La belle et la bête [PV Pandora Vanes] (FINIT)

La neige couvre les vastes champs entourant la gracieuse Heldor. Un spectacle particulièrement beau mais qui laissait la plupart des habitants de Vanes dans l'attente. En effet, l'hiver était une période de creux dans l'économie locale, même si cela n'affectait pas tous les métiers, une bonne partie de la population la plus modeste vivait du travail de la terre.

Voir un loup en Vanes n'était pas commun pour les gens des champs et encore moins pour les Heldaris. Si l'animal était commun aux abords de Noathis, à la frontière, loin à l'est, en voir un en pleine ville.. C'était tout autre chose. La rumeur arriva vite jusqu'aux gardes de la ville qui, soucieux de ne pas passer pour des incapables, se précipitèrent pour encercler l'animal. Tous n'étaient pas autorisé à entrer en Heldor alors qu'un animal sauvage passe entre les mailles du filet, c'était un réel problème.

Autour du loup un petit attroupement se forma, se tenant bien sagement derrière les gardes armés, des marchands et bourgeois commencèrent à parler.

- C'est une belle fourrure..

- J'en donne cent dias !

- Deux cents !

Comme si l'animal était déjà mort et dépecé, on s'arrachait déjà sa magnifique fourrure, si peu commune. Il fallait bien avouer que coincer entre les gardes, le loup, tout aussi féroce puisse-t-il être, n'avait aucune chance d'en réchapper. Il y avait d'ailleurs, parmi les gardes, un mage de combat qui, les yeux fixés sur l'animal, avait dors et déjà immobilisé l'intrus en se servant de sa magie des ombres. Des liens sombres s'étaient emparés de l'ombre du loup et se faisant, l'animal ne pouvait plus bouger un muscle.

Le grand gaillard après lequel l'animal grognait s'approchait, portant une main à la garde de son arme, prêt visiblement à abattre sommairement le loup. Il fut pourtant arrêté, non pas par un ordre mais par le silence qui s'empara de la pourtant bavarde assemblée. On s'écarte, respectueusement alors que des hommes en armure rouge et or, portant l'emblème du lion ailé des Vanes apparaissent. Entre les Lions une délicate demoiselle se détache nettement. Ses longs cheveux roses coulent librement sur ses épaules couvertes d'une fourrure aussi blanche que la neige fraiche.

- Mademoiselle, ne vous approchez-pas, l'animal est dangereux. De plus il pourrait s'agir d'un espion yorka.

Un des gardes tenant en joue l'animal prévenait la jeune femme qui fit pourtant un pas de plus dans la direction du loup avant de s'arrêter pour fixer ses prunelles roses sur le visage de l'homme qui tentait de l'arrêter. L'homme en question est jeune, sans doute une nouvelle recrue, impétueux mais soudain muet dès lors que la demoiselle le fixe.

- Si c'est un espion yorka, je me demande bien ce qu'il est venu espionner en prenant une forme si peu commune qu'elle lui a valu d'être arrêté à peine eut-il pénétrer la ville.

On ne sait que répondre face à la demoiselle qui poursuit.

- Quant à sa dangerosité.. Il est sans doute simplement perdu.

La jeune femme à la longue robe de velours fait un nouveau pas vers l'animal, elle n'est plus qu'à un mètre raisonnable des crocs certes dangereux de la bête. Surtout, l'animal est toujours maintenu par le sort du mage de combat. Pandora s'accroupit, se mettant à la hauteur des yeux du loup assit. Elle n'avait guère eut de bonnes relations avec les animaux récemment et se mettre ainsi en avant lui vaudrait peut-être des remontrances mais, elle ne se sentait pas réellement menacée par l'animal. La plupart d'ailleurs, ne faisaient que la fuir. Puis, si l'animal l'attaquait, elle n'avait aucun doute qu'un carreau d'arbalète ou un trait de feu viendrait l'arrêter avant qu'il n'ait eu la moindre opportunité de la blesser. Il y avait après tout des Lions à ses côtés, un loup n'était pas de taille à les affronter.

Sous les yeux curieux de la petite assemblée qui s'arrachait un peu plus tôt la fourrure de l'animal, et sous le regard soucieux des gardes, la délicate jeune femme retira un gant de velours de ses doigts élégants pour tendre sa main, paume vers le ciel. Ses grands yeux roses plongés sans peur dans ceux de l'animal, elle fit signe de son autre main au mage, de relâcher son sort. Le loup était à nouveau libre de ses mouvements.

- N'ai pas peur, je ne te veux aucun mal.

La douce voix de Pandora glissait comme un murmure jusqu'aux oreilles fines du loup. Il n'y avait, ni dans sa voix, ni dans sa posture, la moindre intention de nuire. Sa sincérité était pure autant que sa bonté était réelle. Elle voulait sincèrement venir en aide à l'animal, quand bien même elle aurait pu passer son chemin ou pire, réclamer sa fourrure pour elle-même. Nul ne se serait opposé à elle. Comme nul n'osait s'opposer à la nouvelle extravagance dont elle faisait preuve en tendant sa main à un animal sauvage.

Pouvait-on vraiment s'attendre à ce qu'un loup se contente de venir renifler la main qu'on lui tendait, sagement, se comporter comme on l'attendait.. Rentrer dans le rang. Surement était-ce trop espérer. Cela aurait pourtant facilité bien des choses. Pour Pandora et surtout pour le Loup. Ce dernier se détourna de la jeune femme qui venait à son aide, pour entamer.. un discours ?

La surprise marqua le visage de la jeune Vanes, elle ne savait pas que les Yorka pouvaient parler sous leur forme animale. Elle se demandait du coup, à quoi pouvait ressembler un scorpion entrain de parler.. Puis chassa cette pensée pour se concentrer sur les mots de l'animal. Pour sûr, ce n'était pas un loup comme les autres.

Roi des terres sauvages. Voilà qui était un brin présomptueux. Si les Hommes mettaient des prix sur tout, même sur leurs semblables, était assez douteux aussi, voilà bien longtemps qu'il n'y avait plus d'escalavage dans la région. Ce n'était peut-être pas le cas partout alors on pouvait accorder cette triste affirmation au Loup bien vindicatif. Il leur intimait de venir l'affronter, seulement armés de ce que la nature avait bien voulu leur fournir..

Avant de leur montrer ses jolis crocs qui n'émurent pas grand monde. Les soldats entouraient la bête et avaient dors et déjà montré qu'ils étaient capable de l'immobiliser. La provocation était vaine mais arrivait tout de même à échauffer l'assemblée.

- La nature nous a doté de l'intelligence qui te manque !

Clama quelqu'un dans l'assemblée. Il n'y avait pas que le loup qui pouvait s'énerver et grogner. Pandora ne releva pas davantage la remarque. L'animal se tournait vers elle, l'assimilant apparemment à l'Alpha. Voilà qui était surprenant, si ce n'est un brin amusant. Elle ? Une Alpha ? Sa chétive carrure n'en laissait rien croire. Pourtant, la demoiselle comprenait ce que voulait dire l'animal, en effet, elle était aux commandes.

Enfin.. jusque là.

Le Loup était effectivement Yorka mais se disait être à l'inverse d'eux, l'animal avant l'humain. Pandora doutait en réalité que les Yorka se voient eux-mêmes plus humains qu'animaux au vue de leur lien primitif avec la nature, ils ne seraient sans doute pas aussi catégoriques, voire clairement plus animal qu'humain.

Puis, il y eut une nouvelle menace, celle d'arracher la gorge à tout ceux qui menaceraient ses frères et soeurs, le Loup voulait-il parler des autres loups ? Ou de tous les animaux ? Puis, un ordre, celui de contrôler les mots des bêta et oméga.

Tout cela était déjà assez désagréable mais rien que la jeune Pandora ne puisse apaiser. La suite par contre.. Tous les soldats se tendirent brusquement, comme si jusque là, les menaces de l'animal ne trouvaient aucun echos, à la mention des Eryllis, le degré de défiance monta d'un sérieu cran. Des Eryllis qui auraient apprit à parler au Loup lui permettant... d'apaiser le conflit ? Etait-ce là un trait d'humour lupin ?

Enfin de compte, l'animal demanda à qui elle -puisque l'animal usait du féminin- avait affaire.. tout en insultant une nouvelle fois l'assemblée, les traitant d'avides et de stupides.

Hé bien. Voilà comment était récompensée la bonté de la jeune Vanes. Elle qui voulait venir en aide à l'animal se trouvait dans une situation bien complexe. Les Eryllis n'étaient certes plus des ennemies publiques... elles n'en restaient pas moins des criminelles aux yeux d'une très forte majorité de la population. Non sans raison. Les tensions entre le duché de Vanes et les Eryllis, à la frontière avec Noathis, étaient historiques et toujours bien d'actualité, quand bien même les vanésiens essayaient de se conformer aux exigences du Roi.. Le Duc en personne était à la frontière près d'un tiers de son temps, pour régler des soucis incessants avec leurs "voisines".

Voilà que l'une d'entre elles arrivaient en Heldor et grognait qu'elle allait arracher la gorge à qui se montrerait discourtois.. tout en les insultant copieusement. Pandora était en bien mauvaise posture. Enfin.. le Loup était en bien mauvaise posture. Même si l'animal ne semblait pas vraiment mesurer l'ampleur de sa mésaventure.

La jeune Vanes prit une lente inspiration, elle devait choisir intelligemment ses mots.

- Si je suis l'Alpha, ne croyez-vous pas, Loup, que vous devriez vous montrer plus soucieuse dans le choix de vos mots. Que ferait votre Alpha, si un intrus venait jusque dans votre antre et se mettait à insulter et menacer les vôtres ?

Les prunelles roses de la jeune demoiselle s'étaient fixées dans le regard de l'animal, sans crainte ni hésitation. Sa voix était calme, douce, comme l'eau d'un ruisseau qui pourrait tout aussi bien être torrent. La jeune femme se redresse.

- Si vous êtes capable de vous comporter convenablement, sans plus insulter les miens ni lancer contre eux de vaines menaces, nous pourrons discuter, avec une moindre audience et dans un respect mutuel. Si vous n'en êtes pas capable, vous serez prié de quitter ces terres dont vous n'êtes pas Reine.

La jeune femme n'aimait guère devoir en venir à poser des ultimatums mais elle devait signifier au Loup qu'elle ne le laisserait pas impunément insulter les siens. Elle lui offrait encore une main, certes un peu moins tendue que la première.. que le Loup avait cordialement snobé. Elle avait fait un pas vers l'animal, à lui de prouver qu'il était aussi civilisé qu'il le prétendait.

Après avoir penché sa tête de gauche à droite pendant un moment de ce qui semblait être de l'hésitation, l'animal finit par s'assoir. Voilà qui apaisait un peu la jeune Vanes qui voyait là un geste d'apaisement.. mais peut-être qu'elle surinterprétait la gestuelle animale qu'elle ne connaissait finalement que très peu. Enfin, le loup assit était moins menaçant que le loup debout sur ses quatre pattes, grognant qu'il allait arracher des gorges. Le discours qui s'en suivi donna peut-être un peu raison à interprétation de Pandora.

La demoiselle aurait préféré entendre tout cela autour d'une tasse de thé qu'au beau milieu de la rue, mais ne se laissa pas décontenancée pour autant. Il y avait certes des points sur lequels elle devrait revenir mais, elle laissa poliment l'animal finir son discours. Elle dévoilait que bien que son affiliation avec les Eryllis soit réelle, elles ne lui avaient visiblement pas tout dit de leurs relations avec l'extérieur.. Pandora commençait à comprendre un peu mieux d'où pouvait venir leur visiteuse et la brutalité que pouvait représenter l'accueil qu'elle avait reçu. Elle n'avait pas les codes de leur civilisation, seulement le langage.. si c'était un bon début cela n'était hélas pas suffisant.

- Je ne suis pas celle qui compara loup et hommes, en premier lieu.

En effet, cette comparaison, qu'elle soit ou non malheureuse, était celle du Loup.

- Quant à l'insulte, je conviens que les miens auraient pu agir avec plus de sagesse et de savoir-vivre.

La remarque était cette fois adressé à l'assemblée qui les entourait, cependant, aucun ne soutint le regard que leur adressait la jeune femme. Plus de sagesse, c'était de se douter qu'un loup avec une telle allure et ayant réussi à passer les gardes des portes, n'était certainement pas qu'un simple animal et donc, plus probablement un Yorka ou un être capable d'animorphie, qu'il était donc un brin présomptueux de se lancer à marchander sa fourrure. Plus de savoir-vivre c'était aussi présumer de la nature ambiguë de l'animal et le traiter, comme le faisait la jeune femme, comme tout être doué d'une intelligence humaine.

C'était en partie ce qu'avaient fait les gardes en arrêtant ce qu'ils prenaient pour une menace potentielle. En partie seulement car s'ils avaient perçu la double nature probable de l'animal, ils avaient décidé de l'arrêter plutôt que de l'interroger, comme on le ferait avec tout étranger un peu.. particulier.

- Cela ne vous autorise cependant pas à les menacer. Comme vous le dites, nous protégeons respectivement nos peuples. Les soldats ont vu en vous un intrus potentiellement dangereux, je suis certaine, qu'après avoir vous-même montrer les crocs, vous conviendrez que leur appréciation n'était pas totalement infondée. Quand bien même vous dites que vous ne montrerez pas les crocs en premier, je ne suis pas certaine qu'un serpent visitant votre tanière, s'approchant de vos louveteaux, ne serait pas rapidement encerclé afin de juger de sa dangerosité.

L’allégorie était simple et provoqua quelques brefs hochement de têtes des moins coupables têtes de l'assemblée. Enfin la jeune femme se tourna vers l'un de ses Lions, lui glissa quelques mots simples qui furent rapidement suivi par le mouvement du Lion. Ce dernier fit signe aux soldats qui entreprirent de disperser la foule.

- Aller, il n'y a rien à voir, reprenez vos activités.

En quelques secondes un peu bruyantes, les commentaires allant bon train, sur le Loup et l'intervention de petite princesse, la rue s'éclaircit. Ne restait plus que les soldats qui s'inclinèrent légèrement avant de reprendre leur ronde et les Lions, qui encadraient la Rose.

Comme la jeune femme l'avait promis, le Loup se comportant convenablement, sans plus ni insulter, ni menacer, elles pourraient maintenant parler avec un peu moins d'audience et dans un respect mutuel.

- En ce qui concerne les Eryllis, je suppose que suivant qui vous interrogerez, vous n'obtiendrez pas la même réponse sur la nature des conflits qui nous opposent.

La question était en effet politiquement teintée. Pandora ne se lancerait dans l'explication que si le Loup voulait avoir une autre vision que celle des Eryllis.

- Quant à Heldor, c'est bien la première fois à ma connaissance qu'on la compare aux cercles concentriques composant les arbres. J’emploie davantage l'image des encyclies, les ondes circulaires qui se déploient dans l'eau, l'idée reste la même mais j'aime à croire que le rayonnement de la ville se propage bien au delà de ses derniers murs.

La jeune demoiselle sourit pensivement alors qu'elle entame sa marche, enjoignant implicitement l'animal à la suivre si le Loup le désirait, ils pourraient ainsi parler sans rester statique et Loup pourrait ainsi visiter la ville comme elle le désirait à l'origine tout en ayant le privilège d'un guide d'exception.

La Rose d'Eridania marchait au sein d'Heldor, accompagnée d'un loup à sa droite et de Lions à quelques pas dans son dos. Une fresque un brin étrange, inattendue certainement. Voilà qui faisait de la vie une matière fascinante. Presque autant que les romans de chevalerie que dévorait la jeune demoiselle depuis la visite d'un certain Comte. Elle avait hâte.. d'être plus. Ne savait guère comment y parvenir mais avançait tout de même, sur cette voie ambitieuse qu'elle voulait allier à des responsabilités qu'elle endossait alors même qu'elle n'en avait aucune obligation. La jeune ingénue, une des demoiselles les plus convoitée du monde civilisé, avait en quelques mois, caché un voleur dans sa chambre, accueillit un comte et défendu un prêtre maladroit, dans tous ces cas, elle aurait pu tout aussi bien passer son tour, changer de trottoir. Personne n'aurait rien pu dire à cela.

On attendait peu de chose d'une princesse d’apparat. Peut-être était-ce finalement là, sa liberté. Puisqu'on attendait rien d'elle. Elle pouvait, potentiellement, tout. Ou presque. Un léger sourire glisse sur ses lèvres rosées alors qu'elle observe le loup aller ramener un chaton auprès de sa mère. Elle était bien la seule Vanes à pouvoir converser avec un être qui ne daigne pas même se défaire de sa forme animale, affilé aux Eryllis qui plus est.

Cela allait forcément ce savoir. Allait-on la réprimander ? Il était certain que si le loup était tombé sur un autre Vanes.. sa fourrure serait déjà transformée en manteau. Non. A une autre époque peut-être. Avant que le Roi ne légitimiste la caste des amazones. Enfin, sans être dépecé il est certain que l'animal se serait retrouvé dans les tréfonds d'une prison avant d'avoir pu hurler aux lunes -ou à ses soeurs- sa mésaventure.

L'animal s'était un peu assagis, pour leur plus grand bien, à toutes deux. Loup était d'ailleurs capable d'entretenir un très bon niveau de conversation, tout à l'opposé de ce que sa forme pouvait présupposée, il y avait visiblement de la réflexion derrière ses mots. Il était vrai que la vision de Pandora sur la ville se reflétait à une grandeur éphémère. La jeune femme acquiesce à cette répartie, cela n'avait pas été conscientisé jusqu'alors mais oui.. tout était éphémère. Même les grandes arches d'argent finiront par tomber. Un jour. Le plus tard possible, évidemment.

La différence entre les hommes et le reste du monde animal était grande. Leur rapport à la mort était sans doute symbolique de cet état de fait. La jeune Vanes laissa tout le temps nécessaire à l'animal d'élaborer son propos, avant de réfléchir à une réponse, pesant ses mots, les choisissant avec soin.

- Il est certain que les Hommes sont des animaux à part.

A part cela était certain. Des animaux tout de même. Ils faisaient tous partie d'un même tout. D'une chaîne, dont chaque maillon avait son importance.

- Contrairement aux loups, nous n'avons ni fourrure épaisse pour nous protéger du froid, ni crocs et griffes pour nous nourrir ou nous défendre. De tous les animaux, nous sommes, de corps bien inférieur. Pourtant, de tous les animaux, nous pouvons être les prédateurs. La capacité qui fait de nous ce que nous sommes, ce n'est pas vraiment l'intelligence comme le disait cet heldari, mais la capacité d'apprendre.

La main délicate de la jeune femme hésite un instant à se tendre vers la famille de chat, pour apposer une légère caresse sur la tête de la mère bien occupée.. Pandora y renonce et reprend sa marche tranquille en poursuivant.

- Nous avons appris à faire du feu, à nous en servir à notre avantage, appris que le monde recelait des dangers mais que ces dangers pouvaient aussi être bénéfiques, du venin de serpent qui nous tuait hier, nous faisons un remède pour demain. Nous avons appris que pour nous protéger nous et les nôtres, nous pouvions construire un toit au-dessus de notre tête. Nous avons voyagé, sur tout istheria, nous nous sommes adaptés, aux températures, aux paysages, à l'adversité ou à l'abondance. Nous avons dompté notre environnement pour ne plus être esclave de ces aléas. Nous avons appris à lire, à écrire, à être créatif. Nous avons inventé l'art, la littérature, la philosophie, la guerre aussi.

La jeune femme modère son éloge, elle n'est pas naïve des choses que reproche Loup à l'humanité. Pas aussi catégorique que l'animal non plus.

- Je ne suis pas certaine que le concept de "beau" très subjectif, soit partagé par les autres animaux.. N'avez-vous jamais pensé qu'apprendre à parler, c'était déjà aliéner un peu de votre animalité ? Vous choisissez des mots, aux sens multiples, des mots empreints d'une histoire qui n'est pas la votre mais celle de l'humanité qui les a créés. Si vous pouvez dire que vous préférez les espaces sauvages aux champs, c'est quelque part.. parce que vous avez embrassé un peu de cette culture que vous semblez réprouver.

Les paroles de la jeune femme sont douces, en rien accusatrices, elles ne font que surligner des faits qui pouvaient avoir échapper à la yorka. En prenant les mots des Hommes, elle pouvait réfléchir comme les hommes. On pense dans une langue tout comme on rêve dans une langue et cette langue nous imprègne, des concepts des mots que nous connaissons. Que le Loup le veuille ou non, en apprenant à parler, il avait intégré un peu d'Humanité.

- Pour en revenir à l'architecture.. je ne crois pas que nous soyons aussi insensibles que vous le dépeignez. Cela dit, même si nous aimons les collines vallonnées couvertes d'herbes et de fleurs, nous avons aussi des bouches à nourrir. Laisserait-on mourir des nouveaux nés pour ne pas mettre de champ sur cette verdoyante plaine ? Nous avons besoin de toit au-dessus de nos têtes et la créativité qui caractérise en partie notre espèce nous dote de sensibilité artistique et d'inventivité capable de faire naître des idées et des structures que même la nature, pourtant elle aussi inventive, n'aurait pu créer.

Heldor était belle, une oeuvre d'art architecturale, elle n'était cependant pas que cela.. Ses secrets étaient nombreux. La jeune femme s'arrête sur une petite place où trônait une fontaine aux motifs aquatiques, à côté d'elle, jouait un enfant qui envoyait au loin une balle de chiffons, qui ramenait en jappant un chien massif.

- Je ne dis pas que nous sommes exempt de défaut. La cupidité, la vénalité, la criminalité, sont autant d'autres concepts que nous sommes les seuls à avoir inventé. Rien en ce monde n'est tout noir ou tout blanc. A l'exception peut-être de votre pelage.

La demoiselle adresse un sourire à son interlocutrice, visiblement un peu contente de sa boutade. Elle se reprit rapidement cependant, ses prunelles roses suivant le mouvement de la balle qui repartait en sens inverse et après laquelle courrait le molosse en agitant la queue.

- L'Homme apprend, c'est là sa plus grande capacité. Si, au lieu d'être perclus d'apriori et de stéréotypes, nous apprenions à communiquer, je suis certaine qu'il y aurait un enseignement à tirer des deux côtés.

Comme, peut-être, elles étaient en train de faire là. Discuter pour dépasser des présupposés forcément biaisé par des visions apriori opposée. Pourtant, si ils étaient capable d'échanger, de dépasser leurs différences, ne seraient-ils pas capable de plus grandes choses encore ? Si chacun échangeait son savoir, peut-être les champs seraient-ils moins grands, les espaces sauvages mieux préservés et de nombreux risques évitées. Sans doute Pandora était-elle un peu trop rêveuse diront certains, insouciante, naïve.. Peut-être. Idéaliste, sans doute. Mais que deviendrait un monde dépourvu de belles idées ?

Comment expliquer à l'animal que si elle parlait, elle choisissait d'utiliser un outil des Hommes. Un outil qui façonnait, qu'on le veuille ou non, notre façon de penser. Si Loup pouvait tenir un discours philosophique et critique sur la manière dont vivaient les Humains, c'est bien qu'elle avait les mots pour et les concepts correspondant. Des idées, des pensées, qu'elle n'aurait jamais pu développer, sans le langage des Hommes. Comme elle le disait, les animaux ne s'encombraient pas de la notion de monnaie, de marchandisation, seuls les Hommes comprenaient ces concepts et c'est parce que Loup comprenait aussi ces concepts, qu'elle était en mesure de les critiquer.

Si elle était réellement plus Loup que Fille, elle serait bien incapable de comprendre et la langue des Hommes, et d'autant plus serait incapable de saisir le sens de ces concepts si étranger au monde animal. Alors.. Loup pouvait bien être un loup.. A l'intérieur, pouvait-elle toujours affirmer être plus animal que fille ?

Qu'est-ce qui était important, après tout, pour définir qui nous sommes. La forme ? Ou le fond ? Qu'elle ressemble à un animal. Ou qu'elle soit capable de réfléchir, de penser, de raisonner, comme un humain, quand bien même elle exprimait une opinion personnelle, critique.

Pandora avait déjà sa réponse, son interlocutrice, bien que visiblement certaine de sa position et de son identité, ne semblait pas totalement consciente des changements opérés par le seul fait d'apprendre à parler. La jeune Vanes n'insisterait cependant pas, elle était un être sensé mais aussi sensible, elle se doutait que remettre en question Loup sur sa nature même serait déstabilisant, voire vexant. La louve expliquait alors qu'elle avait perdu sa meute pendant une tempête, une histoire qui ému la jeune Vanes.

- J'espère que vous retrouverez bientôt votre meute, cela a du être terrible de vous retrouver seule. Je suis bien loin de connaître le monde animal aussi bien que vous mais c'est une chose connue que les loups forment des groupes très soudés.

A l'exception des loups solitaires cela dit.. mais Pandora avait cru comprendre que les loups solitaires étaient principalement de jeunes mâles cherchant à conquérir des femelles qui ne feraient pas partie de leur meute. Évitant ainsi de corrompre le sang en commettant des incestes. La nature était pleine d'astuce.. et d'enseignement.

La jeune femme observe Loup entrain de regarder la scène de l'enfant jouant avec son chien. Elle se demandait si le loup n'allait pas hurler au scandale en voyant un.. cousin ? ainsi transformer en un animal domestique. Mais il n'en fut rien. Loin de s'offusquer de la forme, Loup privilégia le fond. Car, si le chien était effectivement domestiqué et donc, plus sauvage dans la forme, dans le fond, il était visiblement heureux de jouer avec son compagnon humain. Pandora sourit à nouveau en les regardant, acquiesçant à la question de son interlocutrice.

- Nous sommes, sur ce sujet, en tout point d'accord. Le bonheur des nôtres est ce qui compte le plus.

C'était une bien belle chose que de faire passer le bonheur comme une priorité bien supérieure à tout désir d'enrichissement ou d'ambition personnelle.. Cependant, c'était sans doute aussi le coeur du problème qui se créait entre Hommes et Bêtes.

"Nous ne formons qu'un" déclare Loup en parlant de sa meute. La jeune femme compatis à la peine de son interlocutrice. Elle s'interroge aussi, sur la cohésion de ce qu'elle pourrait appeler sa propre meute. Elle serait bien incapable d'affirmer avec la même sincérité, que les membres de la famille Vanes ne faisaient qu'un. Ils faisaient certes front commun et tous, à leur hauteur, essayaient de protéger les intérêts de la meute.. Il y avait à leur tête deux Alpha aux regards sévères. Des loups féroces, sans aucun doute.

Pandora eut une pensée pour son frère ainé, partit rejoindre les rangs de l'armée pour suivre les hommes du duché réquisitionnés lors de la refonte de l'armée éridanienne. Si les vanésiens se félicitaient d'avoir un prince héritier si proche de ses hommes, Pandora n'était pas aveugle à la manipulation en cours. En faisant un pas vers cette armée commune que son père avait décrié, Alexandre Vanes menait un jeu politique. Puisqu'il faudrait compter avec cette Cassandra Raikes sur l'échiquier du pouvoir désormais.

Puis, il y avait son autre frère.. James. Qu'elle ne pouvait appeler frère devant sa mère, puisque définitivement, elle n'était pas la mère de ce jeune homme. Un bâtard qui n'avait pourtant pas réussi à entacher la renommée des Vanes. Il était absent du palais depuis plusieurs jours sans que personne ne s'occupe de savoir où il pouvait se trouver. Dans l'indifférence général il était pourtant le plus proche du peuple vanésien. Pandora se promit de prendre rapidement de ses nouvelles et de faire quelque chose avec lui prochainement. Ils n'avaient jamais été très proches, la duchesse ne l'avait pas permis mais, aujourd'hui que Pandora n'était plus tout à fait une enfant, elle espérait pouvoir se rapprocher de ce frère qu'elle connaissait si peu.

Alors, si les Vanes ne faisaient qu'un, ce n'était que pour protéger leur nom. Un nom puissant. Capable de protéger ces terres et ces habitants. En tout cas.. ceux qui se tenaient sur leurs deux jambes. La jeune femme souriait en observant de loin le loup et le chien s'amuser ensemble. Elle réalisait aussi, que si elle ne pouvait guère affirmer qu'elle ne faisait qu'un avec sa famille, cette dernière était tout de même son socle, un pilier indispensable à ce qu'elle était aujourd'hui. Elle serait dévastée de les perdre.

Loup sortit la jeune Vanes de ses pensées en revenant vers elle, un bâton entre les babines. L'animal s'assit au pied de la demoiselle qui se trouva un instant bien perplexe face à cette attitude. Voulait-elle vraiment lui faire lancer ce bâton ? Cela n'aurait sans doute pas paru si inadéquat si une minute plus tôt, elles n'échangeaient pas sur leurs philosophies respectives. Pandora n'avait certes pas l'habitude de jeter un bâton à ses interlocuteurs..

Mais il fallait bien avouer que cette interlocutrice n'avait rien de commun. Après quelques secondes d'hésitation, la dextre délicate de la jeune femme se tendit pour se saisir du morceau de branche, attendant que les mâchoires du loup ne relâche la pression pour s'emparer de l'objet. C'était une étrange sensation. Pandora ne se souvenait pas avoir jamais eu d'animal de compagnie. Elle n'avait jamais lancé de bâton avant aujourd'hui.. Relevant le morceau de bois au niveau de son torse, elle le lança pour la première fois.

Il parcourus à peine plus d'un mètre avant de tomber mollement au sol.. La jeune femme sentit ses joues rosir en voyant cet échec cuisant. Elle se raidit un peu avant de s'exclamer :

- Donnez moi une seconde chance.

C'était moins une injonction qu'une requête, la jeune fille voulait recommencer. Ce n'était pas qu'elle soit tant vexée d'avoir échoué, bien que cela soit un brin ridicule mais, elle avait ressenti une certaine joie à participer à un jeu si simple qu'on ne le lui aurait jamais proposé. Pandora était une redoutable adversaire aux jeux de l'esprit et aux jeux de stratégie, son esprit était vif, éclairé. On l'avait voulu ainsi. Quelle utilité y avait-il à lui faire lancer un bâton à un animal ?

Une fois le morceau de bois à nouveau dans sa main, elle en soupesa un peu le poids et, aidé de son précédent échec, ajusta son tir et levant le bâton plus haut, y mit cette fois toute sa force.

La branche décrivit cette fois une belle courbe, bien que la distance parcourus ne soit pas formidable, elle alla au moins assez loin pour faire courir le loup. Un rire spontané franchit les lèvres roses alors que la jeune femme applaudissait sans y penser, l'animal en pleine course. C'était la première fois depuis très longtemps, que la jeune Vanes s'amusait réellement.

La vie pouvait être simple. Aussi simple que de lancer un bâton et attendre qu'il revienne.. pour le lancer à nouveau. Un cycle un peu idiot, sans doute. Pourquoi était-ce alors, si satisfaisant ? Il n'y avait pas à penser. Ni plus s'inquiéter, ni plus s'interroger. Laisser un moment, son trop lourd cerveau de côté, ne plus compter les nœuds et les intersections du cheminement de pensées trop nombreuses. Se soustraire aux règles du protocole, de la bienséance, du paraître. Et lancer un bâton.

L'animal semblait heureux de ces allés retours incessants et la jeune femme avait les joues roses alors qu'elle souriait en le regardant courir après l'objet volant. Finalement, lorsque le loup revint à nouveau, la jeune femme s'accroupit légèrement pour lui prendre le bâton de la mâchoire, mais cette fois, elle se laissa aller à lui caresser le haut de la tête.

- Merci, c'était un moment très agréable et sans doute une leçon de simplicité que je devrais retenir.

La jeune femme sourit avant de se redresser. Une idée venait titiller ses méninges. Elle hésita un instant avant de se décider.

- Cela ne saura rattraper tous les maux qui accompagnent l'humanité mais, avez-vous déjà eu l'occasion d'écouter un morceau de harpe ? Ou de la musique, autre que celle des oiseaux, qui sont certes des maîtres dans l'art.

Tout en parlant, la demoiselle avait commencé à marcher, enjoignant Loup à la suivre pour une autre aventure. Se tournant vers l'un des Lions qui les suivaient toujours, à quelques pas, elle adressa un léger geste et le garde se rapprocha afin qu'elle n'ait pas élever la voix.

- Pourriez-vous aller chercher ma harpe et l'installer dans la roseraie ?

Le Lion acquiesça et avait déjà fait un pas quand il s'arrêta, stoppé par un geste vague de sa jeune maîtresse.

- Non, plutôt dans le parc du centre ville.

Il resta un instant interdit mais sans discuter les ordres, quand bien même ils n'étaient pas présenté ainsi, se remit en route. La jeune femme avait une idée en tête. Elle reporta son attention sur sa bien étrange visiteuse.

La jeune femme acquiesce à la réponse en partie anticipée de Loup. Le chant des oiseaux et le bruit de l'océan étaient naturellement ses mélodies favorites. Pandora n'avait d'ailleurs jamais vu l'océan. Elle avait pu contempler quelques peintures mais rien qui ne pourrait transmettre la musique des vagues se fracassant sur les rochers. Elle enviait un peu la liberté qu'incarnait sa compagne de marche. Sans entrave, sans contrainte ni physique ni morale. Loin de la politique des hommes et des manigances du pouvoir, libre en tout point, de ses pensées et de ses actes, évidemment.. la jeune Vanes en avait rêvé. Culpabilisant pourtant, chaque matin, d'avoir envisager une vie autre que la sienne. Puisqu'elle n'était pas à plaindre, que sa vie était loin d'être aussi compliquée que celle de pauvres gens, qu'elle n'avait jamais connu ni la faim, ni le froid, elle se sentait bien sotte et combien malavisée de rêver de plus de liberté.

Puis.. Petit à petit, la petite fille rêveuse qu'elle était cédait de la place à une femme qui savait que rêver était insuffisant. Les rêves ne se réalisaient pas seuls.

Arrivé au parc le petit groupe désormais composé de la jeune Vanes, du loup et de deux Lions, se dirigeait tranquillement vers les fontaines et statues agrémentant le centre de cet espace de verdure. Certaines plantes étaient encore en pleine hibernation à cette période de l'année. Seules quelques fleurs nivériales égaillaient le parc de leurs couleurs chaudes. Les promeneurs, peu nombreux, saluaient Pandora avec politesse. La jeune femme rendait leurs salutations d'un léger mouvement du menton ou d'un sourire affable parfaitement mesuré.

Pandora perdit de vue son invitée imprévue pendant quelques secondes, suffisantes pour que cette dernière se transforme près d'un arbre. Il fallut un petit temps, pendant lequel la stupéfaction était clairement lisible sur ses traits délicats, pour que Pandora comprenne que la jeune fille totalement nue qui était apparue de nul part était en réalité la forme humaine de son interlocutrice. Elle paraissait si jeune. Si fragile aussi. La jeune Vanes ne s'était pas vraiment interrogée sur l'apparence humaine que pourrait revêtir ce qu'elle savait pourtant être une Yorka. Elle l'avait simplement acceptée comme elle lui apparaissait; une louve adulte avec un cerveau humain, plus certainement que ce qu'elle voulait bien s'avouer à elle-même. Une louve adulte. Pas une adolescente.

Voilà qui était perturbant et pas seulement pour Pandora. S'il était bien difficile de discerner quelque émotion sur les visages de ses gardes, l'émoi se lisait et s'entendait auprès des quelques promeneurs présents. Choqués par la nudité de la demoiselle, dans un premier temps, avant que leur attention ne soit détournée par le petit miracle qui se produisait, juste sous leurs yeux. Les plantes engourdies par la saison froide reprenaient peu à peu vie et couleur.

S'il était évident que ce petit miracle était l'oeuvre de l'essence divine de la jeune fille, il n'en restait pas moins que le spectacle était fascinant. Le parc prenait un air féérique, à se tenir là, luxuriant au coeur de niveria. L'adolescente se retransforma en loup et revint vers Pandora comme si tout cela était entendu, naturel. La jeune femme laissé sans voix ne su quoi dire, ce n'est qu'en percevant les nombreux regards qui se tournaient vers elle, porteurs de trop de questions, qu'elle se fit violence pour détacher son regard des fleurs multicolores qui parsemaient désormais les jardins.  

- C'est vraiment une magnifique magie.

La demoiselle de Vanes sourit et sa décontraction se propage à ses gens. Ils murmurent entre eux mais, ne s'écartent pas, certains prennent même place, comme s'ils attendaient un autre petit miracle. Si Pandora n'avait guère pu anticiper les actions de sa compagne, elle était pourtant bien venu ici pour une raison particulière.. qui allait bénéficier de l'improvisation de la louve.

Un Lion arrivait à son tour dans le parc, dans son dos, deux serviteurs portes un lourd paquetage. Couvert d'un tissu blanc, ils déposent avec une infini précaution le colis au pied de leur jeune maîtresse. Elle les remerciera rapidement avant de se tourner vers la yorka.

- Permettez-moi de vous présenter une toute autre facette de l'Humanité.

Un lion retira le tissu blanc au même moment, révélant un étrange instrument. Aussi haute que la demoiselle, faite de bois et de cordes par dizaines, la harpe était un instrument sans doute un brin extravagant, surtout au beau milieu d'un parc. Il y avait dans ses courbes et ses lignes droites, quelque chose de cocasse, d'inattendu. Comme si l'instrument n'avait pas tout à fait choisi sa forme finale, qu'il était encore à façonner. C'était, en tout cas, le ressentie qu'avait eu la demoiselle lorsqu'on lui avait présenté cette étrangeté, la première fois. Sans doute, cela l'avait aussi séduit.

La jeune femme s'assit sur le banc à côté d'elle et ses bras passant de chaque côté du lourd instrument, il semblait presque qu'elle l'enlaçait. Une étreinte qui jeta sur l'assemblée un silence attentif. Rares étaient ceux à avoir déjà entendu la petite princesse jouer. Au milieu du clapotis régulier de l'eau et du chant imperturbable des oiseaux, les premières notes s'élevèrent.

Pouvait-on retirer à l'humanité tout ce qu'elle avait pu produire de beau, au prétexte qu'elle avait le plus souvent, chercher à détruire ces oeuvres, à un moment ou à un autre de son histoire ? Pouvait-on enlever à l'Homme ce qui faisait de lui le plus grand architecte du monde, au prétexte qu'il ne respectait pas les codes prescrits par la nature ? Sans doute, la réponse dépendrait d'avis personnels plus ou moins arrêtés. Cependant, l'important n'était pas tant dans la réponse, que dans la question. Tout était-il malsain, destructeur, rageur et colérique, dans l'humain ? Tout était-il intouchable, pure, sacré, dans la nature ? Tout était-il noir ou blanc ?

Istheria était un monde peint de multiples couleurs, certaines peut-être, ne plaisaient pas à tous mais, on ne pouvait retirer au tableau cette palette sans laquelle il ne serait plus aussi singulier et beau. L'Humanité était une de ces couleurs, indéniablement, elle faisait partie du tableau. La question dès lors, se posait en nuances. Plus ni de noir inéluctable. Plus de blanc intouchable. Des nuances.

Sur la harpe courent les doigts délicats de la Rose, sur des notes harmonieuses, elle dessine l'Humanité en nuances multicolores. Qui voudrait voir le monde en noir et blanc ?

Alors que doucement la mélodie s'arrête, le temps reprend son cours et Pandora se demande si, elle a pu atteindre sa compagne.

« - C’était magnifique, je dois bien l’avouer, une telle sonorité est rare au sein des bois même s’il existe aussi de merveilleuse musique que les bipèdes peinent à apprécier. On juge très souvent les miens, mes frères, mes sœurs comme de simple tueur, de simple prédateur, nous réduisant a bien peu. J’ai rencontré après tout, bien peu de bipède appréciant d’entendre le chant d’une meute unis résonnant a travers les bois, appelant les lunes à nous répondre, à nous écouter. Mais je m’égare, j’aime beaucoup le morceau que vous venez de faire. »

La jeune Vanes sourit avec entrain, bien heureuse d'avoir peut-être semé une graine dans l'esprit fertile de la louve. Elle ne s'attacherait certes pas à la convaincre que l'humanité n'était pas aussi sombre qu'elle pouvait le dépeindre mais, avec un peu de chance et d'autres occasions, cette graine pourrait grandir. Et là où il y avait l'ombre de la menace et de la cruauté humaine, il y aurait peut-être aussi, un peu de couleur à nuancer.

Si Pandora espérait avoir planter une graine, elle était elle-même tout à fait consciente que le discours de la louve avait résonné quelque part en elle. La jeune femme ne s'était jamais vraiment interrogée sur la condition animale dans son duché, pas par désintérêt mais par simple ignorance. Ce qui n'était guère plus excusable. La jeune femme avait à coeur de prendre soin des habitants de son duché, de ceux qu'elle appelait et appellerait sans doute toujours; son peuple. Peut-être devrait-elle étendre ce concept à plus que les êtres humains. Si les animaux étaient bien traités cela ne pourrait qu'être bénéfique au duché.

« - Cela s’appelle donc une harpe ? Les sons qu’elle produit me fait penser à la fin de la saison froide quand la neige fait place au réveille des différentes plantes et que la glace fond, laissant l’eau soit s’écouler à la source d’eau la plus proche soit être absorbé par le sol. La douceur des gouttes d’eau frappant une par une la surface d’une étendue d’eau plus grande. »

C'était une très jolie analogie. Observant la louve jouer avec les cordes du bout du museau, Pandora sourit à son air curieux et bouleversé. Répétant le son produit en pinçant des doigts les trois mêmes cordes, elle l'invitait à recommencer. S'amusant de voir Loup apprendre, elle essayait de poursuivre la maladroite mais rafraichissante mélodie. Tout autour d'elles se réunissaient de plus en plus de promeneurs. Certains murmuraient entre eux, de plus jeunes venaient simplement un peu plus près, voir la "bête qui joue de la harpe". De plus hardis vinrent même jusqu'à l'instrument, eux aussi curieux de voir quels sons ils pouvaient tirer de cet étrange alignement de cordes. Les Lions, sur un regard de leur jeune maîtresse, laissèrent faire.

Puis, vint une femme, elle s'arrêta en face de Pandora encore inconsciente de sa présence. C'était une terran à l'allure sévère, cheveux blonds et air renfrogné, elle croisa les bras avant de se racler la gorge. La jeune Vanes redressa la tête alors qu'autour d'elle, Loup et bambins, faisaient vibrer la harpe sans se soucier de qui que ce soit. Son visage rayonnant se confronta à la statue d'acier qu'était sa gouvernante. Un petit :

- Oh..

S'échappa par mégarde. Elle avait, peut-être, oublié qu'elle avait quelques affaires à traiter au palais.. Peut-être avait-elle choisi délibérément des les "oublier". Sans pourtant se détacher de son éternel sourire, la jeune femme rabaissa son regard sur la louve.

- Je crains qu'il me faille vous laisser à présent. J'ai été ravie de converser avec vous et j'espère de tout coeur que vous retrouverez bientôt votre meute.

La demoiselle se redresse et les bambins s'écartent alors que les serviteurs approchent pour reprendre la harpe. Pandora lève légèrement la main pour les arrêter avec douceur.

- Laissez-les jouer, rien ne presse.

Elle se tourna une nouvelle fois vers Loup.

- Vous êtes évidemment libre de rester ou de partir quand il vous plaira, je crois qu'à présent, plus personne ne vous cherchera d'ennui. Prenez soin de vous, Loup.

Un sourire convaincu glisse sur ses lèvres. Avait-elle fait tout cela dans ce but ? Le parc du centre ville plutôt que la roseraie, la musique, le rassemblement ininterrompu des promeneurs et curieux.. Les regards qui se posaient à présent sur Loup avaient changés. Elle n'était plus un animal sauvage et dangereux dont il fallait protéger les enfants et vendre la fourrure. Elle était le Loup qui fait des miracles, le Loup qui joue de la harpe avec la Rose d'Eridania. Ce n'était pas qu'il n'y avait plus rien à craindre non, sa forme restait impressionnante mais, les Lions l'étaient eux aussi. Là où il y avait de la peur et de la cupidité, il y avait désormais de la curiosité et une forme de respect. Oh peut-être pas chez tous mais, cela n'avait guère d'importance, puisque les regards avaient commencé à changer, cela ferait sans doute boule de neige.

Petit à petit, touche après touche, le tableau pouvait changer, évoluer. De nuances en nuances, les couleurs pouvaient toujours s'harmoniser. Pour peu, peut-être, qu'on laisse le pinceau entre les bonnes mains. Ou les bonnes pattes.