Recherche appartement ou maison

Il y avait des personnes qui possédaient le sens du commerce et de l'échange. Deirdre se pensait de ces gens là. Pas uniquement par sa soif de dias, pas uniquement par son bagout, mais principiellement parce qu'elle aimait tromper son monde, se donner des défis. Rien de mieux que de voir jusqu'où le culot pouvait aller. En tant que femme d'ambition, elle aimait voir les choses en grand et n'était pas le moins du monde freiner par ses ardeurs et le goût du risque. Ces derniers temps, son regard s'était tourné vers la grande capitale.

Il fallait dire que la cité se remettait lentement des dégâts causés par le colosse qui avait décidé de s'inviter dans les environs. Certains avaient fui la ville suite à de trop douloureux souvenirs, d'autres simplement des quartiers... mais malgré tout, le souverain d'Eridania avait fait en sorte que les choses reprennent un cours normal. Et c'était là, que notre gorgoroth intervenait. Qui disait reconstruction, disait possibilité de nouveau point de départ. Nouveau point de départ, cela signifiait aussi attirer de nouvelles personnes par des choses attrayantes. Pour un commerçant qui participait amplement à la vie d'une ville, il y avait une carte à jouer : des quartiers à investir suite à la destruction des anciens, des prix plus attractifs pour attirer de nouveaux habitants....

Si jusque là la jeune femme n'avait jamais fait le choix de trop s'étendre à Hesperia, c'était principalement à cause des restrictions et des lois de la cité. A Tyrhénium, n'importe qui pouvait ouvrir un commerce de n'importe quoi. De la même manière, on pouvait faire fructifier ces profits comme bon lui semblait. Cela avait bien évidemment autant d'avantages que d'inconvénients, surtout en cas de concurrence. Ici, la jeune femme n'avait pris aucun risque véritable et c'était offert un musée par pure caprice. Son amour de l'art et des belles choses lui avaient donné envie de créer un musée, mais cela ne lui coûtait que peu et lui rapportait tout autant. Maintenant, elle souhaitait quelque chose de plus, et pourquoi pas créer une autre maison de jeu?

C'était avec cet objectif en tête que Deirdre prospectait en ville, notamment dans les rues où il y avait plusieurs immeubles abandonnés, des maisons laissées aux oubliettes.... bref, elle cherchait un lieu propice à ces affaires. Ce fut au détour d'une rue, une grande artère qui devait sans doute être particulièrement animée les grands jours, menant droit vers le palais royal, que son attention fut retenu par ce qui ressemblait presque à un hôtel sans vie.

Mais à peine eut-elle le temps de porter des yeux envieux sur le lieu qu'elle fut abordée rapidement par un homme de belle stature. Il était assez grand et élégant, il présentait fort bien de sa personne. Là, la jeune femme lui accorda rapidement son plus beau sourire.

" Ainsi, me voici en compagnie de l'heureux propriétaire de cet endroit? Je crois que notre rencontre est lié au destin, cher Tim. "

Le ton de Deirdre était aussi doux que ferme, doux pour montrer qu'elle était accessible et ferme pour prouver qu'elle n'était pas n'importe qui. De toutes manières, lorsqu'elle se mettait en tête quelque chose, la jeune femme ne reculait devant rien.

" Je m'appelle Deirdre, et je vous l'avoue. Je trouve cet endroit fascinant et je serais bien heureuse de pouvoir le visiter. Vous me feriez là un honneur inespéré. "

La gorgoroth se comportait envers "Tim" comme si ce dernier n'avait été qu'un gentilhomme comme un autre, un noble élégant envers qui elle fit preuve de toutes les politesses nécessaires dans son attitude. Mais en son fort intérieur, elle bouillonnait car elle savait exactement qui elle avait en face. Qu'est-ce qu'il avait trahi? Presque rien.... si ce n'est que la jeune femme connaissait chaque ligne de son visage pour les avoir peint et avoir fait de lui un portrait qu'elle avait installé dans son musée. Mais puisqu'il était ici incognito, elle jouerait le jeu. Le goût du risque comme elle pensait.

Deirdre aimait à se forger une bonne réputation, mais pas au point de devenir une célébrité locale bien que pour son égo, cela allait s'en dire, la satisferait tout à fait. Mais si son nom avait pu aller jusqu'à de si nobles oreilles, c'était un bon point pour ses affaires car il fallait être capable d'attirer l'attention de ceux qui étaient prêts à dépenser leur argent dans son entreprise. Ce fut donc avec un immense sourire qu'elle accueillit la remarque de son nouveau "camarade".

" Haaa? Me voilà donc démasquée! Seriez-vous donc un amateur d'art et de merveilles? Décidément, nous étions fait pour nous rencontrer. "

Deirdre n'hésita nullement à lui adresser un regard enjôleur avant de dresser un doigt devant sa bouche comme pour lui demander de se tenir au secret.

" Je ne vous dirais pas immédiatement ce que je souhaite faire de cet endroit. Il me faut d'abord connaître l'énergie de ce bâtiment. "

Sur ces paroles, elle suivit donc son guide qui la fit pénétrer dans les lieux, saluant au passage le gardien de l'endroit qui se comportait un peu étrangement. Sans nul doute que lui aussi avait reconnu le roi mais contrairement à la commerçante, il ne semblait pas capable d'en faire fît. Tous ces détails derrière elle, toute son attention se tourna sur l'objet de sa visite. Elle scruta tout. Elle leva la tête pour observer la hauteur de plafond dans le grand hall et dans son esprit, elle avait déjà une idée de comment redécorer le lieu, sur les lustres et les tapisseries. Bien rapidement, on lui présenta la cour qui était assez plaisant pour en faire un jardin élégant et intimiste. Le reste du rez-de-chaussée était composée d'un immense salon, d'une salle à manger tout aussi grande et attenante, et des cuisines. Malgré tout cela, l'espace était un peu plus petit que ce qu'elle possédait à Tyrhénium, et avait plutôt des allures d'hôtels particuliers. Néanmoins, cela ne freinait pas son enthousiasme, il suffirait de faire de ce lieu un endroit plus sélectif. Toujours dans la suite logique de sa visite, elle fut guidée à l'étage, prenant des escaliers en bois d'une grande beauté. Il y avait beaucoup de chambres, de petits salons. Chaque fois qu'elle rentrait dans une nouvelle pièce, elle imaginait quoi en faire....

La visite prit fin alors que les trois individus se trouvaient encore au deuxième étage, dans ce qui se devait d'être peut-être un ancien bureau. Deirdre se tenait près de la fenêtre quand Thimothée la questionna, et avait le regard qui observait l'horizon et les toits de la ville.

La gorgoroth se tourna vers le noble élégant, toujours le visage illuminé et avec un enthousiasme non dissimulé.

" Je dois vous dire que cet endroit me plaît. Il y a de multiples idées qui me viennent pour lui redonner un coup de jeunesse comme on dit. Dans tous les cas, il y a quelque chose à faire de cet endroit. Il ne peut décemment rester dans l'ombre. "

La jeune femme se rapprocha de lui, quittant la lumière naturelle de extérieur pour se retrouver en face du propriétaire.

" Et vous? Qu'aimeriez-vous en faire de cet endroit? Je suis certaine que vous avez aussi quelques idées. "

Les affaires étaient les affaires. Qu'importait l'individu qui se trouvait en face de soi. C'était d'ailleurs un domaine sur lequel la jeune femme était intraitable. Néanmoins, cela ne l'empêchait pas de flatter le client ou bien de s'intéresser à sa personne. Ici, cela ne lui réclamait que peu d'effort parce que la raison était simple : le poisson était énorme. Cependant, Deirdre ne souhaitait pas se comporter comme une femme ordinaire, de celles qui papillonnaient des yeux avec une fausse innocence, de celles qui faisaient semblant à lécher les bottes de leur seigneur. La gorgoroth avait toujours été une personne douée d'un certain culot. Elle cherchait à marquer les esprits et cela allait bien au delà de son égo. En présence d'un roi, autant essayer d'avoir les meilleures relations possibles, non?

" Dame Luberym, je n'ai jamais été doué pour vendre des choses, mais si je dois donner mon avis, un restaurant pour bourgeois ou même pour noble (si vous êtes prêt à faire des investissements conséquents) serait un choix judicieux. En vérité n'importe quelle commerce vendant de la nourriture ou des boissons seraient une bonne idée, mais d'autres choix sont possibles. Comme vous pouvez le voir, les Hespériens sont des gens travailleurs qui ne ménagent pas leur peine. Il y a seulement un an, vous auriez vu les cicatrices laissées lors de l’affrontement avec le colosse, et maintenant qui croirais qu'un combat titanesque a eu lieu ici ? Malheureusement il n'y a que les villes qui peuvent se relever et non les personnes... "

Le sourire de la jeune femme s'élargit sur son visage. Il y avait en effet tant de possibilité... mais essayer d'atteindre les hautes sphères de la bourgeoisie hespérienne était plus qu'une bonne idée. Si en plus le monarque l'y poussait...

" Et vous disiez que vous n'avez aucun talent? sachez que je vous engagerais. "

A peine eut-elle prononcée ces quelques paroles que Thimothée chassa de la pièce le gardien des lieux. Le vieil homme s'en alla en omettant pas de saluer le noble personnage qui se tenait devant lui. Puis voilà que le roi se dévoila enfin et avec un ton qui fit d'autant plus sourire la gorgoroth.

" Un mauvais tour dites-vous? Alors pardonnez-moi de vous dire que nous serons deux car je vous ai reconnu. Vous avez de bon talent de comédien mon seigneur mais vous avez devant vous une femme qui connaît parfaitement chacun de vos traits. "

Deirdre se mit à rire légèrement.

" Je préciserais tout de même que c'est uniquement parce que je vous ai peint. J'espère qu'un jour, vous pourrez m'accorder un peu de votre temps pour que je puisse faire un portrait de vous en ayant l'original en face de moi. Mais revenons à notre affaire principale. "

La commerçante se racla alors légèrement la gorge pour s'éclaircir la voix avant de finir par s'appuyer contre un mur, les bras croisés avec une relative insouciance.

" L'idée qui me viendrait à l'esprit ne serait pas bien éloignée de la vôtre. J'hésite à en faire un hôtel particulier pour gens aisés ou désirant de la tranquillité en monnayant la réservation ou bien un restaurant. Il me faudrait faire une étude de marché pour voir ce qui intéresserait le plus vos concitoyens. "

Portant son regard plein de malice sur le roi, la jeune femme conserva l'esquisse de son visage et enchaîna sur LA discussion qui l'intéressait encore plus : les dias. Combien cela pouvait-il lui coûter? Elle n'était même pas certaines d'avoirs les fonds nécessaires à investir.

" Si mes projets se concrétisaient, à combien seriez-vous prêt à me laisser ce bel édifice? "

Voilà que les deux jeunes gens entrèrent dans le vif de leur sujet, en plein cœur des négociations et de chiffres. C'était peut-être ce qu'il y avait de plus excitant quand on était commerçant, de jouer, de bluffer et de faire en sorte d'être gagnant à la fin. Cependant, Deirdre n'avait pas n'importe qui en face d'elle mais le nouveau monarque de toute une nation. Il faudrait être fou pour se mettre à dos un homme de pouvoir et à choisir, elle préférait de loin la carte de la séduction plutôt que du mépris.

Attentive à chaque mot employé par le roi, la jeune femme réfléchissait, pesant le pour et le contre des solutions qu'il lui était proposé. Il fallait dire que tout était alléchant, bien qu'elle chassa de son esprit l'idée de louer le bien en question. Pourquoi? Parce qu'elle se sentirait quelque peu les mains liées par la non propriété des locaux. Lorsqu'elle s'abandonnait à sa folie créative, elle aimait avoir tous les pouvoirs et toutes les permissions. Il y avait bien trop de contrainte dans la location pour une femme de son envergure.

Par contre, lorsque Thimothée parla de diviser le prix en deux avec pour seule condition un salon privé, les yeux de la belle s’illuminèrent.

" Vous seriez prêt à diviser le prix en deux? Vraiment? "

Deirdre se mit à rire, de cet éclat franc et enjoué qui pouvait faire oublier que la vie l'avait quitté déjà il y a longtemps. Elle n'avait pas donné de réponse mais elle était aisée à deviner. C'était une aubaine inespérée. Cet édifice, son emplacement et le profit dont elle pouvait en tirer ne valait pas le prix que lui offrait le roi, c'était un véritable cadeau de sa part, une générosité rare. Et croyez-le ou non, voilà bien une chose qu'elle n'oublierait pas.

Ce fut alors qu'avec tout le culot qui était le sien, oubliant les formes et les convenances qu'elle devait légitimement offrir à un seigneur, la féroce négociatrice s'approcha de lui et saisit de sa main si froide - la vrai et non la mécanique - celle de Thimothée.

" Je crois que nous avons donc un marché. Je rachète cet endroit. Je vous garantie de vous aménager le plus élégant des salons. A tel point que vous ne voudriez plus le quitter. "

Les doigts fins de la jeune femme abandonnèrent la main du roi. Il était difficile de croire que cette petite poigne là était capable de faire tant de chose et d'être habile : peinture, sculpture, vol, meurtre.... On retirerait de son curriculum vitae les deux derniers détails.

" Je suis toute excitée par cette affaire. "

Le regard de la gorgoroth demeura aussi illuminé que celui d'un enfant qui découvrait son premier jouet. Chaque négociation était une porte ouverte à une nouvelle aventure.

" Il nous faut fêter cela! Accepteriez-vous de prendre un verre pour sceller notre partenariat? Vous devez bien avoir un peu de temps pour vous, n'est-ce pas? "

Le sourire de la jeune femmes s'adressa alors au nombre intriguant. Il serait sans doute son principal client, autant le chouchouter d'avance, non? Et puis, n'était-il pas fort plaisant pour un souverain?

Deirdre était une femme attentive aux détails, et elle nota pour elle-même le petit rouge qui montant au joue du souverain. Autant vous dire que cela la fit sourire de plus belle. Le charme ténébreux de la gorgoroth ne résidait pas dans son physique, du moins, pas de la manière dont on pouvait l'imaginer. Elle n'était pas particulièrement grande, mais elle était fine et athlétique, pleine d'énergie et particulièrement agile. Sa féminité ne s'arrêtait pas au coup de crayons noirs avec lequel elle soulignait ses yeux, ni le rouge sanguin qu'elle portait parfois à ses lèvres. Elle séduisait par son verbe et son attitude, son tempérament de feu et sa force de caractère. Mais n'était-ce pas le minimum à posséder, surtout lorsque l'on revenait du monde de Kron?

En tout cas, le monarque accepta la proposition de la jeune femme qui n'en fut plus que ravie.

" Formidable! Soyez mon guide! "

Là aussi, l'information ne tomba pas dans l'oreille d'une sourde. Si le roi aimait à se mêler à son peuple, il fallait y voir une information intéressante ou une manière détournée de pouvoir le rencontrer sans devoir passer par les usages pompeux de la grande cour. Mais si elle créait son hôtel, cela faciliterait d'autant plus les entrevues avec le souverain. Pourquoi faire? Elle n'avait pas encore décidé mais cela lui serait surement utile d'être dans ses bonne grâces. Un échange de bon procédé.

Ils arrivèrent alors dans l'établissement que l'on nommait "La Fontaine". Un nom simple et efficace qui avait l'avantage de rappeler son emplacement. Deirdre se souvenait d'être passée devant mais n'avait pas daigné y venir boire quelque chose, par manque de temps principalement. Voilà que le préjudice était réparé et en bonne compagnie - si on omettait la présence des gardes du roi.

Ce dernier eut la délicatesse de passer commande, leur prenant le meilleur vin de Cimmeria. Voilà ce qui dans sa nature décharnée lui manquait le plus : les sensations. Celui du goût, du toucher, de l'odorat... Ils avaient tous faiblis avec la mort. Si elle voulait se rapprocher ne serait-ce qu'un peu de ce qu'elle avait pu connaître de son vivant, il lui fallait toujours vivre les choses avec le plus d'intensité possible.

A table, les verres à la main, les deux jeunes gens trinquèrent à leur association nouvelle. Sa coupe en l'air, un grand sourire sur le visage, la jeune femme se mit à rire.

" A mon établissement que je nommerais humblement " Le Prestige " !! Hahahaha! un hôtel où nous n'accueillerons que les élégants de ce monde. "

Le sourire de la dame s'étira.

" J'espère que vous viendrez me rendre visite dès que vous le pourrez! Je nommerais un de mes salons "au bon roi" en l'honneur de celui qui me permet de m'établir ici. Une manière pour moi de lui faire preuve de ma gratitude. "

Toujours avec ce culot qui était le sien, Deirdre osa un clin d’œil aussi enjôleur qu'amusé. Elle leva son verre et prit une grande gorgée de son vin. Les augures étaient définitivement bonnes.