La Guerre de Cimméria ϟ Les Traqueurs de la Taïga

Seizième jour, à l’ombre d’un pic acéré comme la pointe d’une flèche. La Zélos se préparait à subir les foudres de l’escouade de Sindarins lancée à ses trousses depuis trop longtemps. Elle se demandait comment allait finir cet épisode et elle n’envisageait pas que cela puisse être de manière très favorable pour elle, mais lorsqu’elle s’était lancée dans cette aventure, elle savait qu’elle pouvait endurer plus que des égratignures.
Quelque chose d’expiatoire avait motivé l’ancienne âme damnée d’Elerinna Lanetae. Tombée de tellement haut qu’elle avait failli être mentalement brisée, elle s’était infligé cette mission comme la punition à son aveuglement tout autant que pour faire cesser des évènements ridicules au regard de la satisfaction que cela allait apporter aux puissants comparée aux souffrances des petits, militaires et civils. Durant des jours, elle avait dû manœuvrer comme jamais elle n’avait dû le faire et était parvenue à ses fins un peu contre toute attente. Si cela devait être son baroud d’honneur avant de rejoindre Kron en qui elle ne croyait pas plus que cela et bien, elle voulait bien l’accepter.

Depuis sa séparation d’avec l’ancienne grande prêtresse, il était des moments où elle avait du mal à se reconnaître danses prises de décision et celle qu’elle venait de prendre et qui la mettait à la merci de ses poursuivants alors qu’elle aurait pu leur échapper définitivement en faisait partie. Il y a encore quelques mois, peu importaient les dommages collatéraux pourvu que les objectifs soient atteints mais parfois pourtant des accès de loyauté la guidaient ou la manipulaient comme si une page de sa vie s’était tournée. La Zélos sans scrupule était toujours là mais se posait bien plus de questions qu’auparavant peut-être parce qu’elle avait décidé de ne plus s’en remettre aux autres pour lui indiquer la route à suivre.

Elle sentit la poigne mentale du télépathe s’insinuer dans son esprit. Il était donc en mesure de la faire et de son côté, elle n’avait plus autant de raison de résister à sa visite que la première fois qu’ils avaient été confrontés l’un à l’autre. C’était au contraire le meilleur moyen de l’assurer de sa sincérité. Elle n’était pas bien sûre que cela plaide en sa faveur car ses mobiles n’allaient pas forcément de pair avec le pardon des Sindarins qui avaient toutes les raisons de lui en vouloir, mais ils étaient eux aussi des soldats engagé de leur plein gré dans une guerre et étaient capables de comprendre ce qu’elle avait été obligée de mener à bien et de quelle façon, même si son entreprise pouvait paraître étrange.

En même temps elle regarda Niniel jeter ses armes et marcher sur elle pleine de fureur et reçut sans esquisser le moindre geste de défense son poing dans la mâchoire. Son crâne pivota sur son atlas en gardant la tonicité nécessaire pour ne pas se rompre le coup. La petite y avait mis tout son cœur et Igrim s’attendit presque à avoir la mandibule inférieure fracturée, mais un rapide examen par le jeu de ses muscles maxillaires suffit à la rassurer. Elle pensait que la douleur que la Sindarine allait encaisser à cause d’un coup que visiblement elle ne maîtrisait  qu’imparfaitement allait l’arrêter mais elle en avait à peine fini avec le crochet au visage qu’elle encaissa un peu surprise un direct au fois qui lui coupa la respiration. Le coup au genou finit de le lui faire mettre  en terre ? Cette dernière attaque faillit avoir raison du calme et de la résignation qu’elle s’était imposés. Elle releva des yeux furibards vers l’éclaireuse, crispant les lèvres sur ses dents serrées et puis elle se radoucit. Qu’elle profite de ce moment. Elle l’avait en quelque sorte bien mérité et si cela pouvait ensuite la rendre plus réceptive à ce que la Zélos avait à lui dire,  ce ne serait pas cher payé. Il fallait laisser passer l’orage en espérant qu’il ne finirait pas par une flèche mortelle ou un coup de dague entre les côtes. D’ailleurs les dernières menaces ne présageaient rien de bon surtout si Olorin ne parvenait pas à se faire entendre. Le silence pour le moment semblait encore la meilleure chose à opposer à son courroux. De toute façon, la Zélos ne pouvait pas prétendre qu’elle ne s’était pas rendue coupable de trahison envers la jeune archère. Tout au plus pourrait-elle si elle lui en laissait le loisir essayer de s’expliquer en s’appuyant sur les lois de la guerre. Cette guerre qu’elle avait cru pouvoir combattre et arrêter.

Elle releva la tête puis tout le reste de son corps par simple réflexe pour ne pas laisser la flèche pénétrer sa gorge plus loin que son épiderme. Le fil de son fer rendait hommage aux artisans de Canopée. Affuté à l’extrême il ne provoquait aucune douleur alors que la prisonnière sentait un filet de son sang noir couler le long de son cou. Ce fut Olorin qui fit diversion et évita que la Sindarine ne se laisse aller à  la vue de ce sang qu’elle devait avoir envie de voir couler bien plus encore.
A cet instant il lui aurait été facile de profiter qu’elle tournait la tête pour se saisir de son poignet délicat, la désarmer et pourquoi pas la prendre en otage mais elle laissa les deux frère et sœur débattre de son cas sans broncher. Le télépathe ne semblait pas vouloir encore terminer son investigation mentale dans l’esprit de la Zélos blessée et elle décida de le laisser faire préférant se concentrer sur les paroles de Ninel qui avait encore tout le fiel du monde à vomir sur elle.

Igrim ne savait pas si elle redoutait plus les invectives ou le silence de son ancienne amie. Le premier ne disait que la vérité cruelle et le second tout le mépris que lui portait à présent l’éclaireuse avec laquelle elle avait mené tant de reconnaissances. En fait en cet instant seul Olorin pouvait représenter un allié. Moins impliqué que sa sœur dans les décisions qu’avait prise la Zélos, il parvenait à garder la tête froide et à analyser ses faits et gestes ou en tout cas ce qu’il en savait et en faire ressortir tout le mystère car à l’évidence, il ne parvenait pas à cerner ou à croire ce que son investigation lui révélait. De son côté, la prisonnière gardait le silence et avait retrouvé tout le calme qui lui permettait d’attendre patiemment d’avoir peut être la parole. Elle ne sut pas ce qui fit plier Niniel, les arguments de son frère ou son hésitation à exécuter sa vengeance, toujours est-il que le moment de s’expliquer arriva enfin. Elle adressa un signe de tête reconnaissant à Olorin et un sourire triste à la furie qui semblait se désintéresser du tête à tête qui débutait à quelque pas de là. La Zélos ne savait pas trop à qui adresser son discours. Le télépathe était l’inquisiteur, mais ce son côté, elle souhaitait que ses paroles atteignent son ancienne complice.

« Non, je n’ai pas pensé qu’en vous trahissant il ne vous arriverait rien, mais crois moi, j’ai maudit cet instant. J’aurais tellement souhaité qu’il me soit possible de l’éviter. J’y ai longtemps cru. Cru que j’arriverai à arrêter cette guerre et garder ton amitié. »

Elle se tourna résolument vers l’archère cherchant à croiser son regard.

« Et puis j’ai compris que Vanyar était trop investi dans ce conflit et qu’il était impossible de le faire renoncer à cette guerre qui allait prouver sa valeur à tous. Je ne pouvais pas le laisser faire. Il était encore plus dangereux que Rash Lanetae car fin stratège il n’était pas aveuglé par la folie de son suzerain. »

Elle marqua un silence mais garda la tête droite pour poursuivre.

« Alors oui, je vous ai sacrifiés pour que tout cela s’arrête. Si tu savais comme j’ai maîtrisé ma joie lorsque j’ai su que vous vous étiez échappés… Je suis sincèrement désolé pour ce qui vous est arrivé en particulier à Vanyar, mais je ne regrette rien si ce n’est d’avoir perdu ton amitié, la première depuis bien longtemps. »

Elle revint vers le télépathe assis en face d’elle.

« Oui s’il s’agissait juste de tuer Rash Lanetae… Mais c’était la guerre que je voulais tuer. «

Elle eut un petit rire désabusé en conremplant son propre orgueil d’avoir pensé pouvoir  réaliser cette mission impossible.

« Cette guerre sans idéal, juste pour la gloire des puissants qui se seront payés de la souffrance des petits qui auront eu comme moi la faiblesse de croire aux promesse dont on les a bercés. Non je ne travaille pas pour les Cimmériens qui comme vous rêvent de mettre ma tête au bout d’une pique depuis que j’ai aidé Elerinna Lanetae à fuir. Je travaille pour les pêcheurs Cimmériens pour qu’ils puissent continuer à ramener du poisson à leur famille sans crainte de voir leur village incendié. Je travaille pour les éleveurs de la toundra pour qu’ils puissent mener paître leurs bêtes sans crainte de se faire éventrer par une patrouille dont ils ignorent les couleurs et je travaille pour toute la piétaille obligée de laisser leur foyer pour satisfaire l’orgueil de leur chef sans espoir d’un monde meilleur qu’une grande prêtresse leur a fait miroiter. Alors quatre vie ne pèse pas bien lourd comparées à tout cela. »

Quatre comprenait bien évidemment sa propre personne mais elle n’avait pas envie d’insister sur le fait qu’elle avait mesuré pour elle les risques que son entreprise comportait pour elle.

« J’aurais juste voulu que vous soyez détestables  pour pouvoir vous sacrifier sans arrière-pensée. Je n’avais pas prévu d’éprouver de l’amitié  une belle archère de Canopée et d’être obligée oui de la traîter  comme une ennemie ou un pion. Mais j’ai fait mon choix et je l’assume. J’ai utilisé la guerre contre elle-même…»

Son regard allait de l’un à l’autre. Elle ne savait pas si elle s’attendait à ce que l’un ou l’autre la croie. Elle avait joué carte sur table maintenant qu’elle avait atteint contre toute attente ce qu’elle s’était fixé. Elle ne s’était pas montrée aussi sincère depuis bien longtemps, depuis une certaine mission dans Héllas en compagnie d’un général de l’armée prétorienne….
Elle se rendait compte qu’elle devait par ailleurs paraître bien orgueilleuse dans ses positions et se demandait bien ce qui pourrait susciter le pardon des Sindarins.