Une Nuit Mémorable

[Temporellement, ce topic se situe juste avant l'Event, et donc l'apparition de la Sarnahroa. Les premiers cas ont été détectés, mais cela n'a pas encore pris l'ampleur d'une épidémie. Veuillez le prendre en compte s'il vous plaît ^^]


Les trois lunes étaient hautes dans le ciel, et grâce à la brillance rougeoyante d'Ignis cette nuit, la cérémonie semblait bénéficier des meilleures augures. C'était certes une garantie assez précaire, mais elle était bonne à prendre afin de pacifier l'esprit occupé d'Irina. Car bien que la responsabilité d'officier à la cérémonie d'intronisation soit importante, ce n'était pas ce qui l'inquiétait. La vérité c'était que c'était un moment important pour de nombreuses personnes, notamment pour sa première apprentie, Alix. Elle était certes encore jeune mais largement compétente et le temps leur étant particulièrement précieux, il était important qu'elle puisse s'affranchir de certaines contraintes de la hiérarchie le plus vite possible. Il en allait de même pour Othello, une jeune prêtresse prometteuse qui avait récemment réalisé qu'au sein de l'ordre tout n'était pas ce qu'il y paraissait.

Spoiler:

Soupirant pour chasser la tension qu'elle ne pouvait pas se permettre de ressentir et encore moins de montrer, Irina se changea pour porter la tenue de cérémonie officielle. Une robe que seule la Grande Prêtresse, ou dans ce cas-ci, sa remplaçante en circonstances exceptionnelles, pouvait avoir l'honneur de porter. Et étant donné qu'Elerinna était trop occupée à comparaître à un banquet organisé par le Maire pour réunir les 'grands de ce monde', c'était à Irina qu'incombait la charge de présider à cette cérémonie. Enfin si elle préférait donner la priorité aux mondanités plutôt qu'à la pérennité de l'ordre, c'était son problème. Après tout de sa part plus rien n'était surprenant tant qu'il s'agissait de bassesse. D'un autre côté même si la rouquine était sûre que sa rivale cherchait à lui faire goûter à un prestige qu'elle pensait hors de sa portée, ce soir était une chance unique. Partager un moment aussi important et solennel avec des nouvelles arrivées et leur montrer l'étendue et la puissance de leur Ordre c'était une ouverture qu'elle comptait exploiter. Sans parler du fait qu'elle avait enfin l'opportunité de faire passer l'épreuve à celles qui le désiraient de manière impartiale, sans que personne ne brouille les cartes à des fins personnelles.

Un discret sourire de satisfaction perché sur les lèvres, la serpentine marcha à grandes foulées pour s'assurer qu'elle ne serait pas en retard. Quitte à faire les choses, autant les faire dans les règles. Ouvrant donc les portes pour accéder à l'antichambre de la cérémonie, là où devaient déjà l'attendre toutes les jeunes femmes qui voulaient rejoindre leurs rangs ainsi que les novices aspirant à l'ascension. Ses yeux émeraude reconnurent plusieurs visages familiers dans l'assistance, mais ils en virent aussi des nouveaux, ce qui était assez agréable au final. Se plaçant au centre de l'assistance qui l'entoura rapidement dans un parfait demi-cercle, Irina avait choisi de se tenir à leur hauteur plutôt qu'à distance sur les marches qui marquaient leur différence.Les saluant par l'habituelle révérence, Irina gardait bien à l'esprit qu'elle était sensée être l'avatar vivant de Kesha, du moins pour cette nuit. S'adressant en premier aux jeunes recrues tout juste arrivées, elle ouvrit les bras comme pour reproduire la pose de l'immense statue qui était derrière elle.

« Soyez les bienvenues, filles de Kesha. Que cette nuit soit la première de celles ou vous dormirez dans son étreinte... Cependant l'heure n'est pas au sommeil, mais à l'éveil. » Elle fit une pause et observa cette marée de visages qui la regardaient. « Vous toutes, êtes vous prêtes à renoncer à celle que vous étiez pour vous dévouer entièrement à confrérie? Veuillez s'il vous plaît décliner vos noms de naissance, afin que toutes ensemble nous puissions les enterrer. »

Son regard perçant se posa alors sur les premières jeunes filles qui avaient assez vite pris l'initiative de s’exécuter dans l'ordre où elles se tenaient, en commençant par l'extrémité du cercle. Toutes tenaient dans leurs mains des torches rituelles en argent qui faisaient danser sur leurs traits la valse des flammes. La nuit était encore jeune et ces jeunes femmes n'avaient aucune idée de ce qui les attendait. Et c'était mieux comme ça,... car si elles savaient il n'était pas dit qu'elles n'aient pas simplement pris leurs jambes à leur cou.

Spoiler:

Les profonds ténèbres plongeaient Zergebia au plus loin de ses pensées. Pourquoi avait-elle répondu à l'appel des grandes prêtresses? Elle n'en avait aucune idée. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'actuellement elle n'était personne, et encore moins cette femme qui s'avançait en direction de la cérémonie: Lila Delvaux. Elle fatiguait de se cacher, de se dissimuler sous cette apparence. A tel point qu'elle laissait s'enlaidir son propre corps, celui qui ne se résumait pas à une simple illusion.

Ses pas lui firent grimper les quelques marches d'escaliers qui la séparaient du temple. Quelques femmes s'inclinèrent en guise de salutation, Zergebia en fit autant. Elle ne se souvenait plus de la moindre relation humaine de son passé, si ce n'est une éphémère vague de mélancolie qui l'envahissait régulièrement. Tout cela lui manquait terriblement. Elle avait envie de découvrir le contact, la chaleur et l'amour. Des notions qui lui paraissaient totalement étrangères. Mais comment pouvait-elle seulement y parvenir?

Malgré toutes ces contrariétés, cette nuit là, Zergebia souhaitait participer au rituel. Elle souhaitait enfin devenir quelqu'un, ou un semblant de quelqu'un. Lorsqu'elle approcha du lieu de la cérémonie, voir toutes ces autres femmes réunies en sa compagnie la réjouissait. Peut-être avait-elle enfin trouvé un clan? Par bonheur, Lila ne s'était que peu liée avec les autres prêtresses. Elle venait de s'engager dans cet ordre, et Zergebia s'était manifestée au bon moment.

La syliméa eut tout juste le temps d'arriver que deux larges portes s'ouvrirent: une femme vêtue d'une somptueuse robe dont les volants flottaient sous ses mouvements les accueillait, elle et ses futures soeurs. Car c'était ce soir qu'elle se ferait baptiser. Zergebia et toutes les femmes autours d'elle firent la révérence à la représentante de la déesse Kesha. La syliméa croyait-elle réellement à ce culte? Croyait-elle en Kesha? Là n'était pas la question, elle ne croyait en rien. Peut-être cela allait-il changer. Ce n'était pas tant le culte qui l'intéressait, mais le lien qu'il offrait, un lien éternel qui, ne le savait-elle peut-être pas, l'enfermerait à tout jamais.

Les jeunes femmes durent chacune leur tour, décliner leur identité. Et bientôt, ce fut au tour de Zergebia. Quelle identité devait-elle décliner? De quelle naissance devait-elle faire part? Peut-être sa deuxième. Oui, c'était sa deuxième identité qu'elle devait enterrer: Lila Delvaux.
Zergebia s'écarta du groupe, un pas en avant, comme toutes celles qui s'étaient présentées avant elle.

"Je me nomme Lila Delvaux. Et ma plus grande hâte ce soir est d'enterrer ce prénom, déesse."

Une forme sibylline observait la scène, baladant silencieusement ses yeux d’ébène sur la foule en ébullition de jeunes femmes en fleur, toutes vêtues du blanc symbole de la Très-Haute. La cérémonie d’entrée des jeunes prêtresses était un passage obligé pour toutes les futures nonnes qui souhaitait porter au monde le salut de Kesha. Elles étaient toutes là, jeune, pures, encore ignorante des pratiques de cette maison. Le regard doré s’affaiblit, gagnant bien vite le sol. Othello se souvenait très bien de son baptême, il y avait déjà trois ans de cela. Elle aussi s’était tenue sur ces dalles trois ans auparavant… Aujourd’hui encore, elle se retrouvait là, dans une autre robe blanche, différente de la précédente, marquant qu’elle était d’ors et déjà membre de l’ordre et que c’était un baptême bien différent qui l’attendait en cette nuit. L’étau de la foule se resserra bien vite autour d’elle, l’air devenant bientôt saturé de parfums en tous genres portée par les disciples. La foule… C’était un des éléments de la société qu’elle supportait le moins. Pourtant, elle devait faire de son mieux pour se mêler à elle en ce jour bénie. Relevant son regard, elle aperçut bien vite la brune et pure Alix, attendant elle aussi son ascension. Un léger sourire se dessina au creux de ses lèvres, et elle glissa jusqu’à elle. Attendre à plusieurs était bien mieux que d’être seule…

Au bout de quelques minutes, une silhouette presque mystique s’échappa d’une porte sombre, un dessin aux traits presque magique relevé de sa traditionnelle flamboyance qui lui donnait à cet instant une figure proche du divin. Dés qu’Othello l’aperçut, elle comprit que la Grande Prêtresse était absente… Il n’y avait bizarrement rien d’étonnant à cela. Un repas « d’affaire », d’autre cœurs et fonds à conquérir, d’autres plans macabres à manigancer probablement. La sirène soupira… Mais elle était rassurée. Irina remplirait bien mieux le rôle de représentante de la Déesse que la pâle sindarine. En tout cas, elle irradiait bien plus qu’elle. Le fantôme blanc resta silencieux, entendant le murmure de la foule. Ses oreilles translucides se dressèrent, portées par tant de chuchotements, se détachant de ses massives boucles blanches qui encadraient son visage de neige. Toutes les jeunes filles autour d’elles paraissaient surprises. « Bienvenue dans l’ordre… », pensa Othello, restant toujours de marbre au milieu de tant d’effusion. Bientôt, Irina commença son discours d’entrée envers les nouvelles venues, et les prêtresses plus anciennes, créant de ses mots le calme et le silence.

Une à une, elles déclinèrent leurs identités, se nommant les unes après les autres. Elles étaient nombreuses cette fois-ci, plus que l’année précédente. C’était surprenant. Othello était persuadée que la foie diminuait pourtant chez les jeunes femmes de Cimméria, moins nombreuse à vouloir prendre le voile et rejoindre un mouvement religieux. Mais il semblait que leurs actions aient tout de même faits leur effet. Un rayon de lumière fin balayait les alcôves d’une lumière grisâtre, éclairant les visages des jeunes femmes s’avançant dans les lueurs pour se présenter. Une jeune femme finit par s’avancer, une rousse aux traits avenants et aux yeux… Changeants ? Othello n’avait jamais vu un tel phénomène. Son regard paraissait aussi étrange que rayonnant, poussant la sirène à la fixer de nombreux instants, essayant d’apercevoir ses deux yeux malgré la distance et leurs positions différentes sur les dalles du temple. La jeune femme se prénommait Lila, un prénom fleuris et agréable, délicat en bouche, dépaysant pour une cité des glaces. Elle paraissait soulagé, particulièrement enthousiaste d’être bénie entre ces murs gelés de pierre, dans cet air froid que la sirène connaissait par cœur. La quittant finalement du regard, le reposant sur le visage doux d’Alix, ses pensées restant sur la dénommée Lila dont le regard cachait un étrange secret propre à elle-même.

Petit à petit, les laps de silence se firent plus imposants, plus marqués. Bien qu’ayant déjà était baptisée dans les bras de la Déesse, cette cérémonie était aussi pour elle un renouveau, une ascension dans l’ordre. Elle se voyait accéder à un rang plus noble, éloignée des ordres de la sindarinne. Bien que le fait de monter les échelons ne lui ait jamais parut essentiel, et que son but fut uniquement de servir la Très-Haute et ses sœurs, elle avait récemment commencé à attendre ce jour, patientant petit à petit, priant au temple ou dans son herboristerie dans l’espoir de voir se lever les trois lunes, annonçant le renouveau. Et bien que la raison de sa présence soit fondamentalement différente de celle des nouvelles venues, elle ne devait en aucun cas échapper aux règles et aux coutumes de cette cérémonie. Comme chacune, elle devrait décliner son nom, l’offrant une nouvelle fois à ce temple et à son dôme où sommeillait déjà des milliers de voix. La sirène maintint son silence, attendant l’instant propice où elle pourrait parler. Une fois qu’un silence un peu trop long se présentant, elle souffla simplement de son ton vide l’accompagnant toujours :

« - Je me nomme Othello Lehoia, et souhaite ce soir renouveler mes vœux offerts à la déesse. »

Suivant le modèle instauré par toutes ses prédécesseurs, elle était la première des initiés à l’ordre à avoir parlé. Retrouvant son mutisme respectueux, elle se terra de nouveau dans l’écoute, regardant de nouveau la jeune Alix à ses côtés. Il était vrai qu’en cette soirée, elle ne pourrait faire entendre sa voix… Son regard glissant vers le toit de l’édifice, elle pensa intérieurement que Kesha l’écoutait forcément, et était la seule à connaître sa voix. Cela ne faisait aucun doute qu’en une telle soirée, elle l’entendrait. Et Irina leur servant à toutes de guide et de représentante, ne risquait pas de la prendre à partie. Elle connaissait la jeune fille mieux que quiconque, et saurait la protéger quoiqu’il arrive. La sirène balaya de nouveau la foule, ses pensées allant au puissant félin qui était son compagnon, dormant probablement profondément dans un des coins de son herboristerie, terrée bien plus loin au cœur des dédales gelés et incertains de la cité de Hellas. Les voix, les sons continuaient, transformés par la résonance en un chant perpétuel destiné aux cieux. Peut-être qu’en montant, ils atteindraient les anges…

Les noms se succédaient sans pour autant que l'expression d'Irina ne change d'un iota. Elle était habituée à cette procession de visages, à ce fil rouge de noms successifs qui bientôt allaient perdre de leur sens. Cette partie de la cérémonie visait simplement à stimuler la réflexion des jeunes filles, leur faisant comprendre que leur nom, leur identité, leur passé faisait partie d'une page qui allait être tournée. L'ordre de Kesha n'était pas simplement une institution bénévole qui travaillait pour soigner, il était aussi une confrérie de femmes qui étaient sensées se comporter comme des sœurs. La solidarité était une des valeurs fondamentales et fondatrices de leur mouvement, quand bien même hélas les années et le règne sans partage d'Elerinna le leur avait fait oublier. Sans complexe, elle traduisit naturellement lorsque vint le tour d'Alix, qui bougea gracieusement les mains pour s'exprimer, à défaut de faire autrement.

« Je suis Alix Gaynn, servante de la Lumineuse. Et tout comme j'ai renoncé à ma voix, pour sa gloire je renonce désormais à mon nom. »

Plusieurs d'entre elles regardèrent dans sa direction, mettant quelques secondes à comprendre pourquoi c'était elle qui avait pris la parole. Fort heureusement les mots choisis par l'adolescente servirent également à expliquer sa situation assez particulière. Nul n'osa faire de commentaire, et les chuchotements qui d'ordinaire se seraient faits entendre n'eurent pas lieu.
Avec une fierté certaine, Irina regarda ces visages un à un. Ses efforts de recrutement avaient commencé à payer, et bien qu'elle soit tout juste au début du voyage, il était rassurant de voir qu'elle ne serait pas seule. Leur souriant d'un air presque maternel, elle laissa ses yeux dériver vers Othello et Alix, postées côte à côte. L'une comme l'autre avaient l'air déterminées... ce qui lui rappelait assez sa propre initiation, il y a bien longtemps.
Alana avait alors été sa mentor, et à cette époque Elerinna n'était encore qu'une acolyte comme tant d'autres. Prenant une longue inspiration, elle écouta les jeunes femmes donner leurs noms, jusqu'à ce qu'enfin la vingtaine de jeunes ait terminé. Alors elles marchèrent les unes après les autres vers le foyer brûlant qui se trouvait au pied de l'immense statue de Kesha, et y jetèrent des bouts de parchemin y contenant leurs nom et prénom. Les flammes dévorèrent leurs passés avec avidité sous les yeux de la déesse, dans un crépitement rappelant les feux de cheminée. Un choeur entamant l'hymne des prêtresses résonnait en fond, même si personne de visible ne chantait.

« Que celles aspirant au rang d'Acolyte, tout comme toutes celles désirant passer l'épreuve une première fois s'avancent vers moi, et me déclinent leurs raisons, ainsi que leur mentor, pour celles qui en ont. Ensuite, si vos motifs sont purs, je vous emmènerai au lieu de l'Initiation. »

Zergebia se trouvait légèrement perdu entre toutes ces femmes et dans ce lieu qu'elle avait encore peu visité. Elle ne connaissait personne et ses yeux fixait la représentante de Kesha qui, ce soir, devenait leur guide. Une fois que toutes eurent décliné leur identité, la rayonannte prêtresse supérieure les guidèrent jusqu'à une majestueuse statue de la déesse Kesha. Un feu s'élevait pour y consummer son nom à inscrire sur un bout de papier. Elle récupéra une petite plume mise à disposition, après que plusieurs de ses nouvelles soeurs l'eurent utilisé, et récupéra un petit bout de papier où elle inscrit.

"Lila Delvaux, terrane."

Elle le replia en prenant soin à ce que personne ne puisse voir ce qu'il y avait d'écrit. Pour elle, c'était comme abandonner définitivement cette apparence. Si ça pouvait être aussi simple... Il y eut comme un sourire narquois qui lui fit fasse lorsqu'elle fit brûler son nom dans les flammes. Se trouvait-elle au bon endroit? Il fallait de toute évidence qu'elle se trouve quelque part. Tel était le sens de la vie, accomplir et devenir. Peut-être était-elle déjà devenu, et avait-elle déjà accompli. Mais quel était dorénavant le sens de sa vie?

Les chants religieux pénétrèrent la syliméa. Elle vascilla légèrement, fatigué de la foule et de sa présence inexpliquée. Sa confusion la fit entrer en transe; visions tourbillonantes de ces voiles blancs qui lui obstruaient la vue et de ces lueurs orangées qui repeignaient le sol. Et cette chaleur qui carressait sa peau jusqu'à faire couler quelques gouttes de sueurs dont elle croula presque sous le poids. Tout semblait lourd cette nuit là.

Sa guide se trouvait toujours là. Celle qui lui ouvrirait une nouvelle voie pour sa vie. A cet instant, Zergebia se crut seule, en face à face. Le néant s'abbatit autour d'elle lorsque qu'un appel lui fut lancé. Elle s'approcha de la représente de Kesha et la fixa de ses yeux vides.

"Je cherche la voie de mon existence à travers ce baptème. Je cherche le lien du vivant, et espère pouvoir renaître en mes soeurs, par le titre dont vous m'acculerez. Je n'ai ni mentor ni ami, et je souhaite prendre part à cette initiation pour un nouveau départ."

La jeune femme aux yeux changeants avaient été une des première à s’avancer, se présentant devant le grande statue aussi morte qu’inanimée de la Très-Haute. Un feu crépitait majestueusement dans un petit antre rougeoyant, attendant impatiemment les premières chaires d’encre et de papiers qui disparaitraient dans son brûlant gosier. La masse toute entière de jeune demoiselle s’était déplacé dans un brouhaha élégant de froissement de tissus et d’étoffes, déplaçant les parfums dans tout l’édifice. Othello suivait patiemment à la fin de la foule, ayant, pour une raison qu’elle-même ignorait, rabattu sa capuche sur ses majestueuses boucles d’argent. Sans même se poser la question du pourquoi, elle voulut se faire aussi discrète que les souries qui grouillaient dans les sous-sols du temple, ou la multitude d’insecte qui reposait dans les méandres d’une terre humide. Elle avait conscience que son apparence d’hybride, ses oreilles luisantes et humides, ses rayures étranges qui griffaient ses joues, ses yeux étrangement sombres aussi profonds qu’un immense gouffre étaient loin d’être anodins, et passaient difficilement inaperçu. Et se démarquer des autres jeunes filles étaient bien la dernière chose auquel elle aspirait. Après tout, un hypnotiseur n’hypnotise-t-il pas mieux lorsqu’il est semblable à ses pairs ? Eh puis, aussi devait-elle se l’avouer : une telle concentration de personne dans ce petit espace ne la rassurait pas…

Conservant le masque de verre qui lui était propre, elle faisait en sorte de garder un œil sur Alix, comme sur l’étrange jeune fille à la prunelle incertaine. Ce détail ne lui revenait toujours pas, et quelque chose en elle lui disait qu’elle pourrait, tôt ou tard, leur être utile dans leur combat pour la justice et la constance en ces lieux. Silencieusement, elle l’observa déverser dans les flammes son nom puis se diriger vers la Flamboyante, comme elle l’avait précédemment demandé. La marine regarda son ombre orangée s’éloignait, alors que d’autre prenait sa place devant le petit foyer. Une à une, elles déposèrent dans la petite coupole incandescente leurs noms, laissant toute derrière elle la marque de leur présence par d’agréables vapeurs. Le crépitement des flammes berçaient leurs marches, rythmant la cérémonie qui avait lieux sous les yeux de la sirène. Irina devait recueillir bien des confessions… Là où elle s’était, Othello n’entendait que de vagues murmures, des souffles rapides et aiguës, tout en couvant Alix du regard. Arrivant devant l’âtre, elle laissa passer la muette, souhaitant la diriger au plus vite vers sa gardienne. La jeune fille finit par s’éloigner à son tour, laissant la sirène dans une étrange contemplation.

Les flammes avides dévoraient le petit bout de parchemin contenant le nom sous les yeux ébènes de la jeune femme, fascinée par le ballet délicat des petits gerbes, tournoyant et pétillant comme de petites danseuses. Elle glissa sa main dans sa longue poche que contenait sa cape et finit par sentir sous le bout de ses doigts le papier fin et sec sur lequel elle écrirait son nom. Se saisissant de la plume déjà utilisée des dizaines des fois, sa main commença à décrire les courbures raffinées qui composaient son nom. Le calme le plus serein régissait à ce moment son esprit. La cérémonie se passait pour l’instant pour le mieux, mais conservait à ses yeux un aspect nébuleux. Après tout, elle ne savait toujours pas en quoi consistait l’épreuve qu’Irina leur ferait passer… Quelque chose lui disait qu’il ne s’agirait pas de celle qu’elle avait subie quelques années auparavant avec la blonde sylvestre, dont le regard infâme et la sombre allure planait toujours au-dessus de leur tête. Non, ça ne pourrait pas être ça… Irina avait probablement un autre plan à l’esprit, profitant de l’absence de la Grande Prêtresse pour redonner à l’ordre les dorures qu’il avait autrefois. Elle devait donc avoir une autre idée abritée par ses cheveux de feu…

Le parchemin se plia dans un dernier crépitement, voyant Othello disparaitre de ce spectacle brûlant pour rejoindre le chemin d’ombre qui la menait vers la Serpentine. Elle entendit le chuchotement de la foule, les hésitations de certaines, les doutes des nouvelles venues ne sachant encore si elles devaient mettre leur identité dans ce bûcher miniature. Pourtant, son visage de verre ne bougea point, gardant la même froideur angélique qui le recouvrait d’habitude, lui donnant l’aspect d’une grande poupée de porcelaine s’avançant doucement vers la gardienne de la procession. On aurait presque dit un spectre, abritée sous les toiles de sa capuche. La silhouette auréolée de la Flamboyante était déjà bien visible, et il ne fallut que quelques instants à la sirène pour se retrouver en face d’elle. Son regard, vide et absent quelques secondes auparavant, se remplie de considération et de respect. Elle éprouvait à présent pour elle une réelle sensation d’allégeance, une loyauté bien plus forte et noble que celle qu’elle avait réservait jadis à la grande prêtresse. C’était presque l’admiration qu’un soldat portait à son capitaine qui naissait peu à peu dans son esprit. Aussi inclina-t-elle respectueusement le visage devant la dame brûlante.

« - Me voici de nouveau devant vous. J’aspire humblement au rang d’acolyte, et ne possède ni mentor ni gardienne en ce lieu… Mais serait comblée si vous estimez juste de m’en accorder un. » Dit-elle doucement. « Quant à mes motifs… Je pense pouvoir dire qu’ils sont semblables aux vôtres… » Elle chuchota les dernières paroles comme une confession timide, s’assurant une discrétion totale, certaine qu’aucune autre âme n’aurait pu l’entendre si ce n’était celle à qui le message était destiné.

La sirène baissa alors lentement le visage, s’écartant ensuite de la Flamboyante pour rejoindre le rang des sœurs. Sur son chemin, elle murmura une dernière fois « Que Kesha me juge digne d’accomplir l’épreuve qui nous est destinée… ». Ne sachant si on l’avait entendu, elle disparut silencieusement dans l’ombre d’une colonne, perdant ses iris dans les délicates courbes de ses boucles blanches.

Des volutes de fumée s'échappaient du brasier sacré ou les noms étaient consumés un par un. Les visages défilaient devant Irina dans une procession aussi synchrone qu’hétéroclite, sans pour autant troubler son expression. Avec la même quiétude et la même impartialité elle avait écouté toutes les demoiselles, se faisant ce soir juge de leur motivation mais surtout de la sincérité de leur démarche. Avec sérieux elle leur avait remis une petite pièce d'argent à chacune, les laissant contempler le profil parfait de Kesha qui était gravé dessus. Chacune avait alors repris sa place initiale avec la pièce à la main, attendant sûrement impatiemment d'obtenir l'aval pour tenter l'épreuve. Ses paroles résonnaient encore dans les têtes de celles qui avaient tenté de la convaincre. À toutes sans exceptions elle avait répondu quelque chose, bien que cela ait été plus ou moins laconique selon les cas.

« Alix Gaynn, ta voix n'est peut être pas audible pour nous, mais je suis certaine que Kesha l'entend depuis toujours. En tant que ta mentor j'approuve ta présence en ces lieux et l'implication dont tu as toujours fait preuve. Bonne chance. » Un bref sourire bienveillant avait accompagné ses paroles. Ensuite vint Lila, qu'elle regarda intensément, comme pour lire en elle. Les yeux de l'initiée étaient troublants. « Si tu t'investis et agis avec sincérité, alors tu renaîtras parmi nous, retrouvant en cet ordre non seulement un foyer, mais aussi une famille. Un nouveau départ t'est désormais offert et tu es libre de faire tes propres choix, ne le laisse pas cette opportunité te filer entre les doigts. Que la Lumineuse guide tes pas. »

Enfin vint le tour de la jeune femme-poisson, qui suscita un sourire d'amusement par son attitude solennelle et admirative. Lui tendant la dernière pièce, Irina lui répondit.  « Bien... Je comprends ce que tu veux dire mais malgré tout n'oublie pas que ceci ce n'est pas pour quelqu'un d'autre que tu le fais. C'est pour toi et toi seule. Je serai ta mentor et prendrai en charge ton apprentissage si tu viens à réussir ce test, mais n'espère de moi aucun secours. Ce n'est pas devant moi, mais devant Kesha que tu devras répondre. Puisses-tu en avoir le courage. »

Les derniers échanges suivirent, mettant fin à cette étape du rituel. Irina monta alors sur les marches afin de regarder le groupe dans son ensemble, un demi sourire au coin des lèvres. Ses prunelles parcoururent l'assemblée de manière égale, et tout dans son attitude leur rappelait que peu importe leur degré de proximité avec elle ou les autres haut gradées, tout le monde serait traité de manière équitable, avec les mêmes conditions et les mêmes obstacles. Avec ou sans mentor il n'y avait pas d'avantage, puisque pour le « décrocher » il fallait déjà venir à bout de l'épreuve. En soi toutes les aspirantes étaient sur un pied d'égalité, quels que soient leurs passés. Il en allait de même notamment pour celles qui comme Lila, avaient décidé de tenter l'épreuve malgré leur toute récente entrée dans l'ordre. C'était leur droit le plus strict d'essayer et un échec n'était pas rédhibitoire, sauf si évidemment elles y laissaient la vie, ce qui était une possibilité à laquelle elles avaient toutes été préparées.

« Maintenant que les serments ont été prononcés et que vous bénéficiez toutes d'une chance égale de participer, j'ai accompli mon travail d'intermédiaire entre vous et notre vénérée déesse. Ce n'est pas seulement moi mais aussi la Lumineuse qui choisira les élues de l'épreuve, celles dont elle juge les raisons justes et pures. Veuillez tendre devant vous la pièce de monnaie que je vous ai donnée. Celles dont la pièce se mettra à briller pourront alors poursuivre, attaquant les choses sérieuses sous ma tutelle. Je répondrai alors à vos questions si vous en avez. Notez que ceci sera votre dernière chance de rebrousser chemin, car là ou nous iront il n'y a guère de chemin du retour. Soyez prêtes... Et que la lumière brille entre vos mains. »

[Je vous laisse jouer cette partie et discuter si vous en avez envie ^^ C'est l'occasion ou jamais d'aller à la pêche aux infos pour la suite ! Je passerai à l'épreuve au prochain tour. Je préfère faire court mais si vous voulez rajouter de l'action ou de l'imprévu vous êtes libres. ]

La petite pièce d’argent luisait faiblement sous la lumière nocturne au creux de la main froide de l’hybride. Chacune en avait reçu une, apparemment. Son regard suivait les courbes fines du visage de la déesse qui ornait la face, alors que le côté pile arborait le symbole de leur ordre. Ainsi était la suite de l’épreuve, ou plutôt son accession… Être choisie par la lumière. Serrant très fort la petite lamelle de métal, elle espéra vraiment que la sienne se mettrait à briller. Autour d’elle, les autres sœurs étaient elles aussi dans la même situation. Chacune d’entre elle s’était vu offrir la même pièce pour pouvoir poursuivre la mystérieuse épreuve que leurs préparait Kesha. Toujours au-dessus de la foule, Irina, dans sa tenue semblable à la divinité, s’adressait encore aux jeunes demoiselles perdues et dans l’ombre qui attendaient sagement dans le silence.

Dès que la prêtresse supérieure eut fini de parler, Othello se faufila discrètement vers l’arrière de la salle, sa pièce toujours à la main. S’assurant de ne pas être suivie, elle choisit de regarder de loin les demoiselles qui commençaient timidement à se parler, à jaser secrètement entre elles sans que la sirène ne veuille se fondre à la masse. Du coin de l’œil, seule une l’intéressait suffisamment pour susciter son attention. Lila Delvaux, était-ce bien son nom ? Cette jeune femme lui paraissait particulièrement étrange, captivante et à la fois menaçante. Quelque chose chez elle attisait ses instincts, commandait à ses sens de se mettre en alerte, comme si la rousse discrète pourrait à tout instant lui sauter à la gorge. Comme si elle était un danger… Son côté animal s’éveillait petit à petit, rendant ses yeux plus fins, plus dilatés, recouvrant la base de sa nuque d’écaille hérissées, et ses oreilles plus brandies encore. Elle avait quelque chose à cacher, c’était évident. Et cela la concernait, de façon interne, personnel, un secret qu’elle abritait au fond d’elle-même. Elle devait l’interroger… Mais elle n’avait aucune envie de s’approcher d’elle. Pourtant, en apparence, elle n’avait rien de dangereux, ni même de puissant. Mais quelque chose en elle l’affolait au point de la considérer comme une potentielle ennemie.

« - Alors, est-ce que ta pièce a brillé, Othello ? »

Brutalement, la jeune femme se retourna pour faire face à une mignonne petite créature, aux grands yeux verts. Ses cheveux roux et mi longs étaient regroupés en une queue de cheval lasse et retombante, ayant du mal à tous les retenir. Son petit visage était simple et enfantin, alors que la jeune femme était déjà une adolescente confirmée, allant sur sa vie d’adulte, comme le prouvait ses lèvres orangées et ses longs cils blonds. Dans une robe simple, et entourée d’un corset crème, elle regardait la sirène avec innocence et curiosité. Elle s’appelait Mae. Othello la connaissait pour être sa voisine de cellule, et pour l’avoir aider à de nombreuses reprises dans certaines de ses tâches. C’était encore une enfant, d’à peine dix-huit ans, enveloppée dans une paix et une insouciance incomparable. La sirène l’appréciait beaucoup, voulant à tout prix la préserver et l’aider dans ce monde dur et terrifiant. C’était une des rares demoiselles qu’elle aimait vraiment, comme une petite sœur qu’elle n’aurait jamais eu. Alors, elle aussi, elle allait passé l’épreuve ? Bien que le spectre blanc était heureuse de retrouver une âme connue et chérie, elle ne pouvait s’empêcher de ressentir un petit pincement au cœur.

« - Je ne crois pas. Et la tienne ? »

« - Non… Tendons nos mains ensembles, peut-être que la déesse nous remarquera ainsi ! »

Ainsi fut fait. Les deux demoiselles, portées par leurs confiances, tendirent leurs bras au même moment, la pièce tournée vers le ciel. Othello avait un sourire aux lèvres. Ne plus être seule la rassurait, être sous la protection de la déesse, et de plus tard Irina, l’aider à affronter la prochaine épreuve. Car après tout, elle ne savait strictement pas en quoi elle allait constituer. Serais-ce une épreuve d’esprit et de morale ? Ou au contraire un jeux de puissance ? Ou alors un examen jugeant sur le physique ? Son esprit lui disait qu’il s’agirait certainement d’un peu de ces trois choses. Mais toutes, au sein de ce temple, avaient été préparées à accepter la vérité sur la nature du passage. C’était une épreuve mortelle. Certaines, si elles échouées, risquaient de ne pas en réchapper. Un long frisson glacé parcourut le dos blanc et rouge de la marine, toujours debout, les yeux rivés sur son poigné brandie. Elle voulait à tout prix servir au mieux la déesse, voir s’illuminer la pièce dans sa main. Mais au fond d’elle, une autre prière se formulait d’elle-même. Que la mort ne croise pas son chemin en ce soir mystique. Mais si c’était la volonté de Kesha, alors il en serait ainsi… Silencieusement, la sirène ferma les yeux. Faite qu’elle survive.

Quand elle rouvrit ses prunelles d’écorce, une lueur vive les inonda. Au creux de sa main, la pièce d’argent et le visage de la déesse s’était mis à briller de mille feux, comme par un acte de magie, un signe que le pouvoir divin qui hantait ce temple était à l’œuvre. Immédiatement, Othello leva les yeux vers ses autres sœurs, réunies plus loin. Plusieurs d’entre elles tenaient également un écusson brillant, plus de la moitié, à vrai dire. Retrouvant Alix dans la foule, elle vit que sa paume était elle aussi éclairé, comme celle de la petite rousse qui était à côté d’elle. Les deux jeunes filles allaient elles aussi passé l’épreuve, alors. Elles aussi risquaient la mort. La sirène prit une profonde inspiration. Les vies des deux femmes étaient précieuses, et bien que ce ne fut pas son rôle, elle se promit de veiller sur elle tout au long de l’épreuve. Echangeant un regard avec Mae, elles partirent rejoindre les autres sous les yeux attentifs de la prêtresse de premier ordre. Elle seule pourrait leur indiquer la suite des évènements.