_ Il parait que des personnes hauts-placées seraient gravement malades. _ Il parait que ça se bécotte "au bal de la Rose". _ Il parait que des créanciers en sont après un des conseillers de Ridolbar.
Sujet: [TERMINE] Sous une lumière de givre Dim 12 Oct - 21:32
C’est au petit matin que la ville s’éveillait, comme chaque jour dans un brouillard dense. Le cri résonna peu après les premières lueurs du jour, qui gardait jalousement ses magnifiques couleurs orangées derrière la barrière de nuages blancs. Nul doute qu’ils se dissiperaient sous peu, une fois quelques heures passées. Dans les prémices de cette journée, la cité de givre était encore bien timide. Seuls quelques rares commerçants avaient l’audace de se laisser aller à sortir dans la fraîcheur matinale. Ces chats disparates avaient le même rituel : dresser leurs étales pour certains, se rendre au temple pour les plus pieux, fuir leurs démons pour d’autre, et pour tout le reste, descendre vers le port où allaient bientôt arriver les premiers bateaux de pêches, ramenant avec eux leurs premières cargaisons. Et parmi tous ces fantômes du matin, il y avait un spécimen qui, dans son infinie discrétion, suivait paisiblement le même mouvement que les autres. Sa démarche régulière et douce était connue par tous les habitués du moment. Ceux qu’elle croisait lui lançaient d’ailleurs, sur son passage, d’humble signe de tête, comme si il se liait entre eux un accord tacite de respect et de secret. Pourtant, elle esquivait le plus possible les regards…
Enveloppée dans une grande cape rouge, à la capuche de fourrure d’un blanc d’hermine qui lui retombait sur le visage, elle avait cette démarche gracile et innocente que l’on prête parfois aux jeunes filles, ou aux prêtresses… Ce qu’elle était. Rien ne le montrait, si ce n’était son allure droite et sage, et l’aura pieuse qu’elle dégageait autour d’elle comme le spectre invisible. Ses petits souliers pâles étaient déjà bien poudreux sur le plancher de neige, fraîchement déposée par la veille et ses nuages blancs. Mais elle ne semblait pas pour autant souffrir du froid. Serait-ce grâce à ces immenses cheveux qui l’enveloppaient tout autant que son drapé ? Ils étaient longs et blancs comme la lune, et tombaient dans d’élégantes boucles jusqu’à ces genoux dans une chute vertigineuse semblable aux cascades. Sous cette imprenable crinière aux allures peu civilisées se dégageait un petit visage de porcelaine, d’où deux yeux noirs scrutaient fixement la route avec une droiture et un vide déconcertant, d’une impassibilité extrême. Sa bouche était figée, et semblait incapable de bouger. Somme toute, la petite poupée de verre tentait de rejoindre, comme tous, le port dans toute sa discrétion. Pivotant légèrement dans une ruelle voisine, elle déboucha soudain dans une grande allée. Bien, le chemin n’était plus très long à présent.
Hellas avait la vertu d’être une de ces villes imposantes, construites sur les vestiges d’une colline immense, peut-être un pic gelé qui lui donnait cette forme si étonnante, celle d’une cité en pente. Toutes les rues menaient au temple et à la mairie. D’un autre côté, elles descendaient toutes au port – par on ne savait quelle magie – ou vers les terres gelées. L’un étant bien plus apprécié que l’autre. Alors qu’Othello sortit de sa ruelle déserte sur le grand boulevard principal comme une bouffée d’air frais, elle fut surprise par les premiers rayons du soleil, et le spectacle toujours splendide de la mer Cimmérienne se jetant aux abords de la cité de glace, au milieu des nuées d’hommes et femmes qui commençaient à se faire plus nombreux. Depuis des années, elle voyait cette vue imprenable. Mais la surprise et la curiosité faisaient qu’elle ne s’y était toujours pas habituée… La baie toute entière était, ce matin-là, plongée dans une étrange lumière, ce curieux éclat doré projeté par le soleil au travers d’une vaporeuse couche de brume. Tout semblait auréolé d’une douce lueur jaune, donnant alors des allures grandioses aux plus petites choses sans importances. Les voiles lointaines semblaient alors fait d’ombre et de nuage, alors que les pans de glace qui flottaient péniblement donnaient l’impression d’être taillés dans l’or le plus pur qu’il fut. L’hybride baissa ses oreilles pointues et animales quelques instants. Cette vue paisible lui procura soudain un doux calme, transformant son regard en une nappe sereine, illuminé d’or.
De son emplacement, elle pouvait apercevoir, sur le port, les dockers et les badauds s’activer. Ils bougeaient, ramaient dans l’air comme des fous, déplaçant d’immense caisse à pleins bras. Ce concert de mouvement chaotique donnait l’impression d’une fourmilière, où tout le monde dans cet apparent désordre, avait sa place. La demoiselle se remit en route pour rejoindre cette danse – qui n’était pas sans l’inquiéter un peu, elle devait bien se l’avouer. Toutes ces personnes l’impressionnaient beaucoup, et leurs gestes un peu maladroits, volontairement amples et grotesques, lui laissaient l’amer sensation des navires et des bateaux. Depuis sa naissance, elle n’avait jamais était à l’aise avec les marins. Et même si elle savait son père l’un d’entre eux, voir tout ces hommes déchaînés, les muscles rayonnants sous leurs vêtements de cuirs et de fourrures, avait le don de l’effrayer un peu. Ce n’était pas la première fois qu’elle pratiquait cet étrange rituel. Tout ce qu’elle avait à faire était d’attendre un peu que les premiers bateaux arrivent –ils étaient déjà nombreux- et d’attendre que la foule ne s’épaississe pour passer discrètement jusqu’au bord de l’eau. Le reste n’était qu’un tour de passe-passe habile, pratiqué depuis des années. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pu se retrouver seule dans cet océan de froid. Ce ne serait pas quelques dizaines de marins qui lui feraient peur…
Le temps qu’elle descende l’allée, le monde avait presque doublé autour des bateaux fraîchement arrivés. Deux ou trois nouveaux bâtiments s’étaient arrimés, impressionnant par leur grandeur et leur stature, donnant l’impression d’être les rois parmi les hommes qui se pressaient autour. Rattrapée par la ville, aveuglée, presque, par les soleils qui perçaient le manteau nuageux, Othello se sentait prise au piège. Face à elle se déployait toute cette fourmilière qu’elle avait observée de si loin, et elle en restait glacée. Son regard d’ébène se rétracta, son visage se fit un peu plus vide, ses traits se crispèrent un peu. Bien, il suffisait juste de rejoindre l’eau, et le tour serait joué. Quelques pas et… Un coude s’enfonça dans son dos, la poussant en avant vers un autre marin, bourru, qui la poussa alors sur le côté. Et, en quelques instants, elle fut happée par la masse. Et la valse put commencer. Partout, les corps se heurtaient, envahissaient sa vision, la bousculait alors qu’elle essayait de sortir de la foule. Une vive inquiétude s’empara alors d’elle alors qu’elle était conduite malgré elle vers des myriades de personne, qui la conduiraient eux aussi jusqu’à d’autres visages. Elle se faufilait tant bien que mal entre les personnes, pour déboucher face à des nouveaux marins. Et dans tout ceci, elle fut rapidement complètement perdue. Une issue… L’odeur de sueur et de sel était étouffante, celle de vase l’était tout autant. Un frisson parcourut son dos. Peut-être qu’en levant les yeux elle pourrait ?... L’horizon se déchirait à peine entre toutes ces têtes qui la surplombaient de beaucoup. Elle balaya tout, plusieurs fois… Et soudain, parmi tout ce monde, une silhouette se détacha clairement du monde pour attraper ses yeux. Une allure immense, et majestueuse, et imposante, forte parmi tous les autres loups de mer présents autour de lui. Elle n’en cru pas ses yeux. Serait-ce ? Non, probablement pas… Un souvenir vague remonta de l’abysse de sa mémoire jusqu’aux fleurs de ses lèvres, alors qu’un vent froid qui voleter au loin se crinière blonde adroitement retenue. Sa peau de sable lui évoquait elle aussi quelque chose.
D’un pas maladroit, oubliant presque les raisons de sa venue, elle tenta de s’approcher de ce grand spectre qui remontait à si loin, mais un nouveau marin la bouscula alors. Et cette fois-ci, c’est le sol froid, givré en partie qui l’accueillit à bras ouverts. Heurtée, au sol, elle releva ses yeux, espérant revoir cette figure qui lui évoquait tant. Mais dans la foule, il avait disparue… Elle déglutit, reposant ses yeux vers les pavés glacés, ses cheveux blancs rependu tout autour d’elle comme un tissu de soie. Son esprit se tu, surpris par cette image vague et lointaine. Et au sol, elle se demanda quelques secondes de plus si il avait réellement était là.
Au loin, le fracas des vagues se mêla doucement aux cris impétueux des goélands.
Sujet: Re: [TERMINE] Sous une lumière de givre Mar 21 Oct - 13:44
La brume ambiante, même transpercée de lumière, n’en était pas moins gelé. Et, même si elle avait toujours eu la chance de ne jamais ressentir le froid, les pavés à moitié polis par le givre lui donnaient l’impression d’être faits de glace pure. Tout autour d’elle se tenait, droite comme des pics, une forêt de jambes dressées, qui lui paraissaient infinies, dressée vers le ciel comme l’auraient faits des pins. Elle distinguait à peine un éclat de bois entre les mouvements. Un morceau de coque de bateau par là, un bout de mer par l’autre. Et de sa hauteur, les ceintures et les pantalons constituaient son horizon. Et l’odeur piquante de restes de poissons et de neige sale lui retournait presque l’estomac, alors que tout se mouvait autour d’elle dans une fureur étouffante. Les cris des vendeurs et des négociants rendaient l’atmosphère lourde, et l’air saturé. C’était à peine si elle s’entendait penser… Les mains brunies par la vase et la poussière, Othello était cernée, complètement, par cette marée humaine. Mais pourtant, elle ne se relevait pas. Cette vision l’avait presque hypnotisée, retranchée dans un recoin de son esprit qu’elle pensait enterré depuis longtemps. Les yeux dans le vague, elle devint à nouveau un monstre hybride qui pourfendait les eaux, entre deux ondes glaciales, avant de se prendre, de s’étrangler dans un filet qui traînait là et...Il lui fallut quelques secondes pour finalement relever les yeux vers un sourire presque édentée qui la terrifia.
Devant elle était maintenant tendue une main poisseuse, sur la surface de laquelle ses yeux écoeurés dévisagèrent les reflets quelques secondes. Cette main était boursoufflée, grasse, et au bout des tous petits doigts, à la forme tordue, des ongles cours et rongés, jaunies par les bouffées de tabac et noircies par la crasse lui renvoyaient l’image déformée des passants autour d’eux. Othello se pétrifia. Que lui voulait cette personne ? Elle n’osait même pas relever les yeux vers son visage, dont le sourire lui avait déjà glacé le sang. Centimètre par centimètre, elle remonta son manteau de fourrure épaisse – probablement d’ours ou de loup – tâché de grosse traces de graisses, d’un jaune blafard, pour finalement surprendre un visage rond et bossu, au goitre pendant comme celui d’un crapaud, qui lui souriait lubriquement, ses yeux livides brûlants d’une chaleur incontrôlée, et ses joues déjà rouge d’émotions. L’homme d’une cinquantaine d’année devait faire partie des commerçants, à en juger par la bourse épaisse et les deux lettres accrochés grossièrement à sa ceinture, qui tenait par un miracle divin à sa bedaine ventripotente. Othello remarqua soudain le chapeau dans son autre main, duquel pendaient deux longues plumes de faisan. Un spécimen des plus glaçants se tenait devant elle, à attendre qu’elle saisisse dans un élan de folie sa main pleine d’huile.
« - Venez, ma p’tite dame, restez don ‘ pas là, dans l’froid, toute seule ! » Même sa voix avait des courbes grotesques, tantôt aiguës, tantôt grave. Fascinée par le personnage, et apeurée en même temps, elle se refusa de le quitter des yeux tout en secouant frénétiquement la tête. Une vague de frisson parcourut toute sa colonne. Hors de question de s’aventurer avec cette chose… Il avait l’air horrible, comme tous ces vieillards immondes qui faisaient la queue comme des brebis devant le temple de bon matin dans l’espoir d’apercevoir un petit bout de chair de femme révélée par une bourrasque de vent. Ses yeux étaient devenus de vrais brasiers lascifs. Et elle n’en était que refroidis. S’attardant sur lui, elle déglutit et chercha une échappatoire, alors qu’il semblait tendre la main avec plus d’insistance, la tendant désespérément plus près de son visage dans l’espoir qu’enfin elle se décide à la saisir. Pour qui la prenait-il ? Pour un petit oiseau blessé qui gisait désespérément sur le sol ? Son visage de porcelaine, dénué d’émotion, se secoua une nouvelle fois, pour enfin remettre sa cape sur ses épaules avec une surprenante vivacité. Il ne poserait pas une main sur elle.
« - Allez, faites pas vot’ timide ! J’ai d’quoi t’faire passez un bon moment… » D’un grossier mouvement de pied, il secoua son rutilent sachet pleins de duras.
Cette fois-ci, s’en était assez pour la petite poupée de verre, qui se releva alors brusquement, pour commencer à s’enfuir sans mots dire. Ses souliers étaient à présents bruns, et ses mains d’une froideur extrême laissaient s’échapper quelques gouttes brunes et translucides sur le sol givré. Et, alors qu’elle s’enfuyait comme un spectre au milieu des passants, elle sentait sur ses épaules le regard brûlant de cet homme porcin. La suivait-elle ? Même si elle n’osa pas se retourner pour le vérifier, elle savait pertinemment qu’il était derrière elle, à suivre son chemin. Cet idée lui retourna le ventre. Que cet homme gras la suive ainsi… C’était absolument dégoûtant. Kesha lui envoyait un instant l’image effacé d’un ancien sauveur, et maintenant lui ? Ce grand inconnu aux cheveux blonds comme la cendre, troqué par ce bonhomme à moitié chauve qui compensaient son manque de centimètre par une largeur certaine ? C’était bien deux opposés… Qui ne s’attiraient pas du tout. Elle poussa derrière elle un long soupir, qui s’échappa de ses lèvres en un petit fantôme de brume qui s’évada soudain dans le néant. Pendant quelques autres instants, elle slaloma entre plusieurs personnes, se perdit encore plus dans la masse dans l’espoir d’abandonner son suiveur agaçant. Quand elle se sentit suffisamment perdue dans ce manège, la tête lui tournant presque, la yorka osa enfin tourner son visage vers l’arrière. Rien. Personne. Pas de soupirant échevelé qui la dévisageait de but en blanc. Une vague de légèreté envahit son torse, soulevant adroitement ses côtes pour remplir agréablement ses poumons de soulagement. Une brise d’air frais ou la sensation félicité à peu près retrouvée ? Un peu des deux… La sirène clos alors ses yeux sombres où disparaissait la tempête, oubliant pendant quelques secondes les cris, la foule…
Puis soudain, la lumière tamisée fut éclipsée, l’ombre envahit son regard. La peur la saisit de nouveau. Quand elle le rouvrit, c’est un torse abrité par la fourrure d’un ours et d’un long manteau qu’elle découvrit – a défaut de faire face à un sourire édenté, ce qui lui valut un immense soulagement – et il lui fallut une ou deux secondes pour comprendre la différence abrupte de taille qu’il existait avec ce nouveau personnage sortit de la clarté. Il devait bien faire deux têtes de plus qu’elle, si ce ne fut plus… Ses oreilles se baissèrent brutalement. Son instinct se cabra avec l’intime sensation qu’elle était menacée. Trop de foule et d’êtres autour d’elle, alors qu’elle ne vibrait que pour la mer un peu plus loin. Levant soudainement ses deux yeux de cèdre où jaillit une lueur inquiète au fond deux, c’est dans une rivière rafraîchissante de souvenirs qu’elle plongea. L’œil unique, d’une couleur de saphir à la profondeur d’améthyste, et à l’éclat d’opale lui faisait face avec une maladresse touchante, alors que son jumeau avait disparue sous les courbes épaisses d’un cache-œil… Alors que son visage aux traits fins et gaies, trahissant une vie joyeuse et simple, laissait se disperser autour de lui la sympathie et le ruse des renards ou des chiens… Elle le revoyait distinctement, à présent, il y avait bien des années de cela.
Dans une surprise qui lui value d’entrouvrir ses lèvres dans une moue candide, Othello dévisagea le jeune homme – ou non ? Il ne lui semblait pas qu’il eut pris une ride en cinq ans… - d’un œil profond, essayant malgré elle de se rappeler de tous les détails de cette précédente rencontre. « Fenris… » Répéta-t-elle alors dans un souffle, un peu sans s’en rendre compte, alors que ses mots voletaient hors de ses lèvres bleutés, pâlis par le froid, tranchants fortement à présent sur son teint de sable. Cette carnation d’ocre lui fit penser qu’il devait être marin, où originaire des îles bien plus au sud. Ce n’était pas la couleur habituelle des habitants de Cimméria. Ses cheveux longs, d’une couleur à s’y méprendre, s’agitait frénétiquement avec la brise qui voulait les emmener au loin. Ses mots étaient un peu hésitants, mais il semblait les avoir choisis avec habileté pour ne pas la brusquer. Elle retrouva alors son sérieux quand il eut finit, retrouvant son visage impassible de petite poupée blanche. Cependant, une lueur de reconnaissance habité à présent ses yeux obsidiennes. Il ne se souvenait apparemment pas… Mais qu’importe. Elle s’en souvenait sûrement assez pour eux, suffisamment, au moins, pour le remercier encore une fois.
Mais maintenant au pied du mur, elle se surprise alors à ne pas savoir que dire, ouvrant alors la bouche pour la refermer vivement, encore sur le coup du trouble. Sourde aux cris qui les entouraient, aveugles aux mouvements et aux gestes, elle cherchait quelques choses à dire, un soupir, même, n’importe quoi qui pourrait indiquer qu’elle ne se sentait pas menacée. Mais les mots lui manquaient encore une fois – sa maladresse avec la parole la suivait toujours… Et se collait à elle comme son ombre. Elle allait enfin tenter de se présenter devant son air innocent, les deux mains en l’air, quand il se braqua soudain, éternuant brutalement en rabattant ses deux mains près de son visage. Il venait des îles du sud… Nul doute que le climat ne devait pas être très à son goût au milieu de toute cette neige et ce froid polaire. Inondée de cette lumière dorée, la jeune femme s’effaça, baissant vivement son faciès pour se plonger vers le rouge de sa cape, alors qu’une de ses petites mains s’y glissa pour retrouver une de ses poches. C’est au bout de quelques secondes qu’elle en ressorti, encore miraculeusement plié, un petit carré de tissu qu’elle tendit au géant de sable, retrouvant ses réflexes de soignant. Un mouchoir d’une blancheur immaculée qui n’avait jamais réellement eut d’utilité avec sa propriétaire.
« - Tenez, vous… » Commença-t-elle, avant qu’un fantôme grassouillet ne vienne soudain surgir dans son champs de vision.
Toujours emmitouflé dans son manteau étroit, il se dandina alors vers eux avec un sourire carnassier accroché à ses lèvres. Soudainement, ses yeux s’écarquillèrent une nouvelle fois de méfiance, et de peur, et ses oreilles se baissèrent alors dans un pli animal. Ses pas sonnaient si lourds… La jeune femme arrêta brutalement de penser, et comme tout petit poisson menacé, se fia à son instinct qui lui suggéra la fuite. Mais Fenris était là, et ô combien elle voulait le remercier, lui racontait, ravivait sa mémoire sur le geste d’une infinie compassion qu’il avait eut à son égard. Elle arrêta de penser. Sa petite main blanche vint se glisser dans une des mains de géants du grand loup, et elle l’enleva derrière elle sur son maladroit chemin, ne quittant pas le bedonnant marchant du regard. De son air déconfit, il les suivit pendant quelques secondes, pendant qu’Othello se battait ferme avec les passants, avant qu’ils ne découvrent son compagnon et son allure athlétique et persuasive et ne leur ouvrent volontiers un passage. « Si j’avais su… Je l’aurai trouvé avant. » se dit amèrement la petite sirène, jetant à intervalle régulier des regards alertes derrière elle, tout en espérant que le grand marin de sable ne s’enfuit pas devant ce ravissement soudain. Ce ne fut qu’une fois qu’ils atteignirent une petite clairière humaine qu’elle vit enfin le sombre bonhomme disparut. Ils ne se trouvaient qu’à quelques mètres de la mer, entre un immense bâtiment sagement amarré et un espace encore libre – plus pour très longtemps sûrement – et cet espace, pour des raisons inconnus, était dédaigné des passants qui étaient plein plus rare que dans le masse du marché. Othello resta cependant alerte, gardant le grand loup dans son dos alors qu’elle observait derrière eux avec les mimiques d’un chat. Ce n’est qu’alors qu’elle remarqua le ridicule de son manège, et que, malgré qu’ils étaient déjà arrêtés depuis plusieurs secondes, elle n’avait toujours pas lâché la main. Relevant les yeux, penaude, vers le jeune homme, elle ne put s’empêcher de descendre en piqué le regard une fois son œil de crépuscule croisé, lâchant sa grande paume d’ocre. Quel idée d’avoir couru partout comme une idiote… Dans un tour de tête insouscient, elle minauda quelques secondes, gardant sur son visage l’expression candide et innocente d’un enfant que l’on vient de gronder. Ses lèvres se pincèrent alors, avant de retrouver leur forme courbée qui lui valait de ressembler à un masque.
« - Veuillez excuser mon attitude, mr Skirnir… » Lâcha-t-elle d’un ton un peu honteux, avant de retrouver ses vieilles habitudes impassibles. « Je ne voulais pas vous conduire à travers ce dédale. » S’apercevant alors que dans son autre main, son carré de soi était toujours adroitement gardé, elle le lui tendit finalement, espérant qu’il puisse en avoir plus d’utilité qu’elle. Et à vrai dire, sans vraiment le savoir, elle se sentait un peu coupable du mal qui l’assaillait. Cette sensation était probablement propre à toutes les soignantes, qui se devaient d’affronter les maux les plus durs et les plus improbables sans jamais plier. Saisissant le mouchoir de ses deux mains, elle le tendit alors au refroidi marin du sud. Devant relever désagréablement le visage pour le regarder dans les yeux, elle soutint son regard simple, sans même faire grand attention qu’il manquait un œil. Encore inconsciemment, une sensation de calme vint apaiser son esprit, comme une rassurance vive, une chaleur paisible qui émanait de ce grand personnage. Le monde était bien petit, alors… Elle était donc la seule à se souvenir ? Beaucoup se serait senti ému et démenti d’avoir était si simplement oublié. Mais la sirène n’en était pas le moins affectée. Au contraire. A présent, elle brûlait d’envie de lui raconter tout, se sentant même l’envie de converser avec ce curieux marin borgne.
« - Voici pour vous. J’espère que cela pourra vous aider… » Dit-elle poliment, avant de détourner les yeux vers la mer dont le clappement des vagues montaient jusqu’à eux. « Ne soyez pas surpris par cette impression étrange... Nous nous sommes déjà rencontrés, il y a cinq ans. »
Elle avait à présent la douceur du coton dans sa voix, et dans ses yeux, la lumière dorée du jour sous la nappe de nuage s’était transformé en un éclat de givre et de nostalgie qui brillait fugacement dans le fond de ses yeux. Pendant un instant, elle était ailleurs, à des années de cela, dans d’autres flots, et d’autres rivages.
« - Je m’appelle Othello Lehoia. » Souffla-t-elle, laissant ses mots disparaître à la houle.
Sujet: Re: [TERMINE] Sous une lumière de givre Mer 14 Jan - 17:12
La brise balaya une brume de neige qui s’éleva faiblement pour retomber au milieu du passage, où les dalles étaient recouvertes d’un mélange de boue et de givre mouillé. La silhouette du grand homme se dessina alors subitement, quand Othello se retourna de sa rêverie marine. Le marin avait gardé une main préventive sur son arme, qu’il gardait à sa ceinture. Elle remarque l’appareil pour la première fois : personne ne voudrait croiser le fer avec une lame aussi imposante. Il faisait partie de la marine, donc… Quel type de marine pour être ainsi armé ? Doucement, ses oreilles de poisson, semblables à des nageoires, s’arquèrent et se baissèrent, comme les lames d’un éventail que l’on ferme. Cette arme lui donnait des frissons, et une vague de soupçon vint à naître dans son trop plein de bienveillance. L’hybride remarque quelque chose : était-elle aveuglée par sa reconnaissance ? Sans dire mot, elle observa – même si dévisager de but en blanc semble un terme plus juste – le grand blond à l’œil de vague, qui balaya la foule de sa taille imposante.
Tout comme dans ses souvenirs. Ou presque… Quelques traits lui semblaient incertains. Il était peut-être plus grand… Ou plus court. Plus adroit, ou plus assuré. Elle toussota alors, un peu perdue dans ses pensées alors qu’elle écoutait à moitié les paroles de ce grand golem de sable. Son âge… Quel âge pouvait-il bien avoir pour perdre la ligne de ses souvenirs ? La jeune femme savait bien qu’elle n’oserait jamais poser la question. Pourtant, cela piqua sa curiosité. Le grand homme ne semblait pas avoir bien plus que la trentaine – tout au plus. Même si son teint hâlé laissé supposer des années d’expérience, et ses mains usées trahissaient des années en mer, il existait derrière son visage assuré une étincelle juvénile qui transpirait un air de jeunesse, qu’elle imaginait bien sous ses cheveux retenues qui se battaient avec le vent. Elle toussa maladroitement, se retourna vers la mer. Ses souvenirs… A vrai dire, cela remontait à loin. Et il semblait réellement ne pas savoir, ne plus savoir grand choses de cette rencontre fortuite au milieu des flots. Et si l’âge, comme il l’avait si bien dit, n’avait rien à voir dans cette histoire ? Et si elle se trompait tout simplement de personne ? Ses lèvres se serrèrent, et elle s’effaça doucement.
Quand il évoqua l’idée de partir, elle ne pu qu’acquiescer discrètement. L’idée de quitter ce vacarme était presque un épiphanie. L’odeur de fange et de boue, et de sang commençait à lui retourner l’estomac. Et la vue des passants lui donnait le tournis, toute mésange qu’elle était dans ce vol de corneilles. Se retournant vivement, elle finit par hocher gentiment la tête vers le grand condor à l’air assuré, soudain plein d’assurance. Son visage de sable se détachait habilement sur le gris des pierres des maisons et le blanc presque aveuglant des maisons. Il n’était pas du genre des marins qui mouillaient souvent dans la cité. C’était même amusant de l’imaginer, avec ses airs de vagabonds plein d’humanité, au milieu des vieux loups de mer bourrus et cassés, aux épaules renfoncées et aux dos courbes. Si elle ne l’avait jamais croisé, elle aurait pu facilement le prendre pour un apprenti ou un jeune soldat. En même temps, il en avait la carrure – et même plus, si elle le comparait aux deux ou trois bonhommes ventripotents qui prétendaient vouloir garder le temple de Kesha. Sans plus parler, elle découvrit alors ce bras tendu, aux allures fines et subtilement musclé. Que de promesse de sécurité pour une petite chose chétive et pâle. Ce geste lui inspira une grande gratitude, ravivant le respect qu’elle ressentait depuis quelques années. Pourtant..
« - Merci à vous, mais je me dois de refuser votre bras. Une prêtresse au bras d'un marin pourrait délier des langues, et je ne voudrais pas vous causer ces problèmes. » Dit-elle poliment.
A ces mots, elle entama la marche, laissant le marcheur la suivre ou marcher à ses côtés, ou encore prendre la tête de la marche, comme il le voulait bien. Les ruelles de la ville, contrairement à la pleine du port, avait le cruel désavantage d’être des gouffres à brises, de vrais pièges à rafales. Le vent s’engouffrait à sa guise, laissant Othello rêveuse, et penaude devant le colosse d’ocre, étrangement vêtu de sa peau animal, et qui paraissait infranchissable. Rapidement, elle renfrogna sa nuque, l’enfouissant un peu plus sous sa crinière ou la fourrure épaisse de sa cape, la refermant devant elle. Une taverne… L’idée n’était pas des plus alléchantes. Mais il valait mieux ça, plutôt que le chaos désolant du marché et du déchargement. Absente, Othello baissa le regard. A côté de ce grand homme, à l’allure si joviale et brave, elle se sentait un peu coupable de penser ainsi de ce monde qu’elle connaissait à peine. Un mélange de peur et de préjugé, sans doute… Pourtant, ça devait être son quotidien. Elle déglutit doucement. Cette profession la terrifiait autant qu’elle la fascinait. Entre deux pas, elle s’aventura sur la pente dangereuse d’oser une conversation.
« - Se pourrait-il que vous soyez marin ? Il m’a semblé que vous apercevoir dans la foule d’un équipage. »
Son ton était un peu maladroit, bien que la pureté de sa voix restait d’une candide monotonie. C’était une façon terriblement gauche d’engager la conversation, elle ne l’ignorait pas. Mais sa réponse la mettrait sur la bonne piste. Si il l’affirmait bien, cela confirmerait au moins ses souvenirs. Qu’il pouvait bien être le grand marin habile qui l’avait jadis tiré d’un amer moment. Cette amertume s’éveilla à nouveau, alors, et pris un goût aigre au fond de sa gorge. Le froid était sec. Une nouvelle fois, elle referma sa cape sur sa nuque.
La brise était forte. Et la taverne non loin. Peut-être, dans ces minutes, parviendrait-elle à éveiller l’étincelle d’un souvenir… Ou alors devait-il rester enfoui. Othello se redressa, et se retourna vers le grand loup de sable, ayant soudain retrouvé tout l’impudence de son impassibilité pour le regarder adroitement, respectueusement, dans cet œil océan unique qui éclairait son visage.
Sujet: Re: [TERMINE] Sous une lumière de givre Sam 7 Fév - 12:41
Un précieux indice, quand le grand loup de mer lui avoua librement les secrets de sa carrière. Un marin en pleine liberté, alors ? Libéré de toutes chaînes et de toute obligation ? L’idée paraissait alléchante, et quiconque aurait pu voir dans cette vie un rêve d’enfant. Mais quand elle se retourna vers lui, en s’attendant à le voir rêveur et plein de force, elle le découvrit calme et absent, comme ce qu’elle connaissait de lui depuis qu’ils s’étaient rencontrés sur le quai. En le dévisageant silencieusement alors qu’il continuait de parler, laissant rayonner sa voix chaude et rassurante, la petite dame blanche, emmitouflé dans sa grande cape, commençait à se demander si finalement, lui aussi ne portait pas un subtil masque de porcelaine, si discret et travaillé qu’on ne pouvait le distinguer… L’homme avait la carrure d’un chef, et quoi qu’il fasse, l’ondine avait l’impression de le voir marché sur de l’eau, et soulevé par un vent de gloire et de fortune qui lui donnait cet air si confiant et sûr de lui qu’il aurait pu écraser toute la planète d’un seule main. Une poudre légère semblait s’évaporer de sa crinière blonde – à moins que ce ne fût que de la neige en bataille qui ne s’y soit logé lors d’une averse ou d’une bourrasque. Inutile de dire qu’Othello était impressionnait, et ne savait plus vraiment sur quel pied danser avec ce colosse de sable. Elle lui prêtait une oreille attentive – c’était sûrement la meilleur des choses qu’elle avait à faire. Parler serait trop en dire, et fixer la route serait trop impoli et négligeant.
Ceci dit, elle n’était bizarrement pas confiante pour autant. Elle avait un poids ridicule sur le cœur, qui croissait comme la gorge d’un crapaud à mesure qu’ils semblaient s’approcher de l’auberge. De cette crainte était née une distraction certaine, qui menait ses pensées bien loin de leur conversation. Il était marin, elle l’avait bien compris. Cependant, certains détails lui avaient bêtement échappés. Comme l’existence de son frère, ou la nature précise de son obscur travail. Elle poussa un petit soupir léger, hochant la tête quand il eut finis de parler. Cela était inutile de se dire si elle avait vraiment compris ou pas. On pouvait lire sur son visage l’appréhension, alors qu’elle scrutait la rue d’un œil tremblant. Et Fenrir ne pouvait rien y faire : qu’avait-elle pensé en suivant un marin sans même poser de questions ? Qu’ils iraient dans un agréable petit salon de thé ? Les hommes de la mer aiment souvent les boissons lourdes et l’ivresse, et les airs chauds et sonores. Pas le silence de salles étriqués et la douceur d’un lait épicé. La petite demoiselle se sentait plus vaporeuse que jamais, abritée sous ses tissus et ses cheveux, suivant de près le marin comme sil était le dernier rempart avant la vérité humaine.
Son rempart, d’ailleurs, s’effrita soudain dans une quinte de toux magistrale qui l’arrêta sec. S’approchant timidement, la demoiselle finit par simplement le dévisager, un air compatissant sur son visage de soignante. Le climat de Cimméria faisait ses victimes parmi les étrangers, et sa rigueur était des plus sévères avec les non-initiés. Ses talents de prêtresse de serait d’aucune utilité pour le loup de mer… Et elle ne pouvait se contenter que de le regarder se secouer brutalement, éructant tous ce que ses poumons froids pouvaient recracher. Un géant malade… Ironique, mais ce fut seulement à cet instant que la dame de givre, sous son air pâle, put voir sous le masque assuré de Fenrir l’être humain qu’il était. Une fois qu’il eut finis de tousser ( du moins, pour l’instant), ils purent se remettre en route, et elle reprit sa suite. Même si l’idée la rendait tristement anxieuse, une salle chaude et humide remplit de chaleur humaine ne lui ferait pas de mal. Au moins, ça apaiserait un peu son état souffreteux. Il reprit la parole. Les questions qu’elle voulait ? Facile à dire, mais une pirouette à exécuter. Othello n’avait pas la conversation facile, et ne l’aurait sûrement jamais. Alors, autant lui planter des bâtons dans les roues : elle préférait sûrement affronté un léviathan plutôt que de dire tout ce qu’il lui passait dans la tête. Néanmoins, elle acquiesça, relevant alors la tête vers une rue marchande, où se dressait une grande devanture de bois noir, aux fenêtres fumés, d’où pendait une enseigne en forme de verre à pied. Nul doute, ça devait être là. D’un pas faussement assuré, elle l’élança vers les sombres lieux… Pour être adroitement dirigé vers le bâtiment d’à côté. Et y être étouffée de surprise.
Une magnifique petite boutique, d’une douceur incomparable. Sa vétusté lui donnait une intimité agréable, et la lueur des quelques bougies qui éclairaient la pièce apportait une rassurante chaleur, en plus de la lumière des soleils qui recouvrait tout d’une brume tamisée. Il y régnait une odeur forte et boisée, floral, que le grand loup huma avec insistance. Othello l’observa alors et l’imita maladroitement, manquant de noyer ses narines de santal et de musc. Elle secoua alors son nez, comme le museau d’un chat, pour retrouver un semblant d’air pur. Fenrir avait un odorat de fer, elle lui accorda ce point. Et sûrement des naseaux en acier pour pouvoir résister à un tel cocktail. Baissant ses épaules et réajustant sa cape, elle s’attendait à le suivre à nouveau quand une femme rondelette l’interpella. Ses mains humides et chaudes serrèrent les siennes, et prit la sirène au dépourvu qui la regarda sans comprendre, ne sachant plus sous quel pied danser. Elle balbutia quelques mots, chercha conseil vers Fenrir avant d’hocher la tête en reconnaissance. Elle priait pour que la réponse universelle à toutes ces questions serait oui, et que ce serait… Cohérent. Une boule poussa dans le creux de sa gorge. La petite dame avait tout d’une mère… Mais la demoiselle priait quand même pour qu’elle en finisse avec elle. Soudain, la pression de ses paumes s’envola, et l’imposant papillon alla voleter vers Fenrir. Apparemment, elle avait l’air de bien connaître le grand blond.
Bientôt, ils furent installés autour d’une table, la dame et le loup de mer pavoisant amicalement. Un spectacle très attendrissant, comme la mère qui retrouve son fils après des années. Elle devait être la propriétaire, probablement, avec ses mains usées et douces, et son air heureux mais épuisé. Malgré les petites rides qui commençaient à attaquer son visage, et son air fatigué de travailleur, elle avait la vigueur et une force incomparable, dégageant une chaleur humaine qu’Othello n’avait jamais vu. On tombait amoureux d’elle au premier coup d’œil. Il était même impossible de ne pas l’apprécier, cette voix chaude et couvrante, et cette maternité spontanée qui faisait d’elle votre mère, votre sœur, toutes celles qui comptent pour vous et qui veulent votre bien. Sans lui avoir jamais parlé, la sirène avait presque envie de lui raconter sa vie, et de chercher en elle les conseils et la protection qu’elle avait rarement eut. Fascinée par son humanité débordante, la sirène la dévisageait gentiment, un rare sourire figé sur son visage sans même prendre le temps de choisir une boisson. Finalement, quand la dame aimante se retourna vers elle pour prendre sa commande, elle se retrouva touchée, prise au dépourvu devant la carte qu’elle parcourut d’un coup d’œil.
« - Un… thé au gingembre et santal et un… ça sera tout. » Balbutia-t-elle, les yeux fixés sur la tables et les doigts liés, se cherchant l’un et l’autre.
Puis elle disparut derrière son comptoir, emportant avec elle son petit nuage fleuri et son aura de douceur.
« -Intrigante, cette dame… » Souffla-t-elle à demi mot, avant de retrouver le silence.
Pendant quelques secondes, elle observa la salle, s’y sentant étrangement parfaitement à l’aise. Beaucoup pourrait dire qu’elle n’était pas du genre à accorder sa confiance aisément. Elle était même loin du compte, se méfiant instinctivement de tout, sa nature prenant souvent le pas. Tout lui paraissait hostile – le monde des hommes plus que celui des bêtes, bizarrement. Mais cette bulle, cet espace de coton et de fragrance était comme une bouffée d’air frais, un sanctuaire bienfaisant au milieu du bourbier de décadence blanc qu’était Hellas. A cet instant, elle se sentit infiniment apaisée, et une nouvelle fois imbibée de reconnaissance pour le marin. Cet homme téméraire avait la vertu de la parole, mais aussi celui de la surprise. Elle qui s’imaginait perdue dans une taverne, au milieu de l’alcool et des marins, la voilà gentiment assise autour d’une table sombre de bois brut, devant un éclat de son passé à qui elle devait la vie. La situation était étrange, incongrue, même. Mais Kesha faisait bien les choses. La toile qu’elle avait tissée pour elle était belle, et pleine d’autres fils entremêlés. Son regard d’opale plongé vers la fenêtre fumée, elle s’évada quelques secondes dans les reliefs du verre comme si c’était le fond de l’océan. Elle se lovait doucement dans ce silence, comme si cette intimité était un nuage de coton.
Puis il rompu le silence, avec une douceur et une finesse délicate. La sirène remarqua qu’il ne voulait pas la brusquer, et qu’il agissait avec elle comme avec une enfant que l’on guide, et elle en apprécia ce geste. Depuis qu’ils s’étaient revus, il avait toujours était prévenant, avisé, et ne s’était jamais emporté malgré toute sa bizarrerie. Comme la première fois qu’ils s’étaient vu – si c’était bien le cas – il ne l’avait pas jugé. Cet homme avait un fond pur, vaillant, mais d’une pudeur candide et respectable. Pour une rare fois, Othello avait la sensation d’être traité comme un tissu de soi, plutôt que comme un chiffon sal que l’on jette froidement. C’était très agréable. Relevant les yeux vers le borge, elle se sentit presque honorée de lui répondre, et, au lieux de cacher les choses comme elle l’avait fait jadis, elle était heureuse de pouvoir lever un peu le voile du mystère. Seulement… Un doute se glissa au fond de sa gorge, totalement absent de son visage de porcelaine. Si ce n’était pas lui ?... Elle souffla un soupir froid, prête à rentrer dans la danse. Elle devait parler avec calme, et distance, pour réveiller justement ce qui manquait en lui. Doucement, elle releva ses petites mains pâles sur la table, les entremêlant dans des courbes sibyllines.
« - Ce serait un plaisir, même. Mais je dois vous avouer que… Je ne connais pas votre histoire. » Commença-t-elle, la voix presque éteinte. « La mienne commence il y a six ou sept ans, au fond de la mer froide de Cimméria. Je n’étais pas celle que vous voyez, mais une autre, une… Hybride décousue. »
Pendant de longues minutes, elle poursuivie, l’œil perdu, à raconter son histoire. Comment elle fuyait, comment elle avait rencontré des filets de pêcheurs et qu’elle s’y était accrochée, sans pouvoir s’enfuir, complètement enfermée dans les mailles, dans les cordes, s’étouffant de l’eau qui la faisait respirer. Et comment elle s’était retrouvée hissée et observée, jugée par une armée de marins à l’œil lubrique qui dévisageaient ses écailles, ses os, ses épines, ses courbes de succubes dans une enveloppe de monstre. Et comment, se découpant au milieu de la masse, un homme immense, à la crinière blonde, s’était élevé dans la foule, et avait pris sa défense pour qu’on la rejette à la mer.
« - Il avait un air courageux, fier… Et un œil unique qui affrontait le monde comme si il voulait le provoquer… »
A présent, elle était complètement perdue, immergée dans ce souvenir. Son regard fuyait tout, se perdait dans le vie, fixait un point insensé sur le mur. Elle avait oublié tout, le salon de thé, Fenrir, et même les tasses fumantes qu’on venait de déposer devant eux. Puis elle finit par remonter à la surface, se réveillant d’une étrange sieste, pour ne pas se noyer dans les vagues de son esprit.
« - Je ne sais pas si c’est vous, je vous importune peut-être avec une histoire qui ne vous concerne pas… Mais vous me rappeler cet homme. Ce marin à qui je dois la vie. »
Finalement, elle avait dit cela avec une fermeté troublante, plantant son regard boisé dans les hauteurs aériennes de Fenrir. Qui était-il ?... En son fort intérieur, elle priait pour ne pas se tromper. Elle ne voulait pas se tromper… Non, ça devait être lui… Non ? Maladroitement, elle entoura sa tasse de ses doigts. Une odeur de gingembre et de santal envahit ses narines.
Sujet: Re: [TERMINE] Sous une lumière de givre Lun 2 Mar - 14:01
Les vapeurs ondulantes dansaient faiblement au-dessus des tasses de porcelaines. L’odeur forte et embaumante les enveloppa alors, alors qu’elle achevait tout juste son récit. Ses doigts s’étaient enchevêtrés autour du petit récipient dans une cathédrale rassurante qu’elle appréciait avec chaleur. Ses yeux ne quittaient pas le liquide sombre, comme hypnotisés par l’eau brune et goûteuse, mais la vérité était bien ailleurs. D’une façon imperceptible, ses petites mains blanches tremblaient. Et son esprit était recouvert d’un voile de honte. Elle ne s’était pas confiée ainsi depuis bien des années. Et la vérité de cette étrange situation la frappa brutalement : elle était peut-être en train d’importuner un parfait inconnu, et de lui voler égoïstement son temps alors que les vagues l’appelaient. Le doute lui brûlait le fond de sa gorge. Son ventre commençait à se creuser douloureusement, alors qu’elle n’osait même pas regarder à nouveau le grand colosse lupin. Seul le silence pouvait la sauver de sa fougue à présent. Son cœur était serré dans un étau de verre, qui le compressait brutalement, comme pour l’étouffer. Son souffle était devenu glacé…
Puis il finit par ouvrir ses lèvres sèches et abîmées par le froid, et toute la pression brutale qu’elle inhalait en suffoquant s’évapora comme le voile qui se dégageait des thés. Doucement, elle releva ses yeux vers celui du grand homme qui venait de rabattre ses bras sur la table, tendant ses mains vers elle. Alors il était bien le marin troublé qu’il lui avait emblé croisé en mer, des années auparavant. Dans le tumulte des eaux froides, dans le chaos de la mer et de sa jeunesse noyée, alors qu’elle avait été arrachée à l’obscurité des flots qu’elle aimait tant. Ses souvenirs la rappelaient alors, sentant les nœuds de cordes brûler sa peau, et la lumière vive du soleil qui lui enflammait ses yeux inaccoutumés. Cette foule d’hommes concentrés autour d’elle comme des vautours, et les longues minutes attendues en vain, à chercher une échappatoire à cette situation. C’était un hasard miraculeux de le revoir. Surtout dans un port aussi fourmillant que celui de Hellas… Si elle avait franchis le cap et qu’elle s’en était allée dans les eaux, elle ne l’aurait pas revu. Et pourtant, elle ne pouvait pas s’empêcher de croire que ce n’était pas un hasard si Kesha lui avait permis de recroiser son chemin, si sa corde bleue et dorée s’était emmêlée une nouvelle fois avec la sienne. Elle lui offrait finalement l’occasion de remercier son sauveur, et peut-être même d’en apprendre un peu plus sur lui. Il lui demanda alors quelque chose d’étrange qui lui parut bien mystérieux, alors qu’elle s’égarait une nouvelle fois dans ses pensées. Subitement, ses oreilles se rabattirent vers l’arrière dans un geste d’interrogation, un reste de son instinct qui lui soufflait de se méfier. Mais elle se radoucit alors immédiatement en le regardant faire, un sourire mystérieux subtilement accroché à son visage, aux traits paisibles et amicaux. Il voulait sa main ? Elle dénoua quelques secondes ses doigts, s’apprêtant à la lui donner. Finalement, elle ne ressentait aucune hostilité. La simple crainte d’être méprise, peut-être, ou un sentiment de crainte latent qui semblait la poursuivre tout au long de sa vie – était-ce liée à sa nature ? Certainement, l’un n’étant pas séparable de l’autre. Un frisson froid parcourut son dos, alors qu’elle glissait son regard dans la salle, avant de regarder une nouvelle fois le jeune homme, comme pour avoir une nouvelle fois son approbation alors qu’il venait de lui demander ses mains.
Pourquoi voulait-il cela, c’était une toute autre chose. Et elle ne pouvait pas agir sans se poser de questions, bien qu’elle ne remette aucunement sa curieuse demande en question. Il y avait-il quelque chose, une intention particulière derrière ce geste ? C’était encore une coutume qu’elle avait du mal à comprendre. Ses observations sociologiques ne lui avaient encore permis d’observer l’utilité de ce geste. C’était une pratique commune pour ce saluer, ceci dit. Mais ne s’étaient-ils pas déjà dit bonjour – d’une façon bien maladroite, devait-elle admettre. Alors que souhaitait-il… La yorka un peu penaude esquiva alors maladroitement son regard, regardant dehors un peu hagarde, et scrutant ensuite la salle. Elle devait être bien ridicule à voir, dans son absence d’assurance candide et ses gestes hasardeux. Il n’y avait, à part eux, qu’un duo de convives au fond de la salle, et une ou deux autres personnes assises çà et là, une en pleine conversation, d’ailleurs, avec l’adorable patronne qu’elle avait eut la chance de rencontrer. Rien ne pouvait donc la gêner, dans le regard, des gens. Et elle était d’ailleurs parfaitement inconnue. Alors pourquoi cette hésitation ? Au fond, Othello n’avait aucune raison de se braquer. Et au contraire, elle voulait fébrilement lui donner sa petite main de lys aux doigts si froids. Mais quelque chose la retenait, encore et toujours… La peur de l’inconnu. La peur du contact. Cette peur insidieuse de ne pas être à sa place, et de brusquer ce grand et avenant marin par ses paumes écailleuses et son attitude distante et étrange. Et ce malaise immédiat provoqué par le contact humain qu’elle ne maîtrisait pas totalement, devait-elle avouer. Un soupir froid s’évada de sa bouche. Doucement, dans une courbe habile, rendu splendide par la lumière, elle leva sa main droite où brûlait, noir, l’icône de Kron tatouée dans le fond de sa paume, pour aller la déposer dans celle de Fenris, en acquiesçant gentiment, un sourire adorable aux lèvres. Quelque chose la poussait à avoir confiance, à dépasser ses frontières. Il lui inspirait quelque chose de franc. Et même si c’était un courage éphémère, elle en jouirait le temps qu’il était là.
Une nouvelle vague de froid hérissa sa peau, du bas de son dos jusqu’au haut de sa nuque, sous sa grande crinière de givre qui recouvrait la grande partie de sa personne. Il avait les paumes chaudes… rugueuses, un peu sèches et usés, abîmés par des années de travail en mer, sûrement. Des mains de guerrier, d’artisan, d’homme appliqué, et voué à son travail, à une vie implacable donné aux autres. A présent, elle ne regardait plus que sa main, si immense comparée à sa sienne, et essayait d’en construire, d’en observer le moindre relief, la moindre veine, le moindre sillon, une lueur curieuse et absente dans ses yeux d’ébènes qui dévisageait ses doigts longs de géant loup de mer. Elle glissa alors du haut de sa paume, pour dessiner ses poignets, puis ses avant-bras… Et elle cessa alors de sourire brutalement, fascinée et compatissante, se laissant traversée par une lueur de surprise. D’un autre geste, tout aussi calme et serein, elle releva sa deuxième main pour l’approcher du jeune homme, tirant timidement ce bras vers elle par l’accroche qu’elle avait créé. Elle regarda le géant, timide, semblant demander la permission à Fenris pour ce qu’elle allait faire. Et doucement, elle glissa ses doigts le long de son avant-bras, repoussant encore un peu sa manche courte pour révéler alors une nuée de cicatrices, longues pour certaines, et beaucoup trop nombreuses pour un simple marin... Et les courbes lourdes et dangereuses d'une poignet de verrou. D’une délicatesse presque maternelle, elle enroula se bras de ses doigts frêles, les laissant couler le long de ses marques. Toutes les nuances de la peau reconstruite passaient sous sa paume, et elle pouvait en sentir les hauteurs, la sécheresse, les ravages tortueux. Et elle pouvait presque en sentir la douleur. Et doucement, dans un élan candide, le bout de ses doigts vinrent effleurer le métal froid des chaînes, sans plus oser les toucher. Ces anneaux métalliques semblaient le retenir. D'où venaient-elles? Que faisaient des chaînes aux bras d'un marin, comme sil avait été un ancien prisonnier? Quiconque aurait été effrayé de voir de tel attribut chez quelqu'un - un inconnu, qui plus est- avec qui l'on partage une tasse de thé. Mais la sirène, toute pâle et blanche comme la lune, s'en sentait touchée. Meurtrie. D'une compassion extrême, cherchant du bout de ses ongles de les ouvrir - comme si cela allait marcher... Othello n'avait pas peur. Au contraire. Fenris, le loup de mer jovial et droit, prenait soudain une toute autre dimension. Il arborait enfin un visage... Humain. Douloureux. Prisonnier. Et la dame blanche comprit soudain: elle voulait en savoir plus sur ce Fenris-là.
Ces marques, ces cicatrices étaient des souvenirs, des monuments de bataille qu’il avait dû mener un jour. Et la chaîne: un lourd entremêlement de maillons qui devait avoir pour lui une signification dur. La demoiselle était comme happée par cette vision, et regardait le jeune homme sans trop comprendre ce qu’elle avait sous les yeux. Les irisations d’un passés sombres, de guerre, de tant de chose qu’il lui était certainement interdit. Et Othello pâlit soudain, comprenant qu’elle était allée trop loin. Elle s’était immiscée dans son monde, avait violé le pas de ses souvenirs, de son passé qu’il lui était propre. La frontière interdite avait était franchie… Son cœur ne fit qu’un saut dans sa poitrine. Et même si elle brûlait de l’aider, de vouloir le sortir de la source de ces blessures, elle savait qu’elle venait de brusquer l’intimité du loup de mer qu’elle connaissait à peine Puis, avec autant de douceur, elle remonta ses mains, rabattit de nouveau sa manche au-dessus de ce champs de bataille, et glissa de nouveau ses deux mains dans la sienne. La yorka semblait coupable, la tête baissée, les yeux divaguant dans l’ombre. Elle était allée trop loin. Comme de si nombreuses fois. Même si elle s’étouffait maintenant de nouvelles questions, de nouvelles interrogations face à ce corps si abîmé sous ses airs de golem amicaux et braves, elle se promit de rester scellée, muette, par respect pour le passé de cet homme.
« - Je suis désolée… » Souffla-t-elle, l’air compatissant. « Je n’aurai pas dû... »
Ne bougeant plus, retrouvant son impassible immobilité, ses mains étaient toujours posées dans les siennes, attendant de connaître leur utilité – mais quelques tremblements trahissaient son hésitation. Avait-elle encore le droit de les lui donner ? Ses yeux étaient encore tristement rivés sur son bras, qu’elle aurait voulu guérir, pour payer sa dette, même si la tâche ne lui était plus possible. Le voile du soleil se posa sur le casque de ses cheveux, et elle sourit tristement, grave et fautive, accrochant toujours un peu plus ses doigts, comme si elle ne voulait à présent plus les enlever. Son esprit était coupable, honteuse d’en avoir trop vu, et d’avoir trop voulu voir. « Fenris, pardonnez-moi », soufflait-elle silencieusement dans l’univers de son esprit.
Sujet: Re: [TERMINE] Sous une lumière de givre Dim 19 Avr - 13:44
Les yeux tournés vers la table, elle ne le vit pas tout de suite, ce grand homme qui prenait des airs un peu perdu, éclairé par la lumière sans cesse défaillante qui passait à travers la grande fenêtre fumée, les lèvres finement entrouvertes dans un souffle de surprise et son œil unique entre l’écarquillement et l’abandon. Othello ne fut surprise qu’il se soit laissé faire après avoir cessé son jeu de contact, et n’en prit la pleine mesure qu’en fixant le marin hébété, divaguant à travers les lueurs de la sable, le blond de ses cheveux se révélant à la lueur des bougies. Les murmures qui tapissaient la petite salle se taisaient, s’éteignait petit à petit dans le silence commun du marin et de la prêtresse. Rien n’expliquait son geste, et sa surprise était pleinement justifiée. La demoiselle comprit alors l’ampleur de son culot, et comprit qu’elle avait été loin de sa place. Jamais elle n’aurait du bouger – elle venait de jeter le pauvre marin à moitié malade dans un trouble palpable, lui qui paraissait si fier et sur de lui. Cherchait-il ses mots ? Ou son regard vide trahissait-il d’une montée prochaine d’un flot continu de méfiance et d’insulte ? Elle s’attendait à tout, après un tel élan de spontanéité... Quelle idiote elle était.
Et pourtant il ne lâcha pas ses mains – au contraire, il les tenait plus fort. La jeune femme releva ses grands yeux bruns vers lui, vers cet étrange faciès abîmé, qui compensait un regard mutilé par un visage franc. Son grand front paré de son cache-œil était innondé de lumière, rappelant à ses yeux sa peau basanée par les années en mer, perdu avec les siens au cœur de l’océan. Quand elle avait été relâché à la mer, son premier réflexe avait été de sombrer le plus profondément au fond des abysses, là où la lumière ne passe plus, où le son a disparu… Pour s’éloigner de ce monde des hommes, d’un chaos civilisé que l’on voulait faire passer pour sensé. Si ce n’était pour la vie de Drasha, elle n’y serait jamais retournée, se contentant de hanter humblement les profondeurs. Elle ne savait pourquoi mais dans les dernières secondes qui avaient précédées ses projections, elle avait senti entre tous les sentiments un brun d’amertume, de jalousie qu’elle n’avait su expliquer. Derrière son visage un peu pensif, derrière son corps finement musclé, son apparence de leader oisif et insoucieux, derrière ses chaînes usées devait se cacher un être bien plus sombre et bien plus secret qu’on ne pourrait l’imaginer. Et la prêtresse – imbue d’arrogance peut-être – avait la sensation qu’elle, mieux que beaucoup, pouvait comprendre ce qu’il ressentait.
Les secondes passèrent. Les mots graves devinrent un peu plus clairs, et Fenris retrouva un peu son éloquence, perdue un instant dans un coin de leur conversation. Son pouce retenait doucement ses mains, sans pour autant lui imposer ce contact. Mais elle ne le fit pas pour autant, appréciant un peu trop ce geste dans un inconscient silencieux, alors que la demoiselle feignait de ne pas y faire attention. Pourtant, ses oreilles se baissèrent soudain dans un pli interrogatif et accusé, alors qu’il prenait pour lui une faute qui n’existait pas. Cela faisait des années qu’elle le voyait comme un type bien, lui qui s’était élevé contre tous, une meute de carnassiers sanguinaires qui frémissaient devant la première créature étrangère qui souillait leur navire. Un autre homme n’aurait pas agit ainsi. Pas un qui eut des idées scrupuleuses, ou même qui n’aurait pas ressenti pour elle un minimum de compassion. Alors ce n’était pas des verrous et quelques maillons qui lui ferait peur – qui plus est, le loup de mer ne semblait pas les portes de son plein grés, et un ancien prisonnier aurait déjà trouvé le moyen de s’en débarrasser. Resserrant un peu ses propres mains, elle le regarda gentiment, laissant poindre au coin de ses lèvres un sourire sincère.
« - Ne vous en faites pas, je vous comprends. Nous avons tous notre part de mystère… » Souffla-t-elle. « Le vôtre semble relever plus du fardeau que de la fierté. Et après tout, vous m’avez déjà sauvé la vie. Pour cela, je ne pourrais jamais vous voir que comme quelqu’un de bien. »
Dans ce genre de situation, elle n’avait pas l’art de mentir. Sa voix comme son discours transpirait d’une sincérité franche que l’on ne pouvait douter. L’atmosphère sembla alors s’apaiser, le discours se désépaissir, comme si, au fond, ses mains maladroites et culotées avaient contribués à effacer les quelques petits voiles de malaise que peuvent susciter de premières conversations entre deux étrangers. Attentive, elle attendit ses prochains mots… Et à sa grande surprise, il lui fit le même effet qu’une lame affutée qui plongeait jusqu’à son cœur. A son tour, la jeune femme baissa les yeux dans une longue chute coupable, pris de cours par la question qu’elle avait toujours voulu évitée, que ce soit de la part du grand borgne à l’œil de mer, de ses sœurs, ou de simples inconnus. Le symbole mortuaire, aux courbes délicieusement noires, n’avait pas déteint avec le temps comme beaucoup des tatouages qu’elle voyait. Cela faisait presque un an… Sa dette tenait toujours. Jour après jours, la lame se rapprochait toujours un peu plus de sa gorge, laissant tinter le métal de la lame dans un sifflement serpentin. C’était un symbole de honte, de traîtrise et de culpabilité. Rien d’autre… Pendant un instant, elle retourna sa main pour tous les deux, honteuse d’avoir été percée à jour aussi facilement… D’avoir baissé sa garde quelques secondes. Sous son petit visage de porcelaine s’insinua lentement une douce mélancolie, tendre et amer, alors qu’elle se mettait à nue devant le marin venu du sud. Il avait eut le bon coup d’œil… Et réussit un exploit qu’elle dut admettre. Il était arrivé quelques heures auparavant, et ne l’avait côtoyé qu’une grosse heure, à peine un peu plus, mais il avait su la percer à jour comme nul autre auparavant… Avait révélé son secret le plus inavouable…
« - Ce n’est pas un symbole… » Dit-elle tristement, refermant sur sa main cette paume maudite. « C’est une chaîne, comme les vôtres. » Ondulant le visage de gauche à droite, un peu vaguement, elle poursuivit, le regard perdu dans les abîmes de son breuvage noir. « - Je ne sais pas d’où viennent celles-que vous portez aux jambes. J’ignore si je veux vraiment le savoir, même. » Son sourire se mu alors en une courbe désolée et bienveillante, trahissant une complicité maladroite tant ils semblaient tous deux contraints par des forces immuables. « - Ceci est le symbole de mon pêché. Une… promesse, je crois… Ou un contrat que j'ai signé avec la mort.» Une malédiction voulut-elle dire, mais les mots ne franchirent pas ses lèvres. « Enfin. Je ne veux vous embêter plus avec cette histoire. Seule un miracle parviendrait à m’en libérer, c’est une drôle d’histoire… »
Une fois de plus, ses lèvres s’étendirent dans un sourire doux, mais plus faiblement cette fois-ci… C’était un bien piteux spectacle. Les mains liées autour de sa tasse, elle avait fermé les yeux pour qu’il ne les voie pas. Un lys fané, qui souriait idiotement, ses yeux plissés dans une arabesque abîmée, oscillant entre une joie sincère et dépitée, offrant, dans une chrysalide de lumière, l’apothéose de l’abandon. Elle était encline à un de ces instants rares et si dures, ou l’on se rend compte de la douloureuse ampleur de tout un sort. Son destin était déjà joué, après tout. Elle ne voyait aucune issue, aucun échappatoire à cette malédiction… Alors le seul choix qu’elle avait était de se résoudre. C’était le plus douloureux : un fantôme blanc qui transportait, gravé à même sa peau, ses propres chaînes, et qui les avait pleinement accepté… Qui avait décidé d’arrêter de se battre – après tout, ce n’était rien de plus qu’une simple punition. Lourde, certes. Mais à la hauteur de son crime.
« - C’est ce qu’on obtient à vouloir voler un dieu… » Dit-elle simplement, sans douceur ni manière, d’une franchise et d’une brutalité inédite pour elle alors qu’elle avalait une gorgée du liquide tiédie.
D’un geste, elle secoua alors son visage, se tirant doucement de ses souvenirs et de sa chaleureuse mélancolie pour retrouver son attitude habituelle, sans pour autant retirer ses mains. Comme si elle avait oublié leur présence, que leur place était juste. C’était étonnant, cette proximité étroite mais habile, cette emprise approuvée par les deux camps qui avaient créé entre eux une complicité aussi étonnante que tacite. La prêtresse se laissait faire, complice, sans bouder ni craindre, comme si au fond elle venait de retrouver un vieil ami perdu depuis des années. Ce grand homme était quelqu’un de touchant, renvoyant cette image de force herculéenne, ce sourire d’une sincérité prenante, et cette culpabilité lourde qui semblait le ronger jusqu’à l’os sans qu’on ne sache pourquoi. Un héros à deux visages, sans doute, éclairés par des soleils différents. Mais elle ne voulut ni lui imposer de parler de ce côté sombre, ni le laisser présager, aussi se contenta-t-elle simplement de glisser dans les remous d’une conversation bien plus bienveillante, et de ramener vers elle un sujet qui lui tenait plus à cœur et qui avait su piquer sa curiosité.
« - C’est étrange, ce pouvoir que vous avez-là. » Dit-elle gentiment en désignant leurs paumes entremêlées. « - Comment fonctionne-t-il ? Je n’ai jamais vu une telle capacité, c’est très beau.» Elle aurait pu en vanter les mérites pendant des minutes, mais la conversation paraissait toujours des plus maladroites sorties de ces lèvres épicées. Un art du dialogue somme toute assez limité, donc… Déjà, ses yeux s’enfuyaient vers la table. « - Le partagez-vous avec votre frère ? » Il lui semblait qu’il avait mentionné un frère dans la région. Cela éveillait aussi sa curiosité, mondaine cette fois – et cela était suffisamment rare pour la faire disparaitre au fond de sa tasse chaude.
Une fois de plus, le thé coula jusqu’au creux de son ventre, y diffusant sa chaleur bienveillante qui éloignait quelques instants le climat hivernal du dehors. Ils avaient passé le stade des premières questions et des discussions malhabiles, et elle avait même eut la chance de plonger en lui quelques secondes pour saisir jusqu’à l’essence de ses émotions. Alors pourquoi s’embêtait-elle encore de tant de gêne à chaque question ? C’était idiot, oui. Et habituellement, elle ne s’attardait pas avec autant de manière. La plupart du temps, elle était même dénuée d’émotions – quand elle ne les feignait pas – pour ce qu’elle parlait avec des sœurs et des inconnus. Cela ne nécessitait aucune implication de son être, bien au contraire. Ce froid polaire qu’elle dégageait la rendait lointaine et inaccessible, lui rendant le service de glisser entre elle et le monde le plus de distance possible. Elle n’aimait pas la proximité, habituellement. Cependant, pour elle, il était déjà quelqu’un d’important, et depuis plusieurs années. Alors elle devait faire preuve de sincérité... Mais elle pensait sincèrement ses mots. Cet étrange entrelacement d’un espace de pensée dans un autre fut inédit, improbable, un peu maladroit, mais le résultat fut splendide. Ce voir enveloppée de sensations et de vagues d’émotions par rafales fougueuse ou petites notes subtiles… Comme une couverture chaude qu’on lui avait jeté dans les épaules, avant qu’elle ne devienne le témoin de la vie d’un autre. Une immersion dans la psyché de Fenris… Avec cela, il n’y avait plus aucun doute à avoir sur son récit. Elle en avait éprouvé une grande satisfaction, après avoir laissé passer quelques secondes de retomber, ou elle se sépara de tous ces sentiments étrangers pour retrouver les siens… Entre un éblouissement notoire et une amertume détaché, elle vogua quelques secondes dans cette soupe colorée d’émotions, comprenant leur ressemblance, et saisissant soudain dans un souffle à quel point ils étaient similaires. Souriant à ses boutades et à ses comparaisons espiègles, elle finit de se laisser enchanté, sachant bien qu’une fois cette fusion finis, elle ne verrait plus Fenris comme le même homme.
Soudain, elle aperçut sur son épaule une forme sombre couler doucement. Se retournant soudain, elle s’aperçu qu’il ne s’agissait en fait que d’un flocon dont l’ombre glissait paisiblement le long d’une de ses tortueuses mèches de cheveux… Il finit par s’éteindre sur le bord de la fenêtre, comme beaucoup de ses congénères qui commencèrent à tomber du ciel. Saisie par ce spectacle nébuleux, la demoiselle se retourna alors vers la fenêtre, happée par cette valse en quatre temps qui se dansait dehors. Ses yeux bruns se perdaient d’ombre en ombre, de neige à pavés, dans le silence doucereux qui se dégageait d’elle.
« - Le temps se dégrade… J’espère que votre état ne va pas en pâtir… » Ses yeux papillonnaient dans le lointain, et sa voix brumeuse sonnait comme sortie d’un songe, un souffle prononcé sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte, alors que dehors, Une épaisse neige commençait à tomber.
Sujet: Re: [TERMINE] Sous une lumière de givre Lun 25 Mai - 17:29
Les miracles… Quelles choses curieuses que celles-là. On pouvait en voir partout, mais quand certaines ne sont que vague supercherie, d’autre relève d’un aléatoire si pure et si bienveillant que l’on peut les penser du fruit des Dieux. Une rencontre au hasard d’un port tient-il du miracle ? Une mère qui donne naissance au prix de sa vie en est-il un ? Et un tueur sanguinaire qui se repend et accepte son mal… ?... Curieux. Mais si on s’en tient aux faits et que le hasard est seul responsable, le nombre de miracle ne tiendrait plus que sur les doigts d’une main, si quelques scientifiques n’iraient pas encore tuer le peu de foi et d’espoir qu’ils pouvaient susciter. Dans ce cas et généralement, le mot était terriblement mal utilisé, même par la prêtresse elle-même. Cela ne tenait pas du miracle. Seulement d’un pour-parler long et rigoureux qui s’élevait à un domaine divin, et qui venait de l’égoïsme et de l’inconscience d’un hybride un peu trop naïf. Pendant l’ombre d’un instant, elle s’en voulut d’avoir prononcé ce mot à tort, et de mettre sur le dos des divinités son affaire personnelle… Pourtant, ce n’était pas une erreur en soit, et ses mots reposaient, quelque part, sur une vérité. Enfin, ce n’était pas la peine de creuser plus profond, se dit-elle. Ses oreilles tendues, elle écouta patiemment le grand cyclope ocre et blond, dont la tignasse tout à fait maîtrisée transportait mystérieusement des sensations de sable chaud et lointain. Ces chaînes lui venaient de son autre forme, alors ? C’était aisé de deviner qu’il était un Llurghoyf à présent, Othello n’en avait pas le moindre doute. Un frisson parcourut son dos. Elle n’avait encore jamais côtoyé quiconque de ce peuple, et le sujet lui paraissait encore curieusement vaporeux. Pour une raison qui lui échappait encore, leur évocation était restée source de crainte – sans doute mille fois alimentée par les récits et les légendes terribles qui couraient sur eux, et que les mères avides de terrifier leurs progénitures ne manquent pas de conter le soir au coin du lit pour assurer à leurs enfants de parfaites nuits de cauchemars. Bien sûr, certaines de ses histoires lui étaient tombées au creux de l’oreille, et, même si la prêtresse était connue pour son scepticisme impériale, la rumeur de leur cruauté avait eu fi de sa tolérance pour lui laisser d’amers a prioris en tête. Une question s’imposa d’elle-même : Fenris était-il comme les terribles monstres que l’on décrit parfois, ou tenait-il de l’exception qui confirme la règle ?
Un regard vers son étrange œil unique et leur longue discussion eut vite fait de lui donner une réponse. Elle ne pouvait imaginer que ce grand marin, au cœur si généreux, ait pu commettre le moindre mal… Du moins, pas sous cette forme de grand gaillard souriant et spontané, dont les quintes de toux rappelaient la fatale humanité face à la rigueur du climat. Dans une fente angélique, elle pencha légèrement sa tête, chercha inconsciemment à élargir son point de vue : même avec des chaînes usées aux chevilles, il n’était nul criminel, ou alors ils auraient lui aussi prit un malin plaisir à l’examiner sous toutes les coutures avant de la saigner vive, comme l’aurait voulu le reste de la flotte. Lui s’était élevé de la masse, de cette nuée de carnassier, dans un geste d’une grande bonté, acceptant et sauvant l’inconnu sous un de ses formes les plus grotesques et étrange. Cependant, cela éveilla en elle une nouvelle question, bien plus sombre que la première. Il semblait régner en lui une de ces dualité singulière et mystérieuse qui n’habite qu’une poigné d’individu, qui semblaient à jamais osciller entre un visage de lumière et un autre d’ombre, bercé d’un mystérieux et lunatique oxymore qui pouvait les rendre aussi plaisant qu’inaccessible. Le marin lui était apparu droit, souriant et franc, mais elle avait décelé dans son oeil de si infimes fragments de doutes et de peines… Mais qui réunis trahissait d’un malaise, discret, certes, mais présent, et d’une mélancolie douce et honteuse, l’échos d’un passé qu’on voulait peut-être enfoui. Pendant un instant, elle se perdit loin, très loin dans cet œil qui parlait de miracle, essayant peut-être de déterrer des miettes de réponses, de passé, de n’importe quoi qui pourrait expliquer ce poids lancinant qui pesait sur son être. Une autre forme, disait-il. Inutile de le cacher, Othello était curieuse. Personne n’ignorait que les llurghoyf avait cet étrange don d’être lié à un autre corps, un peu comme les yorkas, et pouvait transiter de l’un a l’autre à leurs guises. Mais, contrairement aux hybrides bestiaux, leurs transformations ne relevaient en rien aux leurs. Des monstres… Des démons. La sirène ne connaissait pas le terme exacte – ni même sil y en avait un, en réalité. Seulement qu’ils n’avaient aucun point commun avec des créatures existantes. Un jour seulement, elle avait eut l’occasion d’en observer un, à la forme et aux capacités plutôt exceptionnels. Celui-ci avait la forme d’un tigre, proche de l’allure de Drasha, son familier, mais plus petit en taille, et aux rayures luisant d’une aura azurée. Il pouvait se mouvoir dans l’espace et le temps à sa guise, comme si les dimensions n’avaient plus aucun sens pour lui. A son cou pendait une impressionnante horloge…
Ce détail la ramena brusquement au salon de thé et à leur conversation, qui coulait petit à petit vers des sujets plus tranquilles et plus sages. Cette horloge, il ne l’avait plus sous sa forme humaine. Seul le tigre la portait. Alors, pourquoi le grand loup de mer devait-il traîner son fardeau avec lui ? Finalement, elle balaya tout d’un battement de cil. Tout viendrait en son temps, après tout. Et à vrai dire, cette discussion simple et amicale lui convenait parfaitement, inutile de vouloir ouvrir une nouvelle boîte de Pandore pour déterrer des souvenirs désagréables profondément enfouis.
Quand il poursuivit, son cœur se resserra un peu, et il lui sembla qu’il battit alors à l’unisson avec la lente marche des flocons qui murmuraient aux fenêtres. Ses petites mains frêles se resserrèrent alors dans ses mains. Ne sachant vraiment pourquoi, elle se sentait déjà coupable. Non pas pour son crime, ni pour sa peine. Mais car elle songea quelques instants accepter son aide. Mais ce ne serait pas juste. Embarquer une autre âme dans cette histoire relèverait de l’égoïsme pur, et de l’inconscience. Après des années de prêtrise, elle était bien placée pour savoir qu’il était parfois dangereux de s’immiscer dans les affaires de forces supérieures, ou même dans celles des marionnettistes qui prétendaient pouvoir tirer pour eux les ficelles du destin. Ils avaient des pouvoirs et des alliés insoupçonnés qui pouvaient réduire à néant la vie d’un marin aventurier et d’une petite prêtresse d’un claquement de doigt, même si le premier, du haut de sa carrure athlétique. Sans plus parler, elle sourit gentiment, timidement, le regardant impétueux, l’œil brillant, en regardant leurs mains unis. Ses doigts se serrèrent un peu plus quand il finit, et elle baissa à son tour ses yeux dans une petite moue timide et gênée, flattée dans un sens, et impressionnée dans l’autre. Elle ne pensa à rien en cet instant, ni à accepter son aide, ni à le répudier. Seulement qu’il était vraiment aimable de la part du grand loup de mer de songer à la protéger à ce point.
Quelques instants plus tard, elle releva les yeux, se contentant de sourire d’une arabesque mystérieuse, pleine de reconnaissance et de respect, qui ne laissait entrevoir aucune réponse. Mais ce fut surprenant, alors, de voir son visage évoluer doucement vers quelque chose de sérieux, de songeur, d’éloigner alors qu’il disparut un court instant dans ses pensées. Son œil s’évada, enveloppé d’une lumière presque tendre sous la clarté tamisée diffusée par les carreaux fumés. Alors que ses mains se laissaient délicatement faire, elle s’amusa de le voir penser ainsi, sûrement à sa famille qu’elle avait évoquée plus tôt. Intéressant. Un llurghoyf gradé de la garde du temple et de la prêtresse, donc ? Il n’y en avait qu’une poignée qui avaient obtenus suffisamment de faveurs de la part des hautes pieuses pour gravir suffisamment les échelons de la hiérarchie. Pourtant, ils étaient rares à avoir l’air aussi sensible au froid. Même si elle servait l’église depuis quelques années, la demoiselle blanche n’était pas très au fait du nom de leurs protecteurs – si elles en avaient réellement besoin. Enfin, il était vrai qu’un grand nombre d’entre elles, les ignorantes tout du moins, n’arriveraient surement pas à se défendre seul. Mais il fallait aussi admettre qu’un attentat contre la caste faisait partie des évènements rares, peut-être un par décennie. Lassant était donc que de servir de garde pour les dames de Kesha. Othello baissa les yeux : elle trouvait parfois cela triste de le voir déambuler dans le temple pendant les messes et les offices, sans grands buts, dans l’attente veine d’un évènement particulier qui viendraient éclairer les parois blanches du bâtiment. Sauf si ils s’enrôlaient dans les bonnes affaires, les affaires sombres du réseau de la grande prêtresse, et ses manigances criminelles. Là, seulement, ils pouvaient espérer un peu plus d’action. Cela lui avait déjà traversé l’esprit. Les gardes, à un certain point, devaient bien connaître quelques secrets qui traversent les murs. Au moins quelques-uns pour qu’Elerinna puisse garantir sa sécurité, et celle de ses complots. Tout comme d’espionne, elle devait être entourée de soldat pour accomplir pour elle quelques tâches un peu grossières, et quelques besognes sordides, ou même assurer la pérennité de son règne. « Etait-il au courant ? » eut-elle envie de demander. Mais ce n’était pas poli de le demander, même d’y penser. Et ce n’était ni le lieu ni l’instant pour se remplir l’esprit d’amertume en repensant à sa fatalité, à l’état corrompu et pourri de leur ordre. Au visage hypocrite qu’elles présentaient jour après jour aux pauvres et aux nécessiteux qui avaient cruellement besoin de l’aide de saintes… Et qui se retrouvaient face à une armée de vipères.
« - C’est peut-être le cas, mais il faut avouer que je ne suis pas très familière des gardes qui nous protège, je ne connais les noms que de certains d’entre eux… Mais cela ne doit pas être facile pour lui, alors, de travailler ici. Il faut dire que notre pays n’est pas le plus… Agréable à vivre. » Dit-elle avec un lapsus compatissant. Leur climat n’était pour le moins pas des plus agréables, et seul un Cimmérien ou un amoureux du froid et de la neige pouvait en apprécier la dureté. « Une raison particulière l’a-t-il convaincu de rejoindre les rangs de la garde ? Je dois admettre que je trouve son choix un peu maladroit s’il est aussi sensible au temps. »
Même si la question sonnait particulièrement intéressé, elle ne l’était nullement, et elle avait été prononcée avec une innocence si spontanée qu’il était dur de croire à autre chose que de la pure candeur. Son visage renvoyait toujours ce même masque immobile, sans émotions, aux grands yeux sombres et vibrants. Mais, sous les ombres de la neige lourde, il semblait moins distant, moins froid… Plus humain, somme toute. Ses lèvres révélaient une douceur sucrée et enfantine, alors qu’on sentait, quelque part derrière son iris, un reflet amusé et heureux, loin de la sirène de givre que l’on croisait d’habitude. D’une main, elle bu une nouvelle gorgée de thé – il n’en restait à présent plus qu’un fond. Dans une bribe de pensée, elle se promit de se souvenir du nom de l’établissement. Pourquoi pas y revenir un jour, c’était un endroit des plus charmants. Du coin de l’œil, elle aperçut la patronne avec son regard pétillant et chaleureux qui les couvait de derrière son comptoir, comme une mère surveille ses enfants. Elle lui adressa un timide sourire, ce qui sembla la satisfaire, car elle immédiatement fit volte-face, un sourire d’approbation aux lèvres, pour retourner à la rangée de tasses humides qui attendaient d’être séchées.
« - Oui, je suis née ici, dans un port de pêcheur un peu plus au nord de la cité. » Continua alors l’hybride. « Mais je ne sers les prêtresses que depuis quatre ou cinq ans. Elles sont ma famille, à présent. Pas la plus aimante, certes, ni la plus sainte. Mais cela me convient suffisamment. » Ce serait probablement tout, elle n’était pas la plus bavarde ni la plus prolifique quand il s’agissait de sa propre et maigre existence. « Et vous, d’où venez-vous ? Pas d’ici je présume. Vous semblez aussi avoir du mal avec le climat Cimmérien. » Conclut-elle en souriant.
A voire le teint de sable et l’allure élancé du grand voyageur, inutile de supposer qu’il pouvait venir de la terre de froid. Ici, les hommes étaient trapus et dur. Le froid leur avait taillé de larges épaules et un dos musclé et voûté, rendu encore plus fort par l’épaisseur des capes et des fourrures. Leur mentons carrés trahissaient leur dignité et leurs franchises,. Quant au reste, des jambes plutôt courtes les indisposaient à la course, mais leurs bras forts et leur stature imposante en faisaient de redoutables trappeurs, à l’endurance et à la force sans pareille. Fenris était long et svelte, aux traits fins d’un homme du sud. Sa peau n’avait rien de la pâleur des hommes d’ici. Sans trop s’avancer, elle le situait dans les forêts luxuriantes de Noathis, ou vers les sables chauds d’El Bahari. En réalité, elle l’imaginait très bien partout où l’on trouvait l’accès à un cheval ou à un bateau, en grand voyageur qu’il semblait être. En le regardant simplement, elle pensa de nouveau à sa proposition… Attirante, pour le moins… Son regard s’assombrit alors, comme un ciel d’orage, et pendant quelques secondes elle retira ses mains. La culpabilité la rongeait de nouveau, avant même d’avoir dit quoique ce soit. Sa fierté d’espionne, sans doute, et sa culpabilité d’enfant d’avoir fait ce foutu pacte… Elle se savait enchaînée à ce destin sombre, à une fatalité ridicule auquel elle ne pourrait échapper, que par… Miracle. Etait-ce seulement possible de défaire ce lien maudit ? Dans un geste lunaire, elle se retourna vers la fenêtre, droite dans sa chaise comme un lys insaisissable, tendant vers la neige sa main marquée comme pour attraper vainement un fragment de lumière. Parfois, on joue… Et ce n’est que lorsque l’on croit avoir gagné qu’un vent glacé vous jette au sol, et vous montre que vous avez tout perdu. Elle avait commis l’horreur de n’avoir rien parié de matériel. Seulement sa chaire et son sang… Si seulement elle avait vu moins grand. Dans un geste penaud, elle secoua son visage pour remettre ses idées au clairs, et passa nerveusement ses doigts entre une poignée de ses mèches d’argent. Fenris n’y étais pour rien, pourquoi l’impliquer, et lui faire courir quelques dangers pour son seul égoïsme ? Ce ne serait pas responsable de sa part… Mais elle avait pourtant envie de le croire, d’accepter son aide. Il lui paraissait si grand et protecteur, comme sur les flots, des années plus tôt, comme si, quelque part, il ne pourrait pas être touché par le mal. Et s’il pourrait vraiment l’aider à conjurer le sort… Un ange gardien, comme il l’avait dit.
Maladroitement, elle glissa de nouveau ses mains sur la table, en les reposant sur celles du grand blond, n’osant retrouver son œil opalin. Son cœur battait de plus en plus lentement, à mesure qu’un poids lourd se déposait sur sa poitrine. Elle oscillait toujours entre accepter et refuser… Mais mieux valait parler. Cela l’aiderait peut-être.
« - Cette malédic… » Elle regarda autour d’eux, intriguée, avec un sérieux proche de celui qu’elle avait lorsqu’ils s’étaient retrouver sur le pont. « Ce que vous voulez savoir… Je ne peux pas en parler ici, pas aux oreilles de certains possibles visiteurs de notre temple. Retrouvez-moi ce soir si vous le souhaiter, à mon herboristerie. Je vous raconterai tout. Et... je pourrais même vous donner quelque chose pour votre toux. » Elle baissa alors ses oreilles, n’osant ni enlacer ses doigts de nouveau, ni retirer ses mains pour autant. « Merci beaucoup, Fenris. » On sentait dans son ton qu’elle-même ne savait pas très bien pourquoi le remercier, pour sa générosité, sa bonté passée ou pour l’attention qu’il lui donnait sans qu’elle n’ait à demander son aide. Elle n’avait pas mentionné si elle accepté ou non. Seulement, elle lui faisait confiance : il pouvait bien être au courant de cette histoire…
Doucement, elle vida sa tasse, en appréciant lentement les dernières gouttes, les laissant très lentement couler dans sa gorge, allant même jusqu'à les chercher avec le bout de sa langue qui racla la porcelaine avec avidité. Non que le goût lui manquait déjà, mais plutôt qu'elle tentait vainement de distraire ses pensées qui s'étaient tout à coup déchaînées à la façon d'un orage, comme si elle venait de se trahir elle-même, ou de trahir son serment. Enfin, ce n'était pas aussi compliqué que cela, mais pour l'ondine, elle venait presque de déplacer une montagne. Lentement, elle reprit, enroulant finalement ses doigts autour, entre ceux du grand lupin, comme elle le pouvait, cherchant inconsciemment ce contact qui était devenu rassurant.
"- Si vous cherchez mon locale, il se trouve rue de la grive, dans la petite ville... Vous le trouverez près du quartier résidentiel. Prenez l'allée d'Aloyse, après la Grande Place, c'est une des ruelles qui la jalonnent. Une chandelle y sera allumée, visible depuis dehors - vous ne pourrez vous tromper, c'est la seule herboristerie du passage." Elle ponctuait son discours de discret coup d'oeil, qu'elle tenta de faire discrets - en réalité, elle essayait de se convaincre qu'elle faisait le bon choix, et qu'il viendrait à ce rendez-vous. Qu'elle ne se berçait pas d'illusions. " Vous y serez le bienvenu." Conclut-elle. Ses yeux s'étaient à nouveau égarés quelques part dans la mer houleuse de son oeil azuré.