Rencontre à Noathis [PV Balibe Duscisio]

Le monde changeait à nouveau. Vite. Plus vite qu'elle ne l'aurait cru. C'était à croire que les sombres évènements qui avaient frappé le monde avaient réveillé quelques consciences encore aveuglées par leurs désirs égoïstes. Mais aux yeux de l'Eryl, tout n'était qu'une impression de déjà-vu, un éternel recommencement avec une présentation des pions différentes. Pourquoi fallait-il toujours que l'ordre naquit du désordre?

La jeune femme se tenait à ce moment-là dans les hauteurs des arbres qui avaient poussé au sein de la cité oubliée d'Elgondor. Son regard inquisiteur se posait sur ses sœurs et leur petit nombre qui s'activait en contrebas à fortifier les lieux ou bien même à assurer leur subsistance. Elle savait pertinemment que la vie de chacune était plus fragile qu'une aile de papillon, des milliers de couleurs qui pouvaient s'effriter sous le coup de la moindre brutalité. Les Eryllis avaient beau être des guerrières redoutables, l'ombre de la forêt, elles n'en demeuraient pas moins marginales. Aujourd'hui, elles étaient capable de tenir tête à n'importe quels individus qui voudraient s'en prendre à leur sécurité... mais demain? Qu'en serait-il demain quand on le savait si incertain?

Comme chaque isthérien en ce bas monde, Sighild avait aussi subi les effets de la convergence. Si les premières semaines le monde lui avait paru devenir fou, le dernier acte n'en demeurait pas moins le plus perturbant. Le passé, le futur, beaucoup de choses s'étaient entremêlés. Est-ce que l'univers tentait de leur envoyer un message pour les prévenir qu'ils seraient puni de leur décadence? Certains de ces camarades lui avaient parlé d'un monde sans magie, d'autres d'une vie où les gens comme elle, les lhugroyfs seraient chassés comme des bêtes à nouveau. Rien dans ce qui avait pu être aperçu ne semblait avoir de dénouement heureux.

Puis ce fut alors qu'une jeune femme vint à sa rencontre en lui tendant un parchemin scellé. L'Eryl la regarda avec un étonnement certain, surtout lorsqu'elle vit le symbole du sceau.

" Madame! On m'a dit de vous apporter ceci. C'est un messager nous a informé qu'il était nécessaire de ne le remettre qu'à vous. Uniquement à vous. "

L'amazone opina de la tête pour lui dire que c'était bon et qu'elle pouvait s'en aller. Son devoir était accompli et un autre devait l'attendre ailleurs. Dans un premier temps, la jeune femme observa la cire avec un certain mépris, puis se décida finalement à lire le contenu.

Le parchemin:

Un prêtre. Voilà donc les premiers à bouger. Cependant, la jeune femme n'accueillit pas le message avec un sourire, bien au contraire. Elle n'aimait pas y lire la condescendance des hommes et des religieux. Pensaient-ils donc avoir le pouvoir de changer les choses? Quelle prétention. Pourtant, pouvait-elle leur en vouloir de tenter de changer l'avenir? Qui n’essayerait pas?

Sighild froissa alors le papier entre ses mains et descendit tranquillement de son point de vue pour regagner le sol. Là, elle passa tout près d'un brasero dans lequel elle jeta la missive avec dédain puis elle se rendit dans ses appartements. Elle prépara un message de réponse qu'elle attacha au coup de Zodiark, son compagnon lupin qu'elle chargea d'aller remettre au temple de Delil. Rendez-vous dans trois jours dans la forêt de sphène.

*****

L'Eryl se rendit le jour prévu au point de rendez-vous qu'elle avait donné dans son message. Une zone de forêt plutôt dense, difficile d'accès où il était forcément nécessaire d'avancer à pied et où il n'était pas possible d'avancer en formation nombreuse. Il aurait été facile d'imaginer qu'elle serait venue accompagnée mais il n'en était rien. Noathis était sa maison. Elle connaissait chaque recoin qu'elle avait pu découvrir au fil de nombreuses années, tout comme ces secrets. Ce n'était pas des religieux qui l'impressionneraient.

Conservant néanmoins la tête froide, elle ne fut accompagnée que de son familier, celui-là même qui avait apporté la réponse au Haut-prêtre. Sereine, elle attendait donc que ce dernier arriva avec son escorte - ou pas, adossée sagement contre un arbre, les paupières closes à écouter le champ de la forêt. Les oiseaux seraient à même de lui indiquer si l'homme qu'elle devait rencontré était en approche.

L'Eryl releva doucement la tête lorsque le nouveau Haut-Prêtre s'approcha, posant ses yeux ambrés sur la silhouette guindée du gélovigien dans son costume d'apparat. Son visage ne trahissait bien que de sentiment, ni mépris, ni surprise, bien qu'elle ne pourrait nier qu'elle n'avait pas imaginé que le jeune terran qu'elle avait rencontré il y a quelques années eu choisi une telle voie. Peut-être avait-il trouvé dans le chemin religieux un apaisement qu'il n'avait pas trouvé ailleurs, comme beaucoup d'autres avant lui. Est-ce que cela l'impressionnait? Guère peu, hélas.

Demeurant adossée les bras croisés contre l'arbre sur lequel elle patientait, elle laissa échapper un petit soupir qui sembla soudainement bien là. Zodiark, lui, se tenait assis tout près d'elle, son œil rivé sur le corbeau blanc et son maître. Il ne paraissait pas craindre le personnage, ni avoir de doute, ce qui signifiait qu'il était bien l'homme a qui il avait remis son message. Toutefois, Sighild n'était pas une femme paranoïaque, seulement pragmatique. Le simple fait que Duscisio se rappela à elle par de vieux souvenirs ne faisait que la conforter qu'il n'était pas un usurpateur.

" Le temps n'est qu'une simple notion pour une personne de ma nature, et les terrans sont des êtes aussi changeants que les saisons. Demain, vous serez à nouveau une autre personne. "

Ne désirant pas que les choses ne s'éternisèrent que trop - car elle n'aimait guère cela - l'amazone aborda immédiatement de sa voix sombre et sans manière les raisons de cette rencontre ainsi que les sujets évoqués dans le message du grand prêtre.

" Dans votre message, il était question d'aborder de nombreux projets qui concerneraient la région.... "

Le regard de la lhurgoyf se durcit brusquement.

" N'était-il pas présomptueux de la part d'un Gélovigien de vouloir fourrer son nez dans les intérêts d'une région dont son ordre n'avait cure jusque là? "

L'Eryl maintenait son ton, un peu sec mais pas aussi agressif que les propos pourraient le suggérer.

" J'aimerais bien savoir de quel droit vous vous octroyez le pouvoir d'émettre le moindre projet sur une terre que vous n'avez jamais défendu... et imaginez ne serait-ce qu'un seul instant que j'eus besoin de me sentir en sécurité chez moi? Les fonctions de haut-prêtrises rendraient-elles aussi vaniteux? Ou bien s'agit-il simplement de la perfidie du pouvoir? "

Méfiante des ordres extérieurs, de tout ce qui se pavanait de posséder la moindre influence, politique ou religieuse... Tous... Aux yeux de l'amazone, ils étaient tous le même nœud du problème. Roi, seigneurs, gouverneurs, petits bourgeois... les ambitieux étaient plus souvent source de malheurs que le reste du monde. Si elle devait se méfier de certains, les gélovigiens seraient en tête... malheureusement pour Duscisio.

Pour ce qui devait se révéler être une rencontre amicale, la tension parut étonnamment monter d'un cran, bien plus vite que ce qui aurait pu être attendue. En effet, les mots de l'Eryl semblaient avoir touché le jeune albinos qui parlait avec un étrange langage. Elle reconnut néanmoins toute l'impétuosité de l'enfant qu'il était à ses yeux, et celui qu'elle avait connu autrefois. Il était toujours aussi réactif et possédait cette passion bien traître des terrans.

La manière dont il semblait ne plus se considérer comme un homme de son peuple, cette façon de se dissocier de leurs actes, lui arrachèrent un petit sourire en coin. Prétendre de ne pas être l'un des leurs et pourtant vouloir jouer avec leurs règles et leurs armes... voilà une étrange hypocrisie.

" Tant de non-sens en si peu de mot. Me demander de ne pas me fier à votre titre alors que vous venez à peine de déclamer à l'utiliser pour défendre votre cause. Vous ne valez pas plus que les hommes que vous critiquez car ils prétendent tous faire la même chose. Haut-prêtre, roi, gouverneur.... des titres pour nourrir des desseins divers. Vous n'êtes pas différents. "

L'Eryl porta un regard sévère sur le jeune homme.

" La véritable illusion est que vous semblez persuadez de l'être. Personne ne l'est. "

L'amazone se savait aussi un pion dans le grand échiquier du monde. Si elle souhaitait véritablement ne pas en faire partie, alors il lui faudrait ne vivre que pour elle et elle seule, ne se mêler de rien, ni de la forêt, ni de ses peuples. Cela lui était impossible à la vue de ses engagements, tout comme le fait qu'elle était aussi victime de son titre.

Retournant au silence, elle écouta les autres propos de son interlocuteur mais tiqua lorsque ce dernier lui tint un langage qu'elle trouva "déplacer". Nous aimerons savoir d'ailleurs ce que vous avez fait dernièrement? Le regard de la lhugroyf s'assombrit considérablement, montrant qu'elle considérait ses propos comme un affront véritable. Se rendait-il compte seulement de la porter de son langage si orgueilleux?

" Plait-il? Ce que Nous avons fait dernièrement? Quel genre d'encens respirez-vous donc dans votre temple pour oser me parler en ces termes et faire preuve d'autant d'auto-suffisance et d'outrecuidance? "

Les yeux d'ambre de l'amazone semblaient briller d'une lumière furieuse mais le ton de sa voix demeurait sombre et lourde.

" Vous n'étiez pas l'ombre d'une idée que je protégeais déjà ces terres, et ce, depuis des siècles. J'ai vu des nations s'éteindre, renaître, des rois et des seigneurs défilés par centaine... J'ai affronté des armées, des hommes seuls, et des choses dont vous n'avez pas songé... Vous osez vous tenir devant moi en invoquant que vous avez été touché par la grâce divine et que ceci vous donnerait subitement quelque droit de savoir?  "

Zodiark qui se tenait aux côtés de sa maîtresse se mit subitement à grogner, sans doute parce qu'il avait compris la méfiance qu'elle ressentait. Cependant, décroisant les bras, elle fit un geste devant l'animal qui se calma aussitôt.

" Un semblant d'alliance... pas à proprement parler avec votre ordre... toutes vos paroles sont confuses et approximatives. Si vous n'étiez réellement venu que pour vous-même, vous n'aborderiez pas le costume des Gélovigiens. "

Sighild croisa à nouveau les bras.

" Vous n'êtes qu'un haut-prêtre parmi les dix... vous êtes interchangeables pourvu qu'ils en décident. Vous voulez utiliser le pouvoir de l'ordre dans lequel vous êtes pour contrecarrer un pouvoir que vous vous êtes aussi accaparé. Influencer le monde... beaucoup s'y essaye et beaucoup y échoue. Et je n'ai pas attention votre ascension pour trouver des solutions de mon côté, jeune haut-prêtre.... mais ces dernières ne concernent pas les gélovigiens... ou un homme tout seul. "

Sighild avait vécu un nombre incalculable de vie : esclave, mercenaire, soldat, vagabonde, amazone jusqu'au titre qu'elle portait aujourd'hui. Cette diversité d'expérience faisait la femme qu'elle était et nombreux furent les chemins qu'elle aurait pu emprunté sans l'avoir fait. L'Histoire lui avait montré le visage des hommes, et Isthéria révélait le sien depuis quelques années par une multitude de catastrophes qui semblait frapper ces habitants. Alors, lorsque le prêtre se permettait de s'adresser à elle avec maladresse, son visage ne niait pas l'impatience que lui faisait gagner la tenue des discours du Gélovigien. Pour elle, ce n'était que des redondances. Une bouche différente les prononçait. C'était tout.

" La mort? J'ai bien peur de l'avoir côtoyè bien plus souvent que vous. Si vous pensez que je n'y suis pas sensible, alors détrompez-vous. "

Le regard de la jeune femme se fit plus acéré alors que celui du jeune albinos paraissait un peu plus peiné que leur conversation prenne un tel tournant. Mais en réalité, l'Eryl ne lui claquait pas la porte au nez, elle écoutait, elle cherchait à comprendre.... seulement, Duscisio ne lui apportait aucune solution. Il n'y avait rien de concret hormis des paroles. Ce qui intriguait tout de même le plus la lhurgoyf était le sentiment que ce dernier possédait des renseignements qu'elle n'avait pas en sa possession. Pourquoi le prêtre se sentit-il si subitement investi? Qu'est-ce qui avait pu le détourner de son premier choix?

Toutefois, voilà qu'il dépassait à nouveau la limite de son rôle. Les Ascans? Leur laisser leur village sacré? Le visage de Sighild se durcit à cette simple évocation et bien plus encore quand il prétendit subitement que Samhach n'était plus protégée.

" Pardon? Vous venez presque à l'instant sous-entendre que nous ne sommes pas des femmes capables et maintenant vous nous demander de disposer de notre village pour l'offrir à des Hommes? Êtes-vous sérieux ou êtes-vous venu pour nous insulter? "

En matière de maladresse, le Prêtre venait de passer un cap.

" Contrairement aux rumeurs, Samhach n'est pas sans protection. Il est et demeurera un village sous l'autorité des Eryllis, et reste l'un de nos bastions. De plus, si vous avez la naïveté de croire que la force de son village résidait dans la magie qui le couvrait, vous vous trompez... "

La force des Eryllis était les Eryllis elle-même.

" Si les Ascans sont en exil et qu'ils ont besoin de notre aide, je les pense assez grand pour en faire la demande par leur propre moyen. Je ne suis pas le genre de femme qui agit avec des intermédiaires. Je trouve cela... irrespectueux. "

La jeune femme se redressa soudainement et fit quelques pas. Elle passa négligemment sa main sur le tronc d'un arbre comme si elle caressait son écorce, mais ses yeux d'ambre et leurs sévérités ne quittèrent pas la silhouette longiligne du prêtre. Par le passé, elle aurait pu faire confiance au jeune Terran impétueux. Mais maintenant, elle ne le ferait pas au Gélovigien.

" Vous parlez beaucoup pour un Prêtre, mais vous n'êtes venu qu'avec des mots. Quelles propositions me faites-vous réellement car je n'en vois aucune. "

L'Eryl tourna en rond autour de Duscsio, comme un loup qui surveillait une proie. Elle le scrutait, l'observait calmement et s'adressait toujours à lui avec une tonalité grave dans sa voix, mais sans agressivité.

" Vous parlez de sauvegarder Noathis... je l'entend bien. En soit, je ne peux que respecter ce vœux. Quant à la magie... elle n'est pas propre à cette région, mais à son monde. Si elle doit disparaître, c'est la folie des faibles qui causera le chaos car ils ne pensent le monde qu'à travers elle. Vous en êtes la preuve... "

L'Eryl s'arrêta soudainement de marcher pour revenir près de son loup.

" Vous semblez terrifier à l'idée que la magie n'existe plus, n'est-ce pas? "

L'Eryl observait le prêtre avec toujours autant de sévérité car elle ne pouvait se permettre de faire preuve de la moindre compassion ou signe de faiblesse face à un homme d'un ordre différent. Toutefois, elle nota le désarroi dans le regard de celui qu'elle connut autrefois, elle reconnut le jeune albinos lorsqu'il ploya le regard vers le sol avec peine. Il était jeune, c'était évident. Il voyait grand, c'était louable... mais il n'était pas encore à la hauteur de toutes les ambitions qui l'habitaient et tout ne pourrait lui tomber dans les mains aussi facilement, quand bien même qu'autrefois, ils s'entendirent.

Face à sa réponse, la lhurgoyf se mit à soupirer. Avait-il des épaules trop petites pour la charge qu'il désirait porter? Pour le moment, sans doute... mais elle craignait plutôt ce que la religion et l'influence de cette dernière pouvaient avoir sur les cœurs. Après tout, n'était-ce pas Sharna qui influençaient les cavaliers? N'était-ce pas ces dieux qui avaient aussi pousser l'ancien ordre des Gélovigiens à causer la mort des hommes de sciences parce qu'ils n'adhéraient pas à leur croyance? La corruption pouvait prendre tant de forme que l'on ne pourrait reprocher la paranoïa qui gangrenait ceux qui n'avaient plus confiance en personne.

" Vous n'avez pas répondu à ma question prêtre. Qu'est-ce qui vous effraie autant pour avoir pris la peine de venir me quémander? "

S'il continuait de cette façon, il ne laisserait que l'étrange sentiment qui éludait ses questions.

" Et disparaître ne vous aurait pas soulagé les évènements que nous laissons dernière nous sans conclusion finissent toujours par nous rattraper tôt ou tard. "

L'amazone reprit appuis sur l'arbre qui se trouvait derrière elle puis croisa les bras à nouveau sans pour autant faire preuve d'impatience bien que le ton de sa voix laissait à penser le contraire.

" Dites clairement les choses, sans tourner autour du pot. Si vous êtes venus pour vérifier si nous étions toujours là, c'est que quelque chose vous inquiète, alors parlez. "

Si la discussion avait très mal démarrée, la jeune femme pourrait trouver une sorte d'excuse dans la jeunesse de Duscisio. Cependant, elle ne niait pas percevoir en lui quelque chose qui le troublait plus sérieusement. Elle se souvenait qu'il était intrépide, peut-être un peu trop fougueux comme la plupart des terrans, alors pourquoi semblait-il soudainement si dépité alors qu'il semblait mener une carrière rangée sans en tirer la moindre satisfaction apparente? A ces yeux, cela n'avait aucun sens, il devait forcément y avoir autre chose.

Directe, la lhurgoyf n'aimait pas que l'on vint vers elle avec du miel dans les paroles, elle n'aimait pas les faux semblants. Pour cette raison, elle accordait donc une chance au gélovigien de dire ce qu'il avait à dire et non pas attendre que l'Eryllils lui trouva une solution à un mal dont il ne lui indiquait pas la nature. Elle ne combattait pas des ennemis invisibles.

L'Eryl demeura muette quelques instants alors que son interlocuteur parut faire le vide pour reprendre ses esprits. Il semblait enfin avoir compris que pour elle, il se devait de dire les choses clairement et sans détour, surtout s'il espérait quoique se soit de sa part. Néanmoins, il finit par dévoiler ce qu'il avait appris ou plutôt "vécu" pendant l'étrange évènement de convergence... et autant dire que cela n'annonçait clairement rien de très optimiste sur l'avenir. Un monde sans magie. Un monde bien terrible pour quiconque ne se reposait que sur elle.... mais aussi lourde de conséquence si on réfléchissait à tout ce qui se reposait sur l'essence divine.

Sighild demeura les bras croisés en écoutant avec attention les propos du jeune prêtre et n'importe qui d'autres qui pourraient entendre cette histoire le prendrait sans doute pour un fou. Prédire la fin de tout un peuple, un exode et maintenant l'apparition de machines volantes? N'importe qui penserait qu'il avait perdu la tête. Toutefois, contrairement aux apparences, la lhurgoyf était capable d'ouverture d'esprit et elle n'imaginait pas que le terran soit venu jusqu'à elle pour lui conter des mensonges. Il était persuadé de dire la vérité et il semblait inquiet que cela se produisit. Qui ne le serait pas après tout?

La jeune femme soupira, ferma les yeux et pencha la tête en arrière. Elle réfléchissait. Il lui fallut une longue minute avant d'ouvrir enfin la bouche.

" Je vois. Je suppose que vous désirez mon avis, et savoir éventuellement ce que j'ai pu vivre de mon côté. "

L'Eryl soupira.

" L'expérience qui a été la mienne ne vous apportera aucune solution. Je n'ai pas été projeté dans le futur mais dans le passé. C'était... étrange mais non significatif. "

L'amazone finit par poser son regard ambré sur le terran albinos avec un air presque désolé pour lui, une manière presque de dire que peut-être, il n'y avait pas de remède au mal qui voulait combattre. Comment contrecarrer le futur quand on ne connaissait les raisons du dérapage de l'humanité? Et puis, prétendre que tout ne partait que d'un point unique...

" Le futur... je dois avouer que j'ai bien du mal à l'imaginer déjà défini mais si ce que vous dites est vrai, je ne nous pense pas capable, nous isthériens, d'être à l'origine de la fin de la magie, à moins qu'il existe quelque chose qui nous échappe. Je vois la magie comme une ressource et aucune ressource n'est éternelle. Peut-être que l'on ne peut lutter contre cette fin... mais nous pouvons toujours nous y préparer. "

Elle soupira une nouvelle fois à la pensée que les cavaliers de Sharna puissent avoir pris le contrôle du monde et réussit à conquérir nation sur nation. Est-ce que cela signifiait que Sirion avait perdu son combat? Est-ce que cela signifiait qu'au contraire, il avait réussi mais pris une mauvaise voie? Ou bien avait-il failli d'une autre façon et un autre avait volé sa place? Trop de "si". Trop d'incertitude pour se laisser gagner par la paranoïa.

" Quant aux cavaliers... il n'est pas impossible d'imaginer qu'ils ont été les plus capables de faire front. Ce sont des conquérants et des guerriers qui ne se reposent pas sur leur magie, mais bel et bien le poids de leurs armes. Ils sont les plus à même de profiter d'un monde où l'essence divine disparaît. Par contre, je suis surprise que Canopée soit tombé. Cimmerium... Mmmm... "

L'Eryl n'avait jamais été très proche des sylphides, elle n'en connaissait d'ailleurs que très peu. Leur politique protectionniste ne la choquait pas outre mesure puisque après tout, n'en faisait-elle pas autant avec Noathis? Mais le tord de leur civilisation était de demeurer aveugle aux autres. Cela les avait finalement perdu. Ironique.

" Je suppose que vouloir regrouper toutes les expériences vécus est une bonne idée... mais je doute que vous y trouviez la solution. Je ne crois pas à un futur immuable. "

Peut-être étais-ce un tort mais elle n'était pas une experte non plus.

" Peut-être devriez-vous interroger des individus possédant quelques dons de prescience. Ils auront peut-être, eux aussi, eu des visions qu'ils ne s'expliquent pas à l'heure actuelle mais qui pourrait être les pièces qui vous manquent. Ils pourraient aussi vous rassurer... ou pas, sur la possibilité de modifier le cours des évènements.  "

Que dire après tout sur quelque chose sur laquelle personne n'avait la main.

La conversation qui se dessinait entre les deux jeunes gens prenait des airs de philosophie et de théorie étranges, plutôt que des questionnements qui réclamaient une réponse précise. Tout n'était qu'hypothèse. En tant normal, Sighild l'aurait naturellement renvoyé vers un Eclari. Bien qu'elle était "âgée", elle n'était pas une femme de sciences, ni d'études, uniquement une personne taillée par l'expérience au cours des siècles. Mais peut-être était-ce bel et bien cela que venait chercher le jeune terran.

Patiente, elle l'écouta sans dire quoique se soit. Il avait visiblement besoin de d'exprimer et lorsqu'elle comprit le fond de ses propos, notamment sur l'essence divine, un petit sourire se dessina sur le coin de ses lèvres. Un gélovigien qui parle ainsi de la substance même de ces dieux? Cela aurait très bien pu être interprété comme de l'hérésie. Heureusement pour lui, l'Eryl n'en avait cure de ce genre de détail.

" Vous semblez sincèrement inquiet sur le sujet. Mais je me demande pour quelles véritables raisons. "

La lhurgoyf posait son regard sur la silhouette du gélovigien, s'attarda quelques instants sur le symbole de sa case avant de revenir vers sa pale figure.

" Si j'écoute vos théories, la fin de la magie n'entraine pas la fin de notre monde... ou en tout cas, pas totalement. Les Hommes semblent toujours présents et survivent d'une autre manière. Comme vous l'avez dit, nous sommes tout à fait capable de vivre sans, même si elle fait partie de notre monde. "

Les yeux de l'Eryl brillèrent étrangement à cet instant.

" Toutefois... la fin de l'essence divine... marquerait un énorme changement dans la conception du monde des Gélovigiens. Pardonnez mes paroles d'hérétiques mais... si l'essence disparait, cela signifie que vos dieux également, non? Cela signifierait la fin de votre caste, de votre influence... "

L'Eryl savait pertinemment qu'elle faisait en cet instant du mauvais esprit, mais il fallait aussi que le jeune homme s'interrogea sur le sujet car après tout, ne portait-il pas l'habit? Laissant finalement de côté cette interrogation qui devrait mener l'albinos à s’interroger sur sa foi, elle revint sur le fond du problème.

" Vous savez, je ne suis pas une éclari. Je ne me pose pas autant de questions métaphysiques. Et je ne suis pas une femme de foi non plus. Je m'attache à vivre avec mon époque et composer avec elle. Je m'attache à essayer d'enseigner certaines valeurs et espérer que ces dernières perdurent peut-être. Toutefois, mon expérience m'a prouvé que l'Homme est un être qui en veut toujours plus. Croire qu'il peut exister un monde sans guerre me paraît être une illusion. "

La lhurgoyf soupira.

" Si vous pensez sincèrement que les guerres sont responsables de cette fin, alors pardonnez moi de vous dire que vous vous apprêtez à vous battre contre des moulins à vents, aussi noble soit la cause. "

A cet instant, le regard de l'amazone s'abaissa sur son loup, elle lui caressa la tête, un petit sourire aux lèvres.

" Par contre, comprenez-moi bien. Je ne protège pas ces terres à cause de son essence divine, je la protège car il s'agit du seul endroit où la nature est encore libre. Si c'est uniquement l'exploitation des mines de sphènes qui vous importe, nous ne menons pas le même combat. "

Elle leva la tête dans sa direction.

" Mais nous vivons aujourd'hui sur les mêmes terres, et tant que vous respectez Noathis, nous ne ferons rien contre vous. "