Hespéria - Chambre du conseil
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Et voilà qui conclut notre tour d’horizon sur les travaux de la cité.Suffisant, le ministre des finances plastronnait, un sourire orgueilleux aux lèvres, tout heureux de pouvoir rendre compte de situations pareilles malgré la tragédie qui avait de prime abord causé les dégâts.
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Je ne doute pas que notre majesté soit heureuse d’apprendre que les tensions raciales s’estompent peu à peu, bien que le souvenir de sa générosité concernant l’ordre de priorité des travaux de rénovation semble également suivre le même chemin dans l’esprit du peuple.Le premier conseiller adressa à son tour un sourire au ministre des finances, aussi aimable en apparence que l’attaque se faisait brutale en cachette. En accordant cette conclusion au compte rendu du ministre, il en diminuait l’importance bénéfique pour la maison et réduisait d’autant le gain d’influence potentiel du comte de Ruyter auprès du roi. En maître de son timing, le sylphide n’accorda pas un instant de plus à l’homme dont l’embonpoint commençait à dangereusement tirer sur le pourpoint pour le tourner vers un jeune clerc assis en bout de table.
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Point suivant ?Le jeune homme écarquilla un instant des yeux avant que son éducation ne reprenne le dessus. Jetant un regard étonné au parchemin qu’il avait entre les mains, noirci par son écriture des notes du conseil, il le porta de nouveau au sylphide. La reconstruction de la capitale devait être le dernier point du conseil de l’après-midi, tous les membres en étaient déjà fourbus et la lumière commençait lentement à décliner à travers les vitraux de la chambre du conseil. Or le sylphide devrait être au courant de ce fait, puisqu’il avait lui-même dicté l’ordre du jour au clerc…
~ Je… Entama-t-il avant de se reprendre aussitôt, calmant sa voix et sa nervosité pour se remettre dans sa position d’observateur invisible des grandes décisions du royaume.
Il s’agissait du dernier point, monseigneur.Conscients que quelque chose se jouait actuellement, les différents membres du conseil du roi échangèrent des regards circonspects, n’osant tourner leur étonnement de manière trop voyante en direction du conseiller, celui en profita pour prendre la parole.
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Peut-être pourrions-nous profiter de notre avance pour discuter du problème de Vanes en ce cas ?Cette question, d’apparence candide, n’avait pour autant peu de rapports avec la réalité. Loin d’assurer une bonne avance sur l’emploi du temps de la réunion, le conseil avait déjà une bonne heure de retard et les cuisines royales rougeoyaient déjà du festin à venir. C’est néanmoins un vent glacial qui sembla balayer la pièce lorsque le nom du duché échappa des lèvres du sylphide.
Déplaçant son auguste figure vers le conseiller, le roi haussa un sourcil d’étonnement alors que les ministres s’échangeaient leurs inquiétudes par œillades interposés.
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Qu’en est-il de Vanes ?Le monarque ne s’était jusque-là que très peu intéressé aux discussions du conseil, engoncé dans ses larges fourrures, le protégeant du froid et d’un semblant de monde extérieur, mais la mention d’un problème qu’il semblait ignorer avait su susciter sa curiosité, si ce n’était son intérêt.
Le conseiller marqua sa victoire d’un discret sourire avant d’élever de nouveau sa voix à la diction délicate.
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Sa majesté n’est certainement pas sans savoir que sa décision de donner asile et secours aux Eryllis n’est pas accueillis par tous de la même manière… Et il s’avérerait que… certains habitants du duché de Vanes s’amuseraient à entretenir quelques idées néfastes, voire insultantes à l’égard de votre auguste personne.Le ton évasif du conseiller, qui pourrait chez beaucoup d’individus apparaître comme une tentative de défense, provoqua au contraire un frisson d’anticipation et de crainte chez les autres membres du conseil. Ses insinuations et son habitude constante à ne jamais transmettre les informations de manière directe lui permettaient de se dissimuler derrière les propos rapportés et de ne jamais être jugé comme le véritable messager des événements, se protégeant d’une partie de la rancune inhérente à ce genre de fonction.
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Allons… sa majesté n’a pas à s’ennuyer l’esprit avec ce type de rum-…Thimothée interrompit le ministre des finances d’une main, son attention concentrée sur son élégant conseiller, son front plissé par la réflexion lancée par les quelques miettes de pains que lui avait laissé le sylphide.
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Il se rapporte majesté… Que certains pensent que le principal attrait que vous ayiez pu voir au traité avec les eryllis, se situe entre les cuisses de leur cheffe.~
C’est un scandale ! Comment osez-vous parler comme ça devant sa majesté !~ Silence !
La voix du monarque scanda ce mot avec force, le verbe royal résonnant lentement entre les murs de la chambre du conseil avant de s’estomper. Un frémissement à la porte marqua le seul changement dans la posture des chevaliers du cercle intérieur en faction, visiblement prêts à intervenir au moindre problème.
Une fois certain que d’autres ne tenteraient pas d’intervenir de nouveau, ayant balayer avec méthode la pièce et ses occupants du regard, le roi tourna de nouveau celui-ci vers son conseiller, s’étant muré dans le silence à l’intervention du ministre de la guerre, sachant pertinemment que le monarque ne tarderait pas à lui rendre la parole, accroissant d’autant le poids de celle-ci dans la pièce.
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D’autres s’étonnent de votre propension à accorder à des criminelles un sauf-conduit au regard de l’importance de leurs terres. Terres dont l’exploitation aurait financer l’ensemble de la construction de votre nouvelle route vers Tyrhénium…Remuant doucement sur son siège, le ministre des finances n’eut pas besoin d’exprimer ouvertement son partage de certains de ces points de vues, mais en homme politique d’expérience, il s’abstint néanmoins de montrer la moindre réaction supplémentaire, ni d’élever la voix.
Le monarque quant à lui se redressa sensiblement dans son siège, foudroyant un instant du regard son conseiller, conscient du plaisir qu’il prenait à contrôler ainsi le conseil par son intermédiaire. Lâchant finalement le sylphide du regard, il le tourna vers le reste de ses conseillers et ministres.
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J’ai rêvé d’une ombre venant de l’est. Un serpent venimeux s’abritant sous une large pierre, en attendant le bon moment pour frapper et mettre à bas un géant. La déclaration du roi fut comme à son habitude accueillie par des sourires polis et circonspects. Il n’était plus étonnant pour ses plus proches collaborateurs de l’entendre ainsi parler de ses rêves et des angoisses qu’ils lui provoquaient concernant le futur du royaume. Si certain y voyaient à son image des messages des dieux, d’autres y voyaient au contraire des signes supplémentaires de l’état de santé mentale déclinant du roi, celui-ci ne s’était jamais vraiment remis de la perte de son épouse, pour eux et serait susceptible de tomber entre les griffes de charmantes intriguantes pour combler ce manque que sa mort lui avait laissé.
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Que proposez-vous ? Oldarik ne manqua de dissimuler son visage derrière son large éventail, masquant sa déception de voir le roi replonger dans son attitude attentiste alors que les ministres s’empressaient déjà dans la brèche pour tirer avantage de ce questionnement royal.
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Nous pourrions déployer des troupes sur leur territoire majesté. Une présence militaire forte les encouragera à tenir leur langue ! Jan Natalis, le ministre de la guerre, était connu pour ses positions tranchées sur à peu près tous les sujets. La réponse militaire était pour lui bien souvent la solution la plus simple aux problèmes. Cependant, si certains voyaient en lui une sorte de brute et s’étonnaient de sa présence au conseil du roi, les plus malins avaient conscience que son rôle était prépondérant, aussi bien pour le roi que pour les autres ministres. En s’exclamant aussi vite et fort en faveur d’actions décisives, fortes et violentes, il permettait à d’autres de s’élever en opposition pour nuancer la réponse à apporter s’opposer ouvertement à ses « tendances belliqueuses ».
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Allons ! Sa majesté a certainement bien conscience qu’une réponse militaire ne serait pas la chose à opposer à de vulgaires rumeurs… On le taxerait alors de tyrannie ! Toujours plus mesuré dans ses propos, le ministre des finances était également un fervent diplomate et proche des noblesses de l’est. Considérant que le dialogue était la réponse à apporter aux problèmes qui n’étaient pas irrémédiablement liés à la guerre, il en profitait souvent pour négocier des clauses subsidiaires à son avantage ou celui de ses amis.
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De plus qui souhaiteriez-vous déployer à Vanes ? Les troupes déjà sur place, des fils du pays qui devraient se retourner contre leurs frères et sœurs ? ~
Les troupes royales et celles d’autres régions n’auront pas ce problème ! Rugit avec assurance le ministre des armées, sa voix habituée à se faire jadis entendre sur le champ de bataille couvrant sans peine le ton précieux de son homologue des finances. ~
Nous courrions à la guerre civile ! Vous nous exposeriez à tous les prédateurs qui attendent à nos portes ! Et tout cela pour quoi ? Punir des sujets du roi au profit d’étrangères ?! La discussion s’envenima rapidement entre les deux ministres tandis que le roi replongeait dans une forme de torpeur. Conscient de son environnement, il n’écoutait cependant plus la conversation que d’une oreille, l’esprit tourné vers l’est, vers ces voix qui s’élevaient à son encontre, vers son entourage qui pensait devoir le protéger de ces racontars en le coupant lentement du monde. Un bruit attira cependant son attention au bout de longues minutes, le bruissement énergique des plumes de l’éventail de son conseiller, l’objet battant l’air avec énergie.
Au bout de quelques instants, la conversation se tue d’elle-même alors que chacun observait le manège du sylphide les toisant d’un air arrogant.
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Peut-être devrions-nous au contraire diminuer le nombre de troupes à la frontière du duché ? Cela rappellerait qu’ils ne doivent leur sécurité et leur protection qu’à la générosité du roi…Les visages se fermèrent aussitôt dans la chambre du conseil alors que tous les esprits convergeaient vers une idée, sans qu’une seule bouche n’ose l’exprimer. Lentement, les regards quittèrent le sourire supérieur du conseiller pour se braquer vers le roi, l’implorant silencieusement d’intervenir.
Poussant un profond soupir, le monarque se redressa de nouveau, balayant la pièce du regard avant de se tourner vers son conseiller.
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D’aucuns pourraient vous soupçonner de trahison pour cette proposition Oldarik… Nous ne dégarnirons pas la frontière orientale, aussi calme soit Noathis. Cela contreviendrait au devoir royal de la protection du peuple, qui serait alors la vraie victime de cette dispute. Certains, heureux que le conseiller perde ainsi l’approbation royale l’espace de quelques instants, ratèrent ainsi le sourire victorieux qui naquit sur les lèvres élégantes du sylphide, de nouveau dissimulées derrière son éventail de plumes. La gracile créature était parvenue à obliger le roi d’intervenir de nouveau et à le placer dans une position de force, son rôle de conseiller étant difficilement discutable et l’apparente tentative éhontée de prêter le flanc à une invasion de ses semblables trop sérieuse pour être dénoncée ouvertement, tous avaient été obligés de se tourner vers le roi pour reprendre le contrôle de la situation, rappelant subtilement à tous, y compris à Thimothée, les véritables relations de pouvoir en jeu ici.
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Cependant, il est vrai que nous ne pouvons rester inactif…~
Puis-je suggérer à sa majesté de profiter du sujet de rancœur des Vanois ? Si nous leurs accordions certains traitements de faveur ou bénéfices commerciaux, nous briserions l’ossature de leur campagne de haine…~
Et pourquoi pas baisser no-.. ! Majesté !! Interrompu au milieu de sa phrase par la main du roi, levée en signe de silence, le ministre de la guerre ne put s’empêcher une dernière exclamation avant d’être réduit au silence par un regard appuyé.
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Votre proposition n’est pas stupide Erwyn, mais nous ne pouvons récompenser l’insoumission. Nous encouragerions alors tous les ambitieux à faire de même. Il nous faut agir, de manière forte, mais avec subtilité. Se relevant complètement, le monarque prit appui des deux mains sur la table, surplombant l’ensemble de sa haute silhouette.
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Nous inviterons la fille du duc à la capitale. Cela sera tout à la fois la position idéale pour que son père puisse lui trouver un époux, mais également lui rappeler qu’un soulèvement aurait des conséquences tragiques pour sa descendance. De plus, nous dépêcherons des troupes de toutes les légions pour un grand exercice conjoint sur le sol du duché. La soudaine affluence devrait profiter à l’économie locale tout en rappelant à tous ce qui arrive lorsque l’on contrevient à l’unité du royaume…