Rencontre dans le sang [PV : Suie]

Sang.
Gémissements.
Larmes.

J’évolue comme spectatrice dans un univers de Souffrance et de Douleur, complètement indifférente. Des mains se tentent à mon passage. Pleine d’espoir. Des cris de douleurs accompagnent ma marche rapide.

Insistants.
Suppliants.

Le visage fermé, mes mains et ma blouse recouvertes de sang, je zigzague entre les rangés de mourants. Mes narines se plissent, sous les assauts incessants des vagues d’odeurs nauséabondes. La chair purifiée se mélange aux odeurs de pus et de sang flottant dans l’air, saturant l’atmosphère. Même l’habitude ne peut pas combattre cela.

Sortant finalement de cette pièce où règne une chaleur infernal, je prends une grande goulée d’air plus ou moins frais, me passant une main lasse sur le visage, traçant plusieurs sillons rouges sur ma peau mâte.

Soupir.

Les trois heures de travail écoulé pèse maintenant sur mes épaules comme deux montagnes de marbre.

Lourdes.
Horriblement lourdes.

Basculant ma tête en arrière, je sens les os de mon cou craquer. M’étirant sans retenu, je dénue rapidement mes muscles. Avant qu’une femme ne m’aborde.

Nathia.

- On a besoin de toi en urgence Cylinah. Une amputation de la jambe. Après ça, tu pourras aller te reposer.

Levant des yeux fatigués vers ma supérieure, je hoche faiblement la tête et entre de nouveau dans cet enfer. Attrapant une scie sur le côté, je repère rapidement Clemente, une de mes sœur, me faire un signe de bras. Lâchant un petit soupir, je la rejoins, enjambant d’autres malades.

- La jambe droite, juste au dessus du genou.

Je lève le drap masquant la chair du malade et grimace en voyant son état. D’énormes pustules de pus suintants ondulent sur sa peau d’une couleur jaunâtre. Réprimant un gémissement de dégout, je place un bout de bois entre les dents du jeune homme.

Pourquoi ne pas tout simplement le laisser crever ? Il ne servira plus à rien… Mais le travail est le travail, et si je veux garder ma place ici, je dois faire bien.

Vite aussi, si possible.

- Mordez là-dedans et tenez bon. Clemente, tiens le bien.

Maintenant la jambe d’une main, tenant fermement la scie de l’autre, je commence l’amputation, les dents d’acier mordant la chair avec avidité. Le patient se cambre. Tente de se débattre. Hurle. Gémit. Pleure. Mais nous tenons bon.

Peu à peu, la scie pénètre sa chair. La découpe avec violence, le garrot retenant légèrement le flux de sang se déversant de la blessure. Puis vient l’os.

Dur.

Redoublant d’effort, je le scie lentement, le bruit affreux du métal frottant contre l’os s’élevant au dessus des cris. Le jeune homme se cambre de plus bel, dévasté par la douleur.

Puis perd connaissance.

Je finie par réussir à détacher la jambe du reste du corps, un léger ruisseau de sang s’écoulant du membre sectionné. Poussant un soupir de soulagement, je laisse retomber mon bras épuisé sur le côté.

- Je te laisse gérer la plaie. Mon service et fini.

Et, enveloppant la jambe tuméfiée d’où s’écoule le pus, je l’emporte avec moi pour la jeter dans un immense feu, ainsi que mon tablier devenu vermeil. M’approchant d’une cuve remplit d’une eau encore claire, j’y plonge mes mains et mes bras, en enlevant sommairement le sang dans l’attente d’un bon bain. Quand je tourne les talons, le liquide est trouble.

Rougeâtre.

Exténuée et le visage encore à moitié couvert de sang, je déambule dans les couloirs vers la salle de bain. Il n’y a plus qu’à espérer que je ne rencontrerai personne de l’extérieur avant d’arriver dans la zone réservé aux prêtresses. Avec mes poches sous mes yeux et les traces vermeil maculant mon visage, je ferais presque peur.

Presque.