Le jeu des couronnes musicales [Solo]

Le jeu des couronnes musicales [Solo]

La porte se referma sur une large silhouette dissimulée sous un épais manteau, le visage camouflé par vulgaire masque d’opérette.

« Puis-je prendre votre manteau ? »

La silhouette n’accorda qu’un grognement à l’aide de camp qui se dévouait pour lui, refusant de quitter les atours qui occultaient son identité.

« Laisse Gillian, laissons monsieur le garde du corps conserver son anonymat ♪ »

« Quelle utilité à tout ceci si vous donnez le nom de chacun à leur entrée… » Soupirant, le garde du corps du gouverneur retira son masque avant de laisser tomber sa capuche.

« Nous sommes entre amis, très cher, si le masque est important hors de cette salle, il est tout aussi important que chacun dans cette pièce connaisse les autres conjurés. »

Désignant la douzaine de personnes attablées, la jeune femme à la peau sombre présidant l’assemblée adressa un sourire enjôleur au garde du corps, un sourire où l’ironie dissimulait à peine le plaisir sadique qu’elle prenait à le voir assis ici, après avoir manœuvré pour lui couper toute autre possibilité d’action.

« A présent que notre dernier invité est arrivé, nous allons pouvoir commencer ! » Souriante, elle s’avança doucement, prenant appui de ses deux mains sur la table.

« Mes amis, je n’ai, je pense, plus à vous convaincre de la faiblesse de celui qui nous dirige aujourd’hui, sans l’aide de la cheffe des rouges et de sa chaîne blanche, la ville aurait succombé au chaos où à la maladie avant que le gouverneur ne se décide à l’action. Et ce n’est qu’un des nombreux exemples de son gouvernement laxiste qui rompt avec les saints enseignements de notre divin patron… » S’arrêtant une nouvelle fois, sa voix modulant son ton au gré de ses déclarations, ayant adopté le murmure envoûtant du conteur avant de gagner en puissance à la mention de son dieu, elle laisse un instant réfléchir l’assemblée alors que l’écho de ses paroles retombe dans la petite salle souterraine.

« Il est temps de changement, temps de mettre en place un vrai pouvoir qui ne renoncera pas à son propre usage… »

« Sous votre direction, j’imagine ? »

Caldan Leswell, un éminent marchand de Thémisto, connu pour l’importance de ses relations et celle de la profondeur de sa bourse. Son soutien financier serait important pour stabiliser la situation et s’assurer celui des autres marchands de la ville.

« La diplomatie voudrait que je mentionne *notre* direction en vous incluant tous… » Commença l’argyrienne en baissant la voix. « Mais nous avons convenu qu’il ne serait pas bon de se mentir entre … partenaires. » Se redressant, elle dégaina d’un geste souple la dague qu’elle gardait sanglée à sa cuisse, laissant courir le fil de sa lame contre le pouce de sa main gauche. « Nous avons tous notre place au sein de ce groupe et plus tard, au sein de la ville que nous comptons voir fleurir à nouveau… et chacun aura à gagné de notre association commune. Seulement ne vous méprenez pas… Si vous cherchez à quitter le giron de l’Ordre, c’est le fer des Rouges qui vous y ramènera de force. Autant vous éviter cette peine. » Achevant sa diatribe d’un ton doucereux, Zaahira entama un lourd tour de table, se glissant d’un pas souple de danseuse derrière les fauteuils de l’élite assemblée.

« Chacun ici, n’est que le numéro 2 ou 3 de sa spécialité… Une position des plus frustrante, j’en conviens. Et pour progresser, il faudrait pouvoir compter sur des appuis que chacun isolé n’a pas encore… Des appuis qui dépendent souvent du Gouverneur et de ceux qui le maintiennent en place… Mais ensemble… » Marquant une nouvelle pause, l’argyrienne se trouvait à présent face à sa place initiale, à la moitié de son parcours. Lentement, son ton s’adoucit, devenant un murmure, une caresse enivrante. « Ensemble, nous pouvons mettre à bas le plafond de verre de ces ventripotents plutocrates… et prendre le pouvoir ! »

D’un geste violent, la cavalière noire planta sa dague dans le bois dur de la table. Surprenant l’assemblée par la violence soudaine de son geste, qu’elle garda captif un instant de son regard envoûteur.

« Mais pour ça messieurs… il faudra vous en tenir au plan… »