ca fait pas longtemps qu'il tient l'équipage. Et il a pas la chance de son côté, pasqu'il a qu'des vieux briscards. L'timonier est là d'puis... une dizaine d'années, pareil pour l'bosco. L'Coq aussi est là depuis que'ques années. Pis y a moi. Chuis là depuis... Ben, tu d'vais êt' qu'une idée dans les yeux d'tes parents, Sytrinn, voire dans ceux d'tes grands-parents. On n'PEUT PAS contester son autorité, sinon l'navire s'déliterait, l'horloge tourn'rait plus. Alors pour qu'ça marche, on est prêt à accepter les punitions... Quelles qu'elles soient."

Tout sourire avait disparu de son visage et elle fixait la jeune Terrane avec intensité. Elle avait BESOIN qu'elle comprenne qu'elle n'y pouvait rien. Et qu'elle n'en tienne pas rigueur au jeune homme. C'était assez dur pour lui. Elle avait déjà envisagé plusieurs fois de quitter le navire, mais... Distraitement, elle haussa les épaules en réprimant une grimace. Elle avait encore mal, mais ça la tenait éveillée. Puis elle repoussa du plat de la main les mèches frisées qui tentaient de retomber sur son front tatoué. Il allait vraiment falloir qu'elle fasse quelque chose pour ça... Stoïque, elle attendit la réaction de l'invitée sous sa responsabilité.
Revenir en haut Aller en bas

Contenu sponsorisé

MessageSujet: Re: Voyage à bord de la Blanche-Nef    Voyage à bord de la Blanche-Nef  Icon_minitime

Revenir en haut Aller en bas
 
Voyage à bord de la Blanche-Nef
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Mon Journal de Bord
» carnet de bord d'une Yorkas
» Journal de bord d'un Lhurgoyf
» une rencontre au bord de la cité
» Journal de bord du démon-pirate

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Istheria, le monde oublié :: La Communauté & ses échangesTitre :: • Corbeille :: • Les vieilles aventures-
Sauter vers:  

(c) ISTHERIA LE MONDE OUBLIE | Reproduction Interdite !