Elvyna Reeblim

Le silence est lourd, pesant. Depuis votre arrivée dans ces lieux, vous vous sentez compressé par les murs, étouffé par le plafond qui défie pourtant la cime des arbres. L'air se fait rare, se dissimule, se fait désirer alors que vos poumons peinent à trouver satisfaction et que l'angoisse vous guette. Le Temple de Kesha devrait vous apporter refuge et félicité, pourtant il n'en est rien. Vous êtes seul, abandonné à votre propre sort, rien n'a changé. Vous triturez vos mains nerveusement alors que des jeunes femmes font des va et vient devant vous sans jamais vous accorder la moindre attention. Elles savent pourquoi vous êtes là, et autant vous dire que cela ne les intéresse point. Mais bientôt, le claquement de talons sur le carrelage froid brise la monotomie, et les têtes se relèvent.

D'une démarche gracieuse, une jeune femme à la longue chevelure dorée s'approche du banc sur lequel vous vous balancez. De loin, vous l'estimez à un mètre soixante dix mais plus elle s'approche, plus elle grandit, aussi bien qu'à une dizaine de mètres de votre position, vous distinguez qu'au final elle frôle les un mètre quatre vingt dix. Sa corpulence est menue, ses bras fins, son air fragile contraste avec sa marche assurée et emplie de confiance en soi. Sa longue robe glisse sur le sol avec élégance, son rose poudré s'alliant parfaitement aux tonalités pastel et pures du Temple. Ses épaules sont recouvertes d'une épaisse fourrure blanche que vous associez à celle d'un renard polaire en plein Famael. A chacun de ses mouvements son vêtement laisse entrevoir ses chevilles pourvues de chaînettes décoratives, émettant un léger tintement, un pas après l'autre.

Une fois qu'elle est à une distance raisonnable, vous discernez de mieux en mieux son visage. Ses traits sont doux, sa mâchoire fine, son menton pointu. De belles pommettes rougies par un léger trait de maquillage se soulèvent lors qu'elle remarque que vos yeux sont rivés sur elle. Son sourire commence à s'étirer sur son visage, un grand sourire jusqu'aux oreilles dont vous remarquez seulement maintenant la particularité pointue. Ses lèvres sont teintées d'un rouge discret et dévoilent une dentition imparfaite, ses canines ressortant plus en avant que le reste alors qu'elle se réjouit de votre présence. Le vert de ses yeux vous transperce, ses paupières parsemées de poudres colorées vous hypnotisent.

Puis elle tend la main vers vous, dégageant une douce et subtile odeur de patchouli quand son bras se redresse. Quelques secondes passent avant qu'elle ne pose sa main sur votre épaule et qu'une phrase ne s'échappe de l'entre ouverture de ses lèvres. « Tu vas bien ? Je suis désolée d'avoir mis autant de temps à venir te chercher. J'étais prise ailleurs. Viens donc, je vais te faire visiter. Ce n'est pas tous les jours que je reçois de la famille ! ».

Elvyna naquit un beau matin d'Enkilil au beau milieu de la Canopée. Passionnée de lecture et soucieuse d'accroître toujours ses connaissances, sa mère prit la décision de la nommer ainsi car elle lut dans un ouvrage que cela signifiait "ami de tous" dans un ancien dialecte. Pendant les premières années de sa vie, la jeune Sindarin vécut un véritable rêve éveillé et les astres semblaient s'aligner afin qu'elle connaisse prosperité et douceur, chouchoutée par ses deux parents. Sa mère était responsable d'une librairie ambulante et son père se contentait de rendre service à qui voulait bien le payer, ce qui leur offrait une certaine liberté ainsi qu'un mode de vie peu casanier qui ne déplaisait absolument pas à la petite.

De plus, le voyage leur permettait de suivre les nouvelles du monde et d'éviter les mauvais augures. Ainsi pendant plusieurs années, le couple et son enfant écoutèrent les séismes qui secouaient le monde, la chute de Lokram, les différends entre les factions... Ils tentaient de ne jamais prendre parti et de rester dans l'ombre, mais nul n'échappe à la lumière. A l'âge de 70ans, la jeune Sindarin perdit de vue les chariots de ses parents lors d'une grande excursion. Elle eut beau chercher, s'enquérir de leur présence auprès des passants, entrer dans des villages pour quémander du soutien, elle ne parvenait pas à comprendre ce qui avait pu se passer pour que du jour au lendemain, ses parents disparaissent sans laisser de trace.

Un jeune homme en pélerinage recueillit alors l'enfant et la guida jusqu'au Temple de Délil ou elle put perfectionner son apprentissage, tout en poursuivant ses recherches. Pleine de reconnaissance, la jeune fille tentait tant bien que mal de rendre son tuteur fière d'elle et c'est ainsi qu'elle décida de s'engager auprès des prêtres et prêtresses de Délil. Emportée dans la foi par celui qui lui avait sauvé la vie, elle pria le Dieu, célébra la vie, s'engagea dans diverses fêtes et coutumes ayant pour but d'honorer ce que Délil avait à leur offrir : la beauté de la nature, le souffle du vent sur ses joues chaque matin, l'eau claire qui coulait entre ses doigts... Son influence ne connaissait aucune limite et cette omniscience créait un espoir sans fond dans le coeur d'Elvyna. Parfois elle pensait à tort que le vénérer ferait revenir ceux qui lui manquaient et elle se punissait d'avoir de telles inepties dans la tête. Sa foi devait être inconditionnelle, et c'est ce manque de conviction qui causa sa perte au sein du Temple plusieurs années plus tard.

La destruction d'Amaryl frappa la jeune femme de plein fouet. Bien que la ville ne soit pas réputée pour être la plus touristique de ces terres et qu'elle n'y ait jamais mis les pieds, le coeur d'Elvyna brûlait pour ces pauvres gens incapables de défier le destin, prisonniers de la maladie qui avait fini par complètement annihiler leur cité. En suivit un conflit avec son tuteur à propos de cet endroit laissé à l'abandon, débat dans lequel Elvyna prenait responsabilité de ne pas s'être rendue sur ces lieux pour prodiguer son aide. Délil prenait soin de la vie, pourtant il ne s'opposait point à toutes ces catastrophes. C'est à ce moment précis que la foi d'Elvyna commença à vaciller, alors qu'elle était prêtresse de Délil depuis quelques années déjà.

Après la destruction de la cité maudite, la jeune Sindarin commença à se renseigner un peu plus sur les autres déités. Parmi eux, Kesha sonna à ses oreilles comme une évidence. Elle prit la route vers Cimmeria avec ses quelques affaires après avoir salué ses anciens comparses. Cela ne devait être qu'une simple visite, qu'une sortie en dehors des murs du Temple de Délil et pourtant elle n'y remit jamais les pieds. Elvyna fut embrigadée dans le culte de Kesha et devint rapidement une référence chez ses consoeurs. Le coeur sur la main, elle représentait à la perfection le côté maternel et altruiste de Kesha et elle s'affaira à se perfectionner dans l'art de la médecine afin de pouvoir aider son prochain. Arrivée à l'âge de 197 ans, la jeune fille commençait à peine sa vie d'adulte lorsqu'elle entra dans le culte. Elle n'oubliait pas les leçons données par Délil mais prit soin d'éviter de l'évoquer tant qu'elle ne s'était pas fait un nom parmi les prêtresses. La cérémonie d'entrée eut le mérite de lui provoquer des hauts le coeur mais elle sut garder la face intacte. Une fois prêtresse de premier ordre, la tension sur ses épaules retomba mais ne connut qu'un court répit.

Elvyna vécut le renversement du pouvoir auprès des Prêtresses de Cimmeria comme un véritable bouleversement. Bien qu'elle n'était pas en tous points en accord avec Elerinna, la Sindarin abhorrait les excès de zèle et de violence. Elle tenta tant bien que mal de rester loin des conflits mais son statut de prêtresse de premier ordre la ramenait régulièrement à la réalité : avec ou sans elle, le putsch aurait lieu. La Sindarin prit une grande inspiration et suivit le mouvement sans faire de vagues, sans compter qu'Irinna semblait bien plus en accord avec ses principes que l'ancienne souveraine. La guerre que cette tension engendra fit sombrer la prêtresse dans la dépression durant un an, et ce n'est que grâce à la foi qu'elle avait en Kesha et en cette image de famille que la Déesse renvoyait qu'elle retrouva le chemin jusqu'à la surface.

Le temps ne l'attendrait point, et le réveil des colosses fut une nouvelle démonstration de la puissance de ces terres, du côté minuscule des êtres qui les peuplaient. Aujourd'hui Elvyna est une prêtresse de premier ordre qui prend très à coeur son rôle et passe la majorité de son temps au Temple de Kesha, à enseigner et à accueillir les âmes perdues. Consciente de son passé de prêtresse de Délil, elle a finalement accepté d'en faire bon usage et tente d'établir une connexion entre les Prêtresses de Cimmeria et les Gélovigiens de Délil car elle est convaincue que les deux castes peuvent s'apporter mutuellement de nombreux avantages. Elle est dévouée au culte et à ses consoeurs qu'elle défendrait corps et âme, avec lesquelles elle a pu développer sa magie, ses savoirs faire et ses savoirs êtres. Concernant sa vie privée, la jeune femme continue de chercher ses parents dans l'ombre, persuadée qu'ils ne l'auraient jamais abandonnée de la sorte mais ils semblent s'être volatilisés dans l'air. Elle attend patiemment que l'avenir lui apporte les réponses tant attendues, mais celui-ci ne lui semble pas décider à les lui donner.

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