_ Il parait que des personnes hauts-placées seraient gravement malades. _ Il parait que ça se bécotte "au bal de la Rose". _ Il parait que des créanciers en sont après un des conseillers de Ridolbar.
Sujet: Les chemins de la renaissance Sam 4 Juin - 23:50
La façade de la bâtisse s’élevait comme une géante au fond de la longue ruelle étroite. Elle ne présentait ni fissures, ni lézardes, ni écaillures, comme si, par miracle, l’édifice avait été épargné de la folie qui venait de toucher la ville et ses habitants. Cela faisait une poignée d’heures, maintenant... Et l’on avait encore l’impression de marcher en plein rêve. Il était si dur de réaliser, de comprendre ce qu’il s’était passé. Au centre de la ville, là où le colosse s’était posé, la place avait des airs de champ de bataille. La vision terrible ne laissait plus la place à l’espoir : Hesperia était tombée face au monstre, et il ne restait d’elle qu’une femme blessée, éventrée, un monde de ruines. Pendant de très nombreuses minutes, les blessés avaient erré comme des morts au sein de rues édentés, jusqu’à ce que finalement, un semblant d’ordre ne les rassemble. Mais la scène était encore dure, nul doute qu’il faudrait du temps à la ville pour se relever de ses cendres. Les gens reprendraient leurs vies, pour ceux que le colosse n’avait pas trop abîmés. Et pour les autres... De l’aide, et des prières. L’attaque n’en avait laissé aucun indemne. Le jouc du monstre avait fauché tout le monde, chacun d’une façon différente, plus intime, plus intime, plus singulière. C’est ce que le spectre blanc constata en traversant la ville et ses rues dévastées. Et dans cet infâme mécanique, chacun trouvait son rôle à jouer.
Pendant de longues minutes, Elië et Othello avait marché côte à côte dans les rues désertées, sauf par les blessés, et quelques âmes hagardes qui comme elles cherchaient des proches. L’ondine avait déjà usé de ses pouvoirs à s’en faire trembler les mains, aussi se contint-elle pendant le trajet d’apporter son aide. De toute façon, sa résolution était prise : elle resterait le temps qu’il faudrait pour aider tous ces pauvres gens. Mais chaque chose en son temps. Sur les bas-côtés, il était commun de rencontrer un cadavre, en état plus ou moins reconnaissable. Parfois, la prêtresse avait même la sensation de se promener sur un champ de bataille. La guerre de Cimméria encore toute fraîche, l’amalgame était facile à faire. Et à chaque pas qu’elles faisaient vers l’herboriste qui les attendait, au cœur même de la bataille, une pensée commençait à peser lourd sur son esprit : le devenir de ses amis. Le Marin comme le colonel avaient disparus sans laisser plus de traces, à part une traînée de cadavres et de sang. Sans plus de nouvelles. Et Elza qui s’était aussi lancé dans la bataille. Et qu’était-il arrivé à la novice qui faisait partie de sa suite, la jeune Kimera ? Elle l’avait perdue dans son miroir après l’avoir suivie du regard, l’étrange figure luminescence, les bras déployés comme pour voler autour de la foule et de Fenris qui s’agitait.
Ce ne fut que de nombreuses minutes plus tard qu’un événement providentiel n’advint, entre deux maisons à moitié écroulées... Et entre-elle, un Léogan, seul, qui n’était pas dans un état plus brillant. Bien sûr, la jeune femme n’osa reconnaître qu’elle avait légèrement modifié leur itinéraire vers le passage qu’ils avaient emprunté, suivant les corps, espérant les retrouver sur le chemin. Bien sûr, quand elle commença à constater que certaines briques, voir certains murs étaient recouverts de traces de suie, comme touchés par les éclairs, elle constata qu’elles suivaient la bonne piste. Mais elle n’osa prévenir Elië, ou le corbeau de Duscisio qui les accompagnait, de ses desseins un peu trop personnels. Et puis, quelque chose en elle tardait à se reconstruire... Une âme, un sentiment, sûrement. Comme si la sirène agissait par simple automatisme, et non plus par instinct, ou par émotion. Dés qu’elle eut le sindarin en vue, elle accourut vers lui, constata rapidement l’ampleur de son état, de ses blessures, et le soigna sans plus penser. Ils échangèrent quelques mots. Brefs. Evidemment, il voulait retrouver sa famille, s’assurer de leur état. Othello passa quelques minutes à bénir son frère, et à lui vanter sa bienveillance. Ce ne fut que quand Léogan alla mieux qu’elle osa poser la question qui lui brûler les lèvres. Volontairement, elle s’assura qu’ils ne seraient pas écouter, car elle avait compris en voyant la tuerie que le sujet serait délicat. Puis, doucement, elle lui demanda la peur au ventre ce qu’il était arrivé au grand Loup... Ce fut bref. Une poignée de mots. Mais Othello su ce qu’elle avait à faire. Sans plus de convenance, ils se laissèrent aller, le respect tacite qui les unissait les empêchant de s’épandre en retrouvailles tragiques. De plus, elle savait qu’ils se reverraient très vite, car ils avaient tous deux quelqu’un qui leur était cher, qui était dans la plus délicate des positions. C’est avec un simple peut-être, et une adresse, que l’ondine retrouva l’herboriste...
Les minutes, les heures s’étaient doucement écoulées. La cohue s’était mutée en une étrange cérémonie, et les autorités avaient repris le dessus sur le chaos de la foule. Dès qu’elle l’avait pu, Othello s’était séparée de l’albinos pour se rendre dans l’auberge indiquée, un peu revigorée de ses multiples soins, et prête à venir en aide au Llurghoyf dès qu’elle apercevrait son oeil brillant. Pendant de longues minutes de marche, elle avança dans des ruelles plus ou moins déserts, avec pour seuls repères les indications de quelques rescapés. Son pas était tremblant, mais volontaire. Pour tout dire, la jeune femme était portée par une force novatrice qui lui était différente, comme si la vie du marin en dépendait. Elle priait pour qu’il soit en vie. Du fond de son cœur, elle priait. Bien que, par moment, des images de la tuerie lui revenaient en tête, elle se refusait à y penser pour l’instant. Il n’était pas l’auteur de ces meurtres... Ou du moins, elle n’en était pas sûre. Elle se devait d’aider son ami, avant tout. Comme il l’avait fait pour elle, quitte à devenir une paria, à être accusée par la couronne de traîtrise. Rapidement, elle pénétra un quartier de la ville qui lui était totalement inconnu, et qui semblait comme par miracle épargné des attaques. Pour les bâtiments au moins... Et petit à petit, elle sentit la fatigue la suivre comme une ombre. Pourtant, elle poursuivait, se promettant de se reposer quand elle saurait Fenris en vie et sain et sauf. Elle lui devait bien cela, et tellement plus. Au bout d’une quarantaine de minutes, elle aperçut finalement la fameuse adresse.
A présent, elle s’avançait doucement vers l’auberge, son regard d’ébène regardant vaguement les alentours, creusé et lourd d’inquiétude et de fatigue, et ses doigts sibyllins crispés sur son sac pour éviter qu’ils ne tremblent trop. La vue de la porte lui arracha soudain autant de soulagement que de crainte. Qu’allait-elle découvrir de l’autre côté ? Son souffle se mit doucement à devenir plus froid, plus saccadé, alors que la jeune femme s’imaginait que le marin n’avait pas pu arriver jusque-là. Derrière ses yeux, elle pensait le géant gisant, l’œil opaque et vide, blanchâtre, ses mains rouges de sang tournées vers le ciel dans des angles cadavériques, non loin des corps éventrés qu’il avait contribué à tuer... Othello s’arrêta brusquement, se laissant tomber à terre, les mains sur son ventre. Pendant plusieurs secondes, elle essaya de maîtriser son souffle, alors qu’elle fut prise de violents hauts le cœur qui lui firent tourner la tête. La fatigue et le choc prenaient finalement le pas sur ses dernières forces. Ses mains s’agrippèrent vainement aux plis de tissus de sa robe blanche, et elle leva les yeux vers une dalle arrachée non loin, pour mieux se concentrer. Les nausées commençaient à se faire plus violentes, et la sirène finit par laisser tomber lourdement sa tête sur ses genoux. Ses petites dents saisirent sa lèvre orangée, et elle se mordit jusqu’au sang, respirant profondément jusqu’à ce que la sensation passe. Ce n’est qu’alors qu’elle remarqua que dans l’agitation, elle en avait oublié de remettre sa paire de chaussure... Enveloppée de ses cheveux comme d’une cape, traînant par terre, la robe déchirée aux coudes et aux genoux, et les pieds complètement nus... Et elle voulait faire croire être la Haute-Prêtresse de Kesha. Navrant.
Une main se posa brusquement sur son épaule. Alarmée, Othello leva brusquement les yeux, pour tomber sur un visage bourru et vieux, dont le menton était recouvert d’une forte barbe. Le fixant sans comprendre, le visage inexpressif et froid, elle n’entendit pas clairement ce qu’il lui disait. Elle remarqua alors que ses oreilles sifflaient, et que les sons lui parvenaient difficilement. Baissant le regard sur l’établissement au bout de la ruelle, elle discerna une lueur chaleureuse, provenant du cadre de la porte que l’on avait ouverte. Ce ne fut pas dur de faire le rapprochement. Quand elle regarda l’homme de nouveau, il adopta un visage plus doux, n’en dit pas plus, mais l’encercla d’un bras puissant qu’il fit passer sous ses épaules pour l’aider à se lever. La sirène contint une nouvelle fois un vertige, et se retrouva debout du bout des pieds. Sa tête s’alourdit. Elle eut envie de dormir. Mais le passant la poussa doucement à marcher avec lui pour accéder au bâtiment. Avant de passer la porte, elle regarda une dernière fois le ciel au-dessus de la cité. De grands nuages sombres avaient commencé à y prendre place, éparses et cotonneux, et il lui sembla sentir sur son bras quelques lourdes gouttes de pluie.
Il l’installa dans la salle, sans prendre le temps de lui demander ce qu’elle voulait. Il n’y avait avec elle que trois ou quatre personnes, et l’établissement ne semblait pas actif comme il l’aurait dû l’être. Très vite, on l’installa sur une chaise et on lui présenta alors une ou deux pommes coupées en morceau, et un verre de vin rouge.
« - Tenez, mangez. Ca vous requinquera un peu. » L’homme regarda le contenu de l’assiette quelques secondes, comme navré de la qualité de sa carte du soir. « J’suis bien désolé, je sais que c’est pas brillant... Mais on n’a pas grand-chose d’autre, vous voyez. » Othello secoua sa tête, les larmes lui montant presque aux yeux. Elle n’avait pas prêté attention à son ventre tordu de faim. Et, alors qu’une pluie torrentielle se mit à frapper aux carreaux, elle regarda les fruits comme un cadeau du ciel. « - Merci Monsieur, vous n’avez aucune raison de vous apitoyer. C’est déjà trop, merci. » Cependant, elle ne toucha pas à un morceau de ce qu’il lui était présenté. La priorité n’était sûrement pas le contenu de son estomac, mais bel et bien le Lupin. Son impatience s’était mutée en une ardente inquiétude, qui était elle-même devenue une peur grandissante. « Je recherche quelqu’un. Un homme très grand, blond, presque blanc. Un marin. » Elle savait qu’elle donnait des informations vagues. Mais maintenant qu’il avait commis un carnage, mieux valait ne pas s’épancher sur les détails. Qui plus est, il devait déjà le connaître, si Fenris fréquentait déjà cet établissement. « Est-il déjà ici ? »
Pendant de nombreuses secondes, elle observa son visage velu à travers la lueur des bougies qui parsemaient l’endroit, malgré que la journée ne fût pas encore finie. Elle attendit une réponse, un bref espoir qu’il lui dise qu’il était alité dans une chambre et qu’elle pourrait aller lui porter secours sur le champ. Néanmoins, elle reçut pour seul réponse un regard dans le vague, et un non de la tête. La sirène pencha la tête, décontenancée, ne sachant quoi penser, le sang battant à ses tempes. Doucement, elle avança la main et saisit un quartier de pomme qu’elle croqua sans force. Il n’était sûrement pas encore arrivé, ça ne pouvait être que cela. Les images lui revinrent brutalement en tête, et le morceau de fruit resta coincé dans sa gorge. Oui, ça ne pouvait être que ça... Elle avala. Le patron et la sirène avait l’air aussi perdu l’un que l’autre, à attendre tous deux quelqu'un, quelque chose. De toute façon, tout n’était plus que ruines, et ravages, où qu’ils soient, quoiqu’ils fassent.
Sujet: Re: Les chemins de la renaissance Mar 14 Juin - 22:14
L’assiette était à moitié vidée, et l’on distinguait maintenant une trainée rouge sur le rebord du verre de vin quand la porte s’ouvrit en grand fracas, provoquant chez l’assistance un sursaut violent. Pour la sirène, habituée aux situations brusques, seules ses oreilles présentèrent une surprise violente, se dressant comme deux gardes sur le côté de son visage de poupée, alors que ses yeux glissèrent comme des billes jusqu’au cadre de la porte. Depuis quelques minutes, l’attente l’avait plongée dans une troublante léthargie, comme si tout cela n’avait été qu’un très mauvais rêve. Aucun de ses sens n’arrivait à lui prouver un brin de réel. Ni le goût des fruits qui paraissaient insipides sur sa langue curieusement sèche, ni l’odeur moite et humide des poutres qui parsemaient la salle, ni la vue du bois de la table, dont les rainures coulaient comme des rivières sous une épaisse couche de vernie. Cependant, comme un pressentiment qui la tirait hors de son songe, elle éprouva une étrange appréhension en tournant ses yeux vers la porte, comme si elle s’apprêtait à surprendre une scène terrible. Quand enfin elle vit de façon claire la silhouette qui s’approchait, l’ondine oscilla soudain entre un profond soulagement et une étrange peine. Ou plutôt, une brûlante inquiétude, alors que ce qui semblait être Fenris tenait à peine debout, et s’écroula sur une table après que sa main ait manqué un soutient imaginaire.
Et dire qu’il n’y avait que quelques heures, ils étaient tous assis côte à côte sur un même sofa. La jeune femme serra le poing. Elle sentait presque la rigueur du cuir dans le creux de sa paume... Et l’enviait soudain plus que ce qu’elle n’osait avouer. Ses yeux regardèrent le lupin prestement, néanmoins, et, aussi surprise que le serveur à son côté, elle ne baissa jamais le regard. Elle voulait le voir, la réalité de son état, de ses blessures. C’était le premier pas de son travail, et un saut d’humeur ne l’empêcherait pas de faire son œuvre correctement. Mais néanmoins le spectacle était dur à contempler. Le marin n’avait rien de celui qui l’avait retrouvé en Cimméria, il y avait de cela quelques mois. Il n’avait même plus un aspect très... Terran. Quelque chose d’animal en lui avait prit le pas sur son corps de voyageur, et il avait l’air bien plus yorka qu’humain, à l’heure où elle le regardait. Etrangement, elle ne trouva en cette forme rien de repoussant, car c’était un mélange d’entité qu’elle connaissait bien. Son bienfaiteur et elle échangèrent alors un regard obligé, et le tenancier partit immédiatement à la rencontre de Fenris. La sirène n’avait pas bougé, sachant très bien que le moment n’était pas encore venu. Il était évident qu’il était dans un moment de trouble. Se jeter sur lui n’aurait en rien aidé.
Pourtant, le quarantenaire lui adressa discrètement un petit geste de la main, qu’elle crut pendant un instant être un fruit de son imagination. Regardant, impassible, le tavernier du coin de l’œil, il reprit son étrange code et elle comprit alors qu’il voulait qu’elle se lève et le suive. Othello s’exécuta, non sans un certain pincement au cœur qui l’entraînait bizarrement vers l’arrière, et, dans le même temps, la poussait vers l’avant. Plus elle s’approchait, plus une odeur de cuivre et de roussie s’infiltrait dans ses narines, comme si elle émanait du marin qui avait trouvé un peu de confort sur la chaise en bois qui l’avait accueillie. Sa main se crispa doucement, mais à présent, elle était décidée à lui venir en aide. Soudain, entre deux pas, elle se souvint brusquement des chaînes que le grand cyclope emmenait avec lui où qu’il aille, tel un condamné, obligé de les porter comme ses ombres maudites. Elle se souvint de leur touché rugueux, de leur poids, de l’impression glacé qu’elles avaient laissées sur le bout de ses doigts... Tout prenait sens, désormais. Si elle avait su... Jamais elle n’aurait commis ce geste, il avait dû se sentir si brusqué. Cela avait était déplacé, après tout...
A présent, elle était presque à leur hauteur, tant et si bien qu’elle entendait à bas oreilles les mots mâchés de Fenris. Sa voix avait à présent un roulement fatigué, un graille abîmé que l’on attribué aux blessés ou aux fumeurs de longues haleine, ainsi qu’une certaine inflexion trouble et malhabile. C’était comme si il avait déjà bu, lui qui demandait un verre. Pour cela, elle ne pouvait le juger, et le comprenait bien, au contraire. Bien que ses vœux ne lui imposent rien quant à l’alcool, elle n’avait jamais ressentie une attirance outre mesure pour la boisson. Cependant, et pour avoir côtoyé des soldats dans des états abominables, elle reconnaissait à la liqueur des vertus thérapeutiques surprenantes, et surtout un aspect rassurant inégalé, sauf pour la main d’une amante que beaucoup avait laissé derrière eux. Etrange... Aussi, elle observa le tavernier des yeux, s’attendant à ce qu’il s’empresse d’aller lui chercher sa meilleure gniôle pour lui remplir un revigorant fond de verre... Et pourtant, il n’en fit rien. Au contraire, son bras agrippa gentiment le sien pour la pousser un peu plus près d’eux, et elle l’entendit l’introduire d’une façon plus ou moins habile. Il était vrai qu’elle ne s’était pas présentée...
Etait-ce une façon de se déchargé, ou alors par simple politesse ? Elle le regarda dans les yeux et comprit qu’il était empli de nobles intentions. D’un geste de tête, elle le remercia, et il partit vers le bar, sa supposition était qu’il allait lui chercher le remontant tant désiré. Othello fut alors pour la première fois face à lui, et fut prise de court par son apparence troublante qu’elle décoda lentement, le regardant doucement. Son corps portait tant de stigmates des dernières heures qu’il lui fallut quelques instants pour discerner les vrais heurts des effets de sa transformation. Sa tête semblait peser des tonnes sur ses épaules larges, qui présentaient nettement des traces de brûlures qui mâchaient allègrement des tatouages marins. Hmpf, Léogan et ses éclairs... Il n’avait pas dû y aller de mains mortes. Elle se remémora alors Fenris sous son autre forme – originelle ou non, elle ne savait pas très bien – et les carnages qu’il avait fait dans les boyaux de la ville... Finalement, c’était peut-être justifié. Méthodiquement, elle l’observa un peu plus. Ses avant-bras étaient plus volumineux qu’à l’accoutumés, et il lui sembla qu’il avait une pilosité abondante, même pour un marin. Et sur son visage... Son museau, ou son nez étaient encore entremêlés en un étrange résultat, et son œil – l’autre étant découvert – luisait d’une lueur animal qu’elle n’avait encore jamais vu.
La jeune femme fut décontenancée par l’image qu’il renvoyait, mais ce ne fut qu’alors qu’elle constata son état remarquable de lucidité, et ce simple éclair lui apporta un profond soulagement. Une autre pensée la surprise : c’était la première fois qu’elle le surprenait torse nu. D’un aller-retour des yeux, elle constata que son pantalon paraissait très petit, et lui serra les mollets et les cuisses. D’où qu’ils viennent, les vêtements qu’il portait n’étaient pas les siens. L’ombre d’un instant, elle s’imagina retracer ses faits et gestes, mais trouva ça bien inutile face à la faiblesse de son ami. Elle s’avança doucement, ne sachant par où commencer, commençant à l’ausculter méthodiquement du regard quand soudain... Sa tête retombant lourdement contre sa poitrine. Il eut l’air défait dès qu’il l’eut vu avec surprise, mais aussi... Une pointe de déception ? La jeune femme en resta sans voix, le regardant sans comprendre alors qu’il regardait ses pieds. Il ne souhaitait pas la voir ? Othello rouvrit sa main, ne sachant ni où se mettre, ni que dire, ni quoi penser de son attitude. Elle repassa le fil des évènements pour savoir où elle lui avait manqué de respect, si elle avait eu un geste déplacé... Peut-être avait-elle était trop présente, ou même avait-elle mépris le lien qu’il y avait entre eux. Ou peut-être avait-il seulement autre chose en elle que de la materner comme une enfant... Brusquement, la jeune femme devint impassible, aussi sourde et absente que la glace, dont il lui sembla qu’elle était issue.
Si elle cherchait des mots, alors elle n’en trouvait aucun. Que faire ? Elle avait la sensation d’être repoussée, bien qu’il n’en fût certainement rien. Cela pouvait se comprendre. Ce lieu était sûrement un de ses pied-à-terre, et il ne devait il y avoir que des amis autour de lui. Le marin voulait sûrement les retrouver sans avoir à supporter sa présence. Elle l’avait remarqué lors de leur voyage avec le colonel sylvestre : il était de ces hommes spontanés et joviaux qui semblent pouvoir se lier d’amitié avec la terre entière. Peut-être voulait-elle retrouver cette intimité qu’il devait trouver en ces lieux. Et si c’était pour son inutilité ? Dans une longue et inexorable chute, ses yeux sombres retrouvèrent ceux du Llurghoyf sur le sol. Ses cheveux légèrement moites de la pluie du dehors dégageaient une sourde odeur de sel qui se mêla à l’odeur de cendre qui tapissait la peau du marin, dans un mélange étrange. Sa tête semblait si lourde... On aurait dit que le marin, les cheveux en bataille, l’œil trouble, avait le mal de mer, et qu’il n’avait pas quitté le bateau tant il tanguait. Othello était résolu. Qu’importe qu’il ne veuille pas la voir, qu’il avait d’autre chose à faire, qu’elle ne méritait plus son regard. Elle s’était promis de lui venir en aide... De repayer sa dette. Et, en son âme et consciente, elle ne pouvait se permettre de le laisser dans cet état, l’ombre de celui qui avait pousser les portes de sa petite boutique pour lui venir en aide, également.
Elle ne commit aucun geste, ne bougea à peine, pour ne pas le brusquer d’avantage. Sa tension s’évanouit avec la froideur qui enveloppait son visage, et elle se présenta plus douce, plus sereine. Qu’importe sa réaction, sa déception. Elle le soignerait. « Fenris, vous... » Elle se ravisa immédiatement. Ce visage baissé... Non, elle ne savait pas comment le prendre. « Je suis là uniquement pour vous venir en aide. Si vous ne souhaitez pas de ma présence, je m’en irai sur le champ. Mais laissez-moi seulement vous soigner. » Othello releva brusquement le regard, lui faisant pour la première fois face, forte d’un mélange d’a prompt qui ne lui ressemblait pas, et d’une tendre bienveillance.
Elle le fixa pendant quelques secondes, les mains prêtes à le retenir si il partait en arrière – et confiante de cela, malgré sa carrure menue et ses bras tremblants. « Je suis heureuse de vous retrouver vivant » pensa-t-elle à faible voix, certaine qu’il n’entendrait rien, que ce fut dans son esprit ou dans sa faible voix. Mais elle espérait sincèrement qu’il accepte ce compromit, ne serait-ce que pour qu’il puisse enfin être remis sur pied.
Sujet: Re: Les chemins de la renaissance Dim 19 Juin - 14:05
Entre une poignée de mèches en bataille, après un effort subtil pour dénicher, entre deux cheveux de pailles, une lueur, Othello distingua soudain un éclair violet venant de son œil unique. Cela lui arracha un soupir rassurant, autant qu’un haut-le-cœur compatissant pour le marin. Bien que son regard fût tourné dans sa direction, il semblait vague, et terriblement distant. Elle s’imagina alors que Fenris était là, mais que son esprit était loin, très loin au fond de son âme, dans un monde qui n’appartenait qu’à lui, et qui devait être en ruine. La jeune femme redoutait cette pensée : il était comme la ville, un être écorché vif qui se noie dans ses remords, dans ses plaies, dans sa douleur qui ne semblait pouvoir être soignée qu’avec le temps, qu’avec des déambulations troublées et sans but. Jusqu’à ce qu’il se retrouve. Sa voix, néanmoins, sembla curieusement présente quand il s’enquit du sort de ses amis – ce qu’elle trouva logique, normale même, mais étrangement déplacé dans le contexte qui était le leur. C’est alors qu’elle commença à dévisager la chaise qui se trouvait devant elle, sur le côté de la table, à la gauche du loup. D’une main hésitante, elle toucha le bois du bout des doigts, n’osant encore la tirer vers elle. Bien qu’il eut fait un pas, elle ne voulait l’exaspérer plus. Le contact rugueux et brut laissa sur ses pulpes une sensation de chaleur inexpliquée qui la réveilla soudain. Finalement, elle se contenta d’hocher la tête sans grand enthousiasme. Inutile de venter la bonne fortune de tous : elle ignorait encore le sort de tant de monde, et cela était si injuste de s’attarder sur la santé des chanceux.
« - Léogan va bien. » Dit-elle simplement, ses mots se voulant apaisant. Elle ne dévoila rien de son état, sachant avancer sur une corde sensible particulièrement glissante. Il était inutile de l’accabler pour rien. Sa peau d’ivoire refléta la brusque lumière d’un éclair au dehors, qui fit chatoyer sa crinière de lune comme le fond d’une rivière limpide. Elle pinça imperceptiblement ses lèvres : le destin pouvait avoir un sens du dramatique douteux. Ses yeux se perdirent alors sur les carreaux troubles des vitres. « Je l’ai retrouvé peu après la fin de... » Les mots s’affaissèrent comme les plaques boueuses qui recouvrent les flancs de montagne et qui s’écroule au moindre orage. Othello resta impassible. Elle ne savait absolument pas quoi dire... Comment décrire ce qu’il s’était passé ? « ... De la créature. Il est sur pied, et a pu retrouver sa famille. Ils vont également bien, Ilyan m’a beaucoup aidé. » Ses mots n’étaient pas tout à fait sincère : quand elle avait quitté la demeure, seul Ilyan et son enfant était encore sur place, Elza était encore dans les rues pour aider les passants déroutés. Une intuition lui disait néanmoins qu’elle était en sécurité.
Les souvenirs de ce moment lui revinrent comme une lame qui perforait son cœur. Depuis l’incident, elle n’avait pas encore repensé à ce qu’il s’était passé, aux spectres qui avaient marchés parmi les vivants pendant un instant qui lui parut un an. Son esprit s’embruma, coula comme une pierre. Les visages d’outre-tombe, les ombres, les yeux vides et les cheveux blancs, les oreilles épineuses semblables aux siennes, la lame... Ses tripes se serrèrent, ses boyaux éructèrent un vague douloureuse qui secoua tout son ventre d’un spasme désagréable. Face à cette marée obscure, elle referma la boîte de tous ses souvenirs. Il y aurait un temps pour cela, comme un moment pour savoir ce qu’elle devait faire, ce qu’elle voulait, une fois que le lupin irait mieux. Pendant une petite seconde, un papillon de ses pensées s’envola vers la cimméria, vers ses deux félins, laissés entre de bonnes mains. Il lui faudra trouver un moyen de les rapatrier au plus vite – l’administration et les questions de logistique lui passaient au travers de la gorge. Elle voulait simplement les revoir.
Sa surprise la déstabilisa aux premiers abords, si bien qu’elle ouvrit la bouche pour ne rien dire, le fixant sans vraiment comprendre. Bien sûr qu’elle souhaitait le soigner, elle trouvait cela normale. Après tout, ils avaient tous subît leur corps, leur nature pendant cette attaque, et Fenris tout comme eux. Othello avait bénéficiée d’une main tendue. Pourquoi lui ne méritait-il pas la même chose ? Pour la monstruosité de ses actes ? Interdite, elle ne souhaitait pas encore s’aventurer sur ce terrain. C’était encore trop chaud, trop soudain pour qu’elle défit sa bonne volonté avec un quiproquo moral qui ne leurs ferait aucun bien. Une chose était sûre, il n’avait pas été lui-même, et c’était une raison suffisante pour elle de vouloir agir à son profit. Maladroitement, sa main s’enroula sur le dossier de bois et elle tira la chaise à elle, silencieuse, mais déterminée à lui prouver qu’elle ne lui voulait aucun mal. A présent plus proche, l’odeur qu’il véhiculait devint sourde à ses narines, et elle y reconnu du sang, de la chair, de la sueur, de la cendre. Mais elle ne broncha pas, inaccessible ondine, qui tournoyait dans les abysses pour repêcher le marin se noyant. Son visage trahissait sa faiblesse : elle crut un instant qu’il avait le vertige.
Quand il évoqua la créature, elle acquiesça simplement. Il n’avait effectivement plus aucun soucis à se faire, mais il devait sûrement le sentir en son for intérieur. Elle le ressentait aussi, ce vide, ce calme, cette impression de n’avoir plus aucune pression qui poussait les écailles sous sa peau, les nageoires à ses pieds. Plus d’entraves ni de chaînes qui la liait à ce corps handicapant. Elle l’observa du coin de l’œil bouger ses doigts sur sa peau, s’aventurer à parcourir ses bras, et s’en voulut immédiatement de ne pas le retenir. D’un autre regard, elle chercha le serveur, souhaitant le presser à accomplir sa besogne sans pour autant le formuler. C’est un craquement sépulcral qui l’attira à lui de nouveau. Une image violente de l’entrée des Jézékaël lui revint brutalement, et elle revit distinctement Léo traîner Fenris par la taille, lui qui se tordait dans des courbes impossibles alors que ses os semblaient se briser un à un. Son cœur s’arrêta un fragment de seconde, où, dans un sursaut, elle se retourna brusquement. Il était de nouveau lui-même, le marin qu’elle avait rencontré au port. C’est avec honte qu’elle regarda doucement la table, pensive. Pendant un instant, c’est la bête qu’elle avait redouté de voir... Dans un appui mesuré, il respira de nouveau, soufflant un air trop chaud qui parcourut la nuque de la jeune femme comme un parfum enveloppant, porteur tant d’apaisement que de peur. Doucement, elle le vit parler, et comprit alors qu’il se ronger les sangs. Touchée, elle l’écouta, petite, insignifiante, une poupée de porcelaine posée à côté d’un géant d’argile, aux bras abîmés, fissurés, à la tête pendante. Toute cette inquiétude, cette culpabilité. C’était honorable qu’il se sente ainsi, et rassurant à petite mesure. Si cela avait été l’inverse, elle se serait sûrement levée pour partir. Mais la précaution qu’il avait à son égard l’assit plus sûrement sur sa chaise, et elle s’avança un peu plus en avant, penchant le visage pour retrouver son regard, son oeil apparemment flou. Circulant entre ses mèches, elle constata l’humeur troublé, et ses pupilles si dilatées qu’elle aurait pu plonger dedans.
« - Vous savez, d’autres n’ont sûrement pas eu à affronter Léogan au détour d’une ruelle. J’ai vu ses éclairs à l’œuvre, il sait s’y prendre quand il est énervé. » Bon, il était vrai que le colonel n’avait pas été au sommet de sa forme. Mais la marque de ses chaînes électriques parcourait encore la peau du marin, tant et si bien qu’elle se demanda ce que cela aurait donné si il avait été en pleine possession de ses moyens. Elle posa ses bras sur la table, laissant une partie de ses cheveux se poser avec eux, essuyant les gerbes de l’orage avec courage. « Et ne soyez pas inquiet, je ne suis pas obligée... » Une mission sainte... L’ombre d’un instant, elle se demanda quelle valeur ecclésiastique prendraient ses actes, elle qui manquait déjà à toutes les convenances. Certainement pas pieux aux yeux des dévots. Alors l’idée qu’elle menait une croisade personnelle lui parût aussi vaporeuse que celle d’agir avec obligation. La sirène sentit son visage lourd hésiter à plonger entre ses coudes, mais elle se retint.
Finalement, le yorka revint de son périple avec la fameuse liqueur qu’il posa avec une étonnante douceur sur la table, et la demoiselle poussa le récipient dans la direction du blessé avec les mêmes précautions. L’ombre d’un instant, elle se perdit dans le liquide ambré, qui promettait une douce chaleur, et un faux apaisement. L’envie d’y porter les lèvres était alléchante, et elle hésita à en demander un, à son tour. Mais c’était une mauvaise idée. La fatigue la hantait déjà comme une ombre néfaste, une vieille harpie qui attendait la première faille pour l’enrouler de ses bras faméliques et l’attirer vers un sommeil lourd. Elle échangea un regard avec le lupin. La même sorcière le guettait, mais il n’avait pas à lui résister. La jeune femme expira un souffle glacé qui enveloppa le verre de liqueur, l’entourant d’une agréable couche de givre. Sans être une grande connaisseuse, elle savait que les hommes appréciaient leurs alcools frais.
« - Vous méritez de l’aide autant que les autres, Fenris. » Lui dit-elle à demi-mot, ses yeux bruns regardant doucement vers le verre, sa tête curieusement penchée, reposant entre deux airs faute d’épaule pour l’accueillir. « Le temps des questions viendra, comme celui des regrets. Mais vous n’êtes pas dans l’état de vous impliquer ni dans l’un, ni dans l’autre. » Elle regarda consciencieusement autour d’elle, avant de poursuivre à voix plus basse : « Je n’ai pas peur de vous, j’ai confiance. » Cela était vrai, elle ne craignait pas pour sa vie, ou du moins tant qu’aucun autre colosse faiseur de calamité n’était à proximité. Il n’y avait aucune rancœur, aucune peur ni dans sa voix ni dans son corps tourné vers lui. Pour ce qui est de l’avis qu’elle avait sur la bête, elle songea alors qu’il n’était pas pertinent d’y penser... Voir même de s’en faire un. Et finalement, avec un ton un peu plus ferme, elle lui dit calmement, le regard vers le verre. « Buvez, cela vous fera sûrement du bien... » Elle regarda son épaule, pensive, priant que sa magie tienne le coup pour tout guérir... Sinon, il faudrait user d’autres techniques, plus douloureuses que les blessures elles-mêmes, et la prêtresse redoutait cela plus que le marin lui-même.
Sujet: Re: Les chemins de la renaissance Dim 24 Juil - 22:16
« Léo n’a rien fait ». Ses paroles sonnaient dans sa tête comme résonne une cloche depuis plusieurs secondes. Frappé par ses mots durs, par la force de son ton et son assurance, sûrement brutal, Othello avait mécaniquement regardé ailleurs, plutôt la table, pour échapper à son regard faible mais juge. De sirène, elle se sentit souris, attrapé le museau dans le fromage, prête à être jetée dehors, ou pire. Etouffée dans un piège par une arrête métallique, abattue si fort que sa fragile nuque n’y aurait pas survécu. Evidemment que Léogan avait pris la bonne décision. Evidemment qu’il avait mis sa vie en danger pour lui, pour eux, pour tous. Et qui était-elle pour juger, elle qui n’avait rien vu, rien vécu, rien comprit ? Jamais elle n’avait pensé par son commentaire dévaluer son acte héroïque, et le faire passer pour le méchant. La demoiselle se sentit pris à parti pour des raisons idiotes, et cette sensation âpre d’être la méchante lui fit monter la bile au fond de la gorge. C’était sûrement un jeu de la fatigue, rien de plus... Mais son ventre se creusa de l’amertume qui coulait dans sa gorge, et elle ne parvint pas à se débarrasser de cette affreuse sensation de culpabilité.
Alors que le marin sembla s’évaporer avec le verre de liqueur, la jeune femme plongea un peu plus dans des abysses inaccessibles qui n’appartenaient qu’à elle. Sûrement entre deux gouttes de l’alcool brûlant, où elle se prit à nager dans un rêve éthylique, se noyant avec ivresse dans les vagues d’hydromel. Quelque chose devait être dite, faite, un geste, un murmure. Les bonnes paroles, les bons actes afin de tirer le loup de sa sourde introspection. Rien ne pourrait l’aider à comprendre ce qu’il se passait sous ces mèches de blés, ces tristes pommettes enflées et légèrement bleuâtre qui suintaient encore les traces de coups. Et elle n’aurait jamais l’arrogance de seulement prétendre pouvoir le comprendre. La pensée vint caresser sa peau avec une douce tristesse, qui s’envola de nouveau dans ses volutes aqueuses du tourbillon de son esprit. Alors qu’elle vit le loup s’assombrir, elle comprit peu à peu l’intensité de son malaise, de sa peine, et de sa colère. Dans un élan retenu, elle eut envie de se lever et de partir, pour ne plus avoir à lui lancer à la figure ses vieilles utopies idiotes, le laisser à la réalité dure et froide, pour lui, comme pour tous. Othello était une femme étrange, jamais tout à fait saisissable, ni tout à fait compréhensible par le commun de son monde. Mue par une volonté sourde de voir le monde tout en blanc, une forme de faiblesse maladive que certains prenaient pour une forme d’espérance, mais qui ressemblait bien plus à une perpétuelle lutte contre les souillures de ce monde – doublé d’un aveuglement pathologique qui l’avait poussé dans les bras des dévots. Fenris n’avait rien de cette naïveté, rien de cette surdité. Et il avait la franchise de le lui dire, en face, clairement, dans les dents et sans passer par une pléiades de chemins, pour lui démontrer par A plus B que non, le monde n’était pas fait de gens biens, qui, de temps en temps, font quelque chose de méchant. Ce serait un long processus de réalisation, mais Fenris pourrait bien être celui qui lui ouvrirait les yeux, et cela, elle commençait simplement à le comprendre. Comme une coquille se fissure au gré des vagues, elle comprit que quelque part, son attitude n’avait pas lieu d’être.
Cependant, elle n’haussa pas un cil blanc. Et quand il s’adressa à elle avec plus de gravité encore, elle ne broncha pas. Elle commençait à digérer la pilule, doucement, à apprécier ses actes pour ce qu’ils étaient, à reconnaître que ce n’était pas les liens qui les unissaient qui devait changer la valeur de ses prochains, la gravité de leurs blessures. Et elle n’essayait en aucun cas de les renier. Fenris la regardait avec une gravité fiévreuse, et répéta ses paroles – qui avait des airs de menace. Mais la jeune femme ne bougea pas, ne reniant pas sa peur, mais l’acceptant pleinement. Urösh revint comme une ombre, ce qui fait qu’elle ne distingua sa présence que quand il fut parti, et qu’elle trouva sous ses yeux le récipient rempli de l’élégante liqueur. Si ça n’avait pas été par l’odeur, on aurait juré de l’eau. Prenant sur elle, elle leva la main jusqu’au verre et le fit jouer entre ses doigts. Certains auraient crié au scandale, tant un alcool chaud pouvait être un sacrilège. Cependant, l’hybride pouvait se targuer d’être un modèle d’hypothermie, et puis, par des temps aussi sombres, il y avait bien pire que cela. Elle regarda le loup une dernière fois. Les gens cherchaient sûrement de l’aide dehors... Mais elle ne broncha pas. Et si elle prenait peu à peu conscience de tous les risques, personne ne l’a vit se lever et rejoindre la porte. Même si il avait tué, et même si il y avait encore un risque, personne ne mérite de rester seul et vulnérable. Mais ça, elle serait bien incapable de lui dire. De même, après son apparente culpabilité, elle n’était pas sûre que ce fut une bonne chose. Du coin de l’œil, elle le vit porter le verre à ses lèvres violettes. Elle n’était pas certaine de la pertinence médicale de son geste, mais elle n’était personne pour le retenir. Elle soupira, vaporisant sur le verre une couche de givre qui s’écailla comme la coquille d’un œuf. Léogan aurait été bien plus doué qu’elle pour le remettre sur pied, peut-être pas physiquement, mais au moins, il lui aurait redonné un peu de baume au cœur. Quand il eut déposé son fond de verre sur la table, le bruit sonnant la poussa à lever à son tour son verre. D’un œil vitreux, elle regarda le renard, cherchant tant son accord que ses conseils, tant elle n’était qu’une bleue dans l’exercice. Finalement, après une profonde hésitation, elle en avala une grande lampée dont elle suivit la coulée jusque dans son estomac.
Ce ne fut pas la brûlure qui la surprit le plus, mais bien le goût sucré de cet alcool qui lui chatouillé la langue. Quand elle rouvrit ses yeux, ils étaient pleins de larmes, et elle reposa brutalement la récipient sur la table en toussant nerveusement. « Grand Dieux !... » Laissa-t-elle échapper dans sa quinte, et cela lui valut les regards en coins et les ricanements de quelques autres convives. Ce que c’était fort. La sirène ne se rappela pas avoir goûté un hydromel aussi puissant de sa petite vie. Longue journée ? Ah ça. Elle leva les yeux vers lui. Il n’était pas le dernier à plaindre, et ces mots sonnaient jaunes venant de sa voix fatigué. Mais c’était bien vrai, que la journée avait était éprouvante.
« - Je ne vous le fait pas dire... » Dit-elle, hésitant à ressentir une nouvelle fois la morsure de l’alcool. La nuée de souvenirs lui occupa quelques secondes l’esprit. Et soudain, comme par réflexe, l’image des spectres se présenta à elle comme un cauchemar qui revient vous hanter. Regardant Fenris, son œil troublé, elle se demanda alors si il les avait vus, lui aussi, ou si cela n’avait pas été qu’un pur produit de son imagination, ou sils n’étaient pas issus de la magie du miroir. En battant des yeux, une larme translucide coula sur sa joue. Cet énigmatique apparition était peut-être lié à la présence du colosse, et elle eut envie de demander au marin son opinion. Cependant, l’instant était très mal choisi pour évoquer les évènements de la journée. Doucement, elle s’autorisa une petite gorgée du sulfureux liquide. Pour le reste, il avait amplement raison. « - Je ferais comme vous dites... Pour l’instant. Quand j’aurais recouvré quelques forces, je pourrais les refermer. Sentez-vous des plaies plus profondes, d’autres blessures ? » Dans l’état où il était, elle n’osa pas lui demander de l’examiner – et il ne se serait certainement pas laissé faire. Aussi n’insista-elle pas. Elle voulut aussi lui demander quand il avait mangé pour la dernière fois. Mais l’idée de lui rappeler amèrement la réponse ne lui plaisait guère. « - Vous devriez manger quelque chose, peut-être. » Dit-elle poliment. « Je vous rafistolerai quand vous aurez finis. » Cela lui ferait aussi du bien de se reposer quelques secondes, même en restant assise sur une chaise. « Et dire qu'il fallait que je rencontre le roi... Ça va devoir attendre. » Tout devra attendre. Mais elle était prête à prendre le temps. L’alcool avait jeté sur son esprit un poids étrange dont elle distinguait à peine la masse. Mais qu’importe, il y avait bien pire.
La pluie battante qui frappait aux carreaux se calma, et elle plongea une nouvelle fois dans son verre de liqueur. L’heure était à l’avancement, et plus au passé. Elle laissa les secondes s'effiler, s'envoler doucement « Je... Crois que je vais trouver une maison ici. Pas une auberge ou une chambre, un logement d’où je pourrais être utile, pour participer aux secours. » Las, elle laissa ses doigts couler sur la table, danser comme deux cygnes jusqu’à son verre, qu’elle finit en quelques douloureuses gorgées qui lui firent perler plus de larmes encore autour de ses deux yeux noires. C’était une idée folle, certes. Mais ses mots avaient dépassés ses pensées, anticipés, même, ce qu’il fait qu’elle s’interrogea même su la viabilité de ce projet insensé. Comme pour chercher son aval, et pour oublier la sensation étrange d’engourdissement qui s’emparait de ses lèvres, elle observa le marin, espérant le voir un peu mieux, en cherchant un peu de force éclairait de nouveau son regard.
Sujet: Re: Les chemins de la renaissance Sam 27 Aoû - 19:45
Dans une brève étincelle, on alluma une bougie dans un coin de la pièce. Dans une bouffée d’air, les petites narines d’albâtre avalèrent d’une traite l’odeur sourde de fumée et de cire. Puis, dans une fine pirouette d’esprit, Othello, comme son joli nez, retrouva sa place dans la conversation qu’ils commençaient à renouer. Elle avait remarqué que, comme la mèche incandescente, l’atmosphère semblait se réchauffer un peu. Le grand renard blond recouvra un peu de sa conversation, et d’une lueur plus éclairée dans son œil unique, qui reprit quelques couleurs. Une petite plaie, donc. Dans un regard plus ou moins concentré, elle l’observa fouiller entre ses mèches docilement, attendant son propre diagnostique. Les années passant, elle avait vu de nombreux collègues se méprendre sur la capacité des patients à s’auto-diagnostiquer. Ils étaient pour beaucoup tout à fait capables de comprendre leurs symptômes. Voir même mettre des noms sur leur maladie. C’était sûrement un outrage que de ne pas savoir les écouter correctement. Pour le marin, qui avait de nombreuses années derrière lui et sûrement vu bien pire, son expertise n’était certainement pas à dévaluer, et elle imaginait bien qu’il devait être bien plus maître qu’elle sur ce domaine. Aussi haussa-t-elle doucement le visage quand il lui expliqua ce qu’il ressentait. Elle le regarda alors, un œil un peu plus critique se penchant sur ses cheveux par endroit incarnats. Nul doute qu’il devrait se méfier des vertiges... Avec un coup pareil, son oreille interne avait dû en prendre un coup. C’était déjà surprenant qu’il ait pu se déplacer jusqu’à l’auberge sans s’évanouir dans la rue. Avec un respect tacite, elle salua sa résistance, et répondit à sa prochaine phrase par un sourire poli, sentant poindre un réflexe cavalier qu’elle lui avait remarqué.
Conservant par réflexe mécanique ce sourire quelques minutes, elle sentit peu à peu une présence penaude et malveillante s’installer dans un coin de sa tête, et commençant à faire peser sur ses pensées un trouble léger. Plissant les yeux pendant que Fenris parlait, elle pinça doucement ses lèvres qui commençaient à s’engourdir légèrement. Essayant de retrouver son sourire, mais sans succès, elle tendit l’oreille au son du verre sur le bois. Ceux qui ont changé de forme... C’était tout justifié, comme question. Et, même si elle était surprise par la rapidité de son questionnement, elle fit rapidement le lien entre sa mention du pouvoir en place, et ses craintes. Le lupin avait tout à fait raison de se poser la question. La sirène en plongea dans une profonde introspection, quelque part entre le verre du marin et le sien. Une de ses mèches blanche tomba sur son front. Son extrémité se détacha du peloton pour tomber mollement sur la table. Il lui fallait se creuser l’esprit, entre fatigue et prémisse de l’ivresse, mais elle était sûre d’avoir entendue quelque chose à ce propos. C’était avec Elïe... Non, un peu plus tard. Elle allait arriver à l’herboristerie, et venait de quitter la belle rousse. Deux garde, l’un très grand et l’autre tout petit, venaient de s’effondrer – c’était le mot juste – sur la petite place. Ils avaient tous les deux l’air très hagard, et complètement perdus. Le plus petit avait des joues rougies par l’effort : il sortait d’une course effrénée que n’avait pas subit le grand benêt qui le suivait, tout chose. La naïade ne fit que passer lentement devant eux, mais ses oreilles d’ondin en saisirent suffisamment pour être troublée. Maintenant que les choses allaient mieux, elle se demanda pourquoi elle n’y avait pas pensé avant. Cela aurait sûrement soulagé le loup bien plus que tout autre veine tentative de réconfort.
« - Je ne suis pas sûr mais... Le roi a apparemment préparé des mesures à la hâte. Rien n’est encore confirmé, cependant. Mais il semblerait qu’il veuille grâci... Pardonner à ceux qui auraient commis des crimes à cause du colosse, contre services rendus à la couronne. » Ses mots tombèrent comme des gouttes de pluie sur leur conversation. Mais comme pour éviter de donner à tort et à travers des faux espoirs, alors qu’elle n’était elle-même pas sûre de ses souvenirs, elle s’empressa de rajouter : « Cela reste à confirmer, bien sûr. » Inopinément, elle retrouva son sourire énigmatique, comme pour célébrer la bonne nouvelle, essayant de gratter une des couches de malaise qui pesait sur leur table. Cela tombait sous le coup de la logique et elle revoyait très bien le petit joufflu le dire au grand cadet entre deux inspirations. Bien que le roi se fasse célèbre pour s’essayer à de nouvelles politiques, ce décret tombait plutôt bien, si la mémoire de la dévote était bonne. Il était assez évident que le colosse avait eut l’effet d’un inhibiteur, et ceux pour tout le monde. Llurghoyfs, comme yorkas, comme terrans. Chacun s’était vu affecté à contre cœur et même si la jeune femme ne disposa pas des connaissances adéquats sur le psychisme des races, elle savait que cela pouvait foncièrement influencer l’attitude d’une personne. Pour les yorkas, tout dépendait bien sûr des individus. Chacun était plus ou moins sous le contrôle de son instinct, et la présence animale se faisait sentir à différentes échelles. Pour certains, c’était constant. Pour d’autres, c’était à peine visible. Mais une fois passé sous sa deuxième forme, il s’agissait presque d’une omniprésence de la bête qui définissait une toute nouvelle forme de réaction, et donc de comportement. Si Othello n’avait abandonné cette forme, elle aurait elle aussi cédée à la bête en elle. D’après ses études, les llurghoyfs obéissaient à la même logique, cependant d’une toute autre façon. Mais elle secoua la tête, et poussa ce débat interne d’un geste de la main. Elle se sentait plus légère, et trop embrumée pour penser à des choses pareilles. Alors qu’elle pensait, on déposa sur la table deux assiettes pleines, deux petits verres à ballon et une carafe dont elle ne regarda pas le contenu. Cependant, les vapeurs qui s’élevaient de son assiette chaude retinrent son attention. Devant ses yeux, patates, oignons et quelques lardons flottaient dans un gruau limpide. La soupe était claire et sentait fortement. On lui avait donné une cuillère en bois qu’elle trempa dans le liquide, attrapant au passage un bout de chou. Ce n’était guère appétissant, et pourtant ça lui donnait très envie.
Elle remplit sa cuillère d’un juste mélange de bouillon et de pomme de terre, et souffla doucement dessus pendant que Fenris prenait la parole. Elle acquiesça. Après tout, elle ne connaissait qu’une poignée de monde à la capitale, et ce ne serait sûrement pas facile de trouver un endroit où vivre dans un climat pareil. Toute aide serait la bienvenue. Fenris semblait serein, un peu plus ouvert et bavard. Othello se demanda brièvement s’il connaissait Hesperia, et à quel point. C’était évident. Cependant, il devait connaître la mer plus que la terre, tout comme elle se repérait plus agréablement dans les fonds marins que sur les chemins poussiéreux. Une nouvelle vape de feu et de suie emplit ses narines avec gourmandises. Ses petites mains pâles battaient une mesure imaginaire. Son esprit était curieusement aérien, et elle savourait déjà la soupe à l’oignon des yeux, heureuse de pouvoir reprendre quelque force. Quand elle estima que ce fut suffisamment froid, elle ouvrit la bouche et... Manqua de s’étouffer avec la soupe brûlante, qui ne fit qu’un tour jusqu’à son nez, l’autre partie du liquide manquant de peu de couler dans son larynx pour aller nourrir ses poumons, alors que ses oreilles se dressèrent de surprise. Dans un bruit sec, elle reposa la cuillère sur la table, regardant le marin dans l’œil en y cherchant ses intentions. Elle n’y distinguait rien de fixe, que des sentiments allants et venants, semi-rieurs, semi-sage, semi-sérieux... Impossible de savoir quelles motivations l’animaient... Mais... Etait-ce une sensation ou sa vue était moins bonne ? Il lui sembla que le fond de la salle devenait flou, et qu’elle devait fournir un plus gros effort pour voir les détails des choses et des gens. Mais là n’était pas la question. Comment avait-il su ? Othello se ravisa immédiatement, sentant poindre le rouge sur ses joues diaphanes, et tentant de le maîtriser sagement. Elle qui pensait que c’était le secret le mieux garder de la création... Ou du moins, faisait-elle son possible pour empêcher qu’il ne s’ébruite. Ce serait le comble qu’elle découvre soudain que tout le monde savait les sentiments cavaliers de Duscisio Balibe envers elle, alors qu’elle pensait être la seule. Docilement, elle prit une deuxième cuillerée de potage qu’elle mâcha très lentement, scrutant Fenris d’un air sérieux, qui devait être assez amusant à regarder. Ses yeux étaient plissés pour mieux voir, et elle avait, en mâchant, une curieuse façon de plisser ses lèvres de méfiance. Peut-être se fourvoyait-elle tout simplement. Cependant, l’air de Fenris à demie rieur semblait clair. Et puis, il n’y avait pas de quoi avoir honte. Elle avala doucement la fin de sa bouchée, en avala une autre, puis répondit doucement :
« - Certainement... Espérons-le.» Un choix de mot énigmatique qu’elle ne pouvait s’expliquer. Le fond de l’histoire était bien plus compliqué, cependant. Mais ce n’était pas un sujet qu’elle aimait mettre sur la table, aussi ironique fut-il, et même si il trouvait sûrement sa place entre deux assiettes de soupe à l’oignon. Il lui manquait encore un ou deux verres pour pouvoir en parler calmement. Candidement, elle se dandina un peu sur sa chaise, pour se remettre les idées en place, et aussi chasser cette étrange sensation de gêne qui l’avait saisie. Cela lui permit de chercher un chemin plus sûr à emprunter pour rapidement changer le sujet de la conversation.
« - Je serais heureuse de bénéficier de votre aide, merci. Mais rien ne presse, n’est-ce pas ? Et, hm... Je ne connais rien à la capitale... Connaissez-vous bien les lieux ? » C’était bien plus maladroit que ce dont elle était capable d’habitude, mais cela ferait l’affaire en attendant une nouvelle idée. Il n’était sûrement pas dans l’état de s’enquérir de lui trouver une masure. Et elle se sentit sotte de le déranger avec ça. Soudain, elle eut au bout des doigts une impression pâteuse. Puis des petits picotements. Avalant brusquement, Othello se redressa soudain, un air un peu plus sérieux au coin des yeux. « C’est peut-être prématuré, mais... Si le roi a bien prit sa décision de vous gracier, qu’allez-vous faire ? » Demanda-t-elle très doucement, pour qu’il n’y ait que ses oreilles qui puissent l’entendre. Ses mots étaient vides de gravité. Cependant, elle était curieuse de voir si Fenris choisirait de se soumettre à la couronne. Quelque part, elle connaissait déjà la réponse. Le contour du géant des mers se dessinaient finement à la lumière d’une lointaine fenêtre. Et soudain, son œil unique et brillant disparut alors dans une nuée de vapeur : une vapeur d’oignon.
Sujet: Re: Les chemins de la renaissance Dim 28 Aoû - 20:46
Le loup n’avait pas l’air d’avoir très faim... Du coin de l’œil, l’ondine l’observait jouer avec le bout de sa cuillère. Elle avait un jour surpris Aemyn faire de même. Pourtant sa peau était d’une pâleur opaline, et ses lèvres si violettes que l’on avait du mal à les distinguer sur son visage fatigué. En penchant la tête, elle put comparer leurs deux assiettes. Celle du renard était encore pleine, et la sienne... Mise à part le bouillon et les lardons, il ne restait en tout que trois feuilles de chou, quatre bouts de pommes de terre, et deux oignons. Pour un petit bout de femme, elle était particulièrement vorace. Poliment, elle reposa la cuillère sur le côté de l’assiette pour attendre que le marin mange un peu – s’il mangeait. Cependant, elle avait remarqué que son attitude avait pris un tournant pour le mieux, si elle avait vu juste. Il semblait déjà plus impliqué. La bonne nouvelle semblait lui avoir donné une bouffée d’air frais. Mais son attitude révéla stupeur et surprise, et elle comprit vite que ses neurones pensaient déjà à la marche à suivre. Quelque chose lui dit qu’elle lui avait donné un peu d’espoir. Rassurée, elle se laissa aller à attraper le manche de la carafe posée à côté d’elle. Mais se retint quelques secondes de la soulever... Espérons que ses oreilles ne l’avaient pas trompé. En guise de réponse, elle baissa le visage dans un salut amical. Il n’y avait encore rien à remercier. Sans mot dire, elle se promit elle-même de mener l’enquête un peu plus tard. Quelque chose lui disait qu’elle pourrait profiter de sa pleine liberté de mouvement un peu plus tôt que le lupin, et elle en profiterait bien pour avoir des nouvelles de la ville.
Il sourit tout bas, rit un peu dans sa barbe. La sirène se redressa penaude, puis sourit à son tour, quoiqu’un peu défaite, comme la souris qui est prise au piège par le fromage. Bien évidemment, elle ne lui en voulait pas le moins du monde, et elle ne comprenait d’ailleurs pas pourquoi il s’excusait ainsi. Son rire bon enfant témoignait de son innocence, elle n’avait besoin de rien de plus. Mais quelque chose la prenait à partie, sans qu’elle ne puisse distinguer le pourquoi. Gêné, Othello baissa les yeux sur une bougie au fond de la salle. Elle ne se sentait pas à sa place pour s’épancher sur ce sujet-là. Mais en profita quand même pour remplir son verre. Sa main fut un peu trop lourde. Elle remplit le verre au-dessus de la moitié, et se fit penser à le boire très, très doucement. Elle approcha le verre de ses lèvres et en bu deux gorgées, se concentrant d’avantage sur la dureté du verre que sur la rudesse du liquide. Il avait vu juste. Ce n’était guère une situation qui la rendait folle de joie. Mais elle appréciait néanmoins de retrouver l’herboriste, et de pouvoir le revoir plus fréquemment. Seulement... Finalement, elle but deux gorgées de plus. Chacune d’entre elle la rendait plus légère que la précédente.
« - Je vous remercie Fenris. Ne vous en faites pas, je ne compte pas foncer là-dedans tête baissée... Ca n’aurait rien de bons pour les patients. » Elle avait dit ça avec un calme chirurgical qui faisait froid dans le dos. Elle s’en aperçut, et tenta de rectifier le tir en souriant poliment. « Et rien de bon pour moi non plus, c’est vrai. » Du coin de ses yeux d’ébène, elle le regarda faire avec sa cuillère. Ce devait être dur pour lui... Ce n’était jamais facile de remplir un ventre vide... Ou partiellement. Surtout après un choc. Mais c’était nécessaire qu’il avale quelques bouchées pour reprendre quelques forces, et réhabituer son estomac. Elle le couva d’un regard compatissant, essayant de l’encourager des yeux. Mais ce n’était sûrement pas une bonne idée, et elle se ravisa vite.
Prenant son verre entre ses doigts, elle se recula sur sa chaise. Cela ne l’étonna pas du tout quand il évoqua son désamour pour les grandes villes. Il était un marin épris de liberté, d’espace, de la fougue du vent et du sel... Les villes étaient comme des femmes sans cesse insatisfaites, arrogantes. Vous pliez sous le poids des responsabilités et des obligations qui tombent perpétuellement comme des mouches à vos pieds. Oh, certains s’y faisait très bien. Duscisio ou Elïe en maîtrisaient toutes les arcanes. Mais quand on aime prendre ses propres décisions, ne dépendre de personne, cela devait rapidement être étouffant. C’était étrange, mais elle imaginait difficilement le grand homme blond déambuler dans les rues, l’air un peu perdu, dépassant tout le monde d’au moins deux têtes. Elle le voyait pleins plus dans les plaines sous un vent battant, ou voguant à travers les mers, comme quand il l’avait tiré de leurs filets. Au son de Thyrénium, elle haussa ses cils blancs. Elle ne connaissait que très peu de choses sur cette ville, elle n’y avait passé qu’une ou deux journées dans son existence. Appréciant l’ambiance qu’il y régnait, néanmoins, elle avait regretté de ne faire que passer là. Ouvrant sa paume avec amertume, elle se dit qu’elle aurait mieux fait d’écouter son instinct ce jour-là, et passer quelques jours de plus pour faire un peu de tourisme. Le Lupin avait aussi l’air d’apprécier cette ville. Ou il la tolérait, elle ne sut faire la différence. Par contre, qu’il n’y reste pas plus de six mois... Cela n’était pas pour la rassurer beaucoup. Mais elle appréciait sa volonté à l’aider, et elle acquiesça de nouveau avec reconnaissance.
A présent qu’il mangeait enfin, elle regretta immédiatement d’avoir jeté un pavé dans la marre en posant sa question. Il sembla prit à la gorge – qu’il désaltéra d’ailleurs – et chercha longuement ses mots. Elle s’attendait à ce qu’il choisisse le pourparler, mais qu’il songe à accepter ne la surprit pas. Il avait l’air si torturé et coupable quand elle l’avait retrouvé qu’elle avait même douté qu’il se rende, même sans négociation. S’allongeant un peu plus sur son dossier, elle écarta ses mèches avec trois longs doigts graciles qui vinrent soutenir son visage lourd, alors qu’un sourire triste éclairait son visage opalin. Il y sembla l’ombre d’un instant avoir pris quelques couleurs, mais ce n’était peut-être que les vapeurs d’alcool qui lui donnait chaud. Le cliquetis du métal vint donner un ton sépulcral à ses paroles, alors que le renard déposait son bras sur le bois de la table. Ses chaînes... Elle n’y avait pas songé depuis longtemps. Mais à présent, elle comprenait tout. Le symbole de son autre, son fardeau à porter inlassablement et qu’il devait supporter... Et sa captivité à la bête. Ce son lui évoqua soudain celui malédiction macabre, et elle se sentit bien penaude avec sa petite marque ridicule comparée à ces deux poids.
« - Je comprends. » Dit-elle simplement après un long silence. Elle fit tourner l’alcool dans son verre dans un geste captivé. « C’est étrange mais... Je m’en doutais un peu. » Elle laissa encore couler quelques secondes, avant de dire simplement « Si c’est bien le cas, je... » Elle pinça ses lèvres. Sa tête commença à s’alourdir, à peser plus sur ses petits doigts de verre. Ce qu’elle voulait dire, c’est qu’elle n’était pas certaine de pouvoir l’aider. Mais il devait le savoir très bien. Et puis... Quelque chose lui disait que Léogan serait sûrement le premier à organiser une unité de secours. Elle se redressa un peu, mais le poids de son corps la poussa vers l’avant. Comme le marin, elle reposa ses bras sous elle, les croisant simplement pour se redresser sur sa chaise. Elle commença a ouvrir la bouche, quand un mouvement dans le fond de la salle attira son attention. « Ecoutez, demain j’irai... » Commença-t-elle mot à mot, prenant un temps infini à parler et à articuler chaque syllabe. Elle avait clairement l’esprit ailleurs. Derrière eux, la porte venait de s’ouvrir en fracas. Dans la foulée de la porte, trois hommes venaient de s’engouffrer dans la salle, dégageant une odeur de tissu mouillé. Il avait dû recommençait à pleuvoir. Elle plissa un peu les yeux, des détails sur leurs costumes attiraient sa curiosité. Et soudain... Elle blêmit brusquement, devenant blanche comme un linge. Elle se retourna vers Fenris, ne bougeant pas les yeux, mais tendant son dos droit comme un i.
« - Des gardes. Trois. Ils viennent de passer la porte. »
Délicatement, elle porta le verre à ses lèvres mais sans boire. Ils avaient l’air aussi déconfit qu’eux, et semblaient aussi avoir l’air abattus. L’un d’eux avait même du sang séché sous la tempe. Ils étaient là pour la même raison qu’eux, sans doute. Finalement, Othello tourna son regard vers l’œil brillant de Fenris. S’ils restaient discrets, personne ne se douterait de rien...
Sujet: Re: Les chemins de la renaissance Jeu 15 Sep - 16:39
Son dos ne tarda pas à se détendre. Les trois bougres étaies assis à une table, et seraient bientôt servis en boisson et en nourriture. Fenris se pencha alors vers elle. Ses oreilles durent se tendre à l’extrême pour arriver à saisir ses paroles. Elle n’osa imaginer à quel point il devait être pris entre deux feux. Mais sa voix était mesurée, et son analyse fine. Il avait tout à fait raison, ils ne tarderaient pas à faire le tour de la salle. Ils étaient une petite dizaine au complet et bien qu’ils aient tous six pieds de long, cela ne les empêcheraient pas de vouloir se mêler joyeusement les uns aux autres pour fêter la mort de la bête. Elle expira largement par le nez, relevant les yeux dans une plainte angélique. Elle avait du mal, à présent, à sentir ses lèvres glacées, comme le bout de ses doigts qu’elle avait du mal à sentir. Mais elle tâcha de rester stoïque, regardant le loup avec intérêt malgré le mélange d’alcool et de fatigue qui commençait à peser violemment sur son esprit. Sa femme et sa fille... Du coin du regard, elle repéra le garde égaré. Cela expliquait son comportement un peu hagard. La jeune femme pinça un peu ses lèvres pâles. Il n’était certes pas de leur côté mais... Elle ne pouvait s’empêcher d’avoir de la peine pour lui. La jeune fille ondula ensuite son visage de l’autre côté avec une fluidité aquatique. La reconnaître comme une médecin... C’était étonnant comme phrase. Elle ne savait pas que son métier était visible sur sa figure pâle... Elle resta figée quelques secondes, prenant le temps d’entendre le souffle de voix qui lui murmurait dans le creux de l’oreille.
Pour l’instant, les soldats s’étaient attablés. Ce ne serait pas trop difficile de trouver un mensonge pour les éloigner, le marin avait raison. Cependant, elle craignait qu’ils sentent leur réticence et se demandent pourquoi ils ne souhaitaient pas se mêler à la plèbe. La petite ondine haussa les sourcils, commençant à chercher difficilement un fil rouge dans ses pensées. Fenris semblait devenir de plus en plus tendu. Elle sentit son état se dégrader. Ses muscles se tendre dans une crispation involontaire, et son cerveau qui devait bouillir d’idées pour s’échapper de ce mauvais pas. La sirène compatissait sincèrement. Son œil unique brillait d’une lueur abattue. Il devait peser les enjeux dans l’éventualité qu’ils le reconnaissent... Son cœur de glace commença a accélérer sa cadence dans sa petite cage d’os et de verre, alors qu’une crainte lancinante se mêlait à la liqueur dans ses veines de papier. Brusquement, elle sentit une chaleur familière se déposer jalousement sur sa main qui traînait seule sur la table. Ce contact la projeta loin, très loin, sur une petite chaise de paille et d’osier dans une maison de thé aux senteurs boisées, sous une lumière blanchâtre qui annonçait les neiges prochaine. Loin d’être offusquée, elle apprécia la sensation de sa paume, ressentir sur sa peau les reliefs de ses empreinte, les plis qui irisaient ses articulations, la callosité dû à l’ouvrage. Cela lui rappela d’agréables souvenirs. Mais après quelques secondes, elle y ressentit aussi la crainte, la peur... Elle releva vers lui des yeux interrogateurs, serrant comme elle pouvait ses longs doigts marins.
Son idée de passer pour un yorka était très bonne. Il avait beaucoup de traits qui orienteraient n’importe qui sur le chemin des hybrides. Elle-même, se tenant à côté de lui, les guiderait dans cette voie : les yorkas avaient tendance à apprécier la présence d’individus de même race. Mais quelque chose dans sa voix commençait à fluctuer, comme la voile soumise au vent sur un navire à la dérive. Il y avait du mouvement. Le bruit sec des bottes sur le planché attira brusquement son attention, dressant ses oreilles avec une fougue surprenante. Le garde s’était levé de sa chaise. Othello regarda soudain dans sa direction. Un peu trop vite, bien plus vite qu’elle ne l’avait imaginé. Si vite que quand elle se fixa sur le garde, il avait les yeux rivés sur elle. Ils croisèrent leurs regards. Une large sueur froide s’empara d’elle, et une vague glacé de frisson lui coula dans le dos. L'homme au bouc allait vers eux. La jeune femme braqua son regard sur la table, sur le bois, dans les verres, espérant pouvoir chasser le garde par son indifférence. Si elle ne l’avait pas regardé... Elle s’efforça de chercher une solution, se demandant s’il ne valait pas mieux se lever et allait lui parler directement. Ses oreilles se baissèrent, et sur son cou, on pouvait apercevoir la pulsation frénétique d’une de ses veines bleuté. Ses mains étaient crispées : elle gaina ses jambes, commença à se soulever quand une nouvelle fois, une main l’arracha à ses pensées. Une main anormalement chaude qui l’attira doucement vers un spinelle lumineux et brillant, où elle distinguait un éclair de chaos et de fougue.
Fenris avait l’air paniqué. Dépassé par les évènements. C’était normal, mais... Il approchait son visage du sien, toujours plus près, sans qu’elle ne comprenne clairement ce qu’il voulait faire. La chaleur sur sa joue la berçait doucement, et l’alcool lui faisait tourner la tête, si bien qu’elle voyait le visage de son ami trouble. Il... Il allait... La jeune femme lui rendit un regard interloqué, les oreilles rabattues comme un chiot. Mais il s’arrêta, à quelques millimètres peut-être de ses lèvres. Son souffle les effleurait doucement comme une brise. Le soldat les regardait toujours, arrêté dans sa marche... C’était une solution, c’est vrai, mais... que faire ? Sa tête était pleine de nuage, mais elle reconnaissait le marin dans ce geste incroyable. Impulsif, mais toujours prévenant, lui laissant l’ultime décision. Elle le regarda, complètement perdue, face à ce souffle et cet œil brillant. Le garde les fixait toujours, et se demanderait pourquoi le marin serait éconduit si brusquement si elle restait immobile ainsi. Les secondes tombaient comme des grains de sable dans le sablier de son esprit qui devint un océan profond. Cette légende était vraie : l’alcool était fruit de désinhibition. Le cœur battant, elle franchit l’ultime vide qui les séparait. Elle ferma les yeux, et plongea dans l’abysse.
Son baiser fut doux, candide, comme pour ne pas le blesser. Comme si, par un trop fort élan, elle risquait de lui couper les lèvres. Elles étaient sèches, et brûlantes. Fiévreuses, même, et cela la prit de court tant les siennes étaient froides et dociles, absentes. Ses sensations, biaisées par l’alcool, rendaient ses mouvements subtils et maladroits. Il se dégageait de la bouche du marin une odeur sauvage, sèche et sucrée, alcoolisée, qui lui rappelait celle de la fatigue extrême, comme pour certains patients qui passaient à Hellas. Et, au bout de sa langue de naïade avait éclos un goût métallique étrange. Celui... Du sang ? Un instant, elle eut peur de l’avoir coupé, mais elle s’aperçut que ce n’était que le bouillon que la liqueur avait corrompu. Sur son visage s’échoua une de ses mèches d’argent. Sa joue était chaude, maintenant. C’était amusant : la sensation de ses lèvres bleutés lui rappelait les baisers des vagues et de l’écume.
Quand finalement elle jugea que le garde avait dû renoncer, elle recula son visage de celui du loup du sud, les yeux brillants de surprise et de fatigue, les joues rougies, et réalisa qu’elle avait levé sa main vers sa nuque sans pour autant la poser. La peur de lui faire mal l’avait retenue, et elle n’avait fait que l’effleurer du bout des doigts. Penaude, elle baissa son visage opalin vers ses genoux, en abaissant la main téméraire jusqu’à son côté. Que venaient-ils de... ? Espérons que ça ait marché. Othello osa un rapide coup d’œil jusqu’à la table des soldats. L’homme au bouc était reparti, rouge comme une pivoine, et son collègue le regardait avec un sourire pervers. Mission accompli. C’était osé, mais l’étrange plan – si c’était réellement un plan – avait fonctionné. C’est vrai que les effusions en publique avait tendance à rendre les gens mal à l’aise... C’était bien vu.
Rassurée, elle pesait encore ce qu’il venait de se passer quand elle attrapa de nouveau sa cuillère en bois. Mais elle dû admettre que l’appétit l’avait quitté, et que son esprit était de toute façon ailleurs. Manger n’était plus la priorité. Même si le garde s’était assis, elle se doutait que ce n’était probablement que temporaire. A présent, le tavernier était passé, et ils avaient tous devant eux les mêmes verres à moitié pleins, sûrement déjà entamés. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils ne veuillent faire partager leur joie avec tous les convives. La sirène dû réprimer l’arrière-goût de liqueur au fond de sa gorge qui s’était élevé comme un corbeau sombre de crainte. Ils ne quitteraient sûrement pas les lieux, maintenant qu’ils commençaient à s’amuser. Elle arbora une mine boudeuse, en serrant un peu plus la main du marin. Ses yeux se baissèrent vers le néant de la liqueur qui restait dans son verre. Ils seraient laissés tranquilles pour le moment, mais leur isolement risquerait de leur mettre la puce à l’oreille. Ne quittant pas son verre des yeux, elle se glissa très doucement contre loup jusqu’à trouver son oreille. Elle ne voulait pas lui imposer trop de proximité, mais elle pensa qu’après un baiser, cela paraîtrait plus logique aux yeux des compères. Doucement, elle poussa ses boucles éthérées du visage masculin – ce serait dommage de l’étouffer avec une vague capillaire fortuite.
« - C’était... Surprenant. Et courageux. Mais... » Elle murmurait comme il l’avait fait avant, dans une mimique candide. « Ca a marché, vous nous avez permis de gagner du temps. Mais il risque d’essayer encore, tôt ou tard... » Elle marqua une pause. « Nous devrions être tranquilles pour le moment. Si il essaye de retourner à la charge, j’irai lui parler, le raisonner... » Dans son état, ce n’était peut-être pas gagné. « Mais si ils viennent à plusieurs... Soit nous devrons nous mêler à eux... » Encore une fois, elle s’arrêta. Elle sentait ses lèvres pâteuses, coriaces, et ses yeux se débattaient avec les mèches blondes pour apercevoir les trois agents de la couronne. « Soit, je peux toujours feindre un malaise. » Ca ne serait pas difficile à croire, il lui suffirait de se laisser tomber, et sa figure diaphane sur le sol ferait le travail. Cela obligerait le tavernier à leurs trouver un endroit à l’écart. D’ici là, ils pourraient toujours penser à comment organiser la suite.
La sirène serra ses doigts de porcelaine un peu plus. Elle devait être honnête : elle n’avait guère de solutions, hormis celle de partir – autrement dit : un aveu, ou alors laisser le grand homme de sable simuler l’évanouissement. Dans ce cas, elle ne donnait pas cher de ses petits bras faméliques pour réussir à le porter.
« - Sauf si vous avez une autre idée, je suis preneuse... En attendant, vous nous avez fait gagner quelques minutes. » L’alcool avait de plus en plus le goût de la fatigue, et elle remerciait Kesha de pouvoir restée assise. Doucement, elle s’en retourna à sa chaise, souriant calmement, curieusement impassible. Sa main resta immobile, et quand à l’autre, elle enlaça son verre qu’elle finit en quatre douloureuses gorgées. Certaines questions se soulevaient dans les brumes d’éthyle. N’avait-elle pas mis son statut en danger ? Après tout, sa position faisait d’elle une créature du peuple, et elle espéra égoïstement ne pas avoir été reconnue. Elle espéra aussi que Fenris fut rassuré, et que la panique dans son regard s’en était allé. Mais elle savait bien qu’au fond, il restait sur ses gardes. L’enjeu était trop grand pour qu’il se détende maintenant. Son regard se perdit ailleurs. Le mieux qu’ils pouvaient faire à présent était de profiter un peu de cette période d’accalmie... Le temps que l’alcool et le calme fasse son effet sur les trois gardes. Cela leur laissait quelques minutes de répit. Mais la sirène restait attentive, regardant du coin de l’œil la table coupable. Inconsciemment, elle passa sa langue sur ses lèvres pour y récupérer une goutte vagabonde qui s’y était perdue. Elle ne pouvait s’empêcher de regarder l’homme au bouc avec un œil compatissant. Après tout, c’était une épreuve, pour lui aussi.
Sujet: Re: Les chemins de la renaissance Mar 11 Oct - 10:24
Au-dessus de son front, elle sentit son œil brillant la fixer, et son visage s’éclaira avec un sourire heureux, vibrant, qui lui fit chaud au cœur. Cela la rassurait de savoir qu’il avait apprécié ce baiser éphémère, malgré les premières intentions de son entreprise pour faire fuir le curieux. La sensation de chaleur n’avait pas encore quitté ses lèvres comme une indélébile empreinte qui marquait sa peau, et son esprit embué avait encore du mal à tout saisir, laissant la sirène comme flottant entre ciel et terre, pendue aux mots du Grand Marin, allongée à la surface bercée par les vagues. Quitter la pièce... C’était incroyablement simple, si simple qu’elle n’y avait pas pensé. Et pourtant, c’était leur meilleure solution. Ils n’auraient qu’à se frayer un chemin discrètement, et le tour serait joué. Souriant à son tour, elle acquiesça d’abord puis répondit simplement, le sentant sur le départ pour retrouver le tavernier.
« Je serais très heureuse de rester en votre compagnie, si vous supportez la mienne. » Je pourrais veiller sur vous, se dit-elle, mais elle se garda de l’ajouter. « Merci beaucoup pour tout. » Il donna quelques coups amicaux à sa main, dont elle sentit la chaleur disparaître en même temps que sa paume, alors qu’il se leva difficilement. Cependant, elle n’eut pas le temps de pleinement réagir à ses paroles, ni même de toutes les comprendre. Quand finalement elle s’aperçut de sa proposition insensée, il était déjà près du comptoir, à échanger quelques mots avec l’hybride. Dormir dans la cuisine, pour lui laisser la chambre ? L’ombre d’un instant, elle s’imagina Fenris, du haut de sa taille, recroquevillé au milieu des poêles et autres casseroles, difficilement pliés pour convenir à l’endroit. C’était impensable dans son état, et la sirène en pinça ses lèvres orangées dans une mine penaude.
Alors qu’elle se penchait sur la table pour reposer son visage sur sa main, elle le suivit du regard, remarquant sa démarche difficile et douloureuse – sûrement le mélange de fatigue et de tension. Il faisait peine à voir, et la sirène en fut désolée... Il lui sembla qu’il buvait un autre verre... A sa réaction, la liqueur devait être très forte, tant il grimaça. Et elle entendit le bruit du verre sur le comptoir jusqu’à sa place. Le quittant quelques secondes des yeux, elle se risqua à balayer le reste de la salle, se redressant sur sa chaise et descendant ses mains frêles et froides sur ses genoux serrés. Seule, elle se sentit soudain minuscule, les oreilles dressées vers l’arrière, se cachant derrière ses cils et un masque impassible. Religieusement, elle n’osa pas se risquer à regarder la table des gardes, ne souhaitant pas tenter le diable, maintenant que Fenris n’était plus là. Les hommes avaient l’air de célébrer joyeusement, à présent, même le pauvre homme qui avait joué les voyeurs. Soupirant, Othello commença seulement à se détendre un peu quand le marin revint. Le regardant de sa chaise, elle l’écouta, oscillant doucement, absorbée par sa posture, et son air apaisé, se doutant qu’il souhaitait certainement quitter rapidement la présence des royalistes.
« - Je ne suis pas contre un petit peu d’air frais. » Murmura-t-elle en opinant du visage. Elle avait bien le temps pour contempler les étoiles, et plus que cela, l’idée lui plaisait d’assister à ce spectacle avec Fenris. Idiotement, elle n’avait jamais pris ce temps, appréciant à Hellas bien plus souvent les flocons de neige que le scintillement des astres. Et puis, l’alcool avait la vertu de tout adoucir, la fatigue y comprit, la recouvrant habilement comme un voile que l’on pause sur une table : il épousait les formes de ce qui y était posé, mais le rendait invisible. « Je vous suis. » Dans un trop plein d’élan, elle se leva de sa chaise, jugeant mal sa force et se retrouvant surprise par sa petite hauteur. Il lui fallut quelques instants pour retrouver son équilibre, et ressentir de nouveau la stabilité du sol sous la plante de ses pieds dénudés. Elle laissa Fenris prendre les devants, le suivant docilement et adressant au passage un signe du visage à leur hôte pour le remercier du repas, et de son hospitalité. Il n’y avait que peu de distance entre eux et l’escalier qui menait aux étages, et elle pria intérieurement de pouvoir marcher droit en évitant les chaises et la table qui empiétait sur son chemin. La table des gardes était encore bien animée, et le garde au bouc était la cible de toutes les moqueries plus ou moins douteuses de son équipe. Un semblant de sourire éclairait son visage, et il avait l’air ailleurs. Elle eut tout de même un frisson quand ils passèrent derrière leur table, mais aucun des hommes ne les arrêta dans leur route, et bientôt elle put observer le dos du marin qui commençait à gravir les marches, et le trouva immense, grandissant marche après marche à mesure qu’il allait de plus en plus haut. Le suivant comme une ombre, sa crinière d’argent fermant la marche comme une cape lunaire. On n’entendait à peine le bruit de ses pieds sur le bois. Ses jambes tremblaient un peu, mais elle avait recouvré un peu de ses forces en s’asseyant et en mangeant, même si ce ne fut qu’une pomme et quelques gorgées de bouillon. Elle s’inquiétait silencieusement de l’état du grand loup : elle avait remarqué sa démarche saccadée, et espérait secrètement qu’il ne s’effondre pas. Même si il se montrait brave, ses pas étaient lourds, et quand il était allé s’enquérir au comptoir, il lui avait semblé qu’il tenait ses côtes douloureusement. Bientôt, elle se retrouva au deuxième étage, à suivre Fenris jusqu’au bout d’un couloir.
Petit à petit, guidée par la figure imposante du loup qui clopinait comme elle, son regard commençait à apercevoir des bribes de lumières qui provenaient de la porte vitrée, encadrant la silhouette massive, découpant doucement ses épaules musclées et ses cheveux blonds d’une lumière nocturne bleuté et spectrale. Derrière lui, elle pressa le pas, et se retrouva à ses côtés pour sortir sur le petit balcon, boudé par les autres clients qui poursuivaient leur soirée dans la salle. Sortir lui fit du bien, et désembua légèrement son esprit de l’ivresse. Si la fraîcheur de l’air la saisit un court instant pour brûler son souffle jusqu’à ses poumons d’un air humide et vivifiant, c’est la vue qui lui glaça le sang, et jeta dans son dos une vague de frissons qui coula le long de sa peau sous la cape de ses cheveux. Ses yeux s’arrondirent, et elle chercha par réflexes les doigts du marin, espérant ne pas le forcer dans sa démarche naïve. La sensation sur ses lèvres l’avait suivi jusqu’aux étages, et elles vibraient toujours d’une douce chaleur. Là, sous son regard lourd, se trouvait la plaie d’un cratère béant qui défigurait une large place, à quelques rues de l’auberge. Juste devant eux, le palais royal tenait fermement, alors qu’en face étaient amoncelées les briques rouges qui jadis trônaient en face, mais qui avaient été soufflées par l’attaque du monstre. On pouvait distinguer sa tombe, tant l’impact avait dû être violent. Çà et là, des maisons gisaient décapitées, éventrées de leurs toits, alors que d’autres avaient finies effondrées, et laissaient derrière elles une montagne de gravats. On les repérait facilement : certaines rues étaient trouées, comme un sourire dont il manquait certaines dents. Et, par endroit, l’on pouvait voir s’élever les flammes de quelques torchères éparses, certains feux allumés par le désastre et que l’on n’avait pas jugé bon d’éteindre. Ils s’en dégageaient des colonnes de fumées qui grimpaient jusqu’au ciel dans une danse lugubre, éclairées par la lueur crépusculaire des braises pour rejoindre de larges bancs d’étoiles. Quelques nuages sombres traînaient encore par endroit, mais la brise froide du soir les avait, pour la plupart, chassé loin de la cité.
« - Quel désastre... » Lâcha l’ondine, soufflée par le spectacle désolant. On aurait dit un paysage de guerre, et cela lui rappela les scènes viscérales qu’elle avait pu observer dans la campagne cimmérienne lors de la grande guerre, quelques mois plus tôt.
Des temps sombres s’étaient dessinés sur leur monde comme un orage se forme dans les cieux, et semblaient se propager sur les pays qui sombraient petit à petit sous les vents et la tempête. Elle se rappela un court instant du colosse de Gaeaf, et s’aperçu soudain qu’elle n’avait pas était seule à être confronter au spectre de l’une de ces créatures. Un jour alors qu’ils faisaient le voyage jusqu’à Hespéria, elle avait surpris une conversation entre Léogan et le loup sur les malheurs d’El Bahari.
« - Vous en aviez déjà vu un, n’est-ce pas ? De colosse. » Dit-elle soudain, l’esprit absorbé par les souvenirs. Elle regardait l’horizon sans but précis, se laissant enveloppée par les étoiles scintillantes, bercée par les bras du froid qui encerclait son corps pâle et diaphane. « C’est le deuxième que je vois... La dernière fois, à Gaeaf, j’ai embarqué sur un des navires pour le confronter dans l’eau. Mais là... Je suis restée inutile. Si j’avais pu, je serais venue vous aider. » Cela sonnait étrangement comme un aveu. Puis, prise de remord, elle poursuivit comme si de rien n’était. « Vous devriez prendre le lit. Dans votre état, j’aurais trop de scrupule à vous savoir dormir... Je ne sais où. » L’image du marin, grand et massif, assoupie entre deux marmites lui revint en tête, et elle se rendit compte que c’était vraiment une drôle d’idée. « Je préférerais vous savoir dormir sur un bon matelas, vous en avez autant besoin que moi... » Même plus, voulut-elle ajouter, mais elle commençait à comprendre qu’il était agacé par ce genre de remarques. Anticipant sa réaction, elle savait que le Lupin s’opposerait à cette idée, mais elle ne comptait certainement pas s’en déloger. Bien sûr, elle n’avait absolument pas pensé à un plan de secours pour s’assurer une autre place pour passer la nuit, mais chaque chose en son temps, et elle trouverait bien une solution tôt ou tard. Et quitte à dormir au milieu des casseroles, son gabarit serait sûrement plus facile à ranger.
Sujet: Re: Les chemins de la renaissance Mar 8 Nov - 12:14
La pression s’étendit entre ses phalanges, qu’elle accueillit avec bienveillance, posant en retour le bout de ses doigts contre sa peau fiévreuse. La chaleur remonta le long de son poignet comme une longue procession, la faisant frémir tant l’air lui parut froid à ce contact bouillant. Mais dans les braises de sa peau, elle perçut autre chose, un sentiment plus personnel. Sans trop oser se retourner vers le marin, elle comprit que le paysage désastreux avait aussi ses conséquences sur lui, et que ses pensées étaient parties ailleurs. Et, alors qu’un goût de bile amer remontait le long de sa gorge engourdie, elle regretta de lui avoir imposé égoïstement ses souvenirs lugubres. Doucement, Othello se réfugia entre les boucles de sa crinière opaline. Ses oreilles étaient tendues, attentives à tout ce qu’il était prêt à lui révéler. Consciente d’être en partie responsable de la morosité soudaine, elle ferait de son mieux pour être une écoute docile et délicate, et surtout ne pas lui imposer plus de questions. Ses yeux quittèrent la ville éventrée pour rejoindre le firmament. Une nuée scintillante semblait éclairer le ciel immense, un horizon céleste, un méridien qui séparait la nuit en deux. La brise les entoura, chaude dans sa fraîcheur, et elle écouta.
Bien que la rumeur ait rapportée son existence au travers la Cimméria, Othello n’avait entendu que peu de choses sur le colosse d’El Bahari. Il aurait été immense, avec une apparence aussi monstrueuse que le colosse de Gaeaf, et aurait emporté l’archipel par le fond, dans une attaque aussi soudaine que violente. Se mutant dans un silence respectueux, elle l’entendit raconter son lien avec l’île. Il lui semblait bien l’avoir entendu dire qu’il avait vécu sur l’île lors de leur première entrevue sous les flocons Cimméria. Mais elle était loin d’imaginer qu’il y avait vécu si longtemps. De surprise, ses oreilles se levèrent un peu, elle pour qui atteindre les cent ans n’était qu’une douce utopie. Nul doute qu’il devait être attaché à cette terre, pour l’avoir arpenté pendant cent ans, l’avoir connu, exploré, goûté à ses bienfaits et éprouver ses caprices. Et puis... Sa terre d’adoption, un colosse ? L’image terrible de la bête, de ses rangées de dents, de ses jambes épaisses comme des colonnes, dont la silhouette titanesque mangeait jusqu’à la lumière des soleils, lui revint en tête. La voix de Fenris se faisait rauque, fatiguée.
Dire qu’elle regrettait était un euphémisme. Othello se retranchait de plus en plus dans les bras du vent, tenant la main masculine avec bienveillance. Dans un instant de silence, elle entendit le vent souffler dans leurs oreilles, sa caresse fraîche effleurer ses joues. S’il ne s’était pas confié, elle n’aurait jamais pu deviner ce qu’il avait traversé ce jour-là, et elle se trouva bien penaude avec sa petite baignade, et son rôle plus qu’incertain sur les navires de la flotte. « Pardon Fenris, je n’aurais pas dû poser la question... » Bredouilla-t-elle, enfouissant son menton dans sa gorge comme pour s’y enterrer, en regardant ses pieds. Cette fois-ci, c’est elle qui serra ses doigts minces, simplement pour le soutenir, pour lui transmettre ne serait-ce qu’un brin de bienveillance à travers sa peau froide. Un nouvelle brise, plus fraîche que la précédente, balaya se cheveux vers l’arrière et vint frapper sa nuque, dévoilant ses épaules et ses clavicules à l’assaut du froid.
Finalement, elle grimaça un peu quand il poursuivit, ne sachant plus sur quel pied dansé. L’amertume de s’être mise en avant pour une simple histoire de vue déplaisante lui retombait dessus, et elle n’avait qu’une envie : s’effacer, s’évanouir. Après tout, contrairement à lui, elle n’avait rien perdu. Au fond, elle n’avait fait que nager en amont des bateaux, pour tâter de l’immensité de la bête, sans avoir conscience ni du courage, ni du danger, simplement dans un oubli de soi et une volonté fébrile d’aider Irina et la force armée à triompher. Si ils n’avaient pas été là, il n’y aurait plus que Gaeaf. Tout cela leur était dû, et ils avaient soufferts assez grandement de l’attaque pour lui faire réaliser qu’elle n’avait rien subit. La vue des marins sur le bateau, brûlant sous l’acide, certains empalés par des débris de bois, lui glacé encore le sang. Elle se mordit les lèvres, et souffla profondément. Finalement, elle se demanda si elle n’avait pas un peu trop l’alcool mauvais, et décida de mettre ses émotions de côté. Elle aurait pleinement le temps d’avoir du vague à l’âme un autre jour. Dans le clair-obscur, elle observa la buée quitter ses lèvres et rejoindre les astres pour s’éteindre dans sa course. Sans plus répondre, la sirène écouta la fin de l’histoire, songeant à la seule fois où elle avait pu croiser le Haut-Prêtre de Bor. C’était un individu impressionnant, dont le talent était vanté aux quatre coins du monde. Elle devait avouer que c’était un de ses nouveaux... Confrères qui l’intriguaient le plus. C’était heureux qu’il se soit trouvé lors du naufrage, sinon Fenris n’aurait peut-être pas été là pour lui raconter ce récit, ni d’autres heureux rescapés. En avalant sa salive, Othello se promit de prier pour lui, pour eux, et pour tous ceux qui avaient été victimes de la colère des titans.
Finalement, il lui sembla que Fenris alla mieux. Du coin du regard, elle le sentit s’agiter, chaque bruissement de tissu raisonnant avec un écho presque réel dans l’air de la nuit. Finalement, il se retourna vers elle et la taquina avec allégresse, provoquant chez la petite nymphe un sourire timide, mais amusé. Elle appréciait le fait qu’il lui laisse la possibilité de négocier, même si il n’avait pas tort. Cependant, dans son état et celui de la ville, elle songeait qu’être vue avec un homme serait un moindre mal. Et puis, il y avait bien pire à expliquer, surtout après un baiser échangé sous le regard d’un publique. Ils méritaient tous deux un lit. Elle roula son regard et s’apprêta à lui répondre, se retournant doucement vers lui. Alors que la brise s’acharna une nouvelle fois sur les deux êtres, Othello se figea, ses yeux sombres absents dans la nuit regardant le marin comme si elle le voyait pour la première fois. Ses cheveux dorés rabattus vers l’arrière lui permettaient de distinguer son visage en entier, et même si elle ne le voyait pas clairement, atténué par la pénombre, elle voyait les contours de son œil à vue et les reliefs ciselés d’une cicatrice. A cet instant, le temps s’immobilisa, et il n’y avait plus que cette vision étrange, limpide sous la voûte céleste. Peut-être qu’à cet instant, elle perdit tout esprit, désinhibée, hantée par une présence impulsive et candide qui la mût. Comme si, au bout de ses mains, ses épaules, sa tête, de petits fils d’argent, tendus à l’extrême, guidaient ses gestes depuis les astres. Sans quitter des yeux le regard du marin, elle se rapprocha de lui, sentant sa chaleur fiévreuse irradier jusqu’à elle sans qu’elle n’en soit gênée. Son regard était bercé d’un univers d’émotion, un prisme sombre où coulaient ses pensées absentes. Doucement, elle leva sa main libre avec une délicatesse aérienne et la leva secrètement vers lui. Son œil semblait demander une permission indicible qu’elle n’était pas sûre d’obtenir. A mi-chemin entre leurs visage, une lueur douce, secrète, étincela du bout de ses doigts, puis sembla se transmettre comme une traînée obéissante jusqu’à sa paume qui s’embrasa alors d’une petite flamme blanche. Comme une vision prend forme et se révèle, elle découvrit sous ses yeux le visage du marin, dansant dans les ombres du feu de Kesha.
Imperceptiblement, elle avança un peu plus ses doigts vers cet œil mystérieux, écorché. Comme hypnotisée, l’ondine silencieuse dessinait du regard la peau abîmée, les reliefs des blessures, les nervures saillantes, presque effacés, où jadis gisait le rouge d’une plaie. Cessant de respirer, ses doigts effleuraient presque le contour du visage masculin, la chaleur de sa fatigue flottant jusqu’à elle. Avec une délicatesse infinie, elle finit par poser sa main incandescente sur la joue masculine, laissant le bout de ses doigts frôler la cicatrice. Le feu ne brûlait pas. Il n’émettait pas la moindre chaleur... Mais simplement des vagues iridescentes et vibrantes qui ôtaient toute douleur, toute peine, pour ne plus laisser qu’une paix bienveillante et tendre, un sentiment de profonde quiétude. On aurait pu croire qu’elle avait fait cela pour la lumière qu’elle diffusait. En réalité, elle l’avait invoqué pour lui. Elle resta ainsi une poignée de seconde, à le regarder doucement sans rien dire, à le voir d’un regard d’abysse où dansait le reflet de la torchère blanche. Le marin venait de tomber un masque, d’une certaine façon. Ce grand géant toujours prêt à rendre service, à rechercher l’absolution pour une part de lui si sombre qu’il essayait de l’enterrer sous un sourire chaleureux, à porter ses cicatrices avec une pudeur discrète dans une quête d’abandon, de rédemption. Pour se perdre dans une liberté enivrante et s’oublier. La vérité à ses poignets était tout autre pourtant : même libre, il restait enchaîner à un poids plus lourd que lui-même.
C’est la brise qui insuffla en elle la conscience de ses actes, et elle baissa brusquement la main, le regard, s’éloignant comme si toutes les frontières qu’elle avait franchies impunément s’imposaient soudain à ses yeux. Ses lèvres se pâmèrent d’un sourire désolé, un peu maladroit. Regardant sa main en feu, elle se laissa bercée quelques secondes par la marque de Kron, consumée par les gerbes blanches, et l’étouffa prestement avant que Fenris ne puisse parler. Lui imposer une vérité abusive était la dernière des choses qu’elle souhaitait. Reprenant sa place, elle lâcha finalement sa main pour ne plus rien lui imposer. Qu’est-ce qu’il lui avait pris ?
« Je... » Aucun mot ne franchissait ses lèvres. Quelque chose lui disait que demander pardon aurait semblé bien hypocrite. Tournant le visage vers les étoiles, elle essaya de faire bonne figure pour supprimer ce qu’il s’était passé. Et brusquement, elle vacilla un peu et se rattrapa contre le mur. L’utilisation de la magie était coûteuse en énergie, et dans son absence, elle n’avait pas anticipé le contrecoup. « Vous avez raison. » Finit-elle par souffler. « Pourtant, après ce qu’il s’est passé plus tôt, ça ne serait pas si grave. » Elle osa un sourire. Ce balcon lui donnait l’impression d’être dans une tribune, coupée du monde, éternelle spectatrice de la ville et de sa vie. « Je pense que l’on peut s’arranger. » Elle dit cela à mi-voix, sentant derrière elle l’ombre grandissante du sommeil.
Sujet: Re: Les chemins de la renaissance Mer 28 Déc - 21:37
Le feu de Kesha. Dès qu’elle l’ôta de leur vue, l’oubli inopiné des propriétés de son pouvoir, certainement dû à la fatigue et à cette journée grotesque, lui revint à l’esprit tel un retour de flammes. Inquiète, elle l’observa du coin de l’œil alors qu’il la retenait gentiment de la chute. Il avait accepté son geste déplacé, et elle lui en était déjà reconnaissante, chassant par la même occasion la culpabilité d’avoir agi avec impulsivité. Bien souvent elle se laissait guider par ses principes utopistes et un besoin chronique d’apporter la paix et le bien-être, et oubliait bien souvent les effets secondaires que ce pouvoir avait sur les élus... Ou les victimes qui en étaient témoins. Sa main vint envelopper son poignet qui parut si petit sous cette paume immense, et elle vit dans son œil la lueur redoutée. Si elle se retint maladroitement au rebord pour rester debout, aidée du marin, elle voulut s’empresser de lui expliquer, et de lui demander de ne pas prendre la parole, mais les mots sortaient déjà de ses lèvres comme un flot pur et continu. Et que la vérité pouvait être dure à arrêter... Mainte et mainte fois, Othello se retrouvait dépositaire de secrets jalousement gardés que la flamme faisaient resurgir comme la neige fondue révélait un tapis de verdure. A présent que l’Ascan avait succombé, elle ne pourrait empêcher son exhumation, et se tut, respectueuse, prête à entendre la vérité dans son plus pur aspect. Comme un médecin, elle soutint son regard, consciente d’avoir affaire à un symptôme, et non à une volonté. Après tout, elle l’avait déclenché. Il méritait ses oreilles compatissantes, et elle était consciente qu’une autre réaction aurait été hypocrite.
Lui créer des problèmes ? Si la sirène restait de marbre, elle eut la sensation de se retrouver face à un des blocs de glace qui jalonnent la mer gelée : si la partie visible lui semblait petite, elle prit tout juste conscience du reste du glacier, immergé sous les abysses obscurs. Elle l’avait déjà deviné particulièrement bienveillant, alerte de ses actes et de leurs conséquences. Il avait la mesure facile et jusqu’alors elle avait pensé qu’il jouissait d’une tempérance désinvolte, le laissant voguer paisiblement sur sa route sans subir outre mesure le résultat de ses actes. Mais la vérité brûla amèrement à ses oreilles, et laissa la sirène muette et penaude. Elle n’aurait jamais pensé être une source de préoccupation pour le marin déjà fatigué, et hanté par des problèmes plus importants. Finalement, elle qui avait souhaité le soulager d’un poids avait fini par devenir un fardeau supplémentaire. Au dépourvue, Othello se mordit la lèvre, à présent consciente du problème et de la pression qu’elle lui imposait à contrecœur à vouloir trop en faire. Son regard était perçant et ne la quitta pas, et rapidement, elle ne sut plus sur quel pied danser, bousculée par des sentiments contradictoires. Entre une culpabilité naissante et l’incompréhension, bercée par les restes d’éthyle qui coulait dans ses veines, elle eut envie de l’arrêter dans sa course pour l’empêcher de trop en dire, lui qui ne devait rien comprendre non plus. Les mots s’enchaînaient, dessinant les frontières d’un dilemme qui la hantait également, plus qu’elle ne voulait l’accepter, et qui la prit de court. Bientôt elle resta pendue à ses lèvres, cherchant la fin du discours, l’écoutant se remettre en cause en sachant pleinement qu’il n’y était pour rien puisqu’aucune faute n’avait été commise et ne serait commise, et que si il y avait quelqu’un à blâmer, c’était elle pour son insistance. Ses petits doigts s’unirent maladroitement, chaque phalange s’imbriquant adroitement dans les autres comme les pièces d’un puzzle. J’aimerai... La fin ne vint pas. « Dormir » voulu-t-elle conclure, mais l’évidence s’imposa d’elle-même. La brise accompagnait doucement ses paroles, en balayant les cendres de la cité et des poussières invisibles, les mots et les pensées vers des lieux distants, inaccessibles. Finalement, de dernières paroles franchirent le cap de ses lèvres pâles, prirent Othello par surprise alors que la main masculine retenait son épaule, bien qu’elle n’ait pas prévu de s’enfuir. Elle sentit le poids de son bras comme le poids de ses mots, tout s’entremêlant pour la troubler un peu plus. L’œil lupin luisait de ce même effort, ce vide de réponse qu’elle connaissait bien, alors qu’il se voyait manipulé par des forces omnipotentes qu’elle avait provoqué inutilement.
Othello frémit. Comme s’il venait de franchir une frontière, Fenris venait de l’entraîner devant des désirs interdits, des chemins qu’elle n’osait arpenter. Etrangement, elle apprécia son aveu, et en fut soulagée, même. L’ondine détourna subtilement le regard du visage masculin, alors qu’elle se retrouvait devant une boîte de pandore qu’elle gardait scellée. Pour ne pas alimenter le feu, elle n’avait jamais voulu explorer plus avant ce que lui inspirer le marin, le pourquoi elle s’était lancée dans un baiser aussi soudain qu’appréciable, au lieu de s’énerver, toute offusquée qu’elle aurait pu être. Elle avait la clef en main, et pourtant elle ne pouvait se résoudre à la glisser dans la serrure. Cependant, savoir qu’il en avait tiré de la joie était agréable, ne serait-ce que pour se dire qu’elle ne l’avait pas dégoûté. Rapidement, elle sentit les effets du charme diminuer, et il retrouva la conscience de proposer leur départ, eux que le froid couvait doucement tel des enfants abandonnés par une ville éviscérée. L’idée de quitter sa fraîcheur maternelle ne l’enthousiasma pas plus que de raison, mais elle sentit que c’était la bonne décision à prendre. Et pourtant... Son regard se fit plus intense. Devant la boîte de pandore, elle restait pensive, indécise, mais son cœur battait plus fort. Ses mots avaient éveillés en elle quelque chose d’instinctif, un désir, une envie qu’elle ne parvenait à taire et que l’alcool rendait plus puissant.
Soudain, elle sembla s’avancer. Son regard trahissait une lueur électrique alors qu’une main timide s’avançait vers la hanche du llurghoyf, relevant doucement son visage vers lui. Toute pensée se brouillait dans un océan déchaîné, alors que son cœur palpitait sauvagement dans sa cage de verre. Bizarrement, si ils avaient déjà franchis la ligne, elle avait l’impression de dépasser une frontière interdite qu’elle n’avait fait que contempler avec méfiante. Son cœur battait si fort, elle se sentait fièvreuse... Brusquement, elle s’interrompit, baissa le visage, et le reposa sur le torse masculin avec une pointe de regret. In extremis, la raison fut la plus forte sur l’instinct et l’envie. Ses cheveux pâles tombèrent vers l’avant, et la recouvrirent d’un voile bouclé, alors qu’elle recula maladroitement. Elle écouterait la sagesse du loup : l’alcool et la fatigue la poussait peut-être vers des gestes désinhibés, des retranchements gauches et maladroits... Animal.
« Vous n’avez plus à parler » dit-elle en se dégageant finalement, un sourire désolé aux lèvres. Elle se retourna vivement vers la porte pour en saisir la poignée, évitant subtilement tout regard, laissant tomber le sien vers le plancher. Encore chose, elle fit de son mieux pour tuer le bourdon dans son esprit, balayer ses désirs et retrouver ses pensées. Il fallait qu’elle range la boîte, la recouvre. « Je peux parler pour deux le temps que cela s’estompe, il n’y en aura que pour quelques secondes. » La porte s’ouvrit brusquement, et la chaleur soudaine du dedans la berça plus qu’elle ne l’imaginait, reposa sur son esprit le voile de l’alcool et de la fatigue. Elle referma derrière le Loup, et se retrouva à le guider mécaniquement dans les couloirs alors qu’elle continuait ses explications un peu vague, sourde aux bruits des chambres alentours. La colère du couple se tarissait mais les cris fusaient toujours, et, d’un autre côté, des ronflements sonores trahissaient un repos mérité.
« La flamme de Kesha est un pouvoir étrange. Elle a de nombreuses vertus : elle apaise la douleur, tait les peurs, la tristesse, assagit les tempêtes et la colère. » L’hybride sembla réfléchir un peu, puis ajouta au nez de l’évidence. « En plus d’être une bonne source de lumière. »
Bientôt ils se retrouvèrent devant l’escalier qu’elle hésita à descendre, n’osant encore regarder le marin pour avoir son aval. Finalement elle franchit les marches sans mots dire, décidant de mettre tout cela sur le compte de l’alcool, et de la fatigue, et de cette journée étrange et tempétueuse, en sachant bien que c’était beaucoup plus profond que cela.
« Mais elle a aussi des... Propriétés particulières. Une fois face à elle, on ne peut plus dire que la vérité pendant quelques minutes. Cela ne dure jamais très longtemps, seulement... J’aurais dû vous prévenir. Je ne voulais pas ça, simplement vous soulager un peu de la douleur. » S’excuser encore aurait tenu du pléonasme, et elle s’accorda que son aveu comportait déjà un pardon implicite. Son sourire désolé s’accentua plus encore. « Cela a ses avantages, parfois. Et dans d’autres cas... Pardon de vous avoir bousculé, ce n’était pas volontaire.»
Finalement, ils se retrouvèrent au premier étage, et arrivée là, la chimère ne sut que faire. Finalement, elle s’adossa lourdement à un mur, en regardant Fenris, soulagée d’avoir pu lui expliquer la nature de son trouble et d’avoir pu s’excuser, même partiellement. Ses yeux roulèrent ensuite vers le couloir sillonné de portes. Mécaniquement, ses yeux allèrent de l’un à l’autre, se demandant s’il y avait encore une marge de négociation. Mais elle enterra le sujet bien vite. Mieux valait ne plus le pousser vers des contrés indélicates, de peur de lui imposer trop de présence, ou trop de pression. Idiotement, elle caressait encore l’espoir qu’il oublie ses valeurs et qu’il agisse égoïstement, en choisissant la chambre pour lui, elle se serait sûrement débrouiller. Mais c’était peu probable, et elle en avait bien conscience. Penaude, elle leva les yeux vers lui :
« Vous... êtes sûr de pouvoir supporter une nuit dans des cuisines ? »
Sujet: Re: Les chemins de la renaissance Sam 11 Fév - 17:18
Le grincement de la porte s’étendit dans le couloir tamisé comme un chat s’étire longuement, et au bout de plusieurs secondes, Othello prit sur elle de se relever du pan de mur sur lequel elle s’était adossée. Même si elle gardait le silence, elle dû admettre qu’elle appréciait silencieusement la concession du grand Loup. Non pas qu’elle souhaitait lui imposer sa chétive présence – et sa fatigue palpable. Seulement, savoir qu’il pourrait dormir dans des conditions sereines la rassurait beaucoup plus que de l’imaginer quelque part entre une barrique de liqueur et une pile de casseroles. Les mots échangés sur le balcon lui revinrent à l’esprit comme une bouffée de fumée, et une vague de chaleur naquit au creux de son cou jusqu’au haut de sa tête. Bercée par tant de sensation, la sirène se laissait malmenée par des courants contradictoires, entre onde tranquille et eaux bouleversées, toutes les deux brillantes d’attirance. Un peu trop volontaire, la sirène accusa un temps un violent coup de sang qui lui donna le vertige, et laissa dans son esprit un bourdon insistant. Mais avec un peu d’effort, elle parvint à retrouver l’équilibre sans trop de problèmes, s’aidant du mur, et prenant appui sur le regard unique et brillant du Lupin qui avait pris les devants. Elle ne savait clairement le distinguer, mais il lui sembla y déceler une lueur vibrante. Une fois la porte franchis, elle remercia le marin en baissant doucement le visage, avant d’examiner la chambre.
Si la pièce n’était pas un modèle de volume, elle n’en était pas moins spacieuse. Les deux bougies aux flammes vacillantes éclairaient la pièce doucement, juste ce qu’il fallait à ses yeux pour apprécier la pénombre tamisée de l’endroit. Othello arpenta rapidement le lieu, balayant du regard le mobilier pratique et propre, procédant bien plus à une découverte qu’à une inspection. Le lit n’attendait qu’un corps pour l’emmener vers le sommeil, avec ses oreillers entourés de toiles de lin qui lui semblèrent, dans l’obscurité, être les plus confortables du monde. A sa gauche, une chaise et une commode de bois brute, et de l’autre côté du lit, une petite coiffeuse avec une bassine d’eau claire. Cela aurait pu être un lagon azuré : Othello y voyait le même attrait. Dans ce petit cocon clos, elle avait la sensation agréable d’enfin distinguer le bout d’une journée étrange, aux virages à la fois plaisants et viscéraux. Si Fenris semblait s’hasardé un peu pour inspecter les lieux, elle se dirigea vers la chaise devant le petit meuble. Son esprit en coton ne lui permettait pas d’émettre des pensées très clairs, seulement des bribes de besoin qui guidait ses actions.
L’eau s’agita légèrement à son approche, et elle n’hésita pas longtemps à y glisser les deux mains pour récupérer le précieux liquide qui ondoya dans le fond de ses paumes. Dans ce miroir limpide, elle croisa soudain son regard rouge et creusé : tout ce qu’ils avaient surmonté depuis la matinée lui revint à l’esprit. Leur arrivé chez les Jézékaël, le rugissement atroce, les craquements sépulcrales qui hurlèrent dans la maison, la tuerie, les spectres, les visions... L’échappée. Brusquement, elle rabattit l’eau sur son visage, l’arrosant de nombreuses fois jusqu’à chasser ces pensées. Le froid la ramena sur terre, comme les gouttes qui s’y effondraient les unes après les autres après avoir ruisselé sur ce visage marmoréen. Elle commençait à se demander si elle parviendrait à retourner pleinement parmi les vivants après ce jour-là. Les bruissements de tissu la tirèrent vers le réel. Soudain, elle prit conscience du bienfait de la présence du marin. L’avoir à ses côtés avait quelque chose de réconfortant, d’humain, même si elle était venu le trouver en premier. Peut-être cherchait-elle quelque part sa bienveillance au-delà du loup, l’homme qui l’avait sauvé derrière la bête sanguinaire. C’était un sentiment précieux que de ne pas être seul. Le visage encore humide, elle se retourna brusquement pour trouver le marin en plein dévêtissement.
Pendant un instant, les yeux penauds, Othello resta hagarde devant le dos immense et musclé, aux sillons finement marqués écorchés par endroit. Un loup massif d’encre noir la regardait depuis sa peau de sable, et dans la pénombre, elle voyait presque le relief des lignes se dessiner. Elle n’avait jamais vu ses tatouages – même si elle n’avait jamais douté de leur existence. Pendant une poignée de secondes, elle resta immobile, incapable de formuler la moindre réflexion. Finalement, la pensée s’imposa d’elle-même qu’il se préparait pour le soir, et elle se demanda si il fallait qu’elle fasse la même chose. Cependant, son regard ne parvenait pas à quitter le marin. De longues marques rouges jaillissaient par endroits éparses, tel des flammes : le sang formait des croutes douloureuses, tandis qu’elle distinguait son flanc à vif. Le coup asséné par Léogan avait laissé sa marque... Même si la blessure était propre, il lui faudrait du temps pour pleinement guérir. Presque malgré elle, Othello serra les poings avant de dévier le regard. Avec seulement un peu plus de force, elle pourrait le soigner, ici et maintenant... Seulement, elle en était bien incapable. Lentement, ses petits doigts entamèrent de donner à la jeune femme une tenue plus nocturne. Ou du moins, plus viable que ce qu’elle avait sur le dos. Sa jupe détrempée avait pris la couleur de la boue, et s’était déchirée là où les épines de sa queue de sirène avaient jaillies. Ses manches n’étaient pas dans un meilleur état : elle ne pouvait qu’espérer que son déshabillé n’ait pas été éventré de la même façon. Si d’abord elle dégagea ses épaules en récupérant d’une main sa crinière, elle glissa une autre main sur les lanières du lacet qui fermait sa robe. Mais elle s’arrêta dans son geste. Son cœur s’accéléra soudain, prenant pleinement conscience de leur situation, une bouffée d’esprit dans un océan de fatigue. La main close sur le ruban de soie, elle mordit inconsciemment sa lèvre, anticipant certaines conséquences. Prenant sur elle pour mettre un peu d’ordre dans ces bribes chaotiques, elle inspira doucement avant de tirer sur fil d’un coup sec. Ce n’était pas avec ses guenilles qu’elle pourrait dormir. Dans un bruissement soyeux, la robe glissa le long de ses épaules, révélant un déshabiller blanc de tulle sobre et simple, qu’un lacet en corset fermait sur sa poitrine, et qui tombait jusqu’à mi-cuisse. Il avait été déchiré au niveau d’une de ses hanches par une paire d’épines.
Finalement, elle rinça son visage une dernière fois, utilisant les restes de sa robe comme une serviette salvatrice, avant de se lever pour s’assoir silencieusement sur le matelas rédempteur. Etrangement, elle se sentait sereine. La vulnérabilité de son apparence n’était pas si dure à surmonter, et au contraire, ce pas en avant l’avait mis étrangement à l’aise. La fatigue avait certainement son rôle à jouer dans son état un peu second, alors qu’une flamme de bougie dansait calmement dans le regard d’ébène. Une vague de cheveux blancs tombaient indéfiniment autour d’elle, comme une couverture d’argent, dont les boucles épousaient les épaules pâles. Ses yeux mi-clos semblaient sur le point de se fermer, alors qu’elle avait familièrement remonté ses jambes vers elle, pour poser ses bras croisés sur ses genoux. Finalement, Fenris posa la question fatidique, essentielle, mais qui avait échappé à la raison de la naïade.
A cet instant, elle adopta une mine pensive. Son cœur s’emplit d’hésitation, alors les yeux sombres glissaient subtilement vers le parquet. Dormir... Avec elle ? Un frisson parcourut sa peau. De sa vie, elle n’avait jamais partagé sa couche avec un homme. Et même si cela ne lui faisait pas peur, ça restait quelque chose... D’impressionnant. Cela valait peut-être mieux de faire lit à part, après tout. Les mots qu’il avait murmurés lui revinrent en tête, comme d’étranges souffleuses qui chuchotaient à ses oreilles. Ne lui imposait-elle pas cette tentation qu’il semblait redouter ? Mais n’était-ce pas égoïste que de vouloir garder le lit pour elle ? Et puis... En avait-elle réellement envie ? Son regard balaya rapidement ses blessures, la brûlure rougit sous ses bras croisés. Et il voulait dormir sur le plancher avec une telle plaie ? Bien évidemment, elle imagina pousser sur les planches l’épais édredon de plume qui recouvrait le matelas, céder tous les oreillers pour soutenir sa nuque sûrement endolorie. De cette façon, le sol serait sûrement plus acceptable.
En même temps, imaginer la blessure au milieu de la poussière empêchait les mots de franchir ses lèvres. Il méritait un matelas moelleux autant qu’elle, si ce n’était plus. Son regard abyssal et grave lui indiquait que cette fois-ci, la négociation était hors de question. Et même si elle l’avait voulu, elle n’aurait sûrement pas su trouver les mots justes pour convaincre le marin. La réponse était simple : le partage était le meilleur compromis. « Nous pouvons partager le lit. » Elle avait murmuré ces mots dans le silence de la pièce, à moitié camouflé par le crépitement d’une flamme. Sa voix brisa le silence, fut-il un éclair ou un filet de pluie claire.
Il y eut quelque chose de brûlant dans son regard, une fulgurance infime mais électrique qui s’effaça en un battement de cil. La lumière des bougies dessinaient les traits de son visage, de ses hanches. Une fois la phrase tombée, ses yeux sombres plongèrent de nouveau dans les ténèbres du silence. La réalité était qu’elle se surprenait elle-même à concéder la présence du marin entre les draps avec elle. Mais la folie de cette journée avait la vertu d’atténuer la gravité de toute chose, et la tournure des choses avait ravivé cet étrange besoin de proximité que suscitait le lupin. Et à par les leurs, il n’y avait pas d’yeux pour les observer. Alors, à quoi bon se battre pour ses principes ? Ils étaient tous les deux roués de fatigue... Et de sentiments, si variés soient-ils. Dormir n’était certainement pas un crime, se répéta-t-elle. S’allongeant sur le côté, elle savoura longuement la sensation moelleuse du matelas sous son flanc, du coussin sous son visage, ses cheveux la couvrant comme une énième couverture. Une fois qu’elle sentit la pression sur la place adjacente, elle ouvrit de nouveau les yeux, espérant l’obscurité. C’était étrangement réconfortant de le sentir en face d’elle, alors qu’elle percevait les vagues de chaleur qu’émettait son corps abîmé. Soufflant calmement, elle ne parvenait pourtant pas à ralentir son cœur.
« - Bonne nuit Fenris... » Souffla-t-elle doucement. Elle s’abandonna à la pénombre, au silence et à l’œil unique qui lui faisait face.