_ Il parait que des personnes hauts-placées seraient gravement malades. _ Il parait que ça se bécotte "au bal de la Rose". _ Il parait que des créanciers en sont après un des conseillers de Ridolbar.
Abel était penché sur des dossiers délicats depuis des heures et il avait beau retourné les problèmes dans tous les sens, il ne voyait pas de solutions susceptibles de convenir à tout le monde. Il s'adossait au dossier de son fauteuil, repoussait la paperasse devant lui et soupirait longuement. Il se frottait le visage quelques secondes. Il lui fallait une pause. Il se levait et se dirigeait vers la fenêtre, fixant le jardin. A l'extérieur Ambre profitait du soleil de la saison morte et cueillait les dernières fleurs en compagnie d'une servante. Non loin d'elles, Reckless paressait au soleil. Comme si la jeune demoiselle avait senti la présence d'Abel, elle levait la tête dans sa direction et lui adressait un petit signe de la main. Il lui souriait tendrement.
Depuis l'incident, le fameux soir où il lui avait parlé, les choses s'étaient considérablement calmées, comme si l'adolescente avait pris conscience qu'Abel ne serait jamais que son bienfaiteur. Est-ce que tout cela allait durer ? Tout ceci n'était-il pas une façade ? Ambre n'allait-elle pas encore jouer un tour à sa façon ? N'allait-elle pas chercher à nuire à Swiezy ?
Abel prenait alors conscience qu'il tenait à Hélia plus qu'il ne l'aurait pensé. Tombait-il amoureux ? Une chose était sûr, elle avait pris une place importante dans sa vie, mais il n'en demeurait pas moins prudent. Personne ne devait savoir, pas maintenant. Il se devait de garder son statut de célibataire encore un temps. Il quittait la fenêtre pensait qu'il serait peut-être bon pour lui de s'accorder quelques jours de détente, loin des affaires de l'était, de la maison de jeux et de tout le reste. Pourquoi ne pas envisager une petite virée au vert dans un comté voisin ? Restait à choisir lequel. En pensant à tout cela, il se demandait si Swiezy accepterait de l'accompagner ?
A cette heure , elle devait se trouver en compagnie d'Opale. Il avait remarqué depuis longtemps les habitudes qu'elles avaient prise . Notamment celle de se retrouver au petit salon autour d'un plateau de friandises et d'un thé. Il réajustait son veston et le col de sa chemise avant de quitter le bureau. Il traversait le couloir, descendait le grand escalier et se rendait au salon. Des rires lui parvenaient aux oreilles et il se demandait ce qui se racontait pour provoquer pareils éclats de rires. Sans doute ne le saurait-il jamais.
Sa main pesait sur la poignée et la porte s'ouvrait sur le conseiller. Il était légèrement décoiffé comme si quelqu'un s'était amusé à passer une main dans ses cheveux. Il avisait les deux jeunes femmes assises sur le sofa, dégustant de mignonnes petites pâtisseries.
" Eh bien!Je constate qu'on prend du bon temps pendant que d'autre travail!"
Il avançait vers elles et prenait une gourmandises à la framboise qu'il engloutissait aussitôt.
" Ces pâtisseries sont divines. De vrais péchés mignons. Rien d'étonnant que vous les aimiez autant, au point d'en déguster chaque jour."
Abel s'installait dans un fauteuil et les observait toutes deux très longuement.
" Opale, peux-tu nous laisser, je te prie ? J'aimerai m'entretenir avec Swiezy en privé."
Elle acquiesçait à la demande de son patron et les quittait, les laissant seuls. Une fois la porte fermée, Le Sylphide posait son regard gris sur la jeune femme.
"J e compte m'absenter quelques jours. J'ai besoin de souffler un peu."
Il se taisait un instant et ajoutait.
" Je rassemble quelques affaires et je file à cheval d'ici une heure. Nuit sous la tente ou dans des auberges, rien de classieux. Et si tu t'interroges sur la présence de Marcus, ça sera sans lui. Tentée ? Tu m'accompagnes ?"
Cela était si soudain qu'on pouvait se demander s'il était réellement sérieux. Il semblait que oui.
-Oui mais elles sont tellement bonnes ! Profites ! Quand tu reprendras la route, tu pourras plus autant en profiter ! Et moi je ne pourrai plus profiter de ces moments entre filles !” Elle n’avait pas tort. Le départ d’Hélia avait été quelque peu retardé pour une raison de jalousie… Elle se souvenait pas de tout. Juste que cette femme l’avait frappé au mauvais endroit et qu’elle s’était ensuite réveillée dans sa chambre en compagnie d’Abel.
A cause de cette mauvaise blessure, elle n’avait pas pu reprendre son travail de mercenaire et encore moins engranger suffisamment d’argent pour reprendre la route. Ce n’était pas pour lui déplaire, elle aimait être ici. Elle aimait la compagnie de son amie et une compagnie tout autre aussi…
“A moins que ce soit surtout Messire Thorn qui te manque !” Aussitôt, Hélia sortit de ses pensées et devint rouge pivoine. Elle attrapa un coussin pour l’envoyer sur sa jeune amie.
“Cesse de dire des bêtises. Enfin… Il est vrai qu’il va me manquer mais je dois surtout le gêner plus qu’autre chose.
-C’est plutôt toi qui devrait arrêter de dire n’importe quoi. Je ne pense pas que tu le gênes. Tu respectes parfaitement ce qu’il te demande. A savoir que vous ne montrez pas votre relation en public, tu évites d’être jalouse face à la première femme qui passe et tu ne te mêles pas de ses affaires. Je ne connais pas une femme qui serait capable d’en faire autant avec lui ! Et il n’y a qu’à voir la façon dont vous vous regardez parfois pour comprendre que ce n’est pas un simple jeu entre vous.”
Hélia secoua sa tête et éclata de rire. Elle avait probablement raison. Même s’il y avait parfois des jeux de regards et qu’ils se retrouvaient souvent pour passer du temps ensemble entre ces murs, la jeune femme était toujours incertaine des intentions d’Abel. Est-ce qu’elle avait frappé trop fort en lui proposant une union entre eux ? D’un côté, elle se disait qu’elle n’aurait peut-être pas dû agir ainsi avec lui. D’un autre côté, elle ne regrettait absolument pas son audace.
Certes, ce n’était pas évident de garder ça caché. De plus, le fait de tourner en rond l’avait fait pas mal cogiter. Notamment concernant Ellusie… Depuis combien de temps ne l’avait-elle pas vue ? Comment réagirait-elle si elle voyait la Lhurgoyf ? Elle n’avait jamais parlé de cette relation à Abel. Il n’avait pas forcément besoin de savoir… Après tout, il n’était pas encore dans sa vie à ce moment-là et elles s'étaient toutes deux quittées. A contre-cœur mais elles étaient libres l’une de l’autre. Maintenant, elle avait Abel dans sa vie et même si elle ne disait pas clairement l’aimer, elle savait qu’il était très important et que chaque éloignement entre eux provoquait en elle une déchirure.
Elle était jalouse aussi. Combien de fois n’avait-elle pas sentit son monstre pointer lorsqu’elle voyait une femme aux bras de son cher et tendre compagnon. Toutefois, elle demeurait silencieuse et gardait le sourire face à cette situation. C’était un marché entre elle et le Sylphide. Elle se devait de l’honorer même si c’était pesant pour elle.
Alors qu’elles parlaient justement de lui, le voilà qui fit son entrée dans le salon. Hélia ne s’attendait pas à cela. Si la Lhurgoyf avait su… Elle aurait fait un effort pour être plus présentable. Elle ne portait qu’une chemise légèrement entrouverte et un pantalon en cuir. Même ses cheveux étaient, comme d’habitude, reliés en un chignon négligé. Quant à ses chaussures… C’était simple, elle n’en avait pas.
Gênée, elle se leva et s’inclina face à Abel:
“Messire Thorn, si on m’avait prévenue plus tôt que vous me ferez l’honneur de votre présence, j’aurais fait un effort pour vous être plus présentable.” Elle sentit Opale souffler du nez. Une moquerie ? Sûrement. Mais Hélia n’en fit rien.
" Ces pâtisseries sont divines. De vrais péchés mignons. Rien d'étonnant que vous les aimiez autant, au point d'en déguster chaque jour." Hélia restait silencieuse face à cette affirmation. S’étonnant presque que ça n’amuse pas plus Opale. C’était surtout elle qui adorait s’empiffrer de ces mignonneries. Autant la jeune femme au début appréciait ce plaisir de bourgeois, aujourd’hui elle avait surtout envie de goûter autre chose. Un bon poulet rôti en taverne par exemple… Ah… Un poulet rôti… Cette simple idée aurait pu la faire baver s’il n’y avait pas son amant face à elle.
" Opale, peux-tu nous laisser, je te prie ? J'aimerai m'entretenir avec Swiezy en privé."
“Oui Messire Thorn. Dame Zirhealia, n'hésitez pas si vous avez besoin de moi.”
Sans rien dire de plus, elle quitta la pièce. Hélia était à présent face à Abel et se triturait les mains. Parfois elle était tellement sûre d’elle face à lui. Et il y a des moments où elle perd ses moyens. Elle n’arrivait pas à se l’expliquer.
“Je suis contente de te voir. Je me sens tellement mieux, la douleur semble se dissiper.”
Elle ne savait quoi dire de plus… Il la regardait et cela la perturbait quelque peu. Elle s’approcha doucement de lui et se posa à ses côtés. Ils étaient seuls et elle attrapa délicatement une de ses mains tout en le regardant dans les yeux.
“Tu as quelque chose à me dire ? -Je compte m'absenter quelques jours. J'ai besoin de souffler un peu."
Cela semblait comme provoquer une bombe dans sa poitrine. Il partait ? Il avait besoin de souffler ? Elle ne pouvait pas réellement lui en vouloir. Tout devait être terriblement difficile pour lui. La vie à la Cour avait beaucoup de contraintes.
Et comme si c’était pas suffisant, elle était entrée dans sa vie comme une véritable tornade. Mettant également à mal sa relation avec Ambre. Certes, la jeune fille semblait plus douce avec Abel mais dès que le Sylphide avait le dos tourné, elle n’hésitait pas à cracher son venin sur Hélia.
Peut-être qu’elle devrait montrer sa forme monstrueuse à la petite. Juste pour lui montrer qu’il ne valait mieux pas énerver une Lhurgoyf ? Non. Mauvaise idée. Abel ne lui pardonnerait sans doute jamais et c’était pas dans les habitudes d’Hélia. Elle devait se montrer patiente avec Ambre. Mais quand même, c’était bien la première fois qu’elle avait autant de soucis avec une enfant.
Revenant à ce qu’Abel venait de dire, Hélia lâcha sa main et baissa son regard.
“Oh… Je comprends. C’est vrai que tu t’es beaucoup occupé de moi pendant que j’étais alité. Tu as sans doute des choses importantes à faire.”
C’était bien à contre-coeur qu’elle disait ça. Mais la tristesse dans ses prunelles émeraudes furent de courte durée lorsqu’il lui proposa d’être sa compagne de voyage. Aussitôt, une étincelle vint à naître dans son regard. Voyager ? Quitter la capitale ? C’était vraiment une idée des plus délicieuses ! Surtout qu’elle se sentait comme un lion en cage ici.
Il y avait tout de même ce problème… Vaughan avait une demeure et Hélia n’y avait pas encore mis les pieds pour comprendre cela… Il semblerait que ça allait attendre encore un petit moment.
Elle déposa tendrement un baiser sur la joue de son compagnon et lui répondit:
“C’est vraiment une bonne idée. On voyagerait incognito ? Ça va me faire du bien de quitter la capitale ! Il faut que je me prépare !”
Alors qu’elle se dirigeait vers la sortie, elle s’arrêta net, se retourna et demanda:
“Mais… Tu veux vraiment sortir juste pour souffler où tu as d’autres idées en tête ?”
Lorsque Abel était entré, cela avait coupé court à la discussion entre Hélia et Opale. Une chose était sur, ces deux là riaient et il aurait bien aimé en connaître la raison. Il notait tout de suite l’embarras de sa compagne et s’en demandait la raison. Etait-elle encore à ce point mal à l’aise en sa présence ? Non, cela ne pouvait être ça. Il devait y avoir autre chose et bien vite il sut quoi lorsqu' elle s’exprimait. Ainsi donc c’était ça, elle ne se trouvait pas assez apprêtée pour lui. Son regard gris s’attardait sur Hélia de longues secondes, la détaillant de la tête aux pieds.
" Tu es ici chez toi Hélia, je te l’ai dis mainte fois. Aussi nul besoin d’être impeccable en toutes circonstances. De plus nous sommes en comité restreint , alors ne t’en fait pas pour cela, je ne t’en tiendrai pas rigueur. J’apprécie les efforts que tu fais au quotidien et t’ en remercie. Je conçois qu’il ne doit pas être évident pour toi de vivre dans un tel luxe et avec de telles contraintes. Question d’habitude dirons- nous. Pour ma part, c’est différent, mais je ne t’ apprends rien. Aussi ne te sent pas mal à l’aise à cause de ça."
Il s’installait alors qu’Opale prenait congé et revenait poser ses prunelles sur Hélia qui se triturait les mains.
" Détend toi. Il n’y a aucune raison pour que tu sois si nerveuse. Te fais-je perdre tes moyens à ce point là ? Je ne vais pas te manger, tu sais."
Un petit sourire en coin. Elle venait s’installer près de lui et posait une main sur la sienne, lui affirmant qu'elle se sentait beaucoup mieux.
" Je suis ravi de te savoir sur pied. Cette blessure n’était pas belle et cela m’a inquiété quelques temps, je peux te le dire à présent."
Elle lui demandait s’il avait quelque chose à lui dire et la réponse tombait assez vite tout comme l’expression sur le visage d’ Hélia. De la déception et la peur de ne plus le voir durant des jours , et cela n’échappait pas à Abel. Tenait-elle donc à lui à ce point ? Au point de ne pouvoir dissimuler cette déception ? Il fut tenter de lui poser la question, mais n’en fit rien. Il ôtait sa main de la délicieuse et douce étreinte, se contentant de l’observer.
Elle était déçue et bien qu’elle affirmait comprendre son choix de s’éloigner , cela la blessait, et l’attristait, c’était une évidence. Pensait-elle vraiment ce qu’elle disait ou bien se moquait-elle de lui avec sa façon bien à elle de le taquiner? Non, à bien l'étudier elle était sincère. Comment pouvait-elle songer ne serait-ce un seul instant qu’elle était un poids pour lui ? Peut-être devrait-il faire preuve d’attention envers elle ? Il avait encore tant de chemin à parcourir en ce sens.
Tout était allé beaucoup trop vite entre eux. Il lui en demandait beaucoup, et jamais elle n’avait été contre sa volonté, acceptant toutes ses exigences. Et en retour qu’obtenait-elle de lui ? Pas grand-chose. Si ce n’est des moments volés par-ci par-là, afin de passer un peu de temps ensembles. Elle devait amèrement regretter de s'être engagée avec lui. Il était tenté de la libérer de ce fardeau. Mais voilà, il ne le pouvait pas. Il aurait du le faire il y a des semaines, maintenant c’était trop tard. Il soupirait longuement et se contentait de lui proposer de partir avec lui. Là, l’expression d’ Hélia changeait du tout au tout, comme s’il venait de lui influer une bouffée d’oxygène. Elle semblait ne pas en revenir.
"Juste toi et moi, nos montures et quelques effets personnels, rien de plus. J’ai pensé que cela te plairait de quitter la capitale quelques jours. Retrouver tes habitudes et en quelque sorte ta liberté. "
Il se levait et faisait quelques pas dans la pièce.
" Tu es enfermé entre ses murs depuis des semaines et changer d’air nous fera du bien à tous les deux. Allez là où nos pas nous porterons. Au retour, j’ai pensé que peut-être nous pourrions passer à la demeure de Vaughan. Je sais que c’est un projet qui te tient à cœur et que tu as du retarder à cause de ta blessure. Quand penses-tu ? Ainsi comme je te l’ai promis, tu ne serais pas seule pour affronter ce que tu pourrais trouver sur place."
Pour la seconde fois depuis bien longtemps, il songeait à quelqu’un d’autre que lui. La dernière fois…. Instinctivement, il jouait avec la chevalière qu’il portait à l’index gauche. Alors qu’elle gagnait la porte, il la rattrapait,la retenait pas le bras, et l'enlaçait.
" Attends! Je sais que tu aimerais autre chose en ce qui nous concerne. Chose que je ne peux te l'accorder pour le moment. Cela te blesse, je ne suis pas dupe. Je t'en demande beaucoup et en retour, je ne t'offre pas grand chose. Alors si tu te sens enfermée ou étouffée par cette situation n'hésite pas à partir."
Il était des plus sérieux. Etait-ce ça façon à lui de lui dire qu'il tenait à elle, mais qu'il ne la retiendrait pas dans une relation qui ne conviendrait plus à Hélia ? Il l'embrassait tendrement et relachait son étreinte.
" Allons faire nos sacs, ils ne vont pas se préparer seuls. J'ai aussi quelques directives à données." «
Abel était ravi qu’elle ait accepté de l’accompagner. Au bas de l’escalier, il l’abandonnait pour se diriger vers le quartier des domestiques.
" On se trouve aux écuries dans une heure, nos montures seront prêtes."
Le conseiller se montrait sous un autre jour en présence d'Hélia, bien loin de l’image qu’il renvoyait en société. Cet Abel là, peu se vantait de le connaître.
" Détends toi. Il n’y a aucune raison pour que tu sois si nerveuse. Te fais-je perdre tes moyens à ce point là ? Je ne vais pas te manger, tu sais."
Pas la manger ? Au sens figuré, cela restait à voir. Hélia avait bien remarqué la manière dont le Sylphide pouvait parfois la regarder. Il y avait eu des tentatives qui se sont finalement soldées par des échecs pour diverses raisons. Peut-être n’était-elle pas tout simplement prête ? Au sens propre… C’était Hélia qui était en parfaite capacité de croquer son enveloppe charnelle. Et ça, le Conseiller ne le savait toujours pas. Intérieurement, elle se maudissait de garder pareil secret… Mais d’un autre, elle craignait sa réaction. Notamment vis-à-vis d’Ambre. Est-ce qu’il serait aussi serein qu’à l’ordinaire s’il apprenait que sa petite protégée côtoyait un monstre ? Un monstre qui pourrait faire des victimes si elle perdait le contrôle ?
Bien sûr qu’elle était triste à l’idée qu’il s’éloigne d’elle mais elle comprenait que ses obligations ne lui permettaient pas de rester auprès d’elle pour toujours. Ils devraient bien se séparer de temps à autre. Elle-même, un jour, il lui faudrait reprendre la route au nom de l’Ordre d’Oris. Elle avait entendu que quelques volontaires se regroupaient. Elle ne serait donc pas seule à le vouloir et c’était tant mieux. Il ne manquait plus qu’à ce que la caste se remette en place.
Aussitôt, elle chassa ses mauvaises pensées pour s’attarder plus sur le reste de la conversation.
C’est quand elle comprit qu’Abel souhaitait l’emmener loin de la capitale pour lui faire plaisir qu’elle sentit son coeur s’alléger un peu plus.
" Tu es enfermée entre ces murs depuis des semaines et changer d’air nous fera du bien à tous les deux.”
Elle était d’accord sur ce point. Même si elle n’avait pas repris de contrat depuis l’accident, la jeune femme avait saisi l’idée qu’elle était une menace potentielle pour la gente féminine. À juste titre. Et cela lui avait donc valu des regards et… Une tentative d’assassinat. Cela l’obligeait à rester encore plus sur ses gardes qu’à l’ordinaire. D’autant que l’air de la nature lui manquait. Même sa forme monstrueuse semblait bien silencieuse depuis quelque temps. Comme un gouffre, un vide qui la rongeait elle et sa part monstrueuse. Est-ce une explication claire ? Il fallait dire qu’elle ne savait pas elle-même comment décrire cette sensation.
Hélia se dirige alors vers la sortie pour préparer son sac quand, soudain, le Sylphide l'interrompit dans sa démarche.“Attends…” qu’il disait. Elle s’arrêta net, se retourna pour lui faire face. Au même moment, il l’enlaça et lui souffla quelque chose à l’oreille. Il était bien conscient que leur situation n’était clairement pas enviable pour bien des raisons. Il voyait aussi sa tristesse… Au nom de quoi faisait-elle autant de sacrifices si, dans le fond, cela la rendait malheureuse ?
“Alors si tu te sens enfermée ou étouffée par cette situation n'hésite pas à partir."
Juste après, il l’embrassa tendrement avant de lui dire de partir préparer ses affaires.
***
Elle était un peu en retard. En même temps, vu le temps qu’elle avait pris… Elle aurait dû s’en douter. La jeune Lhurgoyf avait pris la soudaine décision de changer de coiffure avant le départ. Elle avait demandé à quelqu’un de lui couper ses cheveux… Si ses cheveux lui tombaient jusqu’au bas du dos, ils lui tombaient, à présent, jusqu'aux épaules. Rafraîchir un peu ça ne pouvait pas faire de mal. Elle avait ensuite pris soin de se faire une petite tresse sur le côté droit.
Une fois prête, la voici qui se rendait vers les écuries pour retrouver Shiral. Alaïs, quant-à-elle, s'agrippait à son sac de voyage tout en sifflant. La petite hermine semblait également heureuse de partir en voyage.
Hélia avait sa tenue de voyage habituelle et une jolie petite cape de velours bleu nuit. Un petit cadeau de convalescence que lui avait offert Opale. “Pour que ça te tienne toujours chaud. Et que tu penses un peu à moi aussi !” avait-elle dit à ce moment-là. Un fin sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme aux cheveux de cendres… Opale. Elle avait vraiment pris une place importante dans la vie d’Hélia. Et ça, c’était grâce à Abel en somme. S’il ne l’avait pas invité à venir chez lui, la jeune demoiselle ne l’aurait jamais rencontré.
En parlant du Sylphide… Le voici qui l’attendait. Il était là, allongé dans le foin. Cela fit rougir la jeune femme qui s’en approcha, tout en gardant une certaine distance.
"Navrée, j’ai conscience de mon retard. J’avais peur que tu craignes que je ne vienne pas… Par rapport à ce que tu m’as dit tout à l’heure.”
Aussitôt, elle attrapa une mèche de ses cheveux fraîchement coupés et joua avec entre ses doigts.
“Il faudra qu’on en reparle si tu veux bien… Mais ce n’est peut-être pas le moment. Plus tard. Et au retour, on n’échappe pas au fait qu’on doit voir la maison de Vaughan.”
Shiral hénissa légèrement, comme pour montrer son impatience du départ. Swiezy se dirigea vers la bête et caressa ses naseaux. Un sourire sur les lèvres se dessinait. Bientôt, elle pourrait de nouveau sentir le vent caresser son visage. Fini les regards.
“Il y a quelque chose que j’aimerais te donner et te dire aussi… Mais ça attendra.”
Plein de mystère derrière tout ça. Mais Hélia savait qu’ici, ils n’étaient pas entièrement seuls. Et elle, c’est ce qu’elle recherchait. Parler librement sans crainte d’être écouté.
Hélia et Abel s'étaient donc séparés dans le hall de la maison, chacun vacant à ses occupations avant le départ. Le conseiller allait s'entretenir avec Eurydice, lui indiquant son départ pour quelques jours et lui recommandait de faire attention à Ambre. Que cette dernière avait besoin de beaucoup d'attention ces derniers temps et qu'il ne fallait sous aucun prétexte la négliger. Mais ça, Eurydice le savait depuis que la petite était arrivée dans cette demeure.
La gamine avait un fichu caractère, mais depuis quelques temps la Sylphide avait remarqué un changement dans son comportement. Avait-elle pris conscience que toutes ces crises ne menaient à rien ? Peut-être, mais il certainement plus probable qu'elle commençait à trouver un certain équilibre à sa nouvelle vie. Au bien sûr, elle était toujours aussi attaché à Abel, mais à présent elle savait mieux cacher ce qu'elle ressentait pour lui en présence d'autre personne. C'est ce qu'elle laissait voir, car elle était toujours aussi entichée de lui. Le savoir avec Hélia la rendait malade de jalousie, mais elle savait qu'un jour ou l'autre Abel la quitterait. Ce n'était qu'une question de temps et du temps la Sindarin en avait beaucoup devant elle.
Après l'entretien avec Eurydice, Abel allait trouver Marcus, l'informant qu'il partait quelques jours et qu'il n'avait pas besoin de ses services. L'homme protestait, prétextant qu'il n'était pas prudent pour le conseiller du Roi de partir sans escorte. Il avait beau argumenter sur les dangers que cela pouvait représenter, rien ne faisait changer d'avis Abel. La discussion était close.
A présent il ne lui restait qu'à rassembler quelques effets personnels et de retrouver Hélia aux écuries. A peine gagnait-il ses appartement qu'Ambre faisait son entrée et s'étonnait de le voir préparer un sac ?
"Tu t'en vas ? Mais... tu m'avais promis de m'accompagner à la soirée d'anniversaire de la fille Fermonte."
La fille Fermonte, la promesse faite il y a quelques semaines de ça. Abel avait complètement oublié.
" Je suis navré, mais je ne peux venir avec toi. Je dois m'absenter. Marcus t'accompagnera. "
Ambre tapait du pied, contrariée.
" C'est avec toi que je veux y aller ! Pas avec Marcus !"
Abel cessait se qu'il faisait et prenait Ambre par les épaules.
" Il arrive parfois qu'on ne puisse honorer ses promesses. Tu es déçue et tu m'en veux, tu en as le droit. Seulement , je ne suis pas un citoyen comme les autres, tu t'en est rendu compte depuis longtemps. Il faut faire avec, même si cela n'est pas toujours plaisant. Je sais que tu comprends."
Ambre affichait une petite moue boudeuse avant de se blottir contre Abel.
" Je serais bien ingrate de t'en vouloir après tout ce que tu fais pour moi. De la vie que tu m'offres. J'aimerai juste que tu sois moins occupé, que tu ne sois pas Messire Thorn, Conseiller du Roi."
Abel eut un léger soupir, caressant doucement la chevelure d'Ambre.
" Je sais. Essayons juste de composer avec."
Il s'écartait de la Sindarin et achevait de boucler son sac.
"Je dois y aller ma petite Ambre. A mon retour, je compte sur toi pour me raconter comment était cette soirée."
Elle acquiesçait, affichant un grand sourire et filait aussitôt, lançant du couloir.
" A bientôt mon adoré. "
"Ambre !" Pestait Abel.
"Oui, oui je sais. Tu préférais peut-être … Papa ?!"
Abel manquait de s'étouffer avant d'entendre Ambre rire aux éclats. Il secouait la tête, attrapait son sac et gagnait les écuries. Avant cela il faisait part à Marcus qu'il devrait accompagner la petite chez les Fermonte.
En entrant dans les écuries, il s'attendait à trouver Hélia trépignant d'impatience, mais elle n'était pas là. Il en profitait pour fixer son baluchon sur la selle de sa monture et en vérifiait harnachement. Il flattait l'encolure de l'animal longuement.
"Tu vas pouvoir bientôt galoper mon Seigneur Noir."
Une dernière caresse et Abel allait s'étendre dans le foin, portant un brin à sa bouche. Attendant que la chasseuse de prime se manifeste. Les minutes passaient inlassablement et il se demandait si elle n'avait pas changé d'avis. C'est qu'elle en mettait du temps ! Beaucoup trop, même. Ce n'était pas dans ses habitudes de le faire attendre de la sorte. Et avec tout ça, Abel n'avait pas encore décidé de leur destination.
Soudain des pas se faisaient entendre et Swiezy faisait son apparition. Et quelle apparition ! Elle était métamorphosée, si bien qu'Abel laissait échapper un sifflement appréciateur. Elle s'approchait, s'excusant de son retard tout en piquant un fard et de revenir sur les mots que le Conseiller avait prononcé plus tôt. Elle voulait en reparler avec lui un peu plus tard. Il restait silencieux de longues minutes, l'observant avant de se redresser. S'arrêtait tout près d'elle, la frôlait d'une main audacieuse et soufflait à son oreille.
" L'attente valait le coup. Cette coiffure te sied à merveille."
Il l'écoutait attentivement alors qu'elle avouait vouloir lui offrir quelque chose, se tenant toujours aussi près d'elle. Si près qu'il aurait pu l'embrasser. Cela avait-il un rapport avec le cadeau qu'il lui avait fait il y a quelques semaines ? Se sentait-elle redevable ? Et qu'avait-elle donc à lui dire ? Voilà qui était bien mystérieux.
Puis soudain, il faisait un pas en avant la forçant à reculer et à se retrouver dos à un box. Son regard gris fixé dans les prunelles vertes de la chasseuse de prime. Une étincelle passait dans ses yeux et ses mains s'aventuraient langoureusement sur le corps Swiezy, remontant doucement jusqu'à venir emprisonner les dextres, les plaquant au dessus de la tête de la demoiselle, une jambe se faufilant entre les siennes. Il se penchait alors vers elle comme s'il voulait profiter de la situation et lui susurrait ...
"Tu es si désirable."
Il lui mordillait l'oreille.
" Je n'ai qu'une envie. Te jeter dans ce tas de foin et de te prendre sans autres préliminaires. Te faire des choses dont tu rougiras et dont tu ne pourras plus te passer."
Le Sylphide se plaquait contre elle et à ce moment précis, elle put sentir tout le désir qu'il avait d'elle. Il l’embrassait et la relâchait subitement, la laissant sans doute confuse. Il se dirigeait vers sa monture, la sortait du box l'air de rien et l'enfourchait.
" Alors tu viens ou faut-il que je m’exécute ? "
Il affichait alors un petit sourire qui en disait long.
Abel sifflait comme pour annoncer qu’elle était très attirante. La jeune femme baissa la tête et n’en fit aucune remarque. Combien de fois s'était-elle fait siffler dans sa vie ? Trop de fois sans doute et parfois, ignorer allait jusqu’à pousser les autres à être de plus en plus rustre envers sa personne. Si bien que plus d’un homme avait fini avec une ecchymose bien voyante autour de l'œil.
Néanmoins, cette fois-ci il s’agissait d’Abel et il n’était jamais allé plus loin sans son consentement. Elle laissa donc passer cette remarque et, en soi, elle était contente que sa petite surprise puisse lui faire de l’effet. Par contre, même s’il exprimait apprécier ce changement physique, la jeune demoiselle ne laisserait pas passer les propos qu’il avait dit plus tôt. A savoir, qu’elle pouvait partir si elle sentait que la relation ne lui convenait plus. Elle avait besoin d’éclaircir les choses et le plus tôt serait le mieux.
C’était la raison du pourquoi elle avait précisé qu’il lui faudrait en reparler avec lui. Hélia pensait que le Sylphide viendrait à répondre quelque chose mais, il n’en fut rien concernant cela. Au contraire, il se contenta juste de complimenter son changement physique et de s’approcher un peu plus d’elle. Très vite, elle se retrouva dos au mur et prise au piège entre ses bras. Son coeur se mit à battre rapidement alors qu’il commençait à la chercher à travers des mordillements où encore ses quelques paroles.
Hélia voulait répondre quelque chose. Mais quoi ? A vrai dire, elle ne se sentait pas d’humeur aussi joueuse. Elle se sentait même acculée vers une chose dont elle ne se sentait pas forcément prête. Que devait-elle faire ? Le repousser ? Non… Ça porterait peut-être à confusion.
Elle avait envie d’Abel. Depuis bien longtemps mais elle s'était toujours maintenue à garder une limite entre son compagnon et elle. Et c’était probablement à juste titre puisque ce dernier semblait ressentir une attirance croissante envers sa personne. Est-ce que ce serait toujours le cas si elle se donnait à lui ? Où finirait-il par s’en lasser ? Après tout, sa rumeur de coureur de jupons était bien présente.
Comment pouvait-elle douter de lui ? Elle se maudissait de lui faire aussi peu confiance. Mais à cet instant précis, elle était tout bonnement perdue dans ce qu’elle devait faire. Heureusement, Abel se contenta de l’embrasser avant de retourner à sa monture.
“Alors tu viens ou faut-il que je m'exécute ?”
S’exécuter de quoi ? Il fallut quelques secondes à Hélia de comprendre et, une fois le sens de ses paroles saisi, elle en devint rouge pivoine.
“Allons-y”
Sans laisser la moindre opportunité à Abel, elle monta sur Shiral avant de partir au galop.
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