We do this for the past. [pv:(Serënn) et Phyrra]

We do this for the past
[Sceptre d'Hecatonchir]

- Les indices que nous avons en notre possession sont les suivants : le sceptre serait dans une crypte cachée sous la plus haute tour de la ville et « les étoiles montrent le chemin » jusqu’à lui.

Du haut de la muraille, Phyrra jeta un œil à la ville détruite. Son esprit, tel un miroir, lui refléta les peintures de sa mère, mais aussi les plans de la ville qui avaient été conservés et qu’elle avait eu la chance de consulter. Toutes ces représentations de la ville provoquaient chez Phyrra une étrange nostalgie, une nostalgie d’une époque qu’elle n’avait pas connue, mais qui avait teinté l’éducation que ses parents lui avaient offerte. Le visage de son frère Maaron, qui avait combattu dans cette guerre sans merci, lui revint en tête. Elle revit ce moment où elle l’avait surpris, la tête entre les mains, le visage ravagé par la douleur et les larmes, en proie aux souvenirs sanglants de la guerre.

– Comme vous pouvez le voir, les tours sont toutes tombées, il est difficile de savoir laquelle fut la plus haute. Nous avons repéré trois sites, des tours excentrées, qui pourraient avoir été des observatoires.

Sortant de sa torpeur, Phyrra fit un effort pour revenir au moment présent. Il ne s’agissait pas d’un endroit approprié pour rêvasser. La sindarine avait conscience d’être protégée par deux puissants combattants et savait que la reine était encore meilleure que ces deux-là, mais ce n’était pas une raison pour relâcher son attention. Cet endroit était dangereux, et la moindre faiblesse de sa part pouvait mettre ses compagnons en danger, ou elle-même. Cela, Viwien le lui avait vivement interdit. Un sourire flotta sur les lèvres de la prêtresse lorsqu’elle se remémora le visage de Khinem prononçant ces mots. Heureusement, les errants étaient rares sur ces murailles. Si Phyrra retomba dans ses souvenirs, ce fut cependant de manière plus efficace. Repoussant les sentiments qui accompagnaient les souvenirs, elle revêtit un esprit plus professionnel, plus neutre pour observer les informations que ses nombreuses lectures lui avaient permis d’amasser sur la ville. Elle prit plusieurs secondes pour tenter de ramener à sa mémoire l’image de ses plus grands bâtiments.  

– La première n’était qu’une tour de garde. Dans la seconde par contre nous avons trouvé des gravures représentant des constellations et l’outillage nécessaire à des travaux d’astronomie mais aucune trace de souterrain. Il y a par endroit des ouvertures dans la pierre orientées pour observer le ciel, nous cherchions donc un indice dans le ciel que pouvaient étudier les astronomes de Taulmaril à l’époque.

Hochant la tête pour marquer son écoute, l’Héritière des Connaissances tentait de comprendre ce qu’étaient ces fameuses tours que lui désignait Viwien. La première, plutôt inintéressante, ne révéla aucun souvenir particulier en Phyrra. D’un œil militaire, l’ancienne guerrière analysa son emplacement, qui en faisait un bon point de vue sur l’extérieur des murailles, parfaite pour monter la garde. Viwien avait probablement raison à son sujet. La deuxième lui rappela toutefois quelque chose. Si la sindarine n’avait jamais particulièrement apprécié l’astronomie, le lien de cette discipline avec Ténéis l’avait amené à étudier les étoiles, et particulièrement d’un point de vue religieux, lorsqu’elle étudiait au Haut-Monastère pour servir Ténéis.  

– Sais-tu si il y avait à Taulmaril un lieu de culte destiné à Ténéis ?

Comme en écho avec ses pensées, la phrase de Viwien ramena un flot de connaissances dans sa conscience. Cette tour, la deuxième, était effectivement un observatoire, un observatoire religieux. L’époque Taulmarilienne en était une particulièrement sombre dans l’histoire des gélovigiens. Haute-Prêtresse de Fen, Elora, sa mère, avait d’ailleurs été nommée suite au ménage que le roi Théodoris avait effectué dans la caste après que les gélovigiens aient abusé de leurs prérogatives. Cependant, cette réforme n’avait pas éclipsé les immenses bâtiments conçus en l’honneur des dix dieux à une époque où la religion était plus que prédominante. Un lieu de culte associé à Ténéis ? À l’époque, tous les bibliothèques, écoles et autres lieux d’érudition possédaient son propre autel dédié à la prêtresse des connaissances. Ténéis avait plusieurs endroits dédiés dans la ville de Taulmaril, comme la plupart des dieux, mais un seul Temple lui était dédié. Tentant de substituer les décombres qui lui faisait face pour reconstruire mentalement la ville, elle imbriqua souvenir sur souvenir et finit par adresser un sourire satisfait à Viwien.

– Il y en avait un, en effet. Un bâtiment incroyable, aérien, un véritable trésor d’architecture pour l’époque. Sans doute le plus haut bâtiment de la ville...

Phyrra lui sourit franchement, visiblement satisfaite d’elle-même.  

– Cette tour, dit-elle en désignant celle que Viwien avait visitée, était une tour extérieure du temple. Ce qui veut dire...

Elle désigna un espace vide en contrebas.

– Que le temple se trouvait juste ici.  

Difficile de croire qu’un tel temple ait pu se trouver à cet endroit. Il n’en restait rien. De ce qu’elle en savait, l’immense clocher central du temple cachait à l’époque un observatoire prestigieux, un observatoire qui avait la réputation de permettre de toucher aux étoiles. Durant la guerre, le feu avait ravagé le bâtiment, le faisant s’effondrer sur lui-même. Le clocher avait dû détruire de nombreux bâtiments en tombant... Cependant, il n’y avait presque aucun débris. De la poussière, certes, certainement des errants. Par contre, comme s’il y avait eu une intervention magique, quelque chose avait détruit les débris. Le sol était plat, dépourvu des pans de mur qu’un incendie aurait dû laisser derrière lui. De la magie... ou une intervention divine.  

– J’ignore où sont passées les fortifications, murmura Phyrra en frissonnant en songeant à la puissance nécessaire à l’obtention d’un tel résultat, mais je suis certaine de ce que j’avance.  

Elle garda le silence une poignée de secondes avant de poursuivre.

– Si ce que je dis est vrai, la tour que vous avez explorée est l’Observatoire de Soulen, qui devait permettre une magnifique vue sur la constellation du même nom. À l’époque, il existait dix observatoires, un pour chacun des dix dieux, disséminés dans la ville. Celui de Ténéis, qui permettait d’observer la constellation du Savoir, était le plus haut d’entre eux.

Encore aujourd’hui, la constellation du Savoir et celle de Soulen se côtoyaient, même si elles n’avaient pas la même position qu’autrefois.  

– Comme vous le savez sans doute, on surnomme aussi cette constellation « La Boussole », dit la prêtresse d’un ton triomphant.  

« Les étoiles montrent le chemin », avait-elle dit...

– Pour ce qui est de souterrains... malheureusement, les plans du temple ont majoritairement disparu avec la ville. Ma mère aurait sûrement pu nous aider si...

Si elle n’avait pas déjà rejoint Kron. Même si elle ne termina pas sa phrase, elle fut convaincue que Viwien avait compris le fond de sa pensée. Sa mère, ayant vécu à l’époque Taularilienne, avait certainement déjà visité ce temple. Chassant la douleur que le sujet ramenait à son cœur, la haute-prêtresse poursuivit.  

– De mon côté, je sais environ la taille et la forme qu’il avait, et l’endroit où il était situé, dit-elle en désignant presque inconsciemment l’endroit de la main. Cependant, je ne sais rien de sa construction en elle-même, et j’ignore où était l’observatoire, sinon qu’il était central. Ce que je crois, c’est qu’il est très probable qu’il y ait eu une crypte, et que celle-ci ait tenu le coup. Il faudra cependant en trouver l’accès.

On pouvait s’attendre à ce que cela soit périlleux. Il n’existait nulle part où se cacher, et ils chercheraient à tâtons sur un sol ou tout avait été effacé. Les errants se baladaient, et il était impossible, vu d’en haut, de percevoir la couleur de leur âme. Avec un peu de chance, il s’agissait de halo vert. Sinon...

Codage par Libella sur Graphiorum

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[Sceptre d'Hecatonchir]

– Très bien, acquiesça Phyrra.

L’essence divine illumina ses pupilles de l’intérieur alors que ses yeux détaillèrent avec attention les éléments qui composaient les ruines de la ville jusqu’à la limite de sa vision elfique. Elle longea la muraille, sans trop s’éloigner cependant, pour graver le plus d’information possible dans sa mémoire, son regard suivant les rues qui existaient encore, les passages que les murs effondrés permettaient de franchir, les brèches dans la muraille permettant de sortir de la ville. Si cette dernière avait été épargnée par la guerre, les centaines d’années et l’absence d’entretien avaient malgré tout mené certaines sections à s’effondrer. Une carte de plus en plus précise se dessina dans sa tête, jusqu’à ce que Phyrra s’estime satisfaite de sa précision. Alors, elle tourna le regard vers sa reine, la luminosité de son regard diminuant à mesure que son pouvoir refluait, et fit un signe de tête pour lui indiquer qu’elle en avait fini.

Pendant ce temps, Serënn était revenu vers eux. Viwien entreprit alors de les guider jusqu’à la tour qu’elle et son protecteur avaient précédemment explorée. Prudente, Phyrra avait en main son arme de prédilection. Elle prit le soin de dénouer ses cheveux, se préparant à d’éventuels combats, économisant le temps qu’il lui aurait fallu pour défaire les nœuds complexes qu’elle s’était amusée à créer en se coiffant. Silencieux et attentifs, se déplaçant avec mille précautions, les quatre sindarins parvinrent sans encombre à l’observatoire de Soulen. Il semblait s’agir du seul bâtiment affilié à l’ancien temple de Ténéis qui tenait encore debout. Derrière cette tour s’étendait le sinistre espace vide qu’ils avaient vu d’en haut. D’ici, l’endroit semblait encore plus vaste et donc encore plus inquiétant. Le sol vierge n’avait gardé aucune trace du bâtiment pourtant énorme qu’il avait dû supporter. Que cela signifiait-il ? Que cela révélait-il sur l’histoire de ce lieu ? Malgré sa curiosité et son envie de chercher des indices, l’historienne se concentra sur sa mission.

La reine distribua efficacement les rôles et Phyrra, tout en demeurant à portée de voix, s’éloigna un peu, guettant le moindre mouvement dans les ruines qui les entouraient. Alors que ses compagnons s’activaient, la prêtresse veilla sur eux. Elle se sentait plus vivante que jamais, ainsi en danger, le sort de ses compagnons reposant sur ses épaules, tout comme le sien reposait sur eux. En tant que Haute-Prêtresse, Phyrra s’était largement éloigné de la guerrière qu’elle était à l’origine et, inévitablement, de ces situations qui faisaient battre son cœur et exacerbait ses sens. Cela lui manquait, dans un sens, même si elle se savait à sa place en tant que représentante de Ténéis et conseillère de la reine. Comme souvent lorsqu’elle se retrouvait dans ces situations, les souvenirs de son service militaire remontèrent à sa mémoire et, avec eux, ceux concernant Izomik. Ainsi fonctionnait la malédiction accompagnant le don de Ténéis. Avalant difficilement sa salive, Phyrra soupira. Malgré que le temps eût fait son œuvre, le lhurgyof lui manquait toujours autant, surtout dans des moments comme celui-ci.

Un grondement retentit derrière la prêtresse qui se retourna juste à temps pour voir le pouvoir de sa reine à l’œuvre. Le sol, soumis à la magie de la majestueuse sindarine, s’élevait vers le ciel, dévoilant la profondeur qui se trouvait sous leurs pieds. Lorsque les plantes, obéissant au pouvoir de Serënn, se mirent à leur tour en action, la représentante de Ténéis se força à détourner le regard de ces impressionnantes démonstrations de magie. Elle devait rester à l’affut, car les changements que ses compagnons provoquaient sur le paysage risquaient d’attirer les errants. Pendant un instant, la délicatesse dont Viwien avait fait preuve lors de son intervention sembla porter ses fruits, car aucun mouvement ne fut perceptible. Lorsque la reine s’approcha de Phyrra, lui signifiant qu’ils avaient trouvé ce qu’ils cherchaient, les oreilles de la prêtresse frémirent. Quelque chose approchait. Non... plusieurs choses. Phyrra jeta un œil à la reine, remarqua le passage libéré par les efforts conjoints de ses compagnons.

– Dépêchons-nous, dit-elle, inquiète. Quelque chose approche.

Nerveuse sous son apparent sang-froid, la religieuse implora la déesse de les protéger. Sa protection serait-elle suffisante, ou devraient-ils faire face à la perfidie de Sharna ?

– Hé merde, souffla-t-elle.

D’entre les bâtiments sortaient des errants. S’il y en avait eu qu’un ou deux... Sauf que c’était une véritable légion qui se dirigeait lentement vers eux. Vêtus de la même armure, formant des rangs bien ordonnés, ils avançaient d’un même pas, sans se presser, directement vers eux. Leurs rangs n’étaient pas complets, et plusieurs places étaient libres. Phyrra estima qu’il devait s’agir de soldats qui avaient été présents lors de la mort de ceux-là, mais qui avaient survécu et qui n’avaient donc pas rejoint les errants sous ce régiment, car ceux-ci laissaient des espaces entre eux. Ils devaient être une centaine. Au moins. Lorsqu’ils débouchèrent devant l’espace vide que devait autrefois occuper le temple, ils se déployèrent, et plusieurs tendirent les mains devant eux, mimant l’utilisation d’une magie qu’ils ne possédaient heureusement plus. Si la plupart de ces esprits reflétaient une rassurante couleur verdâtre, il y avait suffisamment de halos bleus pour être dangereux... et trop de lueurs rougeâtres pour qu’ils puissent espérer s’en sortir.  

– Dépêchons-nous de descendre, murmura la haute-prêtresse en avalant difficilement sa salive.  

Malgré la peur qui lui tordait le ventre, Phyrra se dressa devant le passage et activa son pouvoir capillaire. Comme mue par leur propre volonté, ses cheveux se mirent à allonger rapidement, aidés par la pierre de sphène que la sindarine portait sur elle. Rapidement, une longue tresse d’apparence solide descendit dans l’ouverture, créant une corde pour leur permettre de descendre.

– Je ne peux supporter qu’une personne à la fois. Viwien, passez la première.

Peu importe ce qui pouvait se trouver au fond de ce trou, la reine y serait plus en sécurité qu’à la surface. Les errants qui leur faisaient face avaient toutes les chances de les apercevoir, et Phyrra tenait à mettre le plus de distance entre eux et la reine. Lorsque Viwien lui signifia qu’elle avait atteint le sol, Phyrra encouragea Serënn à passer, puis Khinem se glissa à sa suite. Au loin, la prêtresse vit les errants tirer leurs armes, comme sous le commandement d’un supérieur qui ne se trouvait heureusement pas parmi les revenants. Intriguée et condamnée à passer la dernière, l’historienne examina la scène avec attention. D’après leurs mouvements, on aurait dit que les errants s’en prenaient directement au temple de Ténéis, dirigeant leurs mains vers les hauteurs. Que cela signifiait-il ? Quel genre d’ennemis les taulmariliens avaient-ils affrontés dans cet endroit sacré ? La légion se divisa alors et entreprit de pénétrer d’un pas rapide dans le périmètre par des endroits bien précis, probablement aux endroits où se trouvaient autrefois les portes.  

– Fait vite, murmura-t-elle sans que Khinem ne puisse l’entendre.

Lorsqu’elle sentit la pression sur ses cheveux se relâcher, la prêtresse remonta sans attendre sa longue chevelure vers elle, avant d’en fixer l’extrémité à une prise d’apparence solide. Derrière elle, les errants progressaient vers elle, non sans faire d’étranges détours dévoilant l’emplacement que les murs avaient dû occuper. Après avoir testé la solidité de sa prise, Phyrra s’accrocha à sa chevelure d’une main, son arme dans l’autre, et se laissa glisser jusqu’à ses compagnons. Ensuite, et puisqu’elle ne pouvait pas rétrécir ses cheveux comme elle les allongeaient, elle se servit de son arme pour les couper d’un coup. Ainsi, s’il lui arrivait quoi que ce soit, ses compagnons seraient en mesure d’utiliser sa chevelure pour remonter à la surface. Cependant, la prêtresse espérait trouver une autre issue. Si les errants gardaient leur position, il leur serait impossible de ressortir par le même endroit.

Enfin, la prêtresse jeta un coup d’œil autour d’elle, la lueur provenant de l’ouverture étant suffisante pour que son regard s’accoutume à la faible luminosité. Ils se trouvaient dans un couloir étroit et sans fioritures qui se contentait de moulures simples. À quelques pas était visible l’antique symbole de la déesse des étoiles, gravé à même le mur avec une précision inouïe, révélant la magie qui avait dû servir à le sculpter. Le passage s’allongeait devant et derrière eux sans que la luminosité leur permette d’en voir les extrémités. À quelques mètres d’eux, un coude était visible, et il était possible de percevoir quelques portes. La haute-prêtresse soupira. Elle venait d’utiliser pas mal d’essence divine, et le contrecoup se faisait sentir. Heureusement aidée de la transe magique qu’elle était en mesure d’atteindre et de la pierre de sphène qu’elle portait comme un pendentif sous ses vêtements, elle n’en demeura pas moins fatiguée. Dans le regard de ses compagnons, elle perçut la même lassitude, une lassitude qui n’éclipsait pas la détermination qui se lisait sur chacun de leur regard. Ils touchaient au but.  

– Mes cheveux pourront illuminer le chemin, déclara Phyrra en référence à la lumière que ses cheveux émettaient lorsque l’essence divine y circulait. Par contre, cet endroit semble être un véritable labyrinthe...

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[Sceptre d'Hecatonchir]

La pièce était tout bonnement infecte. Phyrra n’aimait pas particulièrement les insectes, mais elle s’y acclimatait habituellement. Après tout, ils avaient droit de vivre aussi. Cependant, la nausée que provoquaient en elle ces bestioles n’était pas feinte. Jamais elle n’avait vu une telle quantité d’œufs ainsi rassemblés, et un frisson de dégoût la traversa. Il faut dire que les conditions étaient rassemblées pour les faire proliférer, entre l’humidité, la noirceur et les cadavres qui s’empilaient dans la pièce. Comme son amie, elle aurait préféré éviter l’endroit, mais comme le leur fit remarquer Serënn, il s’avéra que ce qu’ils étaient venus chercher était juste devant leurs yeux.  

Malgré la répulsion que lui inspirait l’endroit, la haute-prêtresse suivit les autres sindarins dans la pièce. Tout de suite, la lueur de ses cheveux, qui les éclairait depuis leur entrée dans les caniveaux, décrut rapidement. Il leur fut aisé de comprendre ce qui se passait, et Viwien les fit rapidement reculer dans le couloir. Tout de suite, l’essence divine se remit à circuler normalement. Il était évident, à présent, que cette pierre, pour protéger le sceptre, absorbait l’essence divine de ceux qui tentaient de le voler. Pendant un instant, Phyrra hésita. Ne serait-ce pas mieux, finalement, de laisser l’artéfact où il se trouvait ? Après tout, ce mécanisme marchait très bien pour protéger l’objet. En y réfléchissant, toutefois, Phyrra changea d’idée. Avec le nettoyage de la cité entamé par la reine des yorkas, le sceptre risquait d’être découvert. Il ne faudrait alors que peu de temps avant que quelqu’un ne trouve un moyen de le récupérer. Quelqu’un qui n’aurait pas forcément de bonnes intentions.  

Viwien devait être arrivée à la même conclusion. C’était d’ailleurs pour cela qu’ils étaient ici, à tenter de récupérer cet objet ancien avant que d’autres au cœur moins pur ne s’y risquent. D’un œil attentif, Phyrra observa la reine des sindarins communiquer avec les astars. Elle demeura sur ses gardes, inquiète. Les pouvoirs de son amie étaient puissants, mais suffiraient-ils pour contrer la magie qui protégeait le sceptre ? Malgré ses inquiétudes, la sindarine garda ses préoccupations pour elle. Elle connaissait suffisamment Viwien pour savoir qu’elle n’abandonnerait pas si près du but. La religieuse adressa malgré tout une prière à la déesse, lui demandant de veiller sur la reine, dans cet endroit qui lui avait autrefois été dédié. Au moment où elle leva les yeux, la jeune reine se tourna vers elle et lui adressa un regard qui en disait long. Soutenant son regard, Phyrra lui offrit un hochement de tête entendu. Elle comprenait ce qu’elle ressentait, et elle lui apporterait son soutien jusque dans la mort. Les mots de son ami, prononcé plus tôt, lui revinrent en tête. Elle lui interdisait de mourir, avait-elle dit au travers de Khinem. Cependant, si cela pouvait permettre de sauver la sindarine, Phyrra était prête à tout.

C’est donc avec inquiétude que Phyrra observa son amie entrer dans la pièce. Plus elle se rapprocha de son objectif, et plus la pierre brillait intensément. Les pas de la sindarine se firent rapidement plus laborieux, et tout son corps trahissait l’effort que cela lui demandait. C’est alors que Phyrra, observant les alentours, comprit ce qui se tramait dans cette pièce infectée. Elle retint de justesse un cri horrifié, au même moment où Khinem arrêtait Serënn, qui avait lui aussi compris ce qui se passait. Des Astingos se trouvaient là, encore dans un état de stase, attendant leur prochain repas. De ce que Phyrra en savait, ces créatures immondes seraient probablement d’une férocité sans nom s’ils venaient à se réveiller, et il y en avait des dizaines. La prêtresse échangea un regard inquiet avec les astars. Phyrra leur fit signe de tirer leurs armes, avec toute la discrétion dont ils étaient capables. Les chances que la quête de Viwien finisse par éveiller les créatures étaient grandes, et il valait mieux se tenir prêt. C’est donc sans bruit que Khinem et Serënn dégainèrent, se tenant prêts au combat. Phyrra, elle, se prépara à agir, et vite.

Viwien arrivait au bout de ses ressources, tout en elle prouvait qu’elle épuisait ses dernières réserves. C’est alors qu’elle prononça quelques mots, à peine audibles pour un terran, parfaitement compréhensibles pour les sindarins qu’ils étaient. Et pour les Astingos alignés sur les murs. Avait-elle choisi cette phrase au hasard ? La situation était particulièrement ironique. Le cœur de Phyrra se serra en constatant le mouvement que ces paroles avaient provoqué. Elle était si proche, désormais, que si elle échouait, ils n’auraient d’autre choix que de laisser là le corps de leur reine bien aimé, même si cette idée donnait mal au cœur à la prêtresse. Elle savait toutefois que c’est ce qu’aurait souhaité sa reine. Jamais celle-ci n’aurait souhaité voir ses amis mourir ainsi, vidés de leur essence divine avant même d’avoir pu récupérer son corps... Cependant, la prêtresse gardait espoir. Les mains jointes, priant pour le salut de son amie, elle demeura concentrée, fixant intensément sa démarche instable.

C’est alors qu’elle bascula vers l’avant. Le cœur de Phyrra se serra brusquement dans sa poitrine alors qu’elle serrait ses mains jointes contre elle. Dans un dernier geste incertain, la prêtresse vit la reine étendre les doigts et, dans un ultime effort, saisir le sceptre entre ses mains. Elle s’effondra alors au sol, au milieu des corps décharnés et des millions d’œufs qui avait envahi la salle. La pierre magique cessa aussitôt de briller. Alors, l’inquiétude et le dégoût laissèrent place à un intense sentiment d’urgence. Phyrra n’eut pas besoin de regarder les astars. Ils savaient ce qu’ils avaient à faire. Le bruit de la chute de la sindarine au milieu de la salle avait terminé de réveiller les créatures qui sommeillaient. À la seconde où la lumière aveuglante qui avait jusque-là illuminé la pièce s’éteignit, la prêtresse se mit en action. La lumière inonda sa chevelure et, mettant dans son pouvoir la moindre parcelle de son essence divine, elle fit s’allonger ses cheveux vers sa reine. La pierre à son cou brilla intensément alors qu’elle saisissait son amie de ses mèches puissantes. Au même moment, des asticots grouillants sortirent les créatures qu’ils avaient craintes.

– Sil elië eldmeria, murmura Phyrra pour compléter la citation de sa reine, en adéquation avec ce qui leur faisait face.  

Déjà, les lames des astars rencontraient les appendices de cauchemar des créatures. Au même moment, Phyrra tira Viwien vers elle, ses cheveux enroulés autour du corps inconscient de son amie. C’est un effort exceptionnel qui lui fut nécessaire pour la tirer de là. Soulever un poids pareil lui demandait une dépense d’essence divine exponentielle, et elle mit toute sa concentration sur ce qu’elle faisait, ignorant de son mieux les créatures qui se jetaient sur ses amis. Protéger Viwien, coûte que coûte. Voilà la seule chose qui importait, à présent. Et les Astingos n’allaient pas rendre la tâche facile. Ceux-ci se jetaient sur tout ce qui bougeait, visiblement affamés, avec une férocité que rien ne semblait pouvoir arrêter. Heureusement, les deux astars étaient des combattants d’une rare efficacité, élite parmi l’élite. Les corps blanchâtres avaient commencé à s’accumuler sur le sol, leur tête aveugle roulant à leur côté. Pourtant, il en venait encore d’autres. L’espace était heureusement restreint, ce qui ralentissait les créatures qui embarquaient les unes sur les autres pour tenter d’atteindre la chair fraiche.

Enfin, Phyrra réussit à récupérer le corps inerte de leur reine. Aussitôt, elle la saisit dans ses bras. Malgré la baisse drastique d’essence divine, elle parvenait à rester debout, mais il lui serait à présent difficile d’utiliser ses pouvoirs. Ce qui causa immédiatement un problème. Incapable de faire circuler l’essence divine dans sa chevelure, le noir complet les entourait à présent. Rapidement, l’un des astars prit la relève. Utilisant son pouvoir, il fit s’illuminer les catalyseurs à proximité, leur offrant, l’espace de quelques instants, une lueur suffisante pour que leurs sens sindarins leur permette de se repérer. La situation demeurait critique. Les œufs recouvraient l’entièreté des couloirs qu’ils avaient dû traverser. De plus, des centaines d’errants les attendaient à l’extérieur. Finalement, ils étaient presque tous à court d’essence divine. Comment allaient-ils pouvoir s’en sortir? La Haute-Prêtresse savait à quel point leur situation était périlleuse. Viwien dans les bras, mettant tout en son pouvoir pour garder son sang-froid, elle réfléchissait aussi rapidement que lui permettait son impressionnant cerveau aux solutions qui s’offraient à eux. Une seule solution lui semblait possible. Une solution que Viwien aurait rejetée, si elle était en mesure de donner son opinion, Phyrra le savait. Pourtant, c’est ce qu’elle décida.  

– Khinem, tu dois mettre notre reine en sécurité. La tour de Soulen, murmura-t-elle, résignée.

– Non !  

– Tu n’as pas le choix! Honore ton serment envers ta reine. C’est le seul moyen.

– Je ne vous abandonnerai pas ici, dame Brynelis. Viwien ne me le pardonnerait pas.

– Canopée ne te pardonnera pas de ne pas avoir fait tout en ton pouvoir pour la sauver, astar !

Autour d’eux, la pression augmentait. Khinem et Serënn, qui formaient une barrière protectrice entre Phyrra, Viwien et les monstres, se rapprochaient de plus en plus.  

– Nous vous retrouverons, promit Phyrra, et Serënn hocha la tête pour marquer son accord. Sinon... Sinon, dis à Viwien de ne pas s’en vouloir. Elle n’a rien à se reprocher. Je... je vous aime, les amis. Peu importe ce qui arrivera.

Khinem avala sa salive. Il échangea un regard avec Serënn, qui devrait momentanément défendre seul le trio. Phyrra lui laissa le corps encore inerte entre les mains.  

– Ne revient pas. Reste avec elle. Empêche-la de se faire tuer.

Le regard de l’astar brillait de larmes. Dans le regard de Phyrra, la flamme de la vie se mua en autre chose. Résignation. Elle adressa un regard tendre à son ami, puis ferma brièvement les yeux, tel un acquiescement. Khinem fit un pas vers l’arrière, Viwien (qui tenait toujours le sceptre) dans les bras... et il disparut. Khinem possédait un pouvoir de téléportation, qui lui permettait de se déplacer d’un endroit à un autre, tant que ces deux endroits n’étaient pas trop éloignés. Il pouvait transporter une seule personne avec lui, mais cela était si exigeant en essence divine qu’il ne l’utilisait qu’en dernier recours. Dès que le décor changea autour de lui, il déposa péniblement sa reine au sol et se laissa glisser à ses côtés, les jambes tremblantes. Rapidement, les larmes coulèrent sur ses joues. Il ne souhaitait pas perdre espoir, mais l’astar était réaliste. Les probabilités que Serënn et Phyrra s’en sortent étaient minces, très minces. Malgré sa fatigue, il veilla sur la reine et son sceptre jusqu’à ce que ses yeux papillonnent enfin.

En contrebas, Phyrra avait tiré son arme pour combattre au côté de Serënn. Le bruit du combat attirait toujours plus de créatures et plus d’une heure après le départ de Khinem, il en venait encore. Si l’astar tenait le coup, Phyrra commençait à fatiguer. Malgré sa formation militaire, elle ne faisait plus partie de l’armée depuis très longtemps et son corps n’était plus habitué à de tels combats. Ses bras devenaient lourds, sa lame moins rapide, et la fatigue liée à l’utilisation d’énormément d’essence divine commençait à peser lourd sur ses épaules. Si ce n’avait pas été de l’astar surentrainé à ses côtés, elle serait probablement morte dix fois. Le combat prenant toute la place dans son esprit, la prêtresse avait du mal à envisager une solution. Elle refusait de considérer qu’elle pourrait mourir, même si elle savait très bien que leur duo ne tiendrait pas éternellement.  

Ils combattaient à reculons, cherchant des yeux une issue improbable. Cependant, les deux sindarins n’étaient pas dupes. Au-dessus d’eux se trouvaient une marée d’errants qui eux aussi n’attendaient que leur apparition pour leur faire la peau. Cependant, le plus urgent était de sortir de là. C’est ainsi que Phyrra failli tomber à la renverse lorsqu’une arrête bien droite l’empêcha de faire un nouveau pas vers l’arrière. Elle poussa un juron bien senti en perdant pied, et seule la réactivité de Serënn l’empêcha de se faire dévorer par l’astar qu’elle combattait. Elle maudit ce bout de roche... Ce bout de roche ? Utilisant un peu d’essence divine, elle illumina ce qui se trouvait derrière elle. Un escalier ! C’était un escalier, et il montait !  

– Serënn, murmura Phyrra en jugulant son excitation. C’est un escalier. Dépêchons-nous !

Il était à moitié effondré, et de nombreux éboulements rendaient son ascension difficile. Serënn demeura à l’arrière pour repousser les créatures alors que Phyrra le guida dans les sombres escaliers. Celui-ci tournait plusieurs fois. Après le premier coude, la lueur extérieure leur parvint. Deux tournant plus loin, ils se retrouvèrent à l’extérieur. Blessé, épuisé, mais vivant. Utilisant un peu d’essence divine, Sërenn se servit de ses pouvoirs pour bloquer le passage étroit qu’ils venaient d’emprunter. S’ils n’étaient pas tirés d’affaire, il y avait au moins un problème de réglé... Cependant, à l’extérieur, le soleil terminait sa descente à l’horizon. Taulmaril leur réservait encore des surprises...

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