[QUETE] Dans les entrailles de glace

Courte chaîne séparant les terres cimmeriennes de l’océan, les Monts Brillants avaient un aspect curieux car ils semblaient avoir été étêtés. Leurs versants étaient aussi escarpés que ceux de leurs voisines septentrionales et orientales, mais aucun pic ne se dressait au-dessus des nuages. Leurs sommets étaient plutôt de longs plateaux, parfois incurvés, qui paraissaient récolter la neige comme on récolte l’eau de pluie.

Au tiers environ du chemin entre le pied d’un de ces monts et son sommet, aux abords d’une ouverture dans la roche glacée, un groupe d’une dizaine d’individus s’affairait. Ils se trouvaient au croisement de trois sentiers, dans un renfoncement qui avait clairement servi de campement à de nombreux aventuriers au fil des âges tant l’espace dépassait en largeur le reste de la route. Ce qui, au premier abord, ressemblait à onze Gélovigiens, œuvrait à dégager l’entrée de l’antre devant laquelle un éboulement avait laissé un grand tas de gravats gelé. On apercevait encore quelques runes sur les tuiles bordant l’embrasure, ainsi qu’un morceau de la sculpture qui scrutait autrefois les voyageurs trop téméraires. Grâce à ces décorations antiques, les fidèles de Sharna avaient eu la certitude qu’ils étaient bien au bon endroit.

Lorsque les débris furent suffisamment dégagés, les trois plus larges prêtres et prêtresses entrèrent précautionneusement, le pas prudent et les lèvres scellées. Ils ressortirent quelques instants plus tard, l’air satisfait. L’un d’eux s’adressa à une quatrième personne de haute carrure.

« – C’est bien là. Le couloir continue sur une quarantaine de pieds, tout droit, puis débouche sur une large pièce un peu en contrebas. On a désactivé deux pièges donc la voie est libre. Il y a tout un tas de trucs, en revanche… Et il accompagna ses mots d’un haussement d’épaule en faisait glisser son regard vers ses confrères plus menus.

– C’est parfait, faisons vite. »

Parmi les pilleurs, trois restèrent constamment à l’extérieur pour monter la garde. De temps en temps, le plus chétif d’entre eux semblait devenir translucide et cessait complètement de bouger. Lorsqu’il redevenait palpable et mobile, il adressait un petit signe de tête affirmatif à ses collègues et se remettait à discuter avec eux en signant.

L’intérieur du caveau était évocateur d’un bazar sur les étals duquel on aurait exposé des centaines d’objets de belle facture dans le plus grand désordre. Un immense coffre était rempli de pierres précieuses dont quelques-unes de sphène. On comptait des douzaines d’épées et de lances, plusieurs haches, marteaux de guerre et fléaux, des arcs et des arbalètes, des hallebardes, des boucliers, mais également des instruments de musique et même deux peintures que l’humidité ne semblait pas avoir affectées. Au centre de ce fouillis se tenait, béant, un immense cercueil de granit taillé. Son couvercle gisait à ses côtés, brisé en deux, et les visages qui y avaient été sculptés avaient été consciencieusement détruits.

On entama la fouille en usant de magie et d’artefacts afin de faire le moins de bruit possible malgré la résonnance inévitable de la glace. Les trouvailles jugées intéressantes étaient amassées dans de grands sacs de toile qui seraient ensuite chargés derrière un cheval de traie. Un grand nombre d’armes étaient délaissées, car si elles étaient élégantes, elles étaient d’âge canonique et n’avaient pas été entretenues depuis des siècles. Après inspection, les œuvres d’arts furent évaluées comme étant enchantées mais inutiles, et demeurèrent également intouchées.

Plus de deux heures avaient passé lorsqu’on demanda à Kreen de venir voir quelque chose. Elle était penchée sur un coffret depuis un moment mais n’y avait trouvé qu’un catalyseur vide et commençait à se demander si le butin actuel était bien ce que le Baron et sa clique espéraient, car même s’il était conséquent, il n’avait rien d’exceptionnel. C’est Lokreshaat qui vint la chercher, les yeux animés d’une lueur d’excitation.

« – Il semblerait qu’il y ait un passage dissimulé derrière une colonne factice très vieille qui ne fonctionne plus vraiment. »

La commandante ne prit pas le temps de répondre ; elle se leva d’un bond et traversa le caveau en trottant derrière Véloce. Un voile iridescent semblait danser devant la glace qui, lorsqu’on la touchait, émettait un son ondulant. De toute évidence, la magie qui protégeait cette arrière-salle avait tenu très longtemps mais elle commençait à s’essouffler. La Gorgoroth fit signe de sonder les alentours et ordonna qu’on fasse venir Setsyn, une prêtresse dont les pouvoirs permettaient une localisation rapide des objets magiques. Il ne lui fallut que quelques minutes pour comprendre qu’on avait enchanté du quartz et qu’on l’avait disposé dans des creux invisibles. Il suffisait de l’éclater pour libérer l’entrée du passage.

Les mages les plus à même de résister aux pièges s’engouffrèrent en premier, puis ils confirmèrent que les lieux étaient plus ou moins sûrs – il resterait de petites créatures à abattre dans les coins et il serait déconseillé de passer trop de temps dans cette zone, informèrent-ils. Kreen et Tahand’oor passèrent et débouchèrent sur une seconde pièce, plus haute de plafond mais bien moins profonde, au cœur de laquelle trônait, sur un piédestal naturel, quelque chose qui les laissa bouche-bée.

Là, au cœur des montagnes, au bout d’un chemin de glace sombre et sinueux, dormait une armure complète magnifiquement raffinée. L’épaulière droite, très bombée, était plus large que la gauche, qui elle était forgée en forme de tête d’aigle. Le plastron était ouvragé d’arabesques qui renforçaient habilement le cœur de l’armure. La braconnière et les tassettes étaient travaillées de la même manière, tandis que les cuissards, les grèves, les genouillères, les canons et les gantelets présentaient des motifs plus figuratifs, semblables à de longues feuilles d’acanthe. L’équipement semblait scintiller dans son écrin de glace, reflétant dans l’argent poli l’azur polaire qui le protégeait.

Il n’y avait aucun doute.