Abigail Valverde

- Regarde. Tu as vu ?
- Non,quoi ?
- La fille qui vient de passer ! Elle était bizarre…
- Explique-toi. Comment ça bizarre ?
- Bah, elle avait la peau bleutée comme si elle était en hypothermie.
- Moi je l'ai trouvée plutôt jolie, rajouta une autre fille. Ses cheveux de jais semblaient soyeux, j'en suis jalouse, je me demande ce qu'elle utilise pour les laver. Et puis, la couleur de ses yeux…
- Trop zarb, qui a les yeux noirs ? On dirait une morte-vivante. Tu crois que c'était quelle race ?
- Une Zélos peut-être ?
- Franchement, je la trouvais très séduisante. Si je pouvais être plus féminine comme elle, je me trouverais facilement un mari.
- C'est vrai que son nez fin et ses lèvres pulpeuses doivent faire craquer beaucoup de gars. Et puis elle avait l'air d'avoir un peu plus de notre âge.
- Je lui donne pas plus de la trentaine.
- Et t'as vu sa taille fine ? Elle met des corsets depuis son enfance ou quoi ? A moins qu'elle ne mange pas, ce qui expliquerait tout.
- Enfin, une fille mince, mignonne, qui sait se tenir et qui n'est ni trop grande ni trop petite; pour moi, c'est la femme parfaite.

Abigail est une jeune femme particulière, elle souhaite faire partie de la caste des chevaliers de l'Ordre d'Oris. Je vous le demande : avez-vous déjà vu une femme chevalier ? Non ? Moi non plus. C'est l'un des points qui me fait dire qu'elle est unique en son genre. Ensuite, comme ses confrères Zélos, elle possède un sens de la fidélité et de la loyauté à toute épreuve. La damoiselle n'a jamais laissé une de ses connaissances proches dans le besoin. De même, elle déteste qu'on salisse son honneur et tente de tout faire pour le redorer. Il lui est arrivé une fois de proposer à un client de son père un duel de calcul pour prouver à l'homme que sa famille savait compter et que c'était lui qui était en tort. Quelle idée ! Elle n'avait pas réfléchi aux autres solutions, elle avait foncé tête baissé ; mais c'est ce qui fait son charme.
Que puis-je dire de plus ? Ah oui, tout le monde dit que les Zélos sont méfiants et que l'on gagne difficilement la confiance et l'amitié de ce peuple, ce n'est pas faux mais si vous arrivez à vous lier d'amitié avec Abigail, vous pourrez toujours la déranger à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, elle vous recevra avec plaisir.
Je dois également ajouter que la jeune femme est droite, je ne dis pas qu'on ne peut pas la corrompre, surtout si vous lui offrez du chocolat (beaucoup de chocolat), mais lorsqu'elle pense que ce qu'elle fait est juste, vous n'avez plus aucune chance de lui faire changer d'avis. Elle essaye tant bien que mal de garder la paix du peuple sans combattre physiquement mais quand elle y est obligé,  elle devient une furie.
Enfin, on aura beau dire ce que l'on veut, sous ses airs froids, Abigail est une perle. Au fond, elle agit comme tout le monde. Elle n'a pas forcément de préjugés envers les autres peuples. Même si une rencontre avec un membre d'un peuple différent du sien se passe mal, si elle rencontre quelqu'un de cette dite peuplade par la suite, elle ne la prend pas en grippe et lui laisse faire ses preuves pour savoir comment elle doit la considérer.

Abigail Valverde est née il y a maintenant quarante-trois ans dans une famille de marchand. Ses parents étaient si vous me permettez l'expression « ouverts d'esprits » non pas qu'ils n'avaient pas les mêmes mœurs que leurs confrères et consœurs Zélos mais tout était moins renfermés qu'eux. Ils apprécient la compagnie des autres races, ce qui facilite les relations quand on est marchands comme eux. Revenons à nos moutons, cette famille était l'une des rares qui n'habitaient pas à Umbriel, ils préféraient la foule de la capitale : Hesperia. Quand la demoiselle naquit, il s'agissait d'une journée ensoleillée que ce soit le temps ou les affaires. Les créations vestimentaires de sa mère s'étaient vendues comme des petits pains et voilà que sa naissance couronnait le tout.

La jeune femme grandit entourée de ses proches et de quelques amis Terrans. Elle apprit à parler en écoutant ses parents discuter avec les clients, elle apprit à compter en regardant les comptes de la famille et elle apprit à faire du cheval avant même de savoir marcher. Sa famille avait beau habiter Hesperia, ils étaient surtout des marchands ambulants et allait de ville en ville pour vendre leurs articles en tout genre.

Alors qu'elle revenait du quartier commerçant de Tyrhénium, la jeune femme alors âgée de quinze ans se vit prendre en chasse par un homme suspect, elle tourna plusieurs fois, s'éloignant de l'endroit où ses parents se trouvaient afin de vérifier s'il la suivait véritablement ou non. Elle tenta désespérément de lui échapper mais il la rattrapa assez facilement et la coinça contre un mur.
- Bah alors ma jolie, pourquoi tu t'enfuies ? Viens avec tonton, je vais t'offrir quelque chose.
- Lâchez-moi ! Hurla-t-elle à plein poumon.
- Certainement pas ! Et il rajouta à voix basse : Tu vas me rapporter gros, une esclave Zélos et encore jeune ça ne court pas les rues.

Tandis que l'homme l’entraînait derrière lui, Abigail continuait de crier, c'est alors qu'un chevalier de l'Ordre d'Oris vint à son secours. Il arriva face à eux et percuta l'homme de plein fouet alors que celui-ci avait le dos tourné, regardant la gamine qui se débattait comme une furie. Le chevalier asséna par la suite un coup de la tranche de sa main dans le cou de l'agresseur qui s'évanouit directement. Le chevalier s'abaissa pour être à la hauteur de la fillette et lui demanda si elle allait bien. La jeune demoiselle acquiesça de la tête, l'homme la raccompagna jusqu'au stand de ses parents.
Lorsqu'ils rentrèrent à Hesperia, la demoiselle demanda à ce qu'on lui offre un poney. L'homme qui lui avait sauvé la vie était gravé dans sa mémoire, elle voulait devenir comme lui. Elle avait trouvé un but dans sa vie. Ses parents lui sourirent et cédèrent à sa demande ; elle apprit alors à monter seule à cheval très rapidement et se mit à faire des balades dans la forêt et dans la ville. Elle passait au galop, faisait du saut d'obstacle. Quand elle atteignit l'âge de vingt ans ses parents lui offrirent un arc et son carquois. Dès ce jour, la jeune femme passait le plus clair de son temps dans la forêt à s’entraîner. Il lui fallut plusieurs mois pour apprendre à maîtriser l'arc et quelques années afin d'ajuster ses tirs. Elle acheta à ses parents des cibles de plus en plus petites sur lesquelles elle s’entraînait.

Quand elle atteignit trente ans, elle se mit à donner des cours d'équitation à des enfants de familles nobles contre une petite rémunération. Une dizaine d'années plus tard, la somme qu'elle avait accumulée au fur et à mesure des années s'élevaient à un peu plus de dix mille dias après avoir soustrait tous ses achats. Elle avait dût acheter des médicaments, une dague, un nouvel arc et un coffre rempli de flèches. Et puis ce fut l'heure de partir, elle avait voulu partir plus d'une fois mais ses parents s'y étaient opposés. Le matin où elle partit, elle s'était assise à la table de la cuisine, son sac par terre, son carquois remplis de flèches et son arc posés sur le dossier de la chaise et son amie Neige assise sur la table, entrain de grignoter un morceau de fromage.
- Papa, maman. Je pars pour Tyrhénium ce matin que vous soyez ou non d'accord avec mon choix.
- Ma chérie, tu n'as pas idée de la difficulté du parcours que tu choisi.
- Maman, j'en ai conscience. Je sais que pour une Zélos je suis très jeune, pour vous je ne suis qu'une enfant mais j'ai quarante-trois ans. J'attendrais bientôt la cinquantaine et serait perçu comme une adulte à part entière par nos confrères. Mais cela ne veut pas dire que l'on ne doit pas me considérer comme tel avant. Vous m'avez élevée avec amour, vous m'avez appris beaucoup de chose pour que je puisse me débrouiller seule mais je ne peux pas apprendre les relations humaines en restant ici. J'ai besoin de voyager, de voir d'autres personnes. Il me faut apprendre des choses par moi-même.
- Tu as grandit plus vite que je ne l'aurais imaginé. Va Abby, prends ton envol et vas là où se trouve ton désir. Tyrhénium n'est pas si loin, tu pourras revenir quand tu voudras.
-Merci papa. Merci !

Elle prit ses affaires, fit monter Neige sur son épaule et partit à l'écurie, récupérer son nouveau compagnon de route : Mars. Elle arriva à la cité que son cœur désirait quelques jours plus tard dans la journée. Alors qu'elle était à la recherche de la base de l'Ordre d'Oris, elle entendit soudainement crier dans la rue principale devant elle. Elle remarqua rapidement ce qui se passait, un petit garçon et au dessus un lourd pot de fleur qui lui tombe dessus. Abigail demanda à Mars de partir au galop, quand elle fut assez proche, elle lâcha les rênes et tout en emprisonnant la selle de ses jambes, elle glissa sur le côté droit et attrapa l'enfant quelques secondes avant que le pot ne tombe à terre dans un fracas monstrueux. Abigail se redressa, le petit garçon devant elle et stoppa son cheval.

- C'est pas passé loin. C'est ce qui s'appelle avoir de la chance. Tu n'es pas blessé ?
L'enfant la regarda ébahi. Abigail ne savait pas trop quoi faire. Elle l'attrapa à la taille et le reposa le plus doucement possible au sol. La mère de l'enfant accourut en pleur et serra son fils contre lui, Abigail se recula quand elle la vit arriver et remonta à cheval.
En fin de journée, alors qu'elle avait mit à terre pour laisser souffler son cheval et qu'elle s'était arrêtée, un homme vint la voir.
-Excusez-moi mademoiselle, puis-je vous parler ?
Abigail tourna le regard et ouvrit grands les yeux quand elle aperçu à qui elle avait à faire, il s'agissait d'un chevalier de l'Ordre d'Oris. Mais pour en être vraiment certaine, elle lui demanda  de frapper son armure. Un symbole magique apparut, il s'agissait donc réellement d'un homme faisant parti du même groupe que celui qui l'avait sauvé une trentaine d'années auparavant.
-Vous a-t-on déjà dit que vous aviez une technique impressionnante sur un cheval ?
- Non mais je m'entraîne depuis que je suis enfant. Je n'ai qu'une envie, rejoindre l'Ordre d'Oris.
- Cela me facilite la tâche. Je suis certain de vous pourrez devenir une grande chevalière avec de l’entraînement. Je parlerais en votre faveur à l'ordre alors acceptez-vous de venir avec moi ?
- Avec grand plaisir.

Son entrée dans l'Ordre en tant qu'apprentie fut plus simple que prévu. L'homme à qui elle avait parlé ne lui avait pas menti. Elle dût montrer ses compétences à cheval, on lui demanda si elle savait se servir d'une arme, on la testa avec son arc et le tour était joué. Elle ne savait toujours pas qui était cet homme mais elle le remerciait du plus profond de son cœur. Son rêve était maintenant réalisé, elle était parmi ceux qu'elle idéalisait depuis des années.