Reconstruire Amaryl [Mission]

Amaryl, Gléno 1302.
À 1580 km de Vanes.

La saison morte était là, ses vents violents et ses nuages aussi. Une ciel sombre régnait au-dessus de la cité maudite et donnait parfois aux lieux un aspect inquiétant comme si les Dix étaient tout près de déverser une nouvelle catastrophe sur les habitants qui osaient tenter de vivre paisiblement ici bas. Pour Pandora, ce temps maussade était une bénédiction. Les soleils étaient ses ennemis et les nuages ses alliés, le temps gris lui permettait de sortir un peu de sa tanière le jour sans que ses yeux ne brulent sur le sable brulant. Son ombrelle ne pouvait évidemment pas quitter son côté mais elle pouvait se déplacer un peu plus librement et profiter de la ville et de sa vivacité. Les éclaris peuplaient en grande partie la cité mais il y avait aussi quelques habitants plus communs, ils étaient encore peu à vraiment s'installer ici. La malédiction qui pesait sur la cité était historique et sans doute plus ancré dans les esprits que dans la réalité. Pandora, la toute jeune fille condamnée à cet enfer de sable et de chaleur, n'aurait jamais imaginé vivre ici si elle on lui en avait laissé le choix. Pourquoi s'installer dans un pareil endroit alors que les plaines éridaniennes étaient si douces et paisibles. Le temps n'avait rien de clément en Argyrei, il faisait toujours une chaleur étouffante ou un froid terrible, il n'y pleuvait que sous la forme de tempêtes indomptables et si ces dernières étaient rares, les tempêtes de sables, non moins terribles, étaient-elles monnaie courrante.

Cela faisait maintenant trois mois que l'adolescente aux cheveux roses était coincée ici et si elle suivait avec assiduité ses cours, rejoignant l'académie de Luminéa, elle n'avait apparemment pas décidé de se défaire du rose qui marquait sa rebellion et sa condamnation. La saison morte, c'était normalement la période à laquelle elle devait rentrer à Vanes, si elle avait été assez sage pour satisfaire sa mère. Elle savait aujourd'hui que ce ne serait pas le cas, mieux encore, elle n'avait pas envie de rentrer.

Ce monde de sable et de chaleur exténuante était un enfer pour une enfant aussi fragile et délicate, une fournaise dont l'albinos tirait des brulures et toutes sortes de douleurs qui lui étaient jusqu'alors parfaitement inconnues. Un monde apocalyptique peuplé d'énergumène de peu d'éducation avec lesquels elle peinait parfois à communiquer et souvent qu'elle ne comprenait pas. Pourtant, il y avait du bon dans toutes ces difficultés, l'adolescente commençait à le comprendre sans en saisir encore toute l'importance. Aujourd'hui, ses professeurs lui avaient conseillé de s'investir dans la reconstruction de la ville. Ils avaient rapidement détecté le haut potentiel de l'enfant, ayant bénéficier toute sa vie d'une éducation riche et intense, la jeune Vanes avait de nombreuses connaissances et un esprit assez vif et habile pour lier ces savoirs. Une enfant intelligente qui pouvait parfois se montrer incisive si son professeur n'était pas assez pointu à son goût. Une jeune fille de bonne famille en somme, dont le potentiel était largement gâché par sa haute opinion d'elle-même. Les éclaris d'Amaryl n'en était pas à leur première tête noble qui se pensait plus savante qu'eux, ils savaient parfaitement traité ce genre de cas et la cité leur offrait un terrain particulière adéquat pour cet exercice de modestie.

- Que dois-je faire exactement ?

La question est un peu crue dans la bouche de la jeune fille alors que les quelques passants lui jettent un regard entre curiosité et expectative. Il fallait bien avouer que dans sa robe heldarine, long pan de tissu aux manches longues, elle faisait office tout autant office de touriste que d'excentricité exotique. La servante qui tenait l'ombrelle au-dessus de la tête de sa jeune maîtresse hochait négativement de la tête, n'ayant aucune information complémentaire à lui fournir que les explications déjà données.

- Vos professeurs souhaitent que vous analysiez l'architecture de la ville pour aider à sa reconstruction. Il semble y avoir déjà une équipe sur ce projet, peut-être devrions-nous aller à leur rencontre ?

La proposition est timide, il n'est pas de l'ordre de la servante de prendre des décisions même si l'absence de la gouvernante faisait d'elle l'adulte responsable de la petite princesse rebelle. Pandora acquiesce cependant sans chercher à déstabiliser sa domestique pour cette initiative, elle a bien vu le petit groupe à quelques mètres, qui s'affairait autour d'une maison qui menaçait de s'effondrer. Ils étaient entrain de se disputer sur la disposition des poutres de soutiens lorsque la jeune demoiselle arriva à leur portée. Sans s'arrêter à leur hauteur, l'enfant s'approcha directement du mur, coupant dans leur élan les deux zélos qui portaient difficilement la lourde poutre qu'ils pensaient caler contre le mur nord. Après une brève inspection, Pandora se détourna et sans concession adressa un regard déjà plein de critiques à l'adresse des deux ingénieurs qui relevaient à peine le nez de leurs plans.

- On peut savoir ce que vous fichez ici ? C'est pas un terrain de jeu pour les enfants.

Le visage placide de la demoiselle semble les fusiller du regard avant que ses lèvres roses mais assassinent ne s'ouvrent sur une réponse cinglante.

- À en juger par la stabilité précaire de l'édifice, j’eus pourtant cru qu'il s'agissait du travail d'un enfant.

La voix est juvénile, fraiche et cristalline autant que les mots sont durs et blessants. Le visage angélique d'une peste de haut rang toise les ingénieurs alors que dans son dos, les deux zélos transpirent à porter une poutre qu'ils ne savent plus où mettre. Ils hésitent en regardant les visages rougit par la colère des deux éclaris et l'allure assurée de l'adolescente qui capte l'indécision des deux porteurs.

- Si vous ajoutez un renfort de cette masse à cet endroit, le tout s'effondrera.

- Pour qui tu te prends gamine, décampe d'ici !

La joute verbale ne semblait pas fini et la susnommée "Gamine" n'allait certainement pas se laisser parler ainsi par deux rustres incapables. Elle ouvrait la bouche pour répondre à sa manière quand un bruit sourd se fit entendre juste derrière elle. Les deux zélos, essouflés, avait posé la lourde poutre par terre, en attendant d'avoir des instructions claires. La décision semblait sage jusqu'à ce qu'un autre bruit suive la vibration provoquée, la lézarde qui parcourait le mur endomagé se craquela de toute part une demi-seconde avant que le mur ne rende définitivement l'âme et ne s'effondre sur tous les imprudents qui pourraient être restés à son pied..

Amaryl, Gléno 1302.
À 1580 km de Vanes.

La poussière retombait lentement, créant un nuage opaque dans lequel on percevait à peine les silhouettes des deux zélos. Une toux distinguée quittait les poumons de l'adolescente aux cheveux roses qui s'empressait d'épousseter sa tenue du sable et de la poussière comme si rien n'était arrivé. Dans son dos, à moins d'un mètre, le mur s'était effondré avec fracas. Les deux zélos se regardaient avec étonnement, ils auraient tous du se retrouver sous les gravas. La raison de ce petit miracle se tenait au côté de la petite princesse, l'aidant à se dépoussiérer sans dire un mot, comme si elle était gênée d'avoir pu salir sa jeune maîtresse, quand bien même elle venait de la sauver d'un péril bien plus grand.

- Vous voyez ! Avec vos inepties nous voilà dans un état pitoyable.

L'adolescente avait posé les mains sur ses hanches et alors que sa servante et protectrice époussetait le bas de sa robe, Pandora elle, invectivait les deux ingénieurs encore choqués et déboussolés.

- Si vous m'aviez tout de suite écouté, nous n'en serions pas là messieurs. Vous voilà bon pour tout reconstruire. En faisant preuve de plus de jugeote, c'est à espérer.

Les deux hommes commençaient à se ressaisir mais estomaqués par l’aplomb et le comportement de la demoiselle, ils restaient muets. Avant qu'ils n'aient pu retrouver les mots pour décrire leur incrédulité et leur colère, une femme ferait son apparition dans le nuage de poussière. Une belle jeune femme dont les oreilles pointues apparaissaient au travers de sa chevelure blonde. La sindarine s'inquiétait des personnes potentiellement prises au piège des décombres, Pandora haussa un sourcil, se rendant compte qu'elle ne s'était pas posé la question. Se retournant rapidement, elle découvrit que les zélos étaient bien debout et que le mur s'était effondré à ses pieds.. Littéralement, à ses pieds.

Elle ne se souvenait pas bien où exactement elle se trouvait avant l'effondrement mais il lui semblait soudain qu'elle aurait du être plus proche et donc, sous les décombre. Les zélos semblaient agars, perdus mais bien contents d'être en un seul morceau, alors son regard rose se tourna vers le visage soucieux de sa servante. Une femme qui s'affairait plus que de raison à déblayer les gravas autour de sa jeune maîtresse et qui semblait soudainement très suspecte aux yeux de Pandora. Elle verrait cela plus tard.

- Vous tombez bien madame, peut-être que ces énergumènes entendrons raison si c'est une personne de votre peuple qui s'exprime. Pourriez-vous donc dire à ces manants qu'avant de se lancer dans un projet de consolidation il leur faudrait déjà étudier l'existant ?

Pandora avait une bonne opinion des sindarins, ils avaient la haute réputation d'être sages, notamment parce qu'ils vivaient bien plus longtemps que les terrans. Alors, si les ingénieurs n'entendaient pas ce qu'elle avait a dire parce qu'elle était plus jeune qu'eux, peut-être respecteraient-ils ce que dirait une sindarine très certainement plus âgée. Pandora connaissait la croissance des sindarins et comme la femme était une adulte, même si elle paraissait encore jeune, elle devait au moins avoir cent ans. En tout cas selon ses calculs rapides et très approximatifs.

Amaryl, Gléno 1302.
À 1580 km de Vanes.

La demoiselle aux cheveux roses croise les bras en toisant du haut de son mètre cinquante et de son hautaine adolescence, les visages blêmis par la poussière de plâtre des ingénieurs. Le premier, furieux, invectivait la jeune demoiselle qui restait fièrement campée sur ses positions, le menton haut et l'air mauvais, il s'égosillait en vain face à la statue de suffisance qu'était devenue la petite lionne. Il finit par partir, laissant au soin de son comparse les excuses et la modération, plus sage et mesurée. Une attitude plus humble qui satisfait Pandora, adoucissant légèrement sa posture et atténuant l'air hautain de ses traits délicats. La sindarine, d'accord avec la jeune Vanes, se présente enfin à la jeune fille qui hausse un sourcil surpris. Que faisait donc l'héritière de Ditham dans pareil endroit infernal ? Se pourrait-il, qu'elle aussi, soit punie ?

Si Pandora n'avait jamais rencontré la sindarine, on lui avait déjà dépeint un portrait assez détaillé de sa personne. La jeune Vanes se devait de connaître tous les noms d'importances en ce monde, d'autant plus ceux qui relevaient d'Eridania. Sa mère, la duchesse de Vanes, portait une attention particulière à ce pan de son éducation et elle ne faisait guère l'éloge du comté de Ditham. Si elle n'avait que des mots assez fades pour la lignée des Thyssen, la duchesse n'appréciait rien de la "prétendue héritière". Pandora avait rapidement compris que sa mère ne tolérait qu'en de rares occasions l'insertion de représentants d'autres races parmi la noblesse éridanienne, et la jeune sindarine aux boucles blondes ne faisait pas partie de ces exceptions. Pandora sembla hésité un instant sur la façon dont elle s'adresserait à la dame, si elle voulait retrouver les grâces de sa mère, elle ferait mieux de renvoyer paitre l'héritière de Ditham, avec classe et dédain.

- Je suis enchantée de faire votre connaissance Dame Thyssen, je suis Pandora Vanes, fille de Charles Vanes, duc de Vanes.

Une révérence discrète et un sourire affable aux lèvres, la jeune demoiselle est la politesse et l'élégance incarnée. Loin de renvoyer la fille des Thyssen ou de s'en détourner, Pandora décide, une fois de plus, de se rebeller contre l'emprise de sa mère et ses opinions. Elle acquiesce à la proposition de la sindarine mais, avant de la rejoindre à l'ombre, elle qui était déjà protégée sous l'ombrelle que tenait sa servante au-dessus de son pâle visage maintenant que le soleil perçait les nuages gris, Pandora se dirigea vers l'ingénieur. Elle tendit la main vers lui, attendant qu'il lui remette les plans.

- Laissez donc vos plans, je prends personnellement en charge ce chantier, avec l'aide de Dame Thyssen. Dites à l'Intendant que si il veut faire des remontrances, qu'il vienne juger lui-même.

Il était évident que l'adolescente se prenait déjà pour une adulte et pas de la moindre importance mais sa vanité allait de paire avec une assurance charismatique. Elle se tournait déjà vers les deux zélos affectés au chantier et qui se demandaient sans doute à présent quoi faire.

- Prenez quinze minutes de pause, dépoussiérez-vous et hydratez-vous, avec de l'eau seulement. Vous aurez du travail pour la journée.

La voilà qui tournait les talons à présent, ses instructions données avec calme et précision, elle s'en allait rejoindre la sindarine à l'ombre.

- Vous disiez avoir étudié les plans, quelle est votre analyse ?

Pandora remarqua alors pour la première fois le petit animal qui se collait à la jambe de ce qui était certainement sa maîtresse, un jeune chien qui semblait craintif. Les prunelles parme ne s'attardèrent par sur la bête, Pandora n'avait pas le droit d'avoir d'animal de compagnie, sa mère jugeant que c'était une bien piètre façon de s'entourer. La jeune demoiselle avait, elle, toujours ardemment désiré avoir un compagnon animal pour égailler son enfance bien solitaire, un désir inassouvi qu'elle avait du enterrer profondément avec les années. Elle ne s'intéressa donc pas à l'animal et se concentra sur la réponse de la sindarine, curieuse de juger de l'étendue des connaissances de l'héritière de Ditham.