Traque venimeuse [Raven]

La pluie… Y avait-il seulement de temps que l’amazone préférait à celui-ci ? Assurément non. C’était un cycle de la nature si beau et dangereux, si poétique et incommodant. Le brouhaha incessant de la pluie battante emplissait son cœur et son esprit, chassant le néant ainsi que ses tourments s’étant nichés en elle quelques temps durant. Le temps de laisser bercer par cette mélodie agressive, battante, ses oreilles ne percevaient plus que cela. Plus de chasse, de traque, de crainte, tout cela s’envolait. La jeune amazone ne devenait plus qu’un corps sans vie, presque dépourvue de son âme d’habitude si combative.
Elle se tenait ainsi… accroupie dans la boue, ses vêtement trempés suivaient parfaitement les courbes de son corps, l’on aurait juré la voir dans le plus simple apparat, sa chemise étant de nature blanche. Elle ne fuyait pas cette averse, elle l’attendait toujours avec tant d’impatience qu’elle ne savait se soustraire à cette délivrance qu’elle considérait comme un cadeau du ciel. Elle en savourerait littéralement jusqu’à la dernière goutte. Levant la tête comme si elle cherchait à contempler ce ciel qui lui était depuis trop longtemps déjà devenu invisible, elle laissait chacune de ces perles de pluie courir le long de ses joues humides. Ce que ses yeux ne savait plus faire, la nature pouvait le faire pour elle.
La jeune femme ne sut combien de temps elle resta ainsi, une heure ? Peut-être deux… Elle ne désirait point que cela se termine, elle voulait juste… rester, encore un peu. Mais malheureusement pour elle les roues du destin étaient vicieuses et aimaient tourmenter plus encore les âmes en peine.

Raven fut tiré de sa rêverie par un son, un élément perturbateur. Qu’était-ce ? Sinon le son d’un pas lourd dans une flaque d’eau. A contre cœur… elle s’arracha au sol. Son corps trempé et sale laissant apparaitre un être misérable que la nature avait pourtant doté d’un physique sachant ravir l’intérêt de tous les hommes les plus… humains.
Un homme apparut face à elle, elle pouvait sentir son regard parcourir jusqu’à la moindre parcelle de son corps. Il était plutôt grand, chapeau en cuir, protections légères sur les bras et les jambes, un arc et carquois remplis dans le dos, ses vêtements légèrement protégés par une sorte de poncho sur les épaules. Il se ficha face à elle, se grattant le menton… et à en juger par ce qu’elle entendait il était mal rasé.

« Tiens, voilà une surprise des plus enviables. Quelle jolie sirène que voilà. »

L’amazone se releva lentement avant de se retourner vers l’explorateur, seule sa bouche laissait paraitre un semblant d’émotion. Malgré que ce fusse difficilement perceptible à cause de la pluie battante. Etait-ce de la tristesse ? Ou simplement une lassitude incommensurable ? Aucun mot de sorti de ses douces lèvres… Elle voulait juste rester seule bon sang.

« Hé ! On dirait bien que tu t’es perdue ma jolie. Qu’est ce qu’une jeune aveugle comme toi peut bien faire au beau milieu d’une foret si dense avec ce temps de chien ? »

Plus il parlait et plus il se rapprochait, jusqu’à arriver à hauteur de Raven dont il approcha sa main. Une fois fut-elle à quelques centimètres à peine de sa joue qu’elle la repoussa d’un geste.

« Partez d’ici… je désire rester seule... Laissez moi en paix. »

Le traqueur tiqua quelque peu.

« Allons ma belle tu ne peux pas rester seule ici. Qui sait ce qui pourrait t’arriver. Viens j’vais te ramener en lieu sûre. »

Ca voix transpirait le mensonge, il était excité comme la dernière des puces. Il jubilait intérieurement, et cette odeur. Il empestait le sang.

« Pour la dernière fois. Disparaissez ou je serai contraint de vous chasser de ces terres sacrés moi-même. »

Il ne fallut pas plus de quelques secondes pour que le chasseur change d’attitude du tout au tout. Sa main s’égara sur le cou de Raven et il la serra aussi fort qu’il le put. Pauvre fou ! Il réalisa bien vite que son emprise sur la jeune femme était futile tant son expression ne changea pas. Elle avait comme à son habitude durcit sa peau par le métal à l’endroit précis où la main du malfrat s’était posé. Une seconde à peine plus tard une lame de métal venait lui perforer la main. Il étouffa un cri de douleur en esquissant un geste de recul.

« Grr ! Très bien ! T’es morte ma belle ! »

Le bougre tapa du pied en dégainant son arc, les racines des arbres alentours s’animèrent alors tels des serpents et fondirent vers Raven, tentant de la saisir aux jambes. Son agilité et ses capacités à percevoir les mouvements autour d’elle lui permettait de tout esquiver sans le moindre mal. Un bond sur le gauche, un autre en arrière. Le trappeur, agacé d’ainsi raté une cible d’apparence si vulnérable décocha une flèche dans la foulée ! Encore plus facile. La jeune femme frappa même la flèche avec sa dague au passage. Sa véritable nature de défiance reprit cependant très vite le dessus. Un sourire sauvage lui déchirait le visage. Depuis le temps qu’elle ne s’était pas battu contre quelqu’un d’autre… cela lui ferait un bien fou. Ce fut ensuite autour de la végétation environnante de s’agiter. Elle trancha littéralement à travers, Croc Blanc en avant et s’approcha de son ennemi à grande vitesse quand il décocha une nouvelle flèche que l’amazone dévia une fois encore.

« C’est pas vrai ! »

Lança-t-il en reculant. L’amazone lui porta alors une puissante attaque tournoyante au visage qu’il esquiva en se baissant. Un sourire vainqueur sur le visage, il voyait déjà une ouverture qui lui apporterait la victoire. Il dégaine une dague de sa ceinture et chercha à atteindre la jeune femme. La dague s’enfonça dans le corps de Raven, juste sous ses côtes tandis qu’elle plongeait sa main dans la propre lame de son épée et d’en ressortir à son tour une petite dague qu’elle planta dans le muscle du cou de son ennemi. Maintenant paralysé d’un bras et se vidant de son sang, il fut prit de panique et chercha à poignarder encore la jeune. Il sortit la lame du corps de Raven dans le but de perpétrer une nouvelle fois son attaque avant de réaliser avec stupeur que son arme n’existait plus. La lame de sa dague n’était plus là ?

« Qu… Qu… !? »

Dans un silence macabre, Raven attaqua une nouvelle fois son ennemi, de l’autre côté de son cou, lui paralysant ainsi son autre bras. Puisant dans ses dernières forces il chercha à entraver l’amazone avec des ronces avant de voir son sa grande épée disparaitre au profit d’un corps intégralement métallique. Les ronces s’enroulèrent alors autour de son corps sans même la griffer. Alors qu’elle allait l’achever tout aussi froidement l’homme la supplia de lui laisser la vie. Chose qu’elle hésita longuement à faire. Avant de s’y résigner. Elle donna un dernier coup en plein visage de son ennemi avant de le repousser.

« Disparais… »

Pourquoi l’avoir épargner ? Hé bien ce n’était pas sans raison. Les Erillys avaient déjà une assez mauvaise réputation auprès du peuple pour en plus y rajouter des massacres de chasseurs… Peut-être faisait-elle une erreur en le laissant partir ? Et s’il revenait avec des alliés à l’avenir ?

…

Nan elle devait rectifier son erreur.

Elle fonça dans la direction du chasseur avant de se stopper net. Cette odeur ? Elle la connaissait. C’était l’un des grands avantages de la pluie, elle sublimait les parfums naturels. Ses pas la conduisirent alors à proximité d’une autre femme qu’elle avait la certitude de reconnaitre. Comme à son habitude elle progressait par la cime des arbres, avant d’arriver au dessus de sa cible. Elle se laissa alors descendre lentement de l’arbre afin d’arriver dans son dos. Raven comprit que cette jeune fille… Lun si ses souvenirs ne lui faisaient pas défaut, était intriguée par une tierce présence. En portant son attention plus loin dans cette direction, Raven comprit que Lun visait le trappeur qu’elle avait précédemment mis en déroute. Un sourire cynique apparut sur son visage à mesure qu’elle s’approchait de Lun. Elle arriva dans le dos de Lun et couvrit sa bouche avec sa main à la seconde même où elle lui se dévoilait à elle.

« Shhh… »

Lui murmura-t-elle d’une voix douce.

« N’ai crainte c’est moi… Raven. »

Elle découvrit alors doucement la bouche de Lun une fois qu’elle fut certaine que l’effet de surprise fut passé. Elle pointa alors la silhouette éloignée du trappeur du doigt. Celle que Lun tenait en joug.

« Tu vois cette homme ? Il m’a agressé toute à l’heure. Voudrais tu l’abattre je te prie ? Ta flèche est déjà prête à partir non ? »

Lança-t-elle dans un petit rire.

Spoiler:

Une fois qu’elle eut vérifié que sa victime était bel et bien morte. Raven se tourna vers Lun l’air presque enjouée.

« Comment vas-tu !? Qu’est-ce que tu fais par ici ? Tu sais que t’es un peu chez moi en fait ? Je vis dans cette forêt. »

Raven sentit une hésitation dans le cœur de Lun, la jeune semblait bien retissant à l’idée de tuer le fuyard. La jeune terrane s’apprêtait à tenter de convaincre son amie sindarine d’accomplir l’acte de mise à mort une dernière fois avant de se résigner à le faire elle-même. Elle était presque déçue d’avance. Cependant les choses changèrent assez vite. Après quelques instants d’hésitation les deux jeunes femmes furent témoins de l’apparente excellente vue du traqueur agonisant puisqu’il était parvenu malgré leur cachette à les apercevoir sous cette pluie battante. Il avait aussi eu le temps de se motiver apparemment puisqu’il fonça tête baissée vers elles dans le but d’en découdre. Visiblement il ne tenait pas à sa vie le bougre. Non seulement blessé mais en sous nombre, qu’il était agréable d’avoir des individus de cette espèce à supprimer, cela ôté toute notions de remords à Raven. Cependant elle fut coupée dans son élan par la flèche de Lun qui vint se ficher magistralement entre les yeux de leur opposant. Ce dernier s’écroula lourdement sur le sol dans un silence pesant.
Raven lui tapota légèrement la tête avec son pied pour voir s’il y avait réaction… et aussi un peu pour se moquer. Rien, elle posa alors son index le long de son cou… rien du tout. Il était bel et bien mort. Et c’était là un bien joli tir.

« Voilà un tir des plus irréprochables… »

Ensuite la jeune femme accueilli la Sindarine comme elle se le devait, faisant montre d’un engouement des plus anodins. Elle lui demanda la raison de sa présence en ces lieux, et lui fit part de sa situation, comme quoi ces bois étaient son fief… son lieu de vie. La réponse de Lun se fit sèche et ferme, comme si tout cela lui avait déplu, ce qui ne manqua pas de refroidir Raven elle aussi. Ce n’était pas tous les jours que l’amazone était aussi… gentille et douce, c’était regrettable. Tout de suite sa voix se fit plus ferme, elle redevint la Raven que tout le monde connaissait.

« Je ne tues pas non plus les gens pour le plaisir. Cette homme m’aurait tué, sinon pire si je ne m’étais pas défendue. Tu as bien fais. Et non il n’a pas réussi à me blesser, merci de t’en soucier. »

Suite à cela Lun rabaissa son capuchon sur sa tête, et expliqua plus en détails la raisons de sa présence dans la forêt de Sphène.

« Le Yiddil… »

La jeune femme réfléchissait au sujet de la créature, toujours sans se soucier de la pluie qui la maculait.

« Ha oui je vois ! Ces bestioles son adorables, un peu farouche en effet. Les approcher est une vraie plaie si l’on n’agit pas dans le plus grand secret. Je pourrai t’aider à en capturer un… mais ça ne sera pas sans peine malheureusement. Ha moins que nous soyons chanceuses. »

La jeune femme repartit alors sur ses pas. Elle invita Lun à la suivre, avant d’arriver face à un arbre plutôt large. La jeune femme absorba son épée jusqu’à ce qu’il ne lui reste plus qu’une dague entre les mains qu’elle rangea dans un fourreau à sa ceinture avant de montrer ses mains à Lun. Les mains de raven étaient maintenant pourvues de puissantes griffes métalliques à la place des doigts.

« J’espère que tu sais grimper aux arbres… On va avoir besoin de prendre de la hauteur pour traquer ces bêtes la. »

Ni une ni deux, la terrane bondit à une branche à la laquelle elle se balança pour se propulser à une autre plus haute encore. Son ascension se fit vive et aisée, et en une minute à peine elle était parvenue à une des plus hautes branches. Elle s’appuya contre le tronc de l’arbre et tendit alors l’oreille, faisant le vide dans son esprit et se concentrant simplement sur ce qu’elle entendait. Le vent… la pluie… les chants quelques batraciens, ainsi que le pas pachydermique d’un Greaver qui se trouvait à une centaine de mètres de là. Mmmh… La chasse risquerait de prendre du temps. Les Yiddils étaient des créatures phytophages. Peut-être que s’emparer de quelques baies serait une bonne idée.
L’attention de Raven se porta de nouveau vers sa compagne de route. Elle s’en sortait plutôt bien… elle grimpait sans difficulté. La terrane tendit sa main à Lun afin de lui permettre de la rejoindre sur sa branche et l’accueillit avec un sourire sincère. Elle partagea le fruit de sa dernière réflexion. Elle pointa alors une direction.

« Allons par là, je crois sentir le parfum de quelques baies. »

Sur ces paroles, la terrane prit quelques pas d’élan et bondit sur la branche d’un arbre voisin…

Lun fléchit les jambes et se propulsa sur la branche que venait d'atteindre Raven. Le don de gravité lui était particulièrement utile en forêt. Couplé à une agilité fine, il lui était simple de progresser en hauteur, entre les branches. Mais la jeune femme connaissait trop peu l'environnement forestier. Un comble pour une Sindarine dont les origines émanaient de Canopée. La nature lui était cependant familière et elle aimait profondément la quiétude trouvée dans les ramures des arbres. Elle n'avait jamais connu sa famille Sindarine, sa mère était morte avant de pouvoir lui en parler et son père n'avait jamais dit mot à ce sujet. Son héritage venait donc uniquement de l'Argyreï, terre arides faites de landes désertiques, de villes fantômes et d'oasis florissantes. Son instinct l'attirait vers cette famille et ces terres où évoluaient sûrement des oncles, des tantes. Peut-être même des frères et soeurs. Elle s'était souvent imaginé, avant l'ordre des rôdeurs avait été une enfant unique, être membre d'une grande famille, entouré de frères et sœurs enfin retrouvés. Ce désir utopique s'était envolé en même temps que son enfance, à la mort de sa mère. Lun avait trouvé en l'ordre des rôdeurs ce besoin de fraternité.

Lun saisit la main de Raven, sortant de ses pensées. Elle poussa avec ses pieds pour se hisser à ses côtés. Son regard se posa sur la cime des arbres qui s'étendait devant eux. L'étendue ondoyante était comme une mer aux reliefs calmes. Le doux bruissement des feuilles au son du vent était comme un murmure gigantesque, presque mystique. L'on entendait l'eau dégouliner entre les branches tortueuses et s'écraser, plus bas dans la boue. Un courant d'air balaya les deux jeunes femmes, hérissant la peau de Lun de centaines de petits picots dus au froid. Un long frisson parcourut son échine. Son regard se posa sur sa compagne.

"Merci pour ton aide. Je ne sais pas si on le trouvera, mais au moins j'ai plus de chance de le dénicher en étant avec toi."

Lun la vit prendre ses appuis pour reprendre sa route. Elle se prépara à la suivre.

« Allons par là, je crois sentir le parfum de quelques baies. »

La jeune femme hocha la tête et la vit se propulser sur la branche suivante. Son agilité était impressionnante. Même sans vision, Raven était particulièrement adroite et possédait des appuis sûrs. Comme si elle pouvait voir le monde qui se dessinait autour d'elle. Au lieu de le voir, elle devait le sentir, l'entendre, le toucher et le deviner pour le comprendre. Cela faisait d'elle une acrobate sensible et précise. Elle semblait être aux l'aguets du moindre courant d'air et du moindre fumet lui permettant de se repérer dans cette immensité aux reliefs changeants. Lun ne pouvait s'empêcher d'analyser ce qui l'entourait, de vouloir tout comprendre. C'est en promenant son regard perçant sur la tenue de Raven qu'elle reconnu l'insigne des rôdeurs, épinglé là, sur son cœur.
Ses yeux s'écarquillèrent, elle crut d'abord avoir mal vu. En bondissant à ses côtés, elle pu ficher ses prunelles curieuses sur la broche et fut certaine de l'avoir reconnue.

"Raven, je ne savais pas que tu faisais partie des rôdeurs."

Un sourire franc étira ses lèvres.

"Cela nous fait plus de points communs que je ne le soupçonnais. Je suis moi même rôdeuse. Je n'ai pourtant jamais entendu ton nom dans la bouche d'un frère ou d'une sœur. Peut-être ton surnom est-il plus connu ?"

Lun s'accroupit doucement sur la branche noueuse de l'arbre qui les soutenait. Elle observait les branches et le sol tapissé par le feuillage. Un petit oiseau sortit des buissons, sautillant doucement entre les racines. C'était un Oimi. Son plumage brun frémissait sous les douces bourrasques qui écumaient la forêt tandis que ses grands yeux étaient en quête d'une trouvaille gustative. Lun posa sa main sur un nœud épais déformant le tronc de l'arbre centenaire, s'y agrippa, puis se projeta dans les yeux de l'animal. Son corps resta alerte, mais elle avait préféré s'accrocher pour ne pas tomber en cas de problème.
Elle comprit rapidement la convoitise de l'animal, elle l'avait d'ailleurs comprise avant même d'habiter son regard. L'Oimi, volatile inoffensif et particulièrement friand de baies et d'insectes, avait sentit les même baies que Raven. Il allait les y conduire.

"Ne bouge pas Raven, je m'occupe de trouver ces baies."

L'animal avançait rapidement dans les feuilles, il s'éloigna bien vite pour aller arracher quelques baies juteuses et les ramener à sa progéniture. Lun abandonna le regard de l'oiseau et revint à elle même. La jeune femme secoua la tête.

"Les baies sont à environs deux cent mètres, à l'est. Le petit Oimi que tu dois pouvoir entendre, en bas, m'y a conduite."

Elle replaça une mèche derrière son oreille et entreprit de descendre prudemment vers le sol.

Malgré le temps, malgré les années passées, la jeune terrane n’arrivait pas à se défaire de cette étrange sensation d’incertitude à chaque fois que son pied tardait trop à se poser sur sa destination. Si quelqu’un pouvait lire dans la tête de l’Erillys, il pourrait l’entendre se demandait à chaque fois ou presque si elle ne s’était pas trompée dans ses estimations. Cette fois à ne manqua bien évidemment pas à la règle, elle eut un petit haut le cœur lorsqu’elle atterrit sur son petit perchoir avant de se tourner vers Lun qui, ne manquait décemment pas d’agilité elle non plus. Lorsqu’elle arriva auprès de Raven elle semblait cependant différente. Elle était en réalité surprise, surprise de découvrir que la jeune terrane faisait partie des rôdeurs elle aussi.

« Oh… hé bien ça n’a rien de surprenant car vois-tu, lorsque nous nous sommes rencontrées à Lokram je ne faisais pas encore partie de votre ordre. » Lança-t-elle d’une voix gênée. Puis elle réalisa alors ce que cela pouvait impliquer. « Hum… Tu veux dire que tu fais partie de cet ordre ? Je n’ai pourtant pas repérer ta broche. A moins que tu ne la portes pas sur toi ou… » La voix de Raven se fit soudainement plus grave et hésitante. « Ne me dis pas que… Où est ta marque ? » La terrane ne put réprimer un soupir peiné lorsqu’elle entendit que Lun avait bel et bien était marqué au fer au niveau de la nuque. S’il y a bien quelque chose que Raven avait appris à haïr durant cette terrible nuit, c’était bien le fer chauffé à rouge qui lui avait lacéré les yeux un nombre incalculable de fois. Un silence s’installa durant quelques secondes. Temps durant lequel Raven semblait perdue dans ses pensées, les souvenirs de cet évènement la hanterait probablement jusqu’à sa mort. « Excuses-moi… j’ai juste une mauvaise expérience avec ce genre de pratique. Ça n’a rien à voir avec toi. » Elle tendit alors sa main vers le visage de Lun avec hésitation. « Puis-je ? » Avec cette même hésitation elle glissa sa main sous la capuche de la sindarine et la fit glisser sous ses cheveux, longeant son cou délicat jusqu’à parvenir à l’endroit indiqué qu’elle caressa doucement du bout de ses doigts. « C’est donc à cela que ressemble cette marque ? » lança-t-elle dans un petit rire presque gêné. Et alors qu’elle allait retirer sa main de Lun, elle s’arrêta à hauteur de son menton. « J’aimerai savoir à quoi tu ressembles… N’aies crainte. » C’est alors que dans un geste d’une grande douceur que la main de Raven remonta le long du menton de Lun pour venir lu caresser la joue. Elle faisait preuve d’une précaution extrême et laissait courir ses doigts lentement sur son visage, le moindre signe de rejet serait un message suffisant qui aurait stoppé Hittomi instamment dans son office. Elle ne voulait pas créer d’animosité entre elles, elle était simplement curieuse de savoir à quoi ressemblait son amie.

« D’ordinaire je ne fais cela qu’à mes proches, mais puisque nous sommes toutes deux membres de ce groupe, j’imagine que nous serons probablement amenées à nous revoir plus d’une fois dans l’avenir. J’aime savoir à quoi ressemblent ceux que j’apprécie. » Ainsi ses main quittèrent pour de bon le visage de Lun qu’elle avait examiné sous toutes ses coutures. De la taille jusqu’à la forme de son nez, en passant par ses yeux et ses lèvres. La terrane ne put alors réprimer un petit rire presque candide tandis que sa main venait se mettre devant sa bouche. « Tu es magnifique. »

Sur ces paroles, la terrane fit alors face à la direction que Lun lui avait indiqué, elle repéra l’Oimi en question et agrippa le manche de la dague qu’elle portait à sa ceinture.

« Oh. J’ai presque failli oublier. L’ordre m’a nommé Murmure. »

La jeune femme planta alors sa dague dans la branche de l’arbre sur laquelle elle était appuyée et sauta dans le vide malgré la hauteur à laquelle elle se trouvait. Mais la dague qu’elle tenait toujours dans sa main changea de forme pour adopter celle d’une sorte de fil métallique qui se déroulait lentement, faisant ainsi descendre la jeune femme petit à petit vers le sol. A peine eu-t-elle posé pied à terre que sa dague reprit son apparence initiale avant de retourner se loger La jeune femme marcha alors d’un pas sur et alerte en direction du Oimi en percevant le parfum de plus en plus prononcés des baies. Seulement elle interrompit prestement son avancé pour s’accroupir, faisant signe à Lun derrière elle de faire de même. Les pas lourds d’un greaver se faisaient entendre et ce dernier avançait paisiblement dans la direction des jeunes femmes.

« Avançons lentement, sans faire de bruit. Ces créatures sont certes pacifiques mais je ne tiens pas à les provoquer pour autant. »

La jeune femme avança alors à quatre pattes, attendant que la masse végétal vivante ne soit complètement passée et arriva au buisson tant convoité. Tiens l’Oimi avait pris la fuite devant le Greaver. La jeune femme attrapa alors sa dague qu’elle changea en une sorte de coupelle ressemblant à un bol et commença à le remplir de baie.

« Nous allons tendre un piège à ta petite bête, il faudrait cependant arriver à trouver un endroit assez dégagé pour pouvoir l’attraper plus facilement. Hum… tu le veux vivant n’est-ce-pas ? »

Le temps de s’échanger ces quelques mots avait été largement nécessaire à faire le plein de fruit. La jeune femme se redressa alors et scruta à sa manière les alentours…

« Je crois que je connais un endroit un peu plus approprié. Par là bas ! »

Dit-elle avec un brin d’amusement dans la voix et pointant une direction. Elle referma alors le récipient contenant les baies avant de l’attacher à sa taille puis reparti aux triples galops vers l’arbre le plus proche pour y grimper.

Cela faisait longtemps que Lun n'avait pas croisé de membre de l'ordre. Elle ne faisait pas particulièrement attention aux gens détenteurs de la marque. De fait, elle ne se rappelait pas de tous les visages des Rôdeurs, tout simplement parce qu'elle était une individu discrète au sein du groupe. La jeune femme y comptait beaucoup de connaissances, entretenait quelques relations cordiales et parfois même amicales, mais rares étaient les gens possédant une véritable place dans son cercle et son cœur. Cependant Lun n'avait aucun ennemi parmi l'ordre. C'était grâce à cela qu'elle s'y sentait chez elle, en famille.
Ses prunelles vert tendre balayèrent le visage de Raven alors qu'elle parlait. La main de la jeune femme se promena sur son pourpoint bleu pour y trouver sa marque, sans succès. Lun eut un sourire discret, pensant au symbole gravé au creux de sa nuque. Ils n'étaient que quelques uns au sein de l'Ordre à posséder cette marque au fer, considérée comme archaïque et barbare par certaines personnes. L'expression de la jeune femme révéla d'ailleurs une certaine désapprobation, un léger dégout dissimulé que Lun ne manqua pas de remarquer. Le visage habité par une mélancolie douloureuse, elle expliqua par quelques mots sa mauvaise expérience avec les fers. Lun n'eut pas besoin de plus d'information pour imaginer l'origine de l'handicap de la jeune femme. Elle réprima un frisson. Mais le choix du fer avait été murement réfléchit et était depuis assumé. Elle n'avait jamais regretté ce choix qui signifiait pour elle bien plus que l'appartenance à l'Ordre.
Raven tendit la main vers elle, cherchant à trouver la marque, à la toucher. Lun guida sa main jusqu'à sa nuque, derrière l'épaisse tresse rendue humide par les gouttes de pluies . Les yeux clos, la jeune femme suivit les reliefs de sa propres marques au travers le trajet des doigts de l'Erillys.

« C’est donc à cela que ressemble cette marque ? »

Les lèvres de Lun eurent un frémissement mutin. Les yeux fermés, elle l'avait dessinée dans son esprit en même temps que sa comparse.

« C'est un joli symbole, assez simple, mais joli. »

Au moment où la main de Raven allait quitter le menton de Lun, il y eut une hésitation. Elle perçut une envie, une tentation dans les doigts de la jeune femme.

« J’aimerai savoir à quoi tu ressembles… N’aies crainte. »

Lun hocha la tête, le visage ouvert mais les yeux toujours fermés. La caresse de la main de Raven était particulièrement douce. Il n'y avait là aucune envie malsaine, aucun enjeu de séduction, pourtant l'acte avait quelque chose d'intime et de privé. Il était rare que l'on la touche de cette manière, les hommes qui en avaient eu la possibilité s'attardaient sur d'autres parties de son corps, et n'avaient généralement aucune autre occasion pour toucher son visage. Un frémissement gagna son échine, alors que les doigts de l'Erillys passaient sur ses lèvres, ses joues, frôlaient ses cils et caressaient ses paupières. Elle eut un léger sourire lorsque, en passant son sur nez, elle la chatouilla. Après un petit moment, Lun décida d'ouvrir les yeux pour observer la femme devant elle. Elle portait sur ses traits l'empreinte de la douceur exprimée par ses gestes. Ce moment n'avait besoin d'aucune parole, aussi Lun garda le silence jusqu'à ce que Raven se recule.  Lun sourit au compliment dont elle la gratifia, mais n'eut point de réponse plus construite, légèrement troublée par le moment passé. Si elle se fiait à sa mémoire, personne ne l'avait ainsi détaillée et regardée depuis bien longtemps.

« Oh. J’ai presque failli oublier. L’ordre m’a nommé Murmure. »
« Enchantée Murmure, je suis Zéphyr. »

Elles descendirent toutes deux de l'arbre pour aller chercher les baies. Il fut décidé qu'un piège serait le plus utile pour capturer l'animal sans le tuer. Lun ferait de son mieux pour épargner la bête en prenant son venin, il fallait qu'elle soit vivante pour qu'elle puisse au moins l'étudier, en comprendre les mécanismes. Mais peut-être lui faudrait il mettre fin aux jours de l'animal pour pouvoir récupérer ce dont elle avait besoin. Aussi, elle n'eut pour réponse à la question de Raven qu'un haussement d'épaule vague, sans cesser de ramasser les fruits.

« Je crois que je connais un endroit un peu plus approprié. Par là bas ! »

Lun suivit Raven dans une nouvelle direction, lui faisant pleinement confiance quand à la destination dans laquelle elle l'emmenait. Si Lun connaissait plutôt bien la Flore de la forêt de Sphène pour l'avoir de nombreuse fois observée et parcourue, elle n'en connaissait la Faune qu'à travers les livres. Elle répétait souvent que les écrits étaient toujours moins précis que la chose en elle même. C'était pour cette raison que Lun voyageait sans cesse. Certains Eclaris, basaient leur savoir sur les livres, les traités, sans voyager et observer la nature de leurs propres yeux. Du point de vue de la jeune femme, c'était comme lire un manuel d'entrainement à l'arc, en connaître toutes les subtilités sans jamais s'entrainer sur une vraie cible.  Pour comprendre et se servir de la nature, il fallait l'observer, la parcourir, et non pas étudier éternellement les écrits des hommes sur la nature. Certains savants ne la considéraient alors pas comme une érudite à part entière, parce qu'elle passait parfois plus de temps à vagabonder plutôt qu'à expérimenter, écrire, inventer. Mais elle n'avait à ce jour trouvé aucun livre relatant de tous les multiples savoir que le monde lui avait prodigué.
Elle n'avait jamais douté de l'intelligence et du savoir de ses comparses car son père, lui même Eclari, avait été un savant extraordinaire et un inconditionnel casanier. Mais lui même avait maintes fois déploré son esprit si peu aventureux qui l'avait empêché de quitter sa demeure.

Elles s'étaient déplacées par la voie des arbres, Lun s'était parfois servi de son pouvoir de gravité pour ne pas faillir sur les passages les plus difficiles. Mais elle pu suivre la cadence sans trop de problèmes, bien entrainée aux exercices physiques. Raven s'arrêta finalement au niveau d'une clairière, elle descendit prudemment à terre et lança un regard à Lun, lui indiquant que le lieu serait probablement propice à l'arrivée de l'animal. Lun se saisit du recipient contenant les baies et s'assit sur une souche à peu près sèche.

« Je vais mettre du somnifère dans les baies, lorsque l'animal en mangera une je n'aurais qu'à le suivre et à attendre qu'il s'endorme pour m'en saisir. »

Lun défit la sangle de sa besace et la posa à ses pieds. Elle se pencha et plongea ses mains à l'intérieur pendant quelques secondes. Elle en sortir un petit sac duquel s'échappait des petits tintements clairs rappelant ceux du verre. La jeune femme sortit plusieurs fioles aux couleurs et aux aspects parfois similaires, parfois différents. Un sourire étendit ses lèvres roses alors qu'elle brandissait deux fioles au contenant absolument semblable.

« Il ne vaudrait mieux pas que je me trompe. L'une des fioles contient un poison mortel, l'autre un somnifère inoffensif. »

Elle adressa un clin d'oeil à Raven tout en reposant l'une des deux fioles dans le sac. En réalité, les deux fioles étaient parfaitement identiques. C'était un petit jeu qu'elle s'amusait souvent à faire. Loin d'être mythomane, la réaction des gens face à ses petits mensonges l'amusaient cependant beaucoup.
Lun versa quelques goûtes sur les baies, précautionneuse quant à la dose qui pouvait facilement devenir mortelle pour un si petit animal. Puis elle se leva silencieusement et se dirigea sans bruit vers le centre de la clairière, cherchant un endroit de passage pour un petit animal. Raven lui indiqua un endroit propice, elle y déposa les baies avec précaution et se recula. Elle retourna vers la souche et s'assit dans un coin d'herbe sec.

« Il n'y a plus qu'à attendre. Personnellement, je vais manger quelque chose tant qu'il ne pleut plus ! D'après ce que j'en ai lu, le Yiddil ne sort pour manger que le soir venu, on a donc encore un peu de temps. J'avais pensé trouver sa tanière mais s'il est de sortie, c'est encore plus stimulant !»

Lun sortit une miche de pain ainsi que des gâteaux secs directement fabriqués à Amaryl, quelques fruits secs, des noix et des morceaux de fromage.

« Sert toi je t'en prie ! Un repas est bien plus agréable partagé.»