Good Time Bad time

Les quartiers malfamés de Tyrhénium ne lui convenaient guère, mais elle s'en accommodait. Le plus frustrant pour elle était de se savoir observer et de devoir faire comme si de rien était. Ce n'était pas le moment de se faire remarquer. Connaissant remarquablement la ville, il ne lui fallut guère de temps pour parvenir au lieu du rendez-vous dans le bazar condamné. Il ne lui en fallut pas plus pour se retrouver devant du lierre envahissant.

" Il pourrait au moins faire des entrées qui semblent moins évidentes et louches... "

La jeune femme poussa alors un soupir navré et se retrouva alors devant deux entrées, dont l'une était plus miteuses que l'autre. Mais elle avait l'habitude de ne pas se fier aux apparences. Elle resta alors devant quelques secondes, attendant peut-être que quelqu'un vienne à sa rencontre mais rien. Nul autre choix que de toquer.

" Cette mascarade est vraiment ridicule. Comme si je n'étais pas attendu.... "

La gorgoroth frappa alors trois fois sur la grande porte en bois, suspecte autant que l'autre. On ne savait jamais quoi s'attendre avec un ladrini... et pour le coup, ce fut le cas. Ce fut une grand-mère qui vint lui ouvrir, le visage ravagé par le temps qui passe. Lorsqu'elle voyait des personnes âgées, cela lui rappelait que quelque part, elle ne se sentait pas si malheureuse de pouvoir demeurer jeune éternellement... enfin l'éternité étant relatif.

Rapidement, une voix résonna dans son esprit. Une télépathe? Elle avait horreur des télépathes, elle avait horreur qu'on lise dans son esprit. Qu'importe. Silencieusement avec son éternel air dédaigneux, elle sortit de sa ceinture l'invitation qui lui avait été envoyé. Elle la présenta simplement à la vieille dame et supposa qu'une fois vérifiée, elle se devrait de la suivre... mais pour où et pourquoi?

Instructions:

Tu refuses le dard.:

Si tu acceptes, le dard.:

A peine laissa-t-elle l'invitation qu'elle avait reçu entre les mains de la vieille femme, que Deirdre commença à regretter d'être venue. Pour une raison étrange, elle ne voyait pas en tout cela de bonnes augures, surtout quand la télépathe recommença son petit jeu de magie et réclama que l'on commença à vérifier si la gorgoroth ne cachait rien. D'ailleurs, cette dernière s'était dissimulée derrière la première. Cela manquait de fair-play.

" Je vois que la confiance est de mise.... Si je suis venue ici sans escorte comme demandé suite à une invitation non réclamée, et maintenant on me fouille.... avec délicatesse? "

Deirdre ironisait bien entendu la situation comme elle en avait l'habitude. Il fallait dire qu'en un sens, elle comprenait le procédé... mais c'était eux qui l'avait invité. Il la conviait et exigeait. Si ce n'était la curiosité, la jeune femme aurait refusé tout bonnement de venir.... surtout à savoir qu'une vieille femme allait passer ses mains ridées partout sur son corps. A choisir, peut-être que les choses auraient été plus agréables si il avait été question d'un bellâtre. Elle aurait sans doute moins rechignée à la tâche. Mais voilà que rien n'était encore terminée.

La plus jeune de ces hôtes lui présenta alors un dard. Autant vous dire que la première idée qui traversa l'esprit de Deirdre était de le mettre à un endroit guère convenable pour une dame à la vieillie pie qui en avait un peu trop profité. Quelle minable vie que de finir ces dernières années à jouer les fouilleur.

" Mais que voilà un objet charmant. On dirait que je ne peux y échapper de toutes manières. Il ne faudrait pas que je me sois déplacée pour rien et puis... je décevrais sans doute celui ou celle qui m'a envoyé son faire-part. "

A cet instant, le visage de notre commerçante pouvait se décrire comme étant animé par une grimace de personne blasée mais aussi dégoûtée. Mais avec grand étonnement, elle se plia aux règles et retira même la cape qui la recouvrait pour permettre à la jeune ladrini de lui placer l'effroyable dard qu'elle lui avait présenté. Non pas sans pousser de soupir ennuyé par la situation. Pas d'armes, pas de magie. Craignez-t-on donc ces réactions? Toutes ces précautions lui paraissaient démesurées... sauf pour son égo. Ce fut alors qu'elle se tourna et laissa faire les choses.

La sensation qu'elle ressentit était désagréable. La douleur représentait peu de chose. Son corps lui conférer moins de sensibilité que de son vivant. Cependant, elle se sentit soudainement vider de son énergie, comme si on la saignait ou qu'elle avait contracté on ne sait quelle maladie. Ho, en tant que gorgoroth, elle ne tombait plus malade mais cela lui rappelait de désagréable souvenir de faiblesse. D'ailleurs, elle ne put retenir un râlement. Il s'ensuivit ensuite le coup du bandeau sur les yeux ainsi qu'une longue marche qui avait sans doute pour but de lui faire perdre ses repaires. On ne lui avait rien épargné.... rien parce qu'elle finit devant une petite pièce avec en face d'elle un étrange homme à tête de fouine - c'était comme cela qu'elle le voyait avec son regard qui observait tout.

" De mieux en mieux... après la grand-mère, un rat du désert...  Pourrait-on enfin avoir l'amabilité de me dire pourquoi je suis conviée ici et traitée avec peu de prévenance? "

Deirdre se tenait impérieusement devant son interlocuteur, son regard toujours aussi acéré et avec son impudence naturelle. Certes, elle n'était pas dans une situation idéale et ne devrait certainement pas fanfaronner comme elle le faisait, mais pourquoi en serait-il autrement avec un tel caractère? Ne décevrait-elle pas son public? Toutefois, elle perdit rapidement de sa superbe et son désenchantement fut rapide quand le yorka se montra narquois. Les mots que prononça ce dernier sonnèrent de manière cinglantes dans son esprit, à tel point qu'elle eut envie de grincer des dents, contenant toute sa rage.

L'hypocrisie de ses "félicitations", ce terme de "brebis égarée"... de la "contrition"? Tout ce langage fleuri semblait être dicté pour titiller la corde de sa colère et son irritabilité. Comment osait-il la comparer à un membre ordinaire qui devrait des comptes à l'Ordre? C'était eux qui lui devait et certainement pas qu'un peu! Elle avait donné sa vie malgré elle aux ladrinis! Son talent et sa jeunesse, elle en avait fait cadeau et avait forgé une partie de la réputation de la caste pendant leur période dorée!

Elle contenait jusque là un sourire crispé et le regard sombre qu'elle lança au yorka laissait clairement comprendre qu'elle aurait aimé lui extirper cette expression de satisfaction sur son visage. Mais elle se contint du mieux qu'elle put, bien que le ton appuyé de sa voix marquait clairement son désappointement.

" Des... circonstances atténuantes avez-vous dit? Des circonstances atténuantes.... appelons cela comme ça.... se faire assassiner, voilà une excuse tout juste acceptable... et en plus, dans votre grande charité, vous avez l'audace de prétendre me pardonner? "

Deirdre se rapprocha de la table qui la séparait de son camarade, posant devant lui un poing de métal aussi froid et dure que le regard qu'elle planta dans ses yeux. Il y avait tant de haine qu'un seul mot prononcer par l'impudent lui aurait valu d'avoir la gorge arrachée.

" Vous n'êtes pas en droit de me réclamer quoique se soit. Je ne vous dois rien et vous me devez tout. Tu n'es qu'un misérable insecte qui croit jouir d'un grand pouvoir, mais ta présence ici dans cette pièce ne fait que montrer l'homme pathétique que tu es, dans l'ombre, misérable, à devoir m'interroger enchaîner à des artifices pour me priver de ma magie. Penses-tu réellement dominer cette conversation? Penses-tu réellement que je me suis égarée? Ta naïveté est risible Yorka car tu ne sembles pas savoir à qui tu as à faire. Souhaites autant que tu veux, car moi j'exige. Voilà la différence entre toi et moi. "

La jeune femme recula avec une expression de dédain.

" Petit rat, il me serait tellement facile d'écourter ta vie. Mais j'ai pour habitude de me montrer magnanime.... comme l'organisation. Je trouverais cela injuste de te priver des quelques années qui te restent, moi qui ait vécu ta vie au moins trois fois. "

La gorgoroth eut un sourire carnassier, avant que son sérieux ne reprenne le dessus sur la situation.

" Les ladrinis d'aujourd'hui n'ont aucun panache, pas comme à mon époque. L'organisation a bien plus besoin de moi que le contraire. J'ai mon réseau, j'ai de l'argent. J'ai jusque là parfaitement vécu mon indépendance. Et je n'oublie pas que c'est un ladrini qui s'est retourné contre moi. Je suis la seule en position d'exiger une compensation et c'est à l'organisation de faire preuve de contrition. Si je dois revenir, ce n'est certainement pas avec un sous-fifre que je négocierais. "

Les cartes étaient distribuées...

La jeune femme était fière, trop fière sans nul doute. Mais elle avait bien évidemment ses raisons. On lui faisait des petits secrets, on la traitait comme une vulgaire personne, on la conviait de force et maintenant le petit rat jouait les malins en voulant fermer les négociations? Cela avait le don inimaginable de l'irriter... mais elle ne se laissa pas faire. Loin de là.

" Oh? Alors vous considérez encore que vous êtes le maître du jeu? Je sais pertinemment que vous n'êtes pas celui qui m'a fait venir ici. Et vous continuez à me sortir le grand jeu de l'homme outré? "

La gorgoroth afficha un grand sourire puis elle se mit à se promener dans la salle obscure, tournoyant autour du yorka, avec cette furieuse envie de lui écraser le visage contre la table. Et autant vous dire que l'envie était forte, et bien plus encore quand elle le voyait les bras croisés avec condescendance.

" Si ma curiosité n'avait pas été titillée, vous vous doutez bien que je ne me serez pas déplacé jusque dans vos taudis, ni même abaissée à me soumettre à vos... sécurités. "

Deirdre se posta alors derrière le yorka, et s'accouda sur le dossier de son interlocuteur, les bras croisés, et continua son monologue de sa voix incisive. Elle sifflait comme un serpent et il était difficile de savoir comment elle pouvait réagir. C'était après tout un trait caractéristiques de sa personnalité, son impulsivité lorsqu'elle était devenue irritable.

" Comme je vous l'ai dis tout à l'heure, j'aimerais que mon entretien se passe avec le véritable investigateur de cette invitation. On n'appâte pas une mouche avec du vinaigre l'ami... Et les règles de politesse voudrait que l'on accorde un peu plus d'attention à son invité. Je ne pense pas que ma demande manque de légitimité. De plus, vous ne m'avez pas demandé pour si vite me renvoyer, non? Cela n'aurait aucun sens d'organiser toute ce manège théâtral pour n'en rien obtenir. "

La commerçante abandonna son poste pour s'assoir négligemment sur la table, croisant les jambes et portant toujours son regard moqueur sur le yorka qui ne faisait que son travail, exécutant les ordres dont on ne sait qui.

" J'aimerais que l'on cesse à présent de tourner autour du pot et que vous me disiez clairement ce que vous souhaitez. Me réintégrer? Pourquoi pas. Vous me devez beaucoup... mais pourquoi maintenant? Cela fait déjà bien des années que je ne suis plus à votre service.... et je ne me suis jamais cachée non plus. Si vous aviez des comptes à régler, vous seriez venu me chercher bien plus tôt. Mais voilà que vous avez besoin de.... comment avez-vous dit déjà? Ah oui! Mes expertises. Mes questions seront alors bien simple : pourquoi et qui.  "

Notre ancienne voleuse était désireuse de savoir ce qui se tramait, mais bien plus de quitter ces lieux sordides. Après tout, comme elle n'avait de cesse de le dire, elle n'était pas une invitée quelconque.

Les manœuvres d'intimidation de base ne semblaient guère fonctionner, mais il fallait tout de même donner le change. Elle n'était pas le genre de femme à abandonner la partie, surtout face à des individus qu'elle jugeait indésirables. En un sens, elle était plutôt mauvaise joueuse. Quoiqu'il en fut, elle prit son temps avant de quitter la table sur laquelle elle avait prit place, non pas s'en lancer une petite pique au passage.

" Civil? Je suppose que nous n'avons pas la même définition de ce mot. Il aurait été plus civile de ne pas m'enfoncer une écharde pour me priver de mes pouvoirs, ni de me faire escorter comme si j'étais une prisonnière. "

En attendant, elle finit par se résigner et prendre le siège qui lui était indiqué. La gorgoroth croisa les bras ainsi que les jambes, et nonchalamment adossée, elle écoutait du mieux qu'elle pouvait. Elle n'avait jamais été bonne élève mais cette nature frivole faisait partie d'elle et de son charme. Si elle eut été une personne douce, son mordant manquerait au monde.

Le yorka lui rappelait les bases de l'organisation, et elle ne put s'empêcher de rouler des yeux. Ce n'était pas à elle, qui était plus âgée, qu'il allait lui apprendre le fonctionnement du réseau des ladrinis. C'était d'ailleurs tout là l'intérêt de la caste, son étendu, le fait que l'on puisse trouver qui l'on veut aux quatre coins de la rue... Puis elle le laissa parler et discourir. Il fallait dire qu'il lui rendait bien tout son fiel, mais cela allait difficilement changer l'opinion qu'elle s'était faite sur ce dernier. Bien au contraire, cela la faisait grincer des dents, et elle ne s'en cachait pas vraiment. Ce qui l'agaçait plus que tout, n'en demeurait pas moins les informations erronées qui courraient à son propos.

" Avant d'aller plus loin, permettez-moi tout de même de corriger... vos informations qui semblent pour le moins douteuses. Je vous ferais remarquer que je n'ai jamais changé de nom. Je n'ai jamais vécu sous le moindre pseudonyme sauf quand je travaillais sous couverture, et Luberym est le nom que je me suis offert bien avant d'entrer parmi les ladrinis. Pour ce qui est de mon apparence, je ne me rappelais qu'il existait une close qui indiquait que je n'en avais pas le droit. "

Lorsqu'elle tint ses propos, elle ne daigna même pas regarder son interlocuteur. Elle rappelait les faits en appuyant sur certains mots pour marquer son agacement et commença à se balancer sur son siège comme une enfant qui s'impatientait... jusqu'à ce qu'il parle de chose un peu plus concrète. Un défi? Voilà qui était bien plus passionnant que leur chamaillerie. Deirdre cessa de jouer avec sa chaise et s'accouda à la tabl avec un sourire carnassier.

" Haaaa! Enfin! Nous parlons enfin travail. N'était-il pas plus simple de commencer par là? Quant à mes compétences, si vous pensiez qu'elles n'étaient pas suffisantes, je suppose que vous n'auriez pas pris le temps de me convoquer. Mais j'ai besoin de plus de précision. Le pourquoi, je m'en moque considérablement. Le qui, ne me surprend guère plus. Le quoi, manque cruellement de détail. A combien s'élève la valeur du solde de nos braves de Tyrhénium? "

L'imagination de Deirdre n'avait pas de limite quand il s'agissait d'argent. Il valait mieux ne pas la faire trop rêver...

Les affaires sont les affaires. Même les clients les plus irritants devaient être entendu. Deirdre était certes têtues, mais elle était capable de mettre "légèrement" sa fierté de côté lorsqu'elle souhaitait quelque chose. Bien qu'elle ne soit pas à l'origine de ce rendez-vous mesquin, il y avait là une opportunité non négligeable pour sa petite entreprise. Réintégrez les Ladrinis lui donneraient un accès de bien plus d'informations que son réseau personnel. Ses "petites fourmis" étaient douées, mais elles étaient pour beaucoup des amatrices. Il lui faudrait un autre calibre de personnes pour atteindre ses objectifs.

Malheureusement pour elle, elle était tombée sur le plus agaçant des yorkas, sans doute plus impudent qu'elle-même, et c'était à lui qu'elle devrait rendre des comptes dans l'immédiat. Mais voilà qu'il parlait d'argent et en moins de temps qu'il ne le fallut, il avait enfin réussi à capter son attention.

Accoudée sur la table, son grand sourire aux lèvres, ses yeux se mirent à briller comme les milliers de dias dont il faisait mention. Et puis soudain, elle fut prise d'un rire étrange, d'un fou rire même qui l'obligea à se tenir les côtes. Il lui fallut cinq bonnes minutes pour retrouver son calme.
Toujours sur sa chaise, elle s'adossa et pencha la tête en arrière, le regard aussi fou que rêveur.

"  800 000 dias.... 800 000 dias.... il y aurait tant de chose à faire avec cela.... qu'il est malheureux de penser que je n'en toucherais rien, non? Et dire qu'ils étaient là, non loin de moi! Il me suffisait de tendre le bras et voilà que je me suis faite passer devant... quel dommage...Arrrg... "

Puis elle se redressa d'un coup, aussi violemment que fut sa crise de rire. Elle donnait l'impression d'avoir reçu un électrochoc mais c'était l'excitation qui lui redonna de l'énergie. Bien entendu, on pourrait croire qu'elle avait eu une idée pour mettre elle-même la main sur le trésor de la garnison, mais elle savait très bien qu'elle ne pourrait pas tromper un ladrini si facilement, ce serait une condamnation. Et puis comme leur proposition était de les réintégrer - bien qu'apparemment pour eux, elle ne les avait jamais quitté - elle ne démarrerait pas sur une bonne base. Plumez quelqu'un était une chose, mais fallait-il encore choisir la bonne cible.

"  Sachez que je relève le défi. Qu'est-ce qu'une garnison contre Deirdre Luberym? Rien. Envoyez-moi toutes les modalités nécessaires sur l'endroit où ce trouve le magot. Dans quel lieu voulez-vous que l'argent soit déposer et pour quand. Le reste, je m'en chargerais sans problème."

Sa voix était claire et la gorgoroth semblait particulièrement sure d'elle. Nul temps pour elle de rester à bavasser pour se prendre la tête avec celle qui lui servait d'intermédiaire. Faisant signe qu'il était temps de la laisser partir, elle désigna l'épine qui lui privait de sa magie avec une certaine impatience. Il y avait beaucoup de chose à faire.

Remontez à bloc, il était temps pour elle de préparer sa future mission. Elle devait préparer son jeu et placer ces pions...