Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)

News & Infos

C'est ici que vous trouverez les dernières infos du moment, les utiles et moins utiles.

Temps actuel

Effectifs

• Eryllis: 3
• Ladrinis: 9
• Eclaris: 5
• Prêtresses: 5
• Cavaliers de S.: 5
• Nérozias: 6
• Gélovigiens: 3
• Ascans: 0
• Marins de N.: 4
• Civils: 15

Lien recherché

- Walter cherche de Preux chevaliers.
_ Raël veut des clients.
_ Deirdre a besoin d'employé!

Les Rumeurs

_ Il parait que des personnes hauts-placées seraient gravement malades.
_ Il parait que ça se bécotte "au bal de la Rose".
_ Il parait que des créanciers en sont après un des conseillers de Ridolbar.

Code par MV/Shoki - Never Utopia



 
AccueilAccueil  FAQFAQ  RechercherRechercher  Dernières imagesDernières images  MembresMembres  GroupesGroupes  S'enregistrerS'enregistrer  ConnexionConnexion  


-20%
Le deal à ne pas rater :
-20% Récupérateur à eau mural 300 litres (Anthracite)
79 € 99 €
Voir le deal

Partagez
 

 Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
AuteurMessage
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeDim 23 Fév - 23:09

Adam et son unité, ainsi qu'une autre, escortaient un groupe de prêtresses à Gaef, une mission dès plus banale et des plus ennuyeuses le concernant. Les bandits ne se risquerait pas face à quatorze soldats de l'armée régulière de Hellas. Le groupe de religieuse pouvait être revendue mais le pays tout entier se mobiliserait pour les secourir, seul des idiots tenteraient le coup, et un paquet d'imbécile pour venir à bout des militaires, même avec une ambuscade.

L'autre Caporal-Chef s'était vu attribuer le commandement de par son ancienneté, ce qui arrangeait Adam, ainsi, il n'avait qu'à s'occuper de sa propre unité. Le voyage se passa bien, mais lentement. Subvenir aux besoins de leurs groupes avaient nécessité l'emploi de chariots, et comme les prêtresses ignoraient ce dont elles auraient besoin, ces dernières en avaient profité pour emmener toute sorte de choses que le soldat jugeait inutile.

Il ne leur restait plus qu'une demie journée de voyages pour arriver au port. Les pêcheurs allait enfin recevoir des soins. Pourtant Adam n'arrivait pas à dormir, ou plutôt Lan l'y empêchait, ce dernier semblait très agiter pour une quelconque raison, que l'ancien Tueur Nérozias n'arrivait pas expliquer lui même. Pour passez le temps, et ayant assez de se retourner dans sa couche inutilement, il se leva et alla patrouiller. Le camp y était calme, au centre, se trouvait les dix prêtresses qui dormaient dans deux grandes tentes, les chariots à côté. Les soldats dormaient tout autour. Vu leur faible nombre et la proximité de Gaef, son homologue avait jugé que quatre sentinelles suffisaient, une bêtise estimait Adam, mais il ne pouvait que lui donner raison sur un point, ils étaient tous assez fatigués. Les chevaux avaient été regroupés dans un coin herbeux.

La nuit était pesante et silencieuse, et nombre de soldat semblait avoir un sommeil agité, les tentes étaient, elles éclairées, les prêtresses avaient elle aussi un trouble du sommeil. Adam se dirigea vers une sentinelle qui marchait. C'était l'un de ces hommes, un homme plutôt agréable à vivre, mais qui ne ferait jamais une grande carrière militaire. Guère intelligent, néanmoins pas mauvais à l'épée sans être exceptionnel.

"Caporal-Chef, tout va bien ici. Rien à signaler."

"Repos Soldat, je ne suis..."

Dans cette nuit silencieuse, le moindre bruit, même infime ne pouvait échapper à l'oreille aguerrie de Adam, la corde l'arbalète et le bruit du carreau traversant l'air étaient semblable à celui du tonnerre.

"A terre..."

Mais il était trop tard, la sentinelle avait le torse transpercé par le carreau. Il était mort sans même s'en rendre compte, cela aurait pu être Adam, question de chance, toutefois, le camp était attaqué. Le Caporal-Chef allongé sur le sol, cria avant de se relever pour former les rangs. Le temps d'un instant, il avait vu, une lueur rouge à travers les ténèbres, sans doute une illusion.

"ON NOUS ATTAQUE, SOLDAT PROTEGES LES PRETRESSES."

Et ce fut un massacre, les assaillant leur était supérieur en nombre et ne craignait pas la mort. Leurs yeux étaient comme possédés, les soldats reculaient sans cesse, leur mission échouée. Leur chef Adam vit que les prêtresses furent capturées sans heurs. Se rendre aurait pu être une solution, si un des soldats, qui s'était retrouvé isolé, ne l'avait pas tenté avant de se faire tuer par une dizaine d'épée. Ils n'étaient plus que la moitié, et l'autre Caporal-Chef était déjà mort. Il n'y avait guère de solutions que la retraite, avec des renforts la tendance pouvait s'inverser mais pour cela, il fallait que quelqu'un s'échappe.

"RETRAITE."

Ce qui resta de la Garde Prétoriale tenta une percée, qui réussit tant bien que mal. Etonnammant, ils ne furent pas poursuivis par leurs assaillants. Néanmoins, ils n'étaient plus que quatre, et tous blessés plus ou moins. Dans leur fuite, ils tombèrent sur l'un de leurs chevaux, sans doute détaché durant le chaos. Adam envoya Michel, le seul soldat de son unité encore vivant, à Gaef pour demander des renforts. Tandis que lui retournait au camp pour connaître leurs intentions. Les prêtresses furent emmenées dans les grottes de  Fellel, si le Soldat devait croire sa carte. Sa tache fini, il retourna rejoindre ses compagnons d'infortunes afin de se rendre au vieux ports à pieds et attendre les troupes fraîches, sans pour autant relâchée leur surveillance des grottes.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeMer 26 Fév - 16:55

C’était une journée plutôt douce en Cimmeria. Les races herbes apparaissaient de nouveau, les troupeaux de bufflons ressortaient dans les vastes plaines et les écharpes se faisaient plus rares, comme les capuches retombaient sur les épaules.
Bien sûr, n’importe quel étranger trouverait que ce pays était toujours aussi glacial, mais pour ceux qui enduraient ce climat quotidiennement, l’arrivée de Béamas se faisait clairement ressentir.

Veto revenait des écuries. Maclov se portait bien et avait été mené au pré. Sur le chemin, il croisa le major d’un autre corps de garde. Il s’appelait Gardif. Ils se connaissaient plutôt bien. Les ruelles étaient relativement désertes. Seul le premier soleil pointait à l’horizon : Doroma perçait les voilent nuageux lointain et baignait avec peine la ville de sa pâle lueur. Le fond de l’air était encore frai et les deux hommes semblèrent d’avantage s’échanger des panaches de vapeurs que des mots. Ce fut bref et expéditif. Et surtout, ça n’avait rien à voir avec cette histoire. Ils se retrouveraient plus tard, en d’autres lieux, en d’autres circonstances.

Le jeune Sergent revenait ainsi à la caserne lorsqu’un cavalier arriva au galop dans la ville. Immédiatement, le visage du garde s’assombrit. L’arrivée était trop précipitée, trop dramatique ; il y avait trop de gardes qui le suivaient. Déjà dans le sillage de ce sombre messager, l’agitation battait son plein et d’autres hommes arrivaient de la porte de la ville où on l’avait laissé continuer sa chevauchée effrénée.

Le coursier se laissa tomber de sa monture et d’autres militaires se chargèrent de l’épauler.
Quelques minutes plus tard, Veto se retrouvait au côté d’un vieil ami, Sergent lui aussi. Ils étaient tous deux convoquaient devant leur Major.


« Bonjour Tarnac.
-Pas si bon que cela, j’en ai peur.
-Tu es au courant de quelque chose ? C’est à propos de ce cavalier de la garde prétoriale, je suppose.
-Tout juste. Le convoi des prêtresses a été attaqué apparemment. »

Les deux Sergents entrèrent dans le Bureau du Major Millenia Rigane. Elle remplissait frénétiquement quelques papiers.

« Tarnac, faites préparer les montures et rassemblez nos hommes. Tout le monde en selle dans quinze minutes, devant la garnison. Havelle, prenez ça et portez-le au Colonel Macclov. Et si j’ai bien compris, vous devriez nous ramener le dernier membre de l’expédition.
-Un gros bonnet ?
-Très. Exécution. »

Veto fila dans les étages et alla toquer à la porte du Colonel. On l’autorisa à entrer et il ravala le sourire qui naissait à chaque fois qu’il lisait le nom de son supérieur. Est-ce qu’on avait volontairement nommé sa monture de manière si similaire ?

Mais tout amusement avait disparu lorsqu’il pénétra à l’intérieur. Si avec le Major, la situation semblait précipitée, ici, le feu de l’action était moins présent et la gravité de ce qui se passait prenait toute son ampleur.


« Colonel Macclov. Sergent Havelle. J’ai une missive de la part du Major Rigane. Et on m’a donné pour mission de conduire quelqu’un jusqu’à notre point de départ.
-La liste de fourniture ? Bien. Quand serez-vous prêt.
-Nous pourrons partir dans quelques minutes.
-Bien. Vous escorterez le Colonel Jézékaël. »

Veto n’avez toujours aucune idée de la situation exacte mais désormais, s’il avait des doutes, le déplacement d’un colonel en personne sur le terrain était la confirmation qu’il se passait quelque chose de grave.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeMar 4 Mar - 12:21

« Qu’est-ce qui s’fiche ? Merde… »

Un spasme souleva soudainement la poitrine de Léogan et il blêmit en lisant le contenu de la missive que lui avait fait parvenir son collègue de la territoriale. Si le simple nom du colonel Macclov dans l’entête du courrier l’avait mis en alerte, le reste acheva de lui nouer les entrailles. Il leva la tête, la respiration coupée au milieu de la gorge.

« Merde. » lâcha-t-il en figeant son regard au milieu de nulle part.

Le choc le rendait incapable d’aligner quoi que ce soit convenable – et après tout, ce n’était pas comme s’il était particulièrement civil en temps normal. Le lieutenant Artwhÿs, en tout cas, ne sourcilla pas, son front se plissa seulement avec souci ; Léogan n’avait pas pour coutume de dramatiser les nombreux ennuis que les prêtresses faisaient sans cesse remonter jusqu’à son bureau : on le prenait souvent comme juge et arbitre de petites querelles sans grand intérêt où on comptait sûrement sur la fiabilité de son grade de colonel, sur sa patience pourtant agacée et rebutée, ou sur le sentiment un peu bête que tout serait réglé plus vite avec un officier de haut rang.  

« Merde, merde ! » cracha-t-il, avec véhémence, en froissant la lettre dans une de ses mains.

Il en avait rêvé cette nuit-là. Un fracas monstrueux d’armes qui ouvraient des crânes dans un bruit affreux, de haches qui défonçaient des poitrines, des jambes, et tranchaient des gorges, de poignards qui éventraient, éviscéraient, tranchaient des artères – les cris d’un carnage atroce s’étaient déversés dans sa cervelle brûlante et l’avaient réveillé en sursaut. Il avait pris péniblement conscience de sa vision et, convaincu qu’il ne s’agissait pas d’un cauchemar, sans avoir pourtant la moindre idée d’où et quand s’était produit ou se produirait ce massacre, il avait sauté de sa couche, revêtu son armure de cuir et été mettre les patrouilles sur le qui vive aux remparts d’Hellas. Il avait passé une bonne partie du matin noir ici, le vent froid giflant son visage, une capuche rabattue sur ses cheveux, à guetter quelque chose, n’importe quoi, avec l’agacement impuissant d’un visionnaire boiteux. Puis, quelques temps après l’aube, le lieutenant Artwhÿs était venu lui remettre ce courrier.
Le regard noir, les injures répétées et l’air affreusement affligé de Léogan poussèrent son lieutenant à l’interroger timidement :

« Mauvaise nouvelle, mon colonel ?
‒ Eh bien, c’est pas encore le démantèlement du pays, lieutenant, mais je vous prie d’me croire : on est dans une sacrée cagade, marmonna Léogan, en prenant son front dans une de ses mains pour mieux réfléchir. Les gamines parties dispenser des soins aux pêcheurs de Gaef, vous vous souvenez ? Capturées par des bandits. Pire encore : nos soldats ont été décimés.
‒ Par des bandits ? s’exclama Artwhÿs avec stupeur. C’est impossible, ils étaient près d’une quinz…
‒ Secouez vous, mon vieux, c’est un cas de force majeure ! le coupa soudain Léogan, en relevant la tête, les nerfs incendiés. Rassemblez moi dix hommes frais, et dites leur de choisir les meilleurs chevaux des écuries. Je veux que dans quinze minutes, tout le monde soit prêt à lever le camp, exécution !
‒ Bien, mon colonel ! »

Galvanisé par les sommations rigoureusement chiffrées de Léogan, le lieutenant Artwhÿs descendit au trot du chemin de garde, dévala un escalier de pierre blanche à grand bruit et coupa dans les rues d’Hellas en direction du temple de Kesha. Léogan, quant à lui, avertit la garde de son départ, fourra la missive dans une de ses poches, et suivit le même chemin que son officier. Il courut aux écuries, sella Ode en vitesse – la jument lui colla un grand coup de tête dans la poitrine pour lui témoigner son mécontentement – et se rua au temple de Kesha avertir sa collègue, Oria Val’rielan.
Si quatorze soldats n’avaient pas été assez pour endiguer une attaque de bandits, ni même pour empêcher l’enlèvement des prêtresses dont ils avaient la garde, que fallait-il penser du corps prétorial de l’armée cimmérienne ? Léogan défendait toujours la valeur de ses hommes avec la dernière énergie, même lorsqu’ils commettaient des erreurs un peu simplettes – un peu moins quand ils se mettaient à confondre la porte de son bureau avec celles des cuisines du temple d’Hellas, il fallait l’avouer, mais passons – et il ne pouvait admettre que seuls quatre de ses hommes sur quatorze avaient pu survivre face à un ennemi médiocre. Quatre survivants, seulement quatre, par tous les dieux ! Son esprit était plein d’un vide nauséeux. Bien sûr, il connaissait les enjeux de la guerre, malgré l’espèce d’insouciance cruelle avec laquelle il la rêvait, mais il n’arrivait pas à se faire aux pertes, quand elles se présentaient. Elles ne l’empêchaient pas de prendre en retour des décisions rapides et réfléchies, mais elles le mettaient toujours dans un malaise vertigineux dont il ne savait pas se défaire.
Macclov lui accordait un contingent de vingt-et-un hommes frais pour régler l’affaire, et Léogan lui en était aussi reconnaissant que redevable, mais face au désert de glace et à une menace inidentifiée, dix soldats en renfort ne seraient pas de trop. Peut-être qu’il considérait ses troupes avec un peu trop de gloire, ou qu’il leur prêtait des qualités exagérées, peut-être que trente cavaliers alertes n’étaient absolument pas nécessaires pour briser l’ennemi et sauver ces dames, mais il n’en avait vraiment rien à faire. Il s’organiserait.

Il déboula dans le bureau d’Oria comme un fou furieux et vida son sac à toute vitesse, puis il s’apprêta à repartir aussi sec.

« Fais attention à toi, vieux frère, le retint la Sylphide aux cheveux nacrés, ses yeux d’ordinaire froids, à présent pleins d’inquiétude. Interdiction de mourir dans ce désert et de me laisser en plan. Tu n’es déjà pas un cadeau, pas besoin de paperasse et de travail en plus. »

Elle serra sa main blanche sur le poignet de son ami, avec un sourire un peu tendu.

« Tout ira bien, répondit-il, en essayant de donner un peu de sérénité à son timbre. Je suis taillé pour les missions de terrain. Ca fait un peu trop longtemps qu’on me prend pour un serre-livre, ici. Ah ! S’il te plaît, laisse un peu de temps couler avant d’informer Elerinna de la situation et de mon départ, sinon elle voudra à tout prix m’accompagner – et là, les dieux m’en soient témoins, ça deviendrait un micmac innommable. »

Ils se serrèrent la main avec la gêne intime qui leur était habituelle et il disparut en coup de vent.

***

La traversée de la ville avait rendu Léogan un peu fiévreux, il ne ressentait plus le froid aussi vivement qu’il en avait l’habitude et ses mains gantées étaient parcourues de crampes nerveuses. Il tentait de retrouver son souffle tout en courant à travers les étages – ce qui s’avéra difficilement conciliable – et, arrivé à la porte du bureau de son homologue, il lâcha un profond soupir, épousseta rapidement son manteau de cuir noir, épongea son visage humide de transpiration, rejeta sa tignasse en arrière et se redressa fièrement. Il frappa trois coups à la porte et entra avec l’autorisation du colonel.
Il avança d’un pas compassé dans le bureau, les sourcils froncés et la mine sombre, et salua les deux hommes d’un geste vif, et un peu expéditif, il faut l’avouer.

« Colonel Macclov… Sergent Havelle. » acheva-t-il, après avoir identifié le blondinet d’un regard un peu plus appuyé.

Les sergents de la territoriale étaient certes bien trop nombreux pour qu’il fût permis à Léogan de les reconnaître tous, mais le petit Havelle avait de la bouteille et n’avait pas fini de faire parler de lui. Léogan avait suivi l’enquête et le procès dont le jeune homme avait été l’objet, quelques temps plus tôt – c’était un peu son travail de garder un œil sur tout ce genre d’affaires, puisque le corps prétorial avait à sa charge les investigations dans toute l’armée cimmérienne. Il avait été difficile d’y mettre son grain de sel : la querelle avait rapidement tourné au règlement de compte privé et avait échappé sournoisement à sa juridiction. Mais si la vie n’avait pas été tendre avec ce gamin, il avait la chance d’être entouré de relations de haut-rang – une bonne fortune qui tournerait vite à la déveine s’il s’avérait qu’il ne fût plus dans leur intérêt de protéger leur petite tête blonde. Pour avoir vécu une situation assez similaire à Canopée,  Léogan éprouva, en attardant son regard noir dans celui du jeune sergent, une sympathie sincère, que sa lucidité chargea néanmoins d’un cynisme grinçant.
Il se retourna vers Macclov, déterminé à achever efficacement l’entretien et à être reparti dans la minute qui suivait :

« Je me suis permis d’arriver avec dix hommes en renfort. Ils attendent aux portes d'Hellas. Mais je vous remercie avant tout de votre soutien. Je suis prêt à vous suivre, Havelle, dit-il, en se tournant vers le jeune homme, – désolé d’être si prompt, mais il n’y a pas de temps à perdre – je vous expliquerai la situation en chemin. »

Léogan plia le reste de l’entretien en recueillant rapidement les informations dont il avait besoin et vida prestement les lieux. Son pas s’allongea dans les couloirs, il avança presque au pas de course, talonné par le jeune sergent au regard gris, auquel il livra ce qu’il savait de la catastrophe avec une familiarité rare et la précision honnête qu’il accordait à tous ses hommes :

« Bien, sergent, ouvrez grand vos esgourdes, c’est capital. Nous nous dirigeons vers les grottes de Fellel. Un groupe de prêtresses y est retenu en otage, dix de mes soldats ont été tués, ajouta-t-il, d’une voix un peu rauque, en dévalant une volée de marches. Vous vous en doutez, mes hommes sont loin d’être des traîne-patins, aussi il est certain que l’ennemi qui les a abattus est autrement plus redoutable que la canaille avec laquelle nous traitons d’habitude. Il s’agit de rassembler les troupes, désormais, et de ne pas perdre de temps, alors assez bavassé. En selle, mon jeune ami. »


Dernière édition par Léogan Jézékaël le Mer 21 Mai - 12:42, édité 1 fois
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeLun 12 Mai - 23:56

Veto se tourna vers le nouveau venu, droit comme un « i ». Il avait sans arrêt ce port de tête à force d’habitude. Cette droiture s’était peut-être même accentuée au fur et à mesure qu’il avait gravi les quelques échelons qui l’avaient placé à la tête de ses hommes.

Il salua le Colonel également avant même de se rendre compte que ce haut gradé l’avait nommé par son nom. Même s’il avait été informé du nom du Major qui devait l’escorter, qu’il connaisse celui d’un simple sergent l’impressionnait. Il prit alors ceci pour une marque de grand professionnalisme.
Bien entendu, il ne se doutait pas de la vraie raison qui l’avait fait sortir de l’anonymat aux yeux de ce colonel.

Il resta en retrait durant le très bref échange entre ses deux supérieurs, cherchant à déterminé ce que le regard insistant qu’on lui avait accordé pouvait bien vouloir dire.
Il suivit en silence ce qui se dit et salua son supérieur pour suivre celui qui sortait.

Le pas pressé du Colonel ne plaisait pas du tout au Sergent. Décidément, l’heure était vraiment grave. Et en effet, à ses dires, ils avaient à faire avec des brigands d’un nouveau genre.
Nouveau, déjà parce qu’ils étaient rares les brigands qui s’établissaient dans les environs de la cité. Les plaines inhospitalières étaient très peu enclines à ce genre de groupement dissident. De plus, tous les convois étaient au moins quelque peu escorté qu’ils soient à destination de l’étranger ou de Gaef.
D’habitude, les seuls accrochages qu’une caravane pouvaient avoir la mal chance d’avoir été une meute de loups affamés ou un Bufflon sauvage… Exceptionnellement un Cerféli.

Une histoire de prise d’otage bouleversait tout ce que le Sergent pensait des plaines gelées qu’ils avaient si souvent arpentés avec ses hommes.

Ils débouchèrent rapidement à l’extérieur. Là-bas, les soldats se regroupaient et attendait les deux derniers arrivant. Corps prétorial et territorial côte à côte. On voyait de longues épées à deux mains pendre de la selle de certains des dix cavaliers qui se tenait légèrement à l’écart de la petite trentaine de montures de la Garde territoriale. Le colonel Rigane les attendait avec une impatience sobrement contenue.

Durant le peu de marche qui les séparait de la caserne et des autres, Veto se crut obligé de dire quelques mots.


« La sécurité de tous les Cimmériens est de la responsabilité de notre Corps, Colonel Jézékaël. Nous nous ferons un devoir de ramener nos prêtresses en vie. »

Il finit quelques secondes avant de rejoindre les autres mais déjà, alors qu’il montait sur son fidèle Maclov, il regrettait ses paroles. Venait-il de reconnaître que toute cette affaire était de la responsabilité de son corps militaire ? Lui, un pauvre sergent, venait-il de prendre la parole devant un Colonel pour jeter le discrédit sur ses propres supérieurs ?
Il semblait évident que ces malfrats venaient de la mer et aucun autre rapport ne signalait de pareils agissement dans un passé plus ou moins proche. Du moins, pas à sa connaissance.
Pourtant, le jeune Havelle restait convaincu qu’il aurait mieux fait de fermer sa bouche et il prit l’initiative de demander au Major de fermer la marche avec son équipe habituelle.

Après un rapide briefing de la part du Major, la quarantaine d’homme quitta Hellas au galop et ne devait arriver que deux grosses heures plus tard dans le bourg de Gaef.

Le vent s’était levé peu de temps après leur départ et les cache-nez avaient eu raison de toute volonté de discussion durant le trajet. Les montures du corps territoriales, drapées de longues couvertures qui leur remontaient jusqu’au chanfrein par-dessus la tête, avaient encerclés les onze cavaliers prétoriaux moins bien équipés et les avaient quelques peu abrités.
Mais ces petites bourrasques de vents n’avaient rien d’insurmontables et étaient même tout à fait naturelles à l’approche de la mer. Et déjà la haute silhouette du temple de Soulen se détachait de sur son rocher, surplombant les petites bicoques de pêcheurs et marins en contre-bas.

Veto avait mis sa paire de lunette en bois. Une simple plaque de bois avec une fente étroite, juste de quoi empêcher les flocons de gifler les pupilles et les soleils de rendre aveugle à force de réverbération sur le sol neigeux.
Entre les flocons, très peu de temps avant d’arriver, il vit le campement saccagé au loin au Sud de la piste directe menant à Gaef.

Veto mit pied à terre le dernier et rejoignit le Major Rigane et le Sergent Tarnac qui rejoignait les rescapés de l’attaque avec le Colonel Jézékael. Tous ne pouvaient qu’être impatients de connaître la situation exacte sur le terrain : nombre d’ennemis, leur armement, les pouvoirs qu’on les avaient vus utiliser, distance du repère depuis le village de Gaef, possibilité de rejoindre la grotte par une autre issue que celle empruntée par les brigands. Souvent, les grottes de Fellel communiquaient les unes avec les autres, formant un véritable labyrinthe sous-terrain sous le désert de glace, même si parfois, des murs de glaces plus ou moins épais avaient fini par se former, obstruant un passage ou presque. Même si tel était le cas, des pouvoirs de contrôle de la chaleur, de la glace ou autre pourraient facilement creuser un passage. Si une telle opportunité était à prendre, il ne fallait pas la manquer. Attaquer de front sur un terrain aussi découvert que celui du Désert de Glace ne ferait que mettre en danger les prêtresses.
Le Major demanda également au caporal-chef rescapé si leur chef avait été identifié et si on avait une idée de la raison de cette attaque.

Lorsque les questions tactiques vinrent à manquer, Veto se permit à nouveau une question qu’il regretta rapidement.

« Pourquoi avoir monté un campement à moins d’une heure à cheval de Gaef ? Le temps s’adoucit et nous n’avons pas eu vent de tempête printanière. Votre convoi avait largement le temps d’atteindre le bourg hivernal en une journée… Vous vous êtes perdus ou vous avez eu un contretemps ? »

Si c’était surtout sa curiosité qui l’avait poussé à poser cette question, peut-être son inconscient ressassait-il encore cette réplique lâché au colonel. D’une certaine manière, la réponse pourrait très bien dédouaner quelque peu le corps territorial de l’entière responsabilité de cet incident : si les plaines désertiques ne sont pas entièrement pacifiées, Gaef et Hellas, ainsi que la piste reliant les deux le sont plutôt bien.
Certes, la piste n’est pas des plus aisées à suivre mais tout militaire du corps territorial en est capable. C’est d’ailleurs aussi pour cela qu’on fait escorter les convois par au moins une équipe réduite, pour être sûr qu’ils ne se perdent pas.
Et si la responsabilité n’était pas forcément celle de ce pauvre Caporal-chef qui avait perdu pratiquement tous ses hommes ? Et si la faute incombait à celui qui avait monté cette expédition ?


Le major coupa court à toute réponse.
« L’heure n’est pas de savoir à qui la faute, Sergent ! Vous avez souvent patrouillé dans ce secteur, je crois.
-Veuillez m’excuser. Oui, Major Rigane, en effet. Des patrouilles de routine pour déloger quelques Cerfélis solitaire ou une horde de Leweira qui se seraient installées sur la côte, un peu trop près du Temple ou des habitations.
-Et vous ne les connaîtriez pas, vous, les grottes du coin ?
-Je connais deux autres entrées, une à cent mètres au Nord du Temple de Soulen et l’autre à deux kilomètres au Nord-Est de celle qui nous intéresse. Mais leur réseau est très complexe, vous le savez, Major Rigane. Je ne suis pas en mesure d’affirmer qu’il existe une communication simple entre elles et le repère de nos cibles.
-Et vous Sergent Tarnac ?
-Je n’ai pas connaissance d’autres entrées que celles citées par le Sergent Havelle et n’ai rien d’autre à ajouter Major. Si nous décidons de suivre cette piste, nous pourrions très bien perdre du temps et finir dans un cul-de-sac pendant que ces tarés font Kesha sait quoi à nos prêtresses.
-Pourtant, je ne vois pas d’autres solutions pour éviter un bain de sang. Nous pourrions faire deux groupes pour optimiser le temps d’exploration. Je dois bien avoir deux télépathes qui pourront permettre à ces deux groupes de rester en contact et peut-être, si nous avons de la chance, prendre ces fumiers en tenaille de manière synchronisée… Qu’en pensez-vous mon Colonel ? »
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeMer 21 Mai - 23:40

Il dévalait les escaliers en compagnie du jeune sergent Havelle, qui avait l’air de ne pas en croire ses oreilles. Quand ils passèrent les portes de la caserne, le ciel trop pâle d’Hellas éblouit cruellement leur regard. Léogan passa une main lasse sur ses yeux fatigués, tandis que Veto lui lançait bravement quelque chose sur la responsabilité des soldats de la territoriale et leur devoir envers leurs sacro-saintes prêtresses.

« C’est ça, oui. » répondit négligemment Léogan, qui n’avait déjà pas grand-chose à faire des promesses d’allégeance nobles et solennelles d’habitude, et qui avait pour l’heure d’autres préoccupations à l’esprit.

Trente-et-un cavaliers faisaient le pied de grue à la sortie de la caserne. Léogan repéra rapidement ses hommes à leur costume et aux regards graves qu’ils posèrent sur lui. Il abandonna Veto Havelle à son propre corps d’armée et s’avança vers le lieutenant Arthwÿs, qui avait apparemment informé la petite troupe de la situation, et qui lui reporta également les troubles de la grande-prêtresse, qui n’avait pas été mise au courant de la catastrophe, qui s’interrogeait du remue-ménage que faisaient ses troupes et qui faisait chercher partout son fidèle colonel. Léogan écarta cette perspective d’un geste de la main évasif et marmonna : « Val’rielan lui dira tout ce qu’elle veut savoir quand nous serons partis, peu importe. Elle me fera tous les reproches du monde quand nous reviendrons, voilà tout ». Artwhÿs, qui avait l’habitude du mépris des conventions de son supérieur, opina du bonnet.  
Puis, fidèle à son poste, il lui tendit les rênes de sa jument pie et Léogan grimpa prestement sur sa monture. Il croisa le regard du sergent Havelle, aussi délavé que le ciel de Cimméria, et réalisa tout à coup qu’il avait pu le blesser en balayant tout à l’heure sa remarque, et quoi qu’il ressentît un mépris véritable pour les échanges solennels, qu’il trouvait effroyablement creux, il fallait tout de même reconnaître qu’il était assez osé de la part de ce garçon de faire endosser toute la responsabilité de cet enlèvement à son corps d’armée. Naturellement, Léogan ne s’intéressait pas à chercher à qui la faute et l’idée que la territoriale eût à se blâmer de cette catastrophe – dont la responsabilité incombait avant tout aux bandits qui l’avaient causée – lui parut même étrange. Décidément, la fière culpabilité des militaires le surprendrait toujours.
Il adressa tout à coup à Veto un sourire pâle et peu compréhensible, voire plutôt amusé. Les sabots de sa jument frappèrent sèchement le pavé et il se pencha discrètement vers le jeune sergent au moment de passer devant lui.  

« Avant de faire partie de deux corps différents, nous appartenons à la même armée, sergent, glissa-t-il, sereinement. Nous avons une mission commune qui doit être remplie, c’est tout ce qui compte. Allons, il est temps. »

Léogan et sa jument à la robe chatoyante laissèrent le jeune Havelle à son arrière garde et rejoignirent le major Rigane qui s’occupait d’haranguer les vingt-et-uns soldats que Macclov lui avait confiés. Enfin, un peu pressés par le regard insistant du Sindarin, les officiers coupèrent court au bavardage et la troupe quitta Hellas au grand galop.

***

Ils arrivèrent à Gaef deux heures plus tard. Le vent marin faisait trembler les bicoques en bois des pêcheurs, qui ne tenaient debout que par une grâce du destin ou d’une magie énigmatique. L’iode venait fouetter les silhouettes glacées des cavaliers et balafrer leurs visages. Léogan avait dans la gorge un goût minéral qui lui lacérait les cordes vocales. Il n’avait pas prononcé un mot du trajet, qui avait été d’ailleurs aussi mauvais qu’il l’avait présagé. Où qu’ils avaient tourné leurs regards, ils n’avaient vu que des pics rocheux et de vastes étendues de glace, et les bises assassines du vent leur avaient transpercé la chair jusqu’aux os. Cette météo n’avait certainement rien d’insurmontable pour les fiers soldats de la garde cimmérienne, mais n’avait pas pu passer la barrière d’exécration derrière laquelle Léogan la plaçait depuis toujours. Ce fut donc de fort méchante humeur qu’il sauta au bas de sa monture pour rejoindre son caporal-chef rescapé.

Ode avait la robe luisante de sueur, mais son renâclement était encore énergique et formait des panaches de vapeur dans l’air froid du jour. Son maître aussi se sentait fiévreux, mais il posait autour de lui des regards d’une lucidité aigue. Il écouta le récit de Bashere avec une sombre attention et vit dans les regards des trois autres soldats survivants les restes encore frémissants de leur angoisse nocturne, ainsi que les éclats vifs de la peine qu’il partagea avec eux pendant quelques instants.
Mais bientôt, les questions tactiques requirent toute sa vigilance. Le major Rigane, une femme de poigne qui avait l’air aussi prompte en besogne que Léogan, avait pris les devants et posait aux quatre blessés des questions vives et précises. Ils avaient les yeux hagards et n’étaient capables de formuler que des réponses brouillonnes, où on comprit seulement que la nuit, leurs faibles effectifs et la peur avaient eu raison de toute riposte organisée. Léogan les écoutait sans prononcer un mot, la figure insondable, et réfléchissait à mesure que ses hommes, en état de choc, tentaient sans grand succès d’analyser les problèmes survenus pendant la nuit.
Et puis, tout à coup, coupant le silence qui s’installait peu à peu entre les uns et les autres, la voix curieuse et coupable du sergent Havelle s’éleva dans les bourrasques marines et s’éteignit doucement sous les regards réprobateurs de sa supérieure. La remarque qu’il fit surprit un peu au milieu de tous ces raisonnements tactiques – le bougre avait l’air de ne suivre que le propre fil de sa pensée, qu’il n’avait pas l’air d’avoir très pragmatique – mais cela ne manqua pas de faire frémir les lèvres de Léogan et faillit même lui arracher un sourire amusé malgré son amertume. Ce garçon n’avait décidément pas la langue dans sa poche. Quoi que le sous-entendu de ses questions n’était pas particulièrement adapté au moment, ni à la susceptibilité de Léogan, cette petite impertinence inspira à celui-ci un peu plus de bienveillance.
Le major, qui n’avait pas assez d’éléments en main pour comprendre le trouble de son sergent, balaya brutalement le problème pour s’empresser de faire le point et établir rapidement un plan d’action. Léogan l’écoutait d’un air pensif, le menton plongé dans une de ses mains, et s’il lui fut reconnaissant de ne pas perdre de temps, il estima néanmoins qu’elle brûlait quelques étapes.

Léogan appréciait sincèrement ses collègues de la territoriale, des hommes et des femmes d’action qui ne versaient pas dans la politique, c’était un point qui méritait d’être relevé ; il les appréciait sincèrement, ou en tout cas, davantage que ces foutrassons du corps municipal ; mais il fallait tout de même admettre qu’ils avaient une propension assez forte au chauvinisme agressif. En écoutant les vociférations du sergent Tarnac et du major Rigane, qui ne contenaient plus leur fureur, Léogan sut que le prétexte de l’urgence aurait tôt fait d’évacuer toutes les subtilités stratégiques d’usage, comme la possibilité intéressante de se mettre à la place de l’ennemi et d’évaluer les éventualités qui se présentaient à lui. Tarnac semblait prêt à enfoncer leurs troupes en coup de poing dans la première entrée de la grotte – ce qui était stupide à bien des égards aux yeux de Léogan ; on avait vu assez de grandes armées, dans l’Histoire, s’aventurer sur des terrains qui ne convenaient ni à leur nombre, ni à leur mode opératoire, et se faire décimer par des petites factions sans prétention qu’elles avaient sous-estimées. Heureusement, cette proposition ne convint pas au major, qui avait l’air douée de plus de bon sens que Tarnac et qui proposa à son tour un plan d’action, très efficace à première vue – et Léogan faillit l’approuver à grands renforts, avant de se fâcher des nombreux détails qu’elle laissait au hasard.
Il n’y avait guère que le jeune Havelle pour rester assez détaché et objectif, dans cette affaire. Il parlait calmement et avec précision, dans le vocabulaire chiffré qui plaisait à Léogan dans ce genre de circonstances, et il l’avait écouté décrire la situation avec beaucoup d’intérêt, avant que le major ne relevât fougueusement la tête vers lui pour demander son assentiment.

Il la fixa en fronçant les sourcils, prit une profonde inspiration, et lança d’une voix grave, que son long mutisme rendait même un peu rocailleuse :

« D’abord, j’aimerais que nous prenions tous un peu de recul, major. »

Avant toute chose, Léogan se tourna vers ses quatre hommes blessés, qui avaient grand besoin de soin et de repos et qui attendaient ses ordres avec embarras. Il interpela Adam  d’un ton catégorique :

« Caporal-chef. Vous et vos hommes pouvez rentrer à Hellas. Je vous donne dix jours de permission – ne le prenez pas comme une sanction : vous en avez besoin. »

Les quatre soldats du corps prétorial acquiescèrent ensemble et Léogan se détourna d’eux en inclinant doucement la tête pour leur témoigner son soutien. Il s’adressa alors à Veto Havelle, qui se reprochait visiblement beaucoup de choses qui ne dépendaient pas de lui, et qui, en rejetant timidement la faute sur les hommes qui avaient monté l’expédition – sur Adam Bashere et sur les colonels du corps prétorial par extension – avait semblé vouloir signifier quelque chose à Léogan.

« Ensuite, sergent Havelle, soyons clairs, dit-il, calmement, en plongeant ses yeux noirs dans le regard pâle de Veto. Bashere n’était pas à la tête de l’expédition. Nous avons perdu le caporal-chef Derhil qui en avait la charge, et ses erreurs, s’il en a fait, ne pourront pas lui être imputées. Du reste, je me fiche bien de blâmer qui que ce soit ici, alors cessez de vous inquiéter. »

Si Rigane avait évacué rapidement la question, Léogan préférait lever toute sorte d’ambigüités avant d’amorcer la moindre action militaire avec ce soucieux sergent. Il lui était apparu plutôt clairement que ces problèmes de culpabilité et de déshonneur ne cesseraient de tarauder Veto, et si ces histoires ne lui faisaient personnellement ni chaud ni froid, il avait besoin de l’entière vigilance de ses hommes pour se garder d’un nouveau fiasco. Il espérait que ces quelques mots auraient raison de la gêne du jeune homme, au moins pour le bien de l’opération.
Ceci dit, il en revint au sujet qui les intéressait tous et qui réclamait de lui une attention urgente.

« Maintenant, je pense que nous manquons foutrement d’informations, major, pour prendre de bonnes décisions, jeta enfin Léogan à Rigane, avec sur le visage une ombre et dans la voix une pointe d’agacement. Caporal-chef, avant de partir, fit-il, en se retournant vers les quatre soldats, qui s’apprêtaient à vider les lieux. Je sais bien qu’il faisait nuit, comme vous l’avez dit au major, mais pensez y mieux, étaient-ils nombreux ? Ont-ils subi des pertes ? »

Son timbre de voix était plus bas et ses inflexions plus lentes que ceux du major Rigane. Ils ne pourraient rien tirer de ces hommes sans faire preuve de patience : la nuit les avait exténués et la catastrophe les avait proprement foudroyés. Léogan s’avança un peu vers eux, les couva d’un regard tranquille et attendit quelques instants, le temps pour eux de rassembler leurs pensées.

« C’est vraiment difficile à dire, mon colonel… commença le première classe Earül, en guettant un signe d’approbation de son caporal-chef, puis, l’ayant obtenu, se livrant discrètement à son colonel. Je crois qu’ils étaient quelque chose comme le double de nos effectifs. Qu’est-ce que t’en penses, Céored ?
‒ Ils étaient en supériorité numérique, ça c’est sûr, et si on a pu en éliminer quelques uns, ils ont complètement absorbé nos forces. Mais je crois que ce n’est pas vraiment ce qui a été décisif…
‒ Ne recommence pas avec ça… l’interrompit Earül avec agacement, avant de s’excuser amèrement. Laissez tomber, colonel. Il faisait nuit et certains d’entre nous se sont imaginés…
‒ Ecoute, moi j’ai rien imaginé. Il y avait ce type, en armure, qui donnait des ordres – je vous l’ai dit, c’était sûrement le chef. J’ai essayé de lui rentrer dedans mais j’ai pas réussi à user de magie contre lui – c’était…
‒ C’était juste la panique, colonel, coupa encore une fois le première classe Earül, d’un air sombre.
‒ Ne soyez pas si sévère, ce n’est pas une hypothèse à exclure. De l’antimagie, donc ? marmonna Léogan, en passant une main nerveuse dans ses cheveux, les yeux songeurs. Trente types pour un groupe de bandits du désert, ça me semble beaucoup. Si ces hommes sont autant que vous le dites, il a bien fallu que quelque chose ait trouvé la force et l’autorité de les rassembler pour monter une expédition aussi ambitieuse… Alors pourquoi pas. Reste que cet élément ne peut que constituer l’inconnu de notre équation. Merci à vous, vous pouvez disposer. »

Léogan leur adressa un sourire voilé, puis voulut se retourner vers les autres officiers qui attendaient ses instructions.

« Et pour les dépouilles de nos camarades, colonel ? intervint soudain l’un des quatre soldats moroses, qui était resté silencieux jusqu’ici. On ne peut pas les laisser là-bas… »

Ces paroles glacèrent un peu plus Léogan, que les survivants fixaient avec douleur. Il n’aimait pas répondre à ce genre de questions. Il n’était pas cimmérien, son sens de l’honneur et de la dignité étaient franchement discutables ; il préférait donner des invectives pragmatiques. Crier de grands « pour la gloire d’Hellas et pour Kesha ! » en se lançant à l’assaut, ce n’était pas pour lui, il le laissait à d’autres. Il parut troublé, un instant seulement, puis il répondit d’une voix claire, presque douce, en posant une main légère sur l’épaule de son soldat :  

« Les morts ont fait leur temps, il faut consacrer le nôtre aux vivants. Nous ramènerons leurs dépouilles avec nous à Hellas quand nous rentrerons. Laissez la neige de Cimméria les garder pour l’instant. Elle leur fera un manteau qu’ils n’auraient pas renié, car ils étaient ses protecteurs, n’est-ce pas ? Disposez, nous prenons votre suite. Vous avez fait ce qu’on attendait de vous. Il faut rentrer chez vous, maintenant. »

Les hommes gardaient la terre, et puis c’était au tour de la terre de garder les hommes, ce n’était que justice pour ceux qui avaient à cœur de protéger et de chérir leur patrie. Le visage du soldat qui s’était inquiété du sort des dépouilles de ses frères d’armes s’apaisait doucement et la douleur dans ses yeux se fit moins aigue. C’était bien. Il s’en était plutôt pas mal sorti.
Léogan n’aimait pas cette terre et se serait contenté de savoir que ses cendres auraient été éparpillées aux quatre vents par des bêtes féroces, s’il avait trouvé la mort. Il était personnellement très loin de ses considérations, mais il fallait encore accorder de l’attention aux attaches et aux vœux nobles de ses hommes, qui, s’ils n’avaient pas grand-chose à voir avec les siens, avaient de la valeur à leur façon.  

Les quatre soldats du corps prétorial s’éloignèrent définitivement de l’attroupement que les militaires faisaient devant Gaef. Ils passeraient peut-être encore quelques heures dans les petits dispositifs que l’armée entretenait dans le village et finiraient par retrouver leurs familles à Hellas, le cœur lourd, certainement, mais tout de même sains et saufs. Léogan, encore assombri par les mots qu’il avait prononcés et le triste état de ses hommes, se frotta les mains machinalement et, les sourcils froncés, s’apprêta à parler avec plus de pragmatisme et d’empressement à l’attention des officiers de la territoriale et du lieutenant Arthwÿs – il était plus que temps d’entrer dans le vif du sujet.

« L’ennemi a subi des pertes, déclara-t-il, d’une voix rapide et sévère, les bras croisés derrière son dos et le regard fiché sur chacun d’entre eux. Alors à trente-et-un contre moins de trente bandits, mettons une vingtaine, nous sommes en état de supériorité numérique – ce qui, de toute évidence, ne nous sera pas d’un grand secours si nous entrons tous dans les couloirs étriqués des grottes. »

Il ne servait à rien de précipiter trente soldats armés jusqu’aux dents dans de pareils couloirs. L’ennemi semblait avoir fait cette erreur, il ne s’agissait pas de la reproduire.

« Toutefois, objecta Léogan, avec souci, il serait aussi ennuyeux de ne pas profiter de notre avantage numérique quand l’ennemi semble conserver de son côté une ressource non négligeable, qui nous est, du reste, encore inconnue… Cela dit, j’approuve, major. Ils ont mis en pièce un contingent de quatorze soldats, il n’est pas question de tenter de les prendre de front, d’autant qu’ils sont sûrement en terrain connu dans ces grottes. S’ils s’y dispersaient en emmenant les prêtresses, nous n’aurions plus aucune chance de les retrouver. »

Bien entendu, il fallait espérer que ce ne fût pas déjà le cas… Sinon, il s’agirait de fouiller les grottes de fond en comble, et ils n’en avaient ni le temps ni les moyens. Mais à rester optimiste, on pouvait encore considérer que les bandits avaient voulu se faciliter la tâche et ainsi rester groupés pour surveiller leurs huit otages. Ce n’était que pure spéculation, mais que pouvaient-ils faire d’autre ? Léogan décida de ne pas faire part de ses craintes aux autres officiers, qui étaient déjà assez nerveux, à l’évidence, et chassa lui-même cette sombre perspective de ses pensées.
L’idée de les prendre en tenaille grâce aux deux passages évoqués par le sergent Havelle s’imposait effectivement ; elle restait à travailler, aussi coupa-t-il court aux approbations.

« Passons. C’est très bien tout ça, mais si l’ennemi tente une sortie par le premier passage au moment où nous tentons de le dénicher dans les grottes, ou au moment où nos deux groupes le prennent d’assaut… C’est évidemment un coup à se faire avoir comme des bleus. »

Il était même étonnant que l’un des officiers n’y eût pas fait allusion. Il était hors de question de laisser ce passage sans surveillance ; en fait, ils avaient tout intérêt à y concentrer leur attention.

« Bien. Voilà ce que je suggère, conclut Léogan, d’un ton plus autoritaire. Nous nous diviserons en deux groupes de sept, major, je prendrais Havelle avec moi, vous prendrez Tarnac, et nous nous partagerons également vos télépathes afin de communiquer. Mais gardez en tête que nous risquons de subir quelques perturbations magiques, si l’hypothèse du première classe Céored s’avère correcte. Selon les grottes qu’Havelle et Tarnac connaissent le mieux respectivement, nous nous séparerons comme vous l’avez dit, pour prendre l’ennemi en tenaille – si nos deux groupes parviennent à se rejoindre évidemment. Entendons-nous, notre infériorité numérique, ainsi que nos positions dispersées, ne seront qu’à notre avantage. L’ennemi, qui s’est encombré d’unités nombreuses dans ces grottes, ainsi que de huit otages, n’a pas pu s’enfoncer très profondément dans Fellel, et nous devons observer que sa mobilité est considérablement réduite. Nous les attaquerons sans ligne de front, en embuscades discrètes et progressives, afin de remettre la main sur les prêtresses au plus vite, et de réduire drastiquement leurs effectifs... Mais il faut cependant mettre à profit notre supériorité numérique actuelle. Artwhÿs, vous pratiquez également la télépathie, il me semble ?
‒ Oui, mon colonel.
‒ Je vous donne le commandement des seize hommes restants, vous vous appliquerez à former un mur – aussi discret que possible – sur l’entrée par laquelle se sont engouffrés nos bandits. Si notre action de guérilla les repousse vers l’extérieur, à découvert et sur un terrain plus propice à l’épanouissement de leurs forces, vous devrez les tailler en pièces. Si tout se passe comme je l’espère, vous serez assez pour soutenir une de leurs percées. Il s’agit simplement de ne pas mêler les prêtresses à la mêlée… C’est bien compris ?
‒ Bien reçu, mon colonel. »

Léogan se laissa un instant de répit pour réévaluer le plan d’action qu’il avait présenté aux autres officiers. Il devait avoir cerné la plupart des éléments qui ne dépendaient que de leur entendement et de leurs possibilités d’action. Evidemment, tout n’était pas sous contrôle ; mais ce qui devait l’être l’était, en théorie en tout cas. Le reste était laissé au hasard et au talent d’improvisation des hommes.

« Dans tous les cas, major Rigane, il faudra tenter de rester en contact, ajouta Léogan, toutefois préoccupé par les talents d’antimagie dont les bandits étaient peut-être dotés. Si cela s’avérait impossible, notre objectif principal est de garantir la sécurité des prêtresses et de les sortir de ce guêpier, rien de plus. Nous aviserons alors de l’anéantissement ou de la capitulation du groupe de bandits en temps voulu. Des objections ? Des questions ? » demanda-t-il, finalement, en levant un regard péremptoire sur les quatre officiers.

Il s’attarda un instant imperceptible sur le visage barré de cicatrices de Veto Havelle et s’avoua à lui-même qu’il aurait peut-être été préférable de répartir les caractères fougueux de Tarnac et du major dans deux groupes séparés. Mais il était quasiment certain qu’il supporterait très mal d’être guidé par Tarnac, qui avait l’air de tenir si fort à « leurs » malheureuses prêtresses sans défense. Un éclair de cynisme passa dans le noir de ses prunelles. Non, vraiment, c’était un coup à l’horripiler, et il ne voulait pas que la territoriale se mît à douter du bienfait de son affectation à la tête du corps prétorial. Quels inconscients.
Mais il devait surtout admettre qu’il était curieux de voir le sergent Havelle à l’œuvre et que ce n’était pas sans malice qu’il l’avait choisi, alors que le jeune homme s’était arrangé pour se tenir à distance de lui pendant le voyage.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeLun 2 Juin - 15:03

« Des objections ? Des questions ? »

Veto était resté silencieux durant la fin de l’établissement du plan d’action, opinant du chef au moment des remontrances faites à son égard pour signifier qu’il comprenait. Oh, il n’était pas vexé par aucune des réponses. Il lui en fallait bien plus –ou de la part d’une toute autre personne– pour qu’il s’offusque. Non. On n’avait entrevu qu’une partie de son raisonnement mais qu’importe. Il avait appris à être un bon militaire : à plier l’échine et se faire remettre à sa place régulièrement.
Mais à ces deux dernières interrogations, le plan principal établi désormais, il revint à sur sa précédente intervention. Oui, ils connaissaient le terrain et il était temps pour lui et Tarnac d’apporter les quelques touches finales qui manquaient à ces préparatifs.


« Oui, mon colonel. Veuillez m’excuser mais je reviens sur la raison qui a retenu nos hommes en pleine toundra et qui m’interpelait tout à l’heure.  La vérité est que je ne me souciais qu’à moitié de savoir qui en avait donné l’ordre. Nous sommes en bord de mer et le temps y a tendance à changer très vite. Si c’est une tempête printanière qui a retardé le convoi, il pourrait y en avoir d’autres sous peu.
« De plus, si ce sont des bêtes qui les ont attaqués, il faudrait être prudent également. Lorsqu’une meute de loup en est réduite à attaquer des hommes, souvent, il arrive que d’autres animaux rôdent la faim au corps dans les parages…
« Et… »
Une troisième explication lui vint à l’esprit mais il se ravisa, jugeant ses deux premières bien suffisantes et la dernière trop rocambolesque.
« Et donc, Major, Colonel, je pensais que si on devait laisser des hommes en arrière à la surface avant de s’aventurer dans les galeries, il faudrait prendre quelques précautions.
« J’avais pensé, moi-même, gagner l’entrée de la grotte au Nord du temple à cheval en longeant le lac. Le terrain descend jusqu’à la plage dans une petite pente qui nous cachera d’une hypothétique sentinelle placée à l’entrée empruntée par les bandits. »

Le Major fixa son sergent Havelle comme pour percer à jour s’il chercher à se racheter ou si elle l’avait réellement mal jugé. En tout cas, nul doute qu’elle appréciait moyennement qu’il ait attendu la fin du briefing pour préciser sa pensée quant à sa remarque de tout à l’heure.

« En effet, ce n’est pas idiot Sergent Havelle. Mais il va falloir rappeler les hommes congédiés désormais. Vous auriez pu vous expliquer plus tôt.
-Je pense que ça ne devrait pas être nécessaire, Major. Quelle que soit la raison, nous devrons simplement être prudents et garder à l’esprit que le terrain est sans doute tout aussi dangereux que notre cible. Je sais que nous pouvons prendre les précautions nécessaires. Nous l’avons déjà fait.
-Très bien. Sergent Tarnac, vous avez un moyen de nous amener jusqu’à l’autre entrée sans se faire repérer vous aussi ?
-Oui. J’avais pensé vous proposer de retourner vers Hellas sur quelques kilomètres. De là, en remontant droit vers le Nord, nous resterons assez loin de l’entrée que nous voulons éviter et nous pourrons gagner une zone plus accidentée qui nous camouflera jusqu’à ce que nous rejoignons notre objectif.
-Quoi que nous décidions, Major, je crois que les chevaux ne pourront nous suivre dans les grottes mais ils restent indispensables pour atteindre nos entrées respectives dans des délais acceptables. Je propose donc de les renvoyer à Gaef sous la tutelle de quelques hommes qui pourront alors rejoindre l’unité du lieutenant Arthwÿs. De cette manière, nous éviterons de leur faire prendre des risques inutiles.
« Aussi, Colonel, je vous propose de partir à dix à cheval et de confier la charge à trois hommes de ramener les montures tandis que nous nous enfoncerons dans les grottes à sept comme vous le conseilliez. Je veux dire, comme vous le planifiez. »
Le Sergent Tarnac se tourna également vers le lieutenant chargé de l’arrière garde.
« Je pense que mon équipe devrait être la plus à même de vous assister, Lieutenant. Elle connait le terrain et saura vous guider afin d’approcher l’entrée sans être repérés. Même si ça semble très plat par ici, on sait trouver les congères et les crevasses qui feront la différence. »

Une fois que ces derniers détails furent réglés, les soldats de rangs furent avertis. Veto expliqua ce qui allait se passer à son équipe, la grotte qu’ils investiraient et la manière dont tout se déroulerait. Ou la manière dont tout devait se dérouler. De même, il ne manqua pas de donner les ordres accessoires, ceux qu’il fallait appliquer si ça tournait mal : ceux qui faisaient passer la sécurité des prêtresses avant tout.

Ainsi, ils cheminèrent le long de la plage du lac gelé, Veto et le Colonel en tête. La robe de leurs deux montures était très similaire, par le plus grand des hasards. Les deux chevaux à la robe bicolore marchaient à pas raisonnable et venait de passer l’ombre imposante que projetait sur la plage le temple de Soulen depuis son perchoir de granit effilé.


« Dans une demi-heure, nous abandonnerons la plage et les montures. La plaine gelée est dépourvue de tout obstacle et il faudra faire vite pour rejoindre l’autre entrée des grottes si on veut éviter au maximum de se faire. Pour le moment, le dénivelé nous garde des regards indiscrets. Mais là-bas, il y aura une quinzaine de mètres en rase campagne. »
Il se tourna vers son caporal-chef :
« Caporal-chef Abel, je pensais renvoyer le Caporal Caspasros et les secondes classes Lirgue et Isul avec les chevaux, qu’en pensez-vous ?
-Ça me semble être un très bon choix, Sergent. » répondit-il avec un léger sourire en coin que Veto lui rendit. En effet, de toute l’équipe, ces deux hommes étaient les moins efficaces mais ils n’en restaient pas moins de bons éléments dans l’absolu.

Après cette demi-heure de marche forcée imposée aux montures qui auraient bientôt droit à un repos bien mérité, ils mirent pied à terre au pied d’une petite falaise d’une dizaine de mètres. Un sentier à peine perceptible longeait la paroi et signifiait clairement que quoi que les soldats aient décidé vis-à-vis des chevaux, ça se ferait sans eux désormais.


« Bien. Seconde classe Pournis. Vous passez devant et vous essayez de repérer si la voie est libre jusqu’à la grotte. Seconde classe Limale, je pense qu’il est temps pour notre premier rapport.
-Je vais essayez, Sergent. »

Le Sergent écarquilla les yeux et se tourna vers le caporal-chef alors que leur télépathe arborait un visage contrit digne du plus douloureux des embarras intestinaux.

« Je vous avais dit Sergent que notre télépathe n’était pas ce qu’on pouvait trouver de mieux. Mais il va y arriver. Il manque d’entrainement, c’est tout. On fait pas ça tous les jours. »

Et en effet, après deux bonnes grosses minutes, le seconde classe rouvrit les yeux, l’air hagard, le visage un peu pâle et une envie pressante de s’assoire sur le rocher le plus proche.

« Je… Je crois que c’est bon… C'est loin ! Bouse de Bufflon !
-Qu’est-ce qu’ils ont dit ?
-De quoi ?
-N’ont-ils rien répondu quant à leurs progressions ou leurs situations ?
-Je… »

L’espace d’un instant, le seconde classe Limale se prit la tête et sembla déboussolé. Au vu de la situation, Veto comprit qu’un autre télépathe était entré en contact avec lui mais très vite, il sembla perdre le contrôle et pris d’un mal de tête douloureux. Finalement, il se figea, les yeux fixés sur l’horizon, bien au-delà de l’ouverture de la baie glacée.

« Limale… On vous a perdu ?
-Ici le lieutenant Artwhÿs.
-Veuillez m’excuser lieutenant.
-Ce n’est rien Sergent. J’ai pris la liberté de prendre le pas sur le télépathe envoyé avec le Major. Il m’a déjà fait son rapport. Votre télépathe semble avoir du mal à gérer la réception de trois flux de pensées simultanés. L’équipe du Major Rigane sera en vue de leur objectif dans une dizaine de minutes. La mienne reste à bonne distance de l’entrée pour ne pas être repéré. Nous nous approcherons dès que vous aurez commencé à pénétrer les galeries, comme convenu. Les hommes du sergent Tarnac ont trouvé un passage plus ou moins à couvert depuis l’ouest. Le vent marin balaiera assez les flocons depuis cette direction pour rendre difficile sa surveillance depuis la grotte. »
On sentait que le lieutenant retranscrivait directement les pensées d’un des pisteurs de Tarnac. Il était manifestement bien plus aguerri que Limale en matière de télépathie.
« Colonel, veuillez m’excuser mais je dois vous laisser terminer seul. Lieutenant. »
En effet, au-dessus d’eux, le soldat Pournis avait émis un cri très similaire à celui d’un Bubo et leur faisait signe. Il y avait également le caporal-chef Abel avec lui.

Arrivé en haut du passage, Veto resta accroupi comme le lui signifiait les soldats.

« On a deux zieutards en face. »

Risquant un œil par-dessus les mottes de neiges qui affleuraient jusqu’au bord de la falaise, Veto aperçut en effet une silhouette bouger à l’entrée de la grotte. Il revint avec précaution à couvert.

« Ce sont nos hommes ?
-Pour le peu qu’un des gars d’la Prétoriale me les a décrits… En tout cas, c’est pas des Bufflons !
-Combien ? Deux ? Pas plus ? Sûr ?
-Deux à l’entrée, c’est sûr. Peut-être plus à l’intérieur.
-Voyez le bon côté, Sergent. Au moins, on est sûr que notre entrée communique avec l’objectif. »

Parti à peine une minute, Veto redescendit en vitesse et en silence jusqu’au Colonel et le soldat Limale encore en transe.

« Colonel. Lieutenant. On a un petit problème et une certitude. »

Il leur expliqua la situation et se tourna alors vers le Colonel Jézékaël.

« Normalement, nous devrions pouvoir les éliminer rapidement mais pour ce qui est de la discrétion, les quinze mètres à parcourir jusqu’à eux leur laisse le temps de donner l’alerte ou d’envoyer un messager.
-J’ai deux autres bonnes nouvelles, Sergent. Ils sont au moins 4 ou du moins la relève vient d’arriver.
-Doroma a passé son zénith… Il est environ midi… Ils font des demi-journées de garde ?
-Là n’est pas la question, fainéant Pascal. Je voulais aussi vous dire qu’on a trouvé un moyen de les approcher à couvert. »

Se tournant vers la falaise, le caporal-chef montra du doigt une fine cascade de glace qui ruisselait depuis le sommet du défilé.

« Le printemps approche et c’est tant mieux pour nous.
-Un ruisseau ? Il est assez profond ?

-À peine un demi-mètre sergent. Mais il contourne l’entrée de la grotte à quelques mètres au Nord.
-Ça pourrait suffire… Qu’en pensez-vous Colonel ? On y va tous en file indienne ou un groupe reste en renfort pour charger si ça tourne mal ?
-Ah mais de toute façon il est pas assez long ! Je ne pense pas qu’on tienne à sept couchés entre ici et la grotte.
-Non mais si on se regroupe à quelques mètres de la grotte enfouis dans la neige, on gagne de la distance… Et nous avons… voyons… quatre arbalètes ?
-Cinq ! Je m’en suis acheté une la semaine dernière !
-Parfait, Nagard. Toujours aussi perfectionniste. Colonel ? »
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeLun 16 Juin - 3:33

La troupe que conduisait Léogan, quoi qu’hétéroclite, se révéla d’une très appréciable efficacité et sut s’adapter rapidement aux difficultés qui se présentaient à elle, malgré les défaillances cocasses de leur télépathe qui semblait se livrer à de véritables contorsions intellectuelles pour se mettre en liaison avec ses collègues. Dissimulés derrière un pan rocheux escarpé, Veto, Léogan et le caporal-chef Abel attendaient plus ou moins patiemment de pouvoir tirer quelque chose des communications laborieuses de Limale. Abel se montra indulgent avec son soldat, qui avait l’air en effet d’y mettre tout son cœur, mais ce ne fut par le cas d’Artwhÿs, qui savait faire preuve de trésors de patience dans toute sorte de tâches administratives qui insupportaient Léogan, mais qui n’avait pas beaucoup d’égards pour ce qui entravait la bonne marche des opérations sur le terrain.  
Quand il prit les devants et écrasa littéralement la conscience de Limale pour transmettre son message, Léogan tiqua légèrement et retint un sourire sarcastique et satisfait. Il était bon d’avoir quelqu’un sur qui compter en toute circonstance.
Le rapport fut positif, et lorsque le sergent Havelle s’éclipsa et que Léogan et « Arthwÿs » furent seuls, ils n’eurent pas beaucoup d’autres détails à régler.

« Merci, Artwhÿs. N’hésitez pas à reprendre ce genre de « liberté » si jamais… les communications traînaient en longueur.
‒ Je ne vous le ferai pas dire deux fois, colonel, répondit la voix du seconde classe, avec les inflexions froides et neutres qui étaient habituelles au lieutenant – Léogan esquissa un vague sourire.
‒ Si nous ne parvenons plus à nous joindre, j’aimerais en conclure que c’est bien du fait d’une antimagie, et non de la nullité de nos télépathes… lui glissa-t-il, en aparté, en haussant les sourcils d’un air un peu moqueur.
‒ Et c’est tout à fait compréhensible. »

Léogan aimait bien Roy Artwhÿs, au fond, malgré sa propension agaçante à la reptation, c’était un homme avec qui il pouvait partager ses sarcasmes en toute discrétion, avec un humour sérieux et bref, qui luisait parfois un instant dans ce qui semblait être entre eux des rapports protocolaires fastidieux, et qui s’éteignait subitement dans un demi-sourire.
Havelle revint rapidement, cependant, et fit état de la situation. Les débats tournèrent court, il était évident qu’il valait mieux se rapprocher de la grotte, qui formait une sorte de terrier obscur et qui était donc susceptible de leur cacher un importun ou deux. Léogan réfléchit un instant.  

« Hm, oui. On va suivre votre proposition, sergent. On va tous se rapprocher au maximum de la grotte, et… Est-ce qu’il ne serait tout de même pas plus prudent d’attendre que la relève soit faite avant d’agir… marmonna-t-il, pour lui-même.
‒ Si les sentinelles ne reviennent pas au camp, c’est un coup à les alerter de votre arrivée, acquiesça Arthwÿs.
‒ Mais c’est une occasion de commencer sûrement à réduire leurs forces, si vous me permettez, colonel.
‒ Hm. Bon, après tout, il faudra bien tous les fumer de toute façon, autant le faire progressivement. Ils enverront certainement des hommes s’enquérir des retardataires, alors qu’ils viennent – si on est efficaces, il s’agira seulement d’être sur nos gardes et de les éliminer quand ils se présenteront. Bien, Artwhÿs, laissez Limale tranquille et transmettez nos décisions au major. Quant à nous, en piste. »

Le lieutenant abandonna en coup de vent le corps du malheureux seconde-classe, qui vacilla un peu, mais n’eut pas le temps de se remettre de ses émotions. Déjà les arbalétriers prenaient la tête de l’expédition et, sous la direction du caporal-chef Abel, prenaient le chemin d’une petite dépression que le ruisseau printanier avait creusé dans la neige, suivis du reste de la troupe. Ils s’y enfoncèrent tous silencieusement et progressèrent vers la grotte. Rampant dans la neige avec les hommes de la territoriale, qui possédaient des capes réversibles, Léogan réalisa que son habit sombre qu’il avait l’habitude de porter dans la prétoriale n’était pas particulièrement adapté aux reptations furtives dans la neige et se sentit un peu embarrassé de faire tâche dans ce troupeau de fourrures blanches. Il grinça un peu des dents mais ne releva pas l’anomalie. Il tâcha simplement d’avancer plus prudemment que les autres, et ils arrivèrent à proximité de la grotte sans trop d’encombres – si ce n’était l’humidité et le froid, qui perçaient désormais leurs vêtements et les glaçaient jusqu’aux os.  
Bientôt, les cinq arbalétriers se réfugièrent derrière un semblant de parapet enneigé et le reste de la troupe – Veto et Léogan, de fait – se contenta de se terrer dans la dépression étroite, sans gagner beaucoup plus de visibilité. Enfoui sous une couche de neige, la respiration ralentie, Léogan chargea Nagard de donner le signal d’un geste éloquent de la main. Au bout de quelques instants, il y eut un nouveau cri de bubo dans le matin glacial du désert et cinq flèches sifflèrent dans les airs, puis atteignirent leurs objectifs avec un horrible bruit de pulvérisation d’os et de cervelles. Veto et Léogan bondirent alors de leur cachette et s’élancèrent toutes voiles dehors vers la caverne, volèrent au-dessus des cadavres défigurés des guetteurs, l’arme à la main, et sautèrent dans le large trou sans hésiter un instant. La chute fut brève.

Il y avait effectivement un homme qui lambinait là, peut-être par hasard, et Léogan lui passa froidement son épée au travers le corps. Il s’effondra à ses pieds et Léo ne regretta son geste qu’en imaginant soudain qu’Havelle aurait peut-être eu besoin d’un informateur pour progresser dans Fellel. Il grimaça un peu et se redressa, en écoutant le vent qui gémissait en s’engouffrant dans la grotte. Des dédales étincelants, comme creusés dans du diamant, se présentaient maintenant à leurs regards. Le spectacle n’était pas étranger à Léogan, au bout de cinquante ans de service, mais le jeu que faisaient les lumières sur les glaces lisses et diaphanes, comme sur mille miroirs sur lesquels elles rebondissaient à l’infini, le laissait toujours rêveur.  

« J’espère que vous saurez vous repérer dans ces galeries, dit-il avec un vague ton d’excuse, en relevant la tête vers le blondinet. Au pire, nous ne manquerons pas de faire un autre prisonnier en allant de l’avant… »

Les cinq autres soldats ne tardèrent pas à les rejoindre.

« Limale, fit Léogan, en se tournant vers le télépathe, essayez de reprendre contact avec le lieutenant Arthwÿs, informez-le, il s’occupera de retransmettre vos renseignements au major.
‒ Oui, colonel.
‒ Y a un pyromancien par ici ? demanda le caporal-chef, en fixant impatiemment le seconde-classe Pournis et en frissonnant tout à coup, exposé au vent froid qui tombait brutalement dans la grotte. Histoire qu’on attrape pas la mort.
‒ Ouais, j’en fais mon affaire. » répondit l’intéressé.

Quelques instants furent nécessaires à Limale pour contacter Arthwÿs, et aux soldats pour être à l’abri de tout risque d’hypothermie, puis ils se mirent en marche silencieusement dans les galeries, guidés par Veto Havelle. C’était, de l’avis de Léogan, un talent admirable de savoir se repérer dans un tel labyrinthe d’illusions, sans se laisser berner par les multiples reflets qui égaraient dans leur réfraction tout point de repère qui aurait pu être utile au commun des mortels. Il suivait Havelle de près et l’observait du coin de l’œil, curieux de savoir comment il s’y prenait pour mener son expédition à bien. Au bout d’une dizaine de minutes, Arthwÿs reprit inopinément le contrôle du corps et de la voix de Limale, pour leur communiquer que le major Rigane et ses hommes étaient également entrés dans leur grotte, après avoir éliminé deux sentinelles.
Il y eut quelques accidents cocasses, Limale se cogna une ou deux fois aux parois transparentes des galeries, probablement troublé par ses maux de crâne, quelques uns glissèrent sur du givre qui se formait naturellement sous leurs bottes, mais tout semblait se présenter plutôt positivement jusqu’à ce qu’une rumeur se fît entendre au fond d’un long couloir.
Les soldats se figèrent sur place et tendirent l’oreille. Léogan fronça les sourcils, une main posée sur un pan de glace, l’autre crispée sur son épée tirée au clair, et il tenta de reconnaître les sons qui leur parvenaient par des échos multiples et confus, que ses sens de Sindarin parvenaient difficilement à démêler. Il retint sa respiration et ferma les yeux un instant. Lorsqu’il les rouvrit, il parla, d’une voix très basse et très calme, et son haleine forma un petit panache de fumée dans l’air froid des grottes.

« Ce sont des hommes. Cinq. Ils viennent sûrement pour les sentinelles. Havelle, si vous savez comment tirer profit du terrain pour les neutraliser, c’est le moment de nous montrer l’étendue de vos talents. »
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeVen 20 Juin - 0:58

Veto rampa devant son supérieur en s’efforçant de se gonfler plus que de raison. Son manteau blanc devait cacher le sombre colonel. Et manifestement, tout se passa au mieux.

Debout, haletant, le visage glacée par de grosse gouttes de neige fondue qui glissaient doucement dans son coup et imbibait son écharpe qu’il venait de remettre, Veto inspectait du regard les sentinelles. C’était du travail de professionnel. Bien, sûr garder un prisonnier, ne serait-ce qu’une minute supplémentaire n’aurait pas été surfait, mais qu’importe. Le Colonel avait au final très bien agi. Il n’aurait fallu qu’une poignée de seconde pour que l’homme reprenne ses esprits et hurle. Son cri aurait eu tôt fait de trouver les parois et l’écho de se réverbérer jusqu’à de très gros ennuis…


« Oui colonel. Je pense que ça devrait aller. »

Une fois que tout le monde fut quelque peu séché ou au moins trempé d’une haut plus chaude, la troupe se remit en marche. Du fait de sa meilleure expérience du terrain, Veto prit la tête de l’expédition.
Il laissait une main glisser le long de la paroi, ses doigts effleurant les aspérités. Loin de lui l’idée de prétendre connaître chacune d’elle ni même de s’orienter avec pour seul guide ce contact. Mais c’était une première sécurité qui permettait d’éviter de zigzaguer et de se laisser perdre par les murs aux allures trompeuses.
Souvent, il fermait les yeux et prenait de grandes inspirations tout en continuant d’avancer. Les instants où sa respiration se coupait du fait de ses poumons pleins ou vides lui laissait le loisir d’écouter le chant des grottes de Phellel. Cette douce mélodie se répercutait à travers les boyaux gelés des plaines mais indiquait –dans une certaine mesure– à qui avait su habitué son oreille les directions des différents abouchements à la surface.
Lorsqu’il rouvrait les yeux, il admirait les imposants panaches de vapeur qu’il libérait et ne manquait pas de les voir éviter les obstacles devant lui ou de noter les divers courants d’air qui évitaient les culs de sac et circulait d’avantage dans le corridor principal.

S’orienter dans les grottes était l’une des premières choses que l’on apprenait lors de la première mission de terrain à laquelle on était affecté en tant que jeune recrue de la Territoriale.
Un petit sourire de fierté se dessinait presque timidement sur les lèvres du Sergent. Après le premier quart d’heure passé par leur caporal-chef à les perdre lors de sa première mission, il s’était éclipsé discrètement. Dix minutes plus tard, Veto conduisait ses compagnons à l’air libre et à leur caporal-chef assez impressionné. Le jeune Havelle avait toujours eu cette facilité à l’apprentissage. Il photographié mentalement les choses, se souvenait de citations entière pour peu qu’elles aient sonné  à son oreille avec quelques intonations qui l’aient marqué. Il avait intégré la garde avec autant de connaissance des techniques martiales qu’un Bulbo cuit et six mois plus tard il rivalisé avec d’ancien mercenaire et devait se retenir de donner des conseils tactique à son caporal dès qu’ils étaient sur le terrain… Sa facilité à se laisser perdre dans la lecture lui avait permis d’engranger une grande quantité de savoir militaire.
Oui, veto avait toujours été un jeune prodige mais s’il n’avait pas rencontré la femme qui avait donné un but à sa vie, il n’aurait jamais nourri aucune ambition et aurait continué à servir la garde comme n’importe quelle humble seconde classe.

Veto prenait soin d’éviter un pan de mur trompeur –mais facile à repérer lorsqu’on savait voir les accumulations de neige au bas des murs– lorsque le Colonel sembla perturbé.
Après un instant à retenir son souffle à l’instar de tous les autres, il comprit en même temps que son supérieur lui expliquait. Il réfléchissait à toute vitesse.


« Entendu. Il semble encore assez loin. Limale. Vous ne combattrez pas vu le mal que vous avez à aligner un pied devant l’autre. Vous serez capable de contrôler la glace ? Bien. Caporal-chef Abel, fournissez lui un catalyseur de secoure. J’ai noté que le tunnel était plus étroit tout à l’heure. On va reculer un peu et en silence. »

D’un pas plus pressé, ils rebroussèrent chemin sur une dizaine de mètres et Veto plaça le seconde classe Limale.
« Vous restez ici et le monde doit oublier que vous existez, compris ? Ils vont vraiment passer près, vous entendez ?
-Oui Sergent. Vous en faites pas comme ça. Je me sens mieux. Vous pouvez compter sur moi. Je vais me faire faire une petite cache dans la glace en un rien de temps. »
Le Sergent Havelle jaugea son soldat un moment et puis sembla convenir qu’il n’avait pas le choix de toute manière.
« Dès qu’ils sont passés, vous créerez un mur de glace pour leur couper la retraite et surtout pour éviter que le combat soit entendu de l’autre côté. Prévenez-moi de leur passage et du moment où vous aurez terminé le mur. Pournis, une patinoire ici. Vite. Caporal-chef, vous contrôlez la glace je crois…
-Négatif. L’eau Sergent.
-Ok. Servez vous de celle que va récupérer Pournis et amenez-là par-là. Colonel, je vous propose de prendre Pascal et Nagard avec vous à droite. Mettez-vous dans le léger creux que fait la paroi. Pascal, montrez-lui. Elle arrive cette eau ? Parce que les autres oui.
-Mon catalyseur va être à sec Sergent.
-Et j’ai donné le mien à Limale.
-Prenez celui de Nagard. Vite ! »

Les chuchotements étaient devenus à la fois plus pressant et aussi plus faible avec le temps qui passait. Désormais, nul besoin d’être Sindarin pour entendre qu’un groupe d’hommes s’approchait.
Mais les préparatifs se terminaient enfin. Pournis avait fait fondre une large cuvette à peine profonde mais à la surface lisse et très glissante. Les quelques litres dégagés s’étaient envolés sous l’influence de Abel et Veto en avait fait une sorte de auvent rugueux qui se fondit sans mal avec la paroi, créant une petite alcôve qui les cacherait au regard des passants. Mais elle n’en restait pas moins transparente.
Veto reçu une décharge dans l’échine. Il comprit que Limal l’avait contacté par télépathie. Quelle sensation désagréable de sentir une conscience effleurer la sienne.

« Les mentaux ! » sembla-t-il articuler sans que plus un son ne sorte de sa bouche. Nagard et Pascal tendirent leurs capes sur eux et elles étaient bien assez grandes pour qu’ils parviennent à dissimuler tant bien que mal le colonel. Eux trois étaient dans l’intérieur d’un coude. Ils ne seraient donc pas directement dans le champ de vision.

Veto enroulé dans son manteau et un peu caché par ses deux comparses, dans son ersatz d’abri de glace était à genou, les deux mains posées sur le sol et les yeux fermés. Caché par la paroi de glace et les manteaux, il terminait son guet-à-pan. Tous les flocons poussés par les vents qui s’engouffraient dans les couloirs de glace depuis le désert s’actièvrent. Ils voletèrent rapidement sans plus se soucier de la pesanteur ou des courants d’air, venant de tout côté et se posant au bord de la cuvette.
Les voix se firent claires de l’autre côté de l’angle. Ils n’avaient pas repéré Limale, manifestement. Mais Veto ne devait pas se laisser déconcentrer. L’utilisation de la magie par les terrans sans le soutien d’un catalyseur n’était pas facile. Et si le sergent s’en privait, ce n’était pas par snobisme mais par nécessité.
Il avait fini par maitriser cette technique et s’y exerçait régulièrement mais ça n’était jamais une mince affaire.
Mais lorsque les cinq hommes apparurent dans le couloir, Veto terminait tout juste le tapis de givre. Dès qu’ils poseraient le pied dessus, ils tomberaient au fond de cette dépression.
Du moins le premier…
*Peste ! Pourquoi ai-je opté pour un creux ! Ma première idée était meilleure… Et Limale qui ne termine pas le mur ! Kesha ! Que dois-je faire ?*
Il entrouvrit ses paupières et vit les trois hommes de l’autre côté. S’ils attaquaient maintenant, ils donneraient l’alarme et risquaient de compromettre cette infiltration.
Et déjà le premier homme arrivait sur son piège. Non. Il ne fallait pas qu’il tombe. Ils n’étaient pas encore isolés !
Captant au même instant le regard du Colonel, il hocha la tête de droite à gauche et se concentra sur sa magie.

Le premier pied se posa sur la fine pellicule de flocon. Elle aurait due craquer. Surtout que cet homme portait une armure lourde. Les plaques de métal éparses cousues directement sur son haubert avaient beau être de petite taille, elles se faisaient sentir. Et les autres étaient tout aussi lourds. Que ce soit en arme ou en équipement autre, ces hommes pesaient leurs poids. Veto eu l’impression de se faire piétiner les doigts dans un premier temps mais très vite le fardeau remonta ses bras et tout son corps se recouvrit d’une chape de plomb.
Serrant les dents, il tenta de faire fi de la douleur et de la fatigue qui commençait à devenir de moins en moins supportable. Les cinq hommes marchaient sur la plaque désormais et continuaient de discuter ensemble. Ils riaient aussi et se bousculèrent même une fois. À ce moment, Veto faillit craquer. Mais une main se posa sur son dos et il sentit le fardeau s’envoler un peu.
Et puis, alors que le premier homme sortait de l’air fragile, il sentit Limale l’effleurer à nouveau. De tout son être, continuant de s’évertuer à maintenir son sortilège, Veto invita le garde à s’immiscer dans son crâne. Il allait lâcher malgré l’aide de cet homme dans son dos et le poids qui faiblissait un peu. Il avait besoin que Limale l’aide.
Et si ce soldat n’était pas un télépathe hors paire, il avait un vrai talent avec la glace. Sans doute son ascendance d’artiste tailleur de glace qu’il tenait de son père était-elle pour quelque chose là-dedans mais toujours est-il que Veto perçu une série de tubes de glace monter du fond de la cuvette et venir étayer sa pellicule.

Les cinq hommes étaient passés. C’était fait. Veto tremblait un peu et sentit la main dans son dos passer sous son bras et l’aider à se relever. C’était Abel qui possédait un pouvoir de soin. Ça lui revenait maintenant. Alors que les hommes commençaient à prendre un peu de distance, Veto sentit Limale ressortir de son esprit alors qu’il sortait de sa cachette. Le mur était en place et avant que le contact soit rompu, il comprit même qu’il allait l’épaissir d’avantage. Veto sortit de son abri avec précaution et vint se plaçait derrière les cinq hommes, plaçant le piège entre eux et lui. Il fit signe aux autres de le rejoindre en silence et indiqua aux arbalétriers de se saisir de leurs arbalètes. La première amorcée, il prononça d’une voix forte.


« Vous pouvez les faire crier ces gros tas… Personne ne les entendra. »

Bien sûr, les cinq hommes se retournèrent dès les premiers mots et chargèrent tête baissée et gorge déployée. Les cinq carreaux d’arbalète ne tardèrent pas à en cueillir deux en pleine course. Les autres évitant par chance les traits mortels où étant sauvés par leurs petites plaques de métal d’armure.
Mais ces trois barbares tombèrent ensemble dans la petite fausse. L’un s’empala sur son espadon, un autre perdit sa hache d’arme et le troisième s’enfonça l’un des tubes de glace de Limale dans la gorge.

Veto n’avait rien fait. Après avoir prononcé ça phrase, il était tombé sur son séant et avait fermé les yeux pour reprendre ses esprits. Son esprit était embrumé et tous les muscles de son corps semblaient le tirailler de tout côté.
Le souffle toujours court, il tenta tout de même d’articuler par-dessus le raffut « gardez un prisonnier pour le Colonel. »
Et quand Limale revint, c’était déjà la fin de la bataille. Veto se releva et lui adressa une tape sur l’épaule en guise de remerciement et puis il se tourna vers le Colonel.


« On va peut-être savoir à quoi s’attendre là-bas, s’il en reste un pour parler, qu’en pensez-vous ? »

Bien sûr, cela voulait dire « à vous l’honneur, Colonel. » Veto reprenait doucement de son effort et n’était pas contre une petite pause.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeMar 8 Juil - 1:05

Attendre patiemment et prendre un air noble et solennel tout en regardant ces six petits soldats se démener de tous les côtés pour déménager le labyrinthe, c'était sûrement un privilège qu'on n'octroyait qu'aux colonels comme Léogan – et puis la plupart des gens trouveraient sans doute qu'il n'était pas particulièrement à plaindre, celui-là, quand même. Mais enfin, voilà, il n'était pas particulièrement doué pour attendre patiemment, et encore moins pour prendre un air noble et solennel – non, ça ne lui réussissait pas, vraiment – alors qu'il restait à glander là, les mains dans les poches, un peu bête et déconfit d'être aussi utile ici qu'une machine qui enregistrerait des tremblements de terre à dix-mille kilomètres de distance. Cette qualité était d'une commodité indiscutable, évidemment : pouvoir compter sur la sensibilité d'un ancien traqueur sindarin, sur le terrain, ça n'avait pas de prix pour des militaires en opération d'infiltration ; mais et après ?
S'il avait pu passer plus de temps à explorer ces souterrains mystérieux et à barouder dans le désert, plutôt qu'à mener des enquêtes débiles à Hellas et s'endormir tard dans la nuit sur des piles de paperasses hautes comme des tours de Babel sur son bureau, il l'aurait fait sans hésiter une seconde, et puis à la longue, il aurait peut-être su davantage apprécier le beau pays de Cimméria, son ciel pâle, sa blancheur infinie, ses températures glaciaires en plein été et tout l'éventail de ses rhumes, flexions de poitrine et autres pneumonies, mais on ne lui avait pas vraiment demandé son avis. On ne fait jamais ce qu'on veut, dans la vie. Alors chacun son boulot, pas vrai ? Il faisait bien le sien, et le petit Veto Havelle, eh bien, il ne se débrouillait pas mal non plus de son côté. Il aurait pu se récupérer un clampin, un naze, un tocard, il aurait pu tomber sur le roi des cons, mais il avait écopé du premier de la classe. Dans le genre coup de pot, ça se posait là quand même, on pouvait y voir une bonne raison de positiver.

Sur ces pensées d'une rare philosophie, Léogan relativisa plus ou moins son inutilité provisoire et se rangea docilement contre un mur de glace, selon l'invective – fort soignée – du blondinet, qui faisait un effort évident pour mettre des formes à chacune des phrases qu'il adressait à son supérieur. L'ombre d'un sourire sarcastique frémit sur ses lèvres, mais il ne releva rien, et observa la suite des événements d'un air un peu détaché.
Ça s'agitait. Mais il y avait une certaine efficacité dans leur panique, sans parler de l'ingéniosité spontanée de Veto Havelle, qui orchestrait les préparations avec une précision minutieuse. Léogan se faisait vaguement la réflexion qu'il fallait vraiment monter un sacré cirque pour faire usage de magie, quand on était Terran – et qu'il était bien content de se l'épargner – mais que ces types, tout de même, s'en tiraient avec un certain cran. Il leur tirait son chapeau. La performance de Limale suffisait, et de loin, à lui faire oublier ses déconvenues télépathiques. Non, vraiment, ils étaient efficaces.
Quand le jeune Veto entreprit même de terminer son œuvre sans catalyseur, Léogan haussa les sourcils avec surprise, voire un soupçon de mécontentement – il était inconscient, celui-là, qu'est-ce qu'il croyait ?! – mais il fut contraint de bien fermer sa mouille, alors que les cinq crapules mettaient le pied sur le plateau de glace que le petit soutenait au-dessous d'eux, de plus en plus laborieusement. Le regard que le jeune homme adressa à Léogan lui inspira un très mauvais pressentiment. Il leva silencieusement ses deux mains près de son visage, dans une expression d'incompréhension parfaite, les yeux grands ouverts, mais Veto se contenta de se concentrer plus intensément, et Léogan baissa les bras, aussi impuissant qu'on pouvait l'être. Les types avançaient en rigolant, Léo fixait son regard sur les pieds, où la glace se fragilisait imperceptiblement. Il retint son souffle et ne respira plus pendant ce qui ressembla à une éternité. Et enfin, le sergent, plus blême que la mort, sembla pousser son dernier soupir et son corps se relâcha tout à coup. Les yeux écarquillés, Léogan le scruta sans un mot, en sentant avec clarté son indifférence habituelle forcée au respect.
Bien sûr, la manœuvre avait manqué de prudence, mais d'audace, de force et de courage, non, et s'il y avait bien au monde une chose qu'il savait respecter chez un soldat, c'était de savoir en user parfois sans donner voix au chapitre à la pondération. Il resta incrédule quelques secondes, et puis, forcé à l'action, il ne put s'empêcher de penser, bien vaguement, au fond de lui, que ce Veto Havelle saurait vite s'ériger en vrai modèle militaire pour l'armée cimmérienne. Lorsqu'on faisait appel à lui, il répondait aussitôt présent, il ne décevait pas, il remplissait son contrat jusqu'au bout, il correspondait trait pour trait à l'idée qu'on se faisait de l'excellence chez un soldat. C'était très respectable, c'était même impressionnant, mais Léogan s'en sentait perturbé. Il évaluait Veto à quelque distance, et il lui semblait que le caractère noble, droit et conforme du jeune homme se situait à des années lumières du sien.

Le plan du sergent arriva à son terme presque fatalement. Les problèmes qu'il avait rencontrés avaient été repoussés avec une mesure parfaite, et tout en cadence, la boucle avait été bouclée. Les bandits qui tout à l'heure riaient en se bousculant espièglement gisaient morts sur la glace. Léogan reprit ses comptes hypothétiques et fut presque surpris de ne devoir plus estimer les forces adverses qu'à une dizaine d'individus, terrés quelque part dans le labyrinthe.
Il jeta un regard d'ensemble à la troupe, qui se voulait satisfait, et finit même par leur donner un sourire sincère, qu'il fit durer un bref instant de plus sur Veto.

« Beau travail, tous. Sergent. » les salua-t-il, avec un signe approbateur de la tête.

Le pauvre s'était relevé péniblement pour manifester également son appréciation à l'égard de ses hommes, et puis il s'était tourné vers Léogan, en lui soumettant la proposition que celui-ci avait vaguement avancée – un peu à rebours – après avoir tué la dernière sentinelle : trouver un prisonnier et le faire parler.
Il venait parfois à l'esprit de Léo qu'il n'était monté en grade, dans sa vie, que parce qu'il avait été mauvais soldat. Il n'avait jamais correspondu aux attentes de ses supérieurs, comme le faisait si bien Veto, il avait toujours fait les choses à sa façon et puis la droiture que lui inspirait le jeune garde lui avait toujours été étrangère. Il n'avait jamais exécuté son travail avec une gratuité aussi inquestionnée, et s'il avait un jour pensé le faire, ça aurait été loin d'être sincère. Quelqu'un avait sans doute dû comprendre que Léogan n'était pas capable de tout cela, et que la seule manière d'exploiter son potentiel eût été de lui donner du gallon, de le laisser faire ce qu'il voulait, à sa manière, et dès lors, il n'avait plus jamais reçu que des devoirs un peu pervers, qui ne nécessitaient ni de noblesse d'esprit, ni de parfaite obéissance – comme tirer les vers du nez d'un type, par exemple.
C'est pourquoi la proposition de Veto, quoi qu'innocente, étira un sourire un peu embarrassé sur les lèvres de Léogan. Le jeune homme n'avait sans doute pas compris tout ce qui les séparait, mais il avait un certain talent pour faire apparaître le fossé qui gisait entre eux.
Mes dieux, et je me fais encore l'illusion de ne pas avoir les mains sales ici. Regarde-moi ce blanc-bec, Léo, et pense-le encore sérieusement : est-ce que tu as jamais cessé un jour d'avoir les mains sales ? Non, non. T'es indécrottable, mon vieux, oui, c'est le mot. Un optimiste indécrottable. Ou alors t'as complètement perdu la mesure du bien et du mal, et quand ça te tombe bien sur le pif, ça te revient tout d'un coup. Et tu trouves encore le moyen de t'étonner. Ouais... C'est peut-être pas beaucoup plus positif. Bah !

« Prenez un peu de repos, vous l’avez plus que mérité, murmura Léogan, en passant près de Veto, posant un regard sérieux sur le visage du blondinet, et une main réconfortante sur son épaule. Nagard, Pascal, avec moi. On va voir s’il reste quelques rats en vie, là-dessous. »

Oui, on va faire ça, les gars. On va faire ça. En avant marche, suivez le panache blanc de votre fier colonel. Haha.
Nagard allait inspecter les dépouilles des deux pauvres types qui s'étaient pris des carreaux d'arbalète dans la poire. Pendant ce temps, Léogan sautait dans le nouveau caveau que ses hommes avaient creusé dans la glace et dégaina sereinement son épée courte, en balayant le charnier d'un regard neutre. Ses bottes pataugèrent dans le sang qui vidait les corps tièdes de deux bandits et s'épanchait sur la glace, en la faisant craquer sinistrement et en mêlant aux gelées blanches toute son humeur organique, qui dégageait une odeur métallique entêtante.

« Au fond, là-bas, colonel. » fit la voix de Pascal, au dessus de sa tête.

Le regard de Léogan suivit la direction que pointait le soldat et tomba sur la silhouette d'un homme, recroquevillée contre un mur de glace avec terreur, comme s'il pensait pouvoir se fondre parfaitement dans l'ombre et devenir tout à fait invisible. Il paraissait inoffensif. Léogan s'approcha de lui d'un pas nonchalant, l'épée au clair mais tenue bien négligemment à son côté, et attira son attention en frappant sèchement sa botte contre la sienne.

« Tiens, tiens… Bien le bonjour, mon vieux, fit-il, d'un ton froid, mais sans animosité particulière. Si vous voulez bien vous donner la peine. »

Il lui fit vaguement signe de se relever, ce que le bandit fit sans protester, avec une résignation que Léogan apprécia tièdement. Pascal aida les deux hommes à remonter sur la terre ferme, et le prisonnier, qui s'était rendu sans résistance, se laissa débarrasser de son armure et ficeler solidement en jetant des regards noirs et désespérés aux vainqueurs.
La troupe s'écarta des cadavres fumants et se logea dans une large cavité pour aviser de la situation à couvert. Léogan fit asseoir leur prisonnier dans un coin et fit venir Limale pour établir une communication avec son lieutenant préféré, qui s'invita à nouveau dans la cervelle du jeune seconde-classe pour lui éviter d'autres efforts magiques trop conséquents.
Finalement, « Artwhÿs » s'appuya contre un mur, silencieusement, et observa le prisonnier avec dédain, tandis que Léogan s'accroupissait face à leur bonhomme, d'un air entre la fatigue et la résignation – qui donnait de lui l'impression trompeuse d'une patience à toute épreuve.

« Bon, commença-t-il, avec un court soupir. Je ne vous le cache pas, certains d’entre nous meurent d’envie de vous refaire le portrait – d’ailleurs, la garde cimmérienne a plus ou moins prévu de vous exterminer jusqu’au dernier, étant donné l’affront.
‒ Vous pouvez toujours essayer de m’intimider, j’balancerai rien, cracha l'autre, en levant le menton avec morgue.
‒ Vermine, dit froidement Arthwÿs, sans même élever la voix.
‒ Non, non, laissez. Il se trouve que je suis prêt à faire preuve de…disons, bienveillance, à l’égard des rares prisonniers que nous ferons en chemin, à la condition qu’ils coopèrent.
‒ Mon cul.
‒ Sinon, colonel, on l’avoine, et puis ça finira forcément par sortir, suggéra Abel, qui les rejoignit avec dans la démarche et dans la voix une expression passive-agressive qui ne présageait rien de bon.
‒ J’en suis pas sûr, pondéra Léogan, en se laissant néanmoins un instant de réflexion. Et puis on va pas y passer la journée. En fait, j’ai une proposition tout à fait honnête à vous faire, dit-il, en avisant leur prisonnier, avec cet air de patience bizarre qui faisait presque froid dans le dos. Examinons nos perspectives, d’accord ? Si vous sollicitez un peu trop ma patience et que vous finissez par m’agacer, je peux vous proposer mon pied dans les noix, avant de vous ouvrir le bide de là, à là, et puis on en parle plus. Bon, acheva-t-il, sans ciller, avant de reprendre, tandis qu'une lueur lointaine s'allumait cruellement au fond de ses yeux noirs. Mais il peut s’avérer que je fasse preuve d’un peu plus de sang-froid que d’ordinaire et que je décide qu’on va vous laisser crever lentement dans un coin humide, quelque part au milieu de ce labyrinthe – dans le cas où vous ne m’êtes décidément d’aucune utilité. Mais si vous êtes un peu moins tanche que la moyenne, dit-il enfin, avec un sourire qui se voulait sans doute bienveillant, on vous foutra peut-être simplement à la lourde – et pas forcément à Umbriel, en plus. Qu’est-ce que vous en pensez ? »

Le visage abîmé du prisonnier s'assombrit considérablement, mais ses yeux clairs et brillants scrutaient la figure de loup de Léogan avec un sérieux inébranlable, qui ne s'éclaira d'une petite lueur de panique que devant la perspective de mourir d’hypothermie seul au milieu des grottes de Fellel. Mais il regagna rapidement son sang-froid – ce qui n'était pas bon signe.
A l'évidence, c'était un dur à cuire.

« Qu’est-ce que vous voulez savoir ? demanda-t-il, lentement.
‒ Tout. De quoi nous aider à délivrer vos otages, par exemple, ou écraser la tronche de vos copains en bonne et due forme. Allez-y, lâchez-vous, je vous écoute bien, fit Léogan, avec un sourire grinçant.
‒ Un groupe de treize individus retiennent les prêtresses par ici. Pas trop loin. Elles sont encore vivantes – et en bonne santé, on n'abîme pas la marchandise. »

Quelques soldats eurent un geste d'agacement, Abel lui-même darda un regard haineux sur l'homme, qui s'appuyait sur le mur de glace en tentant de paraître à l'aise malgré ses liens. Léogan, cependant, ne cilla pas et lui fit signe de poursuivre.

« On ne connaît pas le chef. On en a bien un, là, présentement, mais je pense sérieusement que, quoi que notre but à nous, les sous-fifres, soit de demander une rançon... Enfin, qu'il y ait quelqu'un qui chapeaute tout ça de façon plus importante. Notre chef est sorti un peu de nulle part, avec, eh bien, ce qu'il faut pour nous convaincre, et on l'a suivi – mais ses ressources devaient bien lui venir de quelque part.
‒ Hum, fit Léo, en plissant le front avec souci. Vous êtes bien perspicace, pour un sous-fifre.
‒ Les circonstances m'intéressent pas davantage, je n'veux que l'argent, souligna le type, et Léogan secoua la tête gravement.
‒ Les temps sont durs, il faut être aussi durs qu'eux... murmura-t-il, un peu pour lui-même.
‒ C'est ça.
‒ Rien de plus ?
‒ C'est déjà pas mal, non ? » répliqua l'autre.

Léogan le fixa avec scepticisme. C'était un malin. Il n'avait donné que des informations vagues sur le sujet qui intéressait le sens pragmatique des soldats, en tentant de détourner l'attention de son interrogateur sur une piste plus scandaleuse – qu'elle fût vraie ou inventée de toute pièce, c'était difficile à dire.
Mais Léogan avait beau être colonel, il était bien trop terre-à-terre pour s'intéresser davantage, pour l'heure, à un complot politique qui viserait l'ordre de Kesha qu'à la manière de sortir vivants de ce trou.
Il se releva d'un air impassible.

« Eh bien, merci de votre contribution. Ca devrait suffire pour nous faire sortir victorieux de ces grottes, j’imagine, annonça Léogan, d'un ton songeur, avant d'achever avec énergie : allez, on lève le camp.
‒ Quoi ? s'exclama soudain le prisonnier, en levant la tête avec un air révolté, voire plus effaré que d'habitude, vous allez me laisser ici ? Eh ! C’était pas prévu dans notre accord !
‒ Je ne m’inquiéterais pas tant si j’étais à votre place. Notre accord tient très bien la route, on viendra vous chercher une fois qu’on aura mis en déroute vos petits copains. Tenez, pour preuve de bonne foi : Limale, faites une petite cache à notre ami pour le protéger des courants d’air.
‒ Ce serait dommage qu’il prenne froid, ironisa le jeune homme, qui n'avait visiblement pas apprécié les propos de leur prisonnier, tandis qu'Arthwÿs prenait un peu de recul dans sa conscience.
‒ Vous bluffez.
‒ Je suis très sérieux, coupa Léogan, le regard noir et hautain. On est partis. »

Les soldats, sous son injonction, se redressèrent et prirent le chemin de la sortie, tandis que Limale prenait visiblement son pied à entourer leur captif affolé d'un très élégant cocon de glace. Léogan lui jeta un dernier regard, croisa ses mains derrière son dos et se détourna à son tour, suivi d'Abel, pour prendre également la direction des couloirs.

« Heu. Attendez ! ATTENDEZ !
‒ Hm... Oui ? marmonna-t-il, en réapparaissant et en haussant un sourcil peu intéressé, par le creux qui permettait d'accéder à la grotte.
‒ Sincèrement, j’en peux plus de cette histoire, c’est tous des tarés, lâcha le prisonnier, avec un sourire crispé.
‒ Mais encore ?
‒ Avancez tout droit, et tournez à droite dès que vous le pouvez, après, repérez-vous grâce aux courants d’air, ils se trouvent dans la Chapelle des soupirs.
‒ La…Chapelle des soupirs ? interrogea Léogan, en se rapprochant à nouveau du prisonnier, suivi du reste de la troupe.
‒ Oui… Oui ! Une sorte de large…pièce circulaire, dans le labyrinthe, surmontée d’un dôme… On y accède par une multitude de petits couloirs, alors, eh bien, avec les courants d’air, vous comprenez, on dirait que…
‒ Oui, bon, ça va, je vous ai pas demandé une visite guidée. Ensuite ?
‒ Le chef. Il porte une armure noire et rouge…
‒ Sympa, ça fait démoniaque – il se donne un genre, je vois, commenta-t-il, cyniquement, en se mettant à nouveau à la hauteur du type.
‒ Oui, peut-être bien, mais si vous l’approchez de trop, votre magie déconnera pendant près de dix minutes – l’utilisez pas, ça vaut mieux, heu, si vous voulez pas qu’il vous arrive des bricoles. C’est ce qui s’est passé cette nuit, c’est quasi comme si nos ennemis s’étaient entretués, on a juste eu à, bah, profiter de la débandade quoi… »

L'image du désastre de ses cauchemars revint tout à coup à Léogan, avec une intensité douloureuse qui perça sa cervelle d'un millier d'éclats de visage, d'armes, d'os, de chair et de ténèbres. Ses tempes s'affolèrent, ses nerfs palpitèrent sur son front, emprisonnèrent son crâne dans leur étau et une bouffée de colère envahit toute sa poitrine. Il leva tout à coup son poing et, sans prévenir, l'abattit de toutes ses forces sur la figure du prisonnier, qui poussa un cri de surprise et de douleur.

« Je savais bien que ça durerait pas, fit sarcastiquement remarquer le lieutenant, par la bouche de Limale.
‒ Fermez-la, Artwhÿs. » dit sèchement Léogan, en se passant une main sur le visage.

Le lieutenant s'exécuta sans broncher, le prisonnier gémissait, le nez manifestement cassé, et Léogan prit quelques secondes pour déglutir et reprendre ses esprits.

« Désolé, souffla-t-il.
‒ C’est rien, adjugea Arthwÿs, grand seigneur.
‒ C’est plus fort que moi.
‒ Passons.
‒ Ils ont de la ressource, ces petits salopards, marmonna Léogan, en se relevant à nouveau. Il va falloir les déloger de leur terrier, si on veut avoir la moindre chance de remporter la partie.
‒ En même temps, on ne doit pas perdre de vue les prêtresses. C’est difficilement compatible, je crois. Nous les avons localisés précisément, c’est un sérieux atout – on doit les récupérer avant de ne plus savoir où elles se trouvent.
‒ Bien sûr… »

Léogan n'était pas particulièrement ennuyé des petites impertinences que se permettait son lieutenant, après tout, cela faisait quelques dizaines d'années qu'ils se fréquentaient, et il était normal qu'Arthwÿs, malgré son caractère très humble, prît certaines libertés à l'égard de son supérieur. D'ailleurs, il était heureux qu'il fût plus prudent que Léogan, les conseils et les réserves qu'il faisait n'en gagnaient que plus de valeur.
En attendant, son colonel avait perdu son regard dans le vague et réfléchissait en se massant nerveusement la nuque.

« Il se trouve que nous avons précisément ici de quoi les approcher sans éveiller de soupçon, les suivre, les protéger, et nous esquiver avec elles quand ce sera nécessaire, finit-il par avancer, d'un air un peu sceptique, néanmoins.
‒ Les armures de ces types ?
‒ Ouais. Enfin je crois. Mais il y a peut-être moyen de faire d'une pierre deux coups. Deux ou trois d'entre nous pourraient se faire passer pour les éclaireurs que nous venons d'abattre, alerter les bandits d'une attaque – faire valoir leurs pertes en guise d'appui... Bref, tenter de se rapprocher des prêtresses tout en poussant leurs ravisseurs dans un traquenard. Vous voyez ce que je veux dire ?
‒ C'est une idée. Il faut juste miser sur le fait qu'ils préféreraient la contre-attaque à la fuite.
‒ Et le major, Artwhÿs ?
‒ Ils n'ont encore rencontré personne, ils avancent peu à peu. Je suppose qu'ils sont plus éloignés que vous de l'objectif.
‒ Si l'ennemi pouvait continuer d'ignorer leur présence, nous pourrions diviser ses forces... Rigane pourrait attaquer directement la Chapelle des soupirs, tandis que nous nous occuperions d'une équipe venue contrer notre attaque de ce côté-ci... Si ça se passait mal pour elle, Artwhÿs, vous pourriez lui prêter main forte avec vos hommes.
‒ Et les hommes qui auraient infiltré leurs rangs s'occuperaient de garder les prêtresses à portée de vue, voire de les libérer.
‒ Oui. Ils ont l'air sûrs de leurs forces... Ils tenteront sûrement une contre-attaque, il est même possible que nous ayons affaire à leur chef en armure customisée.
‒ Il faut l'espérer en tout cas. S'ils s'enfuient plus profondément dans les grottes, je vois difficilement ce que nous pourrions faire.
‒ Il faudrait être fou pour quitter son bastion et s'enfoncer dans ce labyrinthe.
‒ Ils l'ont déjà été suffisamment pour s'attaquer aux prêtresses et à l'armée...
‒ Bon d'accord, Arthwÿs, je vous écoute, c'est quoi, votre idée, petit génie ? s'énerva finalement Léogan.
‒ Ah non, moi je ne sais pas, Monsieur, c'est vous qui avez un plan. 
‒ Haha, bah tiens. »

Léogan soupira profondément, fusilla Arthwÿs du regard et l'envoya prévenir le major Rigane de son ébauche de plan, pendant qu'il embarquait Abel, Pascal et Nagard afin de dépiauter les cadavres du couloir voisin de leurs armures. Cette agréable besogne accomplie, les quatre soldats s'en retournèrent dans la petite grotte qui leur servait de repli, et Abel grommela, à l'égard de leur prisonnier qu'il jaugea d'un coup d’œil lointain et dédaigneux :

« Vous avez vraiment l’intention d’aller le chercher après, colonel ?
‒ Tout dépendra de mon humeur… » lâcha Léogan, qui commençait à s'agacer de la situation.

Il alla ensuite s'enquérir de l'identité des types qui portaient telle ou telle armure tout à l'heure auprès du captif qui faisait désormais tous les efforts du monde pour se montrer serviable. Il valait mieux être au moins au courant des noms qu'ils allaient devoir emprunter – si jamais on venait seulement à les interpeller.
Ces détails réglés, il se tourna à la cantonade et lança :

« Bon, deux ou trois volontaires pour une mission d'infiltration ? »

Ils avaient déjà suffisamment lambiné comme ça, il était temps d'agir. Pendant que les volontaires se déclaraient, Léogan se tourna cependant vers l'ingénieux sergent qui leur servait de guide, et qui était resté blême depuis sa performance magique de tout à l'heure, et l'observa d'un œil soucieux, avant de s'approcher de lui et de lui demander à voix basse :

« Vous allez bien, Havelle ? »
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeMar 15 Juil - 20:25

Le Hall et les tableaux.


Quelques vertiges venaient brouiller la vue du sergent qui restait assis depuis son « coup d’éclat ».


Le forgeron entouré de toutes ces armes… Ce tableau… Il l’avait aperçu quelques fois durant ses déambulations ésotériques.


Le colonel avait trouvé un survivant. Il fallait bouger pour s’installer ailleurs que devant cette cuvette pleine de sang. Très bien. Il pouvait le faire.
Lorsqu’il se releva, Abel l’aidant, une nué de luciole envahit son champ de vision, le séparant à nouveau de cette réalité.


Ce n’était pas un forgeron. Il était assis. Une myriade de petits objets trainaient autour de lui alors qu’il en trafiquait un autre. Qui était ce personnage ? Aucune importance. Ces objets non plus n’avaient pas d’importance ; après tout, il savait les réparer ou les construire, n’est-ce pas ?


« Tout va bien Sergent ?
-Oui,oui… Je dois reprendre mon souffle. Partez devant. J’arrive. »

Abel hésita un moment et puis, voyant que Veto reprenait ses esprit, obéit.


Non. Ce qui était important dans ce tableau c’était cette zone d’ombre qui s’était révélée. Veto avait cru voir un forgeron entouré d’armes. Peut-être avait-il vu, un instant, à travers le voile opaque que lui impose le destin. La vie de Veto était dépeinte dans ce hall. Un hall dont il rêvait régulièrement, où il déambulait, admirant des tableaux incomplets, comme encrassés. Lorsque des moments important de sa vie approchaient, ces peintures lui indiquaient ce qui marquerait son existence, dévoilant une nouvelle partie d’un tableau. Elles le guidaient dans ses choix… À moins qu’elles ne lui imposent une trajectoire ? Mais ne le voulait-il pas ? Après tout, c’était plutôt agréable de voir qu’il y avait encore beaucoup à attendre du futur. Il restait tant de zone d’ombre dans ces tableaux. Il faudrait du temps avant de toutes les éclaircirent. Il ne devait pas mourir tout de suite. N’est-ce pas ?


Veto s’ébroua et puis rejoignit le groupe. Il écouta attentivement ce qu’il se racontait là.


« La chapelle des soupirs. »

À ces mots, Veto se détourna de la conversation. La tête lui tournait encore un peu. Il était encore dans cette espèce de flottement. Entre la conscience et l’inconscience. Et sa voix était venue se superposer à celle du prisonnier. Mais elle ne venait pas de sa bouche. Personne d’autre que lui n’avait pu l’entendre.
Il tourna la tête vers le mur de glace que Limale avait formé et qui les séparait de leur objectif. De l’autre côté il y avait le loup blanc. Celui qui venait parfois dans ses rêves. Celui qui l’avait soutenu lorsqu’il avait failli se laisser mourir sous la torture.
L’animal inclina la tête sur le côté et la propre voix de Veto sembla venir de lui, à nouveau, à travers le mur, se superposant cette fois à celle de Léogan. « La chapelle des soupirs. ».


« Sergent ? murmura l’un de ses hommes juste à côté.
-Oui, Pascal. Je regardais l’œuvre de Limale. Pas mal du tout avec le peu de temps que nous avions. »

Le sergent sourit à sa propre réplique et pour le cacher détourna la tête et, toujours dans un murmure, ajouta en allant s’assoir « Vais manger un morceau et ça ira mieux… ».

Manifestement, le seconde classe semblait plutôt dubitatif. Il jeta un dernier regard à son supérieur qui sortait un petit morceau de viande séché d’une poche intérieur de sa veste et puis s’intéressa à nouveau à l’interrogatoire.

Veto lui, écoutait d’une oreille alors que ses yeux regardèrent le loup s’enfoncer dans le couloir et disparaître à l’angle d’un coude.


Le colonel et « Arthwÿs » s’éloignèrent pour discuter ensemble. Le prisonnier geignait, le nez en sang.


« Qu’entends-tu par proche ?
-Arh… Quoi ?
-Tu as dit « pas trop proche… »
-Putain ! Mais j’en sais rien ! J’ai mal ! Il m’a pété le nez, cet espèce de… » aboya-t-il, maussade. Mais, jetant un coup d’œil au colonel qui revenait, il réfléchit et tenta une petite précision. « Un mètre… peut-être deux… J’en sais rien, vraiment. »

Veto avait fini de mâcher son morceau de viande séchée et appuya l’arrière de son crâne contre la glace derrière lui. La fraicheur du mur lui fit du bien. Il commençait à se sentir mieux, même si une légère sueur froide venait de lui parcourir le corps entier. Sa pratique de la magie se cantonnait d’habitude à quelques tours mineurs…
Là, ce n’était pas dans ses habitudes.

Lorsque le colonel demanda des volontaire, Abel fut le premier à se prononcer. Suivirent Nagard et Pascal, puis Limale et même Pournis finit par lever la main.

Lorsque le Colonel vint s’enquérir de son état, Veto se releva avec un sourire. Il se sentait un peu vidé mais son corps n’était plus douloureux et il n’y avait plus aucune trace de vertige.


« Oui mon Colonel. Assez pour me porter moi aussi volontaire. » Il se tourna vers les autres. « Et étant sergent, je vais faire le tri messieurs. Abel, vous êtes trop bon combattant pour que je laisse vos hommes en arrière sans vous. Pournis, vous devriez rester aussi pour recommencer le petit piège de tout à l’heure. Vous aurez plus de temps pour en faire un plus étendu. Servez-vous des restes du mur que nous allons laisser comme barricade. Quant à Limale et Pascal… Pascal, vous devriez rester ici pour aider à tenir alors que nous aurions peut-être besoin d’un télépathe avec nous, mon Colonel, non ?
« Comment procédons-nous ? Une fois dans la gueule du loup, leur chef pourrait très bien nous renvoyer avec des renforts ici… À moins que nous ne jouions les éclopés… remarquez… Vu l’état de ces armures, ça va être inévitable…
« Je suis assez curieux de savoir comment est organisé leur campement. »

Il se tourna à nouveau vers le prisonnier et se dressa devant lui, inclinant la tête sur le côté d’un air curieux et circonspect.

« Ça et autre chose… Comment connais-tu le nom de cette grotte ? Parmi les cimmériens, très peu connaissent les noms des Fellels. Moi-même qui ai pas mal patrouillé dans ce secteur, je n’avais fait qu’entendre parler de celle-ci… »

Veto resta un instant à fixer le bandit. Et puis, il se laissa descendre sur ses jambes, posant un genou à terre. En un éclair, il avait saisi l’homme par les cheveux.

« Tu n’es pas de Cimmeria. Tu trembles trop malgré tes vêtements. Ton organisme n’est pas encore assez habitué à notre climat. Kesha toute puissante ! Vous tombez par hasard sur un campement avec des prêtresses. Campement qui n’a pas lieu d’être. Vous êtes guidé par un chef trop bien équipé pour être à son compte. Vous connaissez le terrain et même la toponymie de celui-ci.
-C’est quoi la topomach’… »

Veto raffermit sa prise et tira la tête de l’homme en arrière. Son regard était d’un acier acéré et sa voix à la fois perdue dans une réflexion intense et une colère mal contenue.

« Comment connais-tu le nom de cette Chapelle ? Combien de couloirs connaissez-vous ? Et comment avez-vous su pour les prêtresses ? »

L’homme avait un sourire en coin.

« Tu sais quoi, mec ? Je me pose les mêmes questions. T’auras qu’à demander à notre chef. Et tu me tiens au courant, d’accord ? »

Veto repoussa cette tête de fouine sur le côté et se redressa. La colère avait manqué de prendre le dessus mais avait eu l’avantage de lui redonner des couleurs.

« Décris-nous le campement. »

*

Trois silhouettes avançaient en claudiquant dans le couloir de glace. Vêtus d’armure vétuste, la tôle par endroit perforée par les carreaux maintenant retirés, les poils de la fourrure collé par le sang… Ces hommes avaient l’air mal en point et épuisées.
Veto murmura à son voisin qui n’était autre que le Colonel.


« Vous êtes toujours aussi sûr de… Ah… Trop tard… »

Au détour d’un pan de glace, une étrange porte en bois et en tôle bloquait le passage. À moitié entre-ouverte, un homme portant le même type d’armure qu’eux s’ébranla et cessa sa conversation avec une autre sentinelle caché par le battant. Celle-ci sortit la tête lorsque le premier demanda avec un air effaré ce qu’il s’était passé. Veto prit une voix rauque et un peu paniqué.

« Les cimmériens ! La garde ! Ils arrivent !
-Vite, entrez ! »

Les trois hommes entrèrent, boitant et trainant la patte. Derrière eux, le haut portillon de fortune se referma et ils pénétrèrent dans cette fameuse chapelle. Une immense demi-sphère d’au moins 200 mètre de diamètre s’offrit à eux. On aurait pu y caser au moins quatre des plus grandes maisons bourgeoises de Hellas. D’imposantes stalactites pendaient au plafond et une large colonne centrale trônait en son centre.
De petites tentes en peau étaient érigées ici et là et ils passèrent même à côté de deux-trois braséros.


« Hum… Même avec ses indications, je ne voyais pas cela aussi grand. Ça semble trop vide pour eux treize… Soit il nous a menti, soit ils attendent du monde d’ici peu… »

En effet. Dans le campement, assez désert de vie, pas plus d’une dizaine de personnes en comptant les sentinelles qu’il devait y avoir aux deux autres portes. Sur les six galeries qui abouchaient dans la chapelle, trois étaient fermées par ces laborieuses portes grégaires et les trois autres étaient éboulées.
Dans un coin, il semblait y avoir quelques caisses. Certainement des provisions et à vue de nez, il y en avait plus que nécessaire pour ces quelques hommes… à moins qu’ils n’aient décidé de vivre ici en autarcie plusieurs mois.

Et là, sous un auvent de peau, une tente largement ouverte, les dix prêtresses se serraient les unes contre les autres sur des peaux de bêtes posées à même le sol glaciale. Les quatre hommes s’arrêtèrent dans leurs rapides claudications en passant à leur proximité.


« Bon… Euh… Toi t’as pas l’air trop en mauvaise état… Tu vas venir avec moi voir le chef. Les autres… Foutre Sharna ! C’est un trou de carreau d’arbalète ça ? Va te faire soigner tout de suite. Et toi t’es couvert de sang ! Toi tu viens ! »

Veto et Limale restèrent muet en voyant le Colonel se faire presser par le bandit. Mais dans un dernier réflexe de désespoir, se mordant la lèvre sous son heaume de fer, Veto réussit à accrocher la jambe de son Colonel dans un vicieux croque-en-jambe.
Ni une, ni deux, il se jeta à genou à son côté, camouflant ainsi son action traitre en un geste de solidarité.


« Bordel ! Tu vois pas qu’on n’en peut plus ? Il tient même plus sur ses jambes ! Va y dire toi-même au chef qu’on s’est pris une peignée ! T’as pas besoin de nous, si ? Des morts avec du sang et des carreaux dans l’œil. Tu vas pas savoir décrire ? Caspère, aide-moi à le porter… »

Le garde hésita une seconde et Limale prit le relais.

« T’attends quoi ? Qu’ils viennent frapper à ta porte ? Va prévenir les autres, là ! »

Veto porta le colonel avec Limale jusqu’à la tente des prêtresses. Elles étaient toutes enchaînées au même anneau solidement fixé à la paroi de glace.

« Ils nous enlèvent et veulent qu’on les soignent…
-Mes Dames, veuillez nous pardonner d’arriver si tard… »

Toutes se regardèrent un peu choqué par le comportement de ce bandit trop poli. Certaines lui jetaient même des regards très inquiets pour avoir aperçu le croche-pied de tout à l’heure.
Limale s’assit sur un des brancards et révéla le pot-aux-roses.


« Limale Ravis, seconde classe de la garde territoriale. Voici le Colonel Jézékaël de la garde prétoriale et le Sergent Havelle de la garde territoriale. »

Mais il n’avait pas encore fini sa première phrase que déjà deux prêtresses commençaient à s’exciter.

« Mes Dames. Restez calme et faites semblant de nous soigner comme si de rien n’était. Couvrez-nous le visage avec des pansements, vite. On ne doit pas pouvoir nous reconnaître. »
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeVen 1 Aoû - 5:22

Oh vraiment, si lui, il était toujours aussi sûr de ses plans ? Une minute, quand avait-il simplement émis la moindre certitude sur les projets qu'il venait d'engager ?

« Si je voulais toujours être sûr de mon coup à cent pour cent, sergent, je planterais des carottes, dans la vie, je s'rais pas venu à Cimméria jouer au colonel. » plaisanta vaguement Léogan, d'un air pince-sans-rire – effort louable, certainement, mais sans doute un peu maladroit pour détendre l'atmosphère.

Et deux sentinelles accoururent à leur rencontre. Il ne fallut pas beaucoup de temps aux trois bandits déguisés pour être admis au sein de la Chapelle des soupirs, que le sergent Havelle inspecta d'un regard méthodique, avant d'avancer quelques remarques pertinentes.

« C'est louche, comme vous dites... rétorqua Léogan, qui considérait également les dimensions extraordinaires de la grotte avec étonnement. Ils attendent sûrement du renfort. J'arrive pas franchement à cerner leurs projets, mais ça a l'air d'être du sérieux. »

En fait, ça sentait carrément le sapin. Mais enfin, il y a des choses de ce style là qu'il ne valait mieux pas communiquer à ses subalternes.
Quand ils furent accostés par l'un des truands, qui voulut prendre les choses en main, Léogan se sentit tout à coup bien moins à l'aise dans son rôle et il se demanda un long instant ce qui lui avait pris de prendre la tête de cette mission d'infiltration alors qu'il n'avait jamais été capable d'aligner spontanément un mensonge crédible. Il se fit presque embarqué par le bandit, qui l'assommait de décisions rapides et désordonnées, et s'imaginait déjà faire face à leur chef, et tenter maladroitement d'expliquer la situation. Il fallait avouer qu'il n'était pas particulièrement talentueux à ce genre de comédie.
Tout à coup, au milieu de sa confusion, alors que le bonhomme l'entraînait derrière lui avec précipitation, il rencontra un obstacle sur son chemin et s'écroula de tout son long contre la glace, en ayant tout juste le temps de réaliser que c'était ce précieux sergent qui avait pris l'initiative de le faire trébucher – s'il n'avait pas été en train d'essayer laborieusement de se relever, entravé dans cette lourde armure, il aurait certainement conçu quelque étonnement amusé devant cette intervention audacieuse.

« Eh ben, mes amis, quels talents d'acteurs, murmura Léogan, d'un ton amusé, tandis que Havelle et Limale le traînaient vers l'auvent que leur avait indiqué leur homme. Y'a du potentiel, là, pensez-y si vous avez à vous reconvertir ailleurs. »

Ils parvinrent péniblement sous l'abri des prêtresses, terriblement bancroches dans leurs lourdes armures, et se laissèrent tomber sur les fourrures où elles avaient été assises. Veto les excusa avec noblesse de leur retard – ce qui inspira à Léogan un petit rictus amusé – et Limale les introduisit rapidement, ce qui plongea les jeunes femmes dans l’effervescence.
Elles se tournèrent vers Léogan, qui leur était familier, en souriant largement et il leur adressa un petit salut à deux doigts aussi discret que possible, tandis que le sergent Havelle les incitait sagement au calme et à l'action.
Les jeunes femmes ne se le firent pas dire deux fois et bientôt, les trois soldats se trouvèrent aussi enrubannés de bandages que Torenheim lui-même au fin fond d'Umbriel. Pendant qu'elles s'affairaient à les rendre méconnaissables, le regard de Léogan suivait le chemin du bandit qui les avait accostés tout à l'heure et qui se dirigeait prestement vers une tente sur tréteaux, où il entra en soulevant un pan de tissu.

« Limale, murmura-t-il, à l'attention de leur télépathe. Communiquez aux autres tout ce que vous pourrez observer de cette grotte. Évitez d'avoir recours à Arthwÿs. »

Puis Léogan retourna son attention sur les prêtresses, qu'il considéra un instant avant de réaliser qu'elles étaient loin de lui être inconnues. Évidemment, ce n'était pas chose rare au temple de Kesha, mais elles étaient toutes les huit des partisanes relativement proches d'Elerinna. Il cligna des yeux, attentif à ce détail, et rencontra le regard rougeoyant de Phoebé Fëmeril, qui était certainement la plus engagée de toutes aux côtés de la grande-prêtresse. Elle dégageait nerveusement son épaisse chevelure blonde de son visage d'enfant et regardait Léogan avec une gravité silencieuse, tout en l'entourant de bandages. Il lui lança un regard interrogateur, mais elle se contenta de serrer les lèvres de mécontentement.
Il n'eut pas le temps de méditer davantage sur l'objet de son irritation – après tout, elle avait toutes les raisons du monde d'être contrariée, présentement – car un homme émergea de la tente sur tréteaux et s'avança en leur direction d'un pas vif.
Les prêtresses achevèrent leur travail dans la précipitation, et bientôt, un Terran d'une trentaine d'années se présentèrent à eux, d'un air si neutre et si impérial que Léogan l'identifia aussitôt comme le chef du groupe de bandits. Il était d'une taille plus grande que la moyenne, large d'épaules, le port droit et fier, qui rappelait le maintien d'un noble ou d'un militaire. Ses yeux étaient d'un bleu presque translucide. Il s'arrêta devant l'auvent qui abritait les prêtresses et parla d'une voix impassible :

« Que s'est-il passé ? »

Il darda son regard droit dans les yeux de Léogan, qui eut la très désagréable impression d'être percé à jour et qui s'attendit, avec alarme, à l'entendre dire quelque chose comme « j'ai choisi les hommes qui composent ma troupe aussi minutieusement que Démégor nomme ses apôtres du chaos, et vous croyez encore pouvoir me duper, pauvres fous ? » - mais il n'ajouta heureusement rien de plus. Léogan prit une profonde inspiration, qui dut passer – il l'espérait – pour un relent de panique, déglutit et commença à baratiner à son tour, en bénissant Havelle d'avoir eu l'idée de leur couvrir le visage de bandages, car il aurait sûrement était incapable de donner la moindre conviction faciale à sa réplique :

« Ils ont butté nos quatre sentinelles, à l'entrée qui s'trouve près du temple de Soulen. Et puis ils nous ont mis une raclée, on a préféré les semer dans les couloirs des grottes pour venir prévenir.
‒ Tu crois qu'ils n'ont pas réussi à vous suivre ?
‒ J'pense surtout que le temps qu'ils réussissent à trouver notre camp, y a moyen de lancer une riposte, chef.
‒ Ah, voyez-vous ça ? Et qu'est-ce qui te permet d'avoir des idées pareilles, l'ami ?
‒ Ils sont nombreux, trop nombreux pour avancer comme il le faudrait dans les grottes, rétorqua Léogan, en tentant de ne pas ciller, ni de se laisser déstabiliser, suffirait d'envoyer cinq ou six de nos gars, pour, je sais pas, moi, leur tendre un piège... On aurait l'avantage, c'est sûr. Enfin, sauf si vous craignez qu'on s'fasse attaquer par l'entrée principale, ouais.
‒ Non, tu n'as pas tort. Avec les renforts qui vont nous rejoindre dans peu de temps, nous n'aurons pas à nous inquiéter d'une attaque de front de la garde. Ils se prendraient encore une peignée, s'ils essayaient seulement. Qu'ils essaient, d'ailleurs, ricana le chef, avec audace.
‒ Ouais, marmonna Léogan, en rigolant avec lui sans conviction.
‒ Mais on a vraiment besoin d'autant d'renforts ? s'enquit Limale d'un ton timide. J'veux dire, on pourrait simplement aller se cacher discrètement au fond des grottes avec les provisions, et attendre la rançon... Pourquoi on doit s'frotter à l'armée avec autant de renforts, au juste ?
‒ Je vous ai déjà dit que ça ne vous concernait pas. J'ai l'armure de Garadhrim. »

L'homme se releva avec noblesse, recula de quelques pas et leur montra son gantelet d'un geste ample. Les soldats déguisés et les prêtresses fixèrent leur regard sur la main du bandit et en un instant, dans un cliquetis métallique effrayant, l'armure sembla prendre vie. Le gantelet s'étendit, et couvrit le poignet de son porteur, son bras, ses épaules, son autre bras, et tout le reste de son corps d'une armure noire qui ne laissait presque aucun interstice visible.
Léogan serra les dents de nervosité, les yeux rivés sur l'homme en armure.

« N'est-ce pas une garantie suffisante pour vous ? demanda-t-il, d'une voix caverneuse, sous le heaume. Dans peu de temps, vous serez riches et vous pourrez couler des jours heureux quelque part à Eridania. Cela devrait vous convenir, acheva-t-il, tandis que l'armure se repliait petit à petit pour ne former à nouveau qu'un gantelet.
‒ On risque des plumes dans l'affaire, quand même, vous avez vu... nota Limale, d'un ton sombre.
‒ Pour le prix qu'on va vous payer, en plus de la rançon, vous devriez être un peu plus vaillants, dit-il, avec mépris.
‒ Est-ce qu'on est bien sûrs de se faire payer, aussi ?
‒ Si la mission est menée à bien, oui. J'en ai les moyens, c'est bien pour ça que vous avez accepté, n'est-ce pas ?
‒ Excusez-le, coupa calmement Léogan, en poussant Limale du coude, avec le sentiment qu'il poussait le bouchon un peu loin, il est salement amoché, ça lui monte à la tête – il sait tout ça, y a pas de doute. Seulement, on est pas habitués à vouloir faire face à l'armée de front comme ça, enfin, les renforts, ils viennent pour ça, pas vrai ?
‒ En effet, acquiesça simplement le chef, en se relevant d'un air imperturbable. Maintenant, reprenez des forces, nous aurons sans doute bientôt besoin de vous. »

Ceci dit, l'homme se redressa en leur adressant un signe de tête expéditif et les quitta d'un pas compassé pour organiser la contre-attaque. Il désigna cinq de ses hommes à vue pour s'occuper de cette tâche – et Léogan apprécia de voir la Chapelle se vider encore un peu plus de ses effectifs, en attendant l'attaque du major Rigane qui devrait se confronter à ladite « armure de Garadhrim ».

« Il parle bien, pour un bandit, ce gus... observa pensivement Léogan, le regard posé discrètement sur le chef en armure, qui donnait diverses directives à son groupe. Limale, reprit-il, en se tournant vers le sien d'un air conspirateur, prévenez Abel. Puis dites à Arthwÿs de se préparer à l'arrivée des renforts ennemis. Dites-lui de synchroniser son attaque avec celle de Rigane. Il ne faut pas  laisser le temps à ces types de s'installer dans les grottes. » commanda Léogan, davantage par besoin de prendre une décision rapidement que par certitude.

Il réfléchissait très vite. Chacun des ordres qu'il prononçait – il le savait – aurait des répercussions importantes, en bien ou en mal. Cela faisait bien longtemps qu'il n'était plus submergé par la peur de mal faire, en tant qu'officier. Il assumait ses décisions du début jusqu'à la fin. Les échecs étaient toujours douloureux, et ils étaient souvent de son fait, puisqu'il devait donner des ordres, mais il n'y trouvait pas le prétexte de se lamenter sur lui-même. Les opérations militaires comportaient une grande part de décisions prises sur le vif, contestables à de nombreux égards, et parfois désastreuses du fait du manque de délibération, mais une fois qu'elles avaient été prises, on n'y pouvait plus rien. Il fallait agir.
Il frotta ses doigts les uns contre les autres et une étincelle d'électricité y apparut. Il la frictionna et elle se changea peu à peu en une source de chaleur diffuse, qui n'incommodait pas Léogan, mais qui était suffisante néanmoins pour faire fondre discrètement les chaînes des prêtresses. Il s'occupa de les libérer aussi furtivement que possible.

« Cette affaire est de plus en plus douteuse, nota Léogan, d'un ton soucieux.
‒ C'est sans doute un coup du maire... vociféra Phoebé Fëmeril, à voix basse, les traits de son beau visage froncés de dégoût. Il ne sait plus quoi inventer pour se débarrasser des partisanes de la grande-prêtresse. Avec les tensions qu'il y a en ce moment au temple, il a sûrement pensé qu'en balayant certains appuis d'Elerinna Lanetae, elle ne résisterait plus longtemps contre certaines de nos sœurs... »

Léogan soupira avec un profond agacement et coupa d'une voix fatiguée :

« Ne parlons pas politique maintenant, je vous en prie, ce n'est pas le mom-... 
‒ CHEF ! hurla soudain un homme, qui surgit d'une des entrées à grand fracas. CHEF ! C'est les renforts... !
‒ Qu'y a-t-il ?
‒ Ils sont arrivés, mais... Mais la garde cimmérienne est dehors... ! Ils ont été interceptés !
‒ Je m'en occupe personnellement, dit immédiatement l'homme à l'armure, d'un ton froid. Amenez-moi une des prêtresses.
‒ Ca va être le moment de filer, mesdames... murmura Léogan, dont le regard suivait le chef avec suspicion. Limale, où en est Rigane ?
‒ Elle... » commença le jeune homme, du ton troublé qui suggérait ses difficultés magiques.

A ce moment précis, l'une des trois portes de la Chapelle des soupirs explosa littéralement, et le groupe d'intervention de Millenia Rigane surgit dans la grotte, à grands renforts de projections magiques. Parfait. Ils avaient réussi à synchroniser leurs assauts.
Cette attaque surprise, venue du couloir opposé de celui où les bandits l'attendait, les submergea de confusion, d'autant que le rapport de force semblait désormais équivalent, voire à l'avantage de la garde. Léogan, quant à lui, ne se démonta pas et se tourna vers son groupe avec un sérieux impassible :

« On va prendre la troisième sortie. Havelle, il va falloir reprendre du service, partez devant dès que je vous en donnerai l'opportunité. C'est parti. »

Alors qu'un bandit se précipitait vers l'auvent des prêtresses, Léogan se releva avec un naturel troublant, attendit un instant puis, lorsqu'il le jugea opportun, avança de trois pas vers lui et tout à coup, leva son poing pour le lui abattre dans la figure.
Pendant ce temps, les huit prêtresses et leurs deux chevaliers servants s'étaient relevés et s'élançaient vers la troisième porte, tandis que le chef à l'armure, dans la confusion, hurlait à ses hommes de leur bloquer la route. Léogan, lui, se débarrassa de son casque et de ses bandages d'un geste sec, prit une profonde inspiration et fixa son regard sur la grande porte qui barrait le passage aux dix fuyards.
Il leva deux doigts en sa direction, et une énergie bourdonnante naquit au centre de son corps, dans son estomac, une énergie qui, le temps d'une respiration brûlante, s'accéléra et s'intensifia, monta dans sa poitrine en une bouffée de chaleur qu'il maîtrisa avec sang-froid et se projeta dans son bras jusqu'aux extrémités de ses doigts. Un grand arc d'électricité pure vola au-dessus des deux soldats et des prêtresses et vint frapper avec précision la porte de fortune, chassant par la même occasion les gardes qui s'y étaient présentés afin d'intercepter la petite troupe. La porte explosa dans un bruit de tonnerre et une bourrasque de flammes la réduisit en cendres avant de s'étouffer d'elle-même, ne laissant sur son passage que quelques flux électriques qui ondoyèrent et s'éteignirent un instant plus tard.

Satisfait du résultat, Léogan respira plus librement – s'il possédait ce pouvoir depuis la naissance, il n'avait jamais été aisé de générer et maîtriser la foudre, dont le potentiel dévastateur devait être régulé précisément en lui, avant d'être précipité au-dehors, échappant à tout contrôle. Il n'utilisait pas souvent cette magie. Un simple accès de colère pouvait avoir des conséquences catastrophiques.
La main sur la garde de son épée, Léogan bondit en avant pour rejoindre l'équipée, et en particulier Phoebé Fëmeril qui traînait derrière Limale en jetant de grands regards terrifiés vers lui. Il la rattrapa, la prit vivement par l'épaule et la tira à sa suite sans ménagement.
Tous se précipitèrent dans les couloirs de glace, à nouveau guidés par le sergent Havelle, tandis que le combat faisait rage, derrière eux, et que visiblement, quelques bandits les prenaient en chasse. Léogan tordait presque le poignet de Phoebé en la tirant près de lui dans sa course, mais elle trouvait tout de même le moyen de demander, d'une voix oppressée :

« Qu'est-ce que vous faites ici, colonel ? Cette mission devrait être sous la juridiction de la garde territoriale...
‒ ...quoi ?! balbutia Léogan, d'un ton presque agressif, tout en virant brusquement à droite, derrière un Veto qui devait s'orienter précipitamment.
‒ Cette mission devait être...
‒ Attention ! »

Il plaqua Phoebé contre le sol et les autres se jetèrent contre un mur tandis que des carreaux d'arbalète sifflaient au-dessus de leurs têtes. Les bandits profitèrent de leur halte forcée pour se ruer sur eux à grands cris, mais Léogan se redressa, tendit à nouveau une main vers l'avant et projeta sur eux une nuée d'arcs électriques, qui tournoya chaotiquement et les avala dans un vortex déchirant. Il se remit sur pieds aussitôt et serra le poignet de la jeune femme en se remettant à courir, l'obligeant tant bien que mal à se relever et le suivre dans le même mouvement.
Ce type en armure l'inquiétait férocement, il lui coûtait de laisser le major Rigane et ses hommes l'affronter seuls, mais avec huit prêtresses sur les bras, il ne devait pas perdre son sens des priorités – d'autant qu'il n'était pas totalement exclus que ce type les prît en chasse...


Dernière édition par Léogan Jézékaël le Sam 4 Oct - 12:41, édité 1 fois
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeJeu 21 Aoû - 22:18

Veto était assis sur le bord d’une couchette, l’air maussade et épuisé. Une prêtresse faisait mine de s’occuper encore de lui lorsque les vrais bandits arrivèrent. Manifestement, cette jeune fille d’une quinzaine d’années était terrorisée mais avait trouvé pour seul échappatoire à la panique, celui du travail. Elle bandait la main de Veto, les doigts tremblant et la tête basse. Le garde la regardait faire avec une colère sourde et grandissante au fond du ventre. Cette rage continuait de grandir en lui lorsque le responsable de cette terreur se montra ainsi orgueilleux. Il était sûr de lui et méprisant de ses hommes, de la garde qui ne semblait pas l’inquiéter, des prêtresses qui n’étaient qu’une monnaie d’échange.
Voir cette enfant terrorisée par un homme qui ne voyait en elle qu’une poignée de Dias procurait envers ce monstre une haine sans faille à Veto.

Oh que oui, Veto reprenait des forces. Et il saurait les utiliser.

L’annonce de l’arrivée des renforts alarma Veto. Par où arriverait-il ? Et où était-il cantonné jusqu’à maintenant ? S’ils venaient de l’étranger, ils passeraient forcément par Gaef. À moins qu’ils restent à mouiller dans le lac et rejoignent la côte discrètement. Dans ce cas, l’entrée qu’ils avaient prise, à l’écart de Gaef, proche de la côte seraient certainement empruntée, prenant à revers Abel et les autres. Mais impossible de faire cela discrètement. La position haute du temple permettrait forcément à un prêtre de voir ce procédé inhabituel et donnerait l’alerte. Et ça ne correspondait pas à leurs agissements jusqu’à présent. Personne ne s’était rendu compte de leur présence jusqu’à cette nuit fatidique. Ils devaient débarquer à Gaef. Mais qu’y feront-ils ? Y étaient-ils déjà ? Se formant à chaque débarquement…Non. C’était impossible. Un regroupement de nouvelles têtes dans ce petit bourg serait trop voyant. Et puis pourquoi n’auraient-ils pas rejoints directement cette chapelle au fur et à mesure. Pourvu que Gaef ne pâtisse pas de cette affaire ! Les habitants de ce bourg survivaient déjà plus qu’ils ne vivaient. Pêcheurs, débardeurs, mendiant… La foule des habitants de Gaef était bien moins hétérogène qu’à Hellas où les Nobles étaient bien représentaient, où les marchands compensait les mendiants.
Veto aimait ce pays mais rêvait tellement de le voir moins inégalitaire.

Hellas ! Mais oui ! La cité était assez grande pour qu’ils y passent inaperçus. C’était une erreur de pensé qu’ils venaient du port. Il y avait de rares mais présents convois venant d’Eridannia traversant le désert. Mais pourquoi étaient-ils venus ? Ils parlaient d’un paiement en plus de la rançon. Ils avaient un commanditaire. Qui était assez retord et riche pour mandater de tels mercenaire pour une telle besogne ? Ni Elerinna, ni Irina ne porterait atteinte à leurs sœurs. Même s’il considéré la Grande prêtresse comme foncièrement mauvaise, elle n’aurait même aucun intérêt à mettre en danger des prêtresses… À moins qu’elles ne soient partisantes d’Irina…
Veto ne savait rien de l’état des relations d’Irina au sein de l’ordre.
Mais il avait beau retourner l’angle de vue de cette attaque, il ne voyait pas en quoi elle serait bénéfique à Elerinna. Même si c’était pour remettre en cause la garde prêtorial, ça ne servirait pas les prêtresse…
Le Maire par contre… Comme le disait cette prêtresse aux yeux carmin, révélant son parti pris pour Elerinna et celui de ses compagnes, il n’y avait pas d’autre bénéficiaire de cet attentat.
À moins que Veto ignore l’existence d’un quatrième parti qui veuille prendre le pouvoir à Hellas par de telles vilainies… Mais Veto en doutait et il aurait été prêt à devenir croyant pour pouvoir prier Kesha que ce n’était pas le cas. La situation était déjà bien assez compliquée comme cela.
Mais pourquoi cette rançon ? Autant faire complètement disparaître ces prêtresses s’il était question de balayer des appuis… Pourquoi juste les retirer temporairement ? Ces mercenaires ne devaient donc pas avoir pour intention de rendre les prêtresses après qu’ils aient eu ce qu’ils demanderaient.

Il écoutait néanmoins attentivement le Colonel Jézékaël et se releva en même temps que lui : manifestement, sa fatigue de tout à l’heure était feinte pour correspondre à la comédie donnée devant le brigand devant la tente. Lorsque le Colonel eut mis hors d’état de nuire l’homme venu chercher un otage, il attrapa le bras des deux prêtresses les plus proches et les enjoins à le suivre.

Il dégaina tout en courant, lâchant les sœurs de Kesha pour prendre seul la tête du groupe. Cherchant au fond de lui, tout en continuant de courir, la magie qui lui permettrait de faire un passage en force quand un éclair passa au-dessus de sa tête et provoqua une explosion qui l’aveugla en le soufflant en arrière.
Lorsqu’il se releva, deux énormes lucioles brillaient dans son champ de vision et il épongea glace fondu et sang de son visage. Sans doute Léogan (car il connaissait trop les pouvoirs de Limale pour penser que ce soit lui qui ait provoqué cette attaque) avait-il sous-estimé la vitesse de course de Veto. Il était très prêt lorsque l’éclair désintégra les canailles qui lui barraient la route. Il avait vu à travers le flash les débris de bois et de ferrailles se mêler aux arcs électriques qui balayèrent les corps entre lui et la sortie. Il mit un instant à retrouver son équilibre, soutenu par une prêtresse et Limale et puis il reprit ses esprits, chassa les lucioles d’une poignée de clignements de paupières et entraina à sa suite la prêtresse qui le soutenait, zigzagant ou enjambant les morceaux de cadavres parfois empalés par des barres de fer ou perclus d’échardes de la taille de poignards.


Lorsque le Colonel hurla pour les prévenir, Veto jetait justement un œil à l’arrière.
« Poussez-vous ! » précisa-t-il à ceux qui le suivaient, déjà alertés par la mise en garde.

Lorsque les carreaux eurent fini de voler, il ordonna à Limale de continuer devant et de prévenir Abel pour que le piège ne maltraite pas les pauvres prêtresses. Veto, lui, repartit quelques mètres en arrière, se rapprochant du Colonel mais surtout de la prêtresse qui s’était occupé de lui. La pauvre enfant avait un carreau planté dans le mollet. Il rengaina son glaive et allait soulever la frêle jeune fille dans ses bras lorsqu’il jeta un coup d’œil au Colonel.
Il le vit alors vaporiser une nouveau groupe d’hommes et le flash aveugla encore un peu le militaire qui eut le réflexe cette fois-ci de fermer les yeux. Il termina de prendre la prêtresse dans ses bras et attendit le Colonel. Derrière eux, le chef des bandits ne disposait plus que de deux hommes à sa botte. Ils étaient trois face à la charge du Major Rigane : à moins d’un contre deux. Et pourtant, Veto eut un mauvais pressentiment. Une attaque une lame de froid vint percuter le trio et l’homme en armure s’avança d’un pas avant l’impact. Une sphère de givre se fit devant lui et il la balaya d’un revers de la main.
Veto regarda encore une seconde, le temps que le Colonel le rejoigne mais déjà, lorsqu’il tournait les talons pour courir avec lui vers le reste de leur équipe, il vit deux gardes cimmériens tomber.

Le cœur lourd, il força l’allure malgré son léger fardeau. La jeune fille était de petite taille et assez maigre mais elle n’en restait pas moins encombrante. Il la vit scruter derrière eux. Accrochée à son coup avec ses petits bras frêles, elle avait les larmes aux yeux et sanglotait doucement. Elle devait souffrir de sa blessure mais il n’y avait pas que de la douleur dans ses yeux remplis de larmes. Et puis ses prunelles s’écarquillèrent et elle cacha son visage dans l’épaule du Sergent et il comprit que ça tournait vraiment très mal pour le Major et Tarnac.

*Pauvre enfant. Les souvenirs de l’attaque contre son convois doivent encore être si présents… Saloperie de bandits !*

La jeune fille se cacha encore les yeux dans sa chemise tout le long de la course. Assez vite, il avait tout de même perdu du terrain face au Colonel moins chargé. Il arriva donc en dernier au mur brisé. Là, Abel et le reste de l’équipe avait aidé les prêtresses à passer le muret et la cuvette et il confia sa protégée à Pournis qui sembla aussi gauche qu’un père à qui on donne son enfant qui vient de naître.
Le dit enfant rechigna à lâcher le coup de Havelle qui redoubla de douceur pour la faire céder. Pourtant, au fond de lui, la rage grondait.


« Tout va bien, petite prêtresse. François va prendre soin de vous. Il fait partie de la garde lui aussi. »

Dès qu’il fut libre, il vint poser une main sur l’épaule du Colonel.

« Monsieur ! Du peu que j’ai vu, Rigane a déjà perdu deux hommes et surement plus désormais. Vous avez vu comme moi cet homme : son assurance n’est pas feinte et doit être mérité. Et j’ai un plan pour contrer son armure. J’ai vu comment elle se défendait face à la magie. Les prêtresses sont en sureté. Laissez-moi y retourner ! »

Un ordre donné à un supérieur ? Non. Une supplique. Tarnac était comme un grand frère pour Veto. Quant à Millenia Rigane, même s’il la soupçonnait fortement d’être corps et âme dévouée à Elerinna, elle lui avait beaucoup appris et c’était un peu grâce à elle qu’il était entré dans ce grand échiquier. Sans elle, il n’aurait pas connu Irina comme il la connait désormais. Mais surtout, il avait réellement envie de faire payer ce que cet homme avait fait à ces pauvres prêtresses.

Soudain, Limale sembla avoir un vertige mais il trouva la présence d’esprit d’annoncer d’une voix forte :
« l’équipe de Rigane est en train de se faire décimer et Arthwÿs n’a pas pu empêcher une partie de leurs renfort de passer. Apparemment, ils sont trop nombreux mais il tient bon…
-Colonel, s’il vous plait ! Abel peut retourner à Gaef avec les prêtresses et demander des renforts au contingent resté là-bas. Je ne pense pas qu’il reste d’autres de ces chiens à venir. Ils ont dû mener tous leurs hommes par la même entrée pour qu’ils soient si nombreux. Et puis ils n’avaient aucune raison de faire autrement : ils se pensaient en position de force… »

Veto, malgré sa course chargée et son débit de parole semblait chaque seconde plus frai. Un feu de brûlait doucement au fond de lui et ravivait sa hargne. Comme toujours, pour la justice, il était prêt à soulever des montagnes. Et ses yeux étaient sans doute plus convaincant encore que ses mots.

Pourtant, malgré sa position de quémandeur, il restait digne. Cette dignité des nobles qui ne le sont pas de naissance mais qui le deviennent sans le vouloir, par la force des choses, par la noblesse de leurs sentiments.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeMer 27 Aoû - 5:29

Havelle avait chargé une toute jeune fille sur son épaule et commençait à ralentir l'allure, à tel point que Léogan, qui tirait Phoebé derrière lui de toutes ses forces, fut contraint de prendre de la distance. Limale était encore devant, et les six autres prêtresses entre eux. Leurs semelles claquaient contre la glace comme une pluie torrentielle. Il se retournait nerveusement chaque fois que le bruit de pas de Veto s'étouffait trop à son goût, et ce fut un de ces instants d'inattention qui lui coûta de ne pas réagir aussitôt à un cri d'avertissement de Limale.
Heureusement, Phoebé eut la présence d'esprit de bondir sur le côté. Léogan chancela, trébucha vers elle, et une douleur intolérable explosa dans son omoplate droite, tandis qu'il était tourné de moitié vers le couloir où la silhouette de Veto avait disparu. Léogan se retourna aussitôt, une main portée à son épaule où il rencontra le bois d'une flèche qui s'était fichée à travers le cuir de son manteau, de ses protections et sa cotte de mailles. Il siffla un « bordel ! » bien senti entre ses dents et aperçut, parmi les étincelles rouges qui palpitaient sur ses rétines, un type qui était à couvert dans un renfoncement de glace sur leur chemin et qui avait dû échapper au piège d'Abel.

Son premier réflexe fut, dans un mouvement de rage, de s'avancer pour lui casser la tête, l'épée au clair, mais la poigne de Phoebé l'empêcha fort heureusement d'aller se planter sur une autre de ses flèches, qu'il tira d'ailleurs dans sa direction. Il plaqua sa protégée contre un mur de glace et sentit un projectile siffler près de sa tignasse noire.
La douleur lui déchirait la cervelle mais il eut assez d'instinct pour savoir précisément ce qu'il devait faire. Limale avait fait avancer les prêtresses sur le chemin de la sortie et avait déjà évité un trait en se jetant également sur le côté, l'épée à la main et l’œil hagard. Léogan échangea un regard éloquent avec le jeune homme, passa son épée dans sa main droite avec un tressaillement de douleur et tendit brutalement sa main gauche vers le renfoncement de glace. Son cœur manqua un battement quand la foudre lui traversa le ventre et jaillit de ses doigts pour éclater contre l'abri du tireur. Celui-ci bondit aussitôt qu'il comprît ce qui lui arriverait. Limale l'attendait et le transperça de la pointe de son épée.
Cela ne dura que quelques secondes, le temps que le sergent Havelle réapparût, toujours chargé de sa jeune prêtresse, et ils s'élancèrent tous à nouveau vers la sortie.

L'air froid du désert les happa férocement quand ils passèrent un trou d'air, près du mur brisé. Léo serra les dents et palpa péniblement son épaule. Veto était en train de remettre la jeune fille, très délicatement, entre les mains de Pournis, qu'ils venaient de retrouver à l'extérieur avec le reste de la troupe.
Avec toute l'autorité dont elle disposait, Phoebé tentait de débarrasser Léogan de sa flèche, en dégageant les morceaux de cuir qu'elle avait explosés en se fichant dans son omoplate, mais il la repoussait sans cesse avec une telle bordée de jurons qu'elle finit par abandonner l'affaire.

Il tentait d'ailleurs de reprendre son souffle et de gérer cette douleur lancinante – tout en se maudissant d'avoir décidé d'ôter l'armure du bandit près des prêtresses, dans la Chapelle des Soupirs, pour fuir plus rapidement – quand Veto s'approcha de lui avec alarme et s'empressa d'argumenter, ou plutôt de supplier Léogan, pour le laisser repartir au secours du major et de son équipe. Limale accourut au renfort de son collègue et Léogan les écouta avec un air de parfaite incrédulité, trop absorbé par cette maudite flèche, dont il espérait qu'elle n'avait pas pénétré trop profondément sa chair.
Toutefois, il réussit à inspirer profondément et à plonger enfin ses yeux dans le regard clair et franc du sergent, qui exprimait une sainte colère – celle d'un homme épris d'idéal convaincu de savoir faire justice. Léogan se sentit perturbé et il resta, bien malgré lui, sans parole pendant quelques secondes.
Tout avait l'air si simple dans la tête de Veto Havelle. Il y avait les prêtresses et les bandits, Irina et Elerinna, le Bien et le Mal, et le devoir de combattre pour la justice. C'était peut-être cette naïveté idéaliste qui lui permettait d'avancer toujours sans faillir. Au fond, il n'avait qu'un chemin à suivre, une ligne droite, et les obstacles qu'il y rencontrait devait simplement être balayés coûte que coûte, pour le plus grand bien.
Oh. C'était très touchant. Malheureusement, Léo ne croyait pas à la justice, il ne croyait pas au plus grand bien, et il ne croyait pas non plus, malgré la boucherie qui avait eu lieu la veille et ce jour-là, malgré les pleurs de la gamine qui se serrait dans les bras de Pournis, que la garde fût dans le bon et les bandits dans le mauvais. Cela lui importait bien peu. Il n'y avait rien que des ennemis, ici et là, qui ne s'alignaient les uns contre les autres que par des jeux de circonstances. Son travail, c'était d'abattre ceux qui se présentaient comme tels, pas de les juger ou de les poursuivre avec la certitude légitime du grand arbitre et exécuteur du Bien.
Il faudrait bien que quelqu'un lui dise un jour, à ce gamin. Il faudrait bien qu'il le comprenne. Léogan ne savait pas vraiment si c'était à lui aujourd'hui de lui montrer cela, de le prendre entre quatre yeux et de lui murmurer quelque chose, comme : « Laisse-moi te dire, petit, c'est difficile, la vie est sale, sous ses étoiles. Il n'y a rien à sauver ici, et sans doute rien à détester. »
Il finirait pas comprendre un jour, de toute façon, que tout ce en quoi il croyait n'existait pas. Le feu s'éteindrait, et il en naîtrait une autre, une flamme de révolte, de rage et de tristesse. Il s'en faudrait de peu. Quelques désillusions, quelques trahisons, quelques humiliations imméritées – et toutes ses victoires de soldat exemplaire se transformeraient au fond de lui en défaites. Oh, oui, la vie était sale. Il le découvrirait quand il s'y serait assez frotté, comme une froide illumination. Il le découvrirait peut-être même avant la fin du jour.
Finalement, Léogan se racla la gorge et darda un regard métallique sur Veto, avant de lâcher d'une voix sèche :

« Allons, ne soyez pas stupide. Vous n'avez quand même pas l'intention... commença-t-il, avant de réussir enfin à arracher la flèche de son omoplate, avec un gémissement étouffé. ...d'y retourner sans moi. Après tout ce qu'on a vécu ensemble ? »

Il jeta la flèche à ses pieds, appréciant d'un sourire grimaçant l'effet du suspens qu'il avait involontairement ménagé en s'occupant de son épaule. Le visage bouleversé – mais digne – de Veto venait de passer du désespoir blême à une sorte de surprise exaltée, et ce serait mentir de dire que cela n'amusait pas Léo.
Non, mais il arrivait à former un peu d'affection pour ce gamin ; un vrai héros des temps modernes, prêt à se jeter l'épée au clair dans la gueule du loup – et encore ! Avec l'autorisation tamponnée du chef, un plan pour vaincre la bête et autant de précautions qu'il était possible d'avoir. C'était agaçant, au fond, tant d'excellence en un seul soldat, mais voilà, il avait des tripes, ce sergent, et c'était bien une des rares qualités au monde que Léogan savait apprécier.

Il massa un peu son omoplate blessée, à travers le cuir de son armure et sa cotte de mailles et tenta quelques mouvements du bras sans trop souffrir – quoi qu'il en soit, c'était l'épaule droite, sa main d'épée étant la gauche, il n'en serait pas beaucoup affecté, d'autant que les tissus musculaires n'avaient pas été très endommagés, grâce aux protections qu'il portait.
Une fois bien assuré de son état, et après avoir repoussé une nouvelle fois Phoebé qui insistait pour le soigner, vers la petite fille à la jambe blessée, il se tourna vers ses hommes avec gravité.

« On y retourne, annonça-t-il, d'une voix claire. Abel, faites comme a dit Havelle. Il va falloir pourtant que vous fassiez un détour pour ne pas tomber sur Artwhÿs et les renforts ennemis... Il ne manquerait plus qu'elles retombent entre leurs mains. Prenez Pournis avec vous, et... Limale aussi, ajouta-t-il, après une hésitation, pour nous avertir en cas de problème. Limale, avant que vous partiez, dites à Artwhÿs de me contacter directement maintenant. Le télépathe de Rigane est encore vivant ?
‒ Je... Je n'arrive pas à prendre contact avec lui, alors... balbutia le jeune homme, la gorge nouée.
‒ Je vois... admit lugubrement Léogan. Eh bien... Enfin, de toute façon, il s'agit de les rejoindre. Bonne chance, et revenez avec des renforts pour soutenir Artwhÿs. Limale, restez en contact.
‒ Oui, Monsieur. »

Décidément, on lui en servait du « Monsieur » aujourd'hui. C'était assez... Mignon. Oui, quelque chose comme ça.
Il ne put dissimuler un de ces rictus moqueurs dont il avait le secret, cette fois, et ne put que se retourner et avancer d'un pas vif pour passer à nouveau le mur brisé, avec le reste de la troupe cette fois.

« Non, je vous en prie, n'y allez pas ! s'exclama Phoebé en s'élançant à sa poursuite.
‒ Écoutez, Phoebé, fit Léogan, en la distançant aussi vite qu'il le pouvait, je suis ravi que vous vous souciiez autant de me garder en vie, mais il y a un moment donné où c'est mon boulot !
‒ Vous devriez replier vos troupes, vous ne savez pas de quoi il est capable. J'ai entendu dire des choses ! Les bandits ne sont que de la chaire à canon, il s'en moque bien ! C'est le maire ! C'est le maire qui veut inculper l'ordre d'un désastre militaire ! Ils ont les moyens de...
‒ Ça suffit ! s'exclama Léogan, en s'arrêtant soudain pour faire face à Phoebé d'un air terrible. J'ai assez perdu de temps avec ça. Ce que le maire a l'intention de faire n'a pas d'importance pour nous si nous réussissons à endiguer la situation ! »

Et il reprit sa route, doubla la prêtresse et chercha à nouveau à la semer, tandis qu'elle s'échinait à lui traîner dans les pattes.

« Dans ce cas je viens avec vous.
‒ Il n'en est pas question !
‒ Vous aurez besoin d'une soigneuse opérationnelle. »

Léogan s'arrêta furieusement. Ils se fusillèrent mutuellement du regard.
Oh il les détestait, toutes autant qu'elles étaient, comme il les exécrait, ces satanées bonnes femmes ! Toujours à vouloir avoir le dernier mot. Toujours convaincues d'avoir raison et à manigancer, à tourner autour du pot ! Elles devaient avoir été une bande de vautours dans une autre vie... ! C'était si difficile de dire clairement ce qu'elle voulait, elle, pour une fois ?

« Bon, ça va ! rugit-il. Venez ! Mais ne lambinez pas, je vous préviens, et restez bien à couvert. Excusez-moi, Havelle, dit-il en se tournant vers le sergent. Partons. »

Léogan avait beau tenter de ne pas se mêler à ces jeux d'à qui la faute, qu'il fréquentait de très près au temple et dont il connaissait trop bien la duplicité pour y accorder le moindre crédit, l'accusation que Phoebé formait contre le maire lui semblait bien tenir la route. Un plan astucieux, du reste. Faire enlever des prêtresses par des bandits, qui demandaient une rançon bien sûr, pour éviter les soupçons, détruire des alliés d'Elerinna au mieux, la déstabiliser au pire, mettre sur le dos de son incompétence et de celle de sa garde un désastre militaire...
C'était si évident. Trop évident, peut-être... Il n'avait pas l'ingénuité de croire que les prêtresses ne s'attaquaient pas entre elles. Les serpents les plus agressifs étaient incapables de ne pas amorcer de combat à mort lorsqu'ils se rencontraient – et que dire alors s'ils avaient choisi de loger dans le même trou... Évidemment, si on prenait en compte que les jeunes femmes enlevées étaient des alliées d'Elerinna, Irina était bien placée pour en tenir la responsabilité, et faire porter le chapeau au maire par dessus le marché. Mais dans ces affaires, les coupables les mieux désignés n'étaient souvent que des bouc-émissaires ; ce qui d'ailleurs menait toujours les enquêtes à faire du sur-place.
Pourtant, il était bien sûr qu'Elerinna elle-même n'avait rien à voir avec cette affaire – elle n'avait été mise au courant de l'enlèvement que quelques temps après le départ des troupes de secours – et si jamais elle avait eu l'idée d'un plan de ce genre, d'un plan aussi lamentable, elle lui en aurait parlé, il en avait l'absolue certitude. Il lui aurait dit que c'était ridicule et complètement fou furieux, il l'aurait prévenue, elle serait revenue sur terre, ses dix soldats ne seraient pas morts, la garde ne serait pas en train de se faire massacrer en ce moment-même et rien de tout ça ne serait arrivé ! Quel merdier. Non mais sérieusement, quel tas de merdier !
Il glissa un regard à Phoebé, qui avançait près de lui à un rythme soutenu, les yeux pleins de fureur et de détermination. Il connaissait bien les alliés d'Elerinna. Il savait ce dont ils étaient capables. Or Phoebé Femeril était un de ses soutiens les plus solides et les plus résolus. Et elle avait cette façon douteuse de lui faire comprendre qu'elle ne voulait pas le voir ici, lui. Pour quelles raisons ?
Léogan fronça des sourcils et détourna son regard. Il divaguait, c'était absurde. Et surtout, il y avait autre chose à faire.

Il accéléra encore l'allure dans les couloirs de glace, tout en discutant mentalement avec son lieutenant, qui s'informait régulièrement de leurs positions et lui rapportait l'état de ses propres troupes face aux renforts ennemis. Quand ils arrivèrent à une distance de la porte explosée que Léogan jugea respectable, il arrêta sa troupe d'un geste de la main.

« Attendez ici quelques instants. Je vais m'approcher un peu, histoire d'entendre s'il y a encore une menace ou une lutte, là-dedans. Je vais faire vite. »

Il progressa un peu et apprécia enfin un peu sa solitude, notamment pour écouter plus sereinement les bruits en myriades qui résonnaient dans les grottes de Fellel, l'eau qui coulait en ruisseaux subtils, la glace qui craquait et tous ces soupirs froids qui s'insinuaient dans les profondeurs de la terre. Il sembla à Léogan qu'il était seul au monde, maintenant, que tous les hommes étaient désormais fauchés et tous morts, qu'il n'y avait plus un souffle de vie à des kilomètres à la ronde – c'était en tout cas ce qu'il percevait, en frissonnant d'une émotion glaciale dans le silence de Fellel.
Et finalement... Finalement, alors qu'il approchait de la porte que la foudre avait désintégrée, il entendit deux respirations distinctes dans la Chapelle des soupirs, l'une qui tentait manifestement de se dissimuler, et l'autre si faible, si rauque, qu'elle en était presque imperceptible.
Léogan allégea son pas et rangea son épée près de son corps en avançant vers l'entrée de la grotte, qu'il pénétra d'une semelle de velours. Il y avait un homme, là, un homme seul, à qui on avait peut-être assigné la surveillance de la Chapelle, ou qui avait fui la bataille – qui, en tout cas, eut la bêtise de ne présenter que son dos à son ennemi. Léogan se glissa derrière lui à la façon d'un chat précautionneux et lui trancha simplement la gorge.
La sentinelle – ou le lâche, c'était selon, il ne le saurait jamais – s'effondra par terre dans un infâme gargouillis, et Léo put considérer avec froideur le carnage qui avait eu lieu dans la grotte. Il se tourna vers la source de l'autre respiration qu'il avait entendue et, parmi les cadavres encore fumants des bandits et des gardes, il aperçut le corps de Millenia Rigane.

Il tressaillit et se précipita sur sa dépouille, qui remuait encore faiblement sous sa cape blanche. Il ôta un de ses gants, prit le pouls de la jeune femme à sa jugulaire et le jugea désagréablement faible et irrégulier. Ça ne sentait pas bon du tout.
Le contact chaud de la main de Léogan, sur la gorge froide de Millenia, la tira laborieusement de sa torpeur et elle le regarda quelques instants d'un œil vitreux, sans le reconnaître. Il renfila son gant et lui sourit avec un mélange étrange d'amertume et d'espièglerie :

« Salut, major.
‒ Colonel ? s'exclama la jeune femme, en s'étouffant péniblement. Qu'est-ce que... ? Que faites-vous encore ici ?! Vous savez très bien que... Dans ses situations, qui ne tient pas sa place...
‒ ...reste sur place, oui, oui, je suis au courant. »

Léogan s'agenouilla près du corps recroquevillé de Millenia et souleva sa cape blanche, dont elle se servait pour couvrir ses blessures. Il réprima une expression de violente alarme quand il aperçut, à travers l'armure défoncée du major, une plaie profonde et sanglante dans le flanc, d'où on avait dû retirer une épée. Il prit une inspiration discrète, recouvrit à nouveau Millenia de sa cape et leva la tête vers elle pour lui adresser un sourire caustique.

« Seulement c'est pas tellement le truc du sergent Havelle. Et je me suis dit que de toute façon, de mon côté, je fais bien ce que je veux, non ? Pas de position à tenir. Allez venez, je vous emmène... marmonna-t-il en hissant Millenia dans ses bras, et en tentant laborieusement de se relever. Faire un tour. Oh la vache, vous pesez votre poids, vous savez ? »

Le major poussa un râle de douleur, tandis que Léogan s'efforçait de la tenir contre lui sans lui déchirer ce qui lui restait de son flanc droit.

« Lâchez-moi ! Je suis encore capable de... s'exclama-t-elle en se débattant dans les bras de Léogan, avant d'être ébranlée par une horrible quinte de toux, qui laissa dans sa main quelques taches sanglantes.
‒ Vous m'en direz tant. 
‒ ...je vous déteste, grogna Rigane, en se relâchant subitement, à bout de forces.
‒ Vous avez raison, on va attendre de voir si on survit à ça pour les remerciements.
‒ C'est ça, oui, grinça-t-elle.
‒ C'est ça.
‒ Bien ! » acheva-t-elle avec irritation.

Léogan la laissa se satisfaire d'avoir le dernier mot, puisqu'au fond, elle s'était résignée à se laisser porter sans résistance – ce qui devait être un sacré coup porté à son orgueil. Son épaule à lui le faisait souffrir atrocement, avec ce poids entre ces bras. Il avait l'impression affreuse que son épaule allait se déchirer du reste de son corps et quand il avança, chargé du poids de Millenia, il crut à plusieurs reprises qu'il allait la lâcher ou s'effondrer lui-même à genoux, sur le coup du vertige. Il tituba un peu, pâle comme un linge, sous le regard narquois du major, mais n'émit pas la moindre plainte et sortit de la Chapelle des soupirs d'un pas lent, chaotique, mais résolu.
Il avança sur plusieurs mètres et ne trouva bientôt plus la force de porter Millenia. Il l'étendit sur le sol aussi délicatement qu'il le put et la fit patienter un peu, le temps d'avertir ses hommes, qui débagoulèrent à toute vapeur dès qu'ils furent au courant de l'état de leur major.
Phoebé se fraya autoritairement un chemin entre tous ces hommes d'armes qui se pressaient autour du corps mal en point de Rigane et s'agenouilla près d'elle. La prêtresse remonta méthodiquement ses manches, ses yeux carmins pleins de gravité, et s'appliqua à découvrir le flanc du major de ses vêtements et de son armure.
Pendant qu'elle posait ses mains guérisseuses sur la plaie sanglante de la jeune femme, Léogan déglutissait péniblement et pensait qu'il devrait surmonter sa propre blessure pour laisser à Phoebé assez de fluide magique pour s'occuper des cas sérieux comme celui de Rigane.
Il prit une profonde inspiration et décida de passer outre définitivement, en se tournant vers le sergent et ses soldats :

« Il n'y a plus personne dans la Chapelle. Ils ont dû tous partir aider leurs renforts contre Artwhÿs.
‒ Je ne sais pas exactement combien d'hommes il me restait à la fin... dit Millenia, d'une voix faible. J'ai dit à Tarnac de se replier vers les troupes d'Artwhÿs, il était vivant à ce moment là. » acheva-t-elle, à l'attention de Veto, dont elle avait l'air de connaître les affinités.

Léogan pinça ses lèvres avec nervosité et finit par se faire craquer les jointures des doigts, plongé dans des réflexions militaires, où il était question de prendre l'ennemi à revers depuis les cavernes, en rejoignant Artwhÿs, et surtout – surtout – de neutraliser leur chef en armure. Il soupira imperceptiblement et son regard rencontra le visage fougueux de Veto qui avait dit, quelques minutes plus tôt, avoir une idée. Alors Léogan souleva un sourcil interrogateur et lança au sergent d'un ton qu'il voulut léger :

« Alors c'est quoi, votre plan, l'artiste ? »
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeMar 2 Sep - 14:57

Veto faillit exploser de colère lorsque le colonel commença à répondre à sa supplique d’y retourner. Mais lorsqu’il eut fini de jouer avec son petit effet et la flèche dans son épaule, ce fut une explosion de gratitude qui se lit dans ses yeux.

Il récupéra son glaive laissé en arrière, délaissant celui du bandit et était prêt à partir lorsqu’il vit que le colonel avait du mal à se défaire d’une autre personne désireuse de retourner là-bas. Il hésita une seconde et puis en profita pour se débarrasser des bandages qui lui couvraient encore le visage.

Mais lorsqu’il fut prêt, ce fut pour entendre une très mauvaise nouvelle : la prêtresse venait avec eux. Kesha ! Elles étaient donc toutes les mêmes ?
Il ne dit rien et acquiesça, suivant la marche au côté du colonel. Il revoyait son plan. Il ne fallait pas mettre la prêtresse en danger.

Silencieux et l’air tendu, il marchait d’un pas décidé. La Phoebé semblait complètement sûre que le maire était coupable. C’était bien possible. Il avait forcément été mis au courant de cette expédition au bourg ; il avait forcément des hommes qui lui étaient fidèles parmi la garde prétoriale et il avait même pu retarder le départ de l’expédition pour quelques raisons administratives et ainsi justifier une halte nocturne. Pour avoir déjà accompagné un convoi de prêtresses, Veto savait que les papiers se réglaient toujours de manière plus ou moins rapide selon qui s’en chargeait…
Il était facile aussi au chef de l’administration cimmérienne de faire entrer clandestinement des mercenaire en faussant les registres, en prévenant la garde de la ville de les laisser passer sans faire d’histoire, de repérer et de leurs indiquer des logis à l’écart des rues passantes et de trouver les fonds nécessaires à lever cette petite armée… Il y avait également eu plusieurs campagnes de cartographie des grottes de Fellel qui avaient été menées à bien par quelques riches commerçants et lettrés à Hellas. Combien étaient de chers amis du maire ?

Quel que soit le sens dans lequel Veto retournait le problème, il était toujours plus persuadé du nom de l’instigateur de cette sombre affaire.

Et puis Léogan les fit s’arrêter. Il partit de longues minutes. Veto bouillonnait d’une impatience parfaitement contenue. Il apprenait avec le temps à contenir ses excès sentimentaux. Il y a encore un an, dans une situation comme celle-ci, il aurait laissé la petite prêtresse qu’il portait tout à l’heure dans les bras de Pournis pour immédiatement faire demi-tour sans même un regard pour le colonel.
Aujourd’hui, il était là, à supporter la présence dangereuse d’une partisante de l’ennemi de sa maitresse, risquant sa vie. Et bien qu’ils ne soient pas du même camp, il n’était pas décidé à lui faire prendre le moindre risque. Ce n’était pas dans ses principes de laisser une femme civile être lésée dans un combat.

Il détourna son regard de l’engeance qu’avait enfanté son ennemie et fixa les débris de la porte explosée qu’il apercevait dans le coude que formait le couloir. Faute de voir la chapelle, il imaginait le carnage que ça devait être. Il se rendait soudain compte que c’était bien la première fois qu’il se retrouvait sur un tel champ de bataille. Habitué aux petites missions de routines, aux escortent… Il n’avait jamais vécu ainsi un front et il se trouvait étonnement calme. Quelque chose au fond de lui faisait qu’il était fait pour ce genre de chose, le combat, l’aventure, les batailles rangées et… et les morts…
Il cligna des yeux et vit à nouveau le loup blanc qui le dévisageait du milieu du couloir. Il lui tournait le dos et se tordait le cou pour plonger ses yeux dans les siens.
L’animal resta là un instant et puis passa l’angle du mur au moment où à sa place surgissait Léogan, portant dans ses bras celle que Veto reconnut immédiatement.

Phoebé et lui furent les deux premiers à s’élancer et à rejoindre les deux blessés.
Si comme la prêtresse, son attention fut tournée d’abord vers la militaire, son rôle passif l’autorisa à voir le teint pâle et le souffle court du colonel.
Lorsqu’il apprit que Tarnac était peut-être encore en vie, il ne put réprimer un soupir de soulagement. Mais il ne faisait aucun doute qu’il fallait absolument y aller maintenant s’ils voulaient avoir une chance de sauver quelques hommes. Manifestement, le pouvoir de cette armure était dévastateur.

Lorsque Léogan en vint à se remettre au plan de Veto, il sentit le poids des responsabilités retomber sur lui. Il commença à retirer son gant droit avant de commencer son exposé.


« J’ai remarqué quelques petites choses à propos de cette armure. D’abord, elle est parfaitement ajustée, ce qui permet à notre adversaire une grande habilité ainsi qu’une grande protection. De plus, il est très bon bretteur. Aussi, nous aurons besoin de mettre toutes les chances de notre côté. Permettez donc, monsieur. »

Veto posa sa main nue sur l’épaule du colonel avec le regard baissé et une attitude soumise. Immédiatement après que le contact fut établit, la douleur dût diminuer et Veto s’évertua à faire au plus vite et à garder le maximum de ses forces. Aussi, il ne reconstitua que les tissus essentiels et mit fin à l’hémorragie.

« Cela devrait suffire pour l’heure. » dit-il en retirant quelques pièces de l’armure de brigand qu’il avait sur les épaules.

« Ceci étant, l’utilisation de la magie devient impossible pour ceux qui entre dans son rayon d’action, cela nous le savons. Mais j’ai aussi constaté que les sorts élémentaux se heurtaient à une sorte de barrière sphérique autour de lui. Je pense que cela pourrait nous servir. En effet, j’ai la capacité de créer des ondes givrantes à courte portée. Je pense pouvoir m’approcher assez près pour en générer une, tout en restant hors de portée de son armure.
« Si j’y parviens, nous aurons une fenêtre d’action. Il est bon stratège et bon escrimeur mais si nous parvenons à l’aveugler, nous pourrons l’atteindre. Son heaume ne semble pas en accord avec l’armure et je crois que c’est là que se trouve son point faible. Je l’ai regardé la déployer tout à l’heure et il a eu un mouvement de la tête. Le gorgerin ne doit pas être fait pour ce genre de casque et je suis presque sûr qu’il existe une faille au niveau de la gorge. »

Veto avait retiré son deuxième gant et posé son glaive à côté du Major Rigane. Alors, il sortit sa dague et planta son regard dans celui du colonel.

« Lorsqu’il sera sous une pluie de givre, je pourrais le prendre à revers et le blesser. Peut-être même le désarmer. Je ne pense pas pouvoir le tuer mais ce sera déjà un premier pas.
« J’ai simplement besoin de place. Si nos hommes se trouvent trop près de lui au moment où je libèrerai l’onde de givre, ils risquent d’être blessés. Peut-être que Artwhÿs et ses hommes pourraient adopter une configuration mettant notre cible un peu à l’écart. Sinon je pense que leurs boucliers devraient parer la vague de froid... »

Veto avait commencé à déboutonner sa chemise.

« Faites-moi confiance, je vais vous l’offrir sur un plateau. »

Ce n’était plus de la détermination qu’il y avait dans son regard. C’était de l’abnégation. Il était sûr d’y arriver. C’était le seul moyen. Cet homme était une véritable carapace armée. La seule façon de l’atteindre était d’y créer une brèche et de le déstabiliser. Il était si sûr de lui qu’un grain de sable dans son bel engrenage lui ferait perdre ses moyens. Il n’y avait qu’à voir comme il avait eu du mal à reprendre le contrôle de la situation lorsqu’il avait appris l’altercation entre ses renforts et la garde d’Hellas qu’il n’avait pas vu venir. Il avait même laissé filer ses otages pour se tourner vers la bataille. Ça semblait à Veto une très mauvaise tactique, prise dans la précipitation et sans grande réflexion.
Quant à ses hommes, lorsqu’ils auraient perdu leur meneur, nul doute qu’ils rendraient les armes. Ils semblaient tous aussi lâches que cupides les uns que les autres.

Du moins, c’est ce que le noble cœur du garde cimmérien imaginait, lui qui avait tant de principes à défendre sur ces terres. Lorsqu’il comparait ses motivations au simple appât du gain de ces rats, il n’imaginait pas qu’ils hésiteraient longtemps entre la prison et la mort.


Dernière édition par Veto Havelle le Mer 1 Oct - 18:49, édité 1 fois
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeDim 7 Sep - 18:05

Léogan écoutait attentivement Veto, qui s'était lancé dans un exposé précis et efficace, et se laissa même faire sans protestation lorsque le jeune homme, la mine basse et soumise, posa une main sur son épaule pour soigner la plaie. Il se contenta de lever les yeux au ciel, exaspéré comme à son habitude par tous les élans de servilité autour de sa prestigieuse personne de colonel, mais un peu adouci par la rapidité de l'opération qui calma l'incendie de son omoplate. Il remercia son soigneur improvisé – décidément, ce garçon avait tous les talents, on ne l'arrêtait plus ! – d'un « merci » rauque et pas très aimable, mais il fallait lui concéder que c'était déjà un bel effort venant de sa part.
Il se concentra davantage sur le discours du jeune homme qui alliait une bonne dose de clairvoyance dans ses paroles à une extravagance incompréhensible tandis qu'il se défaisait un à un de ses atours dans le froid mordant de la galerie. Ce qu'il disait était parfaitement sensé, mais enfin qu'est-ce qu'il fabriquait ? Il était devenu complètement marteau ou quoi ? Il avait reçu un coup sur la tête quand Léogan avait eu le dos tourné, c'était ça ?
Le Sindarin, qui approuvait jusque là en hochant brièvement la tête, les lèvres serrées et le regard grave, leva un sourcil incrédule quand le gamin commença à déboutonner sa chemise d'un air vaillant. A cet instant, Léogan choisit de couper court à l'enthousiasme enflammé et à l'abandon altruiste de son soldat pour agiter une main brouillonne et lancer expéditivement :

« D'accord, c'est très bien, tout ça, Havelle, on fait comme ça, mais est-ce que je peux savoir pourquoi vous êtes en train de vous dessaper fringue par fringue au milieu des grottes de Fellel ? Ça fait partie de la stratégie, ou pas du tout ? »

Il se laissa un instant de silence sceptique alors qu'il regardait Veto droit dans les yeux, les sourcils froncés, les lèvres étirées d'un rictus, et les mains tendues d'incompréhension.

« Enfin bref, abandonna-t-il, en se prenant le front dans une main pour examiner son esprit et tenter d'y retrouver la présence télépathique de son lieutenant. Vous allez attraper la mort. Je m'occupe d'Artwhÿs et de ses hommes, ça devrait aller. Avançons jusqu'à la Chapelle des soupirs. Phoebé, vous restez ici avec le major, elle a besoin de soin.
‒ ...très bien, se résigna la prêtresse, la bouche pincée de réticence.
‒ Si nous en avons l'occasion, nous enverrons les blessés à l'abri dans cette galerie, qui est sécurisée, a priori, vous aurez du pain sur la planche. Ça vous va ?
‒ Entendu. »

Léogan, trop absorbé par sa tâche, ne prit pas garde à la lueur de défi qui brillait dans les yeux carmins de la jeune femme. Il se mit en marche en faisant signe à ses hommes de prendre sa suite. Finalement, il ressentit une sorte de résistance dans son esprit, sans trop savoir comment il l'avait repérée, assez instinctivement du reste, comme une sorte de composante étrangère, passive et silencieuse, un point de lumière qu'il pouvait contempler sans toucher.

« Artwhÿs ? pensa-t-il, avec une intensité redoublée. Vous traînez toujours dans le coin ? »

La lumière palpita un peu. Et soudain un écho sépulcral effleura spectralement les tympans de Léogan. Il reconnut la voix d'Artwhÿs, faible, émoussée, mais aussi digne et stricte que de coutume.

« J'essaie, colonel, avec quelques difficultés, je suis un peu débordé par les événements ! Il me reste une dizaine d'hommes et... BARIA, A COUVERT ! hurla la voix dans la tête de Léogan, qui tressaillit de surprise.
‒ Je pensais pas qu'il était possible que mes tympans soient un jour explosés de l'intérieur...
‒ Désolé, les communications simultanées, dans ces moments-là, c'est... Bref ...nous avons réussi à réduire leurs renforts, nos forces sont équilibrées, enfin, elles l'étaient jusqu'à ce que leur chef ne nous prenne à revers avec quatre de ses hommes.
‒ Rigane a tout de même réussi à leur infliger des pertes dans les grottes alors... Quelle est votre situation exactement ?
‒ Devant nous, les renforts, derrière nous le chef en armure. Nous sommes en formation dispersée sur un long coteau qui nous avait permis, avant l'arrivée des renforts, d'observer à couvert les mouvements des sentinelles de la grotte. Nous avons supprimé les sentinelles quand les renforts sont apparus, afin de nous mettre à couvert sur l'autre flanc du coteau et de faire face aux hommes qui arrivaient, mais maintenant... Colonel, ça devient infernal par ici. Je fais ce que je peux pour maintenir mes hommes en position ordonnée, mais dès que le chef des bandits tente une percée, notre magie se dérègle et se retourne contre nous, ce qui nous oblige à... rompre nos formations – merci, Baria.
‒ Rigane avait envoyé des soldats à la poursuite de ce guignol cuirassé, ils auraient dû l'empêcher de vous rentrer dans le lard aussitôt, vous les avez pas vus sortir des grottes ?
‒ Non, rien, colonel, désolé. Il y a de bonnes chances qu'il s'en soit débarrassé avant de venir nous prendre en tenailles...
‒ Je vois... Bon, écoutez, Artwhÿs. On va venir des grottes pour le prendre à revers à notre tour, Havelle a un plan pour le neutraliser. Je vais voir ce que je peux faire pour ses quatre copains. Dès qu'on vous soulagera de leurs assauts, je veux que vous forciez les positions ennemies à tout prix, il faut absolument que vous passiez sur l'autre flanc du coteau pour vous mettre à couvert, c'est compris ?
‒ Bien reçu, colonel, je ferai mon possible.
‒ Vous avez intérêt. Sinon je vous conseille de bien vous planquer derrière vos boucliers.
‒ Reçu. »


La lumière s'affaiblit et les frôlements étranges de cette voix intérieure s'évanouirent. Léogan retrouva une vision périphérique claire, qu'il ne réalisa avoir perdu qu'à rebours. Il s'était arrêté au milieu de la Chapelle. Devant les regards interrogateurs de son équipée, il toussa un peu d'embarras et se justifia maladroitement :

« Une communication avec Artwhÿs. Voilà. Bon, je sais à peu près ce que nous allons faire. Pascal, prenez une arbalète, sous la tente là-bas, et ramenez m'en une aussi. Vous verrez ce qu'il en est vous-mêmes, il faut progresser. »

Il croisa le regard pur de Veto et pensa instantanément au sergent Tarnac, qu'il avait voulu sauver avec tant de fougue tout à l'heure et qui était maintenant porté disparu. Il soupira doucement.

« Je ne sais pas où sont les hommes de Rigane... » murmura-t-il, avec honnêteté.

A cet instant, Pascal lui remit l'arbalète, ce qui lui fournit l'occasion de détourner son visage de celui de Veto. Ce n'était pas tout à fait le moment de s'émouvoir.

« Prenez les devants, Havelle, ne faiblissons pas. Il faut passer par le couloir principal. »

Ils avancèrent à nouveau très furtivement à travers les galeries de glace, cernés par des bris de leurs reflets sur les murs accidentés du couloir, guidés toujours par le sergent. Léogan guettait le moindre bruit suspect, l'air aussi ombrageux qu'un chien errant aux abois. Bientôt, il perçut vaguement la rumeur d'une présence humaine, quelques échos, des grattements et des murmures portés par un vent toujours plus âpre, toujours plus froid, qui éveillait une douleur incisive et lancinante dans la chaire de son épaule que Veto avait superficiellement refermée. Les joies de la sensibilité exacerbée des Sindarins. L'hiver, quand le froid devenait insupportable, il lui arrivait même de ressentir des élancements aigus dans des plaies mal cicatrisées vieilles d'un bon siècle. Bien sûr, il avait appris à gérer la souffrance, à la surpasser et même à trouver dans ces douleurs une énergie révoltée qui le faisait avancer rageusement ; mais cette fragilité lui mettait les nerfs à fleur de peau.
Il parvint néanmoins à reconnaître, dans cet océan abyssal de souffles et de murmures, la voix grave et profonde de Tarnac qui le fit tressaillir. Il posa aussitôt une main sur l'épaule de Veto et lui adressa un regard éloquent qui frôla presque l'excitation.

« Il y a trois hommes encore en vie, expira-t-il, d'une inflexion rauque. J'entends Tarnac. » prit-il la peine de préciser, se souvenant de l'expression de joie qui était passée sur le visage de Veto quand le major lui avait précisé que son collègue était encore en vie.

Ils trouvèrent en effet les trois survivants de la troupe de Rigane à l'entrée de la galerie, en position d'observation, perchés sur des monticules de glace, le visage à demi sorti du trou enneigé où ils se dissimulaient silencieusement. Les retrouvailles furent brèves et les démonstrations d'effusion très expéditives : il fallait aviser rapidement de la suite des opérations.
Léogan grimpa à son tour dans les excavations des parois et évalua lui-même la situation à la surface, qu'il n'avait perçue jusque là que comme un chaos monstrueux d'armes entrechoquées, de cris et du bruit étouffé des corps qui s'effondraient dans la neige. Les rétines d'abord à vif dans la lumière aveuglante du désert, il finit par distinguer la silhouette imposante de leur ami en armure noire, autour duquel tournoyaient de grands flux d'énergie divine qui allaient et explosaient en effets dévastateurs sur ses assaillants. Léogan déglutit devant ce spectacle, frotta son épaule nerveusement et jeta son regard aux alentours, où il repéra et compta rapidement les cinq hommes qui soutenaient les attaques de leur chef contre les troupes d'Artwhÿs, qui avaient déjà réussi l'exploit de se positionner à cheval sur les deux flancs du coteau. De l'entrée de la grotte, on n'apercevait pas les renforts qui se battaient derrière la large colline enneigée, mais la rumeur de la bataille était telle qu'on ne pouvait pas douter ni de leur présence, ni de leur hostilité. Ébloui par le soleil pâle et bas, Léogan finit par reconnaître la silhouette élancée d'Artwhÿs, sa longue épée de cavalerie et sa tignasse blanche comme la lune qui étincelait avec la neige sous le ciel grisâtre. Leurs pensées se rejoignirent et le lieutenant fixa tout à coup son regard d'aigle sur le trou de la grotte pour y déceler la présence de son colonel.

« Beau travail, mon vieux.
‒ Ça compense un peu mes pertes, j'imagine.
‒ Passez le coteau et dans quelques minutes tout au plus, j'espère, tous ces traîne-patins se rendront. »


Ragaillardi par ce qu'il avait pu observer, Léogan se laissa sèchement tomber de son promontoire et ses bottes claquèrent le sol glacé de la grotte. Il regarda ses six hommes avec une satisfaction nouvelle. Avec la petite équipe de Tarnac, qui disposait de trois arbalètes, il serait aisé de venir à bout des cinq lascars qui harcelaient les troupes d'Artwhÿs avec leur chef caparaçonné.

« Bien. Tenez, Tarnac, prenez cette arbalète. »

Il reçut l'arme avec assurance et Léogan fit face à l'ensemble de sa troupe en annonçant sévèrement :

« Le sergent Havelle a un plan pour se débarrasser du chef ennemi. Il y a cinq types, là-haut qu'il faut descendre ensemble, je vais coordonner vos tirs. Havelle, poursuivit-il en se tournant vers le blondinet. Vous n'avez qu'un très bref instant pour l'entourer de vos pluies de givre, faites-le aussitôt les carreaux d'arbalète envoyés, sans quoi il devinera immédiatement votre position. Et une dernière chose, sergent, ajouta-t-il, en posant une main lourde sur le bras du jeune homme pour le retenir, et un regard d'une gravité magnétique sur son visage. Repliez vous immédiatement si vos chances sont compromises. On a essuyé trop de pertes sous mon commandement pour aujourd'hui, ça me fait déjà assez de paperasse à remplir, alors j'ai pas beaucoup de temps à accorder aux héros, prétexta-t-il d'une voix neutre et avec un sourire amer qui laissa une certaine équivoque sur son objet. Et puis... Il y a sûrement quelque part certaines personnes qui attendent votre retour. » acheva-t-il lentement, en remontant sur le petit promontoire avec les cinq hommes, qui s'installèrent discrètement dans la neige.

Une prêtresse et un enfant à naître, par exemple. C'était ce qu'on disait. Veto faisait preuve d'un peu trop de dévouement pour un futur père de famille. Heureusement qu'il y avait là une bonne âme pour lui faire comprendre qu'il avait peut-être autre chose à faire de sa vie que la perdre stupidement dans un combat singulier contre une machine de guerre en cuirasse, pas vrai ? L'abnégation, ha, vraiment... Ce devait être ce qui les rejoignait, tous les deux. Veto, Irina, même combat.
Un rictus mordant crispa les lèvres de Léogan et il fixa les cinq bandits avec autant de concentration que ses arbalétriers, une main levée en l'air pour les faire patienter quelques instants.

« Préparez-vous... murmura-t-il, tandis que leurs cibles commençaient à piétiner, à une quarantaine de mètres de leur trou. Attention... » Les hommes s'arrêtèrent un bref instant. Léogan abaissa sa main comme un couperet. « Tirez maintenant. »

Les arbalètes vrombirent et leurs carreaux, dans un ronflement effrayant, fendirent les airs gelés du désert.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeMer 1 Oct - 23:59

Veto se figea dans le froid mordant. Les doigts sur le bouton, il se rendit compte qu’il défaisait sa chemise et qu’il ne portait plus que ses bottes et ses braies épaisses pour seul rempart contre le froid. Il resta muet et avec un regard un peu perdu lorsque le colonel le dévisagea l’air perplexe. Avec un peu de chance, cet étonnement aura pu passer pour de l’incrédulité. Peut-être son supérieur se dit que le Sergent avait complètement oublié de lui parler d’un élément de son plan mais qu’il ne retrouvait plus à quel moment il aurait dû l’introduire.
Mais la réalité était tout autre. En réalité, Veto avait agi d’instinct. Il avait fait ce qu’il avait à faire, comme s’il devait faire quelque chose dont il n’avait pas encore pris conscience. Cette chose prendrait une part importante dans son plan même s’il ne savait pas encore ce qu’elle serait ni de quelle manière elle se manifesterait.

Sa chemise était presque complètement ouverte. Il hésita encore un instant, jeta un regard dans une direction, espérant y voir quelque chose. Encore une fois, il ne savait pas quoi et il ne vit rien. Il ne trouva pas la réponse qu’il pensait y avoir par là-bas.

Finalement, il décida de suivre son destin et défit le dernier bouton.


*C’était écrit.*


Le cimmérien tourna son regard dans une direction, comme pour y trouver la source de ce qui venait de parler. Mais la voix n’avait raisonné que dans son esprit, et dans la direction qu’il regardait, il n’y avait que la sortie de la chapelle des soupirs qu’ils devaient prendre désormais.

Il lui fallut une seconde pour reprendre ses esprit. Le Colonel était un peu à l’écart, l’air ailleurs et concentré, comme on l’est au milieu d’un combat.

Veto se tourna vers cette sortie d’où auraient dû venir les renforts des bandits et l’espace de la chapelle qui les en séparait. Les impacts de divers sorts magiques, les armes brisées, les corps découpés… Il allait affronter l’instigateur de tout cela, un homme qui au milieu de ce carnage s’était révélé impitoyable et inébranlable ?
*Oui. Et je vais réussir parce qu’il est écrit qu’il en serait ainsi.*

Cette fois, il en était sûr, c’était de son propre chef que sa propre voix avait affirmé cela. Quelque chose au tréfonds de son être lui disait qu’il devait avoir confiance, lui hurlait d’avoir foi.

Mais foi en quoi ? Lui qui n’était pas croyant et qui refusait toute décision empirique, pourquoi se voyait-il agir de manière si irrationnelle ? En quoi, nom de Kesha, devait-il avoir foi ?


*En ton destin.*


Veto fut pris d’un vertige, comme sous l’empire d’une fatigue subite et inexpliquée.  Entre éveil et sommeil, il vit le loup trottinait et passer la porte sans se retourner. Et une série de flashs l’assaillit. Ces flashs étaient à la première personne. Ils étaient trop succins pour y voir quelque chose de clair en particulier. Il ne saisit que quelques détails, quelques sensations. Du sang qui gicle sur le visage, la neige qui glisse sous le menton à toute vitesse comme si on volait, une épée qui fend l’air et le corps, une pluie de flocon qui tombe en même temps que soi et une sensation de tension, des gerbes de flocons qui s’envole autour de soi et une sensation de liberté pure.
Il eut l’étrange sensation d’assister à la chute d’une dizaine de tableaux qui passe devant ses yeux pêle-mêle alors qu’il s’efforcerait d’en saisir les images tant bien que mal au passage et que son corps ressentirait des sensations sans raison.

Ça n’avait duré qu’une seconde. Veto posa une main sur le son visage alors qu’il avait comme trébuché. Il secoua la tête, tel un veilleur gagné par le sommeil alors qu’il ne le doit surtout pas. Mais déjà il se sentait tout à fait d’attaque. Comme s’il s’était réveillé en sursaut sous le tocsin qui sonne la charge ennemie.

Il se retourna lentement, reprenant constance.
Derrière lui, tout le monde était préoccupé par l’étrange attitude du colonel qui ne tarda pas à revenir à lui et à expliquer la situation. Il se tourna vers lui et parla de Tarnac et de ses hommes.
Veto hocha légèrement la tête. Il se sentait soudainement irrémédiablement détaché de toute action qui pourrait se produire devant ses yeux. C’était comme si son corps et son esprit n’était plus en harmonie. Comme si les choses ne se produisaient pas exactement dans l’ordre ou à la vitesse où elles le devraient.

Un courant d’air vint se glisser dans son dos. Ses mèches blondes mal taillées s’agitèrent autour de son visage. Il faudrait qu’il les coupe bientôt… Un jour…
Les mains glacées du vent se glissèrent autour et sous sa chemise et dégagèrent aux yeux de tous son torse nu. Une cicatrice impossible à effacer était là. Elle dessinait un macabre arbre noirâtre sur son buste. L’infection, la Sarnahroa, était partie du nœud des premières branches qu’on pouvait imaginait avec un peu d’effort, juste au-dessus de son plexus solaire. La peau de ses pectoraux était noircie et ridée par les tissus cicatriciels peu élastiques. La tâche atteignait presque son cou et au bas, elle descendait tel un épais tronc jusqu’à son nombril ou les racines compactes envahissait le bas de son ventre.

Veto vit sans les voir les yeux de Phoebé et ceux de Pascal se river sur la marque et étinceler d’une lueur pieuse. Il n’aurait su dire si cette piété était pour quelque chose d’admirable ou d’abhorrable.

Et comme pour tout le reste, à ce moment précis, il s’en fichait.


Alors le Colonel Jézékaël intima à Veto de reprendre la tête de la marche, ce qu’il fit avec un simple hochement de tête et une expression des plus sérieuses.

Lorsqu’ils retrouvèrent les autres, Veto était devant et échangea une vive poignée de main avec la montagne rousse qui fut sans doute aussi heureuse que lui de le retrouver vivant. Mais Veto ne lui rendit qu’un bref sourire. Il était sincère, bien qu’un peu lent à apparaitre, et le jeune homme blond se détourna sans que dans son regard ne brille de la joie qui bouillait au fond de son être.


Étrange sensation que de vivre sa vie sans accéder pleinement à son corps ou à ses sentiments.


Et puis Léogan exposa l’opération. Veto, lui, s’approcha du bord du trou, un peu à l’écart, là où il était possible de sortir en escaladant brièvement.

Toujours dans cet univers de coton, il subit les dires de son Colonel. Il ne les saisit pas vraiment. Il devait certainement y avoir une sorte de message caché derrière cette dernière phrase anodine mais Veto ne voyait pas à qui il pourrait manquer.
Et puis, son corps agit à nouveau tout seul. Son esprit n’eut d’autre choix que de se taire et de tenter encore de se concentrer sur la suite : sur l’action. Celle qui avait volé son âme, qui le poussait vers l’avant toujours plus, comme s’il n’était plus qu’un automate qui n’avait été créé que pour une seule chose : accomplir son destin. Plus de froid mordant, plus de peur, plus de désire de devoir ou de vengeance. Simplement, le sentiment de vide à combler, la nécessité d’enfiler le costume qu’on a tissé pour lui. Le jouet du destin prenait pleinement conscience des fils au bout de ses bras et les acceptait.

Il porta les mains à sa ceinture, la défit et, sans plus hésiter, il prit appuis sur le premier roc.


« Attention... »

Le rocher était froid mais très vite, son contact disparut. Une phrase revint à l’esprit de Veto, comme à la traine, rattrapant le cours de ses pensées.
Lorsque la main s’abaissa, Veto avait passé sa dague entre ses dents et il répondit mentalement, en retard, pour lui. Ou pour le destin, pour lui signifier qu’il avait compris et que ça n'avait plus aucune importance :

* Repliez-vous immédiatement si vos chances sont compromises.
-Pas de repli possible. Il est déjà trop tard et il sera bientôt trop tard.*

« Tirez maintenant. »

Il avait senti son corps se liquéfier et le temps tressauter, comme on heurte la surface de l’eau après une trop longue chute. À ceci près que Veto eut plus l’impression d’être éjecté depuis les profondeurs vers la surface.

Projeté à l’air libre...


Le temps s’emballa et lui avec. Mais nul besoin de réfléchir, simplement, il fallait agir. Tout ce qu’il fit, à ses yeux, il le fit à nouveau. Car cette fois, les tableaux se rangèrent dans l’ordre et il put les détailler les uns après les autres.
Il avala le petit monticule de glace comme on saute quatre marches. Il atterrit dans la neige et les flocons volèrent autour de lui. Libre ! Il était libre ! Plus libre qu’il ne l’avait jamais était et ne le serait peut-être jamais !

Devant lui, les carreaux filaient déjà et il continua comme s’il voulait les rattraper.
Sa course ne fut pas droite. Il entama un arc de cercle dont la courbure était légèrement incurvée vers la gauche, un peu à l’écart de l’espace qui séparait l’ouverture sur la chapelle et le coteau.

La neige filait sous son menton. Il volait presque au-dessus d’une mer de neige immaculée. À droite, l’écume sanglante entachait le drap blanc et avalait déjà les corps tombés dans ses flots.

Ses pattes lui apparurent alors qu’il évitait une congère. Il était devenu le loup. Il avait rattrapé son destin et le vivait pleinement.

Comme c’était écrit.


Les carreaux avaient atteints leurs cibles mais toutes ne tombèrent pas au sol. Il y en eut une qui resta debout, le trait fiché dans son épaule.
Ce n’était qu’un planton, à l’armure très légère, sans casque, sans gorgerin, l’épée baissée. La dague glissa de la gueule et le sol s’éloigna en un saut.
Il n’entendit l’aboiement se mêler au grognement que trop tard. La masse blanche, filant sur le drap blanc du désert, surgie de nulle part à ses yeux. Elle vint à sa gorge et le noir des babines, le rouge de la langue et l’œil gris furent les dernières nuances qu’il distingua avant que la mâchoire ne se referme sur sa gorge.

Le Nemesis était là, à moins de cinq mètres. Voyant ses hommes s’effondrer, il avait fait demi-tour pour accueillir les nouveaux insectes à écraser. Déjà une langue sombre et destructrice avait jailli vers l’entrée.
Lorsque le heaume se tourna vers le prédateur aux yeux verrons qui finissait d’arracher tout ce qu’il avait enserré entre ses crocs, il eut un temps d’arrêt. Il devait se demander pourquoi tout, jusqu’à la faune local, s’opposait au bon déroulement de son plan. Et puis, il comprit, poussant un cri de rage et se tournant vers cet ennemi déguisé qui ramassait dans sa gueule une arme humaine : la dague.
Il tendit sa main vers la bête mais lorsque le fouet ténébreux pulvérisa le corps égorgé, l’éclair blanc gravissait déjà le coteau en le contournant, prenant de la hauteur.
La lame sombre suivit l’animal, balayant la neige sur son passage mais l’animal avait déjà pris trop d’avance. L’homme avait un peu glissé dans la neige et descendu du haut du coteau. Empêtré dans la poudreuse labourée par les combats, encombré de son armure, il n’était plus si libre de ses mouvements.

D’un geste irascible, le colosse en armure raya la cime du coteau de sa main alors que le fouet noir répondait immédiatement à son appel.

Mais encore une fois, ce fut trop tard. Le loup bondit dans les airs et depuis le sommet du coteau, il prit l’aplomb sur l’ersatz de Sharna. Le corps du prédateur se liquéfia à nouveau et la patte qu’il levait près de sa gueule se changea en une main qui saisit la dague.

L’homme en armure réaffirma sa prise sur son épée mais le Terran était de nouveau tout à fait lui au-dessus. Et un pouvoir en chassa un autre. Combien de distance y avait-il entre eux ? À peine deux mètres…
Ça devait marcher. Il ne pouvait en être autrement.
Veto tendait sa main en arrière.

Qu’avait décidé le destin ?


Les doigts claquèrent et l’air se distordit. Si le temps s’était accéléré depuis que le jouet du destin avait quitté la grotte, désormais, celui qui tirait les ficelles semblait vouloir prolonger le moment de flottement aux yeux de l’humain.
Tordu dans une vrille, il sentit l’onde de givre remonter son bras, englober son corps nu balafré. Le front de l’onde heurta une autre sphère qui s’activa en réaction à cette agression. Une pellicule blanche engloba le chef de guerre sur le déclin.
Mais elle n’avait pas encore fini de se répandre que déjà la lame de son épée la perçait de l’intérieur.

Trop tard. Toujours trop tard. Veto se contorsionnait dans les airs et la pointe de la lame ennemie ne fit que lui balafrer le mollet.

Blessure sans importance.


Le cimmérien traversait la demi-sphère de givre. Les flocons volaient autour de son visage. La tension était à son comble. Il devait réussir ou sinon il aurait fait tout ça pour rien.

Pour rien ou pour amuser un tisseur de destinée farceur.


Au milieu de la nébuleuse glaciale, Veto réussit à discerner sa cible. L’armure était là, terminant son mouvement de fauche. Il vit le casque et les épaulières, le gorgerin et le plastron. Et il vit que son saut ne parviendrait pas à le faire passer par-dessus sa cible pour le prendre à revers. Il vit que les morceaux de métal enjolivant la protection ne feraient pas de cadeau à son pauvre corps.


Et alors, tout naturellement, le temps reprit un cours accéléré, comme pour à nouveau jouer avec les mortels.
Ou plutôt pour jouer avec son préféré.


Veto percuta l’homme de tout son poids : un corps perdu, jeté à la figure d’un colosse caparaçonné.
Le souffle du Terran fut coupé un instant et ils tombèrent tous deux à terre. L’un sur le dos, telle une tortue les quatre pattes en l’air, l’autre, vulgaire asticot, projeté sans ménagement dans la poudreuse glacée. L’ornementation des pièces d’armure avait éraflé tout le corps nu du pauvre Terran qui trouva dans le froid et l’adrénaline la force de les surpasser.

Le chef des bandits, gêné dans sa muraille d’acier, mit une seconde de plus que son adversaire à se relever. Bondissant à nouveau en faisant abstraction de son corps et de sa pudeur, Veto se rua sur le casque, forçant sur sa nuque, pesant sur sa tête.
D’un geste vif, il enfonça sa dague dans la fente et fit levier.
Il eut tout juste le temps de glisser ses doigts dans l’espace qu’il venait de créer lorsqu’un puissant coup de pommeau lui heurta les côtes.
Les deux hommes grognait et criait de rage. Veto arrivait à ses limites et l’autre avait à son actif de longues minutes de combat en armure déjà.

Veto tira de toutes ses forces sur le heaume qui ne voulait pas venir, sans doute retenu par une quelconque sangle ou encastré dans les épaulières imposantes. Dans un ultime effort, il remua sa seule arme dans l’interstice. Sa proie hurla de plus belle et Veto sentit un nouveau choc ; dans l’estomac cette fois-ci.
Veto céda, mais le casque aussi. Dans une gerbe de sang, la courroie qui passait sous le menton du chef des bandits fut tranchée et le casque resta dans les mains du jouet du destin qui fut projeté dans la neige. Le jeune Havelle n’avait aucune idée des dégâts qu’avait pu causer sa lame mais un flot continue de sang s’écoulait désormais de sous et par-dessus le gorgerin.

Le dos dans la neige, le garde cimmérien ne chercha pas à fuir.
Il toussotait, crachotait avec peine. Épuisé, frigorifié et perclus des douleurs que son corps ne pouvait plus oublier, les deux yeux bleus virent le chef de leurs ennemis s’avancer. Son visage était déformé par la haine. Il n’avait plus rien de celui d’éphèbe que Veto avait découvert plus tôt. De sous le gantelet plaqué sur sa plaie, des petits giclées de sang se frayaient un chemin entre ses doigts d’acier.
Le garde sentit une fraction de seconde les yeux de son ennemi se poser sur la partie de son corps que la Sarnahroa lui avait pris.


« Estropié… »

Dans ce simple adjectif, le soldat sentit toute la haine et la rancœur, le dégoût et l’incompréhension. Lui, un réel stratège ; lui, le possesseur de l’armure… Lui ! Vaincu par un misérable handicapé !


Un eunuque !


Dans un ultime effort, galvanisé par la rage, il leva haute son épée et l’abattit sur Veto qui plaça tout juste ses mains en protection, incapable de faire d’avantage et puis il ferma les yeux.


Alors c’était ainsi que tout se terminait ?

Mais pourquoi entendit-il le cri de guerre d’un homme qui charge et des pas qui courent dans la neige ? Pourquoi est-ce qu’il avait encore mal ? Et si froid ?


Lorsqu’il ouvrit les yeux, une seconde plus tard, Veto vit Fenri bondir par-dessus lui et repousser l’ennemi. Il entendait par-delà le coteau la bataille continuer de faire rage.
Rien n’était encore joué.
Il posa ses yeux sur son torse et vit le casque qu’il avait arraché et la dague à l’intérieur.
La protection était complètement éventrée. Soudain, son corps se souvint de respirer. Le souffle tenta de lui revenir, sans réussir à rien faire d’autre qu’à ranimer toutes les douleurs de son corps.
Il repoussa la pièce de métal défoncée et comprit qu’elle s’était enfoncée dans son plexus.
Son corps meurtri roula sur le côté.
Pascal vint à lui en même temps que le colonel mais il fut le plus rapide à se jeter sur son Sergent.
Il l’aida à se redresser et les yeux bleu d’acier, légèrement voilés se posèrent sur le Sindarin. Il eut une quinte de toux et tout de suite après l’air pénétra à nouveau dans ses poumons.


Victoire…


Veto fit un signe de tête à Léogan pour lui dire que tout allait bien et puis repartit dans une quinte de toux, se tordant de plus belle à la fois de douleur et presque de rire s’il avait pu.

Il était en vie !
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeDim 12 Oct - 16:44

Le spectacle de Veto qui fondait héroïquement sur son ennemi, à découvert dans des tourbillons de neige tumultueux, parut effroyablement surréaliste à Léogan qui l'observait depuis la grotte. Il avait l'impression de vivre un rêve éveillé, où il ne savait plus démêler l'ingéniosité du plan de son absurdité vertigineuse. Il ne respirait plus. Il avait l'impression d'assister à une catastrophe derrière une vitre impassable derrière laquelle il ne pouvait que frapper du poing et hurler sans être entendu.
Comme tous les autres, il se tendit d'espoir au moment où le jeune homme se transforma en loup pour bondir férocement dans le désert. Son pessimisme habituel l'abandonna pour quelques instants et il se surprit à croire que cette folie avait une chance de réussir. Il serra les poings en suivant la course de son sergent, les yeux brillants d'enthousiasme, la poitrine gonflée et le cœur incroyablement léger.
Veto volait presque au dessus des congères, esquivait les dangers avec une adresse extraordinaire, n'éprouvait pas la douleur des blessures et ses assauts étaient d'une force si assurée et si impitoyable qu'on l'aurait dit protégé et inspiré par un dieu tutélaire. Le loup semblait en transe. Rien, ni les hommes, ni la glace, ne savait le retenir. C'était comme un fleuve en crue sous la tempête, qui déborde et dont les eaux rompent soudain les digues, qui vient d'un coup, submerge tout violemment et détruit les œuvres des hommes.
Enfin, il sauta à la gorge du guerrier en armure, dague à la main, nu comme au premier jour face à son adversaire cuirassé, et la lutte n'en parut que plus fantastique. Léogan écarquilla les yeux un instant et réalisa tout à coup pleinement la situation.  
Le gamin allait se faire massacrer.
Maudissant l'optimisme béat qu'il avait partagé pendant quelques secondes, il escalada rapidement les pans de glace de leur grotte, tandis que Veto, après avoir arraché vaillamment le casque de son Goliath, s'effondrait dans la neige comme un petit morceau de chair qui n'était plus que sang et frissons.

Terrassé par l'angoisse, Léogan bondit de leur cachette d'un saut puissant et s'élança dans le désert de glace en trébuchant. Il ne pouvait pas laisser cet abruti mourir. Tarnac, qui n'éprouvait pas moins d'inquiétude, quoi qu'elle fût d'une nature plus fraternelle, prit de l'avance sur lui et, d'une large enjambée au dessus du corps de son camarade, repoussa l'homme en armure qui s'apprêtait à l'achever. Léogan, quant à lui, n'eut pas le temps de s'en sentir soulagé ; il se réceptionna sur les genoux en arrivant près de Veto et redressa le jeune homme avec précaution pour lui prendre son pouls, que l'adrénaline et la défaillance physique rendaient atrocement irrégulier. Il échangea un regard avec le jeune homme, dont la tête blonde dodelinait faiblement sur le côté, et qui toussait d'un air étrangement extatique qui fit monter une rage irrépressible dans la poitrine de Léogan. Alors qu'il avait commencé à palper le torse du sergent pour comprendre comment la visière du casque s'y était enfoncée, il leva un regard farouche sur lui.

« Mais c'est quoi votre problème, espèce de connard ?! s'écria-t-il, avec hargne, en le secouant presque entre ses mains. J'vous ai dit de rappliquer fissa si votre action était compromise ! Vous vous rendez compte de la putain de chance que vous avez eue ?! Vous auriez pu crever ! Sacrifice de soi, et mon cul sur la commode, aussi ! Vous avez pensé à votre enfant ? Vous avez pensé à... s'écria-t-il, précipitamment avant d'écarquiller les yeux et de prendre une profonde inspiration. Bordel ! Pauvre con ! »

Il relâcha le jeune homme qui retomba lourdement dans la neige. Léogan posa un regard alarmé sur la poitrine du blessé et se prit le front entre les mains pour réfléchir. Il n'avait rien d'un guérisseur. En fait, il n'avait aucune magie de soin à sa disposition, seulement quelques connaissances décousues de médecine de premier secours qu'il tenait d'Irina et de la fréquentation des prêtresses au temple. Hésitant sur la conduite à suivre et terrifié à l'idée de ce qui se passerait si Veto mourait d'une hémorragie entre ses bras, il songea qu'il avait envoyé Abel, le seul mage soigneur de sa connaissance, escorter les prêtresses jusqu'à Gaef et que ce pauvre...type était en train de pisser le sang et d'entrer en hypothermie dans la neige – il paniqua.
C'était bien la peine d'avoir cherché à garder un œil sur lui pendant toute cette mission...

« Bordel de merde. »

Léogan prit une profonde inspiration et plaqua nerveusement ses cheveux en arrière. Il fallait agir au plus vite. Réfléchis, pauvre idiot, réfléchis. S'il laissait cette visière plantée dans la poitrine de Veto, il ne pourrait sans doute pas le déplacer dans les grottes pour trouver Phoebé, et s'il traînait trop longtemps, l'hémorragie et l'hypothermie rivaliseraient pour terrasser le jeune homme. Non, il n'y avait pas trente-six solutions, il fallait extraire la visière, et si juguler l'afflux de sang ne suffisait pas, cautériser avec les moyens du bord.

« Je sais pas si votre chance tiendra le coup encore longtemps, grogna Léogan en ôtant sèchement ses gants en cuir et en plongeant un regard plein de ressentiment dans les yeux de Veto. Si j'pouvais, j'vous collerais une mandale. J'sais pas où vous avez la tête, faut penser à r'descendre sur terre, Veto Havelle, parce que votre insouciance frise la négligence. »

Et pour étayer son accusation et sa rancœur, il prit appui sur le poitrail du Terran et, sans prévenir, arracha la visière de son plexus d'un geste sec. D'épais flots de sang jaillirent de la blessure désormais grande ouverte du soldat. Et la suite des opérations ne serait pas moins douloureuse – quoi qu'il eût arrogé ici à sa vengeance personnelle une petite satisfaction cruelle. Léogan vérifia rapidement qu'aucun éclat de métal n'était resté coincé entre les chairs, puis il poursuivit dans la foulée, sans plus attendre un seul instant. Tremblant légèrement, mais la main agile et méthodique, à défaut d'avoir l'esprit froid, il posa ses doigts sur la plaie qu'il pressa vigoureusement. Le sang s'écoula plus abondamment. D'une voix qui claqua comme un coup de fouet, il ordonna à Pascal de lui fournir un morceau de tissu et, sans hésiter, celui-ci ouvrit son manteau pour déchirer un bout de sa chemise et le remettre au soigneur improvisé. Léogan s'en saisit nerveusement et le plongea dans le trou que la visière avait laissé dans la chair du blessé afin d'éponger autant de sang qu'il le pouvait et il pressa de nouveau de tout son poids. Le flot de sang commença peu à peu à se réguler. Il déglutit, à peu près satisfait, et se redressa, le visage, le manteau et les mains imprégnés d'un rouge écarlate, la bouche pleine d'une salive au goût métallique. Il plongea ses mains poisseuses dans la neige pour les laver plus efficacement qu'en les essuyant contre ses habits et attrapa la visière du casque d'un air épouvantablement inspiré. La surface était plane. Ce serait sans doute plus efficace.
Cette fois-ci, il n'alla pas jusqu'à tapoter gentiment l'épaule de son patient pour le réconforter, mais il prévint Veto en lui adressant un regard lourd de sens. Des éclairs d'électricité crépitèrent entre ses doigts et la plaque de métal s'échauffa peu à peu, jusqu'à ce qu'il en estimât la température correcte. Il fit fondre le métal qui la raccrochait encore au reste du casque, le jeta avec fébrilité à quelques mètres, et se retourna aussitôt vers Veto, avec son nouvel instrument médical de fortune qu'il lui présenta sans mystère. D'une main, il comprima la chair entre ses doigts, de l'autre, il appliqua sans hésiter la plaque de métal brûlante sur la plaie qui dégorgea ce qui lui restait de sang, blanchit et cautérisa douloureusement.

Sa tâche achevée, Léo se laissa tomber sur les talons, épuisé nerveusement, et observa le pauvre Veto d'un œil vague. Son torse déjà meurtri écoperait d'une nouvelle cicatrice, et il aurait très certainement besoin de soins plus délicats, mais il était sauvé. De l'hémorragie, du moins. C'était bien.
Toutefois, il ne s'arrêta pas en si bon chemin. Il ôta un à un les passants de son manteau en cuir et recouvrit le corps nu de Veto, avant de renfiler ses gants avec résolution et de s'adresser à Pascal en frissonnant un peu.

« Portez-le à couvert, trouvez lui des vêtements, et... commença-t-il, avant d'enrager en pensant qu'il avait également envoyé le pyromancien de son équipe à Gaef. Nom de dieu, j'en sais rien, faites en sorte qu'il ne crève pas de froid ! »

C'est qu'il leur en foutrait, lui, des héros de guerre cimmériens, des grandes âmes patriotiques ! Ce type avait plus de chance qu'il ne le méritait – protégé par un dieu tutélaire, hein ?! Ha, c'était sûrement ça, il devait y avoir un dieu pour les abrutis aveugles et inconscients !
Malgré le ressentiment qui le rongeait, les bruits d'armes n'échappaient pas à l'attention de Léogan, et il se refocalisa rapidement sur Fenri Tarnac qui combattait vaillamment le tortionnaire de son frère d'armes et qui – il fallait l'avouer – n'en menait pas large. Tandis que Pascal s'occupait de Veto du mieux qu'il le pouvait, Léogan se relevait, conscient d'avoir fait passer ses problèmes personnels avant la réussite de cette mission, et toutefois déterminé à en finir aussi vite et aussi efficacement que possible. Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour comprendre à quel point Tarnac était en mauvaise posture. A l'évidence, il n'avait jamais combattu en protections légères contre un homme en armure complète. Il était tenu à distance par les mouvements amples de son adversaire, qui ne pourrait être mis en difficulté qu'au corps à corps, et en cela, Veto avait œuvré intelligemment. Mais Tarnac, quant à lui, ne trouvait pas de faille et ferraillait seulement avec la force du désespoir avant d'être projeté contre le sol par une botte de son ennemi qui le délesta de son arme et s'approcha de lui pour l'achever.
Bon, eh bien, chacun son tour.
Léogan prit une profonde inspiration et s'élança en avant, frigorifié et couvert du sang de Veto, mais surmonta sa faiblesse passagère en s'écriant pour faire diversion :

« Hé, champion ! »

Au moment où l'homme en armure se tournait vers lui avec incompréhension, Léogan s'abattit sur lui comme un fauve, arrachant Tarnac à la menace de son épée. Projetés au sol dans le même élan, ils s'engagèrent dans un corps à corps brouillon et féroce et soulevèrent des tourbillons de neige en roulant et en s'empoignant sauvagement jusqu'au bas du coteau. A terme, le choc fut si brutal qu'ils furent tous deux projetés de part et d'autre face contre terre. Les poumons comprimés par l'impact, le souffle coupé, Léogan se redressa aussitôt, les mains plongées dans la neige, et inspira douloureusement une bouffée d'air glacial qui lui incendia le poitrail. Son omoplate lui faisait mal. Les yeux parcourus d'éclats de douleurs rutilants, frémissant d'adrénaline, il se frotta les paupières d'un coup de manche brusque et distingua rageusement son adversaire devant lui, qui n'était pour lui, au milieu de son trouble, plus qu'une masse noire informe dans le manteau éblouissant du désert de glace. Dans un grondement de colère, Léogan se releva tout à coup et retenta de se jeter sur lui, mais l'homme en armure, d'un bond vif, remit la main sur son épée et, allongé dans la neige, la brandit vers son agresseur pour le tenir à distance.
Léogan grinça des dents et recula d'un pas pour dégainer stratégiquement, tandis que l'autre profitait de ce repli pour se relever à son tour. C'était raté. Bons dieux, c'était raté. Il se sentait presque aussi nu que Veto, face à ce guerrier cuirassé dans de l'acier trempé, et il avait perdu le seul avantage qu'il aurait pu avoir sur lui quand le corps à corps avait pris fin.
Déjà, son ennemi, un rictus éclairé sur les lèvres, s'était relevé et avait retrouvé sa moitié de casque que Léogan avait envoyé balader tout à l'heure sans réfléchir. Il commençait à lui expédier de très larges coups de taille que Léogan ne pouvait que parer avec la force de ses deux bras, sans espoir de pouvoir contre-attaquer efficacement, sauf à réussir – par chance – à balayer la tête du Terran d'un revers sanglant. Conscient de son avantage, son ennemi s'acharnait avec d'autant plus de puissance et de vélocité qu'il était certain que le moindre de ses coups transpercerait aisément les protections de cuir de Léogan et le viderait de ses entrailles. Dans un état second, l'esprit plein de calculs, d'anticipations et de conjectures, la cervelle bouillonnante d'adrénaline, le Sindarin bondissait, esquivait et se contorsionnait souplement entre les attaques impitoyables de son adversaire. Et peu à peu, il commençait à enrager de ne pouvoir rien faire d'autre que reculer, sentir la garde de son épée longue brûler entre ses mains gantées et parer avec toute la technique dont il était capable – mais qui ne suffirait pas à contrecarrer son échec inéluctable.
L'autre, en face, s'en délectait visiblement, Léogan lui renvoyait autant de sourires cruels et crispés, et quand leurs deux lames se bloquèrent l'une contre l'autre avec la même puissance, le chef des bandits approcha sa figure de celle du colonel et lança avec satisfaction :

« Tu n'as aucune chance de prendre l'avantage. Tu vas perdre, ton endurance a ses limites. Renonce. »

Merci, ça va, ça m'avait pas totalement échappé, connard.
Il se contenta de lui sourire cyniquement et, d'un geste brutal, le repoussa à quelque distance pour pouvoir reprendre son souffle. Les deux hommes tournèrent en rond comme deux fauves et se jaugèrent tous deux d'un regard noir. Le guerrier en armure posait une main nerveuse sur son épaule blessée et Léogan l'observait avec une avidité qu'il ne cherchait même pas à dissimuler. Oh, toi, je vais tellement te fumer ta gueule si tu me laisses m'approcher un tant soit peu...

« En théorie, c'est vrai, rétorqua Léogan, en s'étirant comme un chat impatient, et en piétinant dans la neige, c'est vrai, je ne peux pas gagner. C'est ce qu'on vous a appris dans vos manuels de bon petit soldat pendant vos classes, pas vrai ? Allez, tirez pas cette tête-là, c'est évident. Vous les avez faites où ? Pas à Hellas, non, on se s'rait croisés. A Eridania, peut-être ? Ho... murmura-t-il, avec un sourire mauvais, en voyant le visage du jeune homme se peindre d'une surprise blême. C'était à Eridania. »

Un sourire provocateur passa sur les lèvres de Léogan et son regard noir crépita d'une étincelle de triomphe vicieux. L'autre poussa un cri de rage et s'élança à nouveau sur lui toutes voiles dehors. Léogan para encore et encore, en sentant ses forces décroître, et soudain, l'épée longue de son adversaire mordit sa chair et lui déchira le flanc en un éclair. Le Sindarin se replia sur quelques pas, sa lame encore brandie pour se protéger de la poursuite des assauts de l'ennemi, mais plié en deux par la douleur fulgurante. Il serra les dents pour retenir un râle de souffrance, vacilla sous les coups insistants de l'ancien soldat d'Eridania et finalement, dans une poussée d'adrénaline qui explosa sa cage thoracique, Léogan lui envoya un violent coup de pied dans le bassin qui le projeta un peu plus loin. Passant sa main droite sur sa blessure, il tenta de la compresser pour juguler l'hémorragie, tandis que l'autre revenait à la charge dans un cri de guerre acharné.
Il était temps de faire quelque chose. Il devait revenir dans une configuration qui lui serait avantageuse, sans quoi il irait droit à l'échec. Une lueur d'intelligence traversa son regard quand le jeune homme tenta un coup d'estoc vers son visage. Léogan esquiva le coup en relâchant sa pression sur sa blessure et prit à nouveau de la distance.

« Mais, dans la pratique, c'est très différent, mon p'tit bonhomme, reprit-il, d'une voix cassée, avec une grimace de douleur. La part est belle à l'adaptation et à l'opportunisme – c'est ce que, je crois, la théorie appelle... »

D'un geste audacieux, il dirigea également la pointe de son épée vers la figure de son adversaire, une main agrippée au clair de sa lame comme pour lui donner plus de soutien dans cette situation difficile. L'autre fit un pas sur le côté pour éviter d'être transpercé, mais tout à coup, son caque fut violemment percuté non par la lame de l'épée du Sindarin, mais par sa garde, dont il venait de se servir comme d'un marteau improvisé.

« Être déloyal. » acheva Léogan, en propulsant un puissant coup de pied dans le ventre de son ennemi.

Le crâne meurtri, à demi-assommé, le chef des bandits chancela en gémissant et aussitôt, Léogan fondit sur lui comme un rapace. Enfin une occasion de reprendre le corps à corps. Empoignant son épée par la garde et par la lame de son autre main, comme une petite lance, il contraignit son ennemi à l'imiter, quoi que ce ne fût clairement pas dans son avantage de réduire la distance – mais il fallait bien parer l'estoc. Ils ne ferraillèrent que quelques secondes avant de s'attaquer simultanément au visage et de faire peser leurs épées l'une contre l'autre dans un crissement de métal insupportable. Léogan, qui à cet instant avait plus de lucidité que son adversaire, força plus puissamment, fit glisser un peu sa lame contre l'autre, et, au bon moment, fit un pas en avant, releva la garde de son épée et s'en servit comme levier pour précipiter le jeune homme à genoux dans la neige. Son arme lui échappa dans le processus, mais il était arrivé au point qu'il avait cherché à atteindre depuis le début du combat. Il était à terre.
Sans attendre un seul instant que l'autre ne redirigeât son épée vers lui, Léogan le poussa contre le sol d'un grand coup de pied dans le dos et abattit sa botte sur ses doigts avec une force telle qu'il dut les lui casser. Le jeune homme lâcha son arme dans un cri, et Léogan écarta la lame d'un autre coup de pied. Aussitôt, il enfonça un genou dans la cuirasse du jeune homme pour l'immobiliser, plaqua une main sur son épaule blessée – il hurla de douleur – et il sortit la dague qu'il gardait à sa ceinture pour la lui enfoncer légèrement dans la nuque. Le souffle court, le flanc en sang, Léogan fut soudain envahi de sueurs froides. Il dégagea ses cheveux noirs de son visage d'un geste sec de la tête et vociféra avec colère :

« Écoute maintenant, enflure, ton numéro de cirque, c'est fini. Alors, tu vas dire à tes gugusses de remballer leurs engins...
– Peu importe, ils ont fait ce qu'ils avaient à faire...
– Ah oui ? assena Léogan, en le retournant violemment, pour plaquer sa lame contre sa gorge. J't'écoute. Qui t'emploie, espèce de sombre abruti ? Si tu peux m'être utile à quelque chose, dis-le  tout de suite, parce que sinon j'ai une méchante envie de te planter ça dans l'cou – et crois-moi, je f'rais mon possible pour que tu l'sentes passer...
– Je... cracha l'autre, entre deux râles, l'air pas vraiment coopératif.
– AËRAN !
– Phoebé ?! »

Léogan se redressa avec panique et vit, effaré, la prêtresse qui avait poussé ce cri émerger de la grotte, se relever et courir vers eux comme si sa vie en dépendait, tout en s'empêtrant dans sa cape et sa jupe. L'inquiétude fit place à la colère – bons dieux, il lui avait dit de rester dans les souterrains, qu'est-ce qu'elle fabriquait ici, cette idiote ?! – et il leva un bras vers la jeune femme pour ordonner à ses hommes de l'arrêter. Seulement, il n'eut pas le temps de prononcer un mot. Un coup violent le percuta à la tempe  de plein fouet et le projeta contre terre. A moitié assommé, il prit son crâne entre ses mains en gémissant et, la cervelle déchirée d'éclats de lumière, d'images convulsives et de sons bourdonnants, il sentit à peine son ennemi se dégager de son poids et le laisser rouler dans le neige. Sur le dos, le souffle coupé, Léogan reprit peu à peu l'usage de ses sens. Il leva en tremblant une de ses mains qui couvraient son visage et réalisa en papillonnant douloureusement les paupières qu'elle était couverte de sang. Ce type l'avait frappé en pleine figure avec le gantelet de son armure.

« Enfoiré... » feula-t-il, entre ses dents, la gorge nouée.

Animé d'une force de volonté enragée, il s'agenouilla par terre, s'appuya sur un bras et, dans un spasme de douleur, pressa une main sur la blessure de son flanc où gargouillait du sang qui tentait de coaguler. Au milieu d'un haut-le-cœur plus vif que les autres, il crut qu'il allait vomir ses tripes dans la neige, mais il prit une profonde inspiration et redressa la tête. Il distingua la silhouette de son adversaire en armure qui rejoignait en titubant Phoebé et, en plissant un peu des yeux, il s'aperçut que la prêtresse était déjà aux mains d'un mercenaire qui la menaçait de son couteau. Autour de lui, il entendait ses soldats s'agiter sans ordre, incapables de prendre une décision, tandis que le chef des bandits, son homme et la prêtresse allaient s'engager dans la grotte.
Le cœur battant de fureur, il trébucha un peu et se releva dans un vertige, en remettant la main sur son épée. Un soutien se présenta à lui et Léogan s'abattit lourdement sur son épaule, le regard plein de feu et de revanche. Puis, d'un geste vif, il se dégagea des bras du soldat qui était venu l'aider et se sentit plein d'une énergie aussi douloureuse qu'elle lui semblait inépuisable.

« Lui, je vais le faire cuire dans sa boîte, ça va pas traîner, pesta-t-il, en tirant son gant gauche d'un geste sec.
– Colonel, vous oubliez que son armure... rappela le soldat d'un ton grave – c'était Arthwÿs.
– Rien à foutre ! »

Il se frotta l’œil de la main pour essuyer le sang qui coulait de son arcade sourcilière et retrouver son acuité ordinaire, puis tendit sa paume en avant. La magie électrique explosa dans son ventre et se précipita à l'air libre presque sans maîtrise. La foudre fusa vers le jeune homme mais une langue de ténèbres l'enveloppa aussitôt et absorba le sort élémentaire sans difficulté. Léogan, nullement surpris, réitéra l'opération d'un geste sec du poignet et commença à avancer d'un pas ferme vers les fugitifs.

« Arthwÿs, restez là, occupez-vous du champ de bataille, l'ennemi ne devrait pas tarder à se rendre, ordonna-t-il froidement.
– Bien, Colonel.
– Moi je vais aller négocier avec ce monsieur... » murmura-t-il, en progressant résolument, la main levée.

Nouveau trait de lumière, nouvel arc d'électricité dans la brume du désert, nouvel anéantissement dans les ténèbres. Léogan serra les dents et commença à courir comme un dératé dans la neige, en envoyant presque en continu ses éclairs sur sa cible. Il entendit à peine le pas étouffé de trois ou quatre soldats qui, sous le commandement d'Arthwÿs, venaient de prendre sa suite, et tout à coup, la foudre vibra dans les airs et claqua violemment l'armure noire. Léogan s'arrêta. Le Terran s'effondra par terre dans la fumée. La poitrine de Léogan se souleva d'euphorie, ses yeux crépitèrent d'un espoir cruel. Enfin. Il était arrivé à court d'énergie divine.
Un autre bandit s'approcha de son chef, dont l'armure se liquéfiait sur le corps, jusqu'à ne plus prendre la forme que d'un gantelet, qu'il ôta et jeta dans la neige d'un geste précipité. Ses habits avaient été mis en lambeaux par la foudre, il était couvert de son propre sang, dont son épaule suintait à grands flots. Son camarade l'aida aussitôt à se relever, le soutint et tous deux se hâtèrent d'entrer dans les grottes de Fellel à la suite de Phoebé et de son ravisseur.

Un rictus de triomphe passa sur les lèvres de Léogan. Il essuya sa main nerveusement sur son habit et s'élança en trombe à leur poursuite, quelques hommes sur ses talons. La douleur qui lui transperçait la chair se transformait en une fièvre qui lui torpillait le cerveau et incendiait toute son échine. Ses bottes glissèrent chaotiquement dans la neige, il attrapa au passage le gantelet encore brûlant que le jeune homme avait laissé derrière lui et, d'un saut de fauve en chasse, disparut à son tour dans la grotte.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeMer 14 Jan - 1:30

Est-ce que Veto avait vu le futur et avait suivi sa vision pour qu’elle se réalise ? Si c’était le cas, était-ce lui qui écrivait l’avenir ? Car pour que ces visions lui viennent, elles devaient être le fruit de ses actions futures, motivées par un plan échafaudé dans le présent. N’est-ce pas ? Mais ce plan n’avait-il pas vu le jour dans son esprit au fil des visions d’avenir qu’il en avait eu ?
À moins que Veto puisse apprécier son présent et son futur en même temps ? Ou bien tout cela était écrit et l’esprit du cimmérien s’était retiré en spectateur, assistant à la mise en œuvre d’actions instinctives, mues par son inconscient qui avait toujours senti le pouvoir de l’animorphie couver en lui ; ne faisant que lire un livre tout en mélangeant les pages, jetant un œil à la résolution de l’action, trop pressé de voir si elle allait bien se terminer ?
Mais depuis quand possédait-il le pouvoir de voir dans le temps ? Et celui de se changer en un animal ?

Veto avait encore des difficultés avec tout ce qui était de l’ordre de la métaphysique. La magie, il ne préférait pas y penser ou recherchait les quelques lois de la physique qu’elles avaient malmenées, transgressées ou redéfinies… Ceci étant relativement nouveau dans sa vie…

Le pauvre jeune homme, nu et vaseux fixait désormais le ciel. Son regard était complètement perdu. Les sons ne l’atteignaient plus qu’en traversant un liquide métaphorique dans lequel il flottait immergé. Un voile avait été jeté sur ses yeux et l’empêchait de voir ce qu’il se passait. À moins qu’il ne soit sur son esprit et que ce fut sa compréhension qui fut affectée.

Une chose était sûre, il n’était pas inconscient. Car toutes ces questions tournaient et retournaient dans son esprit. Veto arrivait à se concentrer sur tout et n’importe quoi pourvu que ça ne se passe pas autour de lui. Il avait fui ce champ de bataille. Après avoir vu le futur, vécu trop vite le présent, il restait à ressasser ce désormais passé, incapable de revenir au temps commun.


*Mais qu’est-ce que le temps ?*

Cette question fut la dernière que son esprit se permit qui ne soit pas en lien direct avec son corps. La fraction de seconde qui suivit la naissance de cette pensée, il sentit comme une déchirure. Il eut l’impression qu’on lui arrachait les entrailles.
Son corps lui revint à l’esprit. Il ne sentait déjà plus beaucoup de parties de celui-ci à cause du froid. Ses mains et ses pieds lui étaient devenues inconnues mais son ventre, lui, il avait encore vaguement conscience de son intégrité. Du moins, il avait fini par imaginé que cette excroissance métallique que le colonel venait de lui ôtait était à lui, faisait partie de lui.

Aussi, Veto fut pris d’une grande stupeur et ne put ni crier, ni parler. Il se contenta de se tendre, frappé par l’effroi de mourir, ses poumons se gonflant autant qu’ils le purent de l’air glacial. Et puis les souvenirs commencèrent à lui revenir. Il se souvint du casque et comprit que le liquide chaud qui coulait désormais de son flanc était son sang et qu’on essayait de le soigner.
La douleur trop grande s’amenuisait désormais trop vite. Cela avait un effet terrorisant. Veto avait l’impression de sentir son énergie s’échapper de son corps. Pourtant ce n’était que du sang. Mais y avait-il une différence entre cette énergie et le sang ?


*Est-ce que…*

Leogan plaça un objet rougeoyant devant son regard et il n’eut pas vraiment le temps de comprendre. Tout juste eut-il le temps de reconnaître une visière de casque que déjà celle-ci s’apposait sur sa plaie. Alors il prit conscience de la température de l’objet dont la couleur lui avait plus tôt semblé inexplicable.
Et fort de cette découverte, Veto se fit à hurler et si Pascal ne l’avait aussi bien tenu, il aurait certainement plus ouvert la plaie qu’on la lui ferma.

Lorsqu’on le délivra, il n’avait plus à l’esprit que les douloureux souvenirs des séances de tortures qu’on lui avait infligé dans les geôles de l’inquisition.
Pascal le soutint, il entendit brièvement les ordres que Léogan donna et comprit que Pascal le ramenait à la grotte. En réalité, ce trajet pour lui devint des plus abstrait. Tout juste se souviendrait-il d’une congère tâché de sang sur le chemin.


« Vous m’entendez ? Restez avec moi ! »

Enfin, le blessé releva la tête et planta un regard morne dans celui de la prêtresse.

« Kesha toute puissante ! Il est blanc comme neige ! »

La Prêtresse apposa ses mains sur son torse nu et il sentit un peu de ses forces revenir. Tout juste de quoi réussir à bouger la tête de droite pour constater que le Major Rigane était inconsciente et allongée à côté de lui et de gauche pour voir Pascal surveiller la salle derrière la prêtresse.

Pascal se tourna pour jeter un œil à l’état de Veto et il avait dans le regard une lueur d’inquiétude qui se mua en de la curiosité.


« Vous avez vu cette cicatrice sur son torse ?
-Comment la manquer ? Mais j’ai vu plus important comme séquelle de la Sarnahroa.
-Moi aussi, ma sœur. Mais je ne parle pas de ça. Et j’ai vu votre regard tout à l’heure. Vous connaissez les vieilles histoires, n’est-ce pas ?
-Non. Aidez-moi à le coucher.
-J’arrive… « …et l’arbre des hauts retrouvé, ainsi les héritiers nommés… » Bien sûr que si vous la connaissez. Je ne vais pas vous faire tout le laï.
-Ne me confondait pas avec ces arriérés royalistes. Je n’accorde pas d’intérêt à ce genre de fables. Bon. Je ne peux plus rien d’autre pour lui. Il a besoin de repos. Sergent, je vais vous plonger dans un sommeil profond. Laissez-vous aller. Ça ne prendra que quelques instants. »
La prêtresse posa une main sur le front de Veto qui sentit ses paupières s’alourdir et elle s’affaira encore un instant auprès de lui alors qu’une vague de torpeur envahissait tout son corps comme les rides à la surface de l’eau.
« Mais vous savez ce que ça veut dire, n’est pas ? Je vous ai vu froncer les sourcils à la vue de cette marque. Et là encore vous la cachez !
-Je ne la cache pas, je le tiens au chaud ! Bon. Je vous les confie.
-Quoi ?
-Je veux voir ce qu’il se passe. Je reviens de suite. »
Veto ne pouvait plus garder les paupières ouvertes mais il vit clairement Pascal s’interposer entre la prêtresse et la chapelle des soupirs.
« Non ! C’est trop dangereux ! Vous ne pouvez pas !
-Dans ce cas dormez !
-Quoi ? Non ! »

Alors Veto sombra complètement et il n’eut plus conscience de rien.
Mais aussitôt, il se réveilla, en pleine forme, dans la grotte. Il n’y avait plus, ni le major, ni personne d’autre. Il était seul dans ce couloir. Il se redressa, sans plus souffrir ni fatiguer. Il se sentait léger comme une plume.
Mais il réalisa finalement que tout autour de lui brillait d’une étrange lueur. Des couleurs très claires et scintillantes s’entremêlaient pour constituer le décor. C’était le même genre de fluide que l’on pouvait voir à travers un catalyseur chargé : de l’essence divine. Mais ici, toutes les couleurs possibles de pierre de Sphène semblaient s’enchevêtraient comme les fils de pelotes de laine que l’on aurait jetées à travers une pièce emplie de stupides félins domestiques…

Il se leva et manqua de tomber. Il dut s’appuyer contre une paroi et ses mains lui apparurent, puis tout son corps. Il n’était qu’une masse de ces fils. Mais les siens semblaient différents de ceux des parois de la caverne. Si les autres semblaient en perpétuel mouvement, comme les bulles au fond d’une casserole en ébullition, les siens semblaient plus lents à se mouvoir et à se mélanger. Il y en avait même quelques-uns qui se dénouer au fur et à mesure du temps, l’extrémité des fils s’étirant hors de son corps et s’effilochant doucement pour disparaître dans l’air.
Bien sûr, il faudrait plusieurs années pour le défaire de tous ces fils mais il ne trouva pas cela normal du tout.

Il fit quelques pas, entrant dans la chapelle aux soupires. Longeant la paroi, il la contempla sous un nouveau jour, ainsi emplie de la lumière qui venait d’elle-même.
Il resta un instant immobile, à la contempler, appréciant toute sa splendeur jusqu’à ce que son regard se pose sur le loup. Encore lui. Il était là-bas, assis devant une des entrées condamnées. Elle menait au Nord-Est. De l’autre côté de la pièce. Alors il se décolla du mur et réussit à faire quelques pas dans un équilibre précaire.
Soudain il y eut un bruit sourd à la droite de Veto. Comme un tambour qu’on maltraite. À bien tendre l’oreille, on aurait même pu croire à des mots.
Mais Veto n’y prêta pas attention.
Il voulait rejoindre le loup. Après tout, ne lui montrait-il pas la voie vers son destin ?

Alors il entendit sa voix lui répondre par la négative dans son esprit :
*Tu n’es pas encore prêt. Reviens lorsque tu sauras ce que tu cherches. Trouves un homologue.*
Veto fronça les sourcils et voulut répondre mais les tambours reprirent derrière lui. Et alors qu’il allait poser ses questions, le loup disparut, la grotte s’éteignit et les tambours se firent effectivement voix lorsqu’un bras passa autour de sa gorge et qu’on le tira en arrière.


« Viens-là toi, l’asticot ! »

Mais il n’est jamais bon de réveiller un somnambule.

« Aëran, je t’en prie !
-Tu en as déjà vu beaucoup toi des grands blessés qui déambulent nus comme des vers les pieds à même la glace ?
-Ah la vache ! Qu’est-ce qui lui est arrivé à celui-là ?
-Tu parlais d’asticot ?
-Aëran ! S’il te plait.
-Ça nous fait un vrai otage ! Prépare-toi à les recevoir !
-Fuyons, ça ne sert plus à rien !
-Je n’y arriverais pas Phoëbe.
-Laisse-moi voir.
-Ils arrivent ! Eh ! Arrêtez-vous ! On a un otage !
-Abruti… » grinça le chef des bandits entre ses dents et l’autre bandit menaçant la prêtresse corrigea rapidement
« DEUX otages ! Un pas de plus et j’égorge votre belle prêtresse ! »

Veto n’était pas conscient de ce qu’il se passait. Mais en quittant le couloir pour venir dans la chapelle, il avait évité que les brigands en fuite ne l’empreinte et tombe sur le Major et Pascal inconscients. Et il avait attiré les fuyards plus près du centre de la pièce que de cette échappatoire. Si bien que lorsque Léogan arriva avec ses hommes, ils n’eurent aucun mal à encercler les fugitifs.

Le somnambule était complètement perdu après ce réveil brutal et sa fatigue qui embrumait d’autant plus ses pensées. Il ne parvenait pas à se calmer et se débattait trop pour son ravisseur. Celui-ci commença à l’insulter, le traitant d’estropié entre autre choses sur son infirmité. Et il y eut même un coup à la tempe, ce qui n’arrangea rien à l’impression de perte total de repère de l’otage.
Le pauvre jeune homme était en proie à une peur panique. Il ne savait plus où il était, qui il était ni comment réagir. L’homme serrait toujours plus fort son bras autour du coup de Veto qu’il ne voulait pas tuer : il était le seul rempart entre lui et les lames de ses poursuivants.

Finalement, le crâne de Veto heurta le nez puis le menton de l’homme et celui-ci quitta sa prise des yeux une seconde. Non pas qu’elle en profita pour s’évader. Mais cette inattention ne lui permit pas de voir qu’il n’y avait pas que des mouvements de dégagement qui animait Veto. Toute la surface du corps nu de l’humain ondulait légèrement.
La main armée de la dague passa soudain trop prêt de la bouche du prisonnier et lorsque le bandit rouvrit les yeux la seconde suivante, il se rendit compte qu’il essayait de maintenir non plus un homme mais un loup entre ses bras. La gueule de celui-ci était désormais irrémédiablement refermée sur son poignet et lui tirait des hurlements moins douloureux que terrorisés.
L’animal ne se retenait plus du tout sur ses pattes arrière et il avait commencé à se contorsionner d’autant plus, lacérant de ses pattes griffues l’humain qui finit par lâcher prise alors que le canidé restait bien accroché à son poignet. D’un coup de tête, il jeta l’homme à terre et une seconde plus tard, il avait arraché la main du malheureux.

L’autre bandit s’était avancé mais lorsqu’il fit un pas de plus, le loup bondit en arrière et se plaqua au sol, prêt à bondir, les crocs rouges, les babines dégoulinantes de sang et son trophée pendant de sa gueule, un morceau de chaire coincée entre les dents. L’animal au poil hérissé semblait énorme et ses yeux verrons brillaient, écarquillé par la peur.

Les deux hommes s’étaient ainsi éloignés de la prêtresse et de leur chef et ils n’osaient plus bouger, face à la bête qui les avait tous deux surpris.

Mais le loup ne voyait qu’une menace et un éclair d’intelligence humaine l’empêchait simplement de se jeter sur l’épée qu’on pointait vers lui.
Son regard chercha une issue mais il ne croisa que le regard de Leogan et des souvenirs de la journée lui revinrent rapidement. Il recula de quelques pas, fixant le Sindarin et ses babines redescendirent un peu alors que ses yeux devenaient moins fous.
Et son corps arriva à la limite de la quantité de magie qu’il pouvait fournir. L’animal tourna de l’œil et s’effondra sur le flanc, reprenant forme humaine dans sa chute.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeVen 24 Avr - 5:04

En courant dans cette galerie des grottes de Fellel qui le mènerait à la Chapelle des soupirs, Léogan avait eu instinctivement l'idée de glisser le gantelet de l'armure à sa main gauche. Il n'avait même pas vraiment médité ou calculé l'utilité de ce geste, qui en aurait certainement une en temps et en heure, en considérant le pouvoir puissant de l'artefact. Il s'était seulement senti le besoin ou le désir de l'enfiler – le gantelet était tiède dans sa main, il fourmillait d'une énergie captivante. Alors il l'avait chaussé précautionneusement. Immédiatement les pièces de métal avaient cliqueté en jetant des éclats de lumière irisés dans l'obscurité de la grotte.
Il s'était arrêté un instant, happé dans un maelstrom flamboyant qui lui inonda l'esprit et aveugla son regard. L'armure était vivante. Il la sentait frémir à son poing et un étrange sentiment d'exaltation éclot dans sa poitrine. Il laissa échapper un long soupir, le cœur battant à tout rompre, et devant ses yeux noirs, le simple gantelet, qui avait prit une couleur vif-argent maintenant, coula chaleureusement sur son bras, absorba avec empressement son épaule, enveloppa son buste comme une caresse mécanique et forme enfin des jambières solides sur son pantalon. Léogan remua ses doigts à la lumière crue du cristal, elle rayonna sur les pièces de métal claires qui grinçaient froidement et qui semblèrent lui sourire.
Tout à coup, il n'avait pas plus conscience de la douleur qui lui avait déchiré le flanc un peu plus tôt. Il se sentait entier. Puissant et entier. Comme s'il avait trouvé soudain une partie de lui qu'il avait toujours égarée. Un petit rire décharné s'extirpa de sa gorge. Ses yeux étincelaient de fascination. Il voyait... Il savait... Oh il savait qu'elle avait été cachée dans l'ombre, enfermée dans un trou loin des soleils et des regards toutes ces années – comme lui pendant un demi-siècle...  Comme lui, comme une alter-ego spirituelle, une intelligente amie qu'il avait trouvée à l'attendre...
Ils feraient ensemble des merveilles. Et le vif-argent scintillerait bientôt de précieux... Rubis.

La voix d'un des hommes qu'Arthwÿs lui avait collé au train résonna et transperça brutalement le songe dans lequel il vivait. Léogan sursauta et son regard extatique se tempéra quand il battit nerveusement des paupières.
Il balaya d'un geste la question de ce type, qui lui demandait s'il allait bien, et retrouva sa lucidité habituelle, quoi qu'il sentait dans son sang une pulsation étrangère. La respiration un peu branlante, il allongea le pas, sa main gantée refermée sur la garde de son épée.

Ils parvinrent rapidement à la Chapelle des soupirs, où les deux bandits qui escortaient leur chef et Phoebé Fëmeril hurlaient à qui voulait l'entendre qu'ils avaient à leur merci un second otage. Léogan s'arrêta aussi sec à la sortie de la galerie quand il reconnut le corps nu et mutilé de Veto qu'un des hommes emprisonnait d'une prise du bras.
Qu'est-ce qu'il foutait encore... Qu'est-ce qu'il foutait encore là, lui ?!
La même panique qu'un peu plus tôt, quand il avait vu l'ancien porteur de l'armure lui enfoncer la visière de son heaume dans le plexus, s'empara de Léogan et il resta figé de stupeur.

Mais Veto, malgré sa pâleur maladive et le voile vitreux de ses yeux, se débattait comme un beau diable dans l'étreinte de son ravisseur et Léogan mesura rapidement qu'il fallait agir pour ne pas les laisser s'échapper par l'un des deux autres boyaux de la Chapelle. Son regard métallique se fixa sur Phoebé, et la scène peu convaincante que leur jouaient les bandits, et d'un geste sec, il ordonna à ses dix soldats de se déployer dans la grotte.
Ils s'exécutèrent aussitôt, malgré les menaces répétées du mercenaire qui beuglait qu'il trancherait la gorge de la prêtresse s'ils tentaient la moindre initiative, et tout à coup, un aboiement sauvage retentit à l'endroit où Veto était censé se tenir – et où il y avait désormais un loup qui se débattait contre une faible emprise humaine.
Les trois hommes et Phoebé étaient cernés, quatre arbalétriers les tenaient en joue. Dans un cri de douleur, le tortionnaire du jeune garde cimmérien venait de le relâcher et celui-ci grondait comme un enragé tandis que Léogan s'approchait de leur fine équipe. Il croisa le regard rond de panique de l'animal qui tout à coup sembla se calmer, avant de basculer sur le côté, aux pieds de son colonel, et de reprendre forme humaine.
Léo releva lentement son regard du corps de Veto, le posa inflexiblement sur leurs ennemsi et prononça d'une voix basse, mais sèche :

« Posez vos armes à terre. »

Un simple coup d’œil aux alentours suffit aux deux bandits de se convaincre qu'il n'était plus sage de résister. Leurs lames tombèrent sur la glace dans un cri strident. Aëran, le chef que Léogan avait presque carbonisé à coups d'éclair, soutenait son regard avec défiance. Lui battit des paupières indifféremment et posa son genou à terre pour se charger du corps de Veto, qu'il tira comme il put jusqu'au auvent de fourrures qui avait abrité les prêtresses.

Puis il revint d'un pas tranchant à ses prisonniers pour considérer le couple d'Aëran et de Phoebé avec une moue de répugnance. Et puis, brutalement, l'épée au clair, il saisit le Terran par le col et le serra autour de sa gorge avec férocité. Phoebé poussa un grand cri de détresse.

« NON ! Colonel je vous en supplie !
– Phoebé, écarte-toi ! tonna le chef des bandits en la repoussant sur le côté, tandis qu'elle s'accrochait comme une teigne à son bras.
– Il peut comprendre, Aëran, laisse-moi lui expliquer, c'est le bras-droit d'Elerinna Lanetae, il peut...
– Elerinna ?! cracha Léogan en resserrant sa prise sur le col de sa victime. Merde mais qu'est-ce que vous me bavez encore comme conneries tous les deux ?!
– Phoebé, il n'y a plus rien que nous puissions faire, c'est fini...
– VOUS FOUTEZ PAS DE MA GUEULE, VOUS. Vous êtes qui, espèce de salopard ? grogna Léo en rapprochant son visage de celui de l'autre.
– Colonel, relâchez-le, je vous en prie, s'exclama Phoebé en se pendant cette fois à son bras à lui, il s'appelle Aëran Kobal, c'est un Gélovigien eridanien que j'ai rallié à notre cause, nous sommes... Je vous en prie, relâchez-le...
– Ha oui, lança Léogan avec morgue. Naturellement, je me disais bien aussi... Vous êtes loin d'être étrangère à toutes ces tuiles qui nous tombent sur la tronche, vous, pas vrai ?! Allez dépêchez vous de cracher l'morceau, j'vous accorde deux minutes de mon attention... »

Il repoussa brutalement ledit Aëran en arrière, et la prêtresse blonde le soutint pour lui éviter la chute. Léogan s'approcha d'eux pour éviter que leur discussion ne soit entendue par les soldats qui gardaient les entrées de la grotte, ainsi que leurs deux prisonniers. Pour faire bonne mesure, il appuya le tranchant de son épée sur la gorge du Gélovigien et le fit reculer jusqu'à l'appuyer contre un mur.

« Vous connaissez notre situation, colonel, il fallait bien que quelqu'un fasse quelque chose, murmura nerveusement Phoebé.
– Et vous vous êtes dit que vous étiez la mieux placée pour ça... ?
– Je ne sais pas, mais j'avais un plan, et il aurait été dangereux d'impliquer directement la Grande Prêtresse. Le temple est désuni, son image souffre beaucoup de l'opinion publique depuis la Sarnarhoa, Bellicio profite déjà de ces brèches – si mon projet échouait, il valait mieux...
– Que ce soit ce type qui se fasse lapider plutôt que dame Lanetae, oui j'ai saisi le concept, expédia Léogan avec un geste méprisant de la main, avant de se tourner vers le dindon de la farce, en enfonçant un peu son épée dans ses protections de cuir au poitrail. Ça va, vous, vous le prenez bien ? Vous vous êtes fait pigeonner, mon pauvre ami, ha, elle a battu les cils de ses grands yeux de biche et vous avez marché au pas, c'est ça ?
– …les temps sont durs pour les hommes et les femmes de foi aujourd'hui. Nous avons besoin d'un bastion inébranlable à Cimméria. Avec le Maire au pouvoir, ce n'était pas envisageable, répondit Aëran à mi-voix, sans se laisser démonter.
– Il s'agit de saper son autorité.
– En effet, c'était ce dont il s'agissait... rectifia Aëran d'un ton cassant.
– A long terme, en principe, c'est toujours le cas, oui.
– Phoebé, tu ne me feras pas croire une seconde qu'après ce désastre cet homme acceptera de faire porter le chapeau à Bellicio !
– Et pourquoi pas !
– Ha oui carrément ! s'exclama Léogan. Ha mais vous manquez pas de souffle, vous !
– Léogan, écoutez...
– Colonel, corrigea-t-il, intransigeant.
– Colonel, reprit Phoebé à voix très basse, en roulant des yeux, c'est ce que dame Lanetae a toujours souhaité. Une fois que Bellicio sera accusé d'avoir attenté à la vie des prêtresses et d'être à l'origine de cette boucherie, il sera désavoué, confronté à la justice, forcé à la démission. Ce sera l'occasion peut-être d'évincer pour de bon la Mairie...
– Et vous avez de quoi faire croire à la justice que Bellicio est responsable de tout ce merdier ?
– Il y a quelques mois, précisa silencieusement Aëran, qui le regardait encore avec méfiance mais qui commençait à croire qu'il avait une chance de venir à ses fins, il m'a engagé pour retrouver une relique magique cachée dans les grottes de Fellel depuis la guerre de Taulmaril... J'étais mage dans l'armée eridanienne, et j'exerce toujours ces talents aujourd'hui. Voyez, j'ai encore le contrat, là, murmura-t-il en tapotant sur une sacoche qu'il portait à son épaule, et il a le double dans son bureau. Mon visage est passé plus ou moins inaperçu, mais l'armure, vos soldats s'en souviennent. Le lien sera vite fait.
– Et de toute évidence, si la garde n'avait pas réussi à mettre brillamment en déroute les bandits, cette affaire n'aurait bénéficié qu'au Maire, n'est-ce pas ? continua Phoebé d'une voix persuasive. Il suffirait de faire passer Aëran pour mort... Et de prendre la dépouille de celui-là, par exemple, fit-elle, en désignant d'un geste de la main discret le cadavre d'un bandit qui gisait non loin, de le carboniser suffisamment pour qu'il soit méconnaissable – vous pouvez le faire ça, vous, colonel –, de laisser le contrat dans une besace près de lui, et de lui mettre le gantelet de l'armure à la main...
– Attendez, rétorqua Léogan avec un court rire désabusé, vous me demandez de laisser partir celui-là ?
– Il n'est pas nécessaire qu'il se fasse prendre... Je vous en prie, permettez-lui de fuir.
– Non en fait, correction, vous me demandez d'tremper dans une affaire même pas préméditée par la Grande Prêtresse pour sauver le cul de votre copain. Y a d'l'aplomb, là, faut reconnaître.
– Si vous m'arrêtez, j'accuserais Bellicio sans concession, annonça le Gélovigien d'un ton tranchant.
– Phoebé ?
– C'est ce qu'il fera, appuya la jeune femme, devant la mine sceptique de Léogan.
– Pour Bellicio, je ne me fais pas tellement de souci, cette affaire lui causera quelques difficultés, mais ce ne sont pas des accusations et un stupide contrat qui auront raison de lui, il a une partie du système judiciaire dans la poche. » dit-il lentement.

Derrière lui, le lieutenant Arthwÿs et le major Baria, qui avaient sans doute donné toutes les instructions nécessaires à leurs hommes pour mettre fin à la bataille, étaient entrés tous les deux dans la Chapelle des soupirs et observaient la scène de  négociations des deux parties avec incrédulité. Baria, prévoyant, donna l'ordre aux soldats de la garde territoriale de sortir aider leurs camarades à l'extérieur, et aux bleus de la garde prétoriale de garder le tunnel qui débouchait sur le désert et de n'y laisser entrer personne. Il ne resta plus que cinq hommes de confiance dans la grotte, en plus de leurs supérieurs, et Veto Havelle, toujours étendu sur la glace, qu'Arthwÿs regarda avec méfiance avant de faire signe à l'un des gardes de vérifier son état de santé.

« Par contre, continuait Léogan, voyez, je suis curieux de savoir quel sort on vous réservera, Kobal. Combien vous pariez qu'on réhabilite la peine de mort pour un ennemi de la nation ? Arthwÿs ? demanda-t-il, en levant un sourcil vers son lieutenant.
– Cinquante dias pour Zaléra, répondit ce dernier, flegmatiquement.
– C'est même pas considéré comme la peine de mort, ça sera facile, ajouta Baria. A la fin de mes classes, Irina Dranis envoyait encore une gamine au labyrinthe. Je mise le double.
– C'est ambitieux. » admit Arthwÿs, qui portait son attention sur des détails plus immédiatement essentiels, comme les deux sous-fifres d'Aëran Kobal, qui commençaient à en entendre plus qu'ils ne l'auraient dû. « Baria, occupez-vous de celui-là, fit-il, en indiquant le désormais infirme dont Veto avait arraché la main.
– Ouais, lieutenant. »

Léogan les suivait d'un regard en biais. Phoebé baissa à peine les yeux quand Baria fit sauter la cervelle du premier bandit en posant une main explosive sur son front et Aëran ne prêta même pas d'attention à l'exécution sommaire du bandit qui l'avait soutenu jusque dans la grotte, et qu'Arthwÿs transperça proprement de son épée. Témoins gênants, procédure habituelle.

« Personne donne cher votre peau ici, poursuivait Léogan, imperturbable au milieu de cette scène sordide qu'il avait l'impression d'avoir jouée et rejouée depuis toujours, à sa place dans la copie de la copie de la copie d'un de ses souvenirs. Trois contre un que vous finissez calanché, c'est pas très rassurant. Et encore, cette chère Phoebé se fait peut-être moins d'illusion qu'on le croit, susurra-t-il en se tournant vers elle avec détachement, vous pensez qu'il ira au casse-pipe ?
– C'est la raison pour laquelle je vous supplie de le laisser s'enfuir, répondit calmement la prêtresse, qui ne voulait pas se laisser atteindre par les provocations.
– Bien sûr. Oh c'est touchant, ironisa Léogan avec un mauvais sourire. Et quand Bellicio trouvera assez de pistes pour retourner le procès contre nous, je me ferais descendre avec vous. Vous prêchez pas le sacrifice de soi à la bonne chapelle, Phoebé. Et je ne suis pas prêt non plus à faire couler le Temple pour un plan naïf qui visait à plomber la Mairie, vous m'excuserez.
– Vous ne deviez pas être impliqué... gémit-elle en secouant la tête. Et désormais, nous n'avons pas le choix. Beaucoup d'hommes sont morts aujourd'hui, si nous ne tentons rien, cela aura été vain.
– Certainement que nous avons le choix.
– Ah oui ? rétorqua Aëran d'un ton méfiant.
– Nous avons celui de n'impliquer personne dans aucune intrigue.
– Aucune intrigue ?
– Il n'y en a jamais eue. Tout ce qui s'est passé n'est qu'un regrettable incident.
– Ce n'est pas envisageable.
– Oh si ça l'est. »

Sa voix n'avait été qu'un souffle.
En un instant, dans un mouvement fluide, sa lame avait filé avec un sifflement vif sur Aëran qui le regardait désormais bien en face, livide et les yeux agrandis de stupeur. Léogan ne cilla pas, jusqu'à poser sa botte sur la poitrine sanglante du jeune homme pour le repousser en arrière et tirer son épée de son corps. Aëran Kobal s'effondra sur la glace dans un râle et Phoebé poussa un grand cri d'horreur en s'abattant sur lui pour recueillir son dernier souffle.

« Il y a très longtemps que je ne fais plus de pari sur la machine judiciaire. » murmura Léogan en se redressant, le visage luisant, une main pressée sur son abdomen dont la plaie s'était déchirée dans son élan. Il se mordit fort l'intérieur des joues pour ne pas laisser échapper de plainte et reprit une profonde inspiration pour achever : « On ne m'y reprendra pas.
– VOUS L'AVEZ TUÉ ! hurla Phoebé en relevant son visage échevelé sous ses cheveux blonds vers lui, sans lâcher le corps de son ancien amant.
– Son espérance de vie était tombée à zéro de toute façon. C'était votre décision, la vôtre et la sienne. Vous l'avez tué. Il s'est tué. Je l'ai tué. Nous l'avons tous tué.
– C'était nécessaire, appuya Arthwÿs. Il n'aurait eu qu'un sursis qui aurait duré le temps du procès, dame Fëmeril, et il nous aurait tous entraînés à notre perte.
– Et personne ne parle de tous les hommes qu'il a tués, lui, entre hier et aujourd'hui... siffla Baria, qui regardait la jeune femme en biais, un peu en retrait et les bras croisés. Vous vous rendez compte du nombre de soldats que vous avez sacrifiés pour vos petites manigances à deux ronds ? Vous êtes comme Bellicio, vous saignez la garde, c'est tout ce que vous faites.
– C'était peut-être le dernier sacrifice que vous auriez eu à souffrir ! Je me suis sali les mains, major ! Mais je l'aurais fait pour le bien de ce pays si vous n'aviez pas...
– Cette garce serait bien capable d'accuser le Maire de sa propre initiative, colonel, peut-être que...
– Ne vous emportez pas, Baria, ordonna aussitôt Léogan. La Grande Prêtresse décidera elle-même de ce qui sera fait d'elle. Ce n'est pas de notre ressort.
– Je n'ai fait qu'agir selon ses plans ! Elle m'aurait accordé raison ! Peut-être même que ce procès qui vous fait tellement trembler, colonel Jézékaël, peut-être qu'il aura lieu grâce à Elerinna Lanetae.
– Dame Fëmeril, releva Arthwÿs avec froideur tandis que le visage de Léogan se fermait comme les barreaux d'une prison, vous en avez assez fait, je ne tolérerai pas d'insultes, je vous prie de fermer votre...
– Vous perdez les pédales, interrompit Léogan.
– C'est une occasion qui ne se représentera pas !
– Phoebé. » Il posa un genou face à elle et plongea son regard dans les yeux carmins de la prêtresse. « D'après vous, pourquoi Bellicio, s'il importune tant Elerinna Lanetae, est-il resté au pouvoir toutes ces années ?
– ...parce qu'il est puissant.
– Parce qu'il est à cette place par la volonté du peuple, voulut corriger Baria d'un ton intransigeant.
– Hum.
– Quoi ?
– Oui, au fond, c'est une des raisons, concéda Arthwÿs, l'air légèrement irrité, l'assise démocratique lui donne une légitimité difficile à outrepasser, mais ce n'est pas le fond du problème, major – cela le serait si nous voulions éradiquer toute l'institution municipale pour centraliser le pouvoir dans le Temple, mais nous n'en sommes pas là.
– Pourquoi, alors ? coupa Léogan, avec agacement.
– Parce qu'il cache bien son jeu ! Il ne nous a laissé aucune brèche, jamais, alors j'ai décidé qu'il fallait en ouvrir une !
– Dame Fëmeril, si nous voulions nous débarrasser du Maire Bellicio, nous l'aurions fait depuis longtemps déjà. La Grande Prêtresse a assez de dossiers contre lui pour l'exclure définitivement du champ politique.
– Mais alors... bredouilla Phoebé, dans un hoquet stupéfait. Comment... ? Pourquoi ne l'a-t-elle pas fait ?
– C'est la question qu'on vous pose.
– Cessez de parler en énigmes, répondez-moi ! exigea-t-elle, les poings fermés rageusement sur la cape du cadavre d'Aëran et la figure déformée par la fureur.
– Parce qu'éliminer Bellicio n'est pas dans notre intérêt, rétorqua sèchement Léogan. Ça fait des années qu'on le tient en laisse, qu'il est forcé d'écouter nos revendications, et d'y obéir. Croyez-vous que ça a été facile d'en arriver là ? Croyez-vous que nous soyons prêts à renoncer à cet avantage ? Et de recommencer encore, avec un nouveau Maire, alors que celui-ci en a pour dix ans à nous servir ! » s'exclama-t-il d'une voix de plus en plus grondante. Cette femme qui sanglotait, ce type qu'il venait de tuer, ses hommes morts dans la neige dehors, et cette machination qui ne menait à rien, tout ça commençait à lui peser considérablement sur la poitrine. Un rictus fielleux serpenta sur ses lèvres. « Ha. Faites un peu marcher votre cervelle.
– Mais je... balbutia Phoebé, les yeux pleins de larmes. J'ignorais que...
– Bah tiens. » cracha-t-il, froidement. La colère enflait toujours plus au fond de sa poitrine. « Ha, bordel ! Bordel de merde, mais quel merdier, j'en ai marre, ça dégénère de tous les côtés... !
– Colonel...
– Lâchez-moi, d'accord ? »

Léogan s'écarta brusquement, le visage froissé par une moue répugnée, et fit quelques pas dans la grotte en essuyant son épée ensanglantée sur les jambes de son pantalon. Il la rangea finalement à son fourreau et porta son regard sur le gantelet vif-argent qu'il faisait cliqueter sur sa main. L'armure se replia sur elle-même jusqu'à ne plus former qu'un gantelet à nouveau et il l'ôta dans un élan de contrariété.
Au fond de lui, il avait bien réalisé qu'il avait une très large part de responsabilité dans ce carnage, comme dans tout ce qui se passait de sinistre et de louche à Cimméria, de près ou de loin. Même quand ça se produisait dans son dos, ce n'était que l'effet éloigné d'une pichenette qu'il avait donnée dans un premier domino qui s'était abattu sur un second, lequel sur un troisième, jusqu'à échapper à son attention et à ses prévisions. Il déglutit. Cela faisait trop longtemps qu'ils avaient corrompu la Mairie. Les réactions extrêmes, comme celles de Phoebé, à ce stade-là, étaient devenues inévitables, la situation n'était plus tenable.
Il sentait peu à peu qu'il se noyait dans cet océan de conflits politiques qui débordait par-dessus les digues qu'il avait voulu construire – et il sentait qu'il se noyait seul. Tout s'effondrait sur lui, et il avait beau tenter d'y mettre de l'ordre, de retrouver celui qu'il y avait prévu avec Elerinna, c'était peine perdue, et elle le laissait se dépêtrer sans secours dans les gravats de ce chantier monumental qui aurait dû les mener dans des cieux plus cléments, qui avait souffert de retards de construction, et dont il avait l'impression d'être le contremaître auquel on avait confié un cahier des charges brouillon et évasif. Il ne savait plus ce qu'il devait faire. Sauver la baraque, certainement – mais combien de temps ça pourrait durer encore ?

« Colonel. » La voix d'Arthwÿs résonna tout à coup très clairement dans son esprit ; il tressaillit. « Que doit-on faire du sergent Havelle ?
– Rien, laissez tomber,
pensa-t-il en tournant vaguement la tête vers son lieutenant. Il était à moitié dans les vapes, ça n'a pas d'importance.
– Il était suffisamment conscient pour comprendre ce qui se passait.
– Je vais en parler avec lui.
– C'est un témoin gênant, colonel. Il sait pourquoi nous avons tué Aëran Kobal. Nous n'avons pas l'habitude de laisser d'éléments aussi compromettants sur notre passage. Il représente une menace.
– Il restera en vie.
– C'est un risque qui ne vaut pas la peine d'être couru.
– Si je dis que ça en vaut la peine, c'est que c'est le cas, et nous prendrons ce risque, Arthwÿs, c'est clair ?
– Pourquoi ? »
Le regard métallique de Roy se planta sur le visage de Léogan, tranchant d'accusation. « Vous mélangez tout, colonel, si je peux me permettre. C'est stupide.
– Je vois pas ce que vous entendez par là... lieutenant, répliqua Léogan d'un regard froid.
– C'est stupide, ce n'est pas raisonnable, et vous le savez très bien. Vos décisions personnelles ne devraient pas empiéter sur vos calculs professionnels. Veto Havelle en sait trop, il doit disparaître, ce sera simple. Et de toute façon, ce ne sont plus vos affaires depuis longtemps, même à titre personnel.
– Vous allez trop loin, Arthwÿs.
– Je le ferais moi-même si vous ne voulez pas en endosser la responsabilité. Je peux comprendre.

– J'AI DIT QU'IL RESTERAIT EN VIE ! rugit Léogan en s'avançant d'un pas brusque vers le Lhurgoyf. On le laissera en vie. Je le dois. Et il doit s'appliquer lui-même à survivre, plutôt que de jouer au héros, aussi longtemps que ses forces le porteront. C'est son devoir à lui, il doit le remplir, acheva-t-il en tournant sauvagement la tête vers Veto. Je n'ai rien de plus à dire. Évacuez-moi les blessés et remettez de l'ordre dehors. Fichez le camp. Laissez-nous. »

Alors il leva sèchement une main pour arrêter la conversation et il se détourna nerveusement. Il n'était absolument pas certain de sa décision, il avait eu du mal à la prendre, il n'avait pas besoin de l'entendre dire que c'était insensé, il le savait, oh c'était si insensé, ça ne lui apporterait rien, rien que des ennuis, des complications, encore des complications – mais dieux, il ne pouvait pas la laisser seule. Il n'en était pas capable. C'était au-dessus de ses forces de s'imaginer qu'elle vivrait dans le même abandon que lui – oh, mais peut-être qu'un instant seulement, si elle pouvait se sentir aussi isolée qu'il l'était lui, peut-être qu'elle le retrouverait – non – il n'était qu'un brillant abruti – il lui avait dit qu'ils fuiraient et disparaîtraient ensemble dans le sud, si ça n'avait été qu'un mirage, il lui avait surtout promis qu'il ne la laisserait plus vivre seule et il était en train de méditer l'idée de lui enlever le père de son enfant. Et lui, cet homme, il était là, et il était avec elle aussi, il ne pouvait pas le laisser mourir.
Oh dieux.

Il passa une main moite dans ses cheveux et se tordit les doigts avec frénésie en marchant de long en large dans la grotte, tandis qu'Arthwÿs faisait évacuer les corps des lieux, ainsi que Phoebé, qui restait prostrée et muette. Bientôt, il se trouva seul dans la Chapelle des soupirs avec Veto. Il s'arrêta. Ça ne servait à rien de se triturer l'esprit. La décision était prise.
Il prit une profonde inspiration et tenta de retrouver contenance. Au bout de quelques instants, il finit par avancer vers le jeune homme. Il s'adossa contre un mur de la grotte contre lequel il était aussi appuyé et se laissa glisser jusqu'au sol en posant ses yeux sur un point fixe droit devant lui.
Puis il tourna la tête vers le corps meurtri du gamin, qui respirait péniblement près de lui. Est-ce qu'il se rendait seulement compte dans quelle situation il s'était fourré... ? Pauvre gosse. Si jeune et déjà marqué sur tout le corps comme au fer rouge par les aléas cruels de l'existence. Est-ce qu'il pouvait vraiment penser interdire à Veto les chances d'avenir qui lui avaient échappé à lui, dont il s'était privé par négligence et par lâcheté ? Son estomac se contracta. Une moue répugnée crispa sa mâchoire et l'amertume l'inonda jusqu'à ras-bord.
C'était méprisable. Et il aurait été encore plus méprisable de le tuer. Il sentait au fond de lui que ç'aurait été davantage par envie mesquine et par vengeance que par nécessité – il ne fallait plus y penser.

« Hé ben, quand vous vous faites maraver la tronche, vous le faites pas à moitié, pas vrai, futé ? » souligna-t-il, les yeux brillants de sarcasme. Il observa un instant le jeune sergent effondré nu comme un ver près de lui et soupira exagérément. Il se débattit un moment avec sa chemise ample et réussit à s'en dévêtir malgré le froid mordant de Fellel, avant de fouiller dans la poche de son pantalon et d'en sortir une flasque de rhum. « Faut que vous vous calmiez, vous entendez ? Tenez prenez ça, dit-il, en lui tendant chemise et alcool. J'imagine que vous savez plus ce que vous avez fait de mon manteau, je me passerai de vos excuses, mais tâchez de garder ça sur l'dos au moins. » Il sourit ironiquement. « Comment vous dire... Vous tentez le diable... un peu trop souvent à mon goût. Pourtant, vous avez certaines responsabilités qui ne vous autorisent pas à jouer les trompe-la-mort comme vous le faites. Méditez ça, c'est important. » murmura-t-il en appuyant son doigt contre la poitrine de Veto, avant de se laisser aller contre la paroi de roches et de glace. Il considéra longuement le jeune homme, avant de lui sourire d'un air entre la moquerie et la curiosité. « C'est marrant quand même. Ça... donne toujours de bons résultats ? De jouer au plus futé, je veux dire ? »

Il n'avait jamais rencontré de type plus chanceux de sa vie. Et le plus étonnant, c'était cette faculté brillante qu'il avait d'exploiter toutes les opportunités qui se présentaient à lui et de s'en sortir in extremis. Il y perdait des plumes naturellement, plus que des plumes en fait – il ne put s'empêcher de laisser son regard dériver, avec une grimace imperceptible de sympathie ou de vague compassion masculine, vers l'entrejambe du jeune homme désormais couverte par la chemise qu'il lui avait prêtée – mais enfin, combien de fois avait-il frôlé la mort ce jour-là ? Statistiquement, c'était un mystère affolant. C'était peut-être ça qu'on appelait être touché par la grâce des dieux. Composer systématiquement avec le pourcentage infime de chances de se tirer de situations catastrophiques.
Enfin après tout... La philosophie de vie de Léo, c'était qu'il pouvait mourir d'un instant à l'autre. Et ce qu'il y avait bien de tragique, c'était qu'il ne mourait pas. Même en attendant que la foudre lui tombe sur la gueule au milieu d'un champ en plein orage. Non, ça ne venait pas.
Il y avait des choses comme ça qui ne s'expliquaient pas.

« Bon sinon. J'aimerais compter sur votre silence, Havelle. » Léogan réprima un frisson  et reprit sans s'embarrasser sa flasque de rhum ambré des mains de Veto. Il but au goulot et les flammes boisées et épicées qui glissèrent dans sa gorge lui embrasèrent les entrailles et lui procurèrent un effet de chaleur réconfortant. Il grimaça un peu et reboucha la flasque en reprenant d'un ton las, mais détendu : « C'est une sale affaire. Mon boulot consiste à protéger les intérêts du temple alors je vous explique, c'est assez simple, si je vous laisse en vie, il faut que vous fassiez pareil. » Il marqua une petite pause pour regarder Veto avec insistance et faire passer le message. « Il y a quelques mois, Rigane m'a fait savoir que vous aviez choisi votre camp. Je ne sais pas si... Ça a un sens de juger s'il est bon au mauvais, marmonna-t-il en reniflant un peu de dérision. Disons, une chose est sûre, c'est qu'au moins aujourd'hui, cette décision vous portera chance. Je sais aussi que vous en devez une aux prêtresses. Alors mettons simplement que c'est le moment de leur rendre la monnaie de leur pièce. Ça n'a rien de compliqué, il s'agit seulement... de vous la fermer bien comme il faut – la base de tout soldat corrompu de la garde qui se respecte, quoi. Je vous demande pas davantage de degré d'implication. Si vous faites ça, vous pourrez dormir sur vos deux oreilles, je m'y engage. » promit-il doucement, la tête inclinée en avant, mimant un air conspirateur avec un amusement cynique.

Puis il se redressa et considéra le jeune homme pensivement. Il était difficile de déterminer s'il avait déjà été mêlé à des intrigues de ce degré-là de compromission. Oh, ses liens avec Irina Dranis avaient certainement dû l'impliquer dans quelques affaires suspectes, mais son comportement, cette manière chevaleresque qu'il avait de s'adresser aux prêtresses, ses élans d'héroïsme spontanés, cette abnégation sans questionnement, tout cela portait à croire qu'il n'en avait pas encore vu assez et que ce qu'il vivait là, une machination partisane échouée, des dizaines de gardes sacrifiés à pure perte, un assassinat, et l'habituel balayage sous le tapis qui faisait le quotidien de Léogan, le silence et le mensonge, tout ça devait être à ses yeux comme une terrifiante nouveauté. Quand il y songeait... Ç’avait été une très mauvaise surprise pour lui aussi quelques siècles plus tôt. L'étonnement universel des petits pions qui entrent dans la cour des grands. Il n'y avait pas les puissants et les autres dans le monde, les corrompus et les innocents, il y avait les hommes qui savaient et ceux qui vivaient dans l'ignorance. La loi du silence était essentielle quand on était garant... « De la paix et de la sécurité » en société humaine – « personne n'a dit que ce n'était pas absurde, mais c'est votre travail », c'était ce que ce colonel dont il avait pris la place cinquante ans auparavant lui avait balancé avant de partir prendre sa retraite dans un trou paumé où il n'entendrait plus jamais parler de politique. En recevant son grade, Léogan avait déjà été l'un des rouages bien huilés de la grande machine d'intrigues canopéennes, avant de gripper salement et d'être éjecté du processus à grands coups de pieds dans le train, il avait déjà trempé dans un tas de combines vénales et sans scrupules, il en avait même instigué un certain nombre à son propre compte, mais il n'avait encore jamais été à la tête de ce genre de mécanismes secrets à grande échelle. Maintenant... Bah. Il était peut-être devenu pareil à ces gens qui l'avaient manœuvré puis jeté comme un mouchoir usagé deux cents ans plus tôt. Les hommes changent, le monde reste fidèle à lui-même.
Il esquissa un sourire compatissant à Veto, avant de lui taper sur l'épaule familièrement.

« Allez, on passe tous par là, vous vous y ferez. » murmura-t-il. Puis il fronça les sourcils et en revint immédiatement à des considérations pragmatiques. « Officiellement, Aëran Kobal était à la tête d'une troupe de bandits organisée pour ramasser le plus beau pactole de leur carrière avec une prise d'otages ambitieuse. Rien de politique là-dedans. Phoebé Fëmeril est une victime des circonstances. La Mairie n'a rien à voir non plus avec cette affaire. » Il planta son regard noir et froid sur le jeune homme et le fixa longuement sans ciller, attentif à la moindre expression qui pourrait dévoiler sa pensée. Veto ne s'en rendait certainement pas compte, mais Léogan faisait preuve d'une conciliation extraordinaire ce jour-là. Il n'était pas du genre à larmoyer quand il s'agissait de s'arracher une épine du pied, ni à hésiter une seconde à le faire d'ailleurs. Ordinairement, quand les choses ne tournaient pas à son avantage, les solutions auxquelles il avait recours étaient simples et sans ambiguïté. Aujourd'hui, Veto Havelle était chanceux – comme les autres jours il fallait croire – mais Léogan n'était pas prêt à prendre plus de risques que nécessaire pour autant. « Inutile de vous embarrasser de cas de conscience, affirma-t-il d'un ton tranchant. La vérité ne bénéficierait qu'à Bellicio de toute façon – et nous ne voulons pas qu'une chose pareille se produise, n'est-ce pas ? »
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeSam 11 Juil - 21:56

Le cri déchira la cathédrale de glace et sortit Veto de son sommeil comateux. Il avait entrouvert les yeux à la suite d’un long cri d’agonie poussé par une femme vivante au-dessus d’un homme mourant. À bout de force, Veto ne comprenait pas vraiment ce qu’il se disait là-bas, à quelques mètres. Il saisissait quelques mots ici et là, bien trop occupé à tenter de se tirer d’un sommeil de plomb trop lourd à porter et désagréable pour suivre avec minutie la conversation de conspirateurs mal informés des agissements des uns et des autres au sein même de leur propre camp. Cela même, Veto ne le comprit qu’à moitié.
De toutes les révélations ahurissantes pour lesquelles il aurait payé cher, il ne tira que des choses assez anecdotiques ou consensuelles en définitive : Cette Phoebé devait être l’amante du chef des bandits que Léogan avait tué sans procès, que le maire mangeait dans la main de la grande-prêtresse depuis longtemps et que tous en était satisfait… Rien de très surprenant, si ce n’est que l’implication de ces trois officiers militaires du corps prétorial était bien plus importante que Veto aurait pu l’imaginer. Elerinna avait réellement une armée à ses ordres contrairement à ce qu’il imaginait : quelques prêtresses espionnes, quelques soldats plus ou moins dévoués… Mais il n’aurait jamais imaginé une telle implication des officiers supérieurs. Ça n’avait presque plus rien d’officieux et lentement les forces de Veto revenaient avec la peur et l’adrénaline : il était un souriceau tombé dans un nid de serpent ! Le témoin gênant qui suivrait le chef des brigands. Il était seul dans la caverne désormais. Ses yeux embrumés s’en rendaient lentement compte. Et même s’il avait été avec le Major Rigane, il était plutôt persuadé de la savoir du côté de la grande prêtresse que du sien.
*Fenri !* Seul allié sûr dans la tempête ! Mais soudain, il étouffa cet espoir dans une crainte paranoïaque. S’ils étaient réellement décidés à le faire disparaître lui, un sergent, est-ce qu’un autre de plus pourrait seulement peser quelque chose dans la balance ? Si Fenri avait pris la défense de Veto alors qu’il était condamné par ce tribunal aux airs plus qu’arbitraire, ils seraient deux à y laisser leur peau.


« J'AI DIT QU'IL RESTERAIT EN VIE ! » Nouveau cri et Veto ne put s’empêcher de penser que c’était pour lui que cette injonction avait été proférée. Plus réveillé que jamais mais toujours immobilisé par la fatigue et les douleurs, le pauvre animorphe avait la désagréable impression que ce tribunal arbitraire était en train de statuer sur son sort et il écouta donc attentivement ce qui se disait. Ses yeux avaient encore du mal à rester ouverts et il était bien incapable de se redresser. Avachi contre la paroi, la tête tout juste posé sur une couverture en boule, le froid de la glace imprégnant depuis un moment sa tignasse qui effleurait le mur de glace. Il respirait à peine mais son regard trouva Léogan qui le fixait en parlant toujours aussi farouchement. Un devoir de rester en vie ? Ne plus jouer les héros ? Mais surtout… Pourquoi Léogan devait personnellement le laisser, lui, en vie ?

Veto regarda le colonel approchait avec anxiété. Il n’avait plus peur d’une exécution sommaire mais le doute l’avait envahi. Qu’est-ce que ces affirmations signifiaient ? Veto avait la nette impression que ce Sindarin en savait davantage sur lui que lui-même.

Finalement, il le vit détailler son corps nu. Les cicatrices de sa période d’incarcération et torture dans les cachots municipaux, la marque laissée par la sarnahroa, la longue cicatrice sur son ventre datant du jour où il avait bel et bien manqué de perdre la vie avec ses intestins… Toutes les tranches douloureuses de sa vie se retrouvaient soudain exposaient aux yeux du colonel sans plus de pudeur que celle d’un cadavre dépouillé dans un coupe gorge. Et entre toute, la partie la plus honteuse de son anatomie : son entre-jambe.

Enfin, l’officier lui adressa la parole. Parole peu claire aux yeux du condamné amnistié. Tout ce silence, toute cette attente pour une telle affirmation colorée d’un surnom trop familier pour être honnête. Des réponses, c’est tout ce que voulait Veto. Ne plus sentir ce doute lui martelait l’intérieur du crâne. De plus, il ne s’était pas tant fait
« maraver la tronche » que cela aujourd’hui. Un plexus enfoncé par une pièce de métal, le torse légèrement griffé par la tôle éventrée et pour finir, un simple coup de poing dans le visage. Veto renifla d’agacement. S’il était dans cet état, c’était davantage du fait d’avoir autant utilisé la magie, lui qui n’y était pas du tout habitué, voir adapté.

Et ce n’était certainement pas de l’alcool qui allait l’aider, lui qui ne buvait jamais. Incapable de bouger correctement, il ne put détourner complètement le visage et dû subir l’odeur écœurante du liquide lui faisant retrousser les narines.
Recouvert de cette chemise, il aurait tout de même voulut dire merci et préciser que le manteau devait se trouver quelque part entre ici et la galerie où Rigane avait été retrouvée avec Pascal. Malheureusement, s’il n’avait pas la force de se plaindre de l’odeur ou de repousser la flasque, il n’avait pas non plus la force d’articuler ce genre de choses.

Mais lorsque revint sur le tapis cette histoire de responsabilité, il fallait absolument qu’il réagisse. Les questions s’entrechoquaient dans son crâne, brouillant son esprit, jusqu’à ce doigt qui vint appuyer pile à l’endroit où le heaume avait enfoncé ses côtes. Alors ce sont les lucioles qui finirent d’achever ses idées claires qui avaient manqué de prendre le dessus. Sa vision passa au noir un instant, pendant qu’un vertige le prenait, lui qui était couché depuis plus d’une dizaine de minute.

*Calme ! Calme !*

L’une de ses mains se réanima soudain et chercha son crâne pour ne trouver que la flasque qu’il saisit et éloigna de son visage, sentant soudain que l’éthanol qui en émanait juste sous son nez faisait partie des choses qui martelaient. Et en même temps, ces émanations nauséabondes avaient eu l’effet de sels sur lui.
Rapidement, la flasque disparut de sa main et il put se prendre le front avec sa main miraculeusement glacée. Il la passa dans ses cheveux et la ramena sur son visage, humide et encore plus froide. Un coup de fouet inespéré qui le laissa rouvrir les yeux et ré-appréhender la lumière du jour et les paroles sans sens du colonel.

Son silence exigé… Les intérêts du temple… Regard insistant… Rigane au courant de son lien avec Irina… Une chance ? Aucun sens ! Rien n’avait de sens dans la bouche de cet ahuri aux oreilles pointues ! Bordel ! Ce salop n’agissait pas pour le temple mais pour Elerinna ! Il l’avait dit et prouvé plus tôt. Il cherchait à l’embrouiller encore davantage. En quoi, s’il savait que Veto était partisan d’Irina, donc contre Elerinna, cela pouvait être, foutre Sharna, une chance ! *Kesha toute puissante !* Ce Sindarin était soit fou, soit saoul ! À moins que Veto soit clairement plus mal en point qu’il n’en avait conscience et qu’il comprenait tout de travers…

Mais en mettant toutes informations contradictoires de côté, il réussit à extirpé de la mélasse qu’était le charabia de Léogan comme un début de piste concrète : s’il n’arrivait pas à savoir pourquoi il resterait en vie, il comprenait doucement comment il y arriverait.
Pourtant, son esprit d’apprenti conspirateur cherchait l’intérêt d’Irina. Pourquoi ne pas dire la vérité ? Parce que si Phoebé était révélée coupable, elle jetterait l’opprobre non pas sur elle ou sur Elerinna mais sur les prêtresses. Révéler au publique les agissements d’Elerinna en tant que dirigeante des prêtresses était une erreur. Il fallait détruire son image sans qu’elle ne puisse avoir de lien avec les prêtresses. Mais pourquoi ne pas aller dans le sens de Phoebé alors ? Faire du maire un monstre aux yeux de ses électeurs et donner tort à ce colonel qui se croyait plus malin que lui et léser Elerinna en lui retirant son pantin ! Parce qu’il serait remplacé et certainement par un autre pantin. Moins efficace au début et puis tout redeviendrait comme avant.

Plus malin que Veto ? Léogan l’était peut-être. Certainement même. Cette affaire n’apparaissait pas au débutant Havelle comme possiblement avantageuse pour son propre camp. Il avait simplement assisté à un magnifique gâchis macabre et maintenant, comme Léogan le disait si bien, il n’avait plus qu’à « la fermer bien comme il faut ».
*Pourri !*

Veto fixait depuis un moment le plafond, les sourcils froncés et la main toujours sur le front. Il se savait scruté et il sentait la tension malgré l’air nonchalant de son interlocuteur. Il jouait sa vie sur cette réponse et il y avait de forte chance qu’il n’avait pas la possibilité de bluffer…
La résignation le prit et sa main revint le long de son corps. Ses yeux se fermèrent et avec eux son envie de se battre contre cet être trop fort pour lui. Le pion venait de se faire damer par une pièce maîtresse et cela n’avait rien de surprenant…

Un râle s’extirpa de sa gorge alors qu’une larme –de rage ou de dépit– s’extirpait elle de ses cils.


« C’est d’accord… »

Léogan était déjà debout et pour lui tout semblait déjà entendu. Il le dégoutait et en même, ce militaire semblait exceller en politique… Il aurait voulu inverser les rôles et se trouver avec les mêmes cartes en main que ce Sindarin. Alors il aurait réellement été utile à Irina…
Un pion face à une tour, un petit soldat de pacotille inutile face à un colonel corrompu jusqu’à la moelle et complètement investi dans ce qu’il faisait.

Beaucoup de questions sur les élucubrations que sortait l’atout de Elerinna virevoltaient dans l’esprit de Veto mais il ne voulait pas rouvrir les yeux. Il ne voulait pas adresser la parole à cet être abjecte qu’il désirait finalement être même s’il se persuadait qu’il pourrait l’incarner autrement.

Contradictions et amertumes…
C’est tout ce que Veto tirerait de cette aventure. Ça et une réputation non négligeable.
Parmi les officiers supérieurs, il avait confirmait une certaine rumeur sur sa personne. Dans le futur, cette mission qui était officiellement un franc succès, lui conférerait la réputation d’être un militaire intrépide et atypique : un soldat intelligent et réfléchi, qui n’hésitait pas à donner de sa personne pour mener à bien une mission, ne reculant devant aucun risque ou sacrifice.
Mais d’un autre côté, des racontars ne tarderaient pas non plus à circuler sur son compte parmi les moins gradés, parlant d’estropié, d’impuissant et parfois d’eunuque. Fort heureusement, ce sont les plus grosses rumeurs qui marquent les esprits et qui semblent en même temps les moins vraies. Ainsi donc, beaucoup de soldats penseraient Veto handicapé sans jamais réellement savoir de quelle manière… De toute façon, d’ici quelques jours, Havelle allait s’inscrire à l’école des officiers et devenir l’un des plus talentueux aspirants et ce bien qu’il ne soit pas encore Major. Bien sûr, il supportera les railleries de la part des autres aspirants jaloux de ses facilités cognitives. Mais une fois son grade de Lieutenant obtenu, il aura tôt fait de mâter les quelques subordonnés plus enclins à ricaner qu’à suivre ses ordres. Car le galon donne quelques prérogatives qu’il ne manquera pas d’utiliser pour se faire un nom un peu plus respectueux. Chose d’autant plus aisée que très tôt après cette mission dans les grottes de Fellel, il fit une excursion avec une prêtresse du nom de Lehoïa durant laquelle, il comprit pleinement que ses objectifs demanderait des sacrifices bien plus grand que ce qu’il n’avait jamais pu imaginer.

En montant les échelons il espérait bien devenir utile à Irina, devenant petit à petit le supérieur aigri et détestable qui lui avait ici donné des conseils qu’il suivrait plus ou moins inconsciemment : se faire oublier, accepter de taire la vérité pour une cause plus grande, protéger les intérêts d’institutions aux idéologie noble et ce même si leurs dirigeants n’étaient pas en accord avec leurs mensonges. Et surtout, se taire et attendre son heure, planifier en silence et attendre le bon moment pour jouer ses cartes.

Et ceci étant, il commença à faire des recherches sur les visions ésotériques qu’il avait eu dans la caverne et un jour, il y reviendrait…

Mais pas seul.
Revenir en haut Aller en bas
:: The Boss ::

|| Informations ||
Fonction:
Pouvoirs, spécialités & Don:
Relations & Contacts:
Le Messager
:: The Boss ::
Le Messager
MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitimeMer 14 Oct - 18:43

Cette quête a été menée à bien.
L'armure a été obtenue par Léogan Jézékaël.



Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) 744275Sanstitre1
Revenir en haut Aller en bas

Contenu sponsorisé

MessageSujet: Re: Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)   Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto) Icon_minitime

Revenir en haut Aller en bas
 
Garadrhim, l'armure maudite (Mission avec Léogan et Veto)
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» A la recherche d'une armure? [quête Garadrhim]
» Mission L'ANIMALERIE avec Ylivi
» Répandre la joie [mission avec Alana Cartaigh]
» Garadrhim JE VIENNNNNNNNS!!!
» Léogan Jézékaël

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Istheria, le monde oublié :: La Communauté & ses échangesTitre :: • Corbeille :: • Les vieilles aventures-
Sauter vers:  

(c) ISTHERIA LE MONDE OUBLIE | Reproduction Interdite !