[Misson] Vol de bijoux

Tout était paisible. Bien que cachée par un couvert de nuages grisâtres, les lunes étaient hautes dans le ciel et la nuit était particulièrement noire. Surtout, aucune véritable route ne passait à cet endroit et seuls les bruits de la nature étaient audibles. Las, Natreck profitait de ce moment de calme pour réfléchir à sa situation.  

– Hé, mais c’est Le Corbeau !

L’exclamation retentit dans la campagne tranquille qui bordait Hesperia sans que l’interpellé ne puisse l’ignorer. Malgré qui n’ai pas eu très envie de discuter, le yorka, s’arrêta, reconnaissant cette voix aussi féminine que dynamique. Il entendit plus qu’il ne vit la monture de celle-ci s’approcher de lui.

– Ça faisait longtemps, dit la jeune femme une fois près de lui en lui donnant un coup amical sur l’épaule.

– Neylie, la salua sobrement Natreck.

Il s’agissait d’une terranne de son âge aux flamboyants cheveux roux et au regard de biche. Voleuse d’exception, elle était réputée auprès des ladrinis et le corbeau avaient accompli une ou deux missions à ses côtés dans le passé. Elle montait un cheval bai qui semblait bien petit à côté de Viking. D’ailleurs, ce dernier ne sembla pas apprécier la proximité de l’autre monture et il piaffa pour démontrer son inconfort.  

– Oula, ton cheval a mauvais caractère !  

Natreck haussa des épaules et descendit de Viking, qui s’éloigna tout de suite de quelques pas, mettant ce qui était pour lui une distance raisonnable entre un autre cheval et lui. Le ladrini n’était pas inquiet, il savait que son étalon ne s’éloignerait pas. Neylie le rejoignit sur le sol, mais garda la bride de sa monture entre ses mains.

– Ça fait des mois que tu as disparu de la circulation, je me demandais si tu n’étais pas mort !

Natreck eut un sourire amusé. Il s’était éclipsé pendant de longs mois, d’abord pour accomplir la mission que lui avait personnellement confiée Enteri de libérer ce cinglé de gorgoroth de la prison des déments, puis il s’était éclipsé en Argyrei, non sans l’accord de son supérieur, en compagnie de Raël pour récupérer un objet de grande valeur. En pensant à l’autre yorka, le corbeau sentit sa poitrine se serrer. Ça avait été un voyage incroyable, comme hors du temps, et le retour à la réalité était tristement banal à côté de ces heureux moments.

– Il semble que Kron n’ait pas encore voulu de moi, blagua-t-il.

Ils discutèrent quelques minutes de la pluie et du beau temps. Les deux jeunes gens n’étaient pas assez proches pour que Natreck lui confie les raisons qui l’avaient éloigné d’Eridania. Ni les raisons qui l’y ramenaient. Pourtant, malgré la noirceur, elle finit par remarquer. Le front du yorka était luisant, ses yeux un peu vitreux, sa posture plus affaissés qu’à la normale.  

– Tu es malade ?

Natreck grimaça, agacé par le sens de l’observation de sa comparse. Il était à Amaryl lorsqu’il avait compris qu’il avait contracté cette foutue maladie de cendre. Il n’était pas encore particulièrement atteint, et il souhaitait rejoindre Hellas avant qu’il ne soit trop tard. On disait que certaines âmes bénites pouvaient guérir cette fièvre maudite...

– Et alors ?

Ils n’étaient pas assez proches pour que l’état de santé de l’autre leur importe réellement. Pourquoi prenait-elle la peine de s’inquiéter de son état de santé ? Elle devait avoir quelque chose derrière la tête. D’ailleurs, un grand sourire s’étala sur le visage de Neylie.

– J’ai un marché à te proposer !

Fouillant dans l’une des sacoches de sa monture, elle en sortit un mystérieux flacon.  

– Ne me demande pas comment j’ai fait, mais j’ai réussi à obtenir quelques gouttes de ce fameux calmant contre la fièvre que ces gélovigiens ont mis au point. Si tu veux, je te le donne.

Le corbeau jeta un œil suspicieux au flacon, puis à l’autre ladrini.  

– Et que veux-tu en échange ?

– Presque rien, je te rassure. Il s’avère que j’ai accepté de mener une mission plutôt intéressante à Hesperia. Par contre, j’ai des obligations ailleurs. En échange de ce flacon, tu accomplis cette mission, mon honneur est sauf et tu récoltes une belle récompense. Alors, ça te dit ?

– Presque rien, hein ? Il lui adressa une moue moqueuse. Hé bien, dis-moi en plus sur cette mission... et sur cet échange.

******

La nuit ressemblait beaucoup à celle de la veille : noire et nuageuse. Les rues du quartier résidentiel d’Hesperia, constamment illuminé, étaient assez tranquilles, mais quelques personnes y circulaient pourtant, ainsi que les soldats de la milice hesperienne. Il leur faudrait être prudents. Natreck avait pris une gorgée du calmant que Neylie lui avait donné, et il se sentait en pleine possession de ses moyens. Cette potion faisait vraiment des miracles.

La mission qu’il avait accepté d’accomplir pour sa collègue n’avait en apparence rien de bien compliqué. Dame Bénédicte Von Kraft venait d’une famille bourgeoise bien logée, et les bijoux qui étaient leur cible étaient facilement reconnaissable. De jour, Natreck était passé devant la demeure des Von Kraft, une grande maison dans le style de la rue, pas particulièrement protégé, mais sans aucun doute bien surveillé. Cependant, le Corbeau avait l’impression que sa comparse lui avait caché quelque chose. Cela restait à voir...  

Neylie avait rendez-vous avec une autre ladrini surnommée La Faucheuse. Elle était, comme elle, connue auprès des ladrinis pour ses dons de voleuse. Ainsi, la nuit tombée, Natreck se faufila dans le dédale des rues jusqu’à trouver cette petite ruelle qui lui avait été désignée. Celle-ci, légèrement éloignée de la résidence qui les intéressait, était étroite et aucune fenêtre ne donnait dessus. Elle n’était accessible qu’en passant par plusieurs petites ruelles et n’était pas éclairée. Malgré tout, le corbeau, qui était en avance, prit le temps de retirer ses vêtements et de les cacher dans un coin avant de se transformer.

On lui avait dit d’attendre une jeune femme plutôt petite, d’environ vingt ans, au teint pâle, aux cheveux gris et blanc et aux yeux foncés. Le Corbeau étant d’avance, il prit le temps d’explorer le quartier d’en haut et de vérifier les tours de garde. Sa forme animale lui serait sans doute bien utile pour cette mission... Lorsque l’heure du rendez-vous arriva, il retourna vers la ruelle et y aperçut une jeune femme correspondante à la description. Il descendit vers elle et une fois à une distance raisonnable du sol, il reprit sa forme de yorka.

– Tu dois être La Faucheuse, dit-il à voix basse. Je suis Nat, Le Corbeau. Neylie m’a demandé de la remplacer aujourd’hui.

Pas de pseudonyme avec ceux de sa caste, seulement un surnom. Pour corroborer ses paroles, Natreck se dirigea vers ses vêtements, toujours caché dans un coin, et en sortit un petit médaillon qu’il présenta à la jeune femme. Indubitablement féminin, le bijou était décoré d’une gravure que l’autre ladrini ne pouvait que reconnaître : une dague et une clef sur une forme représentant un œil. Le symbole de leur caste.  

– Alors, quel est le plan ? demanda le yorka en enfilant son pantalon.

Avait-elle déjà réfléchi à la situation ? Natreck avait bien quelques idées, mais il espérait en apprendre plus sur celle avec qui il ferait équipe.

Elle ne semblait pas particulièrement sympathique. Il s’agissait vraisemblablement d’une lhurgyof, mais impossible de connaître son âge. Contrôlait-elle le monstre en elle ? Sa race ne gênait pas particulièrement le corbeau, mais il espérait qu’elle savait se contrôler. Si c’était le cas, elle pouvait être une alliée redoutable. Sinon...

– Rentrer. Récupérer les bijoux. Les rendre. Empocher notre part. Tailler notre route chacun de son côté.

Elle se croyait maligne. Elle se permit même de lui recommander de ne pas se faire prendre. S’il avait été plus susceptible, Natreck aurait sans doute répliqué. Cette suffisance était vraiment agaçante. Cependant, même si elle ne lui inspirait pas particulièrement confiance, le corbeau ne pouvait la juger sur ce simple coup d’œil et il se retint, ne voulant pas d’un conflit. Impossible de connaître sa véritable puissance. Après tout, il valait sans doute mieux ne pas la sous-estimer. La jeune femme sembla penser la même chose, car son regard s’adoucit, et elle lui retourna la question, sans politesse, mais d’une voix dépourvue d’animosité.

– La demeure est sur deux étages, répondit-il d’un ton neutre. Elle est assez luxueuse, il y a un petit jardin attenant et quelques balcons. J’ai vu des gens surveiller l’endroit, mais je ne crois pas que c’était des gardes, plutôt de simples vigiles.

Il réfléchit un moment. L’endroit n’était pas particulièrement protégé, les bijoux, faciles à identifier. Il s’agissait d’une simple histoire de couple, ainsi il serait étonnant que les bijoux soient si bien gardés.

– Pour une telle mission, on ne désigne habituellement pas deux personnes. Il y a quelque chose qu’on ne nous dit pas.

Il soupira. Voler se faisait habituellement seul. Cela limitait les chances de se faire prendre et évitait de mettre trop de gens au courant.

– Neylie est une bonne combattante. Si toi aussi, cela pourrait vouloir dire que cette mission est plus dangereuse qu’elle en a l’air.

Il l’observa un moment. Ses vêtements étaient sobres et peu visible, semblable aux siens. Sa posture, son regard sur ce qui l’entourait, l’aura qu’elle dégageait, tout cela faisait en sorte que le yorka ne doutait pas d’avoir devant lui une personne aux multiples talents.

– Je te propose de partir en reconnaissance. Sous ma forme animale, je vais tenter de voir de l’extérieur où pourraient se trouver ces bijoux. De ton côté, tu pourrais surveiller les vigiles. Il serait utile de connaître leur ronde.

Il désigna ensuite la ruelle.

– Retrouvons-nous ici dans une heure. Nous partagerons ce que nous avons appris et élaborerons un plan pour récupérer ces bijoux.

Il lui jeta un œil. Allait-elle accepter cette proposition?

– Bien, pendant que tu survoleras l’extérieur, j’explorerai l’intérieur tapie dans l’ombre. Au sens propre. Personne ne pourra me repérer. Je peux même trouver notre cible. Toutefois, sous cette forme, je ne pourrai pas y récupérer.

Un éclair passa dans les pupilles aviaires de Natreck. Sous cette forme ? Devinant qu’elle parlait d’un pouvoir, une foule de possibilités lui vint en tête. Quel genre de secret cachait l’autre ladrini ? En tout cas, elle s’était définitivement adoucie, et elle offrit un véritable sourire au yorka.

– Les bavardages, c’est pas mon truc mais, tu sembles loin d’être bête. Ton analyse tient la route. Je ne sais pas qui est Neylie et je me moque de savoir par quel bout elle tient son épée. On n’est pas là pour se battre mais, pour voler les bijoux.

Nat fut surprit de la facilité avec laquelle la jeune femme lui partagea certains détails du pouvoir qu’elle détenait. Ainsi, elle parcourait les ombres... Chez les ladrinis, il était commun de ne pas dévoiler ses pouvoirs. Ceux qui le faisaient demeuraient vagues pour garder des atouts dans sa manche. Ce n’était pas pour rien qu’il s’était mis en quête du gantelet d’Hephaestus, qui permettait de connaître les pouvoirs d’autrui. Avec ça, pas moyen d’être surpris par une magie particulière ! Natreck lui-même ne nommait jamais précisément ses pouvoirs. Il se contentait de s’en servir et laisser les autres autour de lui tirer leur propre condition sur ce que lui permettait son essence divine. De plus, contrairement à ce que beaucoup croyaient au premier abord, il n’était pas un terran, il n’avait donc pas besoin de catalyseur pour exploiter son potentiel. Le Corbeau ignorait toutefois si la femme était terrane. À vrai dire, elle ne l’était probablement pas.

La faucheuse lui proposait un plan différent basé sur ce pouvoir. Lorsqu’elle lui rétorqua qu’elle ne tiendrait pas le rythme pendant une heure, le corbeau hocha la tête. S’il déduisait bien, le pouvoir de l’autre ladrini lui permettait de se transformer en ombre. Pour cela, elle devait maintenir un flot continu d’essence divine, ce qui l’empêcherait de tenir très longtemps. Quinze minutes, cependant, semblait cours à Natreck. Cependant, il pouvait se débrouiller dans ce délai, mais il lui faudrait lui aussi utiliser sa magie. Bon, il aurait préféré l’économiser. Il était malade, et bien que le calmant lui donnât un air presque normal, il se savait plus fragile qu’à l’habitude.

– Ça me convient. Soit prudente, les pierres de sphène s’allumeront à ton passage.

Le corbeau jeta un œil à l’autre ladrini. Il espérait qu’elle soit prudente, s’introduire ainsi dans un bâtiment n’était pas sans risque. Certains pourraient avoir des pouvoirs de détections, chose fréquente chez des vigiles, et dans ce cas, ses pouvoirs pourraient lui jouer des tours... Sans plus attendre, Natreck se transforma à nouveau et s’envola vers la demeure des Von Kraft. D’un rapide coup d’œil à la résidence, le yorka aperçut quelques corbeaux se balançant sur une corde à linge. Il les rejoignit, croassant à leur approche, sociabilisant rapidement avec les jeunes mâles. Ceux-ci devaient se connaître depuis un bon moment, vu la manière dont ils jouaient, mais ils l’accueillirent avec enthousiasme. L’endroit offrait à Natreck un superbe point de vue sur diverses entrées de la résidence. Il s’envola lorsque ses nouveaux amis rejoignirent le ciel, se servant de la nuit pour ne pas se faire voir alors qu’il survolait la résidence.  

Il prit une bonne dizaine de minutes pour repérer les endroits qui pourraient leur être utiles. Entre les volets des pièces éclairés, il remarqua la disposition de certaines pièces, mais laissa le plus gros du travail à sa comparse, qui serait beaucoup mieux placée que lui pour obtenir ce genre d’information. Pour sa part, il atterrit sur le toit. Il se rendit au centre de celui-ci, puis reprit sa forme yorka. Se plaquant sur l’ardoise, il ferma les yeux et lança son pouvoir de localisation. Tout de suite, une foule de petites lueurs apparurent dans sa conscience, lui permettant de visualiser l’emplacement de tous ceux qui se trouvaient dans la résidence. Il ne pouvait percevoir leurs intentions, car ceux-ci n’avaient pas conscience de sa présence, mais connaître leur nombre et leur emplacement serait pratique. Il superposa ces lueurs aux gens qu’il avait aperçus un peu plus tôt et se fit une bonne idée du nombre de personne qui surveillait l’endroit. Il perçut l’essence de la Faucheuse. Il attendit de sentir sa présence quitter le bâtiment pour lui-même reprendre la voie des airs. À vol d’oiseau, il serait de retour avant elle.  

Lorsqu’elle apparut au bout de la ruelle, Natreck avait eu le temps de revêtir rapidement ses habits. Il lui fit signe de la main et s’approcha. Plongeant son regard noir dans ses pupilles marron, il murmura :

– Alors, qu’as-tu trouvé d’intéressant ?

– Il y a une dizaine de gardes en activité. Autant sur le point de prendre la relève. J’ai repéré la pièce où se trouvent les bijoux. Toutefois, je ne l’ai pas fouillée. Un garde était posté devant, j’ai voulu éviter de donner l’alerte. J’ai ouvert la fenêtre de la bibliothèque car celle-ci était vide.

J’ai une idée pour s’en emparer. C’est pour ça que je t’ai ouvert la fenêtre. Celle-ci se trouve à l’ouest du bâtiment, à l’étage. Tu pourras rentrer par là. Pendant ce temps, je déclencherai toutes les pierres de sphène qui ne sont pas sur le trajet que tu dois emprunter. Ainsi, les gardes me chercheront partout et de ton côté, tu auras la voie libre pour récupérer ce qu’on est venu chercher. Je tâcherai de tenir le temps nécessaire mais, plus vite tu auras fini, mieux ce sera. Le plan te convient?

Cela correspondait avec ce que Natreck avait découvert de son côté. Cependant, la jeune femme apportait des informations plutôt intéressantes, notamment sur le fait que certains étaient sur le point de prendre la relève. Cela signifiait deux choses : d’un, ils pouvaient profiter de cet instant précis pour accomplir leur méfait. De deux, s’ils se faisaient prendre, ils auraient du mal à s’échapper face à vingt gardiens. Valait-il mieux attendre que la moitié des gardes aient quitté le domaine ?

Il semblait étrange qu’il y ait autant de personnes pour protéger de simples bijoux. Vu la récompense qu’ils attendaient pour cette mission, ce genre de bijou aurait pu demander la présence de deux ou trois gardes ou mercenaire, quatre à la rigueur. Mais certainement pas dix, ou même vingt avec la relève. Cela cachait quelque chose. Plus le temps avançait et plus Natreck en était convaincu. Les bijoux ne pouvaient pas valoir si cher, sinon, il aurait été payé bien plus grassement. D’ailleurs, si la mission s’avérait plus périlleuse que prévu, le corbeau n’hésiterait pas à demander plus d’argent à Sir Vil, son employeur. Il fallait cependant pour cela accomplir la mission.  

La suite du plan était logique, et Natreck était presque prêt à l’accepter. Il gardait toutefois dans un coin de sa tête l’impression que cette maison cachait autre chose, et une furieuse envie de découvrir ce secret. Pour cela, il avait une idée. Le pouvoir de l’autre ladrini était particulièrement intéressant, et le corbeau avait envie de courir le risque avec Mimique. Il eut un petit sourire en se rendant compte que, peut-être trop prévenant, il choisissait de révéler ses secrets plutôt que d’imposer ses choix à la Faucheuse.  

– Je possède un pouvoir qui pourrait, avec un peu de chance, nous être utile. Si tu acceptes, je pourrais copier l’un de tes pouvoirs. Le seul problème, c’est que je ne peux pas choisir. Si tu as plusieurs pouvoirs, c’est le hasard qui choisira pour nous lequel j’obtiendrai. Si on a de la chance, je pourrais moi aussi me cacher dans les ombres. Sinon, eh bien, tu connais tes pouvoirs. Ce sera l’un d’entre eux. Crois-tu que ça vaille la peine d’essayer?

Il garda le silence quelques secondes pour permettre à la femme d’assimiler les possibilités que cela pouvait offrir.  

– Si ça ne te va pas, le plan proposé me convient.

Natreck réfléchit aux paroles de la jeune femme. Si elle ne lui dévoila pas la nature de ses pouvoirs, elle mentionna en posséder trois au total, et qu’ils pourraient tous être utile d’une manière ou d’une autre. Cela suffisait à Natreck. Après tout, il ne perdait pas grand-chose à essayer !

– Je ne maîtriserais évidemment pas aussi bien ton pouvoir que toi, mais je devrais être en mesure de m’en servir. Il faudra que je teste le pouvoir pour savoir lequel je possède. Le pouvoir restera en moi pendant dix minutes.

Le corbeau fixa les iris marron de l’autre ladrini et tendit la main vers elle, l’invitant à le toucher si elle acceptait sa proposition. Dès qu’elle le fit, le yorka activa Mimique. Il sentit alors son essence divine se modifier jusqu’à ce qu’il sente la présence d’une utilisation nouvelle dans son arsenal.

Il ferma les yeux quelques secondes avant d’activer timidement le pouvoir qu’il venait d’acquérir. Tout de suite, il sentit une résistance, comme si quelque chose essayait de venir à lui. Curieux, il se concentra sur la sensation. On aurait dit... un aimant. Il augmenta doucement le niveau d’essence divine et vit ce qui semblait être les armes de sa comparse trembler, comme si elles souhaitaient le rejoindre. Attentif, il remarqua les anneaux de métal ornant les armes. Un sourire franc s’afficha sur les lèvres de Natreck. Il avait compris. Le coup en essence divine était toutefois assez conséquent. Il devrait être prudent.

– Magnétisme, murmura-t-il.

Il se rappela les paroles de la ladrini, quelques secondes plus tôt : « Pour les deux autres, l’un pourrait t’aider à récupérer les bijoux ». Il s’agissait vraisemblablement de ce pouvoir, qui lui serait certainement utile. Il pourrait facilement trouver les bijoux en question en exerçant son pouvoir pour trouver ce qu’il cherchait. S’il couplait cela avec son pouvoir de localisation, il éviterait sans aucun doute de se faire surprendre.

– Ton plan sera donc le meilleur. Je prendrai ma forme animale pour entrer par la bibliothèque. À ce moment, j’attendrai de voir les pierres de sphènes s’allumer pour aller chercher ce pour quoi nous sommes ici.

Une fois à l’intérieur, cela se compliquerait certainement. Les gardes étaient très nombreux, et il lui faudrait traverser les couloirs sans se faire voir. S’il se tenait dans l’ombre, sa forme animale devrait lui permettre de rester discret, son plumage noir étant un camouflage plutôt efficace. Cependant, il devrait probablement reprendre sa forme humaine pour utiliser ses pouvoirs et s’emparer des bijoux. Il pourrait toutefois ressortir sous sa forme animale, le corbeau étant suffisamment fort pour transporter quelques bijoux entre ses serres.  

– Si tu es prête, allons-y !

Natreck reprit sa forme aviaire et se dirigea sans plus attendre vers la demeure des Von Kraft. De la voie des airs, il repéra rapidement la fenêtre de la bibliothèque, demeurée ouverte telle que la ladrini l’avait promis. Prudent, il se posa d’abord sur le toit, et sonda à l’aide de son pouvoir de localisation la pièce par laquelle il arriverait. Personne. Il reprit donc sa forme animale et entra dans la bibliothèque. Vu l’envergure de ses ailes, cela fut légèrement compliqué, mais il réussit à entrer sans éveiller de soupçons par un piqué audacieux. La porte menant au couloir, faisant face à la fenêtre, était fermée. Nat s’y dirigea furtivement et, reprenant brièvement sa forme yorka, l’ouvrit avec délicatesse. Dès que cela fut fait, il reprit sa forme animale et se posa dans la pénombre, sur une des bibliothèques, lui donnant une vue sur la pierre de sphène qui ornait la porte d’en face. Il ne lui restait plus qu’à attendre l’intervention de sa comparse.

Dès que Natreck vit la pierre de sphène s’allumer, il entendit les gardes se mettre en action. Toujours caché dans la pénombre, invisible à ceux qui passaient rapidement devant la bibliothèque, le corbeau attendit le moment propice.  

Après avoir entendu les escaliers craquer sous les bottes des gardes qui se précipitaient à l’étage inférieur, Natreck reprit sa forme yorka et balaya l’étage de son pouvoir de localisation. Compte tenu de l’action du pouvoir de La Faucheuse, aucune pierre de sphène ne trahit sa présence, celles-ci étant déjà allumées. Cela allait s’avérer très pratique! Visiblement, le garde qui aurait dû rester à son poste devait manquer d’expérience, car le brouhaha de l’étage inférieur avait visiblement piqué sa curiosité, suffisamment pour le faire quitter momentanément son poste. Dans la pièce voisine de la bibliothèque, Natreck détecta une présence. Comme celle-ci demeurait presque immobile, le corbeau devina, à l’aide des indices fournis par sa complice, qu’il devait s’agir de la maîtresse des lieux. Dans l’autre pièce, toujours selon les informations fournies par l’autre ladrini, il devait y avoir les bijoux qu’ils cherchaient. Gardant forme humanoïde, la yorka s’avança prudemment dans le couloir, veillant à repérer les planches du parquet susceptible de craquer.  

Lorsqu’il voulut tourner la poignée de la pièce qu’il souhaitait atteindre, Natreck grimaça. Était-il si étonnant que celle-ci soit verrouillée ? Voulant être certain de ne pas se faire prendre, Natreck utilisa à nouveau son pouvoir de localisation. La fille dans la pièce d’à côté n’avait pas bougé, les gardes se trouvaient tous à l’étage inférieur... C’est à ce moment qu’il sentit une présence, une présence étrange, juste de l’autre côté de cette porte. Étrange, parce que la lueur qu’il percevait était étrangement faible, beaucoup plus faible que pouvait l’être la présence endormie de la fille Von Kraft. Si faible qu’il ne l’eût pas détecté avant de s’être trouvé juste devant la pièce. Étrange, aussi, parce que lorsqu’il l’avait détecté, quelque chose avait remué en lui. Il ne pouvait pas expliquer pourquoi, mais il sentait qu’il devait trouver cette présence. S’en rapprocher le plus possible. À ce moment toutefois, le corbeau entendit des voix dans la cage d’escalier.  

– Allons attendre à l’étage !

Sans plus attendre et malgré l’instinct qui le poussait à ne pas s’éloigner de la faible présence, Natreck se transforma prestement et se faufila in extremis par la porte entrouverte de la bibliothèque qu’il venait de quitter. Plaqué contre le mur, juste à côté de la porte, il observa discrètement les gardes. Il regarda rapidement celui qui se plaça devant la porte. Il semblait nerveux, ses doigts tripotant quelque chose dans sa poche. La clef ? Soudainement, une voix féminine retentit à l’étage inférieur. Une voix que Natreck reconnut rapidement, même s’il ne l’entendait que de loin. Heureusement, sa complice jouait son rôle à merveille ! Alertés, les gardes redescendirent aussitôt. Pendant un instant, le yorka fut inquiet qu’on la trouve. Il se reprit toutefois rapidement. Le meilleur moyen qu’elle s’en sorte, c’était de réussir son coup. Le dernier garde hésita un instant devant la porte qu’il gardait, mais visiblement mal à l’aise de se trouver seul à l’étage, il finit par se diriger vers la cage d’escalier. Le pouvoir de l’autre ladrini fonctionnerait-il à cette distance ? Visant la poche du garde, il activa le pouvoir de magnétisme.  

Le garde ne sembla se rendre compte de rien, alors que la petite clef qu’il avait dans sa poche fiait vers la bibliothèque. Étirant le bras hors de la pièce dans laquelle il se trouvait, Natreck attrapa la clef qui filait jusqu’à sa paume. Un sourire étira ses lèvres. Voilà qui faciliterait les choses ! Sans plus attendre, il fila deux portes plus loin et inséra la clef dans le mécanisme de la porte. Sans résistance, le loquet se souleva et il put entrer dans la pièce qu’il convoitait. Il referma délicatement la porte derrière lui et la verrouilla de nouveau pour éviter de se faire surprendre. Lorsqu’il se retourna, il s’aperçut qu’il était dans une pièce d’exposition. Plusieurs bijoux se trouvaient en vitrine, de même que divers objets, dont la plupart ne disaient absolument rien à Natreck. Beaucoup semblaient anciens, d’autres encore transpiraient la magie, et il y avait un nombre incalculable de bijoux et autres pierres précieuses. Cependant, rien de tout ça n’attira l’attention du corbeau. Non, ce qui l’intriguait, c’était ce pot en vitre qui se trouvait en plein centre, sur un présentoir. Il semblait y avoir quelque chose à l’intérieur, une forme mouvante et brillante. Il se figea une seconde en constatant que la faible présence qu’il ressentait provenait de ce bocal. Pourquoi se sentait-il autant attirer par celui-ci ? Il ne résista pas plus longtemps à l’attirance qu’il ressentait.  

Il saisit le pot entre ses mains, curieux de voir ce qu’il se passerait. Mais rien ne se produit. Devait-il ouvrir le pot ? Si oui, pourquoi sentait-il sa gorge se serrer à cette idée, comme si cela représentait un danger ? Il tergiversa une seconde avant de décider de reporter ce mystère à plus tard. Il avait une mission à accomplir, après tout. En balayant la pièce du regard, il repéra rapidement les grosses émeraudes qui ornaient les bijoux qu’il cherchait. Enveloppant son poing dans un bout de tissu visiblement précieux qui était exposé là, il brisa le verre sans trop de difficulté. Il laissa choir son écharpe de fortune et saisit les bijoux qu’il cherchait. Il saisit un petit sachet de velours dans lequel il cacha les bijoux ainsi que le fameux pot de verre. Sans hésiter, il saisit également d’autres bijoux qu’il enfourna dans le sac. Non seulement ceux-ci augmenteraient sa paie, mais ils éviteraient également que leur commanditaire soit directement découvert. Après tout, s’il ne prenait que les bijoux offerts par Sir Vil Mordred, la culpabilité de celui-ci serait beaucoup trop évidente. Il saisit donc le plus de breloques possible, puis il se dirigea vers la fenêtre, espérant y trouver une échappatoire.  

C’est à ce moment que les pierres de sphènes arrêtèrent de s’illuminer. Calculant rapidement depuis combien de temps il était à l’intérieur, Natreck comprit que sa complice était probablement à bout d’essence divine et que, comme ils l’avaient prévu, elle se rendait au point de rendez-vous. Presque tout de suite, le brouhaha causé par les gardes qui étaient à l’étage inférieur remonta vers le corbeau qui tentait d’ouvrir la fenêtre. Il y parvint au moment où des voix retentissaient devant la porte. Il entendit la poignée jouer.

– Comment t’as pu perdre cette clef, double idiot ? vociféra l’un des gardes de l’autre côté de la porte. Et t’as quitté ton poste en plus !

Un coup fut asséné dans la porte. Ils allaient la défoncer ! Le plus vite possible, Natreck noua le sac dans lequel il avait mis les objets qu’il avait trouvés. Ceux-ci l’alourdiraient inévitablement, mais Natreck n’avait pas d’autres options. Il déposa le sac sur le bord de la fenêtre et reprit sa forme animale. Du sol, il sautilla jusqu’à atteindre son échappatoire. Au moment où la porte s’ouvrit dans un grand fracas, Natreck s’envola, alourdi par les bijoux qu’il tenait entre ses serres. Il entendit derrière lui des cris de rage et vit du coin de l’œil la lumière de la chambre de la dame de la maison s’allumer. Riant intérieurement, il se rendit tant et bien que mal jusqu’au point de rendez-vous, battant furieusement des ailes pour compenser le poids qu’il transportait. Lorsqu’il se posa enfin, la fille s’y trouvait déjà. Il reprit sa forme yorka et offrit un sourire satisfait à sa complice.  

– Hé voilà le travail !

Souriante, la Faucheuse l’accueillit avec une joie évidente, et Natreck fut heureux de voir que la mission les avait rapprochés. Lui-même avait davantage confiance en la jeune femme, maintenant qu’il savait qu’il pouvait compter sur elle. Elle exprima ses inquiétudes et le corbeau lui sourit, touché qu’elle se soit inquiétée pour lui.  

– J’ai aussi eu peur qu’ils te trouvent, avoua le yorka. Je suis bien content de notre collaboration. Tu m’as donné juste assez de temps, confirma-t-il avec un sourire satisfait.

Discrètement, veillant à ne pas faire trop de bruit, Natreck ouvrit le petit sac de velours et en sortit son contenu. Il écarta l’étrange bocal lumineux et les bijoux de Sir Vil Mordred, puis, d’un œil expert, il évalua avec rapidité et efficacité la valeur de ce qu’il avait volé en plus. Il y avait là pas mal de bijoux précieux, et le corbeau les sépara rapidement en deux piles qui semblaient avoir environ la même valeur. Alors qu’il séparait leur butin, la ladrini lui demanda s’il savait où livrer les bijoux. Il hocha la tête.

– Sir Vil Mordred vit dans une résidence bourgeoise du quartier résidentiel. Je crois que nous devrions attendre le matin, les gardes d’Hesperia seront aux aguets dès qu’on les préviendra du vol. Il vaudrait mieux se faire discret.

Il lui sourit en lui tendant une part du butin qu’il avait rapporté.  

– J’ai pris un peu plus de bijoux que nécessaire pour qu’on ne relie pas directement ce vol à notre commanditaire, expliqua Natreck. Cette moitié, c’est ta part !

Le corbeau avait rapidement revêtu ses vêtements, et sa part disparue rapidement dans les nombreuses pochettes que lui offrait ses vêtements, juste après avoir laissé le temps à sa complice de vérifier la valeur de ce qu’il avait pris. Comme ils avaient du temps à perdre, Natreck s’assit par terre, invitant sa collègue à faire de même. Il saisit ensuite le bocal, l’examinant attentivement. Illuminé de l’intérieur, il semblait y avoir quelque chose à l’intérieur. La lumière semblait se tortiller, prisonnière, comme si elle était vivante.  

– Je ne sais pas ce que c’est, ni combien ça peut valoir, avoua le corbeau d’un sourire contrit.  

Il lui tendit pour qu’elle l’examine à son tour. L’objet était probablement magique, car aucun objet ordinaire ne s’illuminait ainsi. Il ne dégageait pourtant aucune chaleur. Cela ressemblait à l’effet qu’une pierre d’exa aurait pu produire après avoir absorbé un sort de lumière, mais rien n’expliquait pourquoi cette lumière ne s’éteignait pas. Après tout, les pierres d’exas ne contenaient qu’un sort, qui s’épuisait dès qu’il était utilisé... S’il ne savait pas ce que c’était, Natreck se doutait pourtant qu’il s’agissait d’un artéfact précieux, à voir comment il avait été exposé dans la maison Von Kraft.  

Il discuta à voix basse avec la ladrini jusqu’à ce que le soleil se lève, trop profondément enfoncé dans cette minuscule ruelle de la basse-ville pour qu’on les retrace à la suite de leur méfait. Éclairé par l’étrange bocal, le corbeau raconta ce qui s’était passé de son côté, et écouta avec grand intérêt l’autre ladrini expliquer comment s’était déroulée la mission de son côté. Ils discutèrent ensuite de tout et de rien, un silence calme les entourant parfois, sans qu’il soit pourtant lourd ou gênant. Ils patientèrent ainsi jusqu’à ce qu’enfin, le premier des soleils pointe son nez à l’horizon.  

– Allons-y, murmura Natreck.  

Il les mena jusqu’à une charmante maison bourgeoise en brique. Saisissant le heurtoir, Natreck cogna trois coups. Rapidement, un homme, visiblement un garde, ouvrit la porte. Natreck annonça leur venue selon les codes convenus avec leur commanditaire. Rapidement, ils furent menés dans un petit bureau ou sir Vil Mordred les attendait. Après quelques formules d’usages, le corbeau livra les émeraudes à l’homme. Celui-ci semblait satisfait du travail des ladrinis. Il sortit sa bourse, comptant les dias devant eux avant de leur remettre chacun leur part. Rapidement, la transaction fut terminée. Le maître de la maison les raccompagna alors, les faisant sortir par l’entrée arrière. Une fois dans la ruelle, Natreck sourit à sa complice.  

– Je suis heureux d’avoir eu l’occasion de travailler avec toi. J’espère que nos routes se recroiseront !

Il lui tendit la main en un geste amical, mais professionnel. Puis il se détourna avec un demi-sourire.  

– À un de ces jours, la Faucheuse.