[Event] Au nom de la rose

La rumeur court, à la vitesse d'une cheval au galop. Elle parcours champs et vignobles, traverse la rivière en un battement d'aile, finit sa course entre les mains d'un homme lettré et avisé qui lui donnera le souffle nécessaire pour que de rumeur, elle devienne information de première actualité. Ainsi sera informée la Duchesse de Vanes, de la venue d'un homme se prétendant être le nouveau Haut-Prêtre de Delil. Un parfait inconnu qui n'a pas davantage fait connaître son intronisation. Un parfait étranger, qui n'avait envoyé aucun message, ni pour se présenter à ses voisins et aux nobles noms qui l'entourait mais qui, en plus de cette maladresse, venait en leur terre, sans s'annoncer.

La Duchesse était une femme pieuse, Delil n'avait pas sa préférence mais, elle vénérait très sérieusement les Dieux et, c'est sans doute le seul élément qui fit pencher la balance en la faveur du Haut-Prêtre. Les Gélovigiens avaient beau être puissants de part le monde, ils devaient, comme tous, se plier aux règles protocolaires de la Haute société s'ils espéraient avoir quelques faveurs des Vanes. Cela étant dit, il aurait été maladroit aussi, de ne pas ouvrir sa porte à un Haut-Prêtre. Il aurait donc, une chance -et certainement une seule-, de rattraper ses fautes d'inattention.

On fit donc entrer le Haut-prêtre et on l'accompagna jusqu'à la salle d'audience. Une pièce circulaire, au plafond prodigieusement haut, accueillant en son centre deux immenses statues, dos à dos, épées plantées dans le sol de marbre blanc. Entre ses deux gigantesques héros de pierre, au sommet d'une volée de marches qui peut devaient gravir, le trône ducal était vide. Quelques gardes, en armure de lion, observaient avec attention le prêtre et sa suite. Ils attendraient, dans le silence, jusqu'à ce que la mélodie sévère des talons claquant sur la pierre s'élève.

Un héraut annonce :

- Son altesse ducale, Dame Ophelia Vanes.

Drapée de soie et de velours d'un rouge sombre la Duchesse de Vanes, le menton haut et le regard sévère, s'avance vers son visiteur. Il s'en faudrait de peu pour que les gardes présents ne ploient le genoux comme devant une figure de la royauté, ils inclineront le menton, portant une main à l'emplacement de leur coeur, où trônait le symbole des Vanes; un lion ailé.

Un peu moins fort mais distinctement, le héraut reprend :

- Mademoiselle Pandora Vanes.

De l'ombre de la Duchesse, s'extirpe une rose. Là où Ophelia Vanes était l'incarnation de l'ordre, une présence écrasante de froideur et de rigueur, l'avatar des vents nivériens à qui rien jamais n'échappe, Pandora Vanes était un frêle rayon de soleil annonçant Enkilil. Ses cheveux roses enfermés dans une coiffure sophistiquée ornée de fleurs de cristal, sa silhouette enserrée dans une robe colorée, en dégradé de rose, de violet et de bleu pâle, évoquant l'aube sans doute.. La jeune Vanes ressemble en tout point à ce qu'elle doit être; une princesse de conte.

La Duchesse ne laissera cependant pas le loisir à ses visiteurs de contempler sa fille plus longtemps alors qu'elle exécute une révérence parfaite, saluant ainsi le Haut-Prêtre et sa suite. La voix d'Ophelia Vanes est sèche mais profonde, empreinte d'un charisme certain. Elle pourrait mener des armées au front, elle pourrait ordonner les pires châtiments, elle pourrait faire bien des choses.. Le pouvoir, s'il devait avoir une voix, choisirait sans doute celle d'Ophelia Vanes.

- Soyez le bienvenu, Haut-Prêtre de Delil, il semblerait hélas que votre nom ne nous soit pas parvenu.

C'était certainement faux. Le prêtre pouvait bien être un inconnu aux yeux de la noblesse, son nom, son identité, son passé, tout devait déjà être entre les mains de la Duchesse qui avait des yeux et des oreilles partout. Cela dit, il ne l'avait pas communiqué officiellement et avec cette première phrase, la Duchesse signifiait clairement à son visiteur qu'il avait fait une première erreur.. Si jamais il ne l'avait pas encore remarqué. Elle poursuivit en gravissant les marches menant au trône et s'y assit.

- En l'absence de mon époux, j'écouterai ce que vous êtes venu nous dire, si informellement.

Deuxième réflexion aux maladresses diplomatiques du prêtre, il ne faisait pas bon dénier l'étiquette en la présence d'un Vanes. Elle adressa un bref et sévère regard à la suite du Haut-Prêtre, un page et des hommes de main..

- Vous n'avez guère besoin de tout ces gens, ou sous-entendriez-vous que vous n'êtes pas en sécurité au sein de notre demeure ?

Voilà qui était direct. La jeune Vanes quant à elle, restée en retrait, au bas des marches s'était discrètement approchée de serviteurs restés à la porte. Deux d'entre eux partir promptement, ils reviendraient avec une chaise confortable. Puis, avec délicatesse, elle se rapprocha du petit groupe que formait les visiteurs. Ils semblaient tendus.. il y avait de quoi. Attendant sagement que la Duchesse eut finit de parler, la jeune Vanes prit à son tour la parole, plus bas, comme si elle ne s'adressait qu'à eux, en toute autonomie. Ses prunelles roses s'envolèrent jusqu'à celles du Haut-Prêtre, évidemment, elle avait été surprise qu'il soit Albinos comme l'étaient les Vanes, cela étant, elle ne laissait rien paraître ni de sa surprise, ni de sa curiosité, se contentant d'adoucir la tension qui s'emparait de l'assistance.

- Un repas chaud sera servit à votre suite, dans la salle des serviteurs, si vous le permettez.

La voix douce de la demoiselle s'éteint alors qu'un serviteur des Vanes s'avance d'un petit pas, montrant qu'il guiderait les intéressés vers leur repas. On posa la chaise à côté du prêtre, il pouvait s'en servir ou non, ce n'était qu'une marque d'attention.

Se pensait-il loup blanc ? Se croyait-il vraiment.. armé ? Il n'était qu'un agneau. Un agneau face à une lionne. Ne l'avait-il pas sentit ? Délil ne l'avait-il pas prévenu ? Ce n'était ni la terre des Dieux, ni celle des plantes. Cette terre était celle des Hommes. Des Hommes et des Lions. S'il ne se considérait pas comme l'un d'entre eux, il ne pouvait pourtant échapper à leurs lois. Il n'était pas entré en territoire ennemi.. mais il ne tarderait peut-être pas à l'être.

Ses réponses laissent de marbre la Duchesse. Un marbre intransigeant, qui avait vu des épreuves plus rudes, des impertinents plus sophistiqués aussi. Elle ne cilla pas. Ce qui n'était pas le cas de la jeune demoiselle au côté du prêtre.

Elle avait rencontré le Comte Veldar, quelques mois plus tôt, elle reconnaissait en ce Haut-Prêtre une même marque d'inexpérience.. Le Comte était entré en politique depuis quelques courts mois lorsqu'elle l'avait rencontré, il était novice oui, il faisait des erreurs certes.. Mais rien, rien, de l'ampleur de ce que le Haut-Prêtre se permettait. Le Comte était un élève, il comprenait sa position et la nécessité d'apprendre, il avait compris les enjeux du jeu politique quand bien même il ne l'appréciait pas particulièrement. L'élu de Délil avait visiblement sauté une leçon.. voire toutes.

Ophélia Vanes l'avait salué, certes en lui signalant qu'il n'avait pas donné son nom, ce qui était une sacrée impolitesse.. Mais, loin de lui rendre la plus petite des politesses en la saluant à son tour, par le geste ou la parole, il l'avait ignorée, elle et son rang. Elle et la seule chance qui lui était présenté de se racheter. Pandora Vanes se mordit l'intérieur de la joue, elle n'avait sentit aucune suffisance chez le Haut-Prêtre pourtant.. c'était comme un noble snob et imbu de sa propre personne qu'il se comportait. Dédaignant son hôte, il enchaina en répondant que sa suite n'était pas là pour sa protection mais.. pour la leur ?

La jeune Vanes recula d'un pas alors que les gardes à l'armure de Lion se tendaient. Oh, le Haut-Prêtre ne sous-entendait pas qu'il n'était pas en sécurité non, il sous-entendait qu'il était le danger. Là. Tout seul au milieu du Palais des Vanes, il sous-entendait être la plus grande menace. Peut-être ne se voyait-il pas comme un agneau au milieu des lions. Peut-être pensait-il sincèrement être assez puissants pour les défier tous...

Que cela était présomptueux. Tout Haut-Prêtre qu'il soit. Tout puissant qu'il puisse être. Ne pouvait-il pas sentir que les gardes qui les entouraient n'étaient pas de simple hommes de main ? Ils portaient l'armure du lion.. N'avait-il donc rien étudié avant de venir ici ? Le Haut-Prêtre pensait-il être le seul, parce qu'il était élu d'une divinité, à avoir de grands pouvoirs ?

Pandora pose à nouveau ses prunelles sur le visage du Haut-Prêtre, incertaine. Elle était curieuse de voir un albinos, comme elle, un peu excentrique avec ces yeux ambrés.. Les albinos n'étaient pas nombreux, tout du moins parmi les Terrans. Puis, il semblait bien jeune pour être Haut-Prêtre. Puis, il parlait de lui à la troisième personne, élément dissonant si ce n'était pas une marque de suffisance.. Il y avait de quoi attiser la curiosité de la jeune demoiselle mais, elle n'était pas certaine d'avoir vu juste en pressentant qu'il était juste maladroit en politique, son visage à l'instant où il parlait à la Duchesse, n'exprimait aucun doute, aucun remord sur la portée de ses mots et de ses sous-entendus.

Quant à la mission de cette petite délégation, elle était on ne peut plus noble. Prévenir qu'une maladie insidieuse sévissait un peu partout et qu'il fallait en prévenir les symptômes, était une bonne chose. Pandora aurait aimé répondre au Haut-Prêtre, lui dire d'abord, que la population de Vanes ne souffrait d'aucune famine, lui dire ensuite, qu'elle serait ravie de lui apporter son soutient bien qu'elle ne soit que novice dans l'art de la magie curative. Cependant, elle n'aurait pas le loisir de s'exprimer. Si la mission était noble, son accomplissement lui, n'était pas approprié..

L'homme qui se tenait là, n'ayant respecté aucune des plus essentielles politesses, venait d'affirmer qu'il avait dors et déjà envoyé ses gens prévenir la population.. Une ingérence manifeste qui cette fois, marqua le visage de la Duchesse. Un simple froncement de sourcils. Infime mouvement sur le visage depuis longtemps fermé d'Ophélia Vanes. Sa fille ne savait que trop bien comment tout cela allait se terminer, elle inclina la tête et le torse devant sa mère qui ne lui adressa pas un regard, et sorti à reculons de la salle, comme le voulait le protocole, on ne tourne pas le dos à la Duchesse ou au Duc, pas chez les Vanes en tout cas. La jeune Vanes quitta la salle d'audience sans un bruit, visiblement attristée et un peu déçue.

Mais personne n'aurait le temps d'examiner l'expression sur le visage de la jeune demoiselle, car la Duchesse se leva, attirant à elle tous les regards. Elle avait laissé quelques longues secondes s'écouler dans un silence glacial. Son regard d'un bleu très clair, caractéristique de la dépigmentation qui touche les albinos, ne dégageait pas plus de chaleur que les banquises de Cimmeria alors qu'elle faisait un pas en avant. Du haut de ses marches, elle regardait de haut l'impudent qui se trouvait être Haut-Prêtre de Delil. Sa voix claqua, comme un coup de fouet.

- Vous ne restez pas. En effet.

Sa main droite se leva légèrement. Un geste élégant, assuré. Suivi du claquement sévère d'un pas, un pas fait par tous les gardes, dans un même mouvement. Un pas. Qui voulait tout dire. L'aura qui se dégageait soudain des Lions était écrasante et sans équivoque.

- Votre titre ne vous protège ni ne vous autorise à faire comme bon vous semble, Haut-Prêtre. Sachez-le.

La Duchesse fait un autre pas, les Lions le font aussi.

- Vous et votre "convoi", quittez cette ville, immédiatement. Vous quitterez le Duché sans le moindre retard. Vous n'y serez plus désormais le bienvenu, avant que vous n'ayez apprit l'humilité et la politesse.

Il serait écrasé. Tout puissant qu'il soit. Il serait écrasé. Il était bien seul, au final. Les Dieux eux-mêmes étaient bien impuissants face aux Hommes. Eridania n'était pas la plus puissante des nations sans raison. Si l'élu de Delil voulait trouver des alliés, il avait aujourd'hui échoué. S'isolant davantage. La Duchesse n'attendait aucun commentaire de la part du "visiteur", il serait d'ailleurs plus avisé qu'il ne réponde pas. D'ailleurs il n'avait plus l'attention d'Ophélia Vanes qui avait appelé à elle un de ses Lions qui écoutait les ordres donnés. Peut-être le message qu'était venu apporté le Haut-Prêtre avait-il été entendu.

Vanes était un Duché inégalitaire, tous n'avaient pas accès au marbre blanc de Heldor, cependant, tous avaient de quoi se nourrir, il y avait du travail pour tous et une moindre insécurité que dans le reste du pays. Le Haut-Prêtre avait peut-être trop vite juger.. à la fois Vanes et la Duchesse. Elle était aussi intransigeante, fière et à cheval sur les marques de politesse et les bonnes manières, qu'elle était une femme de pouvoir influente, respectée et terriblement efficace, que cela soit pour gérer les affaires du Duché lorsque le Duc était absent, que pour se débarrasser des ennemis de Vanes. Certes, elle n'avait guère de considération pour les petites gens, cependant, c'était une femme d'affaire avisée, elle savait pertinemment qu'une population en bonne santé était préférable.

A l'extérieur, la jeune Vanes avait elle aussi prit les devants, appelant sa propre suite, elle avait chargé ses gens de rassembler les guérisseurs de la ville, ses derniers avaient répondu prestement à l'appel de la petite princesse. Elle s'adressait à eux après les avoir remercié de s'être déplacé si vite, laissant derrière eux les affaires importantes qui les occupaient.

- Il y a un homme au Palais, le nouveau Haut-Prêtre de Delil, il ne devrait pas tardé à sortir et il n'aura, je le crains, que peu de temps à passer ici.

Cela était certain. Pandora espérait seulement qu'il ne ferait pas davantage de maladresse.. au risque de le voir arrêté sur le champs. Ce n'était pas commun mais, on ne menace pas les Vanes sans conséquence. Cependant, la jeune Vanes ne laissait rien paraître de son trouble, elle avait une tâche plus importante à effectuer dans l'immédiat. Dans sa robe scintillante sous le soleil, elle faisait fit de la chaleur dérangeante qui gagna bientôt la peau délicate et trop blanche de ses bras découverts.

- J'aimerai donc que vous soyez là pour entendre ce qu'il sait sur la maladie qui afflige nos concitoyens, vous êtes tous bien plus érudit que je ne le suis, aussi je compte sur votre écoute et votre savoir.

La petite assemblée acquiesce cérémonieusement alors que les portes du palais s'ouvrent.

Les mots du Haut-Prêtre ne recevraient que le dédain du silence pour seule réponse. Pourtant, qu'il ne se fasse pas d'illusion, les propos de la Duchesse avaient été on ne peut plus clairs, il n'avait aucun pouvoir en ce lieu. Le Haut-Prêtre et son convoi quitteraient donc la ville quand la Duchesse le déciderait. S'ils ne s'en allaient pas d'eux-mêmes, ils seraient conduits à la frontière, de gré ou de force.

Les portes du palais s'ouvrirent à nouveau, libérant le Haut-Prêtre et ses gens au grand soulagement de la jeune Vanes. Elle n'avait jamais été confronté à pareille situation. Nul ne défiait ainsi les Vanes, encore moins sur leur propre terres. Même les gélovigiens devaient user de diplomatie, aucune loi ne les protégeaient eux en particulier. Ils ne devaient leur autorité relative qu'à la croyance prêtée aux Dieux et à leur habilité politique. Le Haut-Prêtre étant visiblement dépourvu de ce deuxième trait, il n'y avait plus grand chose pour le protéger d'un incident diplomatique. L'homme ne semblait pourtant ni s'inquiéter, ni s'interroger, de l'impact de ses mots et de ses décisions alors qu'il quittait le palais, peu pressé.

Pandora savait elle, que la désinvolture du Haut-Prêtre pouvait lui coûter cher et desservir, en tout point, sa cause et sa mission. Elle se trouvait elle-même dans une situation périlleuse. Si elle prêtait main forte au Haut-Prêtre de façon trop appuyée, on pourrait croire qu'elle s'oppose aux décisions de la Duchesse et cela.. ne serait pas bon. Si le Haut-Prêtre n'était que de passage, la demoiselle elle, vivait ici. Elle se devait d'être bien plus maligne, avisée et subtile. Ou il lui en coûterait.

Le Haut-Prêtre s'approchant, la jeune Vanes chasse les pensées parasites de son esprit, elle devait se concentrer sur la mission qui les occupait. Pourtant, dès que l'homme se mit à parler, avant même, dans la manière dont il l'approcha, Pandora ne pu que noter la différence flagrante d'attitude. Si elle était intriguée elle ne s'en inquiéta pas davantage, les paroles du Haut-Prêtre confirmaient ses craintes. Il n'était pas inquiet le moins du monde des exigences de la Duchesse, exigences qu'un serviteur bien intentionné avait glissé dans l'oreille de sa maîtresse dès l'entretien terminé.

La jeune demoiselle ne laissa rien paraître du malaise qui ne manquerait pas de la gagner si l'homme s'entêtait à défier l'autorité des dirigeants de ce duché où il n'avait aucun pouvoir. S'il était venu faire son annonce, proposer son aide plutôt que l'imposer.. la situation ne serait pas aussi tendu. Maintenant qu'elle était plus proche, elle pouvait détailler le visage de l'homme sans se montrer impolie, ce n'est qu'alors qu'elle remarqua les petites ronces enroulées dans ses cheveux blancs. Un instant elle se demanda si le Haut-Prêtre était une sorte d'ermite, qu'il avait fourré sa tête dans on ne sait quel buisson de Noathis... Puis se reprit. C'était tout de même un élu de Delil.

Le corbeau qui accompagnait le Haut-Prêtre s'envole, porteur d'un message. Pandora se demande bien à qui il peut être adressé.. Avant que ses prunelles roses ne se tournent à nouveau vers l'homme qui l'invite à les suivre, si elle le souhaite. Un sourire glisse sur les lèvres de la jouvencelle alors qu'elle acquiesce. La soie de sa robe ornementée de fils d'argents et de pierres opalines offre des reflets miroitant sous le soleil, donnant à sa porteuse des allures de fée.

- Ce serait un plaisir.

Les guérisseurs étaient déjà entrain de montrer le chemin de l'herboristerie la plus proche. Pandora allait d'ailleurs leur emboiter le pas, quand la douleur la stoppa. Elle ramena promptement son bras droit contre elle, baissant les yeux pour constater la brûlure qui s'y étendait. Le soleil avait mordu. Son esprit avait été si occupé, perturbé par la venu de ces visiteurs bien hors du commun qu'elle avait oublié.. qu'elle avait un ennemi, juste au-dessus de sa tête. Quant à ses gens..

- Mademoiselle !

On se précipite vers la princesse, une ombrelle est immédiatement ouverte au-dessus de sa chevelure parme. On se confond en excuse devant la marque carmine qui attaque la peau de porcelaine. La jeune Vanes apaise ses serviteurs d'un geste de la main et d'un sourire compatissant. Elle avait été l'inattentive. Elle avait envoyé tout ses gens chercher les guérisseurs à travers la ville, il était normal qu'ils n'aient pas pu s'assurer qu'elle ne prenait pas de risque. Plus bas mais avec douceur, elle les rassura et les rappela à l'ordre.

- Ce n'est rien. Nous nous occuperons de cela plus tard.

Le visage peiné, peut-être un peu inquiet aussi.. que la Duchesse ou le Duc apprenne qu'ils avaient été incapable de cette plus basique protection, les serviteurs s'inclinent et comprennent que la princesse est occupée à bien autre chose qu'à les rassurer. Après avoir récupérer l'ombrelle, se passant visiblement d'un porteur, elle rejoignit rapidement le Haut-Prêtre. Sans faire davantage état de ce qui n'était qu'un fâcheux contre-temps.

- Avez-vous déjà combattu pareille maladie ? On m'a rapidement rapporté qu'il s'agissait d'une fièvre tenace mais elle n'a fait aucune victime à ma connaissance. Je me doute cependant, qu'une simple maladie nivérianne ne ferait pas déplacer le Haut-Prêtre de Delil. Devons-nous craindre des complications ? Delil vous a-t-il donné quelconque vision ?

La jeune femme savait qu'elle n'avait que peu de temps à passer avec le Haut-Prêtre, ses pensées étaient aussi vives, plus encore, que ne l'étaient ses questions. Se rendant compte cependant, que le flot de paroles était un brin trop élevé, elle incline brièvement le torse s'excusant.

- Pardonnez mon empressement et ma curiosité messire Haut-Prêtre.

Elle se tait donc et ils arrivent devant l'herboristerie la plus proche. Située donc à proximité du Palais, il s'agissait évidemment d'une des herboristeries les mieux fournie de la ville. La proximité de Noathis permettait aussi un approvisionnement constant. Le guérisseur qui tenait la boutique était un terran âgé d'une quarantaine d'années, expérimenté et bienveillant il leur ouvrit sa porte sans tardé, s'inclinant bien respectueusement devant sa princesse et le Haut-Prêtre représentant la divinité qu'il chérissait sans doute le plus. Pouvait-il en être autrement pour un herboriste ? Un petit autel au dieu de la nature était d'ailleurs présent derrière son comptoir, sous la forme d'un petit arbre. Le terran passa rapidement derrière le comptoir, prêt à servir promptement ses hôtes de marque.

- Quelles plantes vous faut-il messire ?

Derrière lui, des centaines de tiroirs renfermant tout autant de plantes et d'herbes. Dans le reste de la boutique, des bocaux, des plantes fraiches ou séchées de toute sorte. Pandora, sagement silencieuse regarde autour d'elle avec une certaine curiosité, elle ne se souvenait pas être déjà venu ici. Les médecins apportaient tout ce qu'il fallait au Palais. Elle n'avait que de bien faibles connaissances en plante mais, comme tout ce qui lui échappait, elle avait à cet égard une grande curiosité. Son regard passa donc des plantes, au guérisseur puis au Haut-Prêtre, curieuse d'entendre quel genre d'herbe au nom sans doute bien mystérieux avait besoin l'homme aux cheveux mêlés de ronces.

A l'expression de "maladie de pierre" la jeune fille ralentit le pas. La Sarnahroa ?! Ce serait une catastrophe ! Cela dit ils avaient déjà un remède.. à moins qu'il ne s'agisse d'une évolution de la maladie, plus résistante. Certaines maladies nivérianne étaient ainsi, évoluant à chaque saison pluvieuse, résistante au traitement de l'année précédente. Il fallait espérer que rien de pareil n'était possible avec une maladie aussi terrible que la Sarnahroa. Et si.. il s'agissait d'une nouvelle mise à l'épreuve ?

La petite princesse regardait les plantes de l'herboristerie quand cette question, sordide, lui traversa l'esprit. Ses prunelles roses, jusqu'alors illuminées de curiosité se ternir immédiatement. Ses grands yeux ouverts étaient aveugle. L'ombre d'un cauchemar qui ne connaitrait sans doute jamais de fin, assombrit le visage et l'humeur de la jeune demoiselle. Une fraction de seconde, avant qu'elle ne se reprenne. Elle chassa la question. Le traumatisme était encore trop récent. Elle avait pourtant surmontée nombre de ses démons, elle était sorti de cette chambre où elle fut plongé si longtemps dans le noir. Depuis la visite du Comte de Béon, sa tutrice avait respecté sa promesse, elle ne lui avait plu laissé aucune occasion de replonger dans les méandres de sa culpabilité. Aussi la jeune Vanes avançait-elle, sans se retourner, de peur sans doute, de trouver dans son dos un homme en armure noire.

Elle reporte son attention sur les allés et venus de l'herboriste qui apporte tout le nécessaire demandé, sous les regards curieux des autres guérisseurs présents. Le Haut-Prêtre proposant aux curieux les éléments d'une recette et une courte démonstration de ses pouvoirs. Pandora observe les plantes pousser, en vitesse accélérer, les pousses se diviser pour donner plusieurs fleurs. C'était une belle magie.

Si la jeune fille avait déjà vu des démonstrations de magie, c'était plus dans un objectif guerrier. Les mages du duché de Vanes étant particulièrement connus et reconnus pour leur maîtrise de ce domaine. Ils proposaient tous les ans, une véritable cérémonie de démonstration de force. Une sorte de spectacle en réalité, démontrant une parfaite maîtrise de la magie et un certain talent pour la chorégraphie, c'était un véritable évènement pour le duché et un moyen de communication très efficace pour recruter de nouvelles recrues. Depuis la centralisation du pouvoir militaire les choses étaient un peu plus compliquées.. Pandora ignorait s'il y aurait une cérémonie l'année à venir.

C'est un bien peu révérencieux "Passons à la princesse" qui tira la demoiselle de ses pensées. Passer à la princesse ? La demoiselle lève un regard surprit vers le Haut-Prêtre, la voyait-il comme une sorte de fleur elle aussi ? Cette réflexion tira un léger sourire à la Rose d'Eridania qui comprit bien vite qu'il ne s'agissait guère d'essayer de faire pousser une version jumelle d'elle-même mais de guérir la morsure du soleil. Soulager la brûlure des astres flamboyants mais aussi la prévenir. Après une légère hésitation, Pandora tend un index élancé vers la pommade, en prend une petite quantité avant de venir l'appliquer sur la peau rougit de son avant bras.

Elle écoutait avec attention les préconisations du prêtre mais, une petite voix dans sa tête ne pouvait que s'interroger. Si une telle pommade existait... les Vanes, albinos depuis des générations, ne pouvaient qu'en avoir connaissance. Il pouvait bien s'agir d'une trouvaille du Haut-Prêtre.. Quelque chose murmurait que s'ils l'avaient voulu, les Vanes se seraient déjà doté d'une telle protection. Pourquoi alors ? Pourquoi n'avait-elle jamais entendu parlé d'une telle pommade ? Cela leur faciliterait pourtant la vie. Ne plus avoir à se cacher des soleils. Pouvoir jouer dehors en pleine journée, avec les autres enfants.. Pourquoi cela lui avait-été enlevé ?

Pandora avait peur de connaître la réponse à ces questions. Elle étala consciencieusement la pommade tout en remettant ces pensées à plus tard. Ses prunelles revinrent au visage du Haut-Prêtre.

- Soyez assuré de ma reconnaissance messire Haut-Prêtre.

Elle s'incline légèrement, se redresse, ses lèvres tremblent d'un mot qui n'aura hélas pas le temps d'éclore, un cri de victoire brisant le silence. Les guérisseurs applaudissent, alors que le Haut-Prêtre s'occupait de la princesse, une guérisseuse s'était essayé à imiter la magie de l'élu de Delil. C'était une terran, la vingtaine, une chevelure d'un roux profond tombait en boucles voluptueuses sur ses épaules dénudées. Ses mains posées sur le pot, elle avait réussi à faire pousser une fleur des graines données par le Haut-Prêtre. Elle n'avait pas encore réussi à les dédoubler mais, c'était déjà une belle avancée en bien peu de temps. La jeune femme avait l'habitude de faire des allés-retours en Noathis, on disait même qu'elle venait de la-bas.. mais comme elle était particulièrement douée, on ne l'interrogeait pas trop sur son passé. Elle connaissait peut-être déjà la plante présentée.

- L'art et la manière, hein ?

La rouquine aux yeux bleu vifs adresse un clin d'oeil un brin malicieux au Haut-Prêtre. L'herboriste, propriétaire de la boutique, abat un bouquet de fleurs séchés sur la tête de la jeune guérisseuse.

- Par Delil, Azura, cesse de te vanter et écoute le Haut-Prêtre, tu vas avoir du travail si on veut faire assez de remèdes pour tout le monde.

Puis il se tourna vers le prêtre.

- Des digitales pourpres, c'est tout ce qu'il faut pour la pommade de notre petite princesse ?

On regarde l'herboriste, qui ne voit pas le problème, puis la jeune Vanes.. qui ne sait visiblement pas où se mettre. Elle devrait reprendre l'herboriste, lui expliquer qu'il ne pouvait pas l'appeler princesse, elle n'était pas de sang royal.. Mais ce n'était clairement pas une expression désignant son statu social actuel mais une expression exprimant une affection que la dite princesse peinait bien à comprendre. Passant une main dans ses cheveux, détachant d'ailleurs par mégarde quelques mèches parme de la coiffure sophistiquée qui les maintenaient jusque là, la jeune fille espérait qu'on vienne à son aide et que ce malentendu soit rapidement chassé.

La jeune fille aurait aimé s'équiper d'un éventail, l'armure derrière laquelle les femmes de la haute-société s'abritaient quand la situation leur échappait. Mais un éventail, Niveria à peine passé.. ne faisait évidemment pas parti des armes à sa disposition. Heureusement pour elle, le Haut-Prêtre reprit rapidement la parole pour répondre à l'herboriste.. non sans répéter la même expression. Il imposa une condition à la divulgation de la recette de son remède, sa non-commercialisation. Pandora était un peu surprise que l'homme se préoccupe de la monétisation de son savoir mais ne se questionna pas davantage, c'était après tout son droit. Quand bien même le fait qu'il demande à ce que son usage soit restreint à la seule famille ducale attirait la curiosité de la jeune fille, ses pensées furent entièrement accaparée par la suite de ses propos.

Une restriction des fournitures venant de Noathis ? La demoiselle eut le réflexe de vérifier qu'il n'y avait autour d'eux que des membres de sa propre suite. Si la Duchesse était informée de pareils propos, la garde ne se ferait pas attendre bien longtemps. Une restriction ? Noathis n'était pas un pays sous gouvernance, ce n'était pas même un pays à proprement parlé. Le Haut-Prêtre y avait son temple qui était certainement sa propriétaire, peut-être avait-il quelques terres l'entourant mais... limiter les ressources venants de Noathis.. C'était davantage du ressort des Eryllis et même elles n'arrivaient pas à tout contrôler. Elles étaient peut-être à peine une centaine pour un territoire qui faisait au bas mot deux fois la taille d'Eridania et encore.. on ne connaissait pas les terres s'étendant au-delà à l'Est. Le Haut-Prêtre n'avait pas plus de pouvoir sur Noathis que les Vanes n'en avaient eux-mêmes. A moins.. qu'il soit en contact avec les Eryllis ?

C'était tout à fait probable. Après tout, elles toléraient la présence d'un temple et de la population pèlerine qui s'y rendait, sur un territoire qui n'était certes pas le leur, Noathis n'appartenant à personne, ce qui posait en soi bien des problèmes d'ailleurs, mais en étaient officiellement les "gardiennes". Cela dit, s'il était envisageable qu'ils aient des relations amicales, difficile d'imaginer les farouches féministes qu'étaient les Eryllis agir sous les ordres d'un homme.. toute voie de Delil qu'il puisse être. Ou bien le Haut-Prêtre comptait sur ses propres forces pour empêcher tout échange à la frontière ?

Avec quelles forces exactement ? S'il intervenait directement, il marcherait sur les plates bandes non seulement des Vanes mais aussi des Eryllis. Puis.. les Eryllis avaient déjà du mal à défendre leur frontière.. puisqu'elle était bien floue, alors un Haut-Prêtre, même avec son "convoi".. Cela faisait bien mince. Ou alors Delil lui prêtait des forces divines ? Pouvait-il dès lors intimer aux animaux de rester bien caché et aux plantes de résister à l'arrachage ? L'esprit bien imaginatif de la demoiselle imaginait déjà une armée d'arbres se mettre à agiter leurs branches comme autant de bras pour se débarrasser des Vanésiens à la frontière. Des Vanésiens qui possédaient des mages capable de frappes chirurgicales d'une précision époustouflante... Si tant est qu'on les laisse faire.

La demoiselle ne prêta qu'une oreille distraite aux ordres donnés par le Haut-Prêtre aux guérisseurs et herboristes présents, tous s'exécutèrent sans vraiment attendre la validation de la jeune Vanes, validation qu'elle donnait en quelque sorte par sa seule présence au côté du prêtre. Jusqu'à ce qu'un "Quant à vous princesse... " ne vienne la sortir de ses rêveries bien enfantines. Elle du se mordre la joue d'avoir réagit à un titre qui n'était pas le sien. Ses lèvres s'entrouvrir sur une rectification nécessaire mais elle fut arrêté par un geste, celui d'une main disparaissant dans une manche pour en extirper une rose blanche.

Il n'y avait pas à dire.. la magie des plantes était sans doute l'une des plus belles qu'ait vu la jeune fille à l'oeuvre. Quant au Haut-Prêtre, son irrévérence désinvolte avait quelque chose d'extravagant, d’inacceptable dans le monde dans lequel vivait la demoiselle qui, si elle en sentait tout le danger, ne manquait pas d'attirer son intérêt. Quelque part, en se montrant discourtois et présomptueux, le Haut-Prêtre mettait en relief toute l'éducation de la jeune Vanes, non sans lui rappeler toute son utilité.

Quelle ne fut pas sa surprise d'entendre le Haut-Prêtre vouloir présenter ses excuses à la Duchesse.. avant de réaffirmer qu'il y avait plus important que la politesse. S'excusait-il vraiment s'il ne se remettait pas du tout en question ? La sincérité de ces excuses semblait un peu fragile mais, quand bien même ce n'était que de la diplomatie pour éviter le pire, cela lui valait déjà un bon point. La Rose se mit à sourire, plus pour elle-même à cette réflexion mais aussi, à l'adresse du Haut-Prêtre.

- Il aurait été préférable de présenter vous-même ces excuses mais, telle que la situation se présente, je veux bien être votre messagère. Cependant, j'espère que vous me laisserez l'occasion de vous contredire quant à l'importance du savoir-vivre au sein d'une société en bonne santé..

Elle laissa planer ses derniers mots, le sous-entendu était clair pour les gens de sa suite; s'il avait eu un peu plus de savoir-vivre, de politesse et de diplomatie, il aurait eu le soutient des Vanes dans son entreprise et pas la garde à ses trousses.. Quant à savoir si le Haut-Prêtre comprendrait le sous-texte, ce n'était pas évidement à anticiper. Ce n'était pas très grave, elle se ferait un plaisir de prendre l’habit de professeure.. même si elle devait se trouver devant un élève bien récalcitrant.

La demoiselle s'éclipse donc puisque le prêtre n'avait rien à lui faire faire... Elle rit intérieurement. Cela ne faisait sans doute rire qu'elle, le haut-prêtre n'ayant évidemment aucun droit d'ordonner quoi que ce soit à la jeune Vanes, ni même de la congédier de la sorte. Pourtant, il avait ajouté un aimable "si vous voulez bien m'excuser", bien que ce ne soit en rien à lui de décider quand la conversation devait s'arrêter en présence de la dernière hôte qui ne voulait pas son expulsion manu militari. Enfin, la jeune fille voyait bien qu'il essayait là de se montrer polis, avec maladresse mais pas vraiment de mauvaises intentions. Si ce n'était que cela, de la maladresse, elle pourrait peut-être l'aider..

Et elle allait devoir s'y employer sans même qu'il ne soit au courant de ce que cela lui coûte. Être la messagère d'un homme qu'on venait de bannir du duché, n'était certainement pas un rôle facile à tenir, ni sans danger. On coupait la tête de tels messagers dans les histoires.. et l'Histoire. Qu'on ne se fasse pas d'illusion, ce n'était pas parce qu'elle était la fille de la Duchesse qu'elle obtiendrait ses faveurs.

C'est seule qu'elle demanda audience à la Duchesse, seule aussi, qu'elle rejoignit Ophelia Vanes dans ses appartements. Si le lieu était moins officiel que la salle d'audience, l'affaire serait, elle, traité avec la même sévérité.

Pendant l'absence de la princesse, des gardes en armure de lion se postèrent devant l'herboristerie investit par les guérisseurs et le Haut-Prêtre. Pour le moment ils ne faisaient rien d'autre que visiblement gardé et surveiller l'entrée. Sans doute que tant que le Haut-Prêtre ne sortait pas le bout de son nez, ils n'agiraient pas directement. Leur simple présence était claire, la Duchesse n'avait pas oublié ce qu'elle avait dit et ses ordres n'avaient rien de factice, pas plus que ses menaces. Si le Haut-Prêtre ne quittait pas la ville dans l'heure à venir, il serait arrêté.

Les guérisseurs étaient libre eux, d'aller et venir mais, la présence des gardes faisait peser sur eux une pression supplémentaire. Certains s’interrogeaient sur la raison de leur présence, beaucoup avaient hâte de finir leurs affaires avec le Haut-Prêtre, heureusement pour ce dernier l'herboriste chez qui il se trouvait était disposé à l'abriter.. D'autres auraient pu simplement le jeter à la porte et laisser les autorités se débrouiller.

Ce n'est qu'au bout de trente longues minutes que la jeune Vanes ressortit des appartements de la Duchesse, visiblement marquée par l'entrevue. Elle était heureusement seule dans le couloir quand elle s'y adossa un moment, une ombre gâchant l'éclat habituel de ses prunelles. Elle passa les mains sur son visage, lentement, comme pour remettre en place un masque que seule sa mère savait briser, détruire serait plus approprié. Une grande inspiration plus tard, elle marchait à grands pas, quittait l'aile des appartements ducaux et s'élançait vers l'herboristerie. Son habituelle douceur recouvrant ses traits délicats, comme il convenait.

Elle fit au plus vite mais, il s'écoula encore une dizaine de minutes avant qu'elle n'atteigne l'herboristerie, ses gens tenant une ombrelle au-dessus de sa tête alors qu'elle pressait le pas. Il en fallut de peu que les gardes-lions n'entrent dans l'herboristerie, un ordre très clair en tête. Pandora soupçonnait d'ailleurs la duchesse d'avoir fait durer l'entrevue en ce sens.. Que sa fille arrive trop tard pour faire quoi que ce soit et qu'elle se rappelle à nouveau, que son pouvoir était d'apparat.

Sauf que, Pandora Vanes arriva à temps. Renvoyant les lions, la Rose entra seule dans la boutique transformée en une véritable serre exotique. Le parfum des fleurs emplissait l'air et enivrait visiblement les personnes présentes, toutes si occupées par leur affaire qu'elles ne jetèrent pas un regard à la jeune femme qui profita de cette discrétion inopinée pour se glisser jusqu'au Haut-Prêtre. Elle resta quelques secondes à espionner bien innocemment les agissements de l'homme, curieuse. Elle ne pouvait guère regarder par-dessus son épaule cependant.. aussi, elle finit par se trahir et c'est une expression bien ingénue qui accueillit le premier regard du Haut-Prêtre.

- Vos affaires avancent comme vous le voulez ?

La question était vive, sincère mais teinté d'un empressement qui cachait bien maladroitement la malice qui, de toute manière, brillait dans les prunelles de la jeune fille. Malice qui fut pourtant souffler lorsque des traits sérieux se dessinèrent sur le visage délicat, accompagnant des mots prononcés plus bas, afin que le Haut-Prêtre soit le seul à l'entendre.

- Pourrions-nous parler seuls un instant ? Je sais votre temps précieux mais, certaines choses doivent être faites, sans délais.

Le ton n'était pas pressant pourtant, la demoiselle ne cachait rien de l'urgence de son propos. Elle avait elle-même déjà prit de l'avance sur les prochains mouvements de la duchesse, une liberté qui lui serait sans doute reproché, plus tard. Tout se jouait finalement sur ce "plus tard" et sur la capacité du Haut-Prêtre de percevoir les dangers qu'il faisait courir à sa propre personne, à son convoi, à sa mission et à sa messagère.

La réponse du Haut-Prêtre est un brin défaitiste aux oreilles de la demoiselle, la voix blanche de l'homme sonne étrangement. Etait-il simplement contrarié ? Ou prenait-il enfin conscience de la précarité de la situation qu'il avait lui-même engendré. Pandora Vanes ne prendra pas le temps de la réflexion, car ce temps ne lui était pas donné.

Elle devait rassembler ses esprits et choisir ses mots, pour qu'ils soient compris et intégrer le plus rapidement. Délaisser les mots brodés de diplomatie. Abandonner l'enrobage dans lequel il faudrait pourtant mettre ses propos. Mettre de côté le protocole ancré dans son éducation pour adapter son discours à son auditoire. Cela ne lui avait jamais été aussi difficile qu'à l'heure de s'adresser à ce qui était pourtant un Haut-Prêtre. Cela était d'autant plus ardu qu'elle n'aurait guère le temps de se répéter.

Ses prunelles allèrent donc chercher les deux ambres qui illuminaient le visage du prêtre pour s'y plonger sans crainte.

-  J'ai besoin que vous m'accordiez votre confiance.. et que vous m'écoutiez très attentivement.

Malgré le temps pressant, Pandora choisit de laisser une seconde de silence suivre ses propos, car ils étaient d'une importance primordiale, vitale même. Si l'homme ne lui accordait pas sa confiance, s'il se défiait d'elle comme il s'était défié de la Duchesse, elle ne pourrait plus rien pour lui et elle aurait engagé son nom.. pour en subir les plus néfastes effets.

- La Duchesse n'est pas femme à menacer dans le vent, elle appliquera ce qu'elle a dit. Si vous ne quittez pas la ville dans l'heure, il vous en coûtera. A vous, et à ceux qui vous entour. Je ne discuterai pas ici de la justesse de cette décision, ce n'est pas le sujet, il s'agit d'un fait. Il vous faut donc quitter la ville immédiatement, cependant..

Son ton jusqu'alors impératif, ne laissant guère de place à l'opposition, se fait plus doux.

- J'ai, disons, arranger les choses pour que vous puissiez mener à bien la mission qui vous amenait ici. Mes gens sont parti rassembler les malades et préparer des locaux adaptés pour les accueillir eux, et vous, dans un hameau proche de la frontière avec les Domaines Royaux. Un endroit qui vous permettra de rapidement quitter le duché dès votre mission accomplit, montrant à la Duchesse que vous avez entendu son ultimatum.

La jeune Vanes espérait être assez claire, que le prêtre ne fasse pas l'erreur de sous-estimer la Duchesse, elle ne laisserait pas passer un affront supplémentaire. La demoiselle poursuivit, ses yeux roses n'ayant toujours pas lâcher le regard du prêtre.

- Comprenez que je n'obtiens aucune faveur de la duchesse, tout ce que j'ai obtenu c'est que vos actes seraient désormais de ma responsabilité. Faites une erreur, soyez imprudent, discourtois, et j'en serais directement responsable et, vous vous en doutez je l'espère, je serais celle qui en subira les conséquences. Vous êtes le Haut-Prêtre de Delil, si ce titre ne vous protège guère ici, il vous permet tout de même de voyager et de contourner ce duché dans vos prochains trajets.. Comprenez que je ne suis pas aussi libre.

Les conséquences, le Haut-Prêtre pouvait bien y échapper, ou au moins tenter d'y échapper en s'enfuyant simplement. La jeune Vanes vivait ici et n'avait nul autre foyer, elle ne pouvait guère s'enfuir et échapper aux conséquences. Elle avait fait un pari que certains, avisés, jugeraient d’inconsidéré, de fou même. Choisir de prendre la responsabilité des agissements d'un homme capable de se faire bannir d'un duché, au bout de cinq minutes de conversation, ce n'était pas raisonnable... La jeune Vanes n'était pourtant pas stupide, elle savait que son choix était risqué, elle avait décidé de le prendre tout de même, ce risque. Pour les beaux yeux du Haut-Prêtre ?  

La Rose sourit, enfin.

- Je vous accompagnerai, vous ne serez pas laissé seul au milieu des lions. S'il vous plait, accordez-moi votre confiance et remettez-vous en à moi pour tout ce qui a trait à la conversation, je vous fais entièrement confiance pour l'élaboration d'un traitement.

Il s'agissait d'établir clairement des règles, il s'occupait du traitement, comme il était venu le faire, elle s'occupait de la diplomatie. Une répartition des tâches qui serait sans doute bénéfique pour tous. Il fallait cependant que le Haut-Prêtre accepte de se plier aux ordres de la jeune Vanes, et d'écouter la voix de la raison qu'elle incarnait avec autant de bienveillance qu'il était possible.

Dans un geste lent elle tendit enfin ses mains au Haut-Prêtre, dans ses dextres délicates reposait une rose blanche, refusée par la Duchesse, que la demoiselle rendait à son propriétaire.

- Je suis désolée, la Duchesse n'a pas acceptée votre joli présent.

– – –

Nous accordons au propriétaire de la boutique, son association auprès du temple de Delil, à Noathis comme partenaire à sa volonté de protéger la vie.
Nous, haut-prêtre de Delil, travailleront désormais à leur côté en tant qu'herboriste, dans l'exercice de sa fonction en leur accordant sa protection.

Balibe Duscisio.

– – –

Le cadeau était sincère, offert de bonne grâce, autant que la proposition de la demoiselle, qui serait pourtant refusée. L'homme semblait prendre toute la mesure de ses actes et ne souhaitait pas impliquer davantage la jeune Vanes. Les prunelles roses fixèrent un instant les mains du Haut-Prêtre qui entouraient les siennes.

Elle regrettait que cette entrevue ne touche à sa fin. Elle ne pouvait évidemment que comprendre la décision du prêtre, elle aurait fait de même si par mésaventure elle s'était trouvé dans une situation similaire. Pourtant, elle aurait aimé en apprendre davantage sur l'homme qui lui faisait face. Elle n'en aurait pas le temps. Le corbeau qui entre dans la boutique est porteur d'un même message d'urgence. Le Haut-Prêtre semble bien décidé à partir, cependant, il s'attarde encore un instant.. Sans tourner les talons comme il l'avait fait dans la salle d'audience. Lui laissait-il le temps de faire ses adieux ? C'était une politesse adéquate mais, il ne disait pas lui même aurevoir.. Se pourrait-il qu'il ne souhaite pas davantage se séparer de la demoiselle ?

Pandora se mord l'intérieur de la joue pour ses idées romantiques parasites. L'homme devait surtout être contrarié de ne pas avoir été au bout de sa mission. Il cherchait visiblement, depuis son retour, à retrouver la diplomatie qui lui avait manqué face à la Duchesse. Il attendait simplement la non nécessaire mais bienvenue autorisation de la Vanes à son départ. Histoire de ne pas faire de faux pas. Peut-être était-ce simplement cela..

- Permettez que je vous accompagne.

Un sourire lumineux embrasse ses lèvres roses alors qu'elle se rapproche du Haut-Prêtre, ses prunelles allant chercher l'ambre de son regard.

- Vous êtes sous ma responsabilité, après tout.

Rien de plus vrai à cela. Quand bien même l'homme avait décidé d’obtempérer, il n'en restait pas moins que Pandora avait dors et déjà prit la charge de ses actes. Elle était donc responsable de tout ce qui arriverait au prêtre, ou de ce qu'il pourrait faire, entre Heldor et la frontière du duché. Passant à côté de l'homme sans vraiment attendre son assentiment, Pandora ouvre la porte de la boutique et glisse un mot à l'adresse d'un de ses suivants qui semble attendre une dernière information avant de partir prestement.

La demoiselle se tourne à nouveau vers le prêtre.

-  Votre convoi a-t-il tout ce qu'il faut pour le reste du voyage ? Nourriture, couverture, montures ?

La jeune femme ne se souvenait plus très bien si le prêtre était arrivé à pied ou à dos de cheval. C'était pourtant une information dont elle avait besoin si elle devait les accompagner jusqu'à la frontière.

Ils marcheraient. Loin de déplaire à la jeune Vanes cette information la rassura quelque peu. Certes, elle se déplaçait le plus souvent en carrosse mais depuis quelques temps les animaux lui avaient causé quelques ennuis. Elle qui appréciait caresser l'encolure des beaux destriers conduisant son carrosse, s'invitant à rêver d'un jour où elle chevaucherait seule pour quelques aventures chevaleresque, avait du cesser ce petit rituel. La dernière fois qu'elle avait voulu caresser un cheval ce dernier s'était cambré et avait bien faillit lui donner un coup de sabot. Une réaction dangereuse qui aurait coûté la vie de l'animal si la demoiselle n'avait pas jugé que c'était sa faute à elle, sans vraiment trouver d'argument attestant cette prise de position.

Si elle commençait à percevoir le désamour étrange des animaux à son égard elle ne s'en inquiétait pas davantage, elle n'était après tout que peu souvent en présence de créatures non-humaines et ne se rendait donc pas totalement compte de l'étendue du phénomène.

Le suivant de la jeune Vanes s'en alla prestement afin de réunir les éléments nécessaires au voyage de sa maîtresse. Le Haut-Prêtre avait toute confiance en ses gens pour avoir trouvé ce dont ils avaient besoin pour le reste du voyage. Le périple était encore long jusqu'au haut monastère et sa journée ici avait été drastiquement écourtée.. La demoiselle acquiesce et, s'emparant de l'ombrelle qu'un servant déployait au-dessus de sa chevelure parme, elle emboita le pas du prêtre quittant l'herboristerie pour rejoindre son petit convoi.

Les membres de l'escorte du prêtre étaient visiblement rassurés de voir leur maître saint et sauf, ce dernier précisait que c'était grâce à la demoiselle qui se plia d'une gracieuse courbette, elle ne souhaitait pas davantage être le centre d'intérêt et laissa le prêtre poursuivre en donnant ses directives.

Si le Haut-Prêtre se permit un "Ne nous pressons pas" peu soucieux, la jeune Vanes ne le reprit cependant pas dès lors qu'ils commençaient à se diriger vers la sortie de la ville. Quant à tenir éloigner les gardes du duché, Pandora doutait de l'efficacité de la démarche. Il était peu probable que les Lions de la duchesse se laissent "mettre à distance" par quelques hommes de main. Pour le moment cependant, le convoi en mouvement bénéficiait de la protection de Pandora, les Lions, s'ils se tenaient éloignés, le feraient bien davantage à cause de cet élément que pour les quelques tentatives des hommes armés du convoi.

Cela étant, la protection de Pandora était limitée à ce que la duchesse permettait. Elle ne serait évidemment jamais mise en danger mais, si Ophelia Vanes le décidait, elle pourrait être rapidement extraite du convoi. Pour le moment, la situation était calme et tant que le convoi avancerait vers la sortie, tout devrait bien se passer.

Se plaçant à la gauche du Haut-Prêtre, l'ombrelle placée sur son épaule droite afin de ne pas la placer entre elle et l'homme, la jeune demoiselle semblait sereine.

-  Soyez rassuré, même si votre temps parmi nous aura été plus court qu'escompté, il n'aura pas été infructueux. Les herboristes sont actuellement aidés par mes gens et certains sont déjà partis pour Deux-Moulins, le hameaux dont je vous parlais où nous réunissons les malades.

C'était d'ailleurs peut-être une excellente idée de séparer les malades de la population bien portante, afin de limiter les risques de contamination.

- Avez-vous une idée de la manière dont se propage la maladie ?

Elle n'avait pas pu assister à tout ce qu'il avait dit aux herboristes et ignorait si un tel élément avait été évoqué. Cela serait pourtant une information de première importance.

-  Comment avez-vous découvert les herbes servant au remède ? D'ailleurs, comment appelez-vous cette plante, que vous avez fait pousser dans l'herboristerie ?

La jeune femme est curieuse et maintenant qu'ils n'étaient plus pris en tenaille, elle sentait que l'occasion lui était offerte de poser quelques questions.. Cela étant, elle s'arrêta à ces trois premières questions afin d'éviter de noyer son interlocuteur et aussi, d'avoir une première impression de sa part. Si elle voyait qu'elle l'agaçait, elle se contenterait d'un sujet plus évasif, cependant, elle ne pensait pas viser à côté en parlant de la raison même qui amenait le Haut-Prêtre à traverser tout Eridania.

Le Haut-Prêtre semblait aussi démuni que le reste des spécialistes qui devaient actuellement se pencher sur la question. Pandora n'était guère une spécialiste mais, les symptômes actuels, à savoir une fièvre tenace, étaient dramatiquement communs à tout un tas de maladies. De la plus mortelle à la plus bénigne. Comment savoir s'il ne s'agissait pas que d'une affliction nivériale commune ? Son étendue sans doute, était alarmante.. Mais y avait-il eut des décès liés à la maladie ? D'autres symptômes, plus spécifiques ? Sans doute que non, ou bien pas à la connaissance du prêtre, pour le moment. Pourtant, il se déplaçait en toute urgence jusqu'au Haut-Monastère.

Il le disait lui-même, ce qui était le plus inquiétant résidait dans l'évolution de la maladie. L'inconnu. C'était toujours ce qui effrayait le plus les Hommes. A raison, parfois.

La demoiselle sourit légèrement alors que le Haut-Prêtre dit ne pas vouloir se jeter des fleurs. Elle ne sait pas si le jeu de mot est conscient. Un prêtre de Delil qui se jette des fleurs.. Etait-ce une sorte de sacrilège ?

Il parlait aussi d'un certain ouvrage qui ne le quittait plus depuis qu'il était entré en sa possession. Cela attira la curiosité de la jeune femme.

- Qui est donc l'auteur de ce si précieux ouvrage ?  

Oh la jeune Vanes n'irait pas réquisitionner le livre mais en connaissant l'auteur il lui serait peut-être possible de se procurer une copie. Il était rare qu'il n'en existe pas à la grande bibliothèque des Lumières ou dans les archives des Eclaris.

La question, sur les fonctions qu'elle occupait au Duché la surpris un peu et aurait pu être sarcastique, dans la bouche d'un autre. L’honnêteté de la question ne faisait pas de doute, la demoiselle sourit donc, se laissant une seconde de réflexion sur ce qu'elle devait ou non dire à son interlocuteur avant d'opter pour la même honnêteté.

- Certains vous répondraient que je ne suis qu'une princesse d'apparat. Ils pourraient n'avoir tort que sur le titre de princesse.  

Voilà qui était crument dépeindre le portrait de la jeune femme qui avait dit tout cela sur un ton détaché, presque léger. Ses lèvres s'ouvrirent sur la suite de sa réponse mais elle du la taire en voyant un petit garçon courir droit sur elle, échappant à la main de sa mère. Un Lion s'avança pour s'interposer mais la jeune femme lui fit rapidement et discrètement signe que ce n'était pas la peine. S'accroupissant, elle se demanda un instant si l'enfant allait s'arrêter à temps ou littéralement lui foncer dessus.. Mais le jeune garçon, qui ne devait pas avoir plus de six printemps, se stoppa net à un pas de la jeune femme et.. s'inclina, aussi bas qu'il put, manquant de peu d'en perdre l'équilibre avant de se redresser d'un coup, portant le poing à sa poitrine avant de déclarer on-ne-peut plus solennellement :

- Un jour je sera un Lion, fort et rugissant ! Ma Dame Pandora sera mon amoureuse.

La conjugaison était approximative mais l'intention était bien assez claire. La jeune femme ne se laisse pourtant pas prendre par le rire, face au sérieux bonhomme, elle sourit avec calme et tend la main jusqu'à celle de l'enfant. Son petit poing n'était pas au bon endroit, elle corrigea sa posture avec bienveillance avant de répondre.

- Connais-tu la devise des Lions jeune homme ?

L'enfant se redresse encore un peu plus et déclame, plus par coeur qu'en en comprenant véritablement le sens, dans la vieille langue du duché :

- An leon do bheir an chraobh !

Le Lion porte la branche. C'était l'une des plus anciennes devises du duché, datant presque de sa fondation. La branche en question avait plusieurs significations, la plus connue était "la branche de la victoire". Pandora acquiesce et se redressant, dépose un baiser solennel sur le front de l'enfant.

- Tu feras un excellent Lion.  

Le gamin sourit comme s'il avait déjà gagné le coeur de sa princesse et se sauve en courant dans l'autre sens, rejoignant sa mère qui à son tour s'incline sous le regard de la jeune Vanes qui lui adresse un léger salut avant de reprendre sa marche au côté du Haut-Prêtre, poursuivant naturellement :

- D'autres vous répondraient qu'il y a en ce monde, besoin de rêves et de douceur.  

Un peu de rêve, c'était ce qu'elle incarnait pour une bonne partie de la population du duché et même d'Eridania. Elle était après tout connu dans tout le pays comme la "Rose d'Eridania". Pas de tous c'était certain. Son envergure était limitée au fantasme pas tout à fait inexact qu'elle dégageait. Une adorable princesse, douce et romantique. Fallait-il vraiment démentir cette image un peu trop belle peut-être mais pas moins vraie. Elle n'avait aucunement l'intention de contredire cette image. Elle pensait aussi, que le monde avait besoin d'un peu de fantaisie légère, de rêve et de douceur. Si elle pouvait incarner tout cela, elle en était fière.

Pourtant.. cela ne pouvait pas être tout. Elle n'avait fait que répondre en prenant les mots d'autres qu'elle-même.

- On m'a demandé, il y a de cela quelques mois, pourquoi j'étais devenue noble. Bien que la question n'était destinée qu'à être une remarque sur ma bonne naissance, j'ai répondu que c'était une chose qui s'apprenait.

Les prunelles roses de la demoiselle revinrent se poser sur le visage du prêtre, comme deux papillons. Il devait comprendre à présent, lui aussi, que la noblesse, et ses nombreux codes, s'apprenait effectivement et que ceux qui n'avaient pas cette éducation était bien en peine..

- Alors j'apprends.  

Elle sourit à nouveau, avec une assurance tranquille alors que quelques passants se réunissent autour du convoi, que les murmures s'élèvent alors qu'on voit la jeune Vanes en compagnie d'un homme inconnu.

- J'apprends auprès de ceux qu'on me charge d'accueillir, des notables et des marchands, des nobles et des herboristes, des éridaniens et des étrangers.

Les grands lions ailés de la porte de la ville les regardent passer sans s'émouvoir.

- Un jour, j'espère être digne de la noblesse de mon nom. En attendant, je fais de mon mieux pour aider les vanésiens.  

Les vanésiens.. et les Haut-Prêtre un peu trop tumultueux. Elle tut cependant tout ce qu'elle faisait dans l'ombre, comme les nombreux systèmes d'irrigation qu'elle avait conçu pour faciliter et améliorer la vie des plus modestes vanésiens.

- Puis-je vous interroger sur une chose que vous avez dit à la duchesse lors de votre audience ? Vous avez sous-entendu être la plus grande menace présente.. Je vous côtoie certes depuis peu mais, je ne comprend toujours pas cette malheureuse affirmation qui a sans doute fortement jouée en votre défaveur.

Il était certain que la déclaration n'avait pas été bien reçu.. et était en partie responsable de la situation actuelle.

Varom Bricbrac.. Un nom intéressant, pourtant inconnu à la jeune demoiselle qui n'était pas vraiment surprise, elle n'était que peu versé dans l'art d'assembler les plantes. C'était pourtant un domaine qui attirait sa curiosité et elle était tout à fait certaine qu'elle se pencherait sur ces études dans les jours à venir. C'est donc naturellement qu'elle rétorqua :

- Si vous pensez avoir l'unique exemplaire, n'avez-vous jamais envisagé d'en faire des copies ?

En effet, le prêtre s'était déjà positionner en faveur d'une plus libre circulation des connaissances alors pourquoi, sachant qu'il avait un ouvrage potentiellement unique et contenant visiblement des informations importantes, n'avait-il pas fait de copies ? Il serait dommage qu'un tel ouvrage finisse perdu, détruit ou simplement l'instrument d'un seul homme alors qu'il pourrait profiter à tous. Les copistes étaient aujourd'hui très performants, il y en avait de particulièrement connus à la grande bibliothèque d'Hesperia même si la rumeur prétendait que rien ne valait l'écriture et les enluminures des Sindarins.

Pour ce qui était de l'utilisation du "nous", la réponse du Haut-Prêtre fut pour le moins nébuleuse. Pas un "nous" qui le désignerait lui mais.. "elle" ? Une entité qui n'a pas de nom et reste invisible pour ceux qu'elle ne juge pas digne. Elle était cachée, pour la sécurité des autres. Voilà un explication qui soulevait plus de questions qu'elle n'apportait de réponse. Il affirme que même les plus belles roses ont des épines, qu'importe leur couleur.

Savait-il ? Le regard de la jeune femme fixe le visage souriant du prêtre. Il ne semblait pas vraiment la cibler, elle, Rose d'Eridania. Non, il semble plutôt faire un trait d'auto-dérision.. Mais pourquoi se comparerait-il à une rose ?

La jeune femme ne trouverait pas la réponse à cette dernière question, pas dans l'immédiat, pas plus qu'elle ne comprendrait pourquoi l'homme protégeait de la sorte son poignet. Il y avait devant eux un petit attroupement visiblement inquiet. Il s'agissait du convoi du Haut-Prêtre, entouré par les Lions du duché, envoyés ceux-là, par la Duchesse. Le problème résidait dans l'approvisionnement, non achevé, du convoi, pour le reste du voyage. Étrangement, cela semble rassurer la jeune femme au côté du Haut-Prêtre a qui elle adressa un sourire confiant alors qu'il se tournait vers elle.

- Ne vous en faites pas, faites avancer votre convoi.

L'assurance sereine, paisible, de la jeune femme était communicative. Le convoi se mit en mouvement et les Lions de la Duchesse les observèrent quitter la ville. A peine eurent-ils rejoint les premiers champs, aux abords de la ville scintillante, qu'ils rencontrèrent un autre petit attroupement. Composé celui-ci des serviteurs de leur maligne maîtresse. Elle avait en effet demandé au Haut-Prêtre, avant qu'ils ne quittent l'herboristerie, si son convoi avait tout ce qu'il fallait pour le reste du voyage, nourriture, couverture et monture.

Certes, elle avait ainsi pu recueillir une précieuse information sur la manière de voyager du Haut-Prêtre, mais, la question n'avait évidemment pas que pour but de rassurer la jeune femme qui s'était engagée à faire le chemin avec le-dit convoi. Le Haut-Prêtre avait répondu que si tout c'était bien passé, ils auraient le minimum requit pour repartir. Pandora savait pertinemment que cette condition ne serait pas rempli, il était évident que les membres du convoi rencontreraient des difficultés. Elle avait donc prit les devants, à l'adresse du suivant qu'elle avait entretenu devant la porte de l'herboristerie, elle avait donné plusieurs ordres.

L'un d'eux avait été exécuté avec une rapidité inhérente au fait que les serviteurs de la jeune femme étaient heldaris et qu'ils avaient un statu particulier, en servant au nom de la Rose, ils avaient droit à quelques faveurs de la part des commerçants de la ville. Il y avait donc, réunis sur le chemin, trois charriots remplis de vivres et de couvertures, tirés par des mules en pleine santé. Depuis le passage d'un certain Loup, Pandora avait porté une attention particulière à la condition animale dans le duché et convertis les vanésiens au respect de ces bêtes avec lesquelles ils travaillaient.

- Je serais une bien mauvaise hôte si je vous laissais repartir sans m'assurer que vous ne manquiez de rien.

A proprement parlé, la jeune Vanes n'avait en rien besoin d'être une bonne hôte, puisqu'elle n'était pas même sensé être l'hôte de ces gens. La jeune femme était heureuse d'avoir su prévenir les besoins de ceux qu'elle avait après tout sous sa responsabilité. Un brin fière aussi, d'avoir coupé l'herbe sous le pied de sa mère la Duchesse.

- Vous dites que les roses ont des épines. Je crois qu'elles gagnent surtout à ne pas être seules.

Les prunelles roses observèrent avec une certaine fierté les serviteurs entrain de donner les rênes des mules aux gens du convoi, avant de se relever jusqu'au visage du Haut-Prêtre.

Les mules passaient d'une main à une autre sans renâcler, obéissantes créatures, dociles et laborieuses. Un bref instant la jeune demoiselle qui observait le lent balais des vivres et des animaux se demanda ce qu'en penserait Loup. La yorka serait-elle outrée que l'on puisse ainsi utiliser des animaux qui, à l'état sauvage, ne demanderait qu'à brouter dans un prés. Cela dit.. La jeune Vanes avait un léger doute sur l'espérance de vie de ces animaux s'ils étaient laissé libres. Puis, finalement, leur santé était ici assurée, en échange de leur travail, les bêtes étaient nourris, brossées et bénéficiaient d'un endroit sec même au milieu de niveria. Elles n'étaient guère maltraitées mais cela valait-il sacrifier sa liberté ?

La question était en partie non avenue, dès lors que les animaux en question n'avaient selon toute vraisemblance, pas idée du concept même de liberté. La jeune demoiselle toute à ses réflexions revint à elle alors que le Haut-Prêtre s'inclinait et s'emparait de sa main pour exécuter un baise-main. Si la demoiselle fut surprise que l'homme connaisse ce geste, elle le laissa cependant s'exécuter sans jugement. Il faisait visiblement des efforts. Bien qu'il soit hélas trop tard pour rattraper son entrevue avec la Duchesse, la jeune fille ne pouvait qu'être sensible aux efforts déployés.

Se dessinait sur les lèvres roses de la damoiselle un sourire qui se teinterait presque de fierté alors que l'homme assume pleinement ses actes et s'en excuse, comme si elle était pour quelque chose dans le cheminement qui l'avait mené jusqu'ici. Peut-être. Elle l'espérait en tout cas. Il n'y avait rien de calculé dans les actes du jeune homme qui lui faisait face et si sa sincérité lui avait valu de dépasser les bornes et d'encourir de bien terribles sentences, elle était très certainement une belle qualité. Un diamant brut qu'il faudrait polir, travailler, pour qu'elle ne soit plus un handicap dans certaines situations.

Les prunelles ambrées de l'homme fixaient sans ciller les yeux roses de la jeune femme qui n'avait aucun mal à soutenir l'intensité de ce regard. Une curiosité réciproque qui ne serait pas assouvie. Peut-être, une attraction florale.

- Je crains que nos chemins ne se séparent ici, sir Haut-Prêtre.

En effet, elle ne pouvait guère se permettre de s'éloigner davantage de Heldor. D'autres tâches requéraient son attention, notamment pour traiter cette étrange maladie. Puis, elle n'était pas chaussé pour une grande marche et c'était ce qui attendait les membres du convoi jusqu'à la frontière du duché.

- J'espère que vous garderez tout de même un souvenir chaleureux de notre duché.

Elle ne pouvait pas en demander davantage, elle savait que le prêtre devait être profondément frustré de ne pas avoir pu mener à bien sa mission. Cependant, s'il ne serait pas le maître d'oeuvre ici, il pouvait compter sur la jeune Vanes pour endosser ce rôle et faire en sorte de s'occuper au mieux des malades.

- Vous pouvez partir assuré que le duché fera tout ce qu'il est possible pour assurer la bonne santé des vanésiens.

C'était déjà ça. Il faudrait se contenter de petites victoires. Une philosophie qu'avait embrassée Pandora depuis longtemps. Une philosophie qu'elle commençait un peu à quitter.. en s'avançant sur des terrains bien plus dangereux. La frêle demoiselle s'empara à son tour de la main du prêtre, entre ses deux délicates dextres. Elle pressa légèrement la main entre les siennes comme pour appuyer ses mots.

- Soyez prudent, les épines ne protègent pas de tout. Des mots peuvent parfois être bien plus acérés. Ils peuvent aussi être la meilleure réponse à un bannissement..  

Ces derniers mots avaient été prononcés un peu plus bas. Personne n'avait besoin de savoir que le Haut-Prêtre était banni, en tout cas, la délicate demoiselle ne voulait pas être celle qui l'annoncerait. Elle donnait là un conseil avisé au prêtre. S'il voulait vraiment regagner si ce n'est les faveurs, au moins la neutralité de la duchesse de Vanes et pouvoir un jour remettre les pieds en Vanes, lui adresser une lettre d'excuses serait une fort bonne idée.

La jeune femme aux cheveux roses n'était certes pas sûre que l'homme serait capable de faire fi de son égo pour présenter officiellement ses excuses mais, elle l'espérait. Elle n'avait pas encore lâché la main du prêtre alors qu'elle poursuivait.

- Peut-être alors, si rien ne vous occupe ailleurs, si vos responsabilités ne vous tiennent pas loin des mondanités, pourriez-vous revenir me montrer vos progrès lors de mon anniversaire.

Une pointe de rose assaillit ses pommettes alors qu'elle relâchait la main de l'homme. Elle ne savait trop ce que répondrait le Haut-Prêtre, en cette période de maladie, un anniversaire semblait sans doute dérisoire. Tant pis. Elle aurait plaisir à poursuivre leurs conversations. C'était le deuxième homme qu'elle invitait personnellement et quelque part.. elle commençait à réaliser qu'elle essayait là de s'entourer d'interlocuteurs bien éloignés des mondanités auxquelles elle les invitait. Aurait-elle finalement un peu d'anxiété face à cet anniversaire ?

Ses prunelles roses revinrent sur le visage du prêtre qu'elle avait éviter une seconde. Elle reprit finalement naturellement :

- Faites bon voyage, vous et votre convoi, je prierais pour que vous trouviez le remède au mal qui nous accable.

Elle lie ses fines mains devant sa poitrine, comme une promesse. C'était un au revoir. Pas un adieu. De cela, Pandora était certaine.