[TERMINE] [QUETE] Mon amour de femme fatale

Belle progression, malandrin ! Il faut croire que Lamia vous a bien enseigné. Hélas, vous êtes visiblement meilleur élève que chanceux.

Si la garde du domaine est bien accaparée à l’intérieur et au-devant du châtelet, une sentinelle semble avoir senti venir le coup et s’est précipitée vers vous – une magie d’omniscience à l’œuvre, peut-être. Elle est armée d’une lance et vous a repéré, et si sa course n’avait pas émis un bruit sourd sur la pelouse, vous ne l’auriez sans doute pas entendue. Un petit coup d’œil par-dessus votre épaule et vous pourrez constater qu’il s’agit d’une jeune femme puissante à la carrure athlétique. C’est le moment de faire usage de vos grandes jambes, docteur.

La chance finit toujours par tourner. C’est ce qu’une collègue d’Ocello disait souvent et un peu n’importe quand parce que cela n’était pas toujours à propos. Mais c’était vrai. Le cambriolage s’était déroulé sans accroc, son pouvoir pourtant encore instable ne lui avait pas failli et il était parvenu à redescendre sans se casser un seul os. Il était temps que le destin s’occupe de son cas. Avant de jeter un œil derrière lui, Oscuro modifia entièrement les traits de son visage ; il se transforma en une jeune fille pâle au long nez et aux vilaines cicatrices. Et une fois que son cœur eut fait un aller-retour entre sa poitrine et ses bottes, il se mit à détaler.

Derrière lui, les pas pressés de la garde semblaient sonner comme un glas. Les enjambées du Syliméa devinrent gigantesques et son souffle haletant, il traversa ainsi tout le jardin dans l’ombre des arbres, bondissant parfois par-dessus les buissons qui se dressaient traitreusement en travers de son chemin. Alors qu’il s’approchait du muret qu’il devrait, par miracle, escalader en un éclair, il vit une longue masse sombre s’étendre à ses côtés et le rattraper sans mal. On aurait dit que la pénombre du soir avait pris vie pour faire la course avec lui. Et elle gagnait.

Bientôt, de longs bras noirs comme le jais se refermèrent devant lui, formant une prison de vide autour de son corps qui, bien qu’il courût encore, n’allait plus nulle-part. Ses jambes moulinaient dans le vide, ne rencontrant plus aucun obstacle, pas même le sol. Le docteur lâcha un juron des plus grossiers ; cette magie était bien curieuse et si elle continuait à se répandre à cette vitesse, il deviendrait très vite aveugle. En se tortillant, il constata que la masse noire n’était pas infinie et que sa cellule immatérielle n’était en fait pas fermée dans son dos. Son autrice, en revanche, était bien là, à encore quelques mètres, la lance tendue en avant. Il laissa la panique lui serrer les entrailles brièvement, et puis il se souvint qu’il était Oscuro Sogno, un Syliméa doué de magie, et un homme insaisissable.

C’est le protège-tibia de la sentinelle qu’il prit pour cible, car il était indéniablement très rigide mais pas si large, ce qui en faisait un objet relativement léger. L’essence divine du Syliméa n’étant plus à son maximum, la pièce d’armure ne se figea pas complètement ; elle pivota plutôt et parut se coincer contre la genouillère. Dans son élan d’athlète, la jeune femme trébucha en poussant un hurlement de douleur. Sa vilaine chute ne put que se solder en une cheville amochée.

La bulle magique ondoya maladroitement et s’affaissa, libérant sa proie qui tituba au moment de retomber sur terre. Il songea bien à s’approcher de sa poursuivante pour lui confisquer son arme, mais ce n’était pas le moment de faire le fier… Et son rythme cardiaque le lui interdisait formellement.

Oscuro fit volte-face et se rua vers le muret du fond de la propriété. Il fit gonfler ses muscles cruraux et amincit son torse afin de l’alléger, se hissa par-dessus la pierre et se laissa tomber de l’autre côté. Il ne lui restait plus qu’à glisser le long du talus et disparaître dans les rues.

Il finit par ralentir le pas, peu désireux de s’épuiser. Mine de rien, il était à bout de souffle, et la peur avait fait naître dans son crâne une sacrée migraine. Pressant sur son sternum avec deux doigts, il pencha la tête en arrière et s’efforça de respirer profondément, sans pour autant cesser de progresser. L’avenue était presque vide, il serait facilement repéré si la garde était du genre zélé.

Et quand une voix retentit au loin qui lui ordonnait de s’arrêter, il put constater que Seigneur Sifo-Dyas engageait effectivement des passionnés.

On n’échappe pas si facilement à la garde d’un bourgeois aussi fortuné que celui que vous venez de cambrioler ! Même avec une cheville en vrac, la jeune femme est parvenue à vous suivre, et d’ailleurs… Ne serait-ce pas là le doux chant d’une multitude de pas pressés ? Vous ne pensiez tout de même pas qu’elle ne sonnerait pas l’alerte ?

Vous devez désormais échapper à toutes les sentinelles présentes ce soir, une belle dizaine de fantassins armés et extrêmement bien payés. Courir, c’est bien, mais cela ne suffira pas, docteur.

Un grognement exaspéré lui échappa, fataliste. À quoi bon rester silencieux dans cette artère déserte, sous les yeux de celle qui l’avait repéré ? Il était même inutile de changer d’apparence : elle avait pu voir ses atours de près. La tête baissée à la manière d’un taureau qui charge, il reprit sa ruée, choisissant d’ignorer le martèlement des pas dans son dos qui trahissait la participation d’une belle dizaine d’autres gardes. Ce n’était pas le moment de s’inquiéter des multiples dons et magies qui lui couraient après, et des mille façons dont il pouvait se faire attraper.

Malgré son effort et les douleurs qu’il éveillait, il parvint à se rappeler les conseils que lui avaient donnés Lamia, et notamment sa leçon sur les meilleures façons de prendre la fuite. Privilégier les ruelles sombres, ne pas hésiter à prendre de la hauteur, ne pas hésiter à pénétrer dans les habitations… Connaître au mieux les capacités de ses poursuivants. Oscuro ne pouvait, hélas, pas honorer la sagesse de la voleuse sur ce dernier point, et Kron sait qu’il aurait aimé… Mais les ruelles sombres ne manquaient pas à cette heure de la journée, et aux abords du quartier résidentiel, elles étaient parfois longues, sinueuses, et communicantes les unes entre elles. En somme, un labyrinthe ténébreux s’offrait à lui. On comptait même un grand nombre de petits ponts qui enjambaient un ruisseau et sous lesquels il était aisé de disparaître.

Le Syliméa bifurqua brutalement vers la gauche, puis la droite, dévala une longue volée de marches, glissa sous des colonnes… À chaque coin, il choisissait une nouvelle direction, espérant que le ciel nuageux et les longues toitures l’engloutiraient suffisamment. Malheureusement, la clameur des sentinelles finissait toujours par se rapprocher. Leur démarche était furieuse et il pouvait entendre une voix rauque donner des ordres aux autres. Parfois, des bruissements le faisaient sursauter autour de lui, et il croyait voir, dans l’obscurité des arrière-cours, des yeux luisants se poser sur lui avec délectation.

Bien vite, le docteur songea que la course effrénée était plus plaisante que cette angoissante partie de cache-cache. Il sentit son cœur s’emballer, encore une fois, et la sueur glisser sur son front. Fugace mais insidieuse, il eut une pensée pour Lamia et sa diversion qui n’avait finalement pas suffi. Lui ferait-il savoir ? Sa colère était grandissante car il lui en voulait profondément, mais il était hors de question de laisser paraître une quelconque faiblesse, pas devant quelqu’un d’aussi imprévisible que Lamia Akasha. Enfin, conclut-il, pour mentir à la belle sur son échappatoire, encore fallait-il en sortir vivant. Il tira sur son capuchon comme s’il pouvait le baisser davantage et se remit en marche à l’ombre d’une glycine touffue.

Un long quart d’heure s’était écoulé quand le malheur le frappa de son doigt insistant. Alors qu’il prenait à droite après un étroit passage, il déboucha à quelques pieds d’un soldat qui l’interpela aussitôt. Jouer les innocents aurait peut-être fonctionné, mais ce n’est pas ce que son instinct lui suggéra ; son cœur sombra dans son estomac et il prit immédiatement les jambes à son cou.

La sentinelle le prit en chasse, cela dit, faible signe qu’au moins un Dieu était de son côté, elle n’était pas aussi rapide que la première. Il s’agissait d’un homme plus large et plus lourd qui ne s’épuisait pas mais dont le rythme ne rivalisait pas avec sa collègue, et pas non plus vraiment avec Oscuro. Les traits du Syliméa se déformèrent sous la douleur d’une pointe de côté mais il n’abandonna pas… Pas avant une petite minute. Quelques secondes…

Il faillit déraper en tournant à gauche pour mieux se retrouver sur une allée bien plus large et, cette fois, fréquentée. Au loin, deux personnes étaient affairées devant la devanture d’un établissement, une charrette était postée de l’autre côté, et une autre s’éloignait au trot. Elle transportait un tonneau et plusieurs caisses et n’était clairement pas assez large pour accueillir un passager clandestin – du moins, pas un adulte… Les yeux d’Oscuro s’écarquillèrent quand une idée brillante lui traversa l’esprit.

Comme si l’espoir-même avait été chargé dans cette charrette, il se rua dessus en oubliant même de respirer. Il s’y accrocha aussi fermement que possible en appuyant ses pieds sur le châssis, se hissa dessus en renforçant encore les muscles de ses bras et de son torse – il les fit enfler si fort qu’il se retrouva parfaitement difforme l’espace d’une seconde – et puis il laissa tomber tous ses effets dans la remorque.

Le garde déboula dans l’avenue, le souffle court, et tourna plusieurs fois sur lui-même. Il hurla sur les deux commerçants qui bredouillèrent sans comprendre, et scruta les alentours, en vain. Il ne vit qu’une charrette vide, une autre pleine de caisses et clairement pas assez large pour accueillir un passager clandestin… Et un petit papillon de nuit qui s’envolait vers une lanterne.

Félicitations ! Votre subterfuge a fonctionné et vous êtes désormais hors de danger. Vous avez dérobé l’artefact avec succès… Maintenant, il va falloir le cacher.

Vous obtenez Garadvishu, l’épée maudite !