[QUÊTE] L'ocarina de Chantelune

Sujet: [QUÊTE] L'ocarina de Chantelune Mer 6 Nov - 0:55

Si la plupart des prêtresses se sont remises des affronts de l’infâme Elerinna, la créature éthérée qui vit dans l’ombre du Temple de Kesha se voit souvent prise d’humeur maussade ou d’une certaine sécheresse lorsque le nom de la grande prêtresse d’antan apparaissait dans son esprit. Elerinna, quelle dame terrible ! Hildegarde ne tient à l'égard de celle-ci que des propos ignominieux mais, sa technique préférée pour profaner l’existence de cette vilaine sindarine est tout simplement de ne pas en parler, d’ignorer totalement son existence.

Néanmoins, elle se souvient que bien avant que Elerinna vienne tinter le règne des prêtresses de Cimmeria, Hildegarde avait en tête de retrouver un objet bien précis : L’ocarina de Chantelune. Un instrument de musique qui aurait été fort utile il y a quelques années lors des attaques et de la guerre engendrée par la grande prêtresse maudite. Depuis, la sylphide a repoussé le moment fatidique où elle monterait une expédition pour récupérer l’objet. Peu pressée par le temps, elle dit que si ce n’est point dans ce siècle qu’elle acquiert l’artefact, ce sera dans le prochain. Heureusement, le temps se fait clément et la prêtresse de premier ordre a décidé que le moment était venu pour retrouver l’ocarina de Chantelune.

“Je suis heureuse que tu m’accompagnes dans cette aventure. Ton agilité sera très utile dans les grottes de Fellel.” Partage-t’elle à l’enfant qu’elle a engagée pour la suivre dans ce périple. Sa voix est peu expressive mais douce, rassurante mais froide.

Les nombreux siècles à posséder cet unique et même corps frêle et long ne l’ont pas rendu plus facile à contrôler. En effet, la prêtresse n’est jamais vue à porter d’objet lourd ou à s'entraîner au combat. Même que ses mouvements -ses réactions !- sont d’un naturel lents, comme si les saisons n'avancent pas aussi vite pour elle que pour le commun des mortels. Cela dit, bien que ses compétences martiales soient moindres, elle range dans leurs bagages un carquois rempli de flèches ainsi qu’un arc au cas où elles doivent se défendre. Prévoyante, Hildegarde prend soin d’amener le matériel nécessaire pour que ni Allaattkasik ni elle ne meurt de froid ni de faim.

“Nous nous y rendrons grâce à Tulok et ses bêtes, en traîneau.” Explique-t’elle lentement en s’arrêtant devant la fillette de la pègre.

Allaatkasik lui arrive aux épaules et toutes deux, avec leur chevelure sombre et leur regard empli de mélancolie, partagent de nombreux points communs qu’elles ne tarderaient à découvrir. Lorsqu’elle s’adresse à son espionne favorite, Hildegarde ne prend pas un ton prétention, le ton des adultes qui parlent aux bambins. Elle traite Allaatkasik comme n’importe quel autre agent avec qui elle fait affaire. Si parfois elle semble maternelle, il s’agit souvent là de question d’une immortelle ayant peu d’empathie pour ceux ayant une longévité limitée : As-tu faim ? Quand as-tu besoin de dormir ? Es-tu suffisamment couverte contre le froid ? Les mortels ont la mémoire faillible et elle ne désire pas que leur courte vie s’éteigne aussi rapidement.

“Je pourrai repérer les créatures qui se trouvent dans la grotte pour que nous puissions les éviter et toi tu grimperas et iras aux endroits que je ne pourrai pas atteindre.” À ces mots, ses lèvres s’étirent légèrement.

Les enfants bougent énormément et ont en eux une agilité hors du commun. Souvent, Hildegarde avait vu des petits grimper sur les colonnes du temple ou se tenir en équilibre sur des murets qui, à la vu de n’importe quel terran bien dompté, sont bien trop dangereux. La prêtresse y grimperait aussi, mais son enveloppe charnelle lacunaire causerait davantage de dégât que de gain. Mieux vaut laisser quelqu’un de plus habile le faire à sa place ! La sylphide prend enfin place dans le traineau, le dos contre leurs provisions et s’installe confortable au creux de la laine et des fourrure qu’elle porte. Elle fait signe à Allaatkasik de la rejoindre, pointant la place devant elle pour qu’elle puisse s’y positionner à son tour. Devant le traineau, Tulok s’assure que ses chiens sont bien attachés et prêts à l’aventure qui les attend.

En cette froide matinée du mois de Fonclan, Allaatkasik revêtait son amauti, de fourrures toutes aussi blanches que la neige recouvrant la forêt, pour aller faire ses dévotions au temple de Kesha du village d'Upiq lorsqu'elle aperçu une ombre noire se faufiler entre les troncs des vénérables mélèzes. Le ciel était clair, lumineux et nul nuage ne venait entacher le bleu tranchant de l'azur. C'est en refermant la vieille porte en bois toute grise de sa masure, qu'elle remarqua cette présence. Elle la reconnue de suite et l'attendit, sans plus bouger, devant la porte. Les silhouettes noires et décharnées des conifères semblaient vouloir griffer le ciel. Dans cette nature figée, seul se faisait entendre le babillement flûté des Bruant des neiges recherchant leur pitance. L'ombre adressa un signe de main à Allaatkasik qui demeura immobile tout en affichant une mine contrariée. Si Sifdérik c'était déplacé jusqu'à elle si tôt le matin, c'est que le bureau du 'Silence' devait vouloir l'envoyer en mission. Lorsque l'homme fut en face d'elle, il lui afficha un large sourire de circonstance. Elle, resta muette, maussade et rouvrit la porte. Tous deux pénétrèrent dans l'unique pièce de la modeste demeure où un lit de braises rougeoyait dans l’âtre de la chemine. S’asseyant tous deux à l'unique table, sans plus d'ambages il lui exposa l'objet de sa visite et d'un ton grave, légèrement gêné lui exposa les faits.

-"Je sais que ce n'est pas le moment opportun pour une visite, mais je viens de recevoir une missive bien peu conventionnelle. En fait elle n'émane pas du bureau mais directement de l'Ordre de Kesha."

Il venait de piquer au vif sa curiosité et son agacement se mua en un intérêt manifeste. Ne sachant pas sourire, elle se contenta d'une légère moue. Remarquant cela, Sidérik en éprouva un certain soulagement et reprit.

-"Tu vas devoir rejoindre une certaine Hildegarde Cainhurst, prêtresse de Kesha à Hellas et l'accompagner pour une mission dangereuse, mais qui je sais devrait te plaire. Toi qui rêvait de voyager à travers toutes les contrées Cimmériennes, c'est dans le Désert de Glace que tu devras te rendre pour explorer les fameuses Grottes de Fellel."

Sûre de son effet, il n'eut pas à attendre pour voir les deux grands yeux sombres d'Allaatkasik s'agrandir, expectatifs. Ne jugeant pas opportun de la faire languir plus longtemps, il continua.

-"A ce que j'en sais, elle recherche un vieil artefact, l'Ocarina Chantelune. Tu te rappels des histoires à son propos que je te racontais lorsque tu étais petite ?"

Un masque terne de nostalgie se peignit sur son visage tandis qu'il regrettait déjà amèrement ses dernières paroles. Il en avait oublié à quel point ce genre de remarques pouvaient la portée au supplice, elle qui ne pourrait jamais plus grandir. Quelqu'un l'avait privée de sa vie, de son humanité, et de toutes les belles choses dont elle aurait pu profiter une fois adulte. Jamais elle ne connaîtrait la fougue des bras d'un premier amour, la joie d'élever des enfants et de vieillir aux cotés d'un homme aimant. Elle était condamnée à cette non-vie, condamné à ne voir le bonheur que chez les autres, au travers de la petite lucarne de sa misérable existence. Combien de fois l'avait-il repêchée, elle qui attendait désespérément la mort au bord du Lac Gelé ? Trop souvent. Et voici que lui aussi se trouvait submergé par un flots de souvenirs douloureux et éprouvants. Alors, comme à son habitude, faisant mine de rien, essayant de la distraire de son tourment, il prit un ton grave.

-"Bon... Bref... Cet artefact est très puissant ce qui implique aussi qu'il sera très dangereux de le récupérer. En plus de créatures malfaisante érant dans ces contrées si éloignées du regard des hommes, il sera sûrement protégé par de nombreux pièges plus vicieux et mortels les uns que les autres. Dame Chantelune était de loin une Ladrinis redoutable même sans son ocarina, à ce qu'on dit, et qu'elle aimait exercer son talent avec un style et une classe sans égale. Donc, ce sera une mission extrêmement périlleuse... Et je ne saurais trop te recommander la plus grande prudence. Ne laisse pas ta curiosité t'emporter vers la rivière de l'imprudence ou tu t'y noieras."

Après un bref silence, voyant qu'Allaatkasik ne semblait pas plus triste qu'à son habitude, le cœur plus léger, il lui donna ces dernières instructions:

-"Cette fois, Avanneq ne sera pas du voyage... Dame Cainhurst s'est occupée de votre moyen de transport à ce que l'on m'a dit..."

Comme il s'y attendait, cette nouvelle froissa singulièrement Allaatkasik qui ne se départissait jamais de sa fidèle jument, surtout dans ces contrées si inhospitalière. Alors qu'elle fixait Sifdrérik avec insistance, il put voir, sans aucune équivoque possible, un éclat de braise luire intensément dans ses deux grands yeux. Ce qu'il pouvait détester cela ! Un sentiment de malaise lui parcouru l'échine. L'ayant élevée pendant toute ses années, il n'en éprouvait plus aucune crainte, seulement il ne pouvait s'empêcher d'éprouver un irrépressible sentiment de malaise lorsqu'elle faisait cela. Jamais il ne pourrait s'y habituer. Et la voix moins assurée:

-"Bon, je sais... ça ne te plais pas... Mais les ordres sont les ordres, tu le sais bien. Une dernière chose, fait bien attention à l'ocarina en présence de la lune... Cette dernière aurait tendance à faire revenir le fantôme de Dame Chantelune à ce que l'on raconte. Cela fait partie de la légende, mais peut-être s'y cache t-il un fond de vérité. Donc, ne l'approche que si le soleil est au dessus de toi. Bien. Je dois te laisser. Surtout fait bien attention à toi ma petite princesse des neiges et reviens-moi vite !"

Ces dernières paroles prononcées, Sifdérik quitta la maisonnette de sa petite protégée et disparu dans les bois la laissant seule.

Allaatkasik adorait autant qu'elle détestait la noble cité d'Hellas. Ce n'était pas tant la cité en elle-même qui lui faisait éprouver un tel ressentiment, mais le voyage pour s'y rendre. Et surtout de devoir traverser le détroit du Lac Gelé qui la mènerait à Gaeaf. Encore une fois elle serait obligée de mettre les pieds dans un navire et cela la terrorisait. Elle se rappela de sa première traversée qui fut absolument abominable et depuis, se souvenir la taraudait à chaque traversée. Bien qu'il n'y est pas que cela... D'autres souvenirs, bien plus tristes et bien plus sombre la hantaient... Résignée sur son sort, elle fit donc son paquetage, ne prenant que le strict minimum avec elle. Elle ne pourrait porter que son sac à dos, Avanneq restant dans sa grange. Dans cette région désolée elle aurait besoin d'une corde, d'un grappin, de crochets pour ses bottes en phoque, d'un piolet et d'une lampe à huile accompagnée d'une flasque en métal. Mais ne sachant pas trop ce qu'elle allait découvrir en ces lieux oubliés des hommes, un nécessaire de crochetage et sa langue serpent lui parurent tout indiqué. Sans oublier ses sarbacanes avec plusieurs jeux d'aiguilles et deux petites fioles de poisons, l'une cachée dans le revers de sa botte et l'autre dans la poche de sa longue chemise de lin afin que le liquide ne gèle pas. Puis, elle prit son briquet d'amadou et le rangea dans la poche de son amauti. Prenant sa besace, elle y glissa quelques feuilles de palimpseste et quelques plumes. L'encrier irait rejoindre la fiole de poison, elle aussi. Un dernier petit passage au maquillage et elle serait fin prête. Satisfaite, bien que sont sac à dos lui pesait lourdement sur ses frêles épaules, elle referma la porte derrière et disparut à son tour dans la forêt.

Et comme à l'habitude, la traversée du détroit fut épouvantable. Assise dos au mat, serrant de toutes ses forces son sac à dos avec ses bras et ses jambes, elle pria ardemment Kesha. Le navire était à peine à quai que déjà elle se précipitait sur la terre ferme. Après avoir perdue lamentablement toute contenance devant les passagers, marin et dockers, elle reprit toute son assurance et jeta un regard plein de dédain alentour avant de se diriger vers l'auberge pour y prendre la malle-poste qui la conduirait à Hellas. Tout le long du trajets, elle ne put s'empêcher de penser avec nostalgie à sa fidèle jument. Même l'idée d'explorer l'endroit légendaire des Grottes de Fellel ne chassa pas son amertume. Et une fois arrivée à destination, c'est abattue et découragée qu'elle se rendit à la rencontre avec celle qui était la cause de son accablement.

C'est devant la prêtresse qu'elle oublia son chagrin. Élégante et de haute stature, car elle devait bien la dépasser de deux têtes, la femme lui réserva un accueil courtois. Lui expliquant le déroulement des opérations, Allaatkasik écoutait avec attention et déférence. Mais ses propos étaient si succins qu'elle se demanda si, soit la prêtresse connaissait les lieux et ses dangers et donc ne prenait pas la peine d'expliquer plus avant, soit elle ignorait tout et se préparait pour une ballade de santé. Quoi qu'il en soit, Allaatkasik n'était absolument pas rassurée à l'idée de partir sans avoir minutieusement établie une stratégie et fais un minimum le tour de la question. Mais que pouvait-elle bien y faire ? Se résigner encore fois. Et c'est une boule dans l'estomac qu'elle s'assit sur le traîneau, à coté d'Hildegarde Cainhurst.

/* Hou là là... J'espère qu'elle sait ce qu'elle fait, sinon on va finir dans une crevasse à mourir de froid... Perdues aux yeux de tous... Et ma pauvre jument qui va se retrouver seule... Franchement, je me voyais finir ainsi... */

Elle se détourna vers la prêtresse, posant ses deux grands yeux sombres, pleins de tristesse et d'incertitude sur elle. Et de sa voix douce et grave, avec beaucoup de déférence:

-"Veuillez m'excuser... Mais vous savez où se trouve au moins une des entrées des Grottes de Fellel ?"

Hildegarde suivit sa partenaire de voyage du regard jusqu’à ce que celle-ci soit installée. Elle battit des cils une fois, deux fois, jusqu’à ce qu’elle se sente assurée que Allaatkasik soit confortablement placée. Elle la couva de ses yeux bleus, maternels davantage qu’hautain et inclina la tête à la question de la jeune fille curieuse.

“Bien sûr !” S’exprima la prêtresse avant de prendre une inspiration et d’enchainer sur une explication plus longue, plus complète. “Depuis quelques années je m’informe auprès des voyageurs des plaines gelées, je m’enquéris de leurs histoires pour repérer les entrées de ces fameuses grottes.” Elle pausa brièvement, l’on pourrait presque deviner un soupir dans ce court silence. “Depuis de nombreux évènements ont secoué la géographie du désert de glace et ces entrées sont désormais bloquées mais…” Sur ce suspens, Hildegarde leva une main vers Tulok, l’homme attelé derrières elles qui conduirait le traîneau et s’occuperait des chiens tout au long de ce voyage. Interpelé, il baissa un air souriant en direction de la sylphide et de l’enfant. “Tulok, lui, en a repéré quelques unes et nous amènera à la plus près.”

Lorsque Hildegarde conclua son explication, le dresseur vint serrer les doigts de la prêtresse très rapidement, se voulant subtil. Il chercha à croiser le regard clair de la femme mais celle-ci ne s’en rendit point compte. L’éthérée, néanmoins, fit un signe désintéressé à Tulok pour lui signifier qu’elles étaient fin prêtes à partir. Sa voix, si grave qu’elle en fit vibrer le traineau, hua aux chiens de se mettre en ordre puis de décoller. Les grosses bêtes, dont le poil lisse et épais les rendaient bien plus énorme encore, étaient disposés en éventail : une formation plus sécuritaire sur les sols incertains et mystérieux du désert de glace, semblait-il. Consciente de la longue route qui s’annonçait devant elles, Hildegarde remonta une peau noire sur leurs jambes pour les garder au chaud.

“Si tu as besoin que nous nous arrêtions, dis-le.” Sa voix c’était élevée au-dessus du bruit du traîneau contre le sol tapé de Hellas. “Ou si tu as des questions, pose-les. J’y répondrai du mieux que je le peux.”

Dû à l’écharpe enroulée autour de son cou et recouvrant une partie de son visage, il était difficile de discerner un nouveau sourire. Néanmoins, ses yeux plissés permettaient de voir sa sincérité et l’importance du bien être qu’elle accordait à son accompagnatrice. Hildegarde éprouvait de la confiance face à cette escapable; son immortalité l’empêchait d’avoir peur, de craindre les dangers et la mort. Le froid du désert de glace ne pouvait être plus terrible que le froid n’importe où ailleurs dans Cimmeria, les monstres de la grotte de Fellel ne pouvaient être pires que ceux de la surface. Ces comparaisons, faites sur des centaines d’années de vie, permettaient à Hildegarde de vivre avec autant de passivité et si peu d’appréhension pour l’avenir.

“Que sais-tu de l’ocarina de Chantelune, Allaatkasik ?”

Allaatkasik portait toute son attention sur la prêtresse, suspendue à ses lèvres, inquiète. L'assurance montrée par Hildegarde par cette réponse simple et brève qu'elle lui donna, ne la rassura par pour autant. Mais une fois lancée dans le détail de ses explications, elle n'était point nonchalante comme Allaatkasik le pressentait. Bien au contraire, elle avait un plan ce qui eu pour effet de dissiper la plupart de ses craintes. De plus elle était au fait de certaines choses qui lui avait demandée une enquête minutieuse, une planification rigoureuse. Sans compter qu'elle s'y connaissait aussi en attelage de chiens et semblait posséder une bonne maîtrise de ce terrain particulièrement inhospitalier. Au fur et à mesure qu'Hildegarde lui parlait de la mission, sa confiance en la prêtresse s'accrut de façon significative tout autant que dans leur chance de réussite. Le dernier élément qu'elle lui donna et qui évapora définitivement ses doutes fût qu'elle connaissait plusieurs des entrées de ces grottes légendaires. Finalement, Hildegarde se révéla à ses yeux tout à fait professionnel, responsable et compétente. En fin de compte, elle sentie un sentiment de fierté l'envahir. Elle avait la chance de participer à cette aventure aux cotés d'une prêtresse de Kesha doublée d'une parfaite Cimmérienne ! Allaatkasik se sentie subitement bouffie d'orgueil...

/* WAOUH ! Quelle chance j'ai ! Quand je raconterai nos aventures à Sifdérik sera trop la classe ! Ça va dépoter du lourd ! J'imagine déjà ménestrels et troubadours chanter nos actes glorieux dans toutes les cours Cimmériennes ! */

Bref moment de lucidité.

/* hou là là... je m’emballe un peu là... En fait, personne n'en sera jamais rien... Pfuit... Jamais je ne pourrais être une héroïne Cimmérienne dont on raconte les hauts faits aux enfants à la nuit tombée... Parce que personne ne sera que j'ai un jour existé... Ma vie, ou du moins ce qu'il en reste, n'est faite que d'ombre et dans l'ombre je disparaîtrais... L'oubli comme seule demeure... */

Allaatkasik qui n'avait jusqu'à présent n'avait travaillée qu'en solo appréhendais de devoir travailler en équipe. De plus, devoir collaborer avec une personne bien plus haut placée dans la hiérarchie l'intimidait quelque peu. Fort probablement, le moindre de ses faits et gestes seraient notifiés et seraient portés à la connaissance du bureau du 'Silence'. Car finalement, elle ne savait rien de cette prêtresse, de son rand ou de sa fonction. Elle pouvait très bien faire partie des services de contre-renseignement... Elle aurait bien aimée lui poser une ou deux questions sur le sujet, mais cela serait considéré comme une faute grave méritant une lourde sanction et pire encore, elle se ferait mal voir par Hildegarde. Cette pensée lui était insupportable. Et elle préféra se taire. Par contre, elle remarqua que le comportement qu'elle avait eu à son égard qui fut distant mais courtois, somme toute professionnel et de circonstance, avait changé de manière significative. Hildegarde faisait montre d'une prévenance et d'une amabilité peu coutumière envers une subordonnée, ce qu'il l’intrigua profondément car elle n'en connaissait point la cause. Est-ce de la manipulation ? Ou bien était-ce un trait de caractère naturel chez elle ? Et bien qu'Allaatkasik restait quand même sur ses gardes, elle pencha en faveur du trait de caractère. C'était une prêtresse de Kesha après tout...

Perdue dans ses réflexions, ne sachant pas trop comment réagir à toutes ces attentions, elle resta muette comme à son habitude. Mais quand Hildegarde lui demanda ce qu'elle savait sur l'ocarina, Allaatkasik se sentie extrêmement gênée. Son seul savoir ne reposait que sur les légendes marmonnées d'ici de-là et quelques éléments qu'elle avait entendu parmi les Ladrinis, des chuchotement d’alcôves tout au plus. Mais des faits avérés, rien, du moins rien de tangible. Et c'est à peine si elle osa répondre. De sa voix grave et douce, teinté d'une imperceptible gène:

-"Je crois bien que vous en savez bien plus sur le sujet que moi... Je sais simplement que cet objet à appartenu à Dame Chantelune, une ancienne et légendaire Flandrins. A ce qu'on dit que la mélodie sortant de cet instrument à le pouvoir d'immobiliser ceux qui la perçoivent. Mais que ce pouvoir ne peut s'exercer qu'au clair de lune. Par contre, pour les même raisons, il vaut mieux éviter de s'approcher de cet objet la nuit. On dit aussi que le fantôme de Dame Chantelune protège toujours l'ocarina, objet d'un amour qui se perd aux fonds des âges. Il parait que l'amour serait capable de créer des liens qui transcendent la mort. A partir de là, son obtention sera périlleuse me semble t-il, nous pourrions peut-être même y rencontrer son fantôme. Enfin, ce n'est pas à espérer. Sans oublier que dans ces grottes résident de bien hostiles créatures... Voilà tout ce que je sais..."

Elle se tu et se mit à fixer l'azur du ciel. Pas un nuage ne venait troubler l'océan tranquille au dessus de leurs tête. Le traineau fillait à bonne allure dans la neige.

-"J'ai déjà eu l'occasion de chevaucher à travers ce magnifique Désert de Glace avec ma fidèle monture Avanneq et j'avoue que j'avais toujours gardée l'idée de l'explorer un jour... Kesha vient de m'exaucer et je l'en remercie du fond de mon cœur. Avec le traîneau, nous mettrons approximativement combien de jours pour y arriver ? une vingtaine tout au plus ? Et à tout hasard posséderiez-vous un plan même sommaire de ce labyrinthe ? D'un autre coté, j'aurais de quoi en établir un sur place, même sommaire... Sinon, vous savez quel genre de créatures nous pourrions rencontrer ?"

Puis tournant son regard vers l'horizon blanc, presque pour elle-même:

-"D'ailleurs utiliser un traîneau est de loin le moyen le plus prudent pour arpenter ces glaces..."

Puis relevant la tête vers la prêtresse, elle posa sur elle ses grands yeux noirs, tristes et doux. Puis dans un murmure incertain et plein d'anxiété:

-"Y a t-il jamais eu de prêtresse de Kesha qui soit issue de la race des Gorgoroths ?"

Hildegarde fut ravie que sa jeune partenaire en sache autant sur l’objet qu’elles allaient chercher. Un hochement de tête contrôlé vint approuver ses dires. La prêtresse avait tourné et retourné la question dans sa tête de nombreuses fois au cours des dernières années et échoua à obtenir une réponse satisfaisante à celle-ci : Comment le clair de lune pouvait-il atteindre l’ocarina perdu dans le creux des grottes de Fellel ? Sois la légende avait été faussée au fil des années -très plausible vu la capacité des mortels à constamment exagérer leurs propos- ou soit une ouverture se trouvait dans la même partie de la grotte que l’objet de Chantelune. Hildegarde gardait ces deux possibilités en tête mais soufflait à Kesha qu’elle souhaitait que la seconde hypothèse soit la bonne.

Lorsque le traîneau quitta les quartiers sombres d’Hellas, Tulok hua à ses bêtes une commande et ceux-ci accélérèrent leur course, enfin lire des contraintes que leur imposaient les rues et les autres passants. Bien qu’une fine couche de neige légère recouvrait le chemin qu’ils empruntaient, la voie était bien tapée et il était encore facile de s’y aventurer sans fracas. Quand s’exprimait Allatkasik, la prêtresse de cimmeria l’écoutait, attentive, passive. Cette fois-ci, elle n’eut pas de réponse à donner à l’enfant. Le temps était, Hildegarde, une notion floue et peu importante. Heureusement, elles étaient accompagnées d’un homme dont la fonctione même l’obligeait à connaître ce genre de détails.

“À vraie dire, ma chère, pour ce qui est question du temps il nous faudra demander à Tulok. Je ne possède pas non plus de plan à jour, mais si en dessiner un fait partie de tes talents, tu es la bienvenue pour le réaliser. Quant aux créatures… Rien d’aussi extraordinaire qu’un colosse j’en suis certaine ! Je crois que nous pourrions rencontrer des ours, même des chauve-souris près des entrées mais plus en profondeur il fera plus chaud et bien plus sombre, je ne suis pas certaine de ce que nous y trouveront. Néanmoins, il s’agit de grottes, alors je pense que les créatures les dangereuses seront les plus petites.”

Son sourire laissa sous-entendre que malgré les mystères des grottes de Fellel, elle n’était pas inquiète. La vie était bâtie sur les imprévus et sur l’inconnu qu’il fallait escalader, surmonter. Tout problème possédait sa solution et celle-ci se révèlerait en temps et lieu. Hildegarde se douta que cette réponse ne saurait satisfaire la curieuse enfant mais, hélas, elle préférait partager avec sincérité son manque de connaissance des dangers qui pouvaient roder dans la grotte plutôt que de mentir pour la rassurer.

Les tristes yeux d’Allaatkasik revinrent vers elle à nouveau. Hildegarde crut y lire une certaine crainte, semblable à celle des jeunes filles qui ne se croyaient pas tout à fait sauves au temple de Kesha. La prêtresse garda son voile avenant, l’air doucereux des prêtresses de Cimmeria. À la regarder plus longuement, l’éthérée semblait presque amusée, tel un adulte devant garder son sérieux face à la question farfelue de son enfant.

“Et pourquoi pas ? Une gorgoroth est-elle moins douce qu’une terrane ? Moins compétente qu’une sylphide ? À Cimmeria, l’ordre des prêtresses de Kesha est très hétéroclite. Il n’y a aucune raison qu’une gorgoroth qui partage nos ambitions et souhaite devenir notre soeur ne puisse pas nous rejoindre.”

Les derniers propos de la prêtresse eurent un effet apaisant sur l'esprit tourmenté d'Allaatkasik, comme si une possible rédemption s'ouvrait à son cœur desséché. Bien qu'elle ne puisse envisager d'embrasser le sacerdoce, cela aurait été indécent de nourrir de telles pensées, la grande mansuétude dont faisait preuve Hildegarde et généralement les prêtresses de Kesha, adoucit quelque peu l'amertume de ses turpitudes et contre toute attente, lui redonna aussi confiance dans le succès de leur mission. Certes, Hildegarde ne semblait pas au fait des dangers potentiels qui se cachaient profondément sous les glaces, mais la hardiesse de sa compagne était contagieuse. Après tout, en l'absence de stratégie, mieux valait improviser arrivé sur place. Loin de ses habituels préparatifs minutieusement planifiés, Allaatkasik s'en remit pleinement à Hildegarde et au destin. Fixant en silence l'horizon, elle plissa ses deux grands yeux d'un sombre grenat tant la lumière se réverbérant sur la neige du paysage était intense puis elle laissa, comme bien souvent, son esprit se perdre sur le fil décousu de ses pensées. Lorsque lui revint en mémoire les longues heures partagées avec Sifdérik à l'étude des cartes du continent. La région dont elle avait appris le plus de chose et qui l'avait véritablement passionnée, était la géographie cimmérienne. Et dans sa tête, elle traçait déjà un parcours imaginaire, celui qui serait le plus rapide pour arriver à leur destination. Alors, elle détourna le tête vers Hildegarde et de sa voix douce mais pleine d'assurance:

-"Heu... Si je ne me trompe pas et que nous prenions la direction du sud-ouest en longeant la foret mitoyenne du labyrinthe de Faléra nous devrions déboucher non loin de l'étang de Durcal et une centaine de kilomètre plus à l'ouest se trouve le Désert de Glace... Ce qui place notre objectif à plus ou moins sept cents kilomètres... Donc, d'ici une dizaine de jours nous devrions arriver à destination. Mais peut-être avez-vous prévu de prendre un autre itinéraire..."

Haut dans l'azur d'acier, un vol indolent de bécassins à long bec passait indifférent aux affres des gens de ce bas-monde. Elle appréciait silencieusement ces vastes contrées recouvertes de neige et de glace sans plus penser aux dangers qui les attendaient dans le lointain désert de glace. Au prise avec une tristesse doucereuse, elle ne s’aperçut que bien tardivement des changements de luminosités se réfléchissants sur le paysage enneigé. La lumière était devenue plus pâle et les rayons solaires se faisaient rasants. D'ici peu de temps l'obscurité s'installerait et l'astre diurne ferait place aux étoiles. D'ailleurs Tulok ne tarda pas à arrêter l'équipage, il était tant de se préparer pour la nuit à venir. Déjà l'on pouvait entendre les hurlements des loups dans le lointain et le hululement du harfang des neiges, portés par un vent indécis, soufflant du nord-est. Bien que cela ne lui fut pas nécessaire, elle pensa qu'il serait agréable à Hildegarde ainsi qu'à son guide de se réunir autour d'un feu de camps. Alors, à peine descendue de l'attelage, elle parcourut rapidement la lande alentour afin de trouver un peu de bois sec. Et c'est quelques dizaines de minutes plus tard, elle revint les bras chargés de petit bois et de branchages d'arbrisseaux qu'elle posa au sol. Ensuite, avec ses mains, elle déblaya la neige sur un petit périmètre jusqu'au sol gelé et y plaça sa glanerie. Sortant de sa besace son briquet d'amadou, il ne lui fallut que quelques minutes pour que le feu prit et qu'ils puissent s'y réchauffer s'ils le désiraient. Il ne lui resta plus qu'à prendre son sac à dos, qui lui servirait d'oreiller par la suite, et d'en sortir quelques lanières de viandes séchée. Avec un ton plein de diligence et toujours de cette même voix grave et douce, presque à demi effacée:

-"Heu... Si vous le voulez, je serai heureuse de partager avec vous ce narval..."

C'est dans ce paysage paraissant tout aussi austère qu'hostile, figé dans un froid où résonnaient d'inquiétants bruits, qu'Allaatkasik se sentait enfin à sa place.