_ Il parait que des personnes hauts-placées seraient gravement malades. _ Il parait que ça se bécotte "au bal de la Rose". _ Il parait que des créanciers en sont après un des conseillers de Ridolbar.
Sujet: [TERMINE] Le géant endormi Lun 15 Mai - 10:30
Encore dans son lit, la naïade s’étira longuement, réveillée par une lueur rouge qui passait derrière le rideau usé. La patte félin et mouchetée de la léopard ne tarda pas à effleurer sa joue avec une douceur surprenante, poussant la jeune femme assoupie à se retourner vers le félin. Ses yeux bleus trahirent une faim violente, si violente que la jeune femme n’eut d’autres choix que de se redresser, écartant ses mèches d’argent chaotiquement réparties, et retrouvant son équilibre sur le plancher grinçant. C’était l’aurore : la lumière rouge du premier soleil passait à travers les vitres avec une violente vigueur, et éclairait toute la maison en sommeil avec des couleurs safranées. Jehyel avait l’air en sang, tant le blanc de son pelage aspirait les rayons du matin. Elle gambada joyeusement jusqu’à la cuisine, alors que la sirène ralentie peinait à sortir de sa chambre. Baillant une dernière fois, elle attrapa une robe de chambre épaisse, et ouvrit la porte. Le froid de Niveria s’était infiltré dans la maison : les fenêtres trahissaient une ruelle enneigée. Le changement de température la tira un peu de sa torpeur, bien qu’elle fût depuis longtemps accoutumée aux réveils dans le froid. Arrivant sur le palier, elle découvrit le corps lourd de Drasha, étalé, qui grommela lourdement à sa vue. Othello le gratifia d’une caresse entre les oreilles. Le tigre ouvrit alors un œil blasé, souleva sa masse, s’étira, et descendit les escaliers. La prêtresse sourit.
Une fois dans la cuisine, elle entreprit de nourrir les félins, sortant deux grosses pièces de viande d’une salière posée là, et constata une nouvelle fois l’ampleur des travaux qui l’attendait encore. La cuisine semblait si vaste, et si vide, avec les meubles rangés là sans grandes convictions. Avec de l’eau sur le feu, elle passa sa main sur le mur, sentant la peinture ancienne s’écailler sous ses doigts. Le croustillant des éclats colorés qui s’effritaient à chaque souffle de vent, ce souffle gorgé de senteur de ses réserves de plantes et du jardin. Elle avait commencé à entasser de quoi se remettre à l’herboristerie : un alambic, des pots remplis de plantes, d’algues, de fleurs à n’en plus voir le plafond, des petits pots de cactus, de vivaces qui prenaient la lumière à la fenêtre. Mais tout traîné dans un stagne chaotique : celui de la rénovation. Et dans tout cela, Othello jubilait. Cette aventure qui avançait pas à pas, prenait forme comme un golem d’argile, lui donnait l’impression heureuse de donner la vie, pierre par pierre. Remettant la manche volage sur son épaule, elle se fit couler un thé, et repartit dans le hall. C’était là le temple de leur œuvre.
Ses pas sonnèrent comme le tonnerre dans cette cathédrale de silence. Des pots de peintures traînaient, ainsi que quelques pots sales d’argiles, des pinceaux et des outils. La danseuse de l’aube se laissa ambuler, virevoltant dans ses mèches rougies par les flammes du soleil, osant s’essayer à un état des lieux de ce qu’il restait à accomplir. Les premiers jours, elle avait retiré toute la poussière, les toiles d’araignées, soulevant sous ces amas de souvenirs de nouveaux problèmes. Un peu ailleurs, elle se retrouva guidée vers la porte d’entrée, la lourde porte en bois, s’attendant presque à ce qu’elle s’ouvre sur une crinière des cheveux blonds. Un instant, elle se demanda s’il allait passer aujourd’hui, sentant un petit pincement nouer sa gorge. Avec ses nouvelles charges, elle ne savait jamais quand elle aurait l’occasion de le recroiser. Rapidement, elle détourna ses pensées vers la tasse fumante et en avala quelques chaleureuses gorgées. Le sol était fait. Mais les murs étaient pour beaucoup fissurés, et nus de peinture. Dans les chambres, elle avait jeté des tapis épais sur les planchers abîmés, et savait qu’il lui fallait sauter la cinquième marche de l’escalier : elle était vermoulue. Les combles étaient trouées, un sourire édentées de ses tuiles, et le jardin était encore à l’état de jungle épaisse. Mais les murs étaient solides et robustes, les fenêtres en excellente état, et le bois taillé toujours aussi beau. Il ne suffisait que d’un peu d’huile de coude, et la bâtisse serait comme neuve.
Les yeux de la naïade se perdaient dans les méandres d’une fenêtre quand Drasha vint frapper sa tête à son poignée. En réponse, elle enroula sa main sur la tête velu, prit une profonde inspiration, et s’imprégna d’un calme détaché. Il fallait se remettre au travail. Avalant quelques morceaux de pain, Othello repartit d’un pied plus dynamique. La maison sembla brusquement s’animer : le rouge de l’aurore brûlant se vit rapidement rejoint par de nouvelles lumières, plus vibrantes encore, et les vitres resplendirent dans l’or du matin. Alors que la sirène alla rapidement par la salle d’eau en parcourant les couloirs, elle passa devant toutes les choses qu’elle avait fait rapatrier de la Cimmeria, assistée par quelques consoeurs, et qu’elle avait laissé là en attendant de pouvoir les ranger. Ce n’était pas beaucoup de chose : quelques malles contenant des vêtements, des pots et ustensiles, des babioles diverses. Petit à petit, les nouvelles de sa venue en ville avait amené quelques généreux pèlerins à lui offrir quelques meubles : dépareillés, plus ou moins neufs, ils étaient disposés joyeusement çà et là dans un ordre un peu chaotique, mais trouvaient dans cette disposition un charme étrange et atypique. Sur les commodes et les murs, des lanternes et des bougies à moitié consommés. Elle avait placé devant quelques fenêtres des grands voiles translucides qui tremblaient avec les courants d’air. Sur les bancs, les fauteuils se trouvaient des coussins moelleux. Dans la bibliothèque où le bois attendait, les livres s’empilaient dans les coins des murs, quand ils ne vomissaient pas des malles qui les abritaient. Tous ces gardiens silencieux veillaient sur la demeure, alors que les félins couraient sur le parquet vieillis, et qu’Othello rentrait dans sa baignoire rempli d’une eau à peine chauffée. Dehors, le jour se levait.
Quelques heures plus tard, elle se tenait debout sur un tabouret, une robe usée et tâchée de couleurs sur le dos. Ses cheveux étaient réunis en une épaisse queue de cheval qui tombait derrière elle dans une longue cascade qu’elle espérait à l’abri de la peinture. Un pinceau s’agitait au bout de ses doigts sur le mur de la chambre d’ami. Ses projets pour la journée étaient nuls : elle n’avait pas à aller prêcher, ni à se rendre au palais pour une quelconque mondanité. Et l’hôpital se passerait d’elle aujourd’hui : elle serait entièrement dédiée aux travaux. Une fois qu’elle aurait fini ce mur, elle travaillerait au jardin. Malgré la neige, la terre avait besoin d’être retournée si elle espérait en obtenir quoique ce soit. Si elle avait le temps, elle bêcherait.
Concentrée, elle essuya sa joue avec le rebord de sa main, laissant sur son passage une traînée ocre. Les félins devaient jouer dans la neige, elle avait laissé la porte du jardin ouverte alors que dans le salon, l’âtre de la cheminait ronronnait d’un bois crépitant. De temps à autres, elle regardait la fenêtre par-dessus son épaule, la ruelle, comme si elle allait surprendre une ombre s’hasardant dans le passage. Mais alors, elle se remettait au travail, recouvrant le mur fraîchement refait par une énième couche de peinture. De temps à autres, les combles craquaient, faisant résonné des grincements boisés dans toute la maison : petit à petit, le géant endormie recommençait à respirer.
Sujet: Re: [TERMINE] Le géant endormi Jeu 13 Juil - 14:09
La friction du pinceau sur le mur de plâtre provoqua un bruit sourd et étouffé, comme le plissement du tissu ou le bruissement des ailes des oiseaux. Hypnotisée par les mouvements répétés et mécaniques, la sirène avait plongé dans l’ocre du mur comme dans une piscine d’or, et dépeignait sans conviction le grain de la pierre sous les fibres colorées et du bout des yeux. Elle était captivée : emportée dans la tâche, elle avait laissé ses pensées vagabondes, traînant çà et là entre des émanations informes et des murmures profonds. L’essentiel était de ne pas trop plonger : elle se connaissait bien, elle pouvait s’y perdre, disparaître au plus profond de l’abysse de son esprit, et se retrouver de longues minutes plus tard à avoir peint frénétiquement le même centimètre de mur. A la place, elle rêvassait en silence, emplie du calme presque sacré qui régnait souverain dans toute la maison qui prenait alors des airs de cathédrales. Seuls les craquements distants et intestins des poutres venaient le troubler, et les rugissements furieux ou joueurs des deux créatures qui s’amusaient dans la poudreuse.
Si elle s’était enfouie plus profondément dans ses rêveries, elle n’aurait peut-être pas perçue les ébauches de la voix qui l’appela depuis la rue, une voix dont elle commençait à connaître tous les contours, le timbre chaud et grave, les hauteurs familières. Comme son geste, son souffle, son être s’immobilisa soudain, laissant sa pensée revenir à la surface éveillée pour prendre pleinement conscience de cet appel, et de ce qu’il signifiait : que le marin de sable était sous ses fenêtres. Dans un réflexe étrange, ses yeux s’ouvrirent largement, et elle ne put réprimer un sourire secret qui fleurit sur ses lèvres. Néanmoins, et considérant la nature de son œuvre, elle prit le temps de poser calmement pinceau et peinture sur le côté, et de se frotter les mains pour les sécher un peu, quitte à ce qu’elles semblent recouvertes d’or. Pourtant, alors qu’elle allait se présenter à la fenêtre, une force invisible lui imposa de s’arrêter bêtement, à mi-chemin, suspendue au milieu de la chambre d’amie comme dans une bulle. Peut-être était-ce simplement l’appréhension, le doute qui la paralysait ainsi, ou du moins le croyait-elle. Dans son ventre, un creuset s’était formé, fruit de sentiments partagés qui ne cessaient d’émaner du plus profond de son être, qui commençait à peser un peu trop à son goût, surtout qu’elle ne comprenait pas ce trac idiot qui semblait la pétrifier. Etait-ce son intuition du matin qui revenait au galop ? Ou simplement son imagination qui lui jouait des tours ? Un coup sur la porte lui fit comprendre qu’il y avait bien quelque qu’un, mais elle doutait encore. Ces derniers mois avaient la vertu de ressembler à un tableau mal assemblé, entre des réunions interminables avec des dignitaires gonflés d’égos, et des heures de soin qui s’empilaient comme les pierres des maisons détruites par le colosse. Au milieu de tout cela, elle avait pris la fâcheuse tendance à prendre ses désirs pour des réalités, espérant pouvoir trouver en des coïncidences des oasis rédemptrices qui souvent ne s’avéraient être que de nouvelles déceptions.
Finalement, et faisant fi de ces ronces dont elle ne comprenait pas la raison d’être, elle s’avança timidement, emplie de joie, et de la peur de s’être trompé de personne. Doucement, elle passa le visage dans l’encadrement, rapidement suivit par quelques mèches libertines que le courant d’air avait happées et qui profitaient pleinement de l’extérieur pour voleter au rythme des éons. Elle reconnut immédiatement la longue silhouette immobile devant sa porte, à moitié abrité par le portique et retourna aussitôt à l’intérieur pour se diriger vers l’escalier qu’elle descendit avec attention. Bientôt, elle ouvrait la porte sur le visage familier de Fenris, dont les contours blonds et fins se découpaient doucement sur le plafond de briques et les rues enneigées. Pendant un instant, elle resta immobile, se contentant de le regarder doucement sans prononcer mot, prise dans un mélange de surprise et de paix sensible. Il avait l’air en bonne santé, mis à part une certaine fatigue qui se lisait dans son œil unique, dont elle reconnaissait l’étrange lueur pourpre qui semblait le suivre où qu’il aille, gravé entre ses iris, un phare sur sa prunelle. Comme toujours, elle leva sa tête vers lui, ressentant de nouveau la tension dans sa nuque alors qu’elle levait ses yeux vers son visage. Il lui sembla distinguer des cernes sur le haut de ses pommettes, de longs creusets sombres trahissant un rythme de vie soutenu. Elle se demanda alors ce qu’il devenait depuis que la couronne avait mis la main sur sa vie, depuis qu’il devait servir sans cesse et sans broncher les puissants. Ils n’avaient pas dû se voir depuis qu’ils avaient visités la maison.
Un sourire amusé se dessina de nouveau sur ses lèvres, et c’est alors qu’elle sentit une tension anormale sur sa joue, où elle leva instinctivement les doigts pour sentir les écailles d’une trace de peinture. Non seulement elle était peintes, portait une robe bariolée, mais cela faisait plusieurs secondes qu’elle le dévisageait sans rien dire.
« Bonjour Fenris... » Murmura-t-elle soudain, suspendue entre deux intentions, peu certaine des mots et de l’ordre qu’ils trouvaient sur le bout de sa langue. Elle leva une main incertaine, avant de la reposer enfermée sur son ventre.
C’est alors qu’elle réalisa qu’il était là, devant elle, et qu’elle ignorait tout à fait les raisons de sa présence ici. Comme sur le marché de Cimméria, Othello avait l’étrange sensation de le revoir à travers un prisme, un filtre qui effaçait les frontières du temps autour d’eux, leur offrant le répit face aux secondes, aux minutes. Aux yeux des passants, à ceux de la ville. Son formalisme lui revint à l’esprit, et elle supposa alors qu’il venait peut-être de la part de la couronne, ce qui était aussi surprenant qu’étrangement décevant, bien que la balance de ses émotions n’en fassent qu’une boule épaisse de sentiment informe où elle ne pouvait distinguer rien de très sensible. Mais la pensée s’évacua d’elle-même dans un souffle : Timothée lui envoyait des missionnaires, des chambellans, tous plus habillés les uns que les autres, alors c’était à proscrire – et heureusement rassurant. Entre hésitation et bienveillance, elle oscilla doucement entre divers états, peinant à trouver les mots, comme souvent, recherchant ses marques qui revenaient par vagues subtiles et naturelles, des réflexes ancrées sous sa peau.
« Je suis heureuse de vous revoir. » Elle regarda derrière elle, un peu perdue, puis s’aperçut de la température ambiante, de la neige. « Entrez, il ne fait pas vraiment plus chaud à l’intérieur, mais au moins il y aura un toit sur notre tête. » Joignant le geste à la parole, elle ouvrit un peu plus la porte pour le laisser entrer.
Une fois qu’ils furent tous les deux rentrés, elle referma derrière eux, et la lourdeur de la porte raisonna glorieusement dans toute la maison. Par bribes, les impressions et les souvenirs lui revenaient, le sentiment d’être si petite derrière ce dos immense, le silence rassurant et respectueux, le dessin large de ces épaules usés à la mer, au travail. Une abnégation dont elle ne devait même pas connaître une once. Comme dans les fonds marins, la sirène ondula dans ce hall gigantesque, pleines de couleurs, glissant sur le sol avec un silence étrange et cotonneux. La maison n’avait pas du beaucoup changer depuis sa dernière visite, à part les meubles, l’odeur de peinture et la poussière qui avait disparu... Othello fit un rapide décompte mental, bien que ce ne fut nécessaire que pour elle.
« Elle n’a pas beaucoup changé depuis votre dernière visite. » Ses yeux dessinaient les courbes de l’escalier, du plafond, avec une bienveillance maternelle pour le géant ankylosé. Puis elle retourna vers le marin pour se tenir à ses côtés, enveloppés de silence. Elle souhaitait savoir comment il allait, où ses pas l’avaient mené, ce qu’il devenait pour la couronne, s’il avait sacrifié son temps libre pour venir la voir. Mes ses mots se perdaient, sa maladresse contaminait ses paroles comme les racines d’un arbre qui aspire à lui la terre et son énergie. Penaude, défaite par sa fragilité, elle finit par conclure, les yeux redescendus vers ses doigts liés, accablé par ses propres limites : « Comment allez-vous ? »
Sujet: Re: [TERMINE] Le géant endormi Dim 30 Juil - 21:46
Un éclat de neige tomba de son épaule quand il passa la porte, poussé par le vent et la brise alliés, et Othello le suivit du bout des yeux dans sa longue et inexorable chute. C’était peut-être son imagination, mais il lui sembla qu’un rayon de lumière le traversa d’un coup, l’illuminant tel un prisme brillant, avant qu’il ne tombe aussi doucement qu’une plume sur le sol tiède. Il ne fallut qu’une petite seconde pour qu’il ne soit plus qu’une flaque liquide. Il était peut-être plus chanceux que tous ceux que Fenris avait éparpillés par terre, sur le perron, et qui avaient connus une fin plus tristes, dans le froid et le givre.
« Ne vous en faites pas Fenris. » Murmura-t-elle simplement, soucieuse de le voir s’inquiéter pour une simple visite. Elle qui ne recevait dans sa maison que les courants d’air et les émissaires de son église ou de la couronne, et qui étaient loin d’être la meilleure compagnie, la venue du marin ressemblait à une agréable parenthèse, une bouffée d’air frais... Qu’il s’accable était la dernière des choses qu’elle souhaitait percevoir dans son œil unique et brillant. « Vous pouvez venir quand vous le souhaitez. Et votre aide est la bienvenue aussi. » La surprise et l’étonnement firent bientôt place à une forme de familiarité partagée, de bienveillance mutuelle qui finit par détendre la sirène, qui tenta discrètement d’effacer la peinture sur son visage claire. Le marin dégageait une aura douce, ses larges épaules se découpant adroitement dans le hall si vaste, alors qu’Othello s’y sentait si petite, encore plus à côté de lui. Il avait des airs de capitaine sous la lumière froide du point du jour, lui qui n’aspirait qu’à être libre. Vagabondant dans ses pensées, elle revint sur terre quand il lui répondit, sa voix grave l’attirant vers la surface comme la lumière d’un phare distant. Ainsi, il allait bien. C’était rassurant de le savoir en bonne santé, actif et menant son navire malgré les eaux troubles et les liens de la couronne qui l’entravaient de toutes parts.
L’ombre d’un instant, elle vit son œil s’assombrir de nuage, et au même moment, sa gorge se serra : l’ombre de la mort passa au-dessus d’eux avant de retourner aux tombes. Un frisson courut délicatement le long de son dos pâle, Othello frémit. Il n’y avait eu aucune exécution suite à l’attaque du colosse, et elle bénit une fois de plus la présence d’esprit de Timothée d’avoir su distinguer qui étaient les victimes, et qui était le monstre. En d’autres temps, d’anciens seigneurs n’auraient pas hésité à répandre autant de sang qu’il n’en avait coulé dans les rues. Fenris poursuivit son récit, et elle l’écoutait, attentive, relevant vers lui ses deux yeux bruns, encore entouré du coton de la surprise et d’une lueur curieuse. Du nord au sud, de l’est à l’ouest de l’état... Elle sourit, mais avec une semi-conviction, consciente des contraintes qu’on lui imposait. Lui qui était éprit de liberté, du désir dévorant et intime de tout voir, qui était tel le vent, en perpétuel mouvement, elle se demanda si ce n’était pas plus lourdes chaînes à porter que celles qu’il avait aux poignets. Heureusement, ses tuteurs semblaient devenir plus flexibles, c’était aussi ce qu’il se dégageait des paroles à la cour. Mais elle se demandait de plus en plus combien de temps ces mesures allaient durer, puisqu’avec toute la distance qu’elle pouvait prendre, elle ne voyait pas le bout des travaux que l’on alignait devant lui. Mais c’était un bon début, une lumière qui traversait le ciel sombre. Elle ne pouvait que s’en réjouir avec lui.
« Je suis navrée pour votre pèlerinage. » Ponctua-t-elle. Elle songea qu’il pourrait peut-être faire une demande de permission, mais n’osa le dire, de peur que cela n’aboutisse jamais. De toute façon, les décideurs de ces affaires n’allaient pas souvent dans le sens de la victime... Ou du prisonnier ? Perdue, elle ondula délicatement le visage sur le côté, se laissant guider par le poids de son esprit esclave de sa tête, avant de revenir auprès de Fenris, retrouvant son œil unique comme repère pour ses yeux.
Elle s’apprêta à lui répondre, et choisissait ses mots dans un recoin de sa langue, alors qu’il retirait son manteau, ce qui la mit devant le fait qu’elle n’avait pas pensé à le débarrasser. Finalement, elle ravala ses paroles et allait le lui proposer, quand il poursuivit... Cela la prit de cours, et elle eut l’amère sensation d’être une enfant prise la main dans le pot de bonbons. Elle baissa les yeux avec une candide culpabilité, essayant de prendre le dessus sur ce sentiment dont elle ne maîtrisait qu’une partie, mais elle finit par rendre les armes, consciente qu’elle ne pourrait ruser le Loup avec de simples mots.
« - Je... Disons que je pensais pouvoir venir à bout de tout cela sans avoir à vous déranger. » Elle releva doucement le regard, oscillant entre douceur et culpabilité. Elle savait le marin entre tant de missions, de responsabilités qu’elle n’avait voulu lui ajouter un nouveau poids sur ses épaules, malgré son envie de le revoir. Son secret désir était de pouvoir l’inviter dans une demeure finie où il n’aurait rien eu à faire à part s’assoir et se reposer. « Vous aviez beaucoup de travail, et cela me semblait... Déplacé de vous accabler avec mes problèmes de maison. » Elle tenta un sourire désolée, son esprit apaisé retrouvant son onde calme, soulagé par son aveu. Elle se doutait que le marin ne lui en voudrait pas, mais elle ne souhaitait pas qu’il croit en de mauvaises raisons, qu’il ne se sente pas invité. Au contraire, sa venue spontanée troublait la sirène plus qu’elle ne voulait l’admettre, comme si les vagues du destin le ramenait toujours à elle, malgré ses doutes et ses craintes. Pendant quelques secondes, elle le fixa sans rien dire, mais finit par délier sa langue, en regardant ses doigts liés. « Et pourtant, vous voilà devant moi... » Avec un naturel qui la dépassa, elle s’approcha et tendit vers lui ses bras pour récupérer son lourd manteau, prenant un infini soin à éviter tout contact avec une possible tâche de peinture fraîche. Le poids du tissu sembla peser sur ses bras fins, mais elle le porta avec bienveillance. Elle n’avait pas pensé à l’en débarrasser quand il avait posé le pied dans la maison, se laissant déborder par divers émotions en quinconce, et comptait bien parer à cet affront en accrochant l’habit à sa juste place.
« Merci d’être venu Fenris. » Elle hésita un temps à prononcer les prochains mots, même si ils se pressaient au bout de ses lèvres pour pouvoir enfin sortir. « Vous m’avez manqué aussi. »
Tenant fermement le manteau dans les bras, elle s’apprêta à poursuivre quand soudain, un bruit violent retentit dans tout le hall, raisonnant avec fracas sous l’immense plafond, comme un cri lointain, la plainte d’une créature absente, éphémère et invisible. Othello frémit imperceptiblement. Encore un de ces fichus courant d’air... « La fenêtre d’une chambre est cassée, et... Je ne sais pas changer le verre. » Elle haussa doucement les épaules, défaites, et entama de conduire le marin jusque dans le vestibule
« Ces dernières semaines furent un peu chargées, entre des messes à célébrer, le travail à l’hôpital, les rencontres avec des dignitaires... » C’était ces derniers qu’elle appréciait le moins. Une ou deux rencontres avaient été agréables et belles. Mais la plupart d’entre eux n’avaient été que des riches hommes ventripotents et lubriques qui cherchaient à se racheter une bonne conscience en se tournant vers la religion, avec plus d’hypocrisie que de foi. « Mais j’arrive à m’en sortir. » Elle se mordit une petite seconde la lèvre, ne sachant que dire de plus. Ses petites mains serrèrent le tissu, ses longs doigts fins cherchant les replis chauds pour se cacher doucement. Elle n’aimait pas parler d’elle, aussi quand elle devait le faire, c’était... Maladroit. Mais elle poursuivit vite, chassant de sa voix ses mots précédents. « C’est pour la maison que le rythme est... Plus lent. »
Il n’y avait qu’une poignée de pas à faire pour arriver jusque dans la petite pièce, l’espace adjacent à une chambre d’ami du rez-de-chaussée, où elle avait entreposé un placard grand et vaste, un porte-manteau et un banc, ainsi que tout une armée de cadres de porte, de fenêtre, de verres... Tout le matériel du parfait petit bricoleur. Elle avait bien essayé les premiers jours de réparer toute seule le gros œuvre, de refaire les marches, de toucher à la menuiserie – après tout, entre les plantes et le bois, il n’y avait qu’une fine frontière... Et pourtant, ses tentatives s’étaient avérées si stériles qu’elle se contentait de toucher à la seule chose qu’elle réussissait sans problème : la peinture.
Attrapant le manteau d’une main, elle passa l’autre sur une des patères en faisant tomber quelques nuages de poussières, avant de finalement y accrocher l’habit. Soucieuse... Avait-il pu lire aussi loin ? Othello se retourna finalement vers lui, le mouvement rabattant sur son côté une partie de sa queue-de-cheval qui tomba mollement, en grandes boucles blanches, devant son épaule couverte d’une large tâche ocre. Cela faisait quelques jours qu’on l’avait avertie du prochain conseil des dix, et elle hésitait encore à s’y rendre alors que la ville criait encore de douleur, et qu’une grande partie des blessés de l’hôpital ne trouvait toujours pas de soin. Absorbée par les pensées, ses yeux d’ébène balayèrent la pièce, dessinant le contour des meubles, des objets, jusqu’à s’arrêter jusqu’à une masse sombre et longue, au fond de la pièce, couverte par un tissu aussi noir que l’objet qu’il cachait.
« Je vous fais visiter de nouveau ? » Finit-elle par murmurer, une avide envie de quitter la pièce commençant à grignoter son ventre, à peser dans son cœur avec une force violente, à moins que ce ne fut un désir réprimé qui ouvrait de nouveau ses yeux. « Nous serons sûrement mieux ailleurs qu’ici... »
Sujet: Re: [TERMINE] Le géant endormi Mar 3 Oct - 11:45
Alors qu’elle levait les yeux au plafond, elle revoyait le regard intense du marin, réentendait ses mots prononcés quelques minutes plus tôt dans l’entrée. Absorbée dans un souvenir récent, Othello rêvassait doucement alors que Fenris faisait l’état des lieux des fournitures à sa disposition. Comme une roue, les paroles tournaient encore et encore : « ce que nous avons traversé ensembles... ». C’était vrai. Emportée par un tourbillon brumeux, elle replongea dans la mer froide et cimmérienne, se retrouva de nouveau piégée par les filets des marins et hissée sur le pont, recroisa son œil unique et brillant, pour le retrouver au Grand Bosco, à sa boutique, puis il se changea en regard de Loup destructeur dans les rues de la capitale. Finalement, elle ferma les yeux, ressentit la pression familière et habile de ses immenses mains sur les siennes, puis de ses lèvres fugaces et brûlantes dans la salle de l’Egide du Lion, pour se retrouver là, dans ce vestibule, signant l’acte de vente porteur de promesses et d’un avenir meilleur... Et en construction. Ils avaient parcouru tout ce chemin... Et pourtant, elle peinait à le réaliser, et prenait encore mille soins à ne pas le brusquer, le peiner par ses gestes ou ses paroles. Sûrement avait-il raison : ils s’étaient vu dans leur forme la plus bestiale, la plus intime. Qu’il y avait-il encore à craindre ?
Brusquement, elle revint à elle, entendit sa réponse avec une pointe d’amusement. Comme à son habitude, le loup prenait un malin plaisir à saupoudrer dans sa voix et ses paroles une malicieuse espièglerie. A son tour, la naïade se rassura, sourit doucement, et fit preuve de la même audace. « - Je devine être particulièrement chanceuse. » Fit-elle plutôt amusée, sonnant somme toute un brun mystérieuse. « Voyons voir à quoi nous pouvons vous occuper aujourd’hui. »
Ne restant pas plus dans cette spectrale atmosphère, elle invita le marin à la suivre, laissant derrière eux la lance de Kron, cachée derrière le sombre tissu dans un coin de la pièce. C’était plus fort que sa propre personne, l’arme lui inspirait autant de répulsion que d’attirance, une attraction magnétique et un vif dégoût comme un aimant. Ne pas la côtoyer trop était un luxe qu’elle se payait volontiers. Avec une habitude naissante, elle se laissa voguer dans l’air ambiant et familier, emmenant dans son sillage le Lupin comme les mouettes mènent les marins vers la terre. Avec les jours passants, elle commençait à prendre ses marques. Rapidement, elle lui présenta de nouveau le rez-de-chaussée, avec sa cuisine et sa salle à manger, grande comme un vaisseau, sa chambre d’ami, tous gravitant subtilement autour du hall immense et froid. Parfois, elle y allait d’un petit commentaire, indiquant avec une suave lassitude les petites malfaçons, les défauts, les petits problèmes amoncelés là comme des souris : longtemps maîtresses du domaine et impossible à tout à fait déloger. Mais quand elle pointait du doigt une réussite qu’elle avait réparée de ses doigts fins et graciles, elle se gonflait d’une humble estime, fière de pouvoir partager une de ses petites victoires. Sa plus grande bataille, elle la lui montra en dernier, l’invitant à entrer dans l’immense bibliothèque. Le lieu, une cathédrale, était un temple de silence et de poussière : dans les raies de lumières dansantes qui s’effilaient des longues fenêtres, on pouvait les voir tourbillonner.
A chaque fois, c’était la même splendeur subtilement distillée dans les gros grimoires posés sur les étagères de bois bruts qui attendaient leurs heures. Othello en resta quelques secondes muette de respect.
« - C’est ma pièce préférée... » Finit-elle par avouer en levant vers Fenris un regard crépitant, encore attendrit par la silencieuse pièce. « Ce sera une splendeur une fois finie. Mais beaucoup des meubles sont rongés par les termites. Les dalles sont fracturées par endroit, et les fenêtres et les murs sont décrépis... Même à deux, j’ai l’impression qu’on n’en verra jamais le bout. » Elle sourit un peu jaune. C’était comme construire sur du sable : elle y déposait des pièces qui s’enfonçaient encore et encore dans de mouvantes dunes. « Enfin... Mieux vaut quatre bras que deux pour un tel ouvrage. »L’enthousiasme et la ferveur du marin commençait à la contaminer, et elle voyait avec un bien meilleur regard le travail à venir, surtout avec les muscles bâtis à la mer et au sel du llurghoyf. A présent qu’il était là, elle savourait de nouveau la lueur avisée et sage qui scintillait dans l’œil du Loup de mer, ressentant plus nettement dans sa présence les heures de son absence.
Bientôt, elle le guida vers l’étage, s’apprêta à lui indiquer la marche défaillante quand une tête massive émergea de la porte en bois qui menait au dehors, un visage blanc et noir aux yeux d’acier perçants. Alors, Othello leva vers Fenris un œil curieux. C’était la première fois qu’ils se voyaient, avec Drasha – étrange, après tant de temps. Le tigre, lui, s’avança prudemment, toisa le visiteur d’un œil juge et fier. L’animal n’avait pas l’habitude des nouveaux visages, encore moins d’un homme chez la demoiselle qui s’apprêtait à monter à l’étage en sa compagnie.
« Räsh’k Nayeeh, Drasha. » Il sortit de sa gorge une voix inhumaine, profonde et bestiale. La langue yorka... La langue des bêtes. Le langage des félins, elle l’avait appris grâce à une consoeur, en Cimméria, d’essence jaguar. Elle était encore maladroite, mais cela permettait au moins de communiquer un peu avec le tigre. « C’est Drasha, mon familier. » Dit-elle en relevant le regard vers Fenris, un peu appréhensive de sa réaction face au félin. Il le laissa le regarder, l’approcher si il en avait envie. « Il n’est pas méchant. Un peu protecteur, mais je lui ai dit que vous étiez un ami. » Elle eut l’air pensive, et indiqua alors : « Vous croiserez peut-être un autre félin, Jehyel. Elle doit jouer dans le jardin. Ne vous en faites pas, elle n’est pas violente non plus. Seulement un peu joueuse... » La petite léopard avait déjà donné du fil à retordre aux autorités tant son caractère joueur et actif la poussait à vouloir sauter sur des inconnus. Heureusement que le tigre savait canaliser ses instincts enfantins par son tempérament tranquille. Mais seule, Othello devait admettre qu’elle avait du mal à pleinement maîtriser ses excès d’affection. Elle se demanda brusquement si le marin avait déjà eut un animal auparavant, il ne lui avait pas semblé l’avoir déjà croisé en compagnie d’une bête. Peut-être en avait il eut par le passé, mais elle ne se permit pas de lui poser la question, préférant à la place lui montrer la suite du chemin.
« Les meubles viennent des fidèles ou des voisins, ils furent plutôt généreux. » Dit-elle en indiquant les meubles posés çà et là, dépareillés et usés sans pour autant être complètement dénués de charme. Emmitouflée de peinture et de cheveux, la sirène eut bientôt fini de montrer tout l’ouvrage à son invité, finissant par les chambres. Elle laissa la sienne fermée, mais présenta les chambres d’amis, dont une, ocre, sentait fortement la peinture fraîche. Contre le mur, une fenêtre à moitié cassée tremblait doucement, laissant s’échapper de larges courants d’air.
« Et voilà, tout est vu. » Elle oublia volontairement de faire le tout du grenier qui était dans un pire état, mais elle se voyait mal lui demander d’escalader le toit pour remettre des tuiles en place, et lui faire risquer une chute qui lui briserait le cou sur les pavés froids. « Qu’en pensez-vous ? » Elle leva vers lui un regard curieux, attentive face à son avis éclairé. Au bout de plusieurs secondes, elle reprit avec reconnaissance. « Le travail s’accumule, et... Je ne voudrais pas vous mettre dans l’embarras avec votre employeur, mais il nous faudra peut-être bien quelques outils supplémentaires. » Si le forgeron acceptait, elle ne manquerait pas de lui faire parvenir quelques pièces sonnantes et sa bénédiction. C’était une arme facile que celle-ci : elle devait admettre ne pas être en bon terme avec sa position, mais pouvoir user de sa nouvelle influence n’était pas complètement désagréable. Contre la porte, ses doigts diaphanes s’enroulèrent autour de la poignée comme des serpents à l’affût. Se rappelant alors de son modeste homme à tout faire – bien qu’elle n’apprécia pas cette dénomination – elle releva ses yeux de bois vers le plafonds, pensive, creusant dans la liste des réparations qui n’en finissait plus...
« Eh bien... Vous pouvez effectivement m’aider avec la peinture, ou bien consolidé les plafonds... » Sa taille modérée ne lui permettait pas d’être très efficace sur les hauteurs, et cela donnerait peut-être un peu de repos au tabouret qui avait hérité du mauvais rôle de rehausseur. « Ou même soigner ce carreau brisé ? C’est vrai que ça pourrait redonner un peu d’isolation à ces murs. » Comme pour lui donner raison, une brise forte entra dans la pièce et fit trembler rideau et porte retenue. Brusquement, elle le regarda, songeuse, hésitant entre poser sa question ou la retenir derrière ses dents : « Si vous faites ainsi, voudriez-vous bien m’apprendre ? »
La naïade poursuivit bien vite, s’éludant elle-même de s’imposer comme élève. « En attendant, vous pouvez faire comme chez vous. N’hésitez pas à aller chercher ce dont vous avez besoin en bas. Pendant ce temps, je vais raviver un peu les poêles, pour éviter que la maison ne gèle. » Avec un dernier sourire accueillant, elle le laissa s’installer tranquillement et disparut dans les couloirs pour remettre dans ce géant un peu de chaleur.
Sujet: Re: [TERMINE] Le géant endormi Jeu 1 Fév - 16:39
« Vous remplacer ? Je n’oserai jamais. » Avoua-t-elle à demi-mots, la voix enfouie sous un sol meuble et friable sous lequel elle s’acharnait à vouloir enfouir son visage. Mais le fait était là : comment pourrait-elle ? Rares étaient les regards bienveillants, les mains tendues en sa direction sans rien demander en retour, les sourires glissés, les regards solidaires, les sirènes sauvées des mailles d’un filet. Et même si elle ne le voyait qu’en courant d’air entre les brises d’emplois du temps trop chargés, elle attendait ses visites avec une impatience inavouable. Alors, comment pourrait-elle le remplacer ? Elle leva les yeux en l’air, songea à lever le museau de son terrier de lapin. Si il s’interroge, elle prétexterait simplement ne pas trouver de meilleurs artisans. « Et je vous promets de faire bien attention ». Avec un sourire tamisé, elle le laissa s’en aller à son généreux ouvrage, avant de s’enfuir à son tour. L’éclat de son regard, solitaire, un peu comme lui, resta un instant gravé dans ses prunelles avec une persistance améthyste qu’elle ne pouvait expliquer. Tout comme ses mots qui trottinèrent pendant un temps entre les couloirs de sa tête, comme dans les couloirs de sa maison. A l’abri des regards, elle passa discrètement le dos de ses doigts sur ses joues, sentant battre sous sa peau la naissance d’un feu rougissant. Comme brûlée – ou surprise – elle les agita bêtement pour faire disparaître la sensation, presque honteuse de sa vulnérabilité. Rapidement et avec entêtement, elle repartit veiller à raviver la flamme dans le cœur éteint de la maison. Il y avait des poêles çà et là, et elle oubliait souvent de donner un coup de soufflet sur les braises. C’était encore des réflexes qui lui échappaient, et qu’elle espérait encore avec les jours qui s’égrainaient.
Entre ces grands murs de bois plus ou moins vermoulu, c’était un silence de cathédrale qui régnait en maître. La seule interruption vint avec le martèlement frénétique d’une averse qu’Othello jura glacée. Ce que le temps pouvait être capricieux en cette saison... Et elle savait déjà qu’elle serait partie avant même qu’elle ne puisse s’en rendre compte, ne comprenant juste son départ que dans le silence serein d’une maison éteinte. Dans ces moments, la demeure se gorgeait d’une odeur lourde et forte d’humidité qui s’échappait du sol, une odeur de mousse, de bois mouillé, et de poussière flottante qui se répandait plus vite qu’une traînée de poudre. Déjà, elle sentait dans son sillage la moiteur envahir ses narines, comme le sel quand elle plongeait en haute-mer. Elle se rendait au rez-de-chaussée plongée dans une sépulcrale pénombre quand débarqua de la porte du jardin les deux félins ahuris, sûrement pris de court par la pluie battante. Le pelage trempé, réunis en gros paquet informe, semblant brusquement si maigres et fragiles, ils échangèrent un regard dans le silence. Drasha s’étira avec flegme, avant de se traîner jusqu’à la cuisine. Jehyel, quant à elle, s’agita comme une furie dans le pauvre vestibule, et arrosa généreusement les murs de pluie en s’essorant comme une salade. La sirène ne pu réprimer un soupir... Mais elle ne pouvait lui en vouloir non plus.
En arrivant dans la pièce, elle eut vite fait de donner un coup de vent dans les braises rougeoyantes, de rajouter quelques beaux morceaux noirs de charbon. Le poêle satisfait ronronna de plus belle, et les deux félins vinrent se lover amoureusement devant lui, appréciant sûrement l’air chaud et sec. En entendant alors les bruits de travaux à l’étage, une idée lui traversa brusquement l’esprit, et elle la trouva bien meilleure que de reprendre ses pinceaux pour reprendre son ouvrage. Bientôt, on n’entendit plus que le bruit de la bouilloire et des gouttes de pluie.
Armée d’un plateau métallique garni de deux tasses, Othello monta doucement l’escalier abîmé. Les manches de bois sonnaient ronds et lisses entre ses doigts, usés par tant de mains et pourtant bien tendres contre le métal froid. Les deux tasses fumantes laissaient s’agiter des volutes amusées de vapeur, alors que déjà se répandait comme une traînée de poudre l’odeur forte de cannelle et d’anis. Elle se rappela avec amusement leurs premiers verres au Vieux Bosco, avant de passer la porte plateau en avant. Le dos massif du marin se dessinait dans la lumière grise des fenêtres, et renvoyait dans un jeu de contraste ses différents mouvements. Silencieusement, presque religieusement, elle s’inclina pour pousser la porte et pénétrer dans la pièce avec un respect palpable.
« - Une tasse de thé ? » Dit-elle à demi voix, soucieuse de ne pas lui imposer de gestes manqués dans le travail de cette fenêtre – bien qu’en son for intérieur, elle sentait qu’il avait déjà dû sentir sa présence. Elle attendit de croiser son regard pour ajouter simplement en posant le plateau sur un meuble. « J’ai pensé que cela vous ferait du bien. » Elle tendit poliment une des tasses au marin, et se saisit de la seconde, avant de venir discrètement s’enquérir de l’avancée de la tâche. Rapidement, elle ne put que reconnaître sa défaite. « Vous êtes bien plus habile que moi... » Affirma-t-elle en observant sagement l’ouvrage. « Je vous avoue être curieuse de savoir comment vous avez appris tous ces savoirs, mais j’imagine que des années en mer et sur El Bahari peuvent aider. » Brusquement, elle se retrouva absorbée par l’image du dehors, la rue luisante et secouée des spasmes de la pluie qui s’abattait sur les pavés. Au loin, comme les dentelles d’un bas, les toits et les clochers s’enchaînaient, un horizon déchiré, décousu, un relief étrange et obscur. « C’est bien différent d’Hellas... Je ne sais pas si je parviendrai un jour à me faire à la capitale. » Elle soupira, puis se reprit bien vite en soufflant intensément sur la vapeur de sa tasse, brouillant la vite de buée. Tout n’était pas si sombre, après tout. Elle était en bonne compagnie.
« Montrez-moi donc. » Elle s’installa sur le côté, une oreille attentive, et l’autre bercée par les percussions de la pluie. Ses yeux peu experts examinaient déjà le travail accompli, et elle se sentait dans la position d’une élève. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pu suivre d’enseignement, placée dans la case de prophète mal choisie plutôt que d’apprentie. Etrangement, elle trouva que jouer les élèves en maçonnerie avait un certain charme, et elle ne redoutait pas l’idée de se mettre un peu plus aux travaux manuels. Et elle ne doutait pas que le marin fasse un bon professeur.
Sujet: Re: [TERMINE] Le géant endormi Mer 21 Fév - 14:13
Son regard violet lui échappait doucement dans les caprices de la fumée qui dérobait la lueur pourpre dans son sillage chaotique. C’était un bien étrange duo, piégé dans une cage de vieux bois, dans la pénombre poussiéreuse, tantôt éclairés par un timide rai de lumière avant d’être chassé par les nuages, tantôt choyés par l’obscurité dormante de la pièce. Amusée par son trait d’esprit, la sirène laissa échapper un sourire rieur contre les rebords chauds de la porcelaine. Elle s’adoucissait petit à petit à son contact, et se surprenait même à apprécier grandement ses fugaces franchises. Tout le monde dans cette cité semblait mû par une extrême prudence dans le choix des mots et dans une sourde hypocrisie, si bien qu’elle commençait à douter qu’aucune forme d’honnêteté ne puisse y exister. Aussi les interventions candides et malicieuses du Lupin prenaient un air merveilleux – aussi brillant que son œil pétillant qui jouait derrière la vapeur.
« C’est un bien maigre paiement pour le service que vous me rendez. » Elle porta le thé à ses lèvres, peu certaine de si elle parlait de ses talents de bricoleur ou de sa présence en son logis. Le liquide brûla sa gorge avec une douce et mordante chaleur. Peut-être devrait-elle lui proposer un paiement ? Elle doutait qu’il l’accepte, voire pire : il pourrait mal le prendre. Cependant elle veillerait si l’occasion se présente. « Il me faudrait des mois et autant de théières pour payer ma dette. » Le loup avait déjà avancé, et elle constata de prime abord qu’elle avait manqué une première partie. Redoublant brusquement d’attention, elle le regarda manipuler le verre avec une adresse certaine. Il y avait dans ses gestes une attention mécanique, une lenteur usée mais précise dans les mouvements de ses doigts qui lui parurent calleuses, mais douces. Chaque glissement sur le verre, la poussière et la sciure était lumineux, claire, et le bruit croustillant des retombées de bois brisait le fond du silence avec une vitalité surprenante. Elle l’avait connu marin, loup, mais le voir artisan et le surprendre en travail avait quelque chose d’intime et de secret qu’elle apprécia silencieusement.
« Je n’hésiterai pas si une nouvelle fenêtre capricieuse se présente... Ou si je viens à en casser une dans une tentative. » Souffla-t-elle, consciente que c’était sûrement plus facile à dire qu’à faire, et que le loup ne connaissait pas encore son incapacité féroce à exceller dans le bricolage.
En même temps, elle l’écoutait raconter à demi-mots des bribes de ses souvenirs de jadis qui venaient se reposer dans ses oreilles marines. Elle l’imaginait tout à fait dans toutes ces situations. A vrai dire, il y avait peu de métiers où elle ne le voyait pas : danseur ou peintre, peut-être... Rester des heures devant un tableau sans bouger ne lui ressemblait pas. Mas elle ne peinait guère à l’imaginer maçon, menuisier, explorateur, conteur, avec la même fougue et la même passion décontractée. Au bon moment, elle donna de sa force – aussi maigre soit-elle, pour l’aider dans l’effort. Depuis qu’ils s’étaient retrouvés en d’autres circonstances que les bras de la mer, la sirène ne s’était jamais trop questionnée sur les origines du marin, et sur l’entièreté de son existence – avait-il seulement mentionné son âge ? Agitant furtivement ses doigts dans une liane de cheveux sélénites, elle observait d’un œil de chêne le marin en affaire avec le cadre de fenêtre, l’œil concentré sur l’ouvrage. Il trahissait le visage d’un homme dans la fleur de l’âge, d’une trentaine d’année, bien qu’elle su que sa vie devait peut-être atteindre largement plus qu’une centaine d’année, peut-être même une poignée de plus... Elle ignorait beaucoup de chose sur les llughoyfs hormis leur impressionnante longévité, et elle pensait bien que Fenris ne devait pas échapper à la règle. Et bien que la question lui brûlait à présent les lèvres autant que le thé, mais elle se retint bien. Cela faisait partie de la barrière sacrée, le jardin secret sur lequel elle n’avait jamais voulu poser un pied de peur que le loup ne lui échappe et ne disparaisse à jamais. C’est alors qu’elle s’aperçu qu’elle regardait bien plus le marin que son ouvrage, et elle se reprit brusquement, descendant le regard vers la fenêtre presque neuve. La même chaleur capricieuse glissa doucement sous ses joues, et elle tentait de se persuader candidement que c’était l’œuvre du breuvage.
« Vous aimez la lecture ? » Demanda-t-elle alors, un rictus de surprise ayant brusquement déployé ses oreilles sur toute leur longueur sur le côté de sa tête à travers ses mèches blanches. Un sourire timide mais tinté de joie naquit sur ses lèvres alors qu’elle leur découvrait une passion commune, puis fut rapidement remplacé par le scrupule de ne pas l’avoir découvert plus tôt, et par elle-même. Elle leva brusquement ses yeux sombres, semblant trouver une idée au fond de son océan de pensées. « Je serais très heureuse de partager ma bibliothèque avec vous, si vous le souhaitez. Elle ne vaut pas celle des Lumières, mais peut-être y trouverez-vous des ouvrages intéressants ? » Cette pensée l’enivra silencieusement, celle de pouvoir partager cette secrète quiétude avec quelqu’un.
L’alfari... Elle l’avait déjà entendu dans d’autres circonstances, sans trop savoir ni où ni quand, seulement qu’elle fut émerveillée par la beauté des courbes mélodieuses de cette langue. Cela lui échappait beaucoup mais il est vrai que Léogan était sindarin. Cela la frappa alors que malgré leur aventure partagée ensembles, elle n’en savait pas beaucoup sur lui. Peut-être que l’avenir lui permettrait de le connaître un peu mieux ? Une autre faiblesse éclata au grand jour : sa faiblesse pour les langues. Oh, pas par manque de volonté, par manque d’occasion. Et, d’un autre côté, elle réalisait l’ampleur du savoir de son interlocuteur, et s’en senti brusquement très curieuse. Il devait parler le goyfar ? Cette langue lui échappait encore énormément, comme beaucoup de choses sur les llurgoyfs.
« Le zinonien est réputé comme étant difficile... » répondit la sirène dans une grimace étrange, entre l’étonnement et le dégoût. « Mais je ne suis pas sûre de vraiment vouloir la connaître. Par contre, si vous le souhaitez, je serai aussi heureuse d’apprendre l’Alfari. » Plus elle parlait, plus elle devenait effrayé que le marin ne prenne toutes ces propositions pour une avidité intellectuelle grossière. Peut-être en faisait-elle trop ? Essayant de calmer son enthousiasme, elle avala avec ardeur plusieurs gorgés de thé. Quand il eut fini, elle se leva et recula de quelques pas, manquant de se prendre les pieds dans son jupon, pour contempler avec une œil nouveau la fenêtre réparée. C’était fort agréable à voir : le bruit de vent avait cessé de raisonner dans la pièce, et le froid ne s’engouffrait plus comme un visiteur malvenu par l’ouverture dans le verre. Un silence nouveau, feutré et chaud envahi la pièce, et Othello découvrait avec curiosité le son tamisé du bois et des poutres un peu craquante, la respiration de son toit. La chaleur ne s’enfuira pas autant qu’avant...
« Merci beaucoup Fenris, c’est parfait. Vous êtes un bon professeur. » Son regard s’agitait encore sous les combles, comme si la naïade pouvait voir le silence. « Le travail ne manque pas, mais... Peut-être que vous seriez disposé à m’aider avec la peinture ? » Elle sourit doucement, et la peinture ocre coincée dans sa fossette craquela et fit tomber sur son épaule des petites miettes dorées.
Sujet: Re: [TERMINE] Le géant endormi Mer 14 Mar - 22:14
Dans un espoir subtil de fuir – elle n’était sûre de quoi, elle avait distraitement regardé par la fenêtre, cherchant dans les gouttes de pluie une échappatoire à ces mots doux et pourtant craints. Sur sa nuque opaline, elle sentait le flot de sang s’écouler plus fort, la pulse imperceptible de son cœur battre une mesure toujours plus rapide. Il avait ce talent de dire ce qu’elle ne parvenait pas à dire, de dégager tranquillement et avec tendresse son visage du sable où elle tentait de se cacher. Dans tous ces mots il avait raison, et la danse que ses paroles effectuaient dans son esprit en une incessante cavalcade était la preuve constante qu’ils étaient tous réciproques, mais elle peinait encore à le dire, à le prouver. Peut-être même à seulement le réaliser. Pendant un infime instant, elle marqua une pause, se perdit de nouveau dans les éclats d’ambres et de pourpres qui querellaient dans l’œil unique et animé du grand Loup. Elle se demandait encore ce qu’ils étaient, et qui il était pour elle... Consciente de la place grandissante que prenait sa présence en son cœur et entre ces murs décrépits.
Revenant malgré elle de leur bulle et guidée par le fil de la conversation, elle s’y raccrocha de justesse, heureuse de sa bienveillante réponse. Sa proposition avait tout d’intéressant, et elle s’osait à être heureuse de pouvoir le côtoyer plus souvent, l’accueillir et le voir, en plus d’apprendre. Souriant agréablement, elle le laissa s’approcher, poser sur sa joue sa main bienveillante comme il l’eut fait bien souvent, sentir sa main immense l’effleurer du bout des doigts. Doucement, elle sentit la peinture s’égrainer, mais ne bougea pas face aux picotements, ni au murmure. Animée par d’étranges pensées, elle devint immobile, fumée. Happée par des souvenirs vifs, et la sensation rémanente de sa main sur sa joue et ses lèvres contre son front. Il n’en vint pas à là, mais c’était tout comme, Othello frémissant doucement quand le bout de ses lèvres passant sous ses mèches et au-dessus de ses yeux, les fermant doucement dans un souffle disparut.
Alors qu’il retirait sa main vers lui, elle osa lever la sienne pour l’accrocher timidement à sa hanche, sentant son flanc fin sous la paume de sa main et à travers le tissu de sa chemise. Elle le ressentait de nouveau. L’étreinte de la mer, du sable chaud, du sel et de l’écume. La douce chaleur, la sensation persistante et intense ressentie sur ce balcon, à l’Egide du Lion. Ouvrant de nouveau les yeux et consciente d’être téméraire, mais pas courageuse, elle ne s’imposa pas plus que nécessaire, et finit par se rappeler à elle, un sourire timide aux lèvres.
« J’espère que nous n’aurons pas à en arriver à de tels extrêmes. » Elle l’imaginait déjà peint en or des pieds à la tête. Après tout, ce ne serait sûrement pas pour trancher avec son teint, mais ce serait dommage qu’il finisse plus peint que le mur. « Les murs ont plus besoin de peinture que vous, je pense. » Elle marqua une courte pause, leva les yeux et poursuivit. « Et je ne suis pas sûre que vos vêtements apprécie beaucoup. » Elle constata brusquement qu’ils se tenaient plus proches qu’avant, et se surprit bien plus à ne pas s’en sentir brusquée. Sa sensation, sa présence lui devenait naturelle, et lui rappelait les moments intemporels qu’ils avaient déjà partagés. Et ses dernières paroles avaient eu de quoi l’apaiser, et c’est avec plus de sérénité qu’elle roula son visage vers le couloir pour le guider jusqu’à son œuvre inachevé, quelques minutes plus tôt.
La chambre d’ami était heureusement la pièce adjacente. Tout était comme elle l’avait laissé : le tabouret sur lequel elle se tenait debout pour atteindre les zones du mur les plus hautes, les pots d’argiles remplis d’une peinture de bonne facture, de la couleur de la poussière, de la terre, des grandes falaises et du sable du pays du feu. Quand elle souleva le petit couvercle tâché d’une pléiade de petites tâches, une odeur de solvant et d’huile envahie toute la pièce et se répandit allègrement jusqu’au creux de ses narines. Dans une volonté de faire bonne figure et de ne pas intoxiquer le marin à peine sorti de son bricolage, elle alla vers la fenêtre dont le bois s’écaillait pour l’ouvrir dans un grincement sinistre. L’air frais et l’odeur de pluie se dispersa comme une traînée de poudre, le doux frisson d’une averse qui se mêlait de pluie. A la lumière grise du dehors, le mur à moitié peint – et d’une façon plus ou moins attentive, avait des couleurs d’argent et d’or, et donnaient l’impression que le soleil cherchait à chasser la lune.
« Je n’ai pas eu le temps de récupérer beaucoup de pinceaux, et la plupart sont bien usés mais... Ils font quand même l’affaire. » Dit-elle, récupérant dans les mains deux brosses épaisses de crins, raccourcis par endroit et aux poils rêches et tordus. Poliment, elle lui en proposa un et lui indiqua les petits pots ouverts où reposaient les nappes dorés, en attente. Puis, reculant de quelques pas, elle regarda déjà le chemin parcouru : elle n’avait eu le temps que de faire un mur, couvert de moitié environ, et qui peinait à atteindre les hauteurs. Le reste de la pièce était de ce blanc sale et vieux, abîmé par endroit, pour beaucoup écaillé. Une ère qui s’ébranle : un nouvel âge qui commence. Regardant Fenris du coin de l’œil, elle constata qu’il serait peut-être plus avisé de le laisser s’occuper des hauteurs, mais elle se garda de le lui proposer, ne voulant rien lui imposer de plus que ce qu’il s’était déjà proposé de faire. Une paix profonde et interne la parcourait comme le sang dans ses veines, et elle se trouvait ravie de pouvoir tromper par ce jeu de présence, de regard et de sourire la solitude de ses jours dans les foules et dans les plèbes.
« Et je serais heureuse de pouvoir devenir votre élève. » Dit alors l’ondine qui se retourna alors, poussant sa crinière sélénite à s’abattre sur son épaule. Elle s’était aperçu ne pas lui avoir encore donné de réponse, l’esprit barbotant encore dans un nuage trouble et vaporeux.
Tirant le tabouret à elle, elle entama de remonter dessus et de continuer là où elle s’était arrêtée, laissant le grand Loup se choisir une entame pour lui. Rabattant ses cheveux vers l’arrière, elle lui lança un ultime avertissement, un sourire plus malicieux sur les lèvres. « Ne vous tâchez pas trop, ici il n’y a guère que des robe et des jupons pour vous changer... » Avec conviction, la peinture recommença à dorer les murs de la maison.
Sujet: Re: [TERMINE] Le géant endormi Ven 25 Mai - 10:21
Si le sourire en coin du marin se dérobait à ses yeux, loin de ses mires d’ébène qui n’osaient à peine regarder le mur, quelque chose lui disait qu’il devait bien s’amuser de sa timide réaction. En effet, Othello décrivait des allers-retours méticuleux du bout de son pinceau, l’esprit ailleurs, dorant le même bout de mur depuis quelques secondes. Elle sentait naître dans ses joues une chaleur enfantine et inavouable, et elle luttait tant qu’elle le pouvait avec son sang-froid pour maîtriser ce feu secret qui palpitait sous sa peau. Les images lui revenaient clairement à l’esprit, celle de cette nuit tapie de brume après la chute du colosse, et du dos nu du llurghoyf jouant sous les lueurs incandescentes des bougies. Plus elle revoyait l’ombre des tatouages grisant sa peau, plus elle tentait vainement de s’écarter de ce chemin, et des pensées silencieuses qu’elle se refusait d’avouer. Qu’elle n’avait nullement été offensée par une vue qui n’avait rien eut de déplaisant.
Se ressaisissant bien vite, la naïade fit mine de remettre une mèche baladeuse en place, pour couper court à son esprit promeneur, et se remettre plus sérieusement à la tâche. Pour cela, elle trouva réconfort dans le silence paisible et intime qui s’installait entre eux, un tissu chaud et enveloppant qui semblait se tisser avec le temps et les mots. La nymphe se laissa aller à surfacer doucement à l’horizon de son esprit, à écouter paisiblement les symphonies colorées des pinceaux, les respirations tamisées, les bruits murmurés par la bâtisse. Elle disparut dans un océan immense, balayé par les couleurs changeantes et lumineuses du ciel en évolution. Ce sont les paroles soudaines d’un Fenris entre deux terres, lui aussi disparu entre plusieurs nappes de pensées, qui la tira vers lui. A sa grande surprise, la sirène écouta, secrète, les désirs de liberté et d’air indomptable du marin mis aux fers. Sans interrompre son discours et son geste, elle le laissa poursuivre tout du long, compatissant silencieusement avec sa situation. Elle savait ne le connaître que peu sur toutes ses années d’existence, et pourtant c’était suffisant pour savoir que la liberté était plus importante que tout pour lui : comme un zéphire sauvage et enivré d’éons, il ne devait chercher après chaque nouvelle journée qu’un horizon toujours plus vaste et toujours plus lointain. Et pour elle qui avait connu le profond et immense sentiment d’ivresse face à sa vie sans chaîne et sans lien dans les profondeurs, elle avait le sentiment, plus que quiconque, de partager son sentiment.
C’est quand il l’évoqua qu’elle se retourna brusquement vers lui avec la surprise d’une enfant, flattée et touchée. Cet aveu soudain, sincère et candide, allait bien au marin qui vagabondait éternellement avec un zèle et une légèreté surprenante et décontracté. La chaleur quitta ses joues, coula le long de son cou pour venir se loger doucement au creux de son ventre, jalousement gardée et protégée. Pendant l’ombre d’un instant, les rêveries du Loup escaladèrent son esprit océan, et elle imagina à son tour naviguer à travers les mers vastes, les villes splendides, le dos immense de Fenris là pour lui montrer la voie.
« Cela... N’est pas impossible... » Murmura-t-elle simplement, repeignant pensivement le même morceau de mur, s’imaginant suivre le marin à travers le globe et les plages sauvages et vertes d’El Bahari. « Fenris, je voulais vous demander... » La lettre posée sur le rebord de son secrétaire l’appelait sans cesse vers un devoir duquel elle n’appelait qu’à se défaire. Les paroles du marin éveillaient en elle un appel profond et secret vers une liberté enivrante qu’elle avait mise sous clef, en prêtant serment auprès de trop d’êtres, fussent-ils des sœurs, des croyants ou des dieux. Alors qu’il tendait vers elle une main inespérée et salvatrice, ses vœux tendaient encore à la séparer de lui, à l’empêcher d’avancer, comme un boulet rouillé serré à ses chevilles. Mais pour une fois, elle priait pour pouvoir enfin plonger de nouveau vers son inconnu : ses souvenirs comme une vague l’engloutirent brusquement pour la replonger l’ombre d’une seconde, qui lui parut une heure, dans les rouleaux paisible de l’immense mer gelée, dans les profondeurs abyssales et sombres, le sable noir et vaseux qui l’avait vu naître. C’était autant un pas en avant vers une libération que vers l’inconnu, et elle espérait que le marin ne serait pas effrayé de son audace, la demande qu’elle s’apprêtait à lui faire et qu’elle gardait secrète depuis quelques temps. Intimement, elle savait qu’il viendrait vers elle, prévenant et bienveillant comme elle l’avait toujours connu. Mais les craintes et les doutes la rongeait toujours, et elle n’était pas à l’abri de la chute, aussi douloureuse soit-elle. Timidement, elle osa avancer sa main à son tour, soucieuse que le loup ne décide de reculer face à elle.
« Le conseil des dix approche à grand pas et je me demandais si vous souhaitiez m’accompagner. La bibliothèque de Kelors abrite de nombreux ouvrages et peut-être que nous pourrions trouver une piste pour mon... Ma... » En guise de réponses, elle présenta sa main ouverte sur le tatouage sombre, le symbole de Kron. « Après tout, j’ai... Nous avons toujours cette vilaine tâche d’encre à faire disparaître. » Elle tenta un sourire un peu timide, mais volontaire, avant de conclure doucement, le cœur vibrant de cet incertain espoir. « Les gélovigiens pourraient bien se passer de moi quelques mois. » Elle se retourna brusquement en levant ses deux yeux d’ébènes pour les planter dans l’œil unique du marin, dont elle osa soutenir le regard : des prunelles pleines dans lesquels sillonnaient un millier de pensées, d’émotions éparses et tourbillonnantes, cherchant à lire la lueur améthyste dans le globe solitaire. L’idée était folle, voir même irréalisable, et elle savait que son absence couterait tant à son Eglise... Qu’elle était comme un oisillon sorti de sa coquille qui cherche à s’envoler trop tôt. Peut-être était-ce de l’audace inconsciente qui la poussait à s’ouvrir ainsi, peut-être l’enthousiasme de passer quelques minutes avec l’homme des sables, peut-être un subtil mélange de tout cela. Et quoi que pourrait être sa réponse, Othello se sentait tout de même soulagée d’avoir laissé ces mots pesants enfin décoller de son esprit, fut-ce pour recevoir un oui tout aussi fou, ou un soudain retour à la réalité.