Le flambeau des étoiles. Partie I : La constellation

Les étoiles n'étaient-elles pas devenu plus brillantes ces derniers soirs ? Alors que l'obscurité tentait vainement de régner en maîtresse impitoyable sur les cieux, elles étaient autant de rebelles, de résistantes. Inébranlables points lumineux, phares au coeur d'un océan noir. Dans les yeux de la Reine, elles s'illuminaient d'un éclat particulier. Teintées d'espoir, elles flamboyaient aux couleurs de l'émeraude. Nombreuses étaient ainsi les nuits où Viwien arpentait rues et branches entrelacées, ses prunelles captivées par la voute céleste, son esprit naviguant entre les constellations. Le repos, elle le trouvait dans le silence paisible de sa citée, plus que dans les rares heures de sommeil que son corps osait réclamer.

Elle n'avait guère le temps ni de dormir, ni de rêver. La nuit laissa place à l'aube, le jour se fit alors que la Reine accordait ses salutations aux conseillers qui croisèrent bientôt son chemin. Aujourd'hui pourtant, aucun ne l'interpella plus que de raison. Ils avaient dors et déjà discuté, débattu, négocié, sur ce l'emploi du temps de la Reine pour les jours a venir. C'est donc seule qu'elle se rendit jusqu'à Palantil. Le Grand Collège accueillait souvent ses pas pressés depuis quelques mois déjà. Si elle s'était écarté des lieux de Savoir pendant un temps, trouvant la Connaissance dans d'autres lieux, depuis son retour et son couronnement, elle y avait consacré un nouveau regard. Puis, depuis la Convergence, elle avait investit lieux et érudits de nouvelles questions.

C'est donc sans surprise mais avec une déférence égale et profonde que les premiers savants à croiser le chemin de la Reine s'inclinèrent. On murmura son arrivée, sans qu'elle ne soit annoncée, il n'y avait pas ici de héraut et ce n'était guère le lieu pour crier quoi que ce soit. Quelques "Votre majesté" furent peut-être prononcés un peu plus fort que le reste des conversations alors qu'elle approchait d'un groupe de chercheurs qu'elle avait demandé à certains professeurs de réunir. Des esprits vifs, érudits, sages. C'était à Palantil et à nul autre endroit que la Reine espérait trouver pareil équipage. Elle incline légèrement le menton, saluant ceux qui le faisait.

Ses cheveux laissés libres sur ses épaules, dévalent jusqu'à ses hanches, ondulant en une cascade de flammes qu'aucun ne s'autoriserait à effleurer. Habillée simplement, de vêtements confortables, de facture évidemment sindarine, elle aurait pu passer pour une étudiante.. Si il n'y avait pas dans ses pas, dans les contours de sa silhouette, dans le rythme même de ses respirations, le rayonnement d'une aura particulière, d'une présence puissante. Elle s'arrête à hauteur du petit groupe entourant le professeur Paramis.

- Enchantée de vous rencontrer, pour ceux d'entre vous qui sont nouvellement arrivé. Je suis ravie, aussi, de retrouver des visages familiers, j'espère que vos recherches ont été fructueuses.

Sa voix chaude vibrait sur une prononciation parfaite de l'isthar avec lequel elle s'exprimait. La composition du Grand Collège n'étant pas exclusivement sindarine et la demande de la Reine de former des groupes de recherche sur la Convergence accueillant des êtres de toutes les origines, il était plus sûr et inclusif, de s'exprimer dans la langue commune. Un rapide regard aux professeurs suffit pour que l'un de ces derniers prenne la parole.  

- Si vous voulez bien me suivre.

Il indiqua effectivement le chemin d'une salle non loin, dans laquelle tout ceux qui avaient été conviés entrèrent avant qu'on ne referme les portes derrière eux. Taeral Paramis prit alors la parole.

- Comme chaque mois, nous allons présenter l'avancement de nos recherches à la Reine ainsi qu'à nos collègues, veuillez vous avancer et vous exprimer lorsque votre nom sera donné. Si votre nom n'est pas inscrit à l'ordre du jour, veuillez patienter jusqu'à la fin des exposés et vous annoncer. La parole vous sera donné et vous pourrez exprimer librement votre pensée, qu'elle soit ou non aboutie, elle sera écoutée.

Viwien acquiesce légèrement à cette présentation, répétée depuis quelques temps déjà. Le but était en effet de faire un rapport concis de leurs recherches, pour ceux qui étaient là depuis le début, mais d'inclure aussi les idées nouvelles de ceux qui viendraient d'arriver. Tous avait le droit de prendre la parole, tant que cela restait évidemment respectueux et ordonné. Ils furent inviter à s'assoir, les exposés des différents chercheurs pouvant prendre un certain temps. La reine prit un siège au milieu des professeurs, chercheurs et étudiants. Si aucune garde n'était visible, aucune garantie n'était donnée qu'il n'y avait pas un Astar dans l'assemblée. La Reine semblait décontractée bien que son maintient restait impeccable et son attention toute tournée vers les chercheurs qui prenaient, les uns après les autres, la parole. Il était certain qu'elle n'était pas ici en tant que simple spectatrice pourtant, elle nourrissait son esprit des réflexions des savants, accumulant ainsi plus de connaissances et de points de vue.

Les chercheurs se suivaient sans se ressembler. Les discours n'étaient pas tant alarmistes que sérieusement soucieux. Il semblait évident pour qui se penchait sur la question, que la suite d'évènements qui avait frappé istheria ne pouvaient être fortuite. Certains avaient disséquer les oiseaux tombés sur Canopée, leur mort n'avait rien de naturel. La reine garde un visage égal, concentrée, elle ne laisse paraître ses émotions, il aurait été difficile de la surprendre. Elle même travaillait à l'étude de ces phénomènes et si elle avait déjà fait d'étranges connexions, elle savait aussi faire preuve de modestie et appeler l'aide d'esprits savants pour la conseiller. C'était là le but des premiers groupes de travail de Canopée, cela dit, Viwien n'était pas Reine à faire de la rétention d'information sur un sujet qui concernait bien plus que les Sindarins. Il n'était pas ici question de réunion secrète, tous étaient invité à participer et à partager.

Il était peut-être temps que le monde prenne toute la mesure des évènements en cours. Cependant, comme souvent, les premiers inquiétés et parfois les seuls, étaient les êtres les plus proches de la nature. Viwien se demandait parfois, s'il fallait la fonte des neiges en Cimméria et l'avancée des mers sur Argyrei, une hausse globale des températures en somme, pour que le monde réagisse. Ce ne serait peut-être même pas assez.. Eridania, fort de sa grandeur, se murerait certainement dans le déni, c'était là le problème des autres, pas le sien.

La Reine se ressaisit alors que le prochain intervenant se présentait devant ses collègues. Jhaelune E’eendar, son nom et son visage ne lui étaient pas inconnus. E'eendar était une vieille famille de Canopée, tournée vers les arts militaires, cependant leur fils ici présent n'avait pas voué sa vie à ces arts-ci. Son esprit s'était tourné vers d'autres combats. Le jeune sindarin était doué dans ses études, il avait une mémoire hors du commun, c'est en tout cas ce dont se souvenait la Reine qui devait avoir déjà croisé l'apprenti érudit dans les couloirs de l'académie.

Cependant, ce n'est bientôt plus la personne qui intéressa la Reine mais ses propos. Il avançait que les évènements n'étaient pas originaux, qu'ils ne faisaient que se répéter. Viwien avait déjà lu cette théorie, elle en avait fait part à un de ses Astar, Serënn, six mois plus tôt. Cependant, elle n'avait pas alors connaissance de l'ouvrage que citait le sindarin, sa réflexion d'alors, se basait sur le témoignage d'un certain Eucléis. Imperceptiblement, le regard de la reine se fit plus aiguisé alors que Jhaelune se penchait sur le cas de l'île perdue d'El Bahari.

La Reine acquiesce alors qu'il termine, attirant l'attention des quelques personnes l'entourant. Elle ne fit cependant pas plus de commentaire, laissant la séance se dérouler sereinement. Jusqu'à ce que le professeur Paramis ne reprenne la parole, après avoir laissé parlé ceux qui n'étaient pas inscrit à l'ordre du jour, afin de remercier les participants et les spectateurs. Leur rappeler la date de la prochaine séance aussi. La reine se leva à son tour, instaurant le silence dans ce simple geste, sans empressement elle rejoignit le professeur au-devant de tous les érudits réunis dans la salle.

- Merci, professeur Paramis, comme à votre habitude vous avez été un maître de séance parfait.

Un sourire sincère et aimable éclaire son visage avant qu'elle ne tourne son regard émeraude vers l'assemblée.

- Chers érudits, aventuriers, savants et esprits vifs, je vous remercie à mon tour, de votre présence et de votre participation à ces recherches. L'heure est préoccupante mais nul ici, n'a fait le choix de rester indifférent. Je suis profondément persuadée que nous avons tous, un rôle à jouer, que nous pouvons tous, être acteurs de notre futur.

Il était habituel que la Reine dise quelques mots à la fin de ces séances mais, il était rare qu'elle s'étende, Viwien n'aimait guère les grands discours creux. Aussi, le silence se fit plus compact, plus lourd, alors que la Reine reprenait.

- Aussi je ne compte pas rester inactive. Mes propres recherches m'ont menées sur les traces de l'île fugitive ; El Bahari.

Un petit murmure s'élève, certains s'interrogent, El Bahari avait diparu, nul ne l'avait retrouvé depuis que le colosse s'était éveillé. D'autres, commençaient à comprendre.. et se taisaient. Viwien attendit que le calme revienne, sereinement, avant de reprendre.

- El Bahari n'est plus perdue et une expédition partira à l'aube à sa poursuite.

En réalité, ce serait la deuxième expédition. Un navire avait déjà été envoyé à la poursuite de l'île, alors que Serënn, dans l'accomplissement d'une mission donnée par la reine à la suite de leur entrevue, trouvait les pierres aux capacités spéciales.. permettant de localiser l'île, ou son colosse. Un navire sindarin avait récupérer la précieuse pierre et s'était lancé sur les traces de l'île. Il l'avait trouvé. En pleine mer, isolée du monde mais bel et bien présente. Avant que le colosse ne décide de replonger, Viwien devait se rendre là-bas. Pour de nombreuses raisons, son chemin devait arpenter les terres mystérieuses de l'île.

Un murmure plus important perturba l'audience. La Reine ferait-elle partie de l'expédition ? Elle avait dit qu'elle ne resterait pas inactive.. mais partir en expédition maritime, alors que justement, les temps étaient troubles, qu'elle était reine, était-ce vraiment une idée raisonnable ? Le visage de Viwien se fit plus grave alors que sa voix portait bien plus que les murmures troublés.

- Mon rôle est d'être une Reine avisée, El Bahari recèle trop de secrets qu'il nous faut découvrir, je me rendrai sur l'île et découvrirait de mes propres yeux ce qui nous est caché.

Il y avait une limite à déléguer les tâches, les plus dangereuses qui plus est. Puis, il n'en avait pas encore parlé et la reine ne faisait que le sous-entendre en parlant de ce qui leur était caché mais, comment, des géants, colosses, pouvaient avoir déjà été, sans que cela ne soit connu ? Sans que ni les Sylphides, ni les Sindarins, en est gardé mémoire ?

Aux mots de la Reine, tous se turent, il n'était pas aisé de détourner le regard ou de se porter au devant de Viwien alors que ses prunelles brûlaient d'une détermination inébranlable. Cela pouvait bien passer pour de l'entêtement, la sindarine était connue pour être une forte tête, depuis sa jeunesse. Les plus sages présents savaient eux, que les Conseillers avaient déjà du essayé de la raisonnée et que si eux n'avaient pas réussi, c'était donc tâche impossible. D'autres, nombreux heureusement, se réjouissaient d'une part qu'El Bahari soit retrouvée et d'autre part, que la Reine soit impliquée dans leurs recherches et dans les découvertes scientifiques, on ne pouvait guère en dire autant de tous les autres dirigeants.

Quelques applaudissements résonnèrent dans la grande salle, des plus enthousiastes d'abord, rejoints rapidement par les autres encore en questionnement. La Reine conclu en les remerciant et en affirmant qu'elle serait de retour pour la prochaine séance. Les chercheurs se levèrent donc et commencèrent à quitter la salle, Viwien quant à elle échangea quelques mots avec le professeur Paramis avant de s'avancer vers un jeune érudit.

- Jhaelune E'eendar, j'aimerai échanger quelques mots avec vous.

D'ordinaire la reine aurait fait preuve de ce brin de politesse en demandant au sindarin, s'il avait du temps à lui accorder, mais, l'affaire était pressée. Viwien ne pouvait se permettre de décaler cette entrevue informelle qui pouvait très bien ne durer que quelques minutes, suivant les réponses de son interlocuteur. Il n'était pas ici question de gaspiller du temps, ni pour l'un ni pour l'autre.

- Pouvez-vous m'en dire davantage sur cette "brèche temporelle" dont vous parliez ? Aussi vous citiez Herchel, avez-vous étudiez les écrits d'Eucléis ?

Les deux questions s'enchainent rapidement, la sindarine laisse un moment à son interlocuteur pour les intégrer et les traiter. Elle adresse un léger signe du menton au dernier professeur qui quitte la salle.

Le Sindarin était visiblement passionné par la question, déviant légèrement du sujet principal pour se pencher sur les connexions qui avaient amenées ses réflexions. Ce n'était pas inintéressant et la Reine ne l'aurait pas interrompu, du moins, pas aussi rapidement qu'il le fit lui-même, soucieux de donner une réponse plus concise à son interlocutrice. Il montrait là un talent appréciable, savoir adapter la nature et la durée d'un discours pour atteindre l'objectif de son interlocuteur avec efficience. La Reine acquiesce légèrement tout en réfléchissant.

Voilà un don bien particulier.. La Reine connaissait des personnes capables de divination mais ce n'était jamais très précis. Peut-être que ce don-ci était plus exact ou en tout cas, qu'entre les mains d'un érudit, il pouvait s'avérer particulièrement intéressant. Notamment en ce moment. La Convergence avait transportée la Reine des siècles plus tôt, alors que Cimmeria coupait la tête à son dernier Roi très certainement.. Si elle avait eu un don aussi précieux que celui du sindarin, elle aurait sans doute cherché à replonger à cette période afin de comprendre quel pouvait être le message que cherchait à lui transmettre les Dieux. Elle ne pouvait que chercher des indices dans les livres d'histoire.. bien indécis, bien imprécis, bien peu impartiaux..

- Jhaelune E’eendar, si vous souhaitez explorer cette hypothèse, vous êtes le bienvenu à mon bord.

Cela avait été rapide. La Reine n'était pas connue pour aimer les longs discours creux ou les paperasses inutiles. Il avait besoin de se rendre sur El Bahari, ses recherches avaient un intérêt certain pour la Reine qui pourrait profiter tout à la fois de ses avancés, s'il y en avait, et de l'expertise de l'érudit sur l'île et les potentiels choses étranges qu'ils pourraient trouver. Il n'y avait pas besoin de tergiverser davantage.

- Empaquetez vos affaires, le convoi part dès que possible, à l'aube dernier carra. Il nous faudra traverser la vallée des vents pour rejoindre la côte sud, de là, nous embarquerons pour un voyage d'une dizaine de jours, peut-être plus. J'espère que vous supportez bien les voyages en mer.

Un léger sourire pique les lèvres de la sindarine, il n'aurait guère le choix, une fois sur le navire, il devrait se faire aux roulis des flots. La Reine lassa un temps à son interlocuteur pour répondre, refuser même, s'il ne souhaitait pas se saisir de l'opportunité qui lui était offerte. C'était son choix après tout. La Reine ne l'obligerait en rien à se joindre à l'expédition quand bien même sa participation pourrait lui apporter de précieux renseignements, elle n'allait pas plus le forcer qu'elle n'allait le payer pour ses services, c'était ici un échange de bons procédés, profitable aux deux partis, la Reine trouvait l'échange assez juste pour ne pas s'arrêter sur la question. Le jeune sindarin face à elle était, selon les prédictions de Viwien, en mesure de comprendre la proposition et ses implications.

Quant à savoir si le sindarin était digne de confiance, s'il était avisé de lui offrir une place à bord d'un navire où il serait, à priori, plus aisé d'accéder à la royale tête rousse et tenter quelque manœuvre dangereuse.. Cela ne traversa même pas l'esprit de la Reine. Si elle était impulsive, elle n'en était pas pour autant irréfléchi. Elle ne sentait aucun danger émaner du sindarin face à elle, n'avait aucune raison de se méfier plus que de raison et quand bien même, elle avait d'une part, des compétences pour assurer sa propre sécurité et d'autre part, l'érudit n'était pas le seul invité. Des Astars seraient notamment membres de l'équipage.

- Si vous n'avez pas de question nécessitant ma présence, je vais aller finir les préparatifs. Ne soyez pas en retard.

Le ton était sérieux mais le visage de la Reine était détendu, un léger sourire aux lèvres, elle n'était guère inquiète. Quant aux questions de l'érudit, s'il ne s'agissait pas d'urgences, ils auraient tout le temps de converser pendant la traversée du pays.. Bien qu'il faudrait au Sindarin savoir parler à cheval sans se mordre la langue, les pauses seraient rares sur le trajet, la Reine était impatiente de prendre la mer et de rattraper l'île fugitive et pleines de mystères d'El Bahari.