Quand tu veux juste rendre service... {1er tymbé 1305}

Cette coupure de la mi-journée était la bienvenue, il me fallait bien un moment pour essayer de penser à autre chose mais je me connaissais, j'aurais beaucoup de mal. Sortir de mon bureau de générale en cheffe n'était pas difficile et coup de chance, Ela était finalement revenue plus vite que prévu de sa mission en Aziah et je n'étais absolument pas mécontente de croiser ma commandante en second, au détour du couloir principal de l'aile ouest royale.

Je partageai une longue étreinte avec ma guerrière blonde, heureuse de revoir un visage amical avant de l'inviter à me suivre pour la petite collation de mi-journée ou comme on aimait bien l'appeler dans l'armée, le "casse-graine entre-deux". Sauf qu'ici, la collation n'impliquait pas de bouffer une ration de merde dans le paquetage mais plutôt de s'enfourner des amuses-gueules dans l'un des établissements huppés de la ville. Certains rares officiers supérieurs y allaient mais au sein de l'état-major, ce bar-restaurant était un établissement qui était quelque part, ma chasse gardée. Je tolérai certains de mes collègues mais les autres généraux savaient qu'il ne faisait pas bon d'aller manger ou siroter un coup dans le même bistrot que sa supérieure. Et d'un point de vue plus pratique, j'avais la paix dans cet établissement car je n'avais pas à voir même en dehors du travail, les têtes de mes subordonnés. Le personnel me connaissait d'ailleurs plutôt bien et veillait à ce que je ne sois pas dérangée lorsque j'étais chez eux. Sans doute que le fait que je leur laisse de généreux pourboires n'y était pas non plus étranger...

Ela y était déjà venue avec moi et était même la seule de mes subordonnées que j'invitai à me rejoindre avec plaisir. Ce fut d'un bon pas que nous partions toutes les deux pour le bar-restaurant, quelques pâtés de maisons plus loin du palais. À un moment, je manquai de chuter en ratant un pavé sur le trottoir et je ne dus mon salut qu'aux réflexes d'Ela qui m'attrapa la main et la taille pour m'empêcher de me casser la figure. Un brin rougissante, je me retins de rire, à moitié inquiète avant de remercier mon amie et que l'on reprenne notre route. Parvenues au bar-restaurant, je demandais à ce que l'on soit installées en terrasse avec nos entrées.

Y a moinnss de monnde eng semaineuh... Putaing, j'suis conntennte d'pas y voir fouleuh cong.

En plus y fait beau et pas trop chaud, le froid est fini et c'est pas dommage, j'en avais un peu assez de me les geler. Figure toi que j'ai vu le roi avec les genoux qui tremblaient, c'était assez drôle... Et navrant.

Hahaha... Tiens ça m'rappelle mong petit là... Merdeuh commeng y s'appelleuh... Ong l'appelle tous Dédé, mong petit Dédé, monn aideuh de camp. Il a le même âgeuh qu'le roi là.

Eh, c'est qui ce gus... Jamais vu par ici. Peut-être un ladrini qui s'est perdu ?... Merde et il vient vers nous, y a pas moyen d'être en paix ?

Un membre du personnel de l'établissement eut le bon goût de se dresser sur le chemin de l'inconnu, certes encapuchonné mais le visage distinguable. L'employé du restaurant lui demanda de partir, d'une manière polie comme cela arrivait à quelqu'un qui n'était pas du milieu nobiliaire. La tension était présente car en plus l'inconnu n'était pas discret, il faisait vraiment tâche dans le décor. Inutile aussi de dire que les autres clients du restaurant avaient interrompus leurs conversations et regardaient la scène. Je croisai le regard de l'encagoulé et je sentais déjà qu'il était là pour moi. Je fis une moue irritée avant que Ela ne pose sa main sur la mienne sur la table, comme pour m'apaiser ou me rassurer. Qu'est ce qu'il me voulait...

Alfred. Laissez-nous. Ce monsieur n'en a pas pour longtemps.

L'employé du restaurant me regarda avant de s'écarter et de s'incliner légèrement en m'obéissant. Je fis peu après signe à l'inconnu de s'approcher d'un geste de mon index et de mon majeur joint mais je ne l'autorisai pas à s'asseoir. Comme je l'avais dis, il n'en avait pas pour longtemps et s'il tentait un assassinat en lieu public, non seulement il était stupide mais en plus, il ne s'en sortirait pas et j'avais une chance de m'en tirer, surtout si Ela était là. Vigilante et ne le quittant pas des yeux, je laissai un silence s'installer avant de parler à nouveau. Je ne savais pas ce qui amenait cet inconnu mais je voulais lui faire comprendre que je menais l'entretien. Il n'était pas en terrain connu et encore moins en terrain conquis. J'étais déjà passablement irritée d'être interrompue en plein milieu de ma coupure.

En temps normal, j'aurai laissé le personnel de l'établissement vous mettre dehors, aidé s'il le faut par le poste lupin à 1 pâté de maisons d'ici. Mais j'ai la sensation qu'il y a une raison bien précise qui vous amène. Vous avez quelques minutes.

Et pas d'conneries, j'vous ai à l'œil. Le dernier qu'a essayé a r'gretté de pas avoir été tué sur le momeng.

Codage par Libella sur Graphiorum

Sous la table, nos mains étaient sur la poignée de nos épées. Je devais bien l'admettre, c'était davantage pour me rassurer que pour véritablement la dégainer. Des officiers normaux auraient eus plus de difficultés que nous mais nous étions méphritiennes Ela et moi, le maniement de l'épée était une chose obligatoire lorsque l'on faisait son service militaire que l'on soit un homme ou une femme et ma seconde et moi étions des engagées. La table nous gênerait peut-être mais l'une de nous deux n'aurait aucun mal à l'envoyer voler en direction du malandrin pour nous occuper de lui et je mettrai les dégâts de l'établissement à mes frais. Étant en service, ce sera l'armée qui paiera pour les conneries d'un inconnu pas commode. Je fronçai un peu plus les sourcils en entendant le tutoiement du fauteur de troubles. Il était certain que cela ne m'aidait pas à l'apprécier... De plus, je sentais que Ela à côté de moi était ici en train de bouillir.



J'avais appelé ma commandante en second d'un ton autoritaire pour lui intimer en silence l'ordre de se taire et de me laisser faire pour ne pas envenimer les choses. L'individu fit ce que je lui demandais et relâchant la poignée de mon épée, je m'aperçus en effet que ma chevalière n'était plus là. Mais était-ce bien la mienne ? Ou me l'avait-il volé et était en train de me filer un objet en toc ? Si c'était le cas, ça faisait beaucoup pour une chevalière, certes de valeur mais à côté des nobles autour de nous, je faisais très sobre dans mon uniforme. Rien que les bijoux de la dame que je pouvais voir dans son dos valaient déjà plus que ma chevalière. Du coin de l'œil je vis que ma major ne lâchait pas l'encapuchonné du regard pendant que je tendis la main pour m'emparer prudemment du bijou sur la table. Pas de piège apparent ou installé en secret... La pierre incrustée ne sonnait pas creux ou ne faisait pas un bruit bizarre en tapotant dessus... Il y avait bien la marque secrète de l'orfèvre au service de ma famille sur chacune de ces créations. Non, elle me semblait bien réelle et ça avait l'air d'être la chevalière qui me manquait.

Je la remis à mon doigt, quoique avec hésitation et sans grande surprise, elle m'allait parfaitement. Je fis un discret soupir de soulagement avant de faire un signe de tête à Ela pour dire que tout allait bien. La blonde réagit à mon ordre et fit signe à un serveur de venir pour lui chuchoter à l'oreille que les autres convives pouvaient reprendre leurs conversations et leurs repas. La personne de l'établissement opina avant de dire à tout le monde que tout était sous contrôle. Le bourdonnement des conversations et les bruits des couverts reprit mais les gens ne lâchaient pas vraiment du regard l'intrus. Pour ma part, il était évident que je voulais me débarrasser de sa présence plus que dérangeante mais je réfléchissais à la meilleure manière de prendre congé de lui. En aucun cas, je ne l'inviterai à ma table mais s'il voulait quelque chose en particulier, il n'avait qu'à parler clairement.

Codage par Libella sur Graphiorum