Un long chemin

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 Un long chemin

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Anonymous Invité
Invité

MessageSujet: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeJeu 13 Mar - 21:09

Malona était un petit bout de femme aux allures de jeunette d’une vingtaine d’année. « Jeune » Sindarin, elle avait en réalité plus de 200 ans. Pour dire qu’elle avait roulé sa bosse la petite. Pourtant, ce n’était que depuis peu de temps qu’elle s’était mise en tête d’aller fouiner aux quatre coins du monde à la recherche de minéraux.
Après avoir rencontré de nombreux spécialistes et passionnés de minéralogie, elle en avait découvert les vertus et les associations possibles faisables avec la flore. N’ayant pas ouvert de boutique après s’être installée en Eridania, elle n’avait pas d’attaches particulières et ne risquait donc pas grand-chose (à part sa vie) à partir à l’aventure à la découverte de l’inconnu.
C’est pourquoi elle s’était mise en chemin, vêtue de petite bottines en cuir vieilli marron à lacets, une jupe cousue main en cuir également arrivant aux genoux (Comme ceci) ainsi qu’une veste style médiévale en cuir noire sans manches, avec laçage sur le devant porté sur une chemise large blanche. Un balluchon pendouillait au bout d’une vieille bêche rouillée reposant sur son épaule.
Elle était sur la route depuis quelques jours déjà, et était arrivé dans la région de Cimméria, et plus précisément dans la cité de Hellas. Elle avait trouvé un petit logement au chaud dans une taverne dans un quartier résidentiel et y avait posé ses bagages le temps de fouiner dans les alentours, prenant sa forme animale pour ne pas être interrompue à tout bout de champs par de vils inconnus. Toujours être sur ses gardes dans les contrées méconnues.
Au bout de quelques jours sur place, elle avait trouvé son bonheur, du grenat… bleu ! C’était extrêmement rare. Un large panel de couleur existait pour ce petit bijou, mais le bleu n’en faisait que très rarement parti.
La température n’était pas adaptée aux vêtements qu’avait pris la Sindarin dans son balluchon, et n’avait pas pensé, évidemment, à prendre sa bourse en partant de chez elle. Elle logeait donc aux frais du tavernier en échange de petites concoctions miraculeuses à base de plantes pour faire planer ses clients qui se montraient alors généreux. De ce fait, elle voulait rentrer chez elle préparer un plus large choix de vêtements et repartir dans une région tout autre.
Avant de préparer son retour, elle avait observé sur sa carte de baroudeur le chemin qu’elle souhaiterai prendre. Son « garde meuble » se trouvait sur Hesperia. Elle faisait glisser son doigt sur sa carte d’Isthéria afin de citer et noter son parcours.

- La cité de Hellas est au nord… Et je veux aller…

Elle ferma les yeux, fit tournoyer son doigt au dessus de la carte, et planta son ongle sur un point précis en criant « ICI ». Elle rouvrit les yeux avec une petite moue.

- Bouh… c’est loin… La Jungle… Ilani ? Jamais entendu parler… Mais le hasard en a décidé ainsi ! DONC…

Et elle reprit son énumération.

- La cité Hellas, le Labyrinthe de Zaléra, Hesperia où je ferai une petite halte, Taulmaril, Ridolbar, les Criques, puis il me faudra trouver une embarcation pour traverser la mer et me rendre sur les Places de Ohons, passer par les cascades florissantes pour terminer dans ma jungle.

Son visage s’illumina… Elle avait en effet entendu parler de cette jungle. Un vieillard accro aux minéraux lui en avait touché un mot. Une petite légende sur une pierre extrêmement rare mais aux vertus thérapeutiques inimaginables, presque au-delà de la magie…

- Adjugé ! Mais… Toute cette route, toute seule… mouais…

Elle descendit alors voir le tavernier pour lui parler de son projet et de sa recherche de compagnon. Au bout de quelques boissons réchauffantes, il lui parla d’un colonel qui était dans les parages. Un certain Léogan Jéz.. Jéza… Oups. Le nom échappa au tavernier dont le nez commençait à rougir, ce qui laissa supposer à Malona qu’il n’était pas impossible qu’il avait glissé dans sa boisson un brin de liqueur.

Le lendemain, après des recherches un peu plus poussées auprès de la population locale, elle avait trouvé le lieu-dit et se trouvait face à une grande porte en bois.

- Bon, si il habite ici et que j’arrive à le convaincre de partir avec moi, ce serait parfait !

Elle n’imaginait pas que ce n’était pas du tout à la portée ni le souhait de quiconque de partir faire un tel chemin, mais elle était ravie de faire route avec quelqu’un, et elle tenterait sa chance.

TOC TOC TOC…
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Anonymous Invité
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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeVen 14 Mar - 15:06

A quelques rues du temple de Kesha, il y avait une avenue qu’on appelait « Le Point du Jour » et qui était voisine de l’artère centrale qui coupait Hellas de part en part – si le nom de l’endroit fleurait bon la poésie et la flânerie des promenades, ses habitants avaient un caractère un peu plus revêche, et tout particulièrement en ce qui concernait le colonel Léogan Jézékaël, qui y habitait depuis son affectation dans le corps prétorial de l’armée cimmérienne. Le Point du Jour avait été réquisitionné depuis bien longtemps par la garde pour y loger un bon nombre de soldats au service des prêtresses de Kesha ; et c’était ce pourquoi elle ne portait pas si mal son nom. Elle prenait vie à l’aurore, quand les hommes et les femmes du corps prétorial s’éveillaient, se tenaient prêts et partaient dans la discipline occuper les postes qui leur étaient assignés. Cette heure passée, la rue s’assoupissait et redevenait plus silencieuse et plus calme qu’un cimetière.
Pour ne croiser personne qu’il aurait pu connaître et qui aurait eu la mauvaise idée de vouloir bavarder avec lui de bon matin, Léogan se levait avant les soleils et traversait d’un pas vif et hâtif la rue du Point du Jour encore déserte.

Cette froide matinée de Tymbé n’avait pas fait exception à la règle. A dix heures, Léogan était depuis longtemps occupé à distribuer des ordres au temple et dans la caserne, à recevoir tel soldat, tel homologue ou telle prêtresse qui lui communiquaient tous leurs petits ennuis comme autant de drames quotidiens, ou à examiner les enquêtes qu’il menait dans les autres corps de l’armée – à la demande d’Elerinna parfois, mais le plus souvent de son propre chef : il se tramait toujours dans la garde un nombre incroyable de conspirations insidieuses, fruits des intrigues politiques menées par les divers partis qui s’opposaient à la tête de l’Etat. Il n’y avait rien que Léogan exécrait plus que de faire la police. Il aimait ses hommes, défendait leur valeur envers et contre tous et aurait voulu les croire sans défaut, mais dans le corps prétorial comme ailleurs, les déloyaux et les vendus proliféraient ; et la fière armée de Cimméria, s’il n’en épluchait pas les entreprises régulièrement, aurait pu pourrir aussi vite que l’administration se gangrénait. Cela, il ne l’aurait pas supporté.

Vers dix heures, donc, Oria Val’rielan, collègue et homologue de Léogan, vint le saluer dans son bureau – elle avait toujours soin d’attendre quelques longues heures avant de venir troubler le travail matinal de son compagnon, qui avait la réputation de ne jamais se lever de bon pied et d’être à son réveil plus misanthrope que jamais.
Ils partagèrent un thé au jasmin, à la citronnelle et au gingembre, dont le goût leur resta longtemps sur la langue, qui eut le mérite d’apaiser leurs nerfs et même de les satisfaire un peu de leur matinée. Ils parlèrent un moment de l’arrangement de leurs tâches, avec le sérieux et l’exclusivité de deux travailleurs maniaques ; puis soudain Léogan laissa échapper un juron.
Il avait laissé chez lui un important document qu’il devait remettre à Oria et sur lequel il avait travaillé la veille. Il se leva tout à coup, accrocha précipitamment son double fourreau à sa taille, revêtit son long et vieux manteau de cuir noir par-dessus sa chemise et sortit en trombe de son bureau.

Dehors, le ciel était d’un bleu limpide, et la journée battait son plein. Les soleils flattaient le fût des toits, leurs rayons rutilaient sur les tuiles comme des bolides étincelants et dégoulinaient des toits avec des odeurs de foin coupé, de fruits et de pain chaud. Les rues étaient chahutées par la foule et les pavés claquaient sous le pas des passants. L’air, lui, était glacial. Avec la fin de la saison chaude, le temps s’était brutalement refroidi à Cimméria, et s’il ne pleuvait pas encore des cordes, le froid tentait de rudes percées pour retrouver tout son empire sur le royaume des glaces.
Léogan lança un regard hargneux au ciel d’un bleu trop pâle, qui portait pourtant tant de promesses, et laça rapidement son manteau en se frayant un chemin parmi les passants. Il avançait furtivement, répondait aux quelques saluts qu’on lui adressait par des gestes de la main expéditifs, mais peu à peu, malgré les bourrasques qui lui giflaient la figure, l’air froid et vivifiant venait emplir ses poumons d’une jeune énergie, la lumière des soleils caressaient agréablement sa peau et le peu de chaleur qu’il ressentait lui rendait un peu d’entrain. Finalement, il parut dans la rue déserte du Point du Jour d’un pas plus léger, comme s’il s’était délesté du poids de toute son existence morose et administrative en mettant un pied hors de son bureau à une heure peu conventionnelle.

Il sortit une pomme de la poche de son manteau, la frotta d’un geste vif contre sa manche et la fit sauter dans le creux de sa main jusqu’à arriver devant chez lui.
Léogan habitait une vieille maison en colombages qui paraissait d’un autre âge et qui s’encastrait entre d’autres maisons aux extérieurs propres, plus neufs et moins boisés. Sa façade était flanquée de fenêtres à croisées, qui s’y enfonçaient sous le couvert de solides poutres sombres et vernies, agrémentées de volets pliables peints dans un blanc qui commençait à s’écailler. La maison était en outre coiffée d’un toit à un versant et demi de briques orange et noircies, et cela lui faisait comme un chapeau bizarre qui avait l’air de vouloir se précipiter sur le pavé, mais qui n’en faisait rien, soutenu par une charpente fort solide.

Jusque là, tout allait bien. Personne ne l’avait accosté trop fâcheusement et cette escapade imprévue le faisait presque fredonner de contentement. Mais lorsque Léogan s’approcha de chez lui, il repéra la silhouette d’une jeune fille inconnue qui avait l’air de chercher son chemin et qui arrêta ses pérégrinations songeuses devant sa maison à lui – et il sentit qu’il serait bientôt affligé de quelque nouvelle contrariété. Il eut une petite grimace ennuyée et croqua d’une dent un peu coriace dans sa pomme alors que la jeune fille montait la volée de marches qui menait à l’entrée, laquelle se cachait dans l’ombre d’un jeune tilleul au parfum frais et qui se laissait escalader par un lierre sauvage.
Personne ne venait jamais cogner à sa porte sans être porteur d’une tripotée de problèmes – et il était bien content d’être presque toujours absent pour ne pas avoir à ouvrir à tous ces importuns.
En l’occurrence, il avait le choix. Il pouvait tout aussi bien tourner les talons et prendre ses jambes à son cou, d’autant plus qu’il ne connaissait pas cette fille et qu’il ne lui devait rien du tout. Et puis elle n’avait pas l’air du pays (il fallait être complètement marteau pour se pointer à Hellas en jupe courte). Les gens normaux, ici, ne s’habillaient peut-être pas aussi chaudement que Léogan, qui portait de tout temps un pantalon bouffant, un lourd manteau à capuche, de bonnes bottes et une écharpe, mais ils tenaient assez à leur santé pour se couvrir conséquemment. Bien, si elle n’était que de passage – il fallait l’espérer – elle ne viendrait pas l’ennuyer de sitôt dans le cas où elle ne le rencontrerait pas. Il fallait partir, et vite.  

Mais Léogan restait planté là comme un piquet, immobilisé par un sentiment de culpabilité anticipé qui le laissait apathique. Il croqua à nouveau dans sa pomme avec une certaine irritation et la fille finit par repérer sa présence. Il répondit à son regard par un sourire bancal qui trahit visiblement son dépit.

C’était un tout petit bout de femme. Elle avait sur le visage un air d’étonnement naïf, et de grands yeux verts qui s’ouvraient sur le monde, pleins d’une éclatante ingénuité. Sa tête dodelinait d’un côté avec une rêverie poupine et ses cheveux orange suivaient le mouvement avec la souplesse des beaux tissus. C’était une jolie petite poupée, joliment habillée, dont le visage mignon s’agrémentait de jolies tâches de rousseur sur un nez tout aussi joli, avec une petite bouche charnue en forme de cerise, une gorge gracile, un buste harmonieux et des jambes joliment déliées.
Qu’est-ce qu’une gamine comme ça pouvait bien lui vouloir à lui ?! Il en fallait quand même plus pour attiser sa curiosité – et surtout pour le forcer à rester causer et badiner, une tasse de thé à la main – mais ce n’était vraiment pas le genre de personnes qu’il avait l’habitude de recevoir. Il resta sceptique encore quelques secondes, le sourcil levé et l’air un peu contrarié, puis il finit par s’avancer vers les marches d’escalier, devant lesquelles il s’arrêta, sans avoir encore tout à fait décidé d’accepter ou non cette entrevue.

« Vous pourrez frapper autant que vous voudrez, personne ne vous répondra : il n’y a personne ici, à cette heure de la journée, lâcha-t-il, avec la mine désintéressée d’un passant, avant de croquer à nouveau dans sa pomme. C’est Léogan Jézékaël, que vous cherchez ? »


Dernière édition par Léogan Jézékaël le Sam 20 Sep - 23:03, édité 1 fois
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Anonymous Invité
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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeVen 14 Mar - 16:17

Un petit courant d’air glacial vint caresser les jambes de Malona et fit hérisser jusqu’au dernier, chaque poil de sa peau rosée. Elle gigotait, se frottant les jambes l’une contre l’autre pour les réchauffer, ayant certainement l’air d’avoir une envie pressante, en attendant que cette porte s’ouvre. Elle avait fermé ses yeux afin de se changer les esprits et tentait de deviner les parfums alentours… tilleul… quelle étrangeté qu’un arbre pareil poussait dans les environs glaciers, mais dans le domaine de la flore, plus rien ne pouvait la surprendre. Elle reniflait encore… Saule réticulé, une plante naine, sans grande odeur ni vertus mais qui pouvait former un tapis trèèèès confortable sur lequel Malona pouvait passer des heures à roupiller. Son petit bout de nez s’agitât alors, et… Pomme ! Une délectable odeur de pomme vagabondait dans les airs, ce qui la fit pivoter sur elle-même. Le bruit qui s’en associait aussi parvint jusqu’aux oreilles affûtées de la Sindarin.

Elle avança timidement de quelques pas, manquant de trébucher sur la plus haute marche de l’escalier qui menait jusqu’à cette porte puis se stabilisa. Elle plissa alors les yeux, la lumière flamboyante venue des astres solaires pénétra jusqu’au plus profond de son œil et l’aveugla un instant. Le temps que ceux-ci s’adaptèrent à la luminosité, la lourde silhouette brunâtre avait approché, et la salive dans la bouche de Malona se mit à décupler. Hmmm, l’odeur de la pomme…
Son ventre se mit alors à causer, il criait famine ! Pour le faire taire, elle donna de petits coups discrets dans celui-ci.

Elle aperçut enfin distinctement l’homme qui se tenait à quelques marches d’escalier d’elle. Contrairement à elle, il ne semblait pas avoir froid. Il était chaudement couvert d’épaisses couches de tissus et les frissons reprenaient place sur le menu corps de Malona. Elle colla sa main sur son front afin de cacher un peu la lumière et de distinguer encore mieux son interlocuteur. Elle haussa à son tour un sourcil, puis l’autre. C’était un jeu qui l’amusait drôlement. C’était un petit garçon dans un village perdu en montagne qui lui avait appris à faire ça, et depuis elle ne se lassait jamais, trouvant le moindre prétexte pour montrer sa dextérité sourcilière.

C’était un homme, c’était une chose certaine. Mais la sindarin n’aimait pas se prononcer sur l’âge possible des personnes qui se tenaient (ou non) en face d’elle, car elle savait que de nombreuses peuplades vivaient sur ces terres, et que comme elle, elles pouvaient sembler jeunes mais être… vieilles. Elle fut coupée dans ses pensées par ce même homme.

- Vous pourrez frapper autant que vous voudrez, personne ne vous répondra : il n’y a personne ici, à cette heure de la journée. C’est Léogan Jézékaël, que vous cherchez ?

Malona vit alors… la pomme. Elle se pinça la lèvre avec sa canine quasi animale à tel point qu’elle l’entailla. Puis elle réalisa que c’était à elle qui s’était adressé.

- Hein ? Pardon ?

Elle abaissa sa main de son front, voulu s’avancer vers ce brave monsieur qui avait pris la peine de la renseigner, et loupa, comme il se doit, la première marche. Malona vint s’étaler comme une bouse de vache, la tête aux pieds de cet homme. Sa mâchoire aurait pu être triplement fracturée, ainsi que ses poignets, mais son pouvoir incontrôlé de se rendre flexible en cas de chute s’avérait très utile.

- « Ah, tant pis » lâcha-t-elle après avoir réalisé ce qui lui avait dit, en prenant le soin de rester face contre terre. Elle réfléchit un instant, puis se tourna comme une crêpe pour se mettre sur le dos, allongée, les pieds sur les premières marches de l’escalier. « Vous savez où je pourrais le trouver ? J’ai une proposition à lui faire, j’ai vraiment besoin de lui. ». Elle esquissa alors un large sourire en tendant sa main vers l’homme pour le saluer, et non pas même pour qu’il l’aide à se redresser.
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Anonymous Invité
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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeSam 15 Mar - 2:26

La pauvre fille avait l’air accablée de tous les maux du monde – la faim, le froid, l’insouciance, la maladresse – ainsi que d’un optimisme malencontreux qui l’encouragea à persévérer gentiment auprès de Léogan.
Il eut un sursaut alerte quand elle glissa dans le petit escalier de pierres et eut à peine le temps de lever la main pour la prévenir qu’elle s’était déjà cassé la binette. Il serra la mâchoire comme s’il ressentait lui-même la douleur de la malheureuse accidentée. Toutefois – et c’était dire qu’elle disposait aussi d’une chance stupéfiante ou peut-être d’un crâne en acier trempé – elle ne sembla pas très affectée par sa chute et se retourna tranquillement pour causer comme si de rien n’était, en observant Léogan en parfaite contre-plongée, affalée devant ses deux pieds.
Elle avait sur la figure un grand sourire désintéressé et un air bizarrement détaché qui surprit d’abord Léogan, et qui fit doucement frémir ses lèvres jusqu’à former une sorte de petit rictus amusé.
Et puis elle lui avait tendu la main avec un naturel désarmant, en s’attendant manifestement à ce qu’il la lui serrât à l’envers, comme si c’était la chose la plus évidente du monde. Trop décontenancé pour refuser cette avance, Léogan lui offrit une ferme poignée de main, et il lui fallut quelques autres instants pour avoir l’idée de la remettre sur pieds. Il la tira fermement par le bras et elle se retrouva sur ses deux jambes, aussi fraîche et pimpante que si elle n’avait pas dévalé une volée de marches sur le menton.
Il l’inspecta de haut en bas avec un certain scepticisme, mais il apparut qu’elle n’avait réellement pas souffert de sa chute. Surpris, et néanmoins rassuré, Léogan ne tarda pas à déterminer quelle réponse il devait lui faire pour pouvoir retourner aussi sec à ses importantes charges de colonel – qui consistaient principalement à remplir de la paperasse chaque jour que les dieux faisaient…

« Vous avez besoin de lui ? Ha ha ! s’esclaffa-t-il. Eh bah, je vous souhaite bien du courage ! Léogan Jézékaël est un militaire bougon, acariâtre et un rabat-joie plein de mauvaise foi, énuméra-t-il, très machinalement. Non, écoutez, si j’étais vous, je passerais mon chemin, je m’trouverais quelqu’un d’autre. »

Il sourit sarcastiquement et désigna d’un geste hâtif la jupe de la petite Sindarin en ajoutant :

« Et puis j’irais acheter de quoi m’couvrir un peu les guibolles, ça m’éviterait de choper une pneumonie. Pensez-y. »

Evidemment, il aurait pu l’inviter à rentrer chez lui pour se réchauffer, pour satisfaire l’appétit de son estomac qu’il entendait gronder d’ici, pour l’écouter déballer son laïus – mais alors, il lui serait rendu presque impossible de la mettre à la porte. Il préférait, et de loin, s’appliquer au mensonge et à la mauvaise foi, qui étaient peut-être les outils les plus utiles mis à la disposition des hommes pour leur assurer la paix.
Mais Léogan n’éprouvait pas vraiment l’envie de rentrer à son bureau, de remettre le nez dans un énième rapport sans transcendance, et de finir sa petite journée sans curiosité – et alliée à ce ressentiment égoïste, la petite mine déconfite de la rouquine finit par inspirer un peu de pitié à son cœur. Il soupira doucement en sentant ses défenses s’effriter, et mordit rageusement dans sa pomme pour se venger par avance de la concession qu’elle s’apprêtait à lui arracher.

« …et vous lui voulez quoi, au juste, au Jézékaël ? »

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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeLun 17 Mar - 23:21

Une petite goutte de la pomme juteuse fraîchement entamée vint se planter dans l’œil vert de Malona. Elle fit la grimace, tout en écoutant ce monsieur parler, en essayant de s’essuyer l’œil. D’un revers de doigt, la bouche ouverte comme si on mettait du mascara, papillonnant des cils elle parvint à apaiser la gêne.
Le discours qu’il tenait là n’était pas celui que le tavernier ivre avait fait du colonel. On parlait de lui comme étant un homme vaillant avide d’aventures, sympathique et…

- « C’est vous, hein ? » Malona était sûre d’elle, et elle esquissa son plus beau sourire en coin, super fière, mais ne voulant pas le dévoiler. « Je sais que c’est vous. Vous avez typiquement le discours du mec concerné qui n’a pas envie d’être dérangé et qui fait mine d’être hors de l’affaire. Mais n’ayez crainte, j’viens pas vous embêter, ou juste un peu...»

Elle ne laissa pas le colonel parler, elle se mit sur la pointe des pieds pour arriver à sa hauteur et pris ses aises, elle lui colla son petit doigt sur la bouche pour qu’il n’intervienne, lui piqua sa pomme de l’autre main, loucha dessus, croquant dedans, savourant son jus, prit sa respiration et…

- C’est pas possible de faire ça, c’est pas très sympa d’ta part, j’peux t’tutoyer ? Super, j’te tutois. Je m’appelle Malona, j’suis pas du tout du coin, mais on m’a dit pas mal de choses sur toi et ça concorde avec mes attentes. Que j’t’explique, j’suis pas là pour jouer les marioles et puis j’suis pas une gamine, faut m’prendre au sérieux ! Ces derniers dires étaient peu convaincants mais elle enchaîna, pinçant à présent la bouche de son auditeur pour être sûr qu’il ne lui coupe pas la parole. J’viens de réquisitionner pour être mon compagnon de route. Je veux traverser nos jolies terres, j’veux voir du pays et trouver un petit truc. C’pas trop loin, t’en fais pas, quelques jours de marche… Elle leva les yeux au ciel afin de cacher son mensonge, mais en vain… Bon, ok, c’est super loin, la Jungle Ilani ! J’sais pas raconter du pipo… mais je veux paaaaaaaas être seule, j’ai la trouille. J’te paye, tu veux des sous ? Des potions ? J’ai b’soin d’toi, j’connais personne ici, j’suis gelée, j’ai la trouille, et, et…

Après un court instant de réflexion, elle n’avait pas même compris ses propres mots… Elle lâcha alors sa prise, lui rendit sa pomme dans laquelle de grandes traces de crocs apparaissaient puis sourit à nouveau tout en lui faisant des yeux de biche. Ses mollets commençaient à fléchir, elle se remit sur ses talons, se recoiffa d’un chignon mal attaché puis souffla.

- Vous avez compris quelque chose à ce que j’ai dit ?

Ce n’était pas dit sur un ton méchant, elle se posait réellement la question, étant elle-même incertaine…

- Je peux reprendre du début si vous voulez…

Une autre chose dont elle était incertaine c’était son droit de parler à un colonel de la sorte, et s’en rendant compte, elle glissa ses mains dans le dos, baissa la tête, regarda ses pieds qui jouaient à la bataille du « dessus-dessous » et bougea les épaules de droite à gauche, toute penaud.
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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeJeu 20 Mar - 18:08

« Attendez, qui vous dit au juste qu’c’est bien m… » protesta virulemment Léogan, les sourcils froncés et le regard noir.

Mais la fille ne lui laissa pas le temps de s’enfoncer dans son mensonge, qui avait manifestement du plomb dans l’aile, et, haussée sur la pointe des pieds, elle lui posa un doigt sur les lèvres, le dépouilla de sa pomme qui lui donnait un air si parfaitement désintéressé tout à l’heure, et commença à babiller une tirade volubile et étourdissante.  
D’abord, tout ce que Léogan parvint à faire, ce fut d’ouvrir deux grands yeux ronds comme des billes et de regarder fixement la rouquine qu’il commençait à trouver envahissante. C’est qu’elle venait sérieusement empiéter sur son petit espace vital – il n’était pas très tactile, comme type, et ce genre de licence lui mettait les nerfs en pelote.
Quand il comprit où elle venait en venir et dans quelle galère elle l’embarquait avec la tartine qu’elle débitait à toute vapeur, elle lui pinça les lèvres et il tressaillit brutalement. Il lui attrapa la main et batailla pour la tenir éloigner de sa bouche, tout en essayant de l’interrompre.

« Ah, non, éclata-t-il catégoriquement. Ah non. Non, mais vous vous foutez de moi… ? Non, non, c’est non ! Non, mais vous êtes dingo ?! s’écria-t-il d'un ton où se mêlait l'indignation et le vertige. Non, non, non, écoutez, non, non mais vous rigolez ? Non, non, mais j’vais vous dire pour… C’est tout bête. J’… Mais n… Il est hors, hors… Puis merd… Laissez… Voilà, et… Je… Hmf… »

Il poussa un profond soupir et renonça, la mâchoire serrée, les yeux baissés par terre pour contenir son emportement – et il rencontra les deux belles gambettes de la petite Sindarin, dont le galbe était joliment cambré. Il releva aussitôt son regard vers le ciel, avec un autre soupir agacé, et quand il sentit qu’elle commençait à faiblir et à larmoyer un peu, il brandit ses deux bras en l’air et s’exclama :

« Bon ! Ca va ! Ca va, ça va, stop ! »

Il respira comme un athlète sorti d’un marathon, sortit un mouchoir de la poche de son manteau et commença à s’essuyer le visage, plus par nervosité que par nécessité.

« Vous êtes fine, vous, hein ? » lui lança-t-il, avec un sourire gêné qui ressemblait à une grimace. « Bon. Alors, d’abord, de deux choses l’une, ne refaites jamais ça, c’est vraiment très, très, très, très agaçant. Ensuite, pas tout d’suite, le tutoiement, j’aurais trop d’mal à faire pareil, et puis ces choses-là, quand ça vient un peu trop vite, j’vous jure, ça me met d’travers. Enfin, je sais pas quel sinoque vous a dit de frapper à ma porte, parce que sans blague, je suis vraiment pas le genre de personne à qui on d’mande service… Enfin… Oui. Allez, tirez pas cette tête-là. »  

La pauvre Malona avait la mine plus déconfite que jamais, elle s’était mise à grelotter, à blêmir et à le vouvoyer à nouveau, en se recoiffant nerveusement. Elle le fixait de ses deux grands yeux verts avec un air de supplication irrésistible. Léogan s’efforça de paraître impassible, et jeta un coup d’œil à sa pomme bien entamée, pour remarquer avec stupeur les formidables traces de dents que la rouquine y avait laissé. Finalement, il haussa les épaules, croqua une dernière fois dedans et leva les yeux vers le ciel en avalant sa bouchée et en songeant à ce qu’elle lui avait déballé. Soudain, son regard s’illumina et son cœur bondit dans sa poitrine.

« La jungle Ilani, vous dites ? » demanda-t-il, en roulant les syllabes dans sa bouche, comme touché par une grâce inespérée.

Son cerveau fut soudain inondé d’images hallucinées, de sons si fracassants que ses oreilles en bourdonnèrent, et d’un foisonnement de couleurs, de sensations refoulées et de souvenirs qui n’avaient attendus qu’une incantation pour être ranimés. La jungle apparut dans son crâne presque aussi distinctement que s’il y avait été plongé physiquement – la profusion de sa végétation, son soleil moite et brûlant et l’énergie décuplée de son monde irradièrent dans son sang et enflammèrent ses veines. Il prit une profonde inspiration et sa gorge se noua.

« Hm… fit-il, les yeux brillants d’émotion et remplis d’un espoir saisissant. Tenez, allez, rentrez, on est pas des animaux. »

Le cœur battant à la chamade, le regard hanté par des images aveuglantes, Léogan sortit d’un geste fébrile une lourde clef en cuivre un peu tordue et un peu rouillée du fond de la poche de son manteau, monta les marches en pierres et, sous les feuilles du tilleul, ouvrit la porte d’un cliquetis sonore. Il poussa son battant, les gonds grincèrent et la maison s’ouvrit à Malona. Une odeur de bois vernis et de feu de cheminée éteint s’échappa de ses profondeurs et ils eurent une impression de chaleur qui les fit frissonner.
Léogan fit signe à la petite rouquine frigorifiée d’entrer expressément et lui emboîta le pas une fois qu’elle eût passé le seuil de la maison. La porte se referma dans un grondement de tonnerre sur les bourrasques de la rue. Léogan ôta ses gants, les coinça sous son bras et se frotta les mains vigoureusement, en lâchant un soupir de soulagement.
En réalité, la maison s’était endormie dans les odeurs de cendres froides de la cheminée, depuis le départ silencieux de Léogan à l’aube. Il se tourna vers Malona, qui devait être assez désappointée, et haussa les épaules d’un air contrit. Puis il commença à avancer d’un pas vif dans le couloir de pierres nues dont le très haut plafond ressemblait à des ramifications de chêne, tant il y avait des poutres pour le supporter et qui partaient toutes dans des directions bizarres et hétéroclites. Le couloir était éclairé par une large lucarne au-dessus de la porte et menait à un escalier en colimaçon tout en bois, qui tournoyait et menait à un petit balcon, dont on apercevait la balustrade en levant un peu la tête. En réalité, d’autres lumières miroitaient mystérieusement sur les pierres blanches des murs, venaient jouer avec l’ombre des poutres au-dessus de leurs têtes comme des fééries aurifères et suggéraient l’existence d’autres fenêtres qu’on n’apercevait pas depuis le rez-de-chaussée. Les jeux de lumière insufflaient une vie étrange au couloir dont la clarté oscillait sans cesse, se mouvait sans qu’on ne pût tout à fait comprendre ses transformations, et découvrait inopinément de nouvelles curiosités laissées dans l’obscurité quelques instants plus tôt.

La voix de Léogan s’éleva dans des notes graves et rebondit sur les pierres jusqu’à finir en échos polyphoniques dans les hauteurs cathédrales de la maison. Ses cheveux lui tombaient sur le visage et ses traits se fondaient dans l’ombre ; la lumière se jetait dans ses yeux noirs et les irisaient d’un éclat mystérieux.

« Hm, hm… marmonna-t-il, d’une voix pensive. C’est intéressant. C’est… Très intéressant – et pas nécessairement pour votre argent, ou vos…potions ? Tout n’s’achète pas, vous savez, et moi encore moins. Enfin bref ! Si ça ne tenait qu’à moi… commença-t-il, avec une certaine hésitation. J’vous dirais sûrement oui… Mais vous voyez, c’est loin, El Bahari, et je suis colonel, j’ai des obligations, je peux pas quitter mon poste comme ça, pour partir à l’aventure… Sans aucune justification… » murmura-t-il, de plus en plus lentement, en réfléchissant à la question.

Soudain, il eut une profonde inspiration, leva un doigt en l’air et dit d’un air espiègle et satisfait :

« Sauf si je suis assez malin pour en trouver une qui tienne la route. Allez, ma jolie, rien n’est perdu, j’ai peut-être une idée. »

Il ouvrit à sa droite la porte de la cuisine d’un geste souple et une lumière abondante se déversa dans le couloir. Il poursuivit, en jetant en coup d’œil à la cuisine, une large pièce hexagonale où se nichaient une petite cheminée dont le foyer était éteint et des meubles sobres en bois clairs.
En fait de cuisine, la pièce ressemblait à une sorte de petite serre munie d’un fourneau où était posée une bouilloire en fonte, d’un robinet, d’une table ronde au centre, de deux chaises et de trois grands buffets rangés contre les murs. Il y avait, suspendues au plafond sur de grandes planches travaillées, des plantes aromatiques qui embaumaient l’air et quelques fleurs aux couleurs éclatantes, mais aussi, aux murs, des étagères encombrées de pots de graines, de feuilles de thés de toute sorte, d’épices, de viandes et de fruits secs, et enfin, de toute part, à chaque pas qu’on pouvait y faire, de petits arbres fruitiers dans des pots de terre et même quelques plans de tomates que Léogan entretenait par magie.
Une large fenêtre ronde à croisées inondait la cuisine de lumière et on sentait presque les plantes s’en gorger avec délectation, la pulpe des fruits tendre leurs peaux brillantes et la sève circuler puissamment dans les arbres.
Au fond de la cuisine, derrière une tapisserie suspendue à des crochets, il y avait une porte qui menait à un jardin extérieur qui donnait les légumes et les fruits qu’il n’était pas possible de faire pousser dans la cuisine. Et enfin, au milieu de la table, une corbeille présentait les formes et les couleurs appétissantes de pommes, de poires, de pêches et de fruits plus exotiques, bananes, litchis et grenades.

« Je suis désolé pour vous, annonça-t-il, en se tournant vers Malona, j’ai pas grand-chose à grailler ici, à part peut-être quelques fruits dans la cuisine, là… Servez-vous si vous voulez, mais j’vous conseille d’aller vous remplir le ventre à l’auberge, et surtout d’aller vous acheter quelques nippes – c’est jour de marché, y’a de beaux étals au centre-ville. »

Il laissa sa cuisine en proie à l’appétit de Malona et passa devant d’autres pièces fermées, sa salle d’ablutions, et sa salle de vie, avant de monter les escaliers quatre à quatre. Il passa sa tête par-dessus la balustrade du balcon et sourit maladroitement à la petite Sindarin :

« J’vais vous montrer si vous voulez. Moi je suis censé passer ici rapidement, j’ai quelques papiers à récupérer pour les remettre à une collègue… »

Puis il traversa le couloir de l’étage, en faisant craquer le parquet, passa devant les portes des deux chambres, rangées à gauche, et les trois larges fenêtres qui donnaient sur la rue opposée et son petit jardin, et il s’engouffra dans son bureau. Sa voix résonnait toujours, alors qu’il trébuchait sur des rouleaux de papiers qui traînaient au milieu de la pièce. Il s’approcha de son bureau, balaya un amas de plumes, de rouleaux et de livres d’un geste de la main, le tout s’écrasa par terre, au milieu du désordre, et il s’alarma en constatant qu’il n’y trouvait pas les registres d’Oria. Il alla à sa fenêtre, tira les rideaux et inspecta son petit bordel personnel d’un œil inquiet. Il tressaillit en apercevant le ruban rouge desdits rouleaux dépasser sous une rangée de livres qui s’étaient abattus sur une étagère. Il bondit avec un cri de victoire.

« Ah, voilà ! »

Il dévala les escaliers, l’esprit en ébullition, tout en présentant son programme au fur et à mesure qu’il l’élaborait, comme une stratégie de bataille qu’il aurait conçue et immédiatement ordonnée le jour d’une situation martiale d’extrême urgence :

« De fait, je dois r’partir. Le marché est sur ma route, j’vous montre et j’vous y laisse. Pendant que vous vous restaurez et que vous vous habillez – croyez-moi, c’est nécessaire – je vais rendre visite à l’herboriste du temple de Kesha. Si elle accepte de nous accompagner, tout s’arrangera. »

Il s’élança vers la porte en enfilant ses gants, avec un enthousiasme surprenant, l’ouvrit fougueusement – et le vent déferla à nouveau dans la maison.

« Ca vous va ? Des objections ? demanda-t-il, en souriant. Si y en a pas, c’est parti. On s’retrouvera ici vers midi, c’est-à-dire… Dans une heure trente exactement. Allez, en piste. »


Dernière édition par Léogan Jézékaël le Lun 19 Mai - 23:17, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeVen 21 Mar - 17:32

Le sol était croquant, et laissait derrière chacun de ses pas le son feutré et croustillant de la neige fraîche. Ailleurs sur le globe, la coutume voulait qu’en cette douce période de l’année, on profite des chaleurs violentes pour se reposer, se ressourcer à l’ombre en s’évitant sagement les folies embrasées des soleils, alors qu’on tentait désespérément d’attirer par des vêtements légers les regards du sexe opposé. Mais à Hellas, toutes ces habituelles actions avaient l’air de futilités grotesques. Seul le froid mordant régnait, du début à la fin de l’année, avec peut-être seulement des périodes où les gelés étaient moins… Glaciales. Et finalement, il était peut-être heureux pour les habitants de la ville froide de résidait dans pareil lieux : au moins ils s’épargnaient les chaleurs tonitruantes qui secouaient le reste d’Isthéria alors qu’eux pouvait profiter dans tout le confort du confort agréable de leurs habitations, conçues de sorte qu’elles retenaient mieux le chaud que nulle part ailleurs. Othello était de ceux-là : ni son physique, ni sa constitution ne lui permettait d’apprécier Béamas à sa juste valeur. Elle était un poisson d’eau froide, après tout. La banquise avait pour ses yeux d’écorce plus de charme que les eaux tropicales du sud.

C’était dans une ruelle à peine peuplée qu’on la retrouvait en ce matin claire et frais, abritée des pieds jusqu’à la tête par une cape chaude de Bor, à la belle couleur brique et au col de fourrure blanc qui tranchait à peine avec sa propre crinière enneigée. Seul dépassait de la longue pèlerine un bras blanc recourt d’une manche serrée blanche qui montait jusqu’à une petite main frêle, qui elle-même s’accrochait frénétiquement à un petit panier d’osier, d’où, sous un torchon rouge, s’échappaient quelques branches feuillues et épines d’origines naturelles. La demoiselle revenait fraîchement du marché. Après tout, depuis son stage en Héspéria, elle avait retenu plusieurs astuces, et s’était même diversifiée dans ses onguents et ses potions, multipliant par la même les ingrédients dont elle avait besoin. Aussi prenait-elle à présent un simple plaisir à aller, une fois par semaine après les premières offrandes au temple, faire quelques emplettes au marché. Elle le faisait de bon cœur. Son affaire en dépendait après tout. A chaque pas qu’elle faisait, un épais nuage blanc s’échappait de ses lèvres orangées, s’évanouissant dans les airs comme un fantôme perturbé qu’elle renvoyait au ciel à chaque inspiration. Son visage n’était que givre : on ne lisait rien sur ses traits de poupées.

Bientôt, dans le prochain tournant, elle aboutirait sur la rue en pente et grossièrement pavés qui abritait sa modeste boutique. Ce petit local commençait à l’ennuyer un peu… Après son séjour chez l’herboriste de renom Balibe, dont elle portait aujourd’hui le gage de ses sentiments sous la forme d’un catalyseur bleutée à son cou, l’envie lui naissait de se rapprocher du temple et de trouver une plus grande échoppe, et même un meilleur logis. Enfin, cela n’était pas pour toute suite. Vagabondant comme des flocons, ses pensées allaient et venaient gaiment pour la petite yorka d’une étonnante bonne humeur. Cela avait toujours été rare, et l’était de plus en plus depuis le départ de sa mentor et amie, la dame de feu Dranis, vers son nouveau foyer. Elle qui s’abritait jadis sous son aile flamboyante, elle se retrouvait privé de sa protection et de son appuie, et nourrissait secrètement l’envie de la rejoindre.  Un de ses mèches s’échappa de son abri de tissu, tirée par une de ses longues oreilles ondines, pour glisser jusqu’à mi-cuisse dans une belle courbe blanches. Tant de pensées dans cette tête inanimée. Son regard d’ébène se leva. Sa boutique était à porter de main.

Doucement, la clé se glissa dans la serrure, tournant lentement jusqu’à ce qu’un claquement métallique retentit bruyamment, ouvrant au même instant l’imposant verrou de bronze qui maintenait la porte fermée. La poussant d’une main, protégeant ses achats de l’autre, la sirène rentra finalement chez elle, saisie immédiatement par les violentes fragrances que dégageait l’endroit. Des vapeurs sauvages et marines, rappelant à la fois les forêts du Sud et les mers froides du nord, le bois exotique et les fonds abyssaux où aucune lumières ne parvenait à naître. Ces odeurs provenaient des différents pots (des dizaines, pour le moins) qui peuplaient la pièce en témoin silencieux, condamnés à être les éternels récipients des ingrédients écrits sur leurs couvercles. Posant son panier, la demoiselle, sans même se dévêtir, entama de ranger directement ses précieuses possessions dans les bocaux appropriés, révélant ses habitudes un peu trop maniaques. Après des années de missions sombres, elle en avait gardé quelques séquelles.
Un ronflement bruyant s’échappa de l’arrière-boutique. La porte qui la bloquait le passage s’ouvrit soudain, grinçant sordidement, dans un crissement macabre et assourdissant pendant quelques secondes. S’échappant de l’embrasure, un immense tigre blanc, aux rayures épaisses et noirs de geais, trémoussa lourdement sa musculaire stature de grand félin adulte. Dandinant son imposant postérieur, tout en fouettant rythmiquement l’air avec sa queue, le familier grogna, vexé de n’avoir pas été convié à cette sympathique ballade par sa propriétaire, qui était plus proche d’une sœur animale que d’une maîtresse. Il s’assit à côté d’elle, sa tête arrivant tout de même au niveau de sa poitrine, et il se vit gratifier d’une énergique caresse, et d’un sourire coupable et réparateur qui lui fit ouvrir grand ses deux yeux bleu acier à la façon d’un chaton.


« - Allons, ne fais pas la tête, Drasha. On y ira ensembles la prochaine fois. Tiens, en guise de pardon. Ne m’en veux pas trop, d’accord Dit-elle en révélant hors du panier une grande pièce de viande bovine que le froid n’avait pas encore eu le temps d’abîmer.

Le gros chat renfrogné grogna une nouvelle fois, mais défait et content de la revoir, il se contenta d’accepter l’offrande qui lui était faite d’un faux air arrogant, la pardonnant d’une même traite. Le félin avait toujours eu un caractère supérieure, mais il était aussi le plus fidèle des allier qu’elle n’avait jamais eu. Après s’être débarrassée de ce bout de chair rouge, la demoiselle se remis à danser son ballet de rangement silencieux, enveloppée de sa cape comme un chaperon, laissant le tissu et sa crinière virevolter autour d’elle comme un habit de scène. Mais une nouvelle ombre se glissa alors dans la pièce. D'une démarche encore tremblante, des pas mal assuré, posant patte après patte dans un ordre parfois douteux et inexpérimenté. La petite poule de poil moucheté, avançait penaude et avec complication jusqu'au centre de la pièce, sous l'oeil à la fois juge et dédaigneux de Drasha. Et une fois posée au centre, laissa échapper un miaulement plaintif et capricieux, comme un enfant appelant sa mère. Le tigre le fixa quelques secondes puis détourna le regard.


« - S'il te plait, elle ne se sent déjà pas encore suffisamment à l'aise ici pour que tu puise la traiter avec si peu de considération. Viens par là Jehyel...»

Avec une douceur infinie, Othello vint soulever précautionneusement la petite léopard des neiges qu'elle venait d'acheter - il était toujours drôle de constater qu'elle était plus chaleureuse envers les bêtes qu'avec les hommes. L'animal, de quelques mois déjà, n'avait pas la carrure longue et rapide de ses congénères du sud, et avait tous les traits d'une vraie cimmérienne. Une fourrure épaisse et duveteuse, des d'imposante pattes de velours, et de grands yeux bleu minéral qui donnait déjà au chaton des traits de chasseurs - ce qu'elle deviendrait quelque mois plus tard. A trois mois, elle faisait déjà la taille du buste de la demoiselle, tant par la densité de ses poils que par sa taille de félin du froid, et sa queue très longue tombait presque jusqu'au sol. La sirène était déjà maternelle avec elle, alors que le petit félin ne les avait rejoint que depuis quelques jours, alors qu'elle faisait, encore une fois, des achats. Passant devant une animalerie, ce regard de minuit l'avait frappé, et comme avec Drasha quelques années plus tôt, elle su qu'elle veillerait sur elle, comme pour le tigre, et qu'ils lui rendraient la pareille. Des triplets félins... La somme dépensée avait été rondelette pour ses gains. Mais après tout, elle dépensait rarement, et cela ne dérangeait pas ses projets futurs.

Reposant l'animal après une chaleureuse étreinte, celle-ci clopina gaillardement jusqu'au tigre qui l'adoptait petit à petit, trouvant en elle une élève attentive à ses nobles technique de chasse... Ou dispersée, tout dépendant du point de vue. Comme à l'affût, Jehyel se recroquevilla non loin, lorgnant du coin de l'oeil sur la viande rouge, délaissant le bol de lait fraîchement posé à son attention par la sirène, qui après les avoir regardé, se remise à l'ouvrage.

Ce n’est qu’alors qu’un martèlement retentit à la porte, et elle répondit mécaniquement : « Entrez. » de sa voix cristalline et adolescente, dénuée de ton et de notes.
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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeLun 24 Mar - 23:35

« Sérieusement, Léo, tu es pénible.
‒ M’enfin quoi ?
‒ A chaque fois que tu sors de ce bureau, à chaque fois, tu trouves par hasard, comme ça, par un concours de circonstances imprévisibles et totalement indépendantes de ta volonté… Tu trouves toujours le moyen de disparaître et de ne pas revenir !
‒ Bah, disons que le destin est d’mon avis et que les dieux trouvent comme moi que l’enfermement, ça me réussit pas. Faut pas les contrarier, t’en dis quoi ?
‒ Je vais finir par te cloîtrer ici et t’attacher à ta chaise, je te jure ! Je te préviens, Jézékaël, si tu reviens un jour, la paperasse qui a coutume de s’accumuler sur ton bureau n’aura pas disparu miraculeusement sur celui de tes lieutenants ou sur le mien ! J’y veillerai personnellement !
‒ Qu’est-ce que vous insinuez, colonel Val’rielan ? Que j’ai pris l’habitude de m’débiner au travail ?
‒ Eh bien peut-être !
‒ C’est faux.
‒ C’est vrai !
‒ Allez, sans rancune, à la prochaine, Oria. »

Léogan sourit avec un mélange de compassion et d’espièglerie à la mine déconfite de sa collègue et referma doucement la porte du bureau derrière lui. Il pressa le pas dans le couloir et descendit les escaliers quatre à quatre en prévoyant la colère de la jeune femme ; soudain, il l’entendit ouvrir la porte, se camper violemment à son seuil et hurler à pleins poumons, en jetant après lui un énorme dossier de paperasses qui le poursuivit dans les escaliers :

« LÂCHEUR ! »

***


Satanés bourrasques, satanée neige, satané temps de chien qui vous jetait à la gueule autant d’averses et de grésil que d’amertume à la fin de la saison chaude – et qu’est-ce qu’on appelait « Béamas » à Cimméria ? Trois malheureux mois par an avec un soleil blême et un vent à faire s’envoler les pierres ?
Les bottes de Léogan brisaient les plaques de givre dans des sons cristallins, sur la route de l’herboristerie d’Othello Lehoia, et il se sentait plein d’une assurance et d’un courage nouveaux. Il avait le pressentiment que si on lui avait demandé de tout abandonner derrière lui, ce jour-ci, il l’aurait fait, et l’impression d’être sur le point de retourner chez lui – là où il avait toujours voulu vivre et où était sa place. C’était déjà une petite désertion, pas vraiment par son effectivité, parce qu’il ne quitterait pas son poste de colonel aujourd’hui, mais parce qu’il s’en sentait capable.

Les cloches du temple sonnèrent alors que Léogan traversait la place d’un pas hâtif : Hellas toute entière retentit et vibra de leur son cuivré. Certaines avaient la voix forte et autoritaire des grands vents sur la mer, les autres avaient les voix légères et argentines des oiseaux dans les champs de blé. Toutes les cloches se répondaient dans la cité et les milles échos sur la grande place blanche et dans les rues où flottait la grisaille se les renvoyaient en murmures confus et répercutés, mêlés au mugissement matinal du vent.

Au moment où Léogan allait quitter la place du temple, il se fit un moment de silence, et un nouveau bruit, plus doux,  plus mélancolique et plus grave, s’éleva et remplit peu à peu la ville : c’était les chants des offices, qui, s’échappant du temple de Kesha, se mêlaient et se confondaient jusqu’à lui comme un vaste murmure, et ressemblaient à un seul et vaste soupir mélodieux de la cité toute entière, qui venait de prendre une âme et une voix.
S’il y avait bien quelque chose à garder de Cimméria, aux yeux de Léogan, c’était la musique, qui rendait les glaces plus belles, plus sensibles sous le voile blanc de la neige, et les montagnes plus majestueuses sous le ciel sombre parfois percé de rayonnements boréals, qui tombaient sur Hellas comme une grâce divine. Les chants religieux des cimmériens sauvaient tout, en résonnant dans Hellas, en particulier quand la nuit enveloppait les gens, les rues et les lumières de la ville dans son intimité chaleureuse et secrète.  
Léogan oubliait alors qu’il tremblait de froid sur le pavé et n’entendait plus les hurlements du vent qui lui fouettait le visage. Il faisait jour, bien sûr, mais il s’arrêta tout de même un instant, la main serrée sur le col de son manteau, et se laissa toucher par l’espoir et la beauté de ces chants, le regard perdu comme pour la première fois sur les colonnes blanches du temple et le cœur palpitant. La neige s’était mise à tomber doucement, dans un silence feutré, et ses flocons venaient s’égarer dans les cheveux noir de jais de Léogan. Son regard était vide, mais brillant, d’un éclat lointain et profond qui résistait à la compréhension. Il écoutait, dans un état second, l’âme ensorcelée et frémissante au fond de son corps frigorifié – et il la sentait soudain plus puissante et plus vivante que la constitution organique de son être.

Il refoulait l’image insupportable des prêtresses artificieuses qu’il connaissait et n’entendait plus, ne pensait plus qu’aux clameurs féminines qui montaient du temple vers le ciel. D’abord, ce n’avait été qu’une rumeur basse et grave, qui sortit des poitrines profondes des altos, qui s’écoula et emporta Léogan et les quelques passants qui s’étaient arrêtés dans un flot rythmique inaltérable. Puis, les voix pures des sopranos naquirent de cette onde grave et régulière, fleurirent en canons et planèrent dans les airs avec une grâce céleste ; parfois, elles retombaient comme des cascades cristallines, mais elles revenaient toujours dans les hauteurs, avec toujours plus de clarté. Les refrains surgissaient puissamment et saisissaient violemment le cœur du Sindarin, entonnés d’un même chœur où se mêlaient les inflexions solidaires et ardentes des alti et des soprani.
Mais, peu à peu, les voix célestes des prêtresses retombaient et s’évanouissaient dans le souffle puissant des vents d’Hellas. Bientôt, ce fut l’heure de la prière silencieuse, et le charme se rompit.

La gorge de Léogan se dénoua, son regard retrouva son acuité terrestre, et il quitta la place d’un pas vif. La musique ne pourrait pas toujours le retenir. Elle lui manquerait beaucoup, s’il s’en allait pour de bon, ainsi que ces rares moments où il trouvait finalement un peu de beauté à Cimméria, mais il n’aurait alors aucun autre regret.
Parfois, il se disait que c’était pour bientôt, qu’Elerinna devrait abandonner ses rêves et ses ambitions et qu’elle n’aurait plus besoin de lui pour la protéger et l’aimer, et qu’il y avait de toute façon sa maîtresse Verna, désormais, pour lui prodiguer tout le soutien dont elle avait besoin ; il n’était plus utile en rien, il n’était plus qu’un bras armé. Alors, il ressentait un élan féroce de jalousie. Enfin, il regrettait et revenait sans rien dire, fidèle à son poste. Combien de temps encore cela durerait-il ? Il avait honte d’espérer la déchéance des idéaux de son amie pour discerner parmi la brume épaisse et pesante de son quotidien l’horizon de sa propre liberté – c’était un sentiment méprisable, qu’il refoulait avec colère, mais qui revenait toujours à la charge. Il savait qu’il serait là jusqu’à la fin, mais ce n’était pas suffisant.
Ce jour-là, les sombres pensées qu’il entretenait à ce sujet n’étaient plus qu’un arrière-fond vaporeux qu’il défiait d’un pas alerte et décidé. Il allait partir quelques temps, oui. Il allait montrer que sa loyauté indéfectible n’était due qu’à sa propre liberté, qu’il pouvait la revendiquer à n’importe quel moment, et qu’il était aussi imprévisible que son départ d’aujourd’hui.

Il atteignit la rue où habitait la prêtresse océane et commença à grimper la côte qui menait à son échoppe, dont il apercevait déjà l’enseigne. Il songeait à ceci qu’Othello Lehoia n’avait certainement pas beaucoup de confiance à lui accorder, et qu’il n’était pas tout à fait dit qu’il pût quitter la ville selon son bon vouloir. Après tout, elle savait fort bien qu’il avait été nommé colonel par Elerinna, et si le motif et les circonstances de ce choix lui échappaient – comme à toutes les autres prêtresses, d’ailleurs : Léogan et Elerinna s’étaient assurés de ne jamais montrer en public toute l’étendue de leur amitié – les affinités que la jeune fille entretenait avec Irina n’étaient pas favorables à Léogan.
Mais il n’avait rien à perdre.
Il se fichait bien de ce qu’elle pouvait penser de lui, d’ailleurs. Il ne comptait sur les sentiments de personne pour mettre ses plans à exécution : il avait simplement un marché honnête à lui proposer. Si elle ne l’acceptait pas, il aurait toujours la possibilité de penser à une alternative, mais ce serait définitivement une perte – il n’y avait pas trente-six solutions en réalité. Alors il se sentait un peu fébrile, c’est vrai.

Il neigeait encore dans la rue. La respiration de Léogan formait de grands panaches de fumée devant lui, qui s’accentuaient avec l’énergie de son allure.
Enfin, il s’arrêta devant la petite maison d’Othello et en considéra la porte tout en reprenant son souffle. Il redressa un peu son manteau puis attrapa le heurtoir, et frappa un coup bref et deux coups longs. La voix de la jeune fille lui répondit aussitôt, d’un ton étouffé qui lui sembla machinal. Il serra la mâchoire, ses yeux étincelèrent de détermination, et il entra.

Une bourrasque entra en même temps que lui chez Othello, et il s’empressa de refermer la porte derrière lui pour paraître dans la boutique. Il chercha la jeune prêtresse du regard, en passant une main dans ses cheveux enneigés, le crâne toujours résonnant des chants puissants du temple.
Il trouva la silhouette d’Othello, blanche comme un lys, occupée devant des pots en terre qui exhalaient les odeurs capiteuses de composition minérales et végétales, imprégnées d’un parfum d’iode, qui flottait partout dans la boutique. Ces effluves marines s’insinuèrent dans les poumons de Léogan, firent battre son cœur plus puissamment et se répandirent dans toutes ses artères ; il avait déjà l’impression d’être en mer.

« Bonjour, Dame Lehoia… dit-il, d’un timbre bas mais résolu. Désolé de cette intrusion, je ne vous dérange pas, j’espère ? »

Ses yeux quittèrent un instant les formes épurées de la jeune fille qui se dessinaient sous les voiles nacrées de sa chevelure, et se posèrent sur le tigre imposant qui dévorait une pièce de viande dans l’arrière boutique. Il s’était habitué à la présence de l’animal, au temple, mais il faisait toujours impression, il fallait l’avouer. En un bond, à l’ordre de sa maîtresse – ou non, du reste, s’il lui prenait le caprice d’attaquer, qui pourrait l’en empêcher – Drasha pouvait mettre en pièces un soldat bien entraîné. Il avait près de lui un second félin, un petit léopard blanc, qui avait l’air plus intimidé et qui ouvrait de grands yeux ronds sur la pièce de viande de son compère.
Léogan croisa le regard azuréen du tigre, qui évaluait leur visiteur avec une puissance impériale, et lui adressa un petit salut militaire à deux doigts, avec un sourire désinvolte, puis enfin, il se retourna vers Othello, la poitrine vibrante d’audace et d'espérance.
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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeDim 30 Mar - 16:16

En ce jour de grâce et de fraîcheur, la porte de la boutique s’était brusquement ouverte sur l’imposante stature de loup du colonel Jézékaël, et s’était refermée sur la même bourrasque, dans un bruit tonitruant de claquage quand le bois vint heurter son cadre dans un fracas infernal. La vitrine présentait à présent une nuée faible de petits flocons blancs qui tombaient faiblement à la faveur de la lumière, dans une longue et lente danse, tout aussi douce que les pas de la demoiselle sur les pavés froids qui tapissaient le sol de la boutique. L’univers d’odeur marine et de blanc qu’elle avait finement créé, mêlant les volutes des bocaux, aux fioles remplies de liquides disposés tout autour d’eux, entre les pots, lui échappa soudain. Et quand elle retourna son visage de porcelaine vers le grand homme, la surprise pu s’y lire quelques secondes, passant comme un spectre volubiles au creux de ses yeux d’écorces, avant de retomber dans un néant précautionneux –ou préventif ? Sur le sol, en même temps que le retourné animal de sa maîtresse, Le tigre avait frémis, et relevé vers lui ses yeux d’acier, bien plus juge et méfiant que ceux de la jeune femme.

C’était une sale habitude qu’elle avait prise, quand la lionne des mers prenait les traits de la commerçante. Dansant sur un pied perpétuellement instable quand il était question d’honnêteté, et ne sachant réellement exprimer ses émotions sur son visage, la sirène retournait d’abord son visage vers les visiteurs, et une fois qu’elle les avait sous les yeux, pouvait jauger de l’expression à adopter. Pour les clients habituels – ce qui n’avaient pas de liens avec sa castes ou elle-même – elle avait appris à tailler son sourire habilement, ses yeux frémissait d’innocence et elle pouvait paraître aussi douce et rayonnante qu’une sœur ou qu’une mère, et pour beaucoup prenait les traits d’une frêle et naïve jeune femme, avec qui on a naturellement envie de traiter. Pour tous les autres qui la connaissait un peu, elle pouvait se permettre de ne rien faire, de laisser son faciès brillant de neutralité, avec cet air indécis qui ne la quittait jamais, comme si, par tout temps, elle était surprise, ou incompréhensive, et qu’elle voyait tous des mêmes yeux. C’est ce visage là qu’elle présenta au sindarin, ne faisant appel à aucun des mécanismes de sa face, ne laissant transparaitre ni surprise, ni méfiance, ni même la moue boudeuse qu’elle aurait dû adopter avec celui qui traiter avec la Grande Prêtresse.

Droite comme un piquet de verre, elle observa quelques secondes celui que l’on disait être le bras armé d’Elerinna. Ce n’était pas la première fois qu’elle le croisait, sa silhouette lui était déjà familière – du moins, un peu. Dans ses souvenirs un peu flous, elle se souvenait l’avoir déjà croisé plusieurs fois, furtivement, au temple. Mais comme si il avait était un spectre, un apparition sombre, qui rappelait le charbon et la roche qui brûle au fond des volcans, elle n’avait osé croiser son regard, ni lui adressé la parole. Au fond, elle n’en savait que très peu sur lui. Seul ses allégeances était connues : parmi ses sœurs, toutes pouvaient aisément dire de quel côté il se trouvait sur l’échiquier des prêtresses de Cimméria, et à qui il avait voué ses armes. Ca n’avait jamais été un mystère : il avait été nommé par la sindarine elle-même. Pour le reste, tout n’était que rumeurs et mot-dit dans son esprit troublé. Quelques paroles jasées, soupirs à demi-soufflés, et hypothèses jetées comme des dés sur un plateau en fonction des différentes affinités des prêtresses colporteuses. Beaucoup lui donnait des traits de caractères semblables à ceux d’un rustre et bougon. D’autres le disaient simplement incompris, et fermé. Dans tout le cas, il était secret, et discret, et conservait autour de lui un perpétuel voile de mystère – était-ce pour cela qu’il faisait tant parler ?

En somme, c’était presque comme s’il était un inconnu connu de tous. La sirène ne voulait pas réellement se faire d’avis. Ou plutôt, elle pensait qu’elle n’aurait jamais eu à le faire, se implications avec la dame de feu l’éloignant de l’élégante sindarine et de sa cours. Mais la présence du tempétueux dans son humble boutique semblait précipiter une rencontre qui semblait bien étonnante. D’un geste sec, elle déposa un dernier brun d’une plante séchée, aux feuilles longues et plates qui ressemblaient au celles d’une algues dans le récipient correspondant, avant de s’avancer vers lui dans une lente et respectueuse, en joignant ses mains et en s’arrêtant près de son comptoir. Restant ainsi quelques secondes en le toisant silencieusement, elle secoua négativement la tête, avant de lancer calmement, son ton aussi vide qu’aérien, celui d’une enfant ou d’une femme, et s’entourant d’une brume épaisse qu’il était dure de saisir.


« - Ne vous inquiétez pas, vous ne me dérangez nullement. »

Sur ces mots, elle s’arrêta une nouvelle fois, jugeant du personnage un peu plus, profitant de son avancée pour déceler ses traits d’un œil nouveau, son visage taillé d’une main d’artisan mais laissé aux affres de la nature, à la pilosité plus ou moins soignée, et aux reliefs saillants. Sous un casque de boucles noires qui tombaient en d’élégantes cascades sur le sillon de ses yeux, elle fut brutalement happée par le noir de ceux-ci, des ténèbres magnétiques qui semblaient vibrer d’une force bouillonnante et d’une détermination sans faille. Ce n’était pas les yeux vides et mornes d’un homme qui vient quérir un remède. C’était les yeux d’un visionnaire, d’un conquérant, les yeux d’un homme qui veut avaler le monde… Ou du moins, qui a dans la tête les germes d’un projet. Etait-ce la raison de sa présence ? Celle-ci était toujours mystérieuse pour la sirène qui restait oscillante, entre méfiance et curiosité, alors que ses traits de poupée encadrée par ses longs cheveux blancs ne laissaient paraître qu’un insistant regard. Cherchant conseil, ses yeux glissèrent jusqu’au sol, et plus précisément jusqu’à Drasha qui fixait toujours le visiteur dans une pose parfaite et immobile. Il ne bougerait pas, malgré le salut militaire qu’il avait reçu… Si Drasha était méfiant, peut-être devrait-elle en faire de même. Jehyel, quant à elle, mettait son plan à exécution, et profita de l’attention ravi du tigre pour bondir ridiculement sur la viande et y planter ses crocs félins. Maintenant, les deux avaient du sang jusqu’au museau, leur donnant les traits sanguinaires qui seyaient si bien leurs espèces.

Quelques secondes s’échappèrent pendant que la demoiselle essayait de savoir sur quel pied avancer. Sa présence était troublante. Etait-il là pour Elerinna ? Ses liens avec Irina avaient-ils finis par la rattraper, et la Grande-Prêtresse voulait-elle la récupérer dans ses filets ? Ou venait-il tout simplement quérir l’objet de son commerce ? La demoiselle était perplexe, et ne savait dire s’il était de l’ordre de l’ennemi ou du simple client, ou même du spectre magmatique qu’elle croisait au temple. Posant une main sur le comptoir de bois, quittant les félins des yeux, elle finit par lancer, sans autres tremblements dans la voix que celui de la question :


« - Auriez-vous attrapé un mal, et chercheriez-vous un remède ? Ou Elerinna aurait-elle besoin de moi ? » Puis elle finit respectueusement -finalement, s’exaspérant elle-même de vouloir faire preuve d’autant de méfiance alors qu’il ne s’agissait peut-être que d’un simple achat « Que puis-je faire pour vous ? »

Un souffle étouffé se fit entendre : Jehyel venait d’éternué un petit nuage rougeoyant.
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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeDim 6 Avr - 3:44

Quand Othello tourna sa tête gracile et le port indolent de son corps vers Léogan, il éprouva tout à coup un malaise pesant qui augmenta lorsqu’il rencontra le regard atone de la sirène. Le trou noir de ses pupilles donnait à sa personne un air cruellement indifférent, presque inanimé, comme deux boutons cousus sur la figure inexpressive d’une poupée, qui ne renvoyaient à l’observateur que son propre reflet, froid et intact. On avait le sentiment de ne pouvoir l’affecter d’aucune façon et de n’avoir de toute manière nul accès à sa pensée ou à son émotion. Elle donnait cette impression effrayante de ne connaître ni changement, ni faiblesse, que rien ne pouvait l’altérer, que son âme enfin était aussi roide et éternelle que le diamant.
Léo frémit un peu, troublé, et tenta de regagner contenance. Il se sentait comme un animal disgracieux qu’on admettait à contrecœur dans un intérieur immaculé, il se sentait maladroit et grossier dans cette maison mystérieuse qui exhalait l’odeur profonde des grottes marines, et au fond de lui, il y avait bien un monstre qui lui tordait les entrailles, lui mettait le feu au ventre et grondait férocement ; paradoxalement, ce fut lui qui lui rendit force et assurance.

Sa figure de loup, sauvage et brute, resta droite et résolue et fit courageusement face aux airs impénétrables et insensibles de la sirène. Il ne savait pas s’il avait frappé à la bonne porte pour obtenir un soutien, alors il valait mieux paraître spontané et convaincu – il l’était, après tout, son cœur était saisi d’une exaltation ressuscitée qui agrandissait son regard et agitait son imagination de chimères et de souvenirs. Il ne devait pas se laisser aller à la maladresse, il ne s’en donnait pas le droit.

La voix d’Othello sonna comme du cristal alors qu’elle s’approchait de lui à pas de velours, et sa tête prit enfin vie, au moment où elle la secoua négativement, en joignant à ce signe d’humanité une politesse qui conforta davantage Léogan dans son entreprise. Il lui adressa un sourire en coin discret, qui répondit avec tact au mystère qu’elle tissait autour d’elle pour échapper à la compréhension.
Lorsqu’elle prononça le nom d’Elerinna, il grimaça un peu, très brièvement, et détourna le regard, en proie à deux pensées embarrassantes. Cela faisait quelques semaines qu’il n’était plus vraiment au fait de ce dont Elerinna avait besoin – elle vivait dans le rêve détaché et dans l’oubli vaporeux que causait l’amour et n’adressait plus ses désirs qu’à son amante, dans des lettres passionnées qu’elle envoyait secrètement en Eridania. Il savait qu’il était déraisonnable d’en ressentir de l’amertume et qu’il était par ailleurs l’un des rares élus à être au courant de cette folle relation, mais cela le vidait de toute ambition. Il était certainement jaloux et il espérait qu’Elerinna ne s’en apercevrait pas, car elle saurait alors le chahuter d’une façon qui lui donnerait plus de tristesse que d’amusement. D’un autre côté, entendre Othello s’inquiéter des besoins de la grande-prêtresse lui rappelait le rôle d’homme de main qu’on lui attribuait et qu’il n’avait pourtant jamais pensé occuper – il n’était qu’un soldat, son rôle était de tenir le bouclier et non le poignard. Elerinna ne l’envoyait jamais faire de courses subalternes, elle avait assez de sous-fifres pour s’en charger (même si les promenades dans les boutiques d’Hellas où elle le chargeait comme un mulet de paquets de nouvelles parures, de nouvelles robes et de nouveaux chapeaux pouvaient prouver l’inverse – mais il n’était en vérité qu’un ami un peu trop flexible).

Othello se méfiait, c’était évident, et elle avait ses raisons de le faire. Ses pensées restaient muettes, enfermées dans la cage de son front blanc, et Léogan ne savait pas vraiment ce qu’il devait en tirer. Elle était aussi discrète et effacée que lui, au temple, et sa réputation était d’une neutralité désarmante, quand on écartait ses affinités avec Irina Dranis. Othello était l’herboriste parmi les prêtresses, une jeune femme dont les talents ne servaient que l’ordre, qui ne faisait jamais défaut, et dont on parlait sans cesse en termes d’utilité et de devoir. Quel moyen de la connaître vraiment ? Elle ne laissait rien paraître.
Léo passa une main dans ses cheveux et quelques flocons glissèrent dans son col pour y fondre en le saisissant de frissons. Cette réalisation subite teinta son humeur flamboyante d’un soupçon de mélancolie. Elle était peut-être un peu comme lui. Elle se donnait et se laissait utiliser. Il était assez bien placé pour savoir que derrière cette apparente servitude pouvait se cacher une liberté plus violente que chez les hommes qui l’affirmaient haut et fort et disaient ne se battre que pour elle. Aucun moyen de savoir si Othello recherchait bien quelque chose, au temple de Kesha, que son cœur désirait pour lui, ou si elle y était prisonnière comme une enfant qu’on aurait aveuglée et soumise.

Il préférait ne décider de rien à son sujet. Le temps lui donnerait peut-être l’occasion d’en aviser plus sagement. Il secoua à son tour la tête d’un geste lent pour rejeter les possibilités que la sirène avait suggérées.

« Non, non, murmura-t-il, d’un ton songeur, je ne crois pas, du moins… Tout va bien. »

Il n’était même pas encore malade, ce qui était une petite victoire personnelle, il devait bien l’avouer – mais il garda ce trait d’humour pour plus tard, il n’était pas sûr qu’elle appréciât une camaraderie aussi subite qu’improbable.
Il se tourna vers les étagères où s’alignaient les pots parfumés de l’herboriste et s’en approcha d’un pas lent, avec une curiosité inconsciente, et surtout pour trouver le temps de réfléchir à son propos. Ses bottes lourdes faisaient grincer le parquet et résonnaient sourdement dans la maison.

« En fait, je suis venu ici de ma propre initiative. » avoua-t-il, finalement, en se retournant vers Othello dans un ample mouvement d’habits sombres.

Son regard brilla d’un éclat aventureux en s’attachant au visage étrange de la Yorka. Il réfléchit quelques autres instants. En réalité, s’il n’y avait pas eu cette petite rouquine pour venir frapper à sa porte et le tanner frénétiquement, il n’aurait pas eu la moindre initiative, aujourd’hui, et il se le rappela avec un air un peu contrit.

« Enfin presque… admit-il, vaguement, avant de reprendre une voix grave et déterminée. En tout cas, je ne viens pas en qualité de colonel, c’est juste entre vous et moi. » Il lui sourit gentiment, afin de ne laisser entendre aucune forme de menace dans son propos. « Bref, je vais vous la faire en simple et direct, ça nous arrangera tous les deux, je pense. Pas d’offense, hein, simplement, c’est assez difficile à introduire… »

Il fronça les sourcils et chercha prudemment à formuler sa requête dans un ordre qui ne paraîtrait pas trop incisif. Ses yeux virevoltaient dans la pièce à la recherche d’indices, croisèrent la silhouette imposante du tigre, qui le surveillait encore avec majesté, et sur le petit léopard qui engloutissait une pièce de viande presque aussi grosse que lui, et échouèrent à nouveau sur la collection impressionnante de plantes qu’abritait la boutique.

« Vous êtes encore à la recherche de plantes tropicales rares, je suppose ? » demanda-t-il, d’une voix lente.

Bien, il devait tenir le bon bout. Il n’y avait rien de suspect dans sa question, c’était presque banal, on aurait cru entendre un marchand itinérant en quête d’opportunités pécuniaires.
Au bout du compte, il prit une profonde inspiration et déversa d’un trait tout son discours, en espérant qu’il passerait mieux avec l’espèce de petit préambule qu’il avait destiné aux intérêts propres de la jeune femme.

« Comment dire… marmonna-t-il. Une inconnue est venue frapper à ma porte ce matin et m’a… Très spontanément demandé de lui servir de guide à El Bahari.
C’est dans mes cordes, en fait, ce n’est pas le problème…
(Il soupira un peu, ses sourcils se froncèrent et il passa une main dans ses cheveux bouclés.) Et j’ai de bonnes raisons d’accepter de l’aider. Seulement… Seulement je suis attaché à mes obligations envers les prêtresses, et je ne peux pas partir en voyage pendant un mois en laissant comme ça mes charges derrière moi, ça m’est impossible. »

La sensation désagréable et tristement banale pour un militaire d’être pieds et poings liés à sa fonction, aux autorités, à l’ordre et à la société toute entière lui piqua la poitrine. Il se rembrunit un peu et égara son attention par la fenêtre de la boutique, que la neige légère caressait avant de mourir. On ne voyait rien du ciel et de l’horizon, les hautes maisons du quartier ne présentaient que leurs profils humains, trop humains, et leur coquetterie citadine.
La soudaine mélancolie de Léogan s’évapora peu à peu sur le feu brûlant de sa hardiesse et il se retourna vers Othello avec sur le visage la lumière des aventuriers ou des conquérants, des hommes qui faisaient des choix graves et rapides, en ne craignant rien d’autre que leur fuite entre les mains des autres et du temps.

« Vous devez voir où je veux en venir, murmura-t-il, d’une voix en velours sombre.
Vous êtes herboriste, et je pense que vous pouvez gagner quelque chose de ce voyage, si vous acceptez d’y prendre part. Je serai responsable de votre sécurité, et vous aurez tout le loisir de trouver là-bas certaines plantes nécessaires à vos décoctions.
J’ai conscience que je vous prends au pied levé, mais c’est le genre de décision qu’on doit faire rapidement, si on ne veut pas laisser l’occasion nous filer entre les doigts. »


Spoiler:
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Anonymous Invité
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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeDim 18 Mai - 23:25

Les choses s'étaient passées bien trop vite. A peine entrée dans la demeure de Léogan, la voilà à nouveau sur le pas de la porte.

« Ca vous va ? Des objections ? Si y en a pas, c’est parti. On s’retrouvera ici vers midi, c’est-à-dire… Dans une heure trente exactement. Allez, en piste. »

- Beuh... eh... euh... bon.

Elle avait alors suivit ce grand monsieur d'un pas rapide.
Au lieu de regarder devant elle, Malona observait la démarche élancée et sure de Léogan. Un grand pas pour lui, elle en faisait deux, tout en prenant soin de ne marcher que sur les pavés, et non pas sur les lignes du sol, manquant de se vautrer à plusieurs reprises. Ils passèrent tout deux dans des ruelles miniatures et sombres, une charrette n'aurait pu passer, et le cul d'un âne bouffi encore moins ! De vieux croûtons lépreux tendaient ce qui leur restait de main en poussant des cris gras, avachis sur le sol, une bouteille de gnôle avariée non loin d'eux pour une p'tite pièce ou deux. Le colonel fonçait tête baissée à une allure qu'elle ne pouvait plus suivre, n'arrivant pas à remballer chacun de ces impertinents quémandeurs qui puaient la pisse, bien qu'elle le tentait naïvement avec le plus de gentillesse possible. C'était limite si elle sautait sur le dos de son futur compagnon de route pour disparaître de cette ruelle plus rapidement.
Ouf, enfin, un dernier petit porche en vieille pierre orné de lierre grimpant et voilà qu'ils débouchèrent tout deux sur une place immense.
Malona, surprise par la lumière s'arrêta net, et le temps que ses yeux s'adaptent à la lumière, il avait disparu.

- Bon... et maintenant... ?
- Made... hips... moiselle ! Grogna une voix derrière-elle, elle se mit alors à plonger dans la foule du marché pour échapper une fois de plus aux étranges personnages de la ruelle.

Ici les odeurs n'étaient pas celles de pisse, mais du pain cuit au four, des viennoiseries succulentes caramélisées, des étales de poissons (bien que ces odeurs étaient un brin douteuses), des fruits que le marchant s'empressait de faire déguster en criant pour attirer la foule de sa voix rauque... 1000 odeurs vinrent titiller le museau de Malona. On dit des chiens qu'ils ont des cavités nasales trente fois plus grande que chez l'homme, elle avait sans doute hérité, même sous son apparence humaine, des sens du vieux toutou. Elle s'en lécherait les babines, et il faut avouer qu'elle n'était pas rassasiée d'une ridicule petite pomme. Elle tâta alors ses poches de jupette, en vain. Elle regarda alors, comme toute bonne fille qui se respecte, dans son bustier voir si une petite pièce s'y cachait, hélas, il n'en était rien ! Un magnifique étale de charcuterie apparut comme par enchantement ! Elle s'approcha alors du commerçant, faisant les yeux les plus doux du monde, se trémoussant un brin et en clignant des yeux à moult reprises. Elle avait déjà vu des jeunes femmes obtenir des faveurs de la sorte, mais elle devait avoir l'air ridicule...

- Une poussière dans l'oeil ma p'tite dame ?
- Et merde... Mince, pardon ! Euh, non, non, j'me demandais juste si vous n'auriez pas un p'tit truc à me faire goûter, en... grosses quantités ! Je suis AFFAMÉE !
- Ben bien sûr, j'vous offre mon étalage !
- Oh, c'est vrai ? Demanda t-elle naïvement d'une voix enjouée
- ET PUIS QUOI ENCORE ??? Hurla le vieux et gros monsieur

En moins de cinq seconde, le marchant s'était emparé de sa machette, et l'avait lancé au dessus de l'épaule de Malona pour la faire fuir, celle ci venant se planter dans le pilier en bois de l'étale du poissonnier en face, qui vint à s'écrouler, entraînant une dispute monumentale, et des insultes à foison du genre "T'façon il est pas frais ton poisson..." ! Ah les hommes...

Levant les yeux au ciel, sifflottant, profitant du chao environnant elle tenta de s'emparer de deux ou trois saucisses sèches qui étaient suspendues un peu hautes, grimpa à moitié sur le stand, il s'écroula a son tour, et la sindarin fila en douce dans un fracas peu discret...

Un peu plus loin, une bande de troubadours s'étaient installés près d'une fontaine, quelques personnes avaient entamé une farandole dynamique, elle se fit attraper par la main alors qu'elle s’apprêtait à piquer la sucette d'un gamin et fit introduite dans la danse. Elle se prêta au jeu, mais gardait son objectif en vu, il fallait qu'elle mange ! Tout en tournoyant avec un jeune homme, qui aurait pu être très séduisant si elle l'avait regardé, elle tentait de regarder autour d'elle si un met succulent pointait le bout de son nez. La ronde terminée, ses yeux n'ayant cessés de tourner, elle s'avachit contre un mur, retint son vomi, et alla se poser à une terrasse.

- Trop facile...


Elle s'était emparé de la bourse du jeune homme pendant la danse.

- Un thé... et un STEAK saignant s'vous plait m'dame
, dit elle avec satisfaction à la serveuse
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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeDim 18 Mai - 23:56

Il lui sembla pendant quelques instants qu’un air frais et délicat s’insinua dans la boutique, que l’espace d’une seconde, un frémissement, une onde invisible s’était propagée dans l’atmosphère d’odeur et de fragrance pour en suspendre les particules, laissant même quelques grains de poussière, rendus argentés par les rayons blancs, immobiles dans l’espace. Pendant cet infime moment où tout semblait activé par de curieux mécanismes, derrière son regard de suie et d’onyx qui cherchaient les engrenages dans un automatisme désarmant, la sirène regarda, oubliée, les petites étoiles de glace s’échapper savamment des boucles tentatrices pour se loger et finalement mourir dans le cou du visiteur. Il se dégageait de lui une ambivalence remarquable, son visage oscillant entre une témérité et une détermination sans faille, et une vague mélancolie qui passa dans son regard comme une vague sur l’abîme. Que se cachait-il dans cette tête aussi brute et sauvage qu’un pan de falaise ? Derrière cette crinière sombre et indomptable qui laissait présageait un guerrier tempétueux ? Et cette voix grave qui laissait de ci de là vibrer avec elle le verre des bocaux avec les plus basses fréquences ?

Dès qu’elle se fut tût, elle opta pour un respectueux silence. Il constituait l’un des personnages les plus mystérieux qui habitaient la fable des prêtresses cimmériennes, et le halo de fumée qui l’entourait était encore loin d’être dissipé. Aussi mieux valait-il être prudent avant de juger d’une attitude à adopter, et écouter toute sa réponse avant de pouvoir fournir le moindre geste. Avant qu’il ne réponde, elle entrelaça ses doigts avec souplesse et tact, tâchant de mettre de côté sa méfiance, et d’accepter le plus possible le doute raisonnable. Après tout, il se pouvait vraiment qu’il fut un simple client – même si rien ne permettait de l’envisager – et qu’il vienne commander quelque chose. Ses cils blancs battirent doucement une régulière mesure, alors qu’elle s’efforçait de ne pas voir du noire partout.
Quand sa réponse tomba, elle fut pendant l’abîme du silence qui séparait ses mots prit d’une soudaine confusion. Son air désinvolte et soudain vagabond la plongèrent dans un trouble aussi déraisonné qu’idiot. Ses mots vaporeux, son ton désinhibé et nuageux comme si il s’était déjà égarée dans son esprit plus que dans la boutique, et sa façon hasardeuse d’inspecter l’un ou l’autre des récipients disposés dans la petite pièce commerçante réussirent à la perdre, elle qui s’attendait à voire un peu plus le loup d’Elerinna, à découvrir par ses mots l’émissaire sombre, obscur qu’elle s’imaginait de lui. Simple ruse où fissure dans le masque, la demoiselle resta de marbre, et continua de la fixer sagement. Ses doigts graciles se serrèrent un instant un peu plus, comme pour se donner un peu de force, ou dans un excès de paranoïa se préparer au cas où une lame déguisée viendrait à interrompre ses pérégrinations. Un instant elle vit le tigre du coin de l’œil. Il avait déjà cessé de le suivre pour retourner à sa sanguine besogne. Si Drasha avait cédé, alors peut-être était-il sage qu’elle en face de même.

Chacun de ses pas lourds laissait naître une complainte stridente et sèche du parquet usé, dont la teinte boisée jadis brune s’était transformé en un ersatz sableux et ocre, abîmé par la récurrence des pas et l’absence de vernis. Combien de fois lui avait-on dit qu’il valait mieux le changer… Mais la demoiselle était plus que d’autres très peu réceptive au changement. Et maintenant que ce vieux sol décrépi avait son affection, elle ne le ferait changé qu’une fois qu’un trou béant ne s’ouvre en son cœur, ou qu’il ne soit l’origine d’un accident fâcheux. Petit à petit, dans le silence du sylvestre, elle sentait qu’elle commencer à se détendre. Muscle par muscle, la sirène se décrispait, et commencer à relativiser la situation. Il ne lui laissait pas le signe d’une menace apparente, et lui rappelait un peu un chien en perdition, errant sans grande ambition, et animée soudain d’un nouveau désir. Seulement, ce long silence et ses amples divagations de contenant en contenant lui laissaient croire qu’il hésitait encore un peu. Ou alors que la révélation qu’il s’apprêtait à faire – sil la faisait – n’était absolument pas prévue. Bercée par le rythme entêtant des grincements qui montaient jusqu’aux combles, elle se retrouva surprise quand il prit de nouveau la parole, admettant qu’il venait de lui-même. La chose était étonnante.

Balançant son visage dans une courbe candide, alors que ses cheveux coulaient dans un tomber neigeux, ses oreilles se dressèrent d’intrigue à ses mots. La main d’Elerinna se présentait volontairement à une des sœurs et sans ordres de sa part ? Il alla de surprises en surprise, dansant sur un pied maladroit et restant en dehors de tout contact, plongeant la demoiselle dans un doute silencieux et troublé. Sa main jouait nerveusement avec les plis de sa cape qui pendait encore sournoisement à ses épaules fragiles. Plus il parlait, plus il s’enfermait de mystère, tissant habilement une toile fine et brumeuse autour de ses réelles motivations. La sirène ne bougeait plus : sa curiosité était piquée à vif… Le loup continuait sur ses pas de velours à entourer le sujet, à tourner savamment autour du buisson, en se cachant du vif, mais en soulignant qu’il serait simple. La sirène, plongée dans son abîme de mutisme, commençait à croire qu’il jouait avec ses nerfs… Ou avec les siens ?

Finalement, son museau lupin se campa encore une fois sur la masse de plantes aux courbes grotesques, aux airs piquants et menaçants, aux tiges sombres et épaisses, et pour beaucoup pourvues d’épines qui étaient entassées dans un des angles de la pièce. Les chlorophylliennes du froid semblaient subtiliser son regard aux objets de la pièce, quand plus tôt les félins l’avaient conquis. Que voulait-il exprimer… Si la demoiselle avait été douée de spontanéité, elle aurait probablement fendu le silence de sa voix claire pour le pousser à poser sur la table les motifs de sa venue, qui la tenait encore dans l’inquiétude comme un étau ferreux qui retenait son corps fragile et discret. Dans la même courbe, elle pencha son visage, ses lèvres taillée dans une moue pensive semblait un peu plus curieuse, un peu plus boudeuse que d’habitude. La silhouette ombragée était prête à détruire son mystère… Et la léonine attendait fébrilement qu’il place sous ses yeux la vérité qu’il essayait de formuler depuis son entrée et sa venue. Dans un frisson imperceptible, elle retint son souffle quand il reprit la parole, laissant chacun de ses mots s’inscrire sur son esprit comme ils l’auraient fait sur sa peau.

Dans un tremblement d’oreille, elle étouffa un rictus coupable. Ses recherches de plantes s’arrêtaient au domaine sous-marin, et elle savait qu’elle pourrait compter sur Duscisio Balibe si elle avait besoin d’un spécimen plus rare. De plus, elle considérait sa place au temple et non dans les jungles… Elle tenait plus de la sœur que de l’aventurière quand il s’agissait de s’éloigner un peu de son pays, quand cela ne lui touchait pas à cœur. Mais sa voix lourde et grave était chargée d’un tremblement étrange, une vibration inquiète et pesée qui trahissait une émotion lasse dans ce cœur tempétueux. Un nœud, quelque part dans cette gorge abritée par un pelage sombre, entre quelques boucles noires. Que se cachait-il dans cet esprit sombre, sous cette tignasse sauvage et brune ? Il semblait calme, presque absent, comme si il répétait un discours qui ne le concernait pas, alors qu’il en était le protagoniste. Ce jeu sonnait faux, triste, et transparaissait d’une étrange mélancolie qui toucha la demoiselle au creux de son palpitant froid. Dans un battement de cil, elle le vit enfin, un loup errant, accroché par un collier doré, et une chaîne lourde qui le liait à une Eglise. L’œil plaintif qui recherchait la liberté et la fougue, la nature brutale qui l’avait taillé. Il venait la voir en quête de liberté…

La sirène frémit soudain, oubliant ses mots pour observer la personne à la voix lente et aux sourcils tendus dans un arc nerveux. Ils se ressemblaient plus qu’elle ne voulait l’admettre. Ils étaient tous deux reliés à une institution qui les coupait d’une part d’eux-mêmes. Cette vision l’anima soudain d’un peu de fougue, autant qu’il semblait vibrer à nouveau d’un brûlant enthousiasme. Mais si lui était prêt à s’engouffrer dans l’aventure à pieds joints, elle se réserva la surprise et la réserve que cela imposait, devenant soudain songeuse devant sa vitrine.
Les bruits de mastications humides et de mastication frénétique furent bientôt les seules choses d’audibles dans la boutique. Othello, poupée de porcelaine dans un corps laiteux et candide d’enfant, se tourna vers ses compagnons animaux et passa sans conviction sa main de la fourrure mouchetée de Jehyel, qui trouvait son bonheur ultime dans le délice rouge et sanglant qu’il lui était offert. Beaucoup d’idées se confrontaient à présent dans son crâne enneigé, ondin, rempli déjà de quelques tourments qui l’assiégeaient. Dans un silence d’Eglise, elle essayait de distinguer tous les éléments que le loup lui présentait, toutes les cartes même assombries qu’elle avait sous ses yeux d’ébènes. La première était qu’elle n’avait besoin de cette quête. Mais elle l’intriguait, bien naturellement… La prêtresse qu’elle était restait rassurée entre ces murs, et même si elle était enchaînée à son temple, la pression était supportable, vécue pendant tant d’années. L’animal, quand à lui, trépignait de retrouver la nature et les forêts, de s’évader, de pouvoir goûter à quelque chose de nouveau. Un pincement saisie sa lèvre : elle était terrifiée devant l’urgence et le choix.

Dans un geste vif et froid d’automatisme et d’absence, elle dévisagea soudain le soldat avec une intensité désarmante, comme si son visage lui délivrerait la bonne réponse. Dans cette affaire, elle n’était que le bouc émissaire, la raison parfaite pour autoriser des pérégrinations bucoliques jusqu’aux îles du sud. Son rôle était minime… Comme les conséquences de ce périple. Et elle ne devait l’oublier : Léogan ne jouait pas sur le même côté de l’échiquier, ses armes étaient offertes à d’autres. S’allier à l’ombre de la Grande-Prêtresse pour une ballade forestière en terre inconnue ? L’idée sonnait particulièrement maladroite. Et elle craignait qu’en acceptant elle ne finisse avec une dague quelque part entre les côtes. Cet œil devait cacher quelque chose, un sentiment plus puissant que son affiliation à Elerinna qui lui faisait si peur… Pouvait-elle tenter l’aventure ainsi ? Dans un éclair, elle aperçut une étincelle d’impatience, une spontanéité, une soif d’espace et de nature... Un loup captif qu’elle pouvait libérer pendant un mois, un colonel fougueux qui n’avait soif que de départ. Et au fond, qu’avait-elle à perdre ? Ce loup attirait sa curiosité, autant que sa méfiance.
Drasha bailla.


« - C’est d’accord. » Dit-elle simplement, d’une voix maladroite. Puis se repenchant naïvement, elle retomba auprès des bêtes, son dos courbé dans un creuset tendre, alors que sa crinière de lionne le recouvrait en une sauvage couverture. Son ‘oui’ était encore tremblant et incertain. Mais il s’agissait néanmoins d’un oui.  

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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeMar 20 Mai - 0:53

Léogan était à mille lieux d’envisager qu’il déchaînait à ce point l’imagination d’Othello sous son masque de porcelaine. Il se marrait bien quand on disait de lui qu’il était un homme mystérieux – pour sa part, il avait toujours pensé être un homme très simple à qui la vie avait posé beaucoup de complications. Il parlait peu, et encore moins de lui-même, tempêtait à toute occasion, était entré au service d’Elerinna avant l’arrivée de la plupart des prêtresses au sanctuaire, du reste pour des raisons qu’on ignorait, et enfin sa propre identité – chaotique – lui causait plus de confusion qu’à n’importe qui, puisqu’en ce qui le concernait, il devait vivre avec. Cela suffisait à égrener les rumeurs à Hellas et à lui donner des apparences d’homme à secrets, alors qu’il n’en gardait pas de plus fantasques que d’autres ; ou en tout cas, pas de secrets qu’il avait formés de lui-même…

Non, vraiment, cette perspective ne lui traversait pas l’esprit, d’autant plus qu’il ressentait un certain malaise dans cette boutique, où seuls la respiration de la sirène et la mastication d’un fauve affamé troublait le silence. En fait, il s’efforçait de rester concentré sur ses objectifs égoïstes et de ne pas se laisser troubler par la neutralité métallique de la jeune fille. On aurait dit une enfant qui songeait – une enfant somnambule aux désirs insondables ou une très belle poupée, inerte, en porcelaine pure.
Quand elle leva un regard glacial vers lui et qu’elle le fixa, sans qu’il ne perçût la moindre étincelle, ou la moindre fluctuation dans l’abysse noir de ses yeux, cette idée lui parut plus effrayante encore. Il respirait un peu vite et sentait le poids de son jugement peser sur lui, avec une angoisse froide qui se mêlait à l’excitation. Il avala sa salive et ses lèvres se pincèrent douloureusement.
Elle le craignait, au moins autant qu’elle ne l’effrayait ; ou plutôt, elle craignait la puissance qu’il représentait, les pièges qu’il était susceptible de lui tendre et la brutalité du choix qu’il lui proposait. Ce n’était pas une décision facile à prendre, il en avait conscience ; les prêtresses étaient plutôt sédentaires et citadines, elles avaient leurs habitudes bourgeoises dans leur capitale, pas forcément confortables, ni sécurisantes, mais closes dans des murailles qui rendaient leur monde étroit. Si Hellas était devenue une prison pour Léogan, pour les prêtresses, la ville était un petit univers. Elles se faisaient à sa taille et vivaient au milieu de détails microscopiques infinis, comme un géant vivrait dans l’infiniment grand de l’espace. Ce n’était qu’une différence de perspectives, au fond.
Léogan était venu rompre la petite toile minutieuse que tissait Othello dans ce coin du monde, avec une violence féroce que tout le tact du monde ne pouvait pas dissimuler. C’était peut-être sa façon d’être intimidant, ces réactions bizarrement brutales d’animal qu’on croyait apprivoisé.

Enfin, Othello parla. Léogan se suspendit à ses lèvres.

Ses mots, concis et efficaces, presque incisifs, ne semblèrent pourtant pas échapper au sortilège de l’herboristerie qui les couchait silencieusement dans le creuset du temps où ils s’allongeaient, se dilataient et se diluaient dans les secondes comme des gouttes de givre dans une eau abyssale. Sa voix résonna longuement dans la pièce en soulevant des nuages d’odeurs humides et boisées, s’éleva dans les combles, s’y perdit, mêlée aux grincements du bois, et ils murmurèrent ensemble une berceuse désincarnée, martelée presque mécaniquement par les bourrasques qui bousculaient la charpente.
Il sembla à Léogan que les deux mots qu’avait prononcés Othello furent les plus longs qu’il eût jamais entendus, et son esprit engourdi par l’atmosphère étrange de la maison ne les comprit pas immédiatement. Il frémissait un peu, sa fermeté mise à l’épreuve par les yeux noirs de la prêtresse, dont la tête enfantine dodelinait un peu sur le côté, toujours insondable.

Ce ne fut que lorsqu’elle se pencha sur les deux fauves avec une tendresse mystérieuse que Léogan comprit qu’elle avait accepté. Un frisson courut le long de son échine et ce fut comme si la victoire lui avait offert un souffle nouveau. L’ombre d’un sourire passa furtivement sur ses lèvres.
Il était tout à fait surpris de l’entendre accepter aussi vite. Il s’était attendu à devoir donner des preuves de bonne foi et de bienveillance, ou même à se heurter à l’indifférence de la prêtresse, qui avait sans doute bien d’autres tâches à mener, plus conformes à sa fonction et à son devoir. L’accord de la jeune femme était d’autant plus étonnant qu’elle n’avait manifesté aucun signe d’intérêt, ni pour la perspective de cueillir des plantes tropicales, qu’elle acceptée avec nonchalance, ni pour l’aventure elle-même, qu’elle n’avait commentée qu’en pinçant discrètement ses lèvres orangées. Avait-elle entendu cette proposition comme une invitation à s’enfuir elle-même, qu’elle avait signée expressément en balayant pour l’instant la méfiance qu’elle éprouvait à l’égard de Léogan ? Peut-être avait-elle réellement trouvé de l’intérêt aux suggestions maladroites qu’il lui avait faites, après tout. Ou était-ce simplement par altruisme ? Bah ! Et en quel honneur, s’il vous plaît ? On n’acceptait pas par philanthropie de s’engager du jour au lendemain pour un voyage à l’autre bout du monde connu. Bien sûr, Othello avait, à première vue, moins d’intérêt que lui à se lancer sur les chemins d’El Bahari, et il était possible qu’elle eût accepté un peu par courtoisie, mais il y avait sûrement autre chose, et cela troublait Léogan au milieu de sa joie subite. Elle ne le connaissait pas, et ne lui devait rien.

A bien considérer, ils étaient pareils à deux fauves qui se seraient observées sur le qui-vive, à couvert dans les fourrés, intrigués l’un par l’autre et néanmoins prêt à riposter si l’autre devait faire l’erreur d’attaquer. Ils gardaient leurs distances, elle par méfiance, c’était évident, et lui par tact, comme le loup attendri qui voudrait approcher un agneau – sauf qu’elle était loin d’être inoffensive, allongée entre son tigre immense et son léopard carnassier comme une princesse féline.

Néanmoins, elle avait accepté rapidement. Elle avait eu une hésitation et un soupçon de maladresse qui avait fendu ses lèvres et fait vibrer candidement sa voix. Elle avait tout à coup paru touchante à Léogan, plus humaine, plus innocente et plus sensible, et il savait qu’il avait réussi à surprendre un tant soit peu son cœur de diamant. Il était incapable de connaître les raisons qui animaient alors cette étrange jeune femme, au point de s’imaginer dans un recoin puéril et impressionnable de son esprit que le sien ne connaissait aucun remous ni aucune vie sous son front de porcelaine, mais en vérité, il lui était infiniment reconnaissant et malgré tout, ces deux mots tremblants qu’elle avait prononcés le rassuraient et donnaient corps à ses espoirs.
Il se sentit tout à coup habité par une frénésie incontrôlable. Ses yeux étincelaient. Il avait l’envie gamine de prendre tout à coup Othello par la main en faisant fi de tout tact et de toute politesse et de l’entraîner loin, très loin, immédiatement. Mais il fallut tout de même réfréner son enthousiasme, et il se contenta de murmurer à la jeune femme, d’une voix sourde, où fourmillaient sans bruit les mille et mille raisons de sa gratitude :

« Entendu… Merci, Dame Lehoia. »

Il ferma un instant les yeux de soulagement. Quand il les rouvrit, il était déterminé à faire oublier l’inconséquence du périple à venir et les vieux antagonismes qui se jouaient au temple de Kesha, et dont il n’avait que faire en vérité, et il esquissa un sourire enjoué avec plus d’assurance que d’ordinaire.
Il se planta au milieu de la pièce et enterra ses mains dans les poches de son manteau, en laissant son regard vagabonder à nouveau sur les pots odorants de l’herboriste, dont il sentait les effluves se mêler avec satisfaction. Un parfum d’agrume flotta et passa furtivement sous son nez ; l’image vague de Malona et de sa chevelure rousse traversa son esprit. Il réalisa qu’il ne s’était pas franchement intéressé aux intentions qu’elle avait formées pour ce voyage et – il l’admettait pour lui-même – il n’avait retenu de sa proposition que ce qui le touchait personnellement. De son côté, Othello avait peut-être le sentiment d’être la cinquième roue du carrosse dans cette affaire, et il ne lui avait pas caché qu’il avait besoin d’un prétexte pour quitter Hellas. C’était tristement égoïste, mais il ne tenait plus ; maintenant qu’il avait une perspective concrète de fuite en face de lui, il aurait crevé de ne pas la suivre.
Il était conscient que sa démarche était bizarre, qu’il sollicitait une personne qui n’aurait dû avoir aucune affinité avec lui du fait de leurs positions et des conventions tacites de la politique, mais il se fichait bien de tout ça, et il était même prêt à les foutre en l’air pour un temps – en attendant de pouvoir le faire pour toujours.
Décidément, il ne comprenait pas pourquoi elle avait accepté. Et quelque part, il regrettait un peu de discréditer sans cesse les prêtresses de Kesha, quand l’une d’entre elles acceptait aussi spontanément de lui rendre service.

Son sourire enjoué fondit un peu dans la maladresse à cette pensée, mais il tenta de ne laisser rien paraître en amorçant plus ou moins la conversation :

« J’espère que vous ne vous en formaliserez pas, la jeune fille que nous accompagnerons a l’air d’être plutôt… Exubérante. Pas méchante, mais enfin… Vous vous ferez votre avis. »

Il était curieux de voir les deux jeunes filles se rencontrer ; a priori, ce ne serait sûrement pas une symbiose immédiate et parfaite : il avait lui-même eu l’impression de trouver les deux pôles de la féminité en une matinée, mais avec un peu de chance, elles parviendraient peut-être à s’accommoder de leurs caractères respectifs…
Ce ne serait pas facile. Il n’y avait plus qu’à espérer que cela ne compromettrait pas le voyage.

Léogan tourna les talons soudainement et posa une main sur la poignée de la porte, avant de regarder Othello et de lui sourire en faisant tous les efforts du monde pour lui inspirer un peu de confiance.

« Vous venez ? demanda-t-il, avec désinvolture. J’ai rendez-vous avec elle, vous pourriez la rencontrer. Et boire un thé chez moi, par la même occasion, si le cœur vous en dit. Et si vous n’avez rien à faire de pressant, évidemment. »

***

Ils arrivèrent à l’heure dite, vers midi, devant la maison en colombages de Léogan, dont le vieux chapeau de briques menaçait toujours aussi énigmatiquement de s’écraser sur la rue. Il monta avec Othello la volée de marches qui menaient à l’entrée, respira sereinement le parfum du tilleul qu’il faisait pousser par magie à sa porte, et fit entrer chez lui la prêtresse.
Une fois à l’intérieur, il ôta ses gants avec satisfaction, se frotta les mains et conduisit la sirène à la cuisine, en traversant le couloir central de la maison. Il ouvrit la porte de la cuisine et invita Othello à y entrer, avec un sentiment de gêne grandissant. Il ne permettait pas à grand monde de venir se fourrer chez lui, et à l’exception d’Ilyan, de sa femme Elza et d’Elerinna, personne d’autre que lui n’y avait vraiment vécu. Il lui était difficile de considérer qu’il avait bien un logis à lui à Hellas – un chez lui,  c’était une idée qui le rebutait depuis toujours – mais il restait qu’on apprenait beaucoup d’un homme en visitant sa maison. Si la situation n’avait pas été aussi imprévue, Léogan songeait qu’il aurait déménagé toute sa serre intérieure dans le jardin. C’était assez gênant, toute cette démonstration végétale – pour une raison qu’il avait du mal à définir.
Il ôta son manteau, le jeta négligemment sur une des chaises de la table ronde de la cuisine et frissonna un peu dans les odeurs de cendres froides qui flottaient dans la pièce.

« Je suis désolé, il fait un peu froid, je n’avais pas vraiment prévu de visite aujourd’hui, s’excusa-t-il, avec un sourire contrit. Je vais faire du thé et un feu, ça ira mieux. Installez-vous, elle ne devrait pas… »

Soudain, le heurtoir de la porte d’entrée cogna sèchement et les quelques coups frappés par le visiteur résonnèrent dans les hauteurs cathédrales du couloir. Léogan n’acheva pas sa phrase, fit signe maladroitement à Othello qu’il allait ouvrir et s’empressa de faire entrer Malona, en se disant que le voisinage finirait par se poser des questions, avec toutes ces allées et venues féminines sur son pallier.

Quand la rouquine entra à son tour dans la cuisine, Léogan se chargea rapidement de faire les présentations, de plus en plus embarrassé par la situation :

« Alors… Malona, c’est ça ? demanda-t-il, en croisant le regard frétillant de la petite Sindarin. Othello Lehoia, l’herboriste dont je vous ai parlé. Dame Lehoia, Malona, bon… Je vais faire du thé. »

Il laissa les deux jeunes femmes s’installer autour de la table et s’occupa d’allumer un feu au fourneau pour y faire bouillir de l’eau. Après avoir déposé des feuilles de thé noir sur la grille de sa bouilloire en fonte, prévue à cet effet, il l’abandonna au feu. Puis il disposa rapidement du sucre et des tasses en céramique un peu rustiques sur la table, et pendant que la bouilloire de fortune faisait son œuvre, il avança vers la cheminée de la cuisine pour y jeter du petit bois et faire un peu de chaleur dans l’endroit, trop mal à l’aise pour poser des bases à la conversation.


Dernière édition par Léogan Jézékaël le Mar 20 Mai - 11:51, édité 3 fois
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Anonymous Invité
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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeMar 20 Mai - 10:25

Quel bordel pour revenir sur ses pas, le ventre gonflé à bloc, sac de voyage sur le dos, des dizaines d'affaires sous les bras, chaussures, bottes, chaussettes, pantalons, vestes, gros manteaux, chapeau de laine, de tout ! Une fois face à la ruelle sinistre qu'elle n'avait pas apprécier traverser à l'aller, elle décida de contourner et de prendre une rue parallèle, plus grande. De là elle entama un périple à lui tout seul, elle se perdit. C'est au bout d'une heure, ayant traversé la ville de long en large, qu'elle déboucha sur une placette qui lui était connue. Oh ! La maison de Léogan ! Enfin. Elle monta maladroitement les quelques marches qui menèrent au palier, s'écrasa la tête la première contre la porte, et la porte s'ouvrit.

- Tiens, mais j'ai pas toqué... ah, ma tête oui... songea t-elle.

L'ambiance qu'il régnait dans la maison glaça le sang de la sindarin qui laissa tomber d'un coup ses lourdes affaires sur le sol, ce qui fit lever un fin nuage de poussière qui avait prit place par terre.  
Malona fut invitée à prendre place dans la cuisine où elle reconnu à l'odeur, la présence d'un thé noir. En entrant dans la pièce, Léogan disparut et elle se trouva face à face avec un nuage brumeux. Elle leva haut les sourcils, et elle fut prise d'un sentiment de respect infini, qui ne collait guère au caractère extraverti de Malona.

- Bonjour, lança t-elle timidement. Dame Lehoia ? Temple ? Oh lala, mais qu'est-ce que Léogan nous a ramené là ? Une personne de la haute société ? En tout cas elle est belle, toute blanche, et limite elle me fiche les pétoches, pensa t-elle à nouveau dans sa petite tête.

Ne laissant le temps à la prêtresse de lui répondre yeux dans les yeux, elle se tourna d'un coup et regarda l'eau bouillante.

- Oh, j'ai dégoté un petit thé dans une herboristerie un peu étrange dans une vieille rue d'un bled dont j'ai oublié le nom !

Elle ôta alors du bout des doigts les feuilles de thé noir qui reposait sur la grille de la bouilloire, et couru à l'entrée fouiller, dans un fracas sonore, dans son sac pour y sortir un sachet en papier. Elle retourna à la cuisine aussi bruyamment, remplaça les feuilles avec satisfaction, et laissa infuser le tout.

- Hum, quelle odeur parfumée !

Il s'étendait dans la pièce un parfum de pluie d'orage...

- Taper du poing sur la terre comme on tape du poing sur la table. Voilà si longtemps que la bagarre cherche. Il y a eu des jours et des jours engorgés d'un ciel et d'une chaleur de plomb gras, qui ont raboté l'horizon, englué le vent, énervé les bêtes et gens. La nuit elle-même se voyait refuser toute fraîcheur, livrée comme n'importe quelle heure du jour à l'obscène palpation d'une moiteur qui se croyait chez elle partout et à tout moment. On ouvre grand les fenêtres pour rien. Et puis, au début de l'après midi, le ciel au nord vers le pays de la Seille semble se rendre et crisser. On perçoit des lueurs, sourdes, comme dans une forme d'apocalypse balbutiante. Tout s'obscurcit soudain. Je songe à ces vendredis saints où nous guettons de quelle façon les nuées vont commémorer le Crucifié du Golgotha. Fracas de lumière et de fureur. La hache de la foudre s'abat sur un saule près de la mare. On ne l'a pas vue venir. Arbre fendu en deux, pantelant, exhibant sa chair blanche de haut en bas, comme une cuisse claire sortie d'un bas déchiré. Zébrures hystériques. Autographe éphémère d'un artiste mégalomane. Les génisse dans le pré de chez Pouquet piquent des deux et foncent en bande vers la rivière pour s'arrêter brutalement, stupides, sur la haute berge, et n'en plus bouger. Un murmure. Qui grandit. C'est la pluie qui, après avoir fait disparaître le coteau du Rambêtant sous un écran strié, court comme une marée dans les airs, engloutit les boqueteaux près du Grand Canal, boit les champs, se coule vers notre maison, ruisselle déjà dans les jardins du fond. Le chat glisse sous la pierre plate posée en porte-à-faux contre les clapiers. Des gouttes isolées donnent les premières notes, mates, près du poulailler, et c'est le gros de la troupe, armée oblique et drut de soudards qui sabrent sans vergogne les pétales des dernières tulipes, déchirent les feuilles encore fragiles des cerisiers, humilient les pivoines en les forçant à courber leurs têtes crémeuses avant de les écraser au sol, grêlent la terre de millions de cratères gros comme l'ongle d'un pouce. Massacre élémentaire. Pilonnage. Cataracte. L'eau fraîchit l'air et le sabre. C'est le mufle d'un monstre qui nous souffle à plein visage sa trop chaude haleine de tropique. Des fleuves minuscules charrient leurs eaux brunes dans les allées, et des mers vaporeuses se forment au pied des framboisiers. On grelotte un peu, et on sourit, tandis que, bien à l'abri de l'orage, on inspire le fumet que le massacre délivre, humus de marais, tourbe, sève, sucre des corolles des lys dont les pétales en pleurs sont comme des haillons, poils de bêtes aux abois et qui meuglent en chœur au loin, souple de terre relevée par le frisson des lavandes vertes mais dont l'orage a excité la nature, résine venue d'on ne sait où, et le vent enfin lvé, revanchard, brasse tout cela avec les dernières gouttes de pluie tout en poussant l'est, encore paisible, à cette heure, le fatras des nuages crevés et les coups de tonnerre.

Qu'elle aurait aimé que ces mots sortent de son imagination, hélas, ils étaient ceux indiqués sur un papier, au fond du sachet. Il semblerait que chacun des parfums, des thés vendus, soient décrient de la sorte. Elle retourna alors à son sac fouiller dans ses achats : Acacia, Brouillard, Charogne, Draps frais, Eglise, Légumes, Réveil, Terre, Voyage... qu'elle avait hâte de déguster ces thés associé à de petites paroles douces... Elle retourna a nouveau à la cuisine, ne prenant ni garde à Léogan, ni à Othello, étant dans ses pensées et se pointa face à l'eau bouillante.

- Il m'a dit que ces thés étaient spéciaux... En quoi... ? Lança t-elle en regardant la femme nuage, se perdant un peu dans ses pensées...

Elle remplit trois tasses, en poussa une vers Othello, en tira une verre elle, et amena la troisième face à la chaise destinée au colonel.

- Alors comme ça vous partez avec nous ? Besoin d'un échappatoire ?
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Othello Lehoia
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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeJeu 22 Mai - 12:22

De grands arbres, immenses, aux troncs majestueux l’entouraient complètement, et attirait son regard qui tourbillonnait dans ce cadre étrange. Là, c’était un pin qui la saluait de ses épines accueillantes. Là, c’était un oranger, qui soufflait dans sa chevelure pâle ses vapeurs lourdes et embaumantes. Là encore, un santal pourpré et massif lui souriait malicieusement entre son feuillage, vibrant avec la brise, déposant sous son nez ses pétales incarnats dans un geste tendre, comme pour l’inviter à dormir entre les courbes de ses racines. Entre les ramures, elle ne distinguait aucune forêt, ni aucune ville, ni aucune pleine. Simplement une vague lumière dorée où flottaient dans une lenteur irréelle des boules de pollen cotonneuses et des fleurs tombées, presque figées dans l’air de cette aurore matinale ou de cette aube tardive. Elle crispa ses orteils, les enfonça dans le sol friable, une mosaïque colorée, tout aussi odorante que le reste, composée de feuilles tombées, de pétales de fleurs, en pleines santé, éclatantes de couleur. Savourant une entêtante plénitude, une rafraîchissante gaieté, Othello virevoltait, faisant danser dans le vent les boucles de sa crinière, comme si elle se retrouvait enfin là où les cieux la destinaient.

Brusquement, elle rouvrit les yeux. Et toute la forêt s’envola de son esprit pour retourner à ses songes : elle n’avait en face d’elle qu’une imposante cuisine, à la forme étrange, et rempli de tant d’odeurs que même son nez d’artisan s’en retrouvait confus. Toutes ces fragrances lourdes l’envahissaient, parcourant avec délice et surprise ses narines blanches, glissant jusqu’à ses poumons qui troquaient l’air marin pour ce pot-pourri forestier. Dès qu’elle fermait les yeux, elle revoyait ces arbres et ces fleurs tourner autour d’elle. Cette pièce était étrange, et la sirène, en passant la porte derrière le loup sombre, avait d’avantage l’impression d’arriver en terre inconnue et sauvage, une jungle épaisse où gisaient encore de ci de là quelques éclairs de civilisations, que dans une pièce à vivre destinée à la concoction de quelques petits plats. Tout de suite, elle aperçut, dans cet étrange configuration, une petite cheminée, qui diffusait aux milieux de toutes ces plantes un vague nuage de cendre et de feu mort. La poupée s’arrêta quelques secondes devant, oscillant son regard entre le colonel et son mobilier.

La situation était anodine. Et elle avait l’étrange impression de ne pas être là où elle devrait être. Ou plutôt : que la cuisine dans laquelle elle se tenait droite, figée  comme une statue de givre, n’était pas celle de son détenteur. Parcourant les meubles encore une fois, faisant le tour des murs, du plafond sylvestres où s’entremêlés des dizaines de poutres et de ramures, comme si la maison était bâtie sur un arbre, Othello hésitait encore entre une illusion étrange ou entre une révélation : le sombre colonel qu’elle imaginait cachait bien son jeu. Depuis qu’ils avaient quittés sa boutique, il lui sembla que son attitude avait changé, et que petit à petit, sous ses yeux, le masque obscur qu’elle lui avait longtemps placé sur le visage commençait à s’effriter, à perdre de sa force et de sa consistance pour révéler un homme plus simple, spontané. Ses gestes un peu maladroits et timides tranchaient brutalement avec l’idée de l’émissaire, de la main vengeresse et servante de la blanche sindarine, et donc les mèches bouclées ne cachaient pas la noirceur d’âme, mais une honnêteté désarmante. Depuis qu’elle était à son contact, la demoiselle était ravie par la surprise et la découverte, et restait hésitante, perpétuellement, entre la méfiance et la confiance. Il avait eu l’air heureux de partir. Et elle était toujours heureuse de pouvoir rendre service, à quiconque.

Alors qu’elle rêvassait encore dans un coin de mur, il prit la parole. Depuis son arrivée dans la maison, la poupée de verre ne s’était nullement aperçue de la température – avoir le don de ne pas être sensible au froid glacial peu parfois avoir ses avantages. Mais pour son confort, elle se jura de faire attention à cela : en situation maladroite, ses instincts avaient la malade habitude de diffuser d’eux-mêmes une vague fraîche qui effusaient de sa personne, comme allait le faire le thé dans l’eau. Obéissant docilement au maître de maison, elle trouva une chaise proche d’elle et s’y déposa comme une plume, sans un bruit si ce ne fut le plissement du tissu de sa cape orangée qui la recouvrait entièrement. Dans une belle coulée, ses cheveux s’étaient renversés au-dessus de son épaule, et ondulaient joliment jusqu’au par terre frais dans une rivière de neige. Un éternuement sonore se fit alors entendre. Tournant son visage dans une courbe mécanique, elle aperçut le petit léopard braqué sur ses pattes arrière, les pattes avant pliés, se battre avec l’invasion de pollens qui venaient assiégés brutalement ses naseaux inviolées de jeune félin. Jusqu’ici, les deux félins s’étaient fait très discrets, Drasha déplaçant nonchalamment son incroyable séant d’un air désinvolte pour l’allonger dans un coin de la pièce d’un air las, alors que le léopard plus volontaire s’était promené d’une démarche enthousiaste jusqu’à la cuisine, où l’air forestier avait eu raison de lui.

Alors qu’elle n’avait écouté Léogan que d’une moitié d’oreille, le bruit venant de l’entrée lui avait paru clair comme de l’eau de roche, et se démarquait même parfaitement entre sa voix grave et les éternuements épars du félin inaccoutumé. Un frisson parcourut son dos. Pour une raison qu’elle ignorait – ou plutôt qu’elle connaissait très bien – elle redoutait cette rencontre. Les mots du colonel un peu plus tôt l’avaient déjà éclairée un peu sur sa mystérieuse acolyte, celle qui était venue le chercher personnellement. Comment l’avait-il décrit, déjà ? Exubérante… Alors que le colonel s’enfuyait pour aller accueillir la nouvelle demoiselle, et que déjà des éclats de voix se propageaient dans l’entrée entre les pierres et dans l’escalier, la demoiselle déglutit silencieusement, et perdit ses yeux sur Jehyel, qui la regardait affectueusement. Elle se savait étrange, introvertie, et la parole n’était pas son fort. Et même si cette rencontre l’inquiétait un peu, le vide revint rapidement faire son nid dans son esprit. Après tout, pourquoi s’inquiéter ? Quand on est une excuse, on n’a pas de mot à dire.

Mais au lieu de voir une femme entrer dans la cuisine, c’est une  bouffée d’air frais qu’elle eut sous les yeux, et qui dessinait entre les plantes sa silhouette colorée. D’un geste mécanique, la poupée léonine tourna vers elle son visage absent, et déposa sur sa peau tendre ses yeux sombres et hypnotiques. A première vue, elles devaient faire à peu près la même taille, mais il y avait dans le corps de Malona quelque chose d’électrique, un tourment ambivalent qui séparait sont visages et son buste d’adolescente pétillante de l’aura féminine et chaleureuse qu’elle dégageait, par vague de fraîcheur et d’odeurs à chacun de ses mouvements. La sirène ne savait pas où mettre ses yeux, et la dévisagea magnétiquement sans grande lumière dans son regard absent, bien que son esprit était à la fois impressionné et fasciné par les courbes matures de cette femme à la crinière des plus flamboyantes, ses deux yeux d’un vert étincelants qui lui rappelaient les plaines en été, des prairies vivantes et ondulantes au grés du vent, entouré d’un jolie teint crémeux, et d’une paire de lèvres pulpeuses et envieuse, presque insolentes. Son air un peu surpris lui donnait un visage de peinture, un air à la fois tendre et adorable, comme sur le visage d’une petite fille, alors qu’entourant son visage comme une rivière de lave, sa chevelure de flamme virevoltait amoureusement sur ses épaules.

La pulpeuse dame s’adressa de toute évidence à elle, lui envoya un salut un peu timide, un peu léger qui s’envola en l’air comme une plume haute et douce, poussant la sirène à lever quelques instants ses yeux au plafond. Elle lui renvoya un bonjour timide, ouvrant faiblement sa bouche subtilement dessiné, sa voix portant à peine dans cette cuisine où tout son était étouffé par la folle fragrance qui y régnait. La sirène la suivit des yeux alors qu’elle s’envolait aider le colonel, ses hanches généreuses ondulants sur son passage.

Une étincelle s’illumina soudain dans son esprit, alors que la fameuse Malona, avec un ton aérien des plus innocents lisait scrupuleusement le paquet d’un mélange douteux qu’elle fit ensuite infuser. A présent, elle comprenait un peu mieux pourquoi le lupin, sous ses boucles noirs, avait accepté. La jeune femme – à bien regarder, Othello avait vraiment du mal à déterminer son peuple- était très mignonne, avait des rondeurs idéalement placées et avait quelque chose sur sa frimousse d’adorable et d’angélique, qui lui donnait cet air un peu voyageur et naïf qui plait.  La sirène connaissait peu les hommes, mais elle savait, à leur regards lubriques et brûlants dès qu’ils passaient au temple, qu’un peu de beauté pouvait enflammer facilement leur coeur. Ses yeux noirs oscillèrent alors rapidement entre le colonel et l’herboriste enflammée, passant de l’un à l’autre, posant tantôt sur l’un tantôt sur l’autre son hypnotique faciès, ses traits vides et absents qui se taisaient. Se pourrait-il que… ?

Un bruit sourd et argileux sur le bois attira de nouveau son attention quand une tasse lui fut offerte devant elle, sur la table. Dans un silence de cathédrale, elle la scruta quelques secondes, avant d’enrouler autour ses doigts froids et blancs. Il lui sembla que la rousse lui parlait encore, sur ce même ton rond et naïf, si pétillant qu’Othello se sentait acculée de toute cette démonstration d’émotion. Puis soudain, elle vint se poser non loin d’elle, sur une autre chaise vide, avant de lui retendre une question qui la replaça brutalement dans sa condition d’excuse. La phrase était savamment construite, si bien que la demoiselle replongea quelques instants ses yeux dans la tasse, sans prendre le bonheur de répondre de suite. Un petit bruit attira son attention à côté d’elle, un bruit piquant de crachat et d’éternuement, suivie d’un miaulement si haut qu’il aurait pu s’agir d’un chaton. Le petit léopard la dévisageait de sous la table, avec de grands et beaux yeux bleus azuréens qui semblaient vouloir l’apaiser calmement. Esquissant un sourire tendre, elle ouvrit un bras pour que le félin puisse venir s’installer sur ses genoux, leur imposant le début de son poids certain, mais aussi la douceur et la chaleur de sa fourrure.
Au fond de la cage d’albâtre qu’étaient ses côtes, son cœur ralentit doucement, alors qu’elle respirait les vapeurs lourdes du breuvage. Elle n’avait ni besoin ni envie d’échappatoire. Simplement l’envie d’aider. Mais alors que se dessinait le voyage, et se sentait toujours un peu plus bouc-émissaire, toujours un peu plus claire, devant cet étrange duo d’ombre et de lave, et devant cette demoiselle si chaleureuse et démonstrative qu’elle se perdait dans sa voix.


« - Non. » Souffla-t-elle finalement, d’une voix timide et absente. «  Je ne pense pas en avoir besoin…  Mais je viendrai tout de même

Ses yeux se relevèrent vers l’herboriste, lui offrant cette réponse d’une sincérité affolante. Ne sachant plus que dire ni que faire, elle reprit la tasse entre ses doigts, contournant avec attention le félin, et se laissant le loisir d’arborer le liquide brûlant encore un peu avant de le laisser couleur le long de sa gorge.
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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeMar 27 Mai - 0:24

Léogan s’occupait de son poêle en écoutant les deux jeunes femmes se saluer d’une oreille distraite. Il s’appliquait à empiler quelques rondins dans le foyer, puis des bûches moyennes, sur lesquelles il jeta enfin son petit bois. D’un coup sec, il frotta un morceau de fer sur sa pierre à feu, enflamma méthodiquement un morceau d’amadou et le déposa parmi le petit bois, avec la satisfaction instinctive et le confort que ces gestes simples lui inspiraient toujours. Il se redressa doucement et regarda le feu s’animer timidement dans le foyer, prendre en confiance et tourbillonner dans le conduit en jetant contre la vitre du poêle des éclats de lumière rougeoyants. Le bois crépitait, les braises pétillaient, volaient dans une ronde sauvage et chatoyaient hasardeusement sur le visage nonchalant de Léogan, qui restait dissimulé dans le clair obscur.
Il se redressa seulement quand Malona se précipita hors de la cuisine à grands fracas, portée par un enthousiasme brutal. Il sursauta un peu en s’apercevant qu’elle avait débarrassé sa bouilloire des feuilles de thé noir qui avaient commencé à infuser dans l’eau en dégageant des parfums doux et chauds d’humus et de bois.

« Qu’est-ce que vous… ? » demanda-t-il, en la regardant s’agiter dans le couloir d’un œil perplexe, et vaguement intéressé.

Mais sa voix fut couverte par l’exclamation joyeuse de Malona, qui sonna comme une volée de clochettes dans la pièce, et dont il ne comprit la teneur douteuse qu’à rebours, tandis qu’elle revenait dans la cuisine et lançait gaiement ses herbes dans la bouilloire. Si la jeune Sindarin faisait l’effet d’une brise fraîche et vivifiante à Othello, Léogan avait plutôt l’impression qu’un ouragan incontrôlable avait été lâché dans sa cuisine.
Il bondit sur ses pieds d’un air affolé, ouvrit des yeux grands comme des soucoupes et se précipita vers sa bouilloire en poussant une sorte de grondement sourd.

« Non, non, non… ! s’exclama-t-il. Il faut pas faire ça… ! »

Il prit une profonde inspiration en considérant le résultat, sans plus prononcer le moindre mot, et surtout, incapable de déterminer comment intervenir sur ce désastre ni que faire de ses deux mains qu’il crispait devant lui avec horreur. Un thé post-fermenté d’El Bahari, vieux de bien cinquante ans, ramené en même temps que lui des tropiques, conservé par ses soins, une substance subtile, des arômes mûris – et puis, bordel de bon sang, il n’avait jamais eu l’idée de vendre une perle pareille, mais un thé millésimé comme celui-ci, ça coûtait les yeux de la tête ! Oser le laisser infuser à moitié et mêler ses vapeurs à des relents de chiendent sorti d’on ne sait où, c’était presque de l’hérésie !

Ce qui rapprochait un tant soit peu Léogan du raffinement, c’était sûrement son goût immodéré, presque obsessionnel, pour le bon thé (ainsi que pour les alcools parfumés, la musique, les poètes méconnus, certains philosophes qu’il jugeait moins mégalomanes que les autres et les mathématiques – mais c’était là des amours moins remarquables et qu’on ne devinait qu’à des occasions rares). En vérité, la plupart de ses manies et de ses intérêts étaient insoupçonnés, comme si l’idée qu’un homme-outil comme lui puisse posséder des sentiments, d’obsessions idiotes, voire de personnalité propre, n’avait jamais été examinée. Il s’y faisait très bien. En fait, il avait été lui-même l’instigateur de ce préjugé qui lui garantissait une tranquillité misanthrope, et il l’assumait en toute âme et conscience.

Malona chantonna avec ravissement, comme un oiseau qui pépie, en humant les nouveaux parfums qui flottaient dans la cuisine et qui piquèrent désagréablement l’odorat de Léogan.

« Une odeur parfumée ?! tonna-t-il, en se tournant furieusement vers elle. Mais qu’est-ce que vous croyiez faire ? Tout ce qu’on peut espérer, c’est que ça n’aura pas un goût de jus de chaussettes chauffé maintenant ! »

Il couva sa bouilloire d’un regard désolé. Les vapeurs qui s’en échappaient semblaient charger l’atmosphère d’un poids oppressant et attisaient l’irascibilité de Léogan, qu’il ressentait, en inspirant ces odeurs de pluie froide, comme une fièvre brûlante. Il s’apprêtait à grommeler quelques jurons très crus quand Malona se sentit soudain assez inspirée pour leur faire de la lecture. Sa voix s’éleva dans la cuisine, où la végétation peu à peu frissonnait dans l’air moite, et ses mots sonnèrent comme des formules incantatoires que Léogan écouta avec surprise, ne croyant les comprendre parfois que pour retomber soudain dans la stupidité.
Ni Othello ni lui n’osèrent interrompre son interminable tirade. Lorsqu’elle acheva, avec une satisfaction rêveuse qui étirait ses lèvres rondes en un sourire vague, Léogan se sentit aussi étourdi que si on l’avait cogné violemment derrière le crâne, et un peu nauséeux tandis qu’il respirait les effluves de foin mouillé qui se dégageaient de la bouilloire. Il laissa la Sindarin aux cheveux roux servir sa décoction douteuse dans les tasses qu’il avait posées sur la table, trop hébété pour commenter les manies envahissantes de son hôtesse, qui se conduisait en maîtresse de logis avec un naturel désarmant. Il se contenta de la regarder en fronçant les sourcils, pour finalement se laisser choir à demi sur sa chaise près des deux jeunes femmes, avec un soupir de capitulation.

Glissant ses doigts glacés sur sa tasse en céramique, Léogan la berça entre ses mains et observa le liquide marronâtre tournoyer lentement en soulevant une odeur de terre mouillée après l’orage. Il jeta un coup d’œil furtif à Othello, la tête baissée. Elle parlait doucement, en cachant ses mains dans la fourrure blanche de son léopardeau, qui fixait Malona et Léo d’un regard électrique. Le visage de la sirène était toujours impénétrable, mais sa voix éteinte trahissait son trouble ; et ce fut alors que Léogan la devina timide, timide comme la blancheur de l’aube, timide jusqu’à l’impassibilité, et il pensa que lorsqu’elle fixait les hommes de cet air imperturbable qu’il avait craint tout à l’heure, la jeune femme devait trembler en-dedans.
Le feu crépitait dans la cheminée et propageait dans la cuisine des lueurs blondes qui hantaient la blancheur opaline du jour. Midi sonnait au loin. Quelques silhouettes vibrantes passaient devant la fenêtre et Léogan observait rêveusement leurs apparitions à travers la brume de chaleur, simples passants sans ombre, visages livides, insaisissables, perdus dans la foule.
Les mains du Sindarin se serrèrent autour de sa tasse et la chaleur diffuse de la décoction – il se refusait d’employer le mot « thé » à ce sujet – fit fourmiller ses doigts transis. Il devait y avoir beaucoup d’animation ici, pour Othello, qui avait l’habitude du silence religieux des prières et des échos étouffés de son grand temple blanc. Lui-même ne supportait pas facilement les bourdonnements incessants de l’humanité et s’embarrassait de se trouver devant des gens volubiles comme Malona. Il perdait le nord en les écoutant parler avec leur débit surnaturel, au point qu’il en arrivait à se demander s’ils avaient besoin parfois de reprendre leur respiration comme les personnes normales.

Léo pencha sa tête sur le côté, plongea brièvement ses yeux noirs dans le regard monochrome d’Othello, ils lui sourirent et il parla d’une voix basse, ponctuée de petits éraillements compatissants :

« Qui sait ? Il n’est pas nécessaire d’en avoir besoin. C’est comme se demander si on a besoin de vivre. Le vrai intérêt d’un voyage ne se prévoit pas, il se rencontre aussi inopinément qu’un bandit au détour d’un chemin, affirma-t-il, et ses lèvres frémirent doucement pour sourire. Ne vous sentez pas contrainte, dame Lehoia, il faut aussi venir un peu pour vous. »

Cette conclusion était tombée avec plus d’assurance, et un feu vif brûlait dans le regard que Léogan ramena à sa tasse. Malgré tout, il avait encore froid, et si ce breuvage ne lui inspirait aucune sympathie, il aurait peut-être au moins le mérite de faire un peu de chaleur dans son corps. Il porta la tasse à ses lèvres en fronçant le nez, lança un coup d’œil complice à Othello et avala aussitôt une gorgée brûlante, avant de grimacer un peu, sous l’effet de la brûlure et du goût fétide des herbes qui se mêlait à des soupçons survivants de thé noir. Il toussa un peu. La tête lui tourna. Il réprima un rire goguenard en levant la tête vers le visage de petite fille de Malona.

« Eh ben… C’est pas trop mal… Avec ce que vous avez lu, je m’attendais à un goût de… « tourbe » ou de… « poils de bêtes qui meuglent au loin » ? répéta-t-il, en saisissant insolemment le sachet de thé, et en le lisant avec scepticisme. Mais ce n’est rien d’autre que de l’herbe aux chats, alors ça va ! ironisa-t-il, avec un rictus moqueur. Sans rire, la tisane de valériane, c’est déjà intolérable, alors qu’est-ce qui est passé par la tête de ce type quand il vous a prétendu que c’était du thé ?! »

Malgré tout, il but une nouvelle gorgée du breuvage, plus longue et plus infecte encore pour son palais, comme si le froid l’y forçait, ou bien cette espèce d’arrière-goût qu’il n’arrivait pas à identifier et qui obsédait inexplicablement son imagination. Il reposa finalement sa tasse et fut pris d’une nouvelle quinte de toux, qui ébranla ses épaules par saccades. Ses yeux se perdaient entre les deux jeunes femmes et ses pensées s’égaraient.
Il grimaça à nouveau et pâlit. Son cœur battait plus vite dans sa poitrine et il avait trop chaud à présent. Il tira un peu sur le col de sa chemise d’une main moite, avec l’impression que sa cervelle s’enflammait, et il s’éclaircit la voix.

« Je ne saurais pas dire pourquoi, avoua-t-il, en souriant avec moins de méchanceté à Malona, mais c’est spécial... »
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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeMar 27 Mai - 17:33

Oh... le gros minou.,,
Alors que le petit léopard grimpait sur les genoux d'Othello, Malona était pé-tri-fiée. Elle s'était délicatement redressée sur sa chaise, glissant ses pieds à la même hauteur que ses fesses. Ses doigts se cramponnèrent aux rebords et se crispèrent. Son temps de pétrifaction était tellement grand, qu'elle n'avait rien écouté ou entendu de ce qu'il s'était dit. Que ce soit la femme blanche ou le chevelu, que dalle... Elle avait eu du mal à déglutir en voyant le plus gros minou derrière. Mais comment elle avait fait pour ne pas les voir avant ?! Quelle distraite !

« Je ne saurais pas dire pourquoi, mais c’est spécial... »

Elle reprit alors ses esprits.

- Spécial ?! J'te fais pas dire... des gros félins ! Elle ne savait pas si elle avait pensé ces mots, ou s'ils étaient sortis de sa petite bouche rouge, mais elle détacha alors son regard des bestiaux, et fixa Léogan avec un grand sourire.
Elle voulu redescendre de sa chaise mais se vautra avec grâce. Ses pieds s'étaient entremêlés dans ceux de la chaise. Elle se retrouva dans une position fort inconfortable, la face au sol, une fois de plus, les fesses en l'air et les genoux repliés sous son ventre. La chaise, elle, trônait avec fierté sur l'arrière train de la sindarin, comme si c'était elle qui s’asseyait sur Malona. Elle se trouva nez-à-nez avec le gros minou et bondit comme une puce derrière Léogan, dans un nouveau fracas auditif, tout sourire.

- Apaumal ! Dit elle nerveusement et rapidement, avant de réaliser que la table avait été renversée. Le thé d'Othello et le sien coulaient sur le sol froid.

La différence de température laissait émaner une fumée blanche... Malona regarda autour d'elle toute penaude se frottant frénétiquement la hanche heurtée. Elle rougissait au point de se confondre avec ses cheveux. Elle resta planté derrière Léogan et regarda Othello et ses pieds alternativement...

Elle arracha une petite veste qu'elle portait sur ses épaules et l'étala sur le sol, piétinant pour imbiber le thé.

- Hm... désolée ? Sa maladresse l'exaspérait.

Elle redressa la table rapidement, la frotta d'un revers de manche comme si ça allait tout effacer et soupira.

- Vous... vous avez des chevaux ? J'vais me dégotter un machin dans le genre, puis si vous êtes prêts, on peut décoller...
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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeMar 24 Juin - 22:02

La discussion était somme toute plutôt maussade pour la clerc de givre, qui n’avait à peine bougé quand Léogan, pourtant compatissant, s’était adressé à elle. Elle avait simplement dévié son regard vers la table, déjà coupable d’accepter sans aucune raison. Elle oscilla entre absence et attention, ne cherchant pas vraiment à comprendre le contenu de son verre alors que le lupin, lui, y avait semble-t-il déjà prit goût en s’amusant à décrypter ce qu’il avait laissé couler sur sa langue. Il jeta un coup d’œil amusé vers elle, qu’elle ne su vraiment comprendre alors qu’il s’empressa de prendre une gorgée du liquide lourd et boueux.
Sans raison, un goût âcre lui remplis le fond de la bouche, comme si c’était entre ses lèvres que la boisson venait de couler. Pendant les prochaines secondes, elle observa les effets du thé – si c’était bien de cela qu’il s’agissait – sur le colonel, qui semblait prit d’une nuage de frisson, ou d’une bouffée de chaleur qui déforma quelques secondes son visage broussailleux, sombre, pour lui donner un vague décalage, un vent chaud s’emparant du colonel froid qu’elle imaginait.

Ce ne fut qu’après, quand il s’adressa à la rousse, d’un œil un peu plus larmoyant et un peu plus embrasé que jadis, qu’elle remarqua le manège qui prenait place dans la cuisine. Quelque chose lui dit qu’elle avait vu juste… Cherchant confirmation, elle se retourna vers l’herboriste qui s’adonnait à un étrange rituel à l’autre bout de la table. Soudain, alors qu’elle pensait retrouver une pétillante créature, la sirène fit face à un renard pétrifié, toute fourrure hérissée, qui enfonçait aussi profondément que possible ses ongles dans le bois innocent. Quel était cette expression sur son visage ? Une peur démentielle, un inconfort brutal ? Ses yeux verts s’étaient rétractés, alors que ses orbites s’étaient creusés, lui provoquant une expression sinueuse de rejet et de malaise sur son mignon petit visage. Qu’est-ce qui ?...
Ses lèvres s’animèrent brutalement, et tout alla très vite – trop vite pour qu’Othello ne puisse réagir – et la rousse, dans une même foulée, avoua par sa parole sa peur des félins qu’elle dévisageait avec horreur, et renversa leurs deux tasses qui se déversèrent dans une longue et incessante cascade brunâtre.

Le liquide était répandu sur le sol, et laissait s’envoler sur sa sombre surface des vapeurs fines d’une fumée bouillonnante. La flaque était sombre, et l’espace d’un instant, Othello pu voir dans ce miroir noir son visage blanc aux traits déconfits, et aux airs mélancoliques sous son apparente neutralité. La queue du petit léopard, immense, fouetta l’air d’une façon frénétique, et ses yeux de ciel dévoraient déjà le thé répandu comme une denrée absolue dont elle se délectait déjà avec envie… Elle aurait pu bondir d’une minute à l’autre pour avaler la mixture d’une lampée. Mais à sa première tentative, elle sentit s’entourer autour de ses pattes l’étreintes de sa maîtresse, qui, l’emprisonnant dans la cage de ses bras minces, l’empêcha de s’envoler. La juvénile féline se tourna vers la léonine pâlotte, cherchant ses yeux noirs qui brisaient cette bizarre alchimie anémique pour trouver un regard sombre et désapprobateurs qui la fit frémir pendant un instant, jusqu’à ce qu’elle se transforme en un flot de tendresse pour sa petite frimousse. Jehyel avait compris le message, et épousa l’attitude de son autre comparse, qui avait à peine relevé un sourcil face à ce pathétique spectacle. Sans savoir quoi, Drasha avait repéré quelque chose chez la rousse qui l’agaçait… Une odeur de pelage et de griffes, de crocs, et d’un satané arrière-goût d’aboiement dans le fond de sa voix.

Malona se redressa alors, massant ses hanches douloureuses et retournant à table. Son air avait dramatiquement changé… Plus elle l’observait, plus elle croyait comprendre que la renarde était une des rares personnes qu’elle connaissait – peut-être même la seule – à pouvoir faire passer sur son visage une dizaine d’expression pendant une même minute. Elle semblait être capable de ressentir un bon millier de sentiments, et surtout passait de l’un à l’autre sans la moindre transition, ce qui rendait périlleux l’art de la comprendre et de la décoder, et ce qui plongeait la sirène dans la plus maladroite des confusions. Mais elle souleva néanmoins un problème de taille : l’absence de cheval. La sirène du se rendre à l’évidence. En tant que prêtresse, elle n’avait nullement eut besoin d’un compagnon équin durant ses années à l’ordre. Ses quelques pérégrinations avaient pu être marchandées auprès de quelques passeurs ouverts, et de commerçants avisés. Mais là, pour une épopée comme celle-ci, l’évidence s’offrit d’elle-même à ses yeux. Un cheval lui serait fort utile. Ses lèvres se pincèrent alors que l’odeur du thé prenait de plus en plus de place dans son nez inaccoutumé.


« - Je n’ai pas de monture… Il va falloir que je m’en procure un aussi. »

Enroulant ses doigts maigres dans les creux de fourrure du jeune léopard moucheté, elle se retourna vers le colonel sans trop savoir pourquoi, se rendant soudain compte que les choses allaient vite, et qu’ils étaient même déjà bientôt partis.


Spoiler:
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MessageSujet: Re: Un long chemin   Un long chemin Icon_minitimeVen 27 Juin - 1:31

D’abord, Léogan pensa à sortir de table en trombe pour grimper quatre à quatre dans la salle de bains et se noyer dans un bac d’eau glaciale. Il tentait de le cacher derrière ses mains moites, qu’il avait croisées devant son visage, mais sa cervelle s’embrasait, ses nerfs se nouaient sur son front et lui compressaient le crâne, il avait mal à la poitrine, tout tanguait autour de lui, comme si chacun des battements de son cœur avait eu le pouvoir de secouer toute la terre.
Il prit une profonde inspiration et frotta ses mains l’une contre l’autre pour tenter de retrouver un peu contenance. Il n’était pas vraiment en mesure de suivre ce qui se produisait autour de lui – il peinait déjà à comprendre quel genre de réaction chimique illuminait tout son corps d’explosions colorées et le déchirait atome par atome.
Malona lui souriait. Il ne savait pas trop pourquoi et elle avait l’air très embarrassée, mais il lui parut tout à coup que ce sourire était précieux, et il le lui rendit doucement. Elle avait de très beaux yeux, ronds, doux et acidulés, comme ces bonbons que les enfants s’échangeaient en jouant sur les trottoirs, ses cils roux tremblaient d’une émotion que Léo ne saisit pas, et soulevaient des lumières fantasques à chacun de leurs battements.
Il reconnut alors un trouble familier qui courait dans ses veines, incendiait ses artères, lui mettait une faim dans le ventre et faisait battre un bruit tout-puissant dans son crâne. Tout résonnait dans son corps, il se sentait plein d’échos étranges qui enroulaient ses pensées dans une gaze étouffante.
Il devint confus et vaporeux, il détourna son regard avec gêne, inquiet de se sentir tout à coup emporté dans un océan de sensations qu’il n’avait pas l’impression d’éprouver lui-même. Ce n’était pas tant le fait qu’il était incapable de s’expliquer pourquoi ce sourire de Malona l’avait fait frissonner, ni quel attachement incompréhensible le liait à elle, non, ce qui le dérangeait, c’était davantage cette intuition bizarre d’être poussé vers elle si brusquement, alors qu’un instant auparavant, il n’y avait rien, dans sa poitrine, qui ne cognait, que l’envie sauvage de courir et de fuir. Il éprouvait un vertige, qu’il distinguait difficilement de l’ivresse, à penser ce saut surnaturel qu’il avait fait en dedans. Son regard tomba dans sa tasse d’infusion et il en respira profondément l’odeur qui lui ensorcela encore la cervelle.

Ce qui se passa ensuite lui échappa totalement. Les fumées de la décoction planaient fantomatiquement sous son front, sa conscience – cette faible petite voix qui criait pourtant toujours en lui qu’il était libre et clairvoyant, qu’elle était plus puissante que tous les échos sourds et infinis de son corps – disparaissait dans un épais brouillard.
En tout cas, Malona s’élança, s’écrasa face contre terre, virevolta, dansa maladroitement autour de la table, recula brutalement et, dans ce tourbillon incompréhensible, Léogan eut la bizarre présence d’esprit de soulever sa tasse, très nonchalamment, alors que la table basculait en arrière, et il observa l’arc de cercle gracieux que les tasses des deux jeunes filles suivaient dans les airs avant d’exploser tout à coup sur le sol, à grands fracas.
Il ne réagit pas. Il caressait machinalement l’anse de sa tasse et considérait les dégâts d’un regard vide et si fixe qu’on pouvait se demander un instant s’il ne valait mieux pas prendre aussitôt ses jambes à son cou.
Mais il ne bougea pas de sa chaise et finit même par s’affaler contre son dossier, en haussant les sourcils, et il hocha lentement la tête comme au sortir d’une intense réflexion. Finalement, il soupira un peu et reposa sa tasse sur la table que Malona venait de redresser, d’un air de pénitence qui lui arracha un sourire de compassion très inattendu, quand on l’avait vu péter un plomb un instant plus tôt pour une bête affaire de thé.
Il observa Malona ondoyer dans sa cuisine, ses hanches se balancer douloureusement et son visage émerger de sa toison rousse en piquant en fard de confusion – il ne pensait presque plus à la timide Othello, qui ne disait pas un mot, logée dans le creux de sa chaise. En fait, il ne se sentait plus libre de penser ce qu’il voulait, et au fond, cela n’avait pas beaucoup d’importance.
Malona marmonna quelques excuses étouffées en sacrifiant sa veste pour éponger le sol, puis en tentant d’effacer d’un revers de la main les traces de sa décoction qui commençaient à s’incruster dans le bois de la table, sous le regard vaguement intéressé de son propriétaire. Léogan s’accouda et posa sa main sur celle de la jeune Sindarin, afin de l'arrêter dans son mouvement, tout en plongeant un regard sérieux dans le sien.

« Ne vous en faites pas, dit-il, d’un ton très calme. Ce n’est qu’une table, et elle était déjà bancale. Et le reste, ça se nettoie. »

Il battit un peu des doigts sur la jolie main de la jeune femme, puis la relâcha à regret, alors qu’Othello prononçait quelques mots d’une petite voix flûtée. Léogan se retourna vers elle d’un air préoccupé, contrit de l’avoir presque oubliée dans tout ce remue-ménage. Elle le regardait avec l’air d’attendre quelque chose –  un sourire, une approbation, un conseil, une solution, n’importe quoi – et cela gêna légèrement Léogan. Il était un homme de poigne, son métier consistait à distribuer des ordres à tout va, mais décidément, ça ne lui allait pas. Il préférait mettre les gens en danger plutôt que de les protéger, leur poser des problèmes plutôt que de leur donner des solutions. Alors quand une petite jeune fille comme Othello se tournait vers lui avec cette façon de dire qu’elle s’en remettait à lui sans trop savoir pourquoi, il ne savait vraiment pas ce qu’il convenait de faire. Il pencha sa tête sur le côté et se massa nerveusement la nuque, avant de se décider à lui répondre, avec résolution :

« Vous ne dépenserez rien, Dame Lehoia, ce serait bien le comble. A moins que vous ne teniez absolument à investir dans une monture, bien sûr. Je suis colonel – autant que ça serve à quelque chose – j’emprunterai deux chevaux à la caserne. Un pour vous, et un pour vous également, Malona, glissa-t-il à la Sindarin. Et d’ici demain, dit-il en faisant avancer ses doigts sur la table d’un air enthousiaste et enjoué, nous aurons disparu d’Hellas. »

***

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