Le tournoi se termine, la Tour débute.

C'était un moment extrêmement confus, mais infiniment joyeux.
La fatigue des combats et la douleurs des blessures, bien sûr, mais aussi l'extase de la victoire.
Toutes ces émotions se retrouvaient galvanisées par l'euphorie de cet instant si solennel, et dans ces moments les peines paraissent beaucoup moins perçantes, noyés sous la joie de l'accomplissement.
C'était tellement bon de pouvoir enfin ressentir tout cela.

En s'engageant dans le tournoi des tourelles, événement majeur du royaume, ce mystérieux individu avait bien sûr espéré gagner, c'est même ce désir qui l'avait porté.

Mais maintenant que c'était fait, ce n'était plus seulement un objectif à atteindre, ni une conviction, c'était devenu une réalité. Et avec cette réalité : tout son cortège de responsabilités.
Le moment où cet objectif final et absolu, cette fin à franchir -quasi surréaliste-, devenait le début d'autre chose.
Le moment où enfin, il devenait la Tour, le champion du Royaume d'Hesperia.

Abandonner ce qu'il était avant ne posa pas de soucis.. il l'avait déjà fait, c'est pour ça qu'il était ici précisément, pour recommencer une nouvelle vie, s'armer d'un devoir au sein d'un nouveau monde. Mais devoir se former à sa nouvel fonction.. voilà qui réserverait surement des surprises pour lesquelles il n'avait pas eu le temps de se préparer.

Le nouveau champion avait pu se reposer, plusieurs heures même, le temps de récupérer de l'épuisement et d'apaiser les blessures les plus sévères.
Néanmoins, il n'avait aucun mal à se souvenir des événements de la veille dans leurs moindres détails, avec quasiment la même intensité.
La poussière et le sang, mais surtout les cris de la foule... Ce n'est que grâce aux nombreux remèdes apaisants qu'on lui avait administrés qu'il parvenait à tenir debout sans trembler, sans quoi la douleur ou la pression n'auraient aucun mal à le saisir à nouveau et à l'étreindre, comme si il avait été à l'aube d'un nouvel affrontement.

Et c'était presque le cas à ce moment précis, pour tout dire : debout, devant la tente Royale, l'inconnu -qu'on appellerait désormais "la Tour"- attendait, raide et immobile.
Une nouvelle situation à laquelle faire face, là encore un affrontement à mener, mais sans épée cette fois. Du moins il l'espérait.

Le tournoi avait prit place à l'extérieur des murs de la cité, mais non loin de celle-ci, dans une immense lice mise sur pieds spécialement pour l'occasion.

Nombre de spectateurs avaient déjà rejoint leurs habitations, pourtant on entendait encore les gens s'affairer dans les environs. Quelque fêtards endurants, des écuyers chargés des nettoyer, et autres serviteurs qui commençaient doucement à déstructurer le camp de fortune entourant l'arène.

C'était étrange qu'un accomplissement aussi majeur de sa vie n'ait prit place que dans une bulle à usage temporaire.
C'était certes le seul moyen de pouvoir héberger tant de compétiteurs et spectateurs à la fois, mais la Tour ne pouvait s'empêcher d'y voir un symbole particulier.. encore baignée dans ses émotions : pour elle c'était un lieu de rêve, qui permettaient à des individus de tout horizon de crever les barrières pour devenir quelque chose de plus grand, de plus important. C'était un lieu de rêve, qui ne pouvait être vu, ni exister, le reste de l'année... il ne se dressait que pour désigner un vainqueur et disparaître immédiatement après.

Malgré l'état éphémère de ce lieu, le roi et son cortège militaire étaient encore là. Plutôt que de rallier immédiatement le palais une fois les festivités terminées, ils avaient choisit de rester encore un peu sur place, entre autre pour y recevoir le nouveau champions, et s'entretenir plus intimement avec lui.

En plus du sacre public effectué au nom de sa victoire, la veille, il devait être reçu par le roi et sa garde personnelle afin d'être initié à sa future fonction de garde Royal. Le vainqueur devait en effet être posté à la tête du Dernier Cercle, entourant le roi. L'ultime rempart défensif.

Il n'avait pas eu le temps d'y réfléchir, trop accaparé par les combats en eux même. Seulement, maintenant qu'il était là, le champion se demanda si c'était habituel d'être reçu comme cela, hors du palais, pour quelque chose d'aussi important. Il se demanda même si le vainqueur du tournoi était en effet désigné systématiquement au poste... ou si ce n'était que la première d'une longue série d'étapes.

Le roi se réservait surement le droit de le refuser si quelque chose ne lui convenait pas... mais quid de la réaction du peuple, si le champion qui s'était confirmé sous leurs yeux n'était pas désigné immédiatement comme défenseur du roi... quelle image ça pourrait bien donner à un tournoi si respecté, si la récompense était soumise à condition?

La Tour se maudit de ne pas en connaitre plus sur les coutumes du royaume qu'elle était désormais censée défendre, mais des pas approchèrent avant qu'elle ne puisse y réfléchir d'avantage.
Elle se raidit un peu plus.

Les chevaliers vinrent jusqu'au champion, pour le guider sans un mot sous la tente.
A l'image d'une salle du trône, la tente commençait par un long couloir qui menait de façon intimidante jusqu'à une section plus large où se tenait un trône, devant lequel se tenait un roi, autour duquel se tenaient des gardes.
L'environnement n'était que de tissu et de toiles et pourtant ça ne retirait en rien l'importance hautement intimidante de la situation, presque aussi forte que dans une salle de pierres épaisses.

L'espace d'une seconde le nouveau champion se senti tout petit dans son armure, avant de finalement se rappeler de ce qu'il était en cet instant précis : Le nouveau Champion.
Il vit les gardes s'écarter en le présentant au Roi, certains tournèrent même le regard vers le bas plutôt que de dévisager la scène, intimidés.

Seuls restaient droits les Herses présents, la garde royale... et surtout : Le Monarque Thimothé "Ier" Mannus, lui-même.

L'affrontement pouvait commencer.

La Tour s'inclina de plus en plus bas.
S'appuyant au sol de son bras gauche, elle posa un genou à terre, retenant de l'autre main le fourreau rangé à sa droite.
L'épée victorieuse qu'il contenait était maintenue immobile, soumise au souverain.
Les cliquetis de l'armure d'apparat se rangèrent les uns derrière les autres en s'amenuisant, tel le soupir apaisé d'une créature de fer.
Le casque à plume qui l'avait mené à la victoire était fièrement posé sur sa tête. Il était encore un peu cabossé suite aux combats, et jurait d'autant plus avec l'armure rutilante qu'on lui avait fait enfiler ce matin ; première récompense de sa victoire.
Il avait pourtant refusé d'en changer.

-Votre Majesté. C'est un véritable honneur.