La quête du Gantelet droit d'Hephaestus

Le ciel était sombre, bien que la nuit n’était pas encore tombée. Une silhouette dissimulée sous sa cape avançait d’un bon pas cherchant viseblement quelque chose. Sur son épaule, un perroquet aux couleurs vives attirait le regard. Au croisement d’une rue, il s’arrêta fixant un pub au loin. Réduisant l’allure, il pris le temps de repérer les lieux. L’inscription « Au Couteau Sanglant » figurait sur la facade du pub.

- Nous sommes arrivés Pako, affirma Aerandir, nous trouverons certainement de bons marins pour notre équipage ici.
- De bons marins pour notre équipage, se contenta de répéter Pako.

Les lieux avaient l’air pour le moins animés, deux personnes semblaient s’affronter pour savoir lequel tenait le mieux.

- Déjà 11 verres de whiskey et aucun des deux ne titube, c’est bien mes matelos, s’exclaffa l’un des hommes à l’intérieur du pub.

Un sourire commença à se démarquer sur son visage.

- Ce lieu n’a pas l’air si terrible que sa réputation veut bien faire croire, se dit Aerandir avant de faire glisser son capuchon vers l’arrière et de pénétrer les lieux.

L’atmosphère changea radicalement à cet instant. Tous les regards se tournère alors vers lui. Il n’y avait à première vu pas de Sindarin dans le pub, même si vu le nombres de personnes cela restait difficile à confirmer. La réaction classique à laquelle s’attendait Aerandir eu lieu, en raison de sa taille, de la finesse de ses traits et de ses longs cheuveux, il était, en effet, souvent pris pour une femme par les non-Sindarins.

- Tu t’es perdue ma chérie, demanda l’un des hommes sur sa droite.
- Tu souhaites peux être que l’on t’indique le chemin, rajouta un autre sur sa gauche.

Le sourire d’Aerandir ne le quitta pas pour autant. Au contraire, une assurance à toute épreuve émanait à présent de lui. Il avait jaugé ses adversaires et n’était en rien effrayé. De plus, ces derniers ne paraissait pas au mieux de leur forme, ayant quelque peu abusé de la boisson.

Pako choisit cet instant pour quitter l’épaule d’Aerandir. Desormais libre de ses mouvements, Aerandir se tourna brusquement vers l’homme à sa droite et l’étala d’un uppercut, réalisé de sa main gauche, au menton. Dans le même temps, il aggripa son épée de la main droite. Il dégaina tout en se retournant, pour venir placer la pointe de son épée devant la gorge de l’homme à sa gauche, qui entretemps s’était avancé de deux pas.

- Je pense que je sais très bien où je suis, répliqua Aerandir de sa voix grave, ne laissant aucun doute sur son genre, je vous remercie de votre sollicitude, rajouta-t-il d’un ton amusé.

Les autres clients s’exclaffèrent avant de l’inviter à se joindre à eux. Il avait gagné leur respect. Pako se posa de nouveau sur son épaule droite.

- De bons marins pour notre équipage, répéta Pako en hochant la tête.

Cela fit rire Aerandir, cependant personne ne semblait avoir compris un traître mot des paroles du perroquet. Ce dernier s’exprimant en Alfari, cela n’avait rien d’étonnant.

Aerandir avait déjà évaluer l’équipage, certains étaient forts, le capitaine et quelques autres, cependant il s’agissait de pirates cherchant avant tout la violence et le plaisir. Cela ne correspondait pas à sa conception de la vie. Il cherchait l’aventure, le frisson de l’exploration et la satifaction de la découverte d’un trésor. Il se mêla tout de même à eux, le temps d’une soirée.

Les pirates n’était pas les seuls clients du pub, il y avait également un groupe d’aventurier en provenance de Thémisto, qui s’était joint à eux au cours de la soirée. Les pirates, comme les aventuriers, avaient alors compté leurs aventures, en embellissant certaines parties et en en omettant d’autres. Aerandir aimait ces récits, il les écouta avec attention sans chercher à démêler le vrai du faux.

Au bout de quelques heures, alors que la nuit tombait, l’un des aventuriers évoqua une légende, celle d’un homme qui détestait la magie et qui trouva un moyen de la contrer, combattant le feu par le feu. Cette légende était celle d’Hephaestus et de la trahison de ses deux apprentis. Fasciné, Aerandir écouta religieusement captant tous les détails. Cette quête l’appelait…

Le haut-prêtre de Bor était en général lié au Temple dont il avait la charge. Ceci dit cela ne signifiait pas qu'on pouvait l'y trouver à tout heure du jour. Le Sindarin avait non seulement d'autres devoirs, mais il cultivait également ses secrets. Tous connaissait son attachement pour sa contrée natale par-contre, peu savait l'intérêt du Gélovigien pour les mystérieux artefacts parsemant Istheria. Une passion somme toute banale pour un fidèle du Dieu de la forge, cependant vu la convoitise rodant autour de ses outils, la prudence intimait le secret. Après tout les entrepôts du Temple faisaient suffisamment rêver les opportunistes d'Umbriel sans y rajouter la promesse d'objets magiques.

Bref tout ceci justifiait quelques escapades où, malgré sa relative notoriété, le preux artisan se permettait les joies de la route et de l'anonymat. Le plus grand des hasard l'emmena au Couteau Sanglant, une phrase qui aurait eu du sens s'il ne s'agissait pas de Mavro Limani, et d'une de ses auberges les plus animée. Ajoutons donc aux raisons de cette visite des parchemins fraîchement achetés narrant l'étonnante histoire d'Hephaestus. Faenor ne se serait toutefois pas déplacé s'il n'avait pas eu vent d'un barde déclamant d'une façon passionnée les prouesses d'un gantelet capable de dompter la magie.
Cela faisait déjà plusieurs jours qu'il se trouvait dans la ville, et il tentait à chaque fois sa chance, conscient que le conteur en question ne chantait qu'en début de soirée. Le Sindarin se trouvait donc dans un recoin du pub, posé discrètement sur un tabouret de bois, aux alentours du bar. Vêtu de l'uniforme du voyageur, une tunique noirâtre avec un pantalon sombre et des bottes de marche, Faenor se couvrait toutefois d'une longue cape de voyage, dont le noir s'harmonisait avec les couleurs locales. Un œil attentif, remarquerait les symboles entrelacés de bor et des Gélovigiens, ainsi que l'excellente facture des habits, malgré leur simplicité. Si quelques regards lorgnaient sur les objets emballés dans du tissu posés à ses côtés, personne ne tentait quoique-ce soit, signe d'un certain respect.

Personne ne manqua l'entrée d'Aerandir, son perroquet couplé à sa carrure étant suffisamment étrange pour exciter la curiosité des loups de mer. Le haut-prêtre fut lui aussi intrigué, son intérêt doublant lorsqu'il entendit les propos de l'animal. *De l'Alfari?* Cette pensée eut tout juste le temps d'effleurer son esprit que deux abrutis se lancèrent dans l'arène. Faenor repéra rapidement les bougies les plus proches, mais il n'eut heureusement pas à intervenir, le nouveau venu ne manquant pas de répondant.
Il s'agissait d'un Sindarin, cela ne faisait désormais aucun doute. Cette confirmation vint avec un sourire, les membres de sa race étant hélas bien trop rare dans le continent sombre. Attendant un peu que les choses se calme, le Forgeron accrocha son barda sur son dos puis et commanda un alcool de riz que le barman se fit une joie de servir, vu son prix. Armé de deux petites tasses et d'une fine cruche d'argile, Faenor s'approcha de l'étranger, s'asseyant sur le tabouret fraîchement libéré tout en posant le saké sur la table.

« Alasse, Saesa omentien lle.»¹

Le dialecte Sindarin résonna comme un clairon dans le bar, attirant quelques oreilles supplémentaires au duo atypique. Le Zélos s'étant fait voler sa place revint d'ailleurs à la chasse. Toutefois au moment même ou une main noueuse se posa sur l'épaule du haut-prêtre, ce dernier saisit le pommeau de son arme. Un mouvement vif et précis, il n'eut qu'à sortir un tiers de la lame du fourreau, son regard nébuleux suffisant à diluer l'animosité.
Redonnant son attention à l'étranger, sa colère s'étant effacée aussi vite qu'elle apparut, Faenor esquissa un mouvement de lèvres ressemblant plus ou moins à un sourire.

« Il est bien trop rare de rencontrer un autre Sindarin à Phelgra pour ignorer l'occasion. Je m'appelle Heleborn, à la votre? »

Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas utilisé son ancien nom, et pour le coup un véritable sourire sculpta son visage. Versant le précieux liquide dans les modestes coupes, le forgeron trinqua à cette rencontre, buvant une gorgée de ce saké qui, malgré les apparences, ne déméritait point.

« Vous avez fort bien démontré vos aptitudes martiales, attention toutefois à qui vous envoyez valser. Les gens du coin ont la rancune tenace.»

¹_{Salutation. C'est un plaisir de vous rencontrer.}

Un homme vint se joindre au groupe de pirates et d’aventuriers. En le voyant s’approcher, Aerandir remarqua instantanément qu’il n’était pas de la même trempe que les autres. Sa démarche assurée, ses pas silencieux, son regard, le tout laissait transparaître une indéniable expérience du combat. Il vit également qu’il avait affaire à un Sindarin, chose rare en ces contrées. Pour la première fois depuis de nombreuses années, Aerandir sentait que si un combat devait avoir lieu l’issue serait plus qu’incertaine.

En continuant à rigoler des histoires comptées, il se mit à surveiller son approche. C’est à cet instant qu’il remarqua la marque des Gélovigiens entrelacé avec un autre symbole, celui d’un dieu mais le nom ne lui revint pas. En effet, ayant reçu une éducation classique pour un Sindarin, enfin même cette dernière fut dispencée par ses parents, il n’était pas familier avec les dieux autres que Soulen, Délil ou Fen.

Puis, le Gélovigien vint s’assoir à ses côtés, la tension d’Aerandir retomba, lorsque ce dernier le salua en Alfari, visiblement intrigué lui aussi par la présence d’un autre Sindarin.

- Alasse, Saesa omentien lle, prononça le Gélovigien.

Cela faisait une éternité qu’Aerandir n’avait entendu de l’Alfari de quelqu’un d’autre que de Pako, qui se contentait de répéter les phrases qu’il prononçait. Il s’apprêtait à répondre lorsque son perroquet décida de le devancer.

- Alasse, Saesa omentien lle, répéta Pako.

Aerandir ne pût s’empêcher de sourire devant le comique de la situation. Alors qu’il allait rendre la politesse au Gélovigien, il fut de nouveau interrompu. Pas par des mots, mais par un changement d’atmosphère. Il sentit une tension et vit le geste précis et déterminé du Sindarin commençant à dégainer. Cependant, cela ne dura qu’un instant et ce dernier s’arrêta au tiers du mouvement ayant obtenu l’effet escompté.

- Il est bien trop rare de rencontrer un autre Sindarin à Phelgra pour ignorer l'occasion, enchaîna-t-il. Je m'appelle Heleborn, à la votre?

- Enchanté, je suis Aerandir, trinquons à cette rencontre inattendue, répliqua-t-il en levant son verre.

Pour sa part, Aerandir buvait de l’Ambroisie, il aimait sa saveur si subtile, bien qu’il fallait se méfier des quantités.

- Trinquons, répéta Pako en levant sa patte droite.

- Et la canaille, sur mon épaule se nomme Pako, rajouta Aerandir.

- Vous avez fort bien démontré vos aptitudes martiales, attention toutefois à qui vous envoyez valser. Les gens du coin ont la rancune tenace, continua Heleborn.

Aerandir se sentit honoré d’un tel compliment venant d’un homme si expérimenté.

- J’ai bien conscience des risques, cependant en ces contrées, ne pas se faire respecter peut être au moins aussi dangereux, repondit-t-il.

Tout en conversant avec Heleborn, Aerandir restait attentif à l’histoire compté par les aventuriers. Il remarqua rapidement, qu’il n’était pas le seul à les écouter avec attention. Heleborn semblait lui aussi avoir des vues sur l’objet. Alors qu’il décrivait l’objet, Aerandir eût une révélation, l’emblème était celui de Bor, le dieu de la Forge. Il semblait donc logique de penser qu’Heleborn avait des compétences en forge, ou connaissait des personnes qui en possédait.

Aerandir cherchait à se faire forger une épée sur mesure, cependant trouver un forgeron capable de lui réaliser une épée parfaitement équilibrée pour répondre à ses exigences n’était pas chose aisée. En effet, en progressant dans le maniement de son épée à une main, Aerandir avait fini par atteindre les limites de ce qu’il pourrait réaliser avec une épée si banale. Son centre de gravité était trop loin pour une épée destinée à la fois à l’estoc et au coups de taille. Le tranchant était meilleur d’un côté que de l’autre. Et il la trouvait trop légère.

Cette rencontre pourrait être l’occasion de se munir d’une bien meilleure arme. Le seul problème était qu’actuellement il ne disposait pas des fonds necessaire à une telle commande. En réfléchissant à une manière de présenter les choses à Heleborn, il réalisa que cette quête était certainement l’occasion dont il avait besoin. Aerandir était, de toute façon, plus intéressé par la recherche de l’objet en elle-même que par son aquisition.

- Vous semblez vous aussi intéressé par cette quête, lanca Aerandir pour tester la réaction du Gélovigien.

- Je recherche actuellement un forgeron talentueux pour me faire forger une épée sur mesure, je n’ai pu m’empêcher de remarquer l’emblème de Bor sur votre vêtement. Je suppose que vous connaîssait certainement des personnes de talent, expliqua-t-il.

- Je vous propose un marché, je vous aide dans cette quête, vous récupérez l’artefact et en échange vous me mettez en relation avec un forgeron de talent et vous finacez mon épée, proposa Aerandir. Vu la valeur potentiel de l’objet, je pense que vous y gagnez. Qu’en dites-vous ?

- Qu’en dites vous, répéta Pako.

Si l'atmosphère se voulait un peu trop solennelle, l'interlocuteur ailé s'assura de briser la glace. Loin d'importuner, cet oiseau créa une familiarité bienvenue, d'autant plus que sa prononciation parfaite éveillait de doux souvenirs chez le prêtre.
Bien qu'il refusa le breuvage offert, Aerandir accepta l'amabilité, permettant aux deux Sindarins de débuter un début de camaraderie. Pour l'instant leur race était la seule chose qu'ils eurent en commun, Faenor espérait que cela évoluerait.

Une discussion houleuse attira toutefois son attention, quelques grands barbus débattant à haute voix sur les dire d'un certain barde. Bien que cela frôlait l'impolitesse, Faenor leur offrit immédiatement toute son attention, ses oreilles sindarines lui permettant d'entendre clairement la conversation. Malgré le siècle passé à Phelgra, sa compréhension du Zinonien restait somme toute sommaire, d'autant plus lorsqu'il était teinté par l'accent grognant des Lhurgoyfs. Il saisit néanmoins le corps du sujet : le groupe débattait si oui ou non il devait suivre les élucubrations du barde et partir en quête de ce fameux gant. Enfin il obtenait une confirmation que son voyage ne fut pas vain!
Absorbé par son espionnage auditif, le Forgeron resta muet, ce qui forcément éveilla la curiosité de son interlocuteur. Il ne se rendit compte que trop tard de son indiscrétion, seulement alors qu'il préparait une diversion, il fut heurté par la franchise. Son silence fut tout d'abord la seule réponse qu'obtint Aerandir, toutefois la candeur de ce dernier poussa Faenor à délié sa langue.

« Eh oui... une épée de qualité cela est tout à fait faisable... »

Le haut-prêtre ne put s'empêcher de sourire, réalisant que malgré les années passées loin de Canopée, il tombait encore dans les dérives de son peuple. Dans son ubris il avait oublié que le Gantelet d'Hephaestus était un trésors d'Istheria, les légendes l'entourant emmenant forcément leur lots d'aventuriers et d'opportunistes. L'autre Sindarin semblait sincère, seulement s'il était capable de donner si aisément sa confiance, ce n'était hélas plus le cas de l'ancien Astar.

« Eh bien je crois bien m'être fait devancé! Finissons d'abord notre verre, ensuite nous pourrons... »

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'une cohorte de cris rendit le reste inintelligible. Un terran encore plus excentrique que les deux Sindarins fit son entrée, ses habits colorés et chatoyants l'entourant comme une armure. La clameur saluant son arrivée témoigna largement de sa popularité, sa simple présence réchauffant l'ensemble de la taverne. Sa guitare ne tarda pas à rugir, les voix des locaux se mêlant à la musique, quelques corps imbibés d'alcool se mettant même à danser.
Faenor se contenta tout simplement d'hausser les épaules puis, le sourire aux lèvres, se reversa un verre. Avec la délicatesse d'un chat il changea de place, déplaçant son sac, les verres et la boisson comme si de rien n'était, navigant au sein des larges Zélos en poisson au milieu des requins. Il recherchait simplement un peu de calme, n'ayant guère envie d'accueillir la carcasse titubante d'un géant graisseux sur ses épaules.

Le chahut s'essouffla de lui-même, les musiques animées laissant place à de simples balades, jusqu'à ce que l'alcool finissent par fermer le clapet du chanteur. Insatisfait, Faenor constata qu'il n'était pas le seul à guetter le conteur.

« Sois sur tes gardes. »

Il lâcha cette phrase à Aerandir avant de se lever, le reste de son sake en main. Sa vitesse lui permit de couper la route à un large homme, prenant ainsi le tabouret disponible aux côtés du barde. Vu le gabarit du malchanceux, l'homme de foi espérait sincèrement que son compagnon de fortune s'occupât de ce désagrément.

« Jolie performance que voila, cela mérite au moins un verre! »

Une entrée en matière plutôt réussie si ce n'était pour l'air bien trop guindé du haut-prêtre. En y repensant, Aerandir était surement bien plus apte que lui à délier les langues. Au moins le prêtre avait-il pour lui une bourse bien remplie, l'alcool s'avérant après tout le plus charismatique des alliés. Plutôt que d'envoûter sa cible par les mots, il se contentait de l'énivrer, l'encourageant à chaque fois qu'il parlait de ses aventures. Il regrettait certes la voix portante du barde, seulement il ne pouvait espérer le rendre à la fois saoul et discret.

« Vous ai-je déjà conté l'histoire de ce bon vieux Baelus? Vous imaginez bien Sir qu'un type comme moi en a déjà de toutes les couleurs, mais ça?! Un homme capable de stopper la magie comme on arrête une épée, encaissant indifféremment flammes et foudre comme la montagne se joue du vent?! »

Enfin sa langue se déliait, et alors que Faenor l'encourageait, le Barde bondit de son siège, transformant par sa simple présence la taverne en théâtre. Conteur de talent, il donnait vie aux personnages, décrivant avec une passion entraînante les péripéties de ce vieux Baelus. Si le Gantelet d'Hephaestus ne fut jamais clairement mentionné, le mystérieux gants noir séant la main droite du protagoniste était une preuve suffisante.
Excellent orateur, le chanteur s'éteignit tout aussi rapidement qu'il s'alluma, mais ces mots ne furent pas oubliés. Tout ceci pouvait bien être le fruit de son imagination, seulement la multitude de détails couplée à la voix presque vibrante du Terran rendait difficile à croire qu'il eut inventé pareille histoire. Toujours assis aux côtés de l'artiste, Faenor plongea toutefois son regard dans les yeux d'Aerandir, un sourire complice aux lèvres. Ils avaient là leur première piste, restait donc à savoir quoi en faire. L'emmener avec eux, lui extorquer les sources de ses dires, peu importe leur choix, un environnement moins publique ne serait pas un luxe.

Aerandir sut lorsqu’il vit le sourire complice de Faenor ce que ce dernier avait en tête. En effet, le barde devenait de moins en moins discret, si toute fois on pouvait considérer qu’il l’avait été auparavent, et il avait le don d’attirer l’attention sur lui. Une idée lui vint alors, simpliste mais diablement efficace. Il repéra un aventurier suffisamment éméché à proximité du capitaine des pirates de l’assemblée. Il s’approcha de lui de manière naturelle feintant la personne voulant une meilleure place pour écouter le barde. Puis, profita d’une perte d’équilibre momentanée de l’aventurier pour le pousser subtilement en direction du capitaine.

Le capitaine eût le temps d’esquiver le malheureux qui paraissaît tomber d’ivresse, mais ce dernier emporta le verre du capitaine dans sa chute. Il n’en fallait pas plus pour mettre le feu au poudre, aventuriers contre pirates la bagarre était lancée. Plus personne ne prêtait attention au barde désormais. Usant de ses cinq sens pour anticiper les mouvements des bagarreurs alentour, Aerandir se faufila jusqu’au barde lui saisit le bras et l’emmena à l’exterieur du bar.

Sans prendre le temps d’une quelconque explication, il dirigea le barde vers une ruelle déserte. Il fut alors rejoins par Pako qui avait préféré la voix des airs pour sortir du Couteau Sanglant.

- Bien reprenons, que savez-vous du gantelet et qui en serait actuellement le propriétaire, questionna Aerandir.
- Je veux tout savoir sur le lieu où il pourrait être, ajouta-t-il d’un ton strict.

Tout en prononçant ces mots Aerandir jeta un oeil à son épée, le message était clair, la détermination se lisait sur son visage.

L’homme semblait effrayé, bien qu’il n’usait plus de ses intonnations théâtrales, il continua son récit. Le gantelet serait à Thémisto. Un certain Baelus serait actuellement en possession de l’objet et ce dernier s’en servirait pour récupérer les intérêts de prêts fait à des personnes peu recommandable, un business des plus louches.

Le barde ne semblait pas en savoir plus du moins Aerandir n’obtint pas plus d’informations malgré son air mençant. Il se retourna alors vers Faenor d’un air intérogatif.

- Que fait-on de lui le laisser là pourrait attirait d’autres chasseur de trésors, demanda Aerandir en Alfari en espérant que le barde ne le parlait pas.
- Que fait-on de lui, répéta Pako avec ses mimics habituelles.

Bien qu'il dût pour cela abandonner l'ascétisme de sa caste, le haut-prêtre constatait non sans satisfaction que le barde déliait sa langue. Jusque là sa méthode s'avérait efficace, aussi ne comprit-il pas vraiment l'intervention de son partenaire. Certes ce dernier avait su créer une diversion suffisante à rendre leur escapade inaperçue, seulement pourquoi brusquer inutilement un homme déjà enclin à converser? Manque de patience?
Faenor ne s'offusqua toutefois pas de ce changement, l'intimidation et la menace étant hélas monnaie courante dans le continent sombre. Suivant son frère de race, il fut forcé d'avouer l’efficience de sa méthode, le rossignol passant d’une simple balade à une véritable symphonie.

Ils avaient désormais une direction, un nom, et une confirmation de l'existence du trésor recherché. Bien que la pêche fût bonne, le Forgeron ne pouvait s'en réjouir. Il n'avait aucune envie d'aller à Themisto. Non seulement la capitale portait encore la marque de l'assaut du Colosse, le corps des victimes étant encore prisonniers de la flore, mais la nouvelle tête au sommet des Cavaliers de Sharna avait rendu sa position précaire. Si Alton Zolond n'avait évidemment aucun scrupule à fréquenter les cavaliers de Sharna (le contraire eut été cocasse), le haut-prêtre de Bor était plus réservé quand à ces derniers. Or l'ordre des chevaliers noir n'était guère connu pour sa tolérance et sa compréhension.
Bref, plonger dans ses réflexions le Haut-prêtre ne réalisa pas tout de suite que tout le monde attendait sa réponse. Levant les yeux, il regarda tout d'abord son compagnon d'un air surpris, puis observant le captif il fit un bond en avant, se plaçant entre le Sindarin et le barde.

« Grands Dieux non ! Je comprends ton inquiétude, mais bien que nous soyons à Phelgra nous restons des Sindarins. Il ne sera pas dit que les fils de Canopée tranchèrent la gorge d'un innocent. Cet homme ne nous a rien fait, et le Gant d'Hephaestus, s'il existe vraiment, ne nous appartient plus qu'à un autre. Un sourire brisa alors son sérieux, tandis que sa voix devint plus légère. D'ailleurs je pense que nous serons capables de dissuader la concurrence. »

Aussitôt dit, il indiqua au Barde de s'enfuir, ce dernier obéissant avec un zèle fanatique. Alors qu’Aerandir dirigeait l'interrogatoire, Faenor eut le temps d'enfiler son manteau de voyage, replaçant son barda sur son dos. Un battement d'aile perça la nuit, une grand hiboux glissant dans l'air, son plumage verdâtre s'accordant au ciel étoilé. L'oiseau se posa délicatement sur l'épaule du haut-prêtre, ses yeux ténébreux dévisageant l'autre Sindarin, avant de se poser sur le perroquet avec un air de défi.

« Et ben, il semble que Gwaedhiel est décidé de nous rejoindre. Bien que plus silencieuse que ce cher Pako, elle est mon compagnon de voyage. »

La chouette ferma les yeux, profitant du contact agréable de la main du Sindarin sur son pelage. Faenor s'était mis à observer attentivement Pako, ses yeux aiguisés se posant finalement sur la pierre finement incrusté dans le torse de ce dernier. Gwaedhiel possédait elle aussi une pierre de sphène, sauf que celle-ci était habilement masquée par son plumage.

« Je constate d'ailleurs que Pako est connecté à l'essence divine. Gwaedhiel partage aussi ce don. Si nous partons maintenant, Themisto n'est pas bien loin à vol d'oiseau. Mais peut-être préfères-tu passer la nuit ici? »

Évidemment que Faenor avait estimé que le perroquet possédait le don de gigantisme, car après tout l'animal était capable de parler même sans la pierre de sphène. Aussi regardait-il Aerandir d'un air interrogatif, prêt à littéralement prendre son envol.