Challenge hasardeux - PV Kelsier

La route depuis Nuvuya en Cimmeria avait été longue. Kelsier arrivait enfin à Mavro. Cela faisait longtemps qu'il n'était pas retourné en Phelgra. 8 ans pour être exact, depuis la mort de son père adoptif. Il n'avait rien de particulier à faire et avait donc décidé d'exorciser ses démons intérieurs. Il était grand temps de refermer cette vielle cicatrice. Il aurait dû y retourner un jour de toute façon et il valait mieux que la première fois se passe en dehors d'une mission. En effet, il ne voulait pas se laisser perturber par ses émotions. Cela pourrait être une cause d'échec. Il ne voulait pas aller trop vite en besogne non plus et ne s'était pas rendu dans son village. Mavro Limani n'en était pas très éloigné mais, de toute façon, il fallait bien qu'il aille quelque part.

Le jeune homme arpentait les rues à la recherche d'une taverne, un endroit où il pourrait boire un coup et potentiellement dormir. Il tenait la longe de Fae qui marchait tranquillement derrière lui, Zéro posé sur sa tête. Quelques passants dévisageaient le Nérozia du coin de l'oeil. Agacé par cela, il finit par remonter son capuchon sur sa tête. Cela ne changea pas grand chose mais, au moins, il ne les voyait plus. Il avait hâte de pouvoir boire une bière et se détendre. Il commençait à être à cran. Entre la route qui avait été longue et le haut le cœur que lui provoquait le retour en Phelgra, il avait bien besoin de cela.

L'heure commençait à tourner et la journée touchait à sa fin. Le soleil commençait à se faire la malle et la bonne humeur de Kelsier l'avait précédé. Il commençait à bougonner tout seul en marchant. Qu'est-ce qui lui avait pris de venir ici? Les gens n'étaient pas agréables. Et puis, c'était moche. De toute façon, il y avait plein d'autres endroits où aller. Il repartirait sûrement dès le lendemain mais, il était bien déterminé à se saouler avant cela. Il arriva finalement devant un bar qui s'appelait l'Octo. Il commença à se diriger vers l'entrée et attacha Fae devant lorsqu'il entendit une voix d'homme bourré derrière lui. Le genre de type qui a déjà bu bien plus d'un verre et qui tangue plus qu'un bateau dans la tempête.

"Hé l'étranger, qu'est que ce tu viens faire par dans le coin? Je t'y connais pas moi et je sais bien que les étrangers ça toujours boire notre rhum. J'aime pas trop ça qu'ça boiv' not'rhum moi!"

Pas de chance pour le poivrot, Kelsier était de mauvais poil et il ne lui en fallut pas plus pour envoyer un violent coup de poing en pleine face de l'homme qui s'effondra. Hélas, il n'était pas seul et ses camarades se ruèrent sur le jeune homme. Il aurait largement pu se débarrasser d'eux tous à l'aide de ses lames mais, aussi énervé qu'il soit, il n'avait nullement l'intention de tuer de simples ivrognes. Il développa donc son agilité à l'aide de la magie pour esquiver les coups et en distribuer quelques uns. L'un des hommes était plus assoiffé qu'animé par l'envie de se battre et n'avait pas posé son verre qui éclata lorsque Kel le frappa. Le jeune homme glissa un vieux "Désolé!" sur un ton narquois avant de retourner distribuer des coups. Son agilité développée lui permettait d'esquiver facilement et de riposter un temps mais, le nombre d'adversaires et leur manque complet de cohérence dans leur mouvement finit par avoir raison du vagabond. Un des comparses avait réussi à l'attraper, l'immobilisant ainsi et permettant à l'homme au verre brisé de lui planter un tesson dans l'épaule. Merde, ça faisait mal! Enfin, pas le temps de se lamenter, Kelsier se dégagea de l'emprise de l'homme en mettant un coup de tête en arrière puis, arracha le bout de verre de son bras droit. Il le projeta en direction du visage de son agresseur mais, le loupa de peu, l'éraflant seulement à la joue. Il sourit. Après tout, il ne voulait pas lui infliger de blessure grave. D'ailleurs, à ce sujet, le type avait dû bouger le verre au moment où il l'avait planté car ça saignait pas mal. Face à un tel nombre, il allait avoir du mal à s'en tirer avec un bras en moins. Par chance, un coup qu'il avait esquivé avait atteint une autre cible, provoquant un certain chaos dans l'émeute. Les coups n'étaient plus concentrés sur lui mais, fusaient de manière aléatoire. Ils semblaient tous avoir oublié la raison de la bagarre et le Nérozia cherchait désormais à s'en extirper.

La bagarre initiée par Kelsier avait pris une allure de chaos total. Plus personne ne semblait se souvenir de pourquoi il se battait, ce qui arrangeait bien le jeune homme qui n'avait désormais plus qu'à esquiver un coup de temps en temps. Toutefois, le combat était trop dense pour qu'il puisse s'en extirper. Il essayait en vain de se frayer un chemin entre les poivrots se fracassant la face à grand coup de mandale mais, avec un seul bras, il aurait du mal à faire bouger ces types qui faisaient pour la plupart, deux fois son gabarit. Par chance, la voix d'une femme résonna et il n'en fallut pas plus pour que le conflit cesse immédiatement. Les locaux devaient bien la connaître pour qu'elle produise un tel effet et pour cause, elle était la tenancière du rade devant lequel ils avaient semé la discorde. Décidément, le retour en Phelgra commençait de façon mouvementée... Bah au fond, il venait de gagner une bière gratuite. Il devrait peut-être se battre plus souvent. Quoiqu'il avait quand même dû sacrifier un tympan dans l'histoire. Avant de rentrer, il dit:

"J'vais pas m'battre à nouveau. Tu frappes un imbécile et en v'là dix qui te tombent d'ssus... En tout cas merci pour la bière, c'est ce qui m'a amené ici. "

Le jeune homme mâchait un peu ses mots. C'était le fait de passer son temps sur les routes qui lui avait donné cet accent. Enfin, c'était plus un mélange de tous les accents qu'il avait croisé. Ou peut-être était-ce qu'il essayait de ne pas avoir d'accent parmi tous ceux qu'il avait entendu. Bah, il en savait rien. C'était son accent en tout cas. Il parlait en bouffant certaines syllabes. Parfois, les gens le comprenaient pas alors, il essayait de faire un effort. Tant qu'il n'était pas bourré, il restait accessible à la plupart, du moins tant qu'eux non plus n'étaient pas saouls.

Kelsier passa alors la porte de l'Octo et alla s'installer à proximité du bar, là où il y avait le moins de monde. Déjà qu'il n'était pas du genre à se mélanger directement, vu qu'il venait de se battre avec eux, il préféra garder une certaine distance pour l'instant. Toutefois, la plupart ayant oublié pourquoi ils se battaient, ils semblaient tous plus concentrés sur l'attente de leur bière que sur le vagabond.

La patronne s'alluma un cigare et, envoyant promener un type qui essayait de profiter de la tournée, elle demanda à Kelsier s'il voulait une bière. Il répondit en souriant:

"J'crois qu'ça f'ra du bien bien pour sque j'ai. Rin de bin méchant mais, ça saigne un peu. T'en fais pas pour ça, je dois avoir du tissu dans ma besace, j'vais te bander ça en deux s'condes. J'vais pas tâcher l'endroit. J'suis pas en sucre alors ça va aller. C'est qu'ça fait mal su' le coup mais, c'est pas méchant."

Ajoutant le geste à la parole, Kelsier ouvrit son sac et se mit à fouiller. Sinon, il avait dans son barda dehors, accrocher avec Fae, la tenue de soirée cimmérienne sur laquelle il aurait pu arracher un morceau. Bah, il trouva un foulard noir au fond de sa besace, pas besoin de ressortir. Et puis, le costume lui resservirait peut-être un jour. Mieux valait ne pas l’abîmer. Il releva sa manche et commença à passer le vieux bout de tissu sur la plaie. Toutefois, à une main, c'était pas évident. En plus, même s'il était ambidextre lorsqu'il s'agissait de manier les armes, il était droitier avant toute chose. Autant dire que panser sa plaie avec sa mauvaise main, c'était galère. Le type aurait au moins pu viser le bras gauche. Bon en même temps, le Nérozia n'aurait peut-être pas dû exploser son verre. Il se serait sûrement énervé lui aussi si on lui avait versé sa bière par terre.

Voilà que la patronne engueulait Kelsier sur sa façon de soigner sa plaie. Comme s'il avait toujours de quoi nettoyer après une bataille. Certes, pour le coup, il était dans une taverne et il aurait pu demander mais, l'habitude avait pris le dessus. Il répondit alors:

"Désolé m'dame, c'est une question d'habitude. Vous savez, généralement, c'est pas en ville que j'me castagne et j'ai reçu plus de coups de lames et de flèches que de tessons de bouteille. Je vais pas m'affoler pour si peu et je fais avec ce que j'ai. Puis, il est pas si sale que ça, je l'ai nettoyé depuis la dernière fois que j'ai pansé une plaie avec. Y a même plus une tâche de sang."

C'était vrai. Enfin presque. Il restait une petite tâche minuscule qui n'avait pas voulu partir. Bon, pour le reste la femme avait sans doute raison, la besace de Kelsier était toute poussiéreuse avec tout ce temps passé sur les routes. Enfin, il n'allait pas agiter son tissu dans le bar comme ça, ce n'était pas très respectueux selon lui. Bon ok, il aurait pu se bander le bras avant de rentrer mais, sur le coup, ça lui était sorti de la tête. Bien qu'il écoutait la patronne, il continuait d'essayer de s'attacher son linge autour de la plaie, tenant un bout avec les dents et l'autre de sa main gauche. Elle lui dit alors de le suivre, soulignant le fait qu'il n'était pas d'ici, ce qui l'agaça. Sans lâcher son linge, il répondit:

"Qu'est cha peut faire ch'ois pas d'ichi? Tu dis que j'ai pas la gueule à vivre ici mais, figure toi que c'est pourtant là que j'ai grandi. Certes, ça faisait huit ans que j'y avais pas remis les pieds mais, je suis né avec cette gueule. De toute façon, où que j'aille on me traite comme un étranger. Ici, là où j'ai grandi ou quand je vais en Cimméria. Y a que cette taverne miteuse à Hesperia où on me dit pas que ça se voit que je suis pas d'ici. Y a bien que là bas qu'on me les brise pas avec ça. Oh, vous fâchez pas, c'est pas contre vous hein! C'est juste que cette phrase, je l'entends tout le temps. Non je suis pas d'ici. Je voyage. Bon, vous avez raison, allons soigner cette plaie, ça ne fera pas de mal."

Kelsier avait retiré le linge de sa bouche dès sa deuxième phrase. Pas parce qu'il renonçait mais, c'était quand même plus pratique pour parler. Il ne s'énervait pas vraiment sur son interlocutrice mais, c'était son ras le bol qui ressortait. Lorsqu'il avait parlé d'Hesperia, ce n'était pas exact non plus. Ce n'était pas un mensonge mais, cela faisait depuis son départ de Phelgra qu'il passait régulièrement dans cette taverne alors les gens s'étaient habitués à lui. Bon, aucun ne lui parlait vraiment ou plutôt c'était lui qui ne leur parlait pas vraiment. Il s'asseyait toujours à la même table et lorsqu'elle était prise, il attendait qu'elle se libère. Il espérait un jour y retrouver Gawell. Bah, c'était un vagabond comme lui et il n'y retournerait peut-être jamais. Il ne savait même pas s'il était vivant ou non. Mais, Kelsier aimait beaucoup cette taverne miteuse, il y avait ses marques. Et il y avait cette serveuse qui était contente à chaque fois qu'elle le voyait. Cela faisait tout de même du bien de trouver quelqu'un qui l'appréciait tel qu'il était.

Il emboîta le pas à la gérante et tout en marchant, continuait d'essayer d'attacher son bandage avec les dents malgré qu'il ait cédé pour faire cela correctement.

Oh, mais c'est que ça l'avait titillé cette histoire d'être d'ici ou pas d'ici dis donc, bah ouais, tu quittes un coin si chaleureux que Mavro depuis 8 ans, ça se voit que t'es moins fracassé que les gens d'ici. T'imagines le nombre de patates que tu te prends dans la gueule en 8 ans ? Au moins... genre... plein ! Wini en avait vu des baston, entre son établissement et le couteau sanglant y'avait de quoi picoler et entamer des bastons sanguinolentes !

Tout en marchant, Winifred jeta un oeil en arrière savoir si l'gamin avait quand même suivi ou non et elle le crama en train de jouer encore avec son tissu crado et ses chicots. Elle lui ôta de la bouche comme une daronne en colère et posa sa main dans son dos pour le diriger vers les chambres de la taverne. Ils arrivèrent très rapidement à l'endroit attendu et le dortoir se révéla. C'était une grande pièce en longueur avec une petite dizaine de lits vides, séparés par des bouts de tissus suspendus. Au bout de la pièce, une petite salle d'eau avec tout le nécessaire. Parce que malgré l'emplacement de l'établissement, Winifred aimait choyer ses clients et son image.

- Toi, tu t'poses là, dit-elle en désignant un tabouret dans la salle de bain. On va nettoyer ça un coup, ça risque de piquer un peu, hein, tu t'en doutes. Tu bouges pas et tu fais pas de conneries, je vais chercher du fil et une aiguille. T'inquiète, j'ai fait ça un nombre de fois incalculable...

Wini rebroussa chemin et réapparu moins d'une minute après. Le kit de couture était planqué sous le comptoir, bah ouais, baston, tout ça, on va pas répéter. Elle se plaça face à son interlocuteur et avant même d'aller trifouiller sa chair et son sang elle lui demanda :

- Hum, au fait, j'me souviens plus si tu m'l'as dit, c'est quoi ton p'tit nom ? Je ne joue pas avec le bras sanglant d'un inconnu, tu vois, dit-elle avec un sourire en coin qui se voulait rassurant.

Non mais oh, elle se prenait pour sa mère ou quoi? Voilà qu'elle lui avait arraché son bout de tissu. En temps habituel, il aurait râlé mais bon, s'il la suivait, c'était parce qu'il avait accepté qu'elle le soigne. Il n'allait donc pas s'offusquer du fait qu'elle l'empêche de faire ça n'importe comment. Il se contenta de soupirer et continua de la suivre jusqu'à ce qu'ils arrivent dans une pièce où se trouvaient plusieurs lits. Ils la traversèrent et elle le fit s'installer sur un tabouret. Elle lui parlait sur un ton ferme mais, sans la moindre once d'agressivité. C'était sans doute ce qui faisait que le jeune homme obéit sans broncher. Il lui trouvait même une certaine sympathie. Peut-être lui rappelait-elle sa mère lorsqu'elle le grondait. Enfin sa mère adoptive. Mais, à ses yeux, ça ne faisait aucune différence. Elle était morte alors qu'il était encore jeune. Cela remontait à si longtemps. Puis, il avait aussi dû apprendre à se passer de son père. Mais, il n'avait pas de vengeance à accomplir. Il ne pouvait ni éliminer la maladie qui avait tué Nina, ni le temps passé sans elle qui avait emporté Owen. Tout ce qu'il lui restait d'eux était le nom de Hammond. Il n'avait plus de famille maintenant. Il était revenu ici dans le but d'affronter les fantômes de son passé et cela semblait fonctionner. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas pensé à eux comme ça. Quelques larmes lui coulèrent le long des yeux mais, il se sentait plus léger.

Il essuya les larmes avant que la gérante des lieux ne revienne, ne voulant pas soulever de questions. Celle-ci revint alors qu'il venait de finir de passer son bras valide devant son visage. Elle s'était installée face à lui et lui demanda son nom avec ce qui ressemblait à une touche d'humour. Il répondit alors:

"J'crois pas te l'avoir dit. Tu peux m'appeler Kel. Et au même titre, j'ai pas trop envie de me faire recoudre par une inconnue. A moins que je doive seulement t'appeler patronne?"

Elle lui avait bien sauvé la mise lors de la rixe et lui avait offert une bière mais, elle était la tenancière de l'établissement. Il ne savait pas trop si c'était vraiment correct de lui demander son nom. Enfin selon lui, il n'y avait rien de mal à ça mais, les moeurs des autres pouvaient différer. Faut dire que pas grand chose ne le dérangeait. Tant qu'on venait pas lui chercher de crosses, il se moquait un peu des formes de politesse. Il essayait d'être le plus respectueux possible sans faire trop de manières malgré tout. Ce n'était pas lui qui allait vouvoyer quelqu'un par exemple. Enfin, si cela arrivait, cela signifiait généralement qu'il jouait un rôle ou alors, ça cachait une certaine ironie. Ainsi, lorsqu'il respectait quelqu'un il le tutoyait d'office et ne s'embarrassait pas d'un langage soigné.

Wini se trémoussa sur le tabouret qu'elle avait collé devant ledit Kel afin d'y déposer son séant mastoc, juste au mot "patronne" qui sortait de sa bouche. Elle le fit se déplacer afin qu'il s'installe ailleurs, finalement c'était pas ce qui était le mieux, il se retrouva sur un lit à 30cm du tabouret initial.

- Ah mon petit chat, ça m'émoustille les petits minets dans ton genre qui m'appellent patronne, t'as pas idée !

Elle ricana joyeusement tout en déployant une petite trousse de premiers secours sur le tabouret à côté d'eux, celui-là même sur lequel il avait posé son popotin quelques minutes avant. La maîtresse des lieux, qui avait veillé à ce que Kelsier soit confortablement installé sur un lit propre (duquel elle avait retiré les draps avec précaution pour ne pas les tâcher), dégagea la plaie du bras de son nouveau poto du jour.

- C'est vrai que beaucoup m'appellent patronne, ça à ce côté rustico-rustique que j'aime bien, avec un respect que j'adooooore, mais je m'appelle Wini. Enfin, Winifred, mais ça, à part mes livreurs, mes employés quand ils font une connerie et mon fils quand il réalise que lui aussi a fait une boulette, personne ne m'appelle comme ça. Donc Wini, ou... patronne, hein.

Elle esquissa un large sourire charmeur. Elle était réellement contente d'être là à ce moment-là, son âme et son coeur de maman voyaient le jeune homme comme l'un de ses enfants à soigner. Elle aurait pu lui donner un bonbon si ça lui faisait plaisir mais bon, elle en avait pas. Le sourire, c'était le bonbon. Et puis c'était aussi un peu une façon de le distraire, parce que des bobos comme ça, bon, c'est pas une fracture ouverte dégueulasse qui pisse le sang, mais ça picote quand même un peu, hein.

- J'attaque, dit-elle en attrapant une aiguille qu'elle venait de faire brûler sous la flamme d'une petite lampe à huile avant de l'essuyer d'un coup de torchon tout frais lavé. T'es prêt ? J'ai bien envie de te dire de me serrer la main si ça fait mal, mais ça va pas franchement être pratique, donc t'as qu'à... euh, tiens, lui dit-elle en lui filant un coussin entre les bras. Bave pas trop dessus s't'plaît. Il est propre, ponctua t-elle.

Sans attendre trois plombes, elle planta l'aiguille une première fois, avec une délicatesse qui ne lui ressemblait pas. La Wini cultivait une certaine brutalité qui n'avait rien à comparer avec son caractère profond, c'était une carapace, comme beaucoup de personnes vivant dans ce bas monde.

- Ça va ? Lâcha t-elle en continuant de faire glisser le fil entre les lambeaux de peau qui flottaient à moitié dans le vide et en épongeant à coup de torchon ensanglanté. P'tain, c'est que tu saignes. C'est crado, j'en ai déjà foutu sur ma robe, bordel... Bon mais si ça peut te rassurer, ça a plutôt une belle gueule, je commence à avoir l'habitude avec les pochtrons qui se foutent sur la gueule ici...

On toqua à la porte, un employé entra dans la pièce et déposa rapidement une lettre sur un lit à côté de la porte. Winifred lui lança un regard interrogateur, il haussa les épaules en lâchant un "on m'a dit de te donner ça", Wini essayant de demander "qui ?" mais visiblement, il y avait trop de monde à servir au bar.

Tant pis, fallait déjà finir ça avant d'aller lire le courrier. Comme si c'était le moment !

La tenancière fit déplacer Kelsier. Il n'opposa aucune résistance. Peu lui importait où elle le faisait s'asseoir. Et puis, rien ici n'avait vraiment d'importance. Puisqu'elle tenait à le soigner, qu'elle le fasse. Après tout, c'était gentil de sa part. Enfin, ce n'était qu'une égratignure selon le Nérozia mais, chacun sa vision des choses. Puis, elle fit une remarque comme quoi elle aimait bien qu'on l'appelle patronne. Ceci laissa échapper un sourire à Kelsier. Après tout, c'était le dernier stade d'autorité avant que, sorti de sa bouche, ça ne devienne injurieux. Patron ou patronne, c'était la personne qui tenait la taverne. Ne sachant pas son nom, il l'avait appelé comme ça simplement parce que c'était le rôle qu'elle tenait. Il n'allait pas l'appeler fermière ou baronne... Enfin, si ça lui plaisait, tant mieux. Elle lui proposa sinon de l'appeler Wini et laissa échapper qu'elle avait un fils. Cela expliquait sans doute ce côté maternel qu'elle avait là. Il sourit.

"Tu sais, si patronne te plait, je peux continuer à t'appeler ainsi mais, comme tu l'as si bien fait remarquer, je suis encore jeune et je devrais retenir Wini sans trop de problème."

Kelsier ne se voulait pas désobligeant. Il laissait juste entendre qu'il était plus probable qu'il l'appelle par son nom. Après tout, l'appeler patronne revenait un peu au même que si elle l'appelait vagabond. Bien que le terme ne le dérange pas, il était Kelsier avant d'être un vagabond. Au même titre, elle était Winifred avant d'être patronne.

Wini avait retroussé la manche du jeune homme, ce qui l'arrangeait bien. Il n'aurait pas voulu dévoiler le tatouage sur son bras gauche. Hors, si elle lui avait fait retirer son haut, il aurait eu du mal à le cacher. Bien qu'elle soit sympathique et que le bar était fréquenté par tous types de personnes, beaucoup des profils types de Phelgra, il ne savait pas comment elle réagirait en voyant la rose noire de Nérozia. Mieux valait garder ça pour lui.

La patronne avait donné un coussin à Kelsier pour le cas où il aurait trop mal. Il eut envie de rire. Ce n'était pas qu'il ne craignait pas la douleur. Seulement, des blessures, il en avait eu des bien plus grave et ne voyait pas la nécessité de recoudre celle-ci. Il savait ce que faisait une aiguille dans la peau et saurait largement prendre sur lui. Toutefois, voyant que ça lui tenait à coeur, il répondit:

"Merci mam... euh patronne pardon. Je crois que ma langue a fourché. C'est sûrement l'air de Phelgra qui me monte au crâne."

L'air sans doute pas mais, le retour dans son pays natal et le comportement maternel de Wini n'y étaient sans doute pas étrangers. Kelsier se sentait idiot du lapsus qu'il avait manqué de faire mais, il ne pouvait pas revenir en arrière et puis, le ridicule n'avait jamais tué personne. Enfin, le jeune homme était sans doute plus gêné par le fait d'avoir perdu sa mère il y a longtemps que par le fait que Wini se moque de lui. Si ça devait arrivé, ça ne le dérangerait pas.

La femme s'attela à la tâche. Cela picotait. Une douleur assez prenante mais, Kel était préparé et puis, c'était moins violent qu'une épée qui déchire la chair. Bien sûr, il était parfois plus facile de supporter un coup d'épée. Cela durait moins longtemps et puis, il y avait l'adrénaline du combat. Le jeune homme ferma les yeux pendant que l'aiguille traversait la chair, tenant le coussin dans sa main gauche plus pour faire plaisir à Wini que par nécessité.

Tout en maugréant contre le sang qui avait coulé sur sa robe, elle lui demanda si ça allait. Kelsier hocha la tête, perdu dans ses pensées. Cela lui faisait penser à cette fois, alors qu'il n'avait que cinq ans. Il poursuivait une créature mythique qui attaquait le village, voulant la pourfendre de son épée. Bien entendu, la créature n'était en fait qu'un corbeau et il le poursuivait en fait avec un bâton. Il était grimpé sur une pierre pour pouvoir sauter plus haut et plus loin. Non seulement, il avait raté sa cible mais, il s'était étalé par terre et s'était blessé au menton. Quand il était rentré, sa mère avait pesté car il mettait du sang partout mais, elle s'était empressé de le soigner, n'arrêtant pas de lui demander si elle ne lui faisait pas trop mal. Et lui qui essayait de la repousser, lui disant que c'était rien et qu'il devait retourner chasser le monstre qui attaquait le village. Il se souvenait encore de ce que sa mère lui avait dit:

"Tu sais Kel, les monstres ne sont pas toujours ceux qu'on croit. Laisse donc ce brave corbeau tranquille."

Aujourd'hui, il pensait avoir compris ce qu'elle voulait dire. Un monstre ne se reconnaissait pas à son apparence mais à ses actes et il y avait des monstres dans toutes les races.

Kelsier sortit de ses pensées lorsque quelqu'un frappa. Il avait déposé une lettre et était reparti. Il regarda alors Wini terminer de le recoudre.

Wini, Winifred, Octopus, Mama ou patronne, après tout, elle n'en avait rien à cirer. Les surnoms étaient si nombreux pour elle que ça devenait monnaie courante. Heureusement qu'elle n'avait pas de problèmes d'identité, ça aurait été difficile à vivre. Le bras était recousu, tant bien que mal et la marâtre s'attelait à présent à nettoyer les contours de la plaie et du bras sur lequel le sang avait couler.

Lorsque le gamin avait subtilement glissé un "maman" au lieu d'un "madame", Winifred esquissa un sourire en coin mais lui en tint pas rigueur, vu les circonstances il pouvait être un peu déboussolé le petit, ce sont des choses qui arrivent. Et après tout, elle adoraaaaaait être une maman. Elle en aurait voulu plusieurs, des mômes, qui auraient couru dans tous les sens entre les pieds des chaises et des tables, à hurler dans le bar pour chanter des chansons locales, à faire la course avec les pochtrons. Mais la nature en avait décidé autrement. Elle avait un fils, qui lui rendait bien tout l'amour qu'elle lui donnait et elle s'en contentait. Et puis... depuis qu'elle tenait cet établissement d'une main de fer, elle en avait par centaines et par milliers, des enfants en détresse. Toutes ces personnes qui venaient noyer leur chagrin au fond d'une piscine de rhum... Mais bon, heureusement pour son moral à elle aussi, il y avait également les joyeux lurons qui venaient fêter les naissances, les mariages, les promotions, leur paie du mois (qui finissait souvent dans ses caisses à elle)...

Si jusqu'ici la propriétaire de L'Octo s'était bien dispensée d'user de son pouvoir, ça avait été plus fort qu'elle. C'est qu'il était pas bien causant le petit, d'ordinaire les gens étaient bavards. Heureusement qu'elle était en forme à ce moment là, car ça lui avait permis de faire venir un corbeau qui patrouillait régulièrement au dessus du bar, au cas où les restes étaient jetés dans le caniveau. L'oiseau apparu à quelques mètres de Wini et Kelsier, posé dignement sur le lavabo de la salle de bain qui se trouvait juste à côté d'eux.

- Ta mère avait raison, tu sais. Il ne faut pas se fier aux apparences...

C'était aussi un révélateur, pour Wini. Elle fit comprendre au vagabond que sous ses airs de mama claudicante qui gérait un simple bar se tenait aussi une personne qui pouvait percer les secrets les plus intimes de ses interlocuteurs. Elle en avait toujours fait bon usage, en tout cas, tant que ça allait dans le sens de ses affaires, elle gardait généralement les secrets et pensées pour toujours dans son esprit.

Tout en jetant un regard tendre au corbeau et à Kelsier, elle se leva pour aller chercher l'enveloppe qui avait été posée sur le lit.

- Tu peux remettre ta manche, dit-elle en ouvrant la lettre. J'ai fini de te maltraiter. Par contre, tu penseras à désinfecter de temps en temps.

Debout, la mama commença sa lecture. Ses yeux glissèrent sur le papier manuscrit, rédigé d'une encre bleue nuit et s'arrêtèrent sur une phrase précise. "Viens vite, s'il te plaît".

Winifred connaissait très bien l'envoyeur de la lettre, et savait que s'il en venait à écrire ces mots, c'est que ça urgeait.

- Mon p'tit chat, je vais devoir te laisser à tes affaires. Profite bien à Mavro, si tu as besoin de quoi que ce soit, tu sais où j'habite, hein. Je pars quelques jours, mais mon établissement reste ouvert, mes employés t'ont repéré, au besoin. File de là, toi, dit-elle au corbeau qui prit la porte dans une envolée inaudible avant de disparaître.

Elle fit quelques pas vers la salle de bain et ouvrir un petit placard à l'aide d'une des dizaines de clés extirpées d'une chaîne glissée entre ses seins.

- Y'a pas meilleure planque, dit-elle avec un large sourire avant de sortir une petite fiole au contenu verdâtre. Tiens, t'en badigeonnes sur la plaie tous les jours, en quatre jours t'auras plus rien, ça évitera l'infection. C'est du fait maison, t'as rien à craindre.

Kelsier avait le bras recousu. Il observa Winifred qui venait de le perturber. Se pouvait-il qu'elle connaisse sa mère? Même si c'était le cas, comment aurait-elle pu faire le lien? Il avait été adopté et n'avait donc les traits d'aucun de ses parents. Il était certain de ne pas avoir parler lorsqu'il était perdu dans ses pensées. Peut-être l'avait-elle connu lorsqu'il était enfant? Ils ne vivaient pas à Mavro même mais, un village alentours. Kelsier ne venait que rarement au village avec eux. Peut-être l'avait-il croisé plus tard mais, sa mère n'était déjà plus là. Il avait beau se triturer l'esprit, il ne trouvait aucune réponse à ses questions. Aucune qui tenait la route. C'est alors qu'il remarqua le corbeau. Peut-être pouvait-elle leur parler. Serait-ce le corbeau de son enfance? Non, il était bien trop jeune. Il fixa alors la tenancière d'un regard inquisiteur. Sans devenir agressif pour autant, il avait perdu toute bonhomie et il dit:

"Comment tu sais ce que ma mère m'a dit? Tu la connaissais? Si oui, comment sais tu qui elle était? Je ne t'ai pas dit mon nom de famille et on ne se ressemble pas elle et moi."

Il souffla. Pas un soupir. Il évacuait l'air de ses poumons. Il en avait accumulé plus que de juste avant de parler. Il était si surpris d'entendre parler de sa mère. Cela faisait si longtemps qu'elle était morte. Plus longtemps encore que son départ de Phelgra. Wini avait mentionné sa mère. Elle n'avait sans doute pas la moindre idée de qui elle était. Elles s'étaient pourtant sûrement déjà croisées si la tenancière était déjà là dix ans auparavant. Ce que la gérante lui avait dit n'avait pourtant rien à voir avec leur conversation. Et sa mère avait bien tenu ses mots. Comment pouvait-elle le savoir?

"Je suis désolé. Je n'aurais pas dû m'emporter autant. Je suis seulement curieux. J'ai perdu ma mère il y a neuf ans. Je ne m'attendais pas à entendre parler d'elle. Encore moins dès mon retour en Phelgra et par quelqu'un qui aurait pu la connaître. Comment sais tu que ma mère m'a dit ça? Et cette phrase, pourquoi me la rappeler alors même qu'elle a forgé ma façon même d'agir?"

Cette fois, il soupira. Il ne comprenait pas la situation. De plus, il commençait à se demander si c'était une bonne idée de revenir en Phelgra. Il était venu dans l'espoir de dire adieu à ses fantômes et voilà qu'ils revenaient le hanter de plus belle. Ce fut sa première impression. Puis finalement, il sourit en y pensant. Comment son interlocutrice savait cela? Cela l'importait toujours mais, ce n'était plus si important. Sentir sa mère vivre à travers les pensées de quelqu'un d'autre que lui lui procurait un certain plaisir.

Décidément, ce garçon était en fait un être sensible dont le passé le tourmentait. Winifred était bien trop curieuse d'en apprendre plus sur lui du coup, ça changeait que de le voir jouer les bagarreurs qui s'arrachent des vêtements crados pour se les coller sur les plaies béantes.

- Je ne connaissais pas ta mère non, j'ai, disons, de l'instinct. Dit-elle tout doucement en s'asseyant à nouveau sur un des lits. Elle ne voulait pas qu'il soit dans un tel état malgré sa curiosité à elle. Je suis désolée qu'elle ne soit plus de ce monde. Tu sais, ajouta t-elle en triturant sa robe plissée, cette phrase émane de toi bien plus que tu ne le voudrais et comme tu dis, elle a forgé ta façon d'agir. Si cette phrase te représente autant, pourquoi t'étonnes-tu que je la devine ?

Elle lui fit un clin d'oeil, allait-il comprendre quels étaient ses dons ? Elle ne les cachait pas, mais n'allait pas les dévoiler aussi facilement. Ayant bien compris que Phelgra représentait des choses bien négatives pour l'homme qu'il était, Winifred se voulait rassurante.

- Il ne faut pas vivre dans le passé, Kelsier. “Le secret pour aller de l’avant est de commencer." disait un grand homme dont le nom m'échappe hélas. Je ne sais pas pourquoi tu es revenu ici, tu l'as dit toi même que tu avais habité ici il fut un temps et visiblement ton retour n'est pas anodin, tu n'es pas simplement venu dire coucou à deux trois copains, te foutre sur la tronche avec des ivrognes et te faire recoudre le bras par une vieille tenancière de bar un peu curieuse. T'as pas l'air d'avoir eu une vie facile, mais elle est loin d'être terminée. Prends le temps de penser à toi, demande toi si tu as le droit d'être heureux, si tu as le droit à une deuxième chance, si tu peut être plus libre. Regarde de l'avant, change ta vie et ne vient pas creuser le passé. Il y a tant de choses à voir devant, que regarder derrière ne sert plus à grand chose.

Un peu maniaque, Wini se releva pour ranger les tissus trainant, et se mit à refaire les lits tout en continuant. Elle jeta de temps en temps des regards chaleureux à Kelsier, se voulant rassurante sur la situation.

- Les personnes parties le sont définitivement, mais qu'auraient-elles voulu ? Tu crois que ta maman aurait voulu que tu te morfonde en pensant à elle ? Je ne sais pas comment tu l'as perdue, les circonstances, mais qu'importe ce qu'elles sont, les morts sont morts, les vivants sont vivants. Tu es vivant, tu n'es pas un vieux croûton tout moisi, profite de la vie, sois heureux, fais toi plaisir. Tu n'as pas de temps à perdre pour les rancunes, à quoi bon ?

En écoutant Winifred, Kelsier était partagé entre le réconfort et le malaise. Même avec de l'instinct, elle n'aurait pas pu en savoir autant. Il se dit qu'elle devait utiliser un pouvoir mais, il se demandait si elle lisait ses pensées ou si elle en savait encore d'avantage. Il n'aimait pas trop l'idée qu'elle puisse lire en lui ainsi mais, qu'y pouvait-il? Depuis quand le faisait-elle? Il ne souhaitait pas s'en aller juste pour cela. Après tout, elle l'avait quand même soigné et surtout accueilli. Elle aurait pourtant pu ne pas apprécier la bagarre et le laisser à son sort. Il lui était reconnaissant de l'avoir aidé mais, n'était-ce pas pour en découvrir plus sur lui? Peut-être travaillait-elle pour l'une des nombreuses castes autre que la sienne. Bof, peu importait au final. Ce n'était sûrement pas le cas vu son discours.

"De l'instinct? Ne me cacherais-tu pas plutôt un pouvoir? Y a des trucs comme ça, ça se devine pas. Enfin bon peu importe, ça te regarde au fond. M'étonner que tu la devines? Bah simplement parce que même si tu pouvais ressentir mon état d'esprit, je ne vois pas les raisons que tu aurais de penser que ça me vient de ma mère."

Kelsier se doutait bel et bien qu'il y avait plus qu'une histoire d'instinct. Il l'avait même clairement évoqué mais, au fond, si elle ne souhaitait pas lui répondre libre à elle. De toute façon, lui ne pouvait pas savoir ce qu'elle pensait. Puis, elle lui parla du fait qu'il ne fallait pas vivre dans le passé, il sourit. Il était justement venu ici pour ça. Non, il ne revenait pas commettre une vengeance. L'assassin de sa mère était parti avec elle. Bien sur, il existait encore mais, on ne pouvait pas le tuer comme ça. Peut-être un jour quelqu'un comme Zayid y parviendrait. Kelsier aimerait que la maladie n'existe plus car elle était un assassin bien plus redoutable que lui. Il répondit alors:

"Revenir sur les lieux de notre passé ne signifie pas vouloir revenir en arrière. Comme tu dis, on ne peut pas. Mais, fuir le passé est le meilleur moyen de le laisser nous hanter jusqu'à notre mort. Il faut savoir faire face et dire au revoir à ses souvenirs douloureux. C'est ainsi qu'ils pourront s'apaiser. Si je veux voir plus avant, il faut que je retire le voile qui me fait regarder vers le passé. Ma mère est morte de maladie et je n'ai nulle vengeance à accomplir. Quant au droit d'être heureux, je pense que tout le monde l'a mais que certains empêchent les autres d'en profiter."

Il pensait bien évidemment aux nobles et au personnes de pouvoir lorsqu'il disait cela. Il ne voulait toutefois pas s'arrêter sur le sujet. Il n'avait aucune envie de lancer un débat politique même s'il aurait bien lancé des trucs sur des politiciens. Le pouvoir devrait servir à préserver une certaine cohésion et non à laisser les plus aisés soumettre les plus démunis. Kelsier comptait bel et bien remédier à cela, en finir avec les nobles qui se croient tout permis et tous ces bourgeois qui ne pensent qu'au fait de s'enrichir et proposent des services hors de prix.

Tandis que Winifred faisait un peu de rangement, Kelsier réfléchissait à ce qu'elle disait. Les gens morts... Qu'est-ce qu'ils voulaient? Il n'en savait rien. Il voulait seulement les laisser là où ils étaient. Conserver les bons souvenir et se sortir du crâne la tristesse d'avoir perdu des êtres chers. Il dit alors:

"Ce que les gens morts veulent? Selon les croyances, on peut se dire qu'ils veulent le bonheur de leur proches, une meilleure vie après la mort ou même ne veulent-ils rien du tout puisqu'ils sont mort. Ma mère n'aurait sans doute pas voulu que je me morfonde et ce n'est pas ce que je suis venu faire ici. La perte d'un être cher vient seulement me piquer une dernière fois avant de me laisser en paix avec moi-même. Fuir la douleur est le meilleure moyen de la garder en soit. Il faut y faire face pour qu'elle puisse s'en aller."

Sur ces mots, Kelsier cessa de parler. Il regardait autour de lui comme s'il s'attendait à voir sa peine s'en aller avec un baluchon sur le bras. Il ne la vit bien évidemment pas mais, elle s'en allait bel et bien petit à petit. Il le sentait. L'évocation de sa mère devenait plus agréable que douloureux au fur et à mesure que la conversation avançait. Il prenait plus de recul.

Winifred esquissa un sourire en coin, comme elle aimait tant le faire. C'est fou tout les messages que l'on peut faire passer, avec un sourire et un regard. Elle conforta alors le jeune Kelsier dans ses suppositions. Bien évidemment qu'elle avait un pouvoir. Elle lui expliqua qu'elle en avait plusieurs, mais que lire dans les pensées des gens en était une grande partie. Tout ce qu'il ne disait pas à voix haute mais qui lui passait par la tête passait également par la tête de la tenancière de L'Octo. Elle l'avait alors entendu penser à sa mère, à cet oiseau et à cette petite phrase qui le caractérisait aujourd'hui. Il n'était pas bête le garçon, il en avait dans le crâne mais il avait également beaucoup de choses à extérioriser.

Ah, c'était donc la maladie, l'assassine de sa mère. Quelle petite peste celle-ci, et quels dégâts elles pouvaient faire, aussi nombreuses soient-elles.
C'était d'ailleurs l'une d'elle qui avait emporté l'amant de Winifred, il fut un temps déjà. Ce bon vieux temps.

Winifred se redressa et passa la porte de la pièce en invitant Kelsier à en faire de même, histoire de retourner dans le coin taverne qui s'était calmé depuis. Elle lui expliqua qu'elle voulait avoir un oeil sur le bar et ne pas passer sa soirée à bavarder dans le dortoir. A vrai dire, il y avait toujours un établissement à gérer même si ses employés s'en sortaient parfaitement bien.

- La paix, c'est tout ce que je te souhaite, lui dit Winifred pour faire suite à leur conversation. Ils étaient à présent tous les deux au comptoir et la mama profita que ce dernier soit dégagé de tout picoleur pour passer un coup d'éponge humide dessus. Elle n'aimait pas quand le bar était collant et que tout le monde y imprégnait sa peau.

Ce bar avait beau être dans une des pires villes qu'Isthéria ait connu, L'Octo restait l'établissement le plus neutre et le plus sain du coin. Les conflits n'étaient pas si fréquent qu'on aurait pu le croire. Mais tout ça, c'était grâce à ses connaissances et la protection subtile dont elle bénéficiait. Les fauteurs de trouble ne faisaient pas long feu ici...

- Range la concoction que je t'ai faite dans une poche, ne la perd pas et s'il te plaît utilise-la. Je dois prendre le relais sur ma collègue, je te laisse vaquer à tes occupations. Si tu as besoin de quoi que ce soit à Mavro ou ailleurs à Phelgra, n'hésite pas à me demander, tu sais où j'habite, précisa t-elle en lui faisant un clin d’œil. Puis, tu peux toujours te poser ici pour la nuit hein, on fait auberge comme tu as pu le voir ! Il n'en coûte que 10 dias la nuit et on offre une bière avec. Je dis ça, je dis rien.

Ainsi donc, Winifred pouvait entendre ce à quoi il pensait. Bon, il allait devoir faire attention. Il prit donc soin de ne plus se perdre dans ses pensées. Bien que ses pensées actuelles n'avaient rien de secret, il n'aimait pas trop qu'on fouille dans sa tête. Cela le mettait mal à l'aise, il avait l'impression qu'elle pouvait voir à travers ses vêtements. Il évita de trop y penser car elle pouvait lire ses pensées et peut-être même qu'elle avait en tête les images qu'il avait en tête. Il la secoua justement pour sortir toutes ces idées stupides. A quoi bon se mettre ainsi sur la défensive? Ce qui était fait était fait et la tenancière ne semblait pas vouloir lui nuire.

Les deux énergumènes rejoignirent le bar et Winifred dit à Kelsier qu'elle allait devoir se remettre au travail avant de lui proposer de rester pour la nuit. Pas folle la guêpe! Cela dit, son offre était alléchante et le vagabond n'avait pas de meilleure alternative. Enfin par meilleure alternative, il entendait de personnes à aller voir. Non parce que Kelsier n'était pas du genre à aller faire un comparatif des prix. Cette auberge lui paraissait bien sympathique et il se moquait de savoir s'il y en avait une moins chère ou non. Le Nérozia répondit alors:

"Y a des chances pour ce soir. Je vais pas m'avancer pour autant. Je vais aller me balader un peu mais, vu la saison, ça m'étonnerait que je dorme à la belle étoile. Je vais sans doute revenir plus tard."

Sur ce, il rangea la concoction dans sa besace et salua d'un geste de la main avant de se diriger vers la sortie. Il reviendrait plus tard pour boire un coup et passer la nuit.