Sous la lumière des lanternes

Dans sa robe de bal, Naïa attendait dans la rue. Elle n'attendait pas n’importe qui, elle attendait celui qui lui avait promis de s’enfuir avec elle.

Bien sûr, elle n’était pas sérieuse. Elle ne pouvait s’enfuir définitivement… Elle avait des obligations et s’était juré de les tenir. L’honneur de sa famille se devait de passer avant son propre bonheur. Mais ce soir… Aaaah ce soir… Tout semblait tellement simple. Peut-être était-ce grâce à la présence d’Alba Tor. Où plutôt devrions-nous dire Harl Ock ?

Elle avait un petit sourire en coin à la pensée de cet étrange Zélos. Elle avait passé tout le bal en sa compagnie et voilà qu’elle s’apprêtait à passer la nuit avec lui. Fuir… Fuir son statut de future comtesse le temps d’une nuit. Elle tournoyait doucement en repensant à la musique et à cette étreinte qu’il avait pu y avoir entre ces deux-là. Assurément, le sourire serein qu’elle arborait était celui de l’amusement et de la joie. Peut-être que si son père était encore en vie et présent, il aurait pu lui demander : “Qui donc te fait sourire ainsi, ma fille ?” et elle n’aurait rien répondu, gardant ce secret rien que pour elle.

“Vous êtes tout bonnement et simplement magnifique.” lui avait-il dit alors qu’il embrassait le dos de sa main. Elle se souvenait de cette sensation. Cette sensation qui avait fait accélérer les battements de son cœur. Il n’était pas le premier à lui dire qu’elle était une jeune femme magnifique. Mais elle avait eu le sentiment que cette phrase sortait tout droit de son esprit, sans qu’il n’ait nul besoin d’y réfléchir.

Elle chantonnait devant l’auberge où elle l’attendait. Les lanternes semblaient s’être envolées très haut dans le ciel et Naïa les regardaient avec des yeux d’enfants. Cette soirée était tout simplement magnifique et elle se devrait d’écrire une missive à Pandora. Une qui l'excuserait de ne pas être venue la saluer et une autre où elle remercierait chaleureusement la Rose pour cette soirée des plus délicieuses. C’était la moindre des choses après tout ?

Elle savait que Clyde se chargerait de ce devoir à sa place. Peut-être même avait-il déjà parlé à Pandora pour l’inviter à Ditham. Clyde… Elle gloussa d’un petit rire en pensant au fait que le rouquin devait certainement la chercher partout dans le palais des Vanes. Elle ne l’avait pas prévenu de son départ. Il fallait dire aussi qu’elle ne pourrait pas lui sortir : “Clyde, je prends la fuite avec Harl. Pas un mot de tout ça à mon oncle.” Non, c’était clairement une mauvaise idée. Il valait mieux le laisser chercher.

Mais avait-elle réellement bien fait ? Soudain, une angoisse commençait à l’envahir. Une parole prononcée bien plus tôt par le Zélos : “Je vous dirais même de rester vigilante, je pourrais très bien vous enlever !”

Certes, quand il avait prononcé cela, il y avait cette petite lueur dans les yeux qui signifiait qu’il en riait. Sauf qu’à ce moment-là, Naïa n’avait pas vraiment su comment réagir… Une parole d’Aleksiel lui revenait en mémoire. Des paroles semblables bien que différentes. Sauf que lui, il était réellement passé à l’acte. Provoquant chez Naïa, un traumatisme encore bien présent. Elle commença à se mordiller les ongles. L’angoisse naissait en elle face à cette idée. Mince ! Peut-être qu’elle aurait dû en parler à Clyde finalement. Où, peut-être qu’elle devrait monter dans sa chambre pour prendre son épée ? Même Vhenan’ra pourrait être contente de prendre l’air et, aussi, lui servir de protection si jamais les choses venaient à mal tourner ?
Devait-elle faire ça ? Et prendre le risque de rater le Zélos ?

Non, elle ne voulait pas. Elle était persuadée qu’Harl n’était pas comme ça. Tout en lui respirait la gentillesse, et surtout, la maladresse. Cette maladresse qui en faisait presque son charme… Elle riait discrètement en repensant à ses paroles, son audace et ce petit sourire qui se dessinait parfois sur ses lèvres, prouvant à quel point l’homme était certainement un filou. Non. Assurément, elle pouvait lui faire confiance. C’était tout simplement une taquinerie bien mal placée de sa part.

Autre chose lui vint ensuite en mémoire. Cette proximité entre eux bien avant de se séparer… Aussitôt, son visage reprenait des couleurs vives. Si bien, qu’elle se cacha derrière ses mains et soupira comme une adolescente qui ressentait ses premiers émois amoureux. Amoureuse ? Non. Elle n’était pas amoureuse, mais c’était rare, pour elle, de voir un homme qui lui semblait sincère et qui se moquait de sa position de future Comtesse. Pendant tout le bal, il l’avait aidé à se sentir merveilleusement bien et pour ça, elle lui en était reconnaissante.

La ville d’Heldor semblait en fête et Naïa pensait qu’il serait aisé de se fondre dans la foule. Même si, avec sa robe de bal, elle ne passerait certainement pas inaperçue. Doucement, elle commença à détacher ses cheveux quand elle entendit un bruit de pas et une voix qui lui semblait reconnaissable entre toutes.

Elle releva son regard et se dirigea vers le Zélos. Il était venu. C’était comme un soulagement qu’il ne l’ait pas abandonné. Elle avait pris soin de lui laisser son masque, pourquoi avait-elle fait ça ? Un souvenir. Se rappeler peut-être à lui ? Sa parole de fuir avec elle. Où bien de venir un jour à Ditham.


“Vous voilà, soufflait Naïa dans un sourire ravi, navrée d’avoir disparu ainsi tout à l’heure… Je suis contente de vous revoir.”

Doucement, elle attrapa une des grandes mains du Zélos et commença à s’avancer dans les rues d’Heldor en sa compagnie :

“Alors, puis-je savoir où vous comptez fuir avec moi pour cette nuit ?”

Un sourire charmeur se dessinait au coin de ses lèvres. Si le bal était terminé pour eux, la nuit ne faisait que se poursuivre… Ce projet qui pouvait être exaltant… Où bien de romantique ? Aucune idée, mais la nuit promettait d’être belle.

Ils étaient ainsi là, tous deux à se regarder mutuellement sous une flopée de lanternes. Le moment était magique pour ne pas dire… Presque romantique.

Dans le fond, que voulait Naïa ? L’amour, elle n’en parlait qu’à travers ses chansons. Autrement, elle avait bien remarqué les dommages que cela pouvait causer dans le temps… Entre son père qui n’a jamais voulu se remarier après la disparition de la mère de la Sindarine, Aleksiel et son amour peut-être un peu trop effrayant au point de l’avoir marqué à vie… Même dans ses propres chansons, Naïa racontait souvent un amour impossible où à sens unique. C’était peut-être d’ailleurs pour cette raison qu’en cent cinquante-six ans d’existence la douce Naïa n’avait eu personne dans sa vie. Pas même une petite amourette de jeunesse. Là-dessus, nous avions tout ce qu’il y avait de plus candide. Ou presque si on enlevait sa vision légèrement pessimiste par moment.

Pourtant, avec Alba, elle se sentait légère et prête à partir au bout du monde. Pas forcément par amour mais parce qu’elle avait cette sensation de pouvoir être elle-même sans obtenir la crainte d’un abandon ou d'un enlèvement provoqué par un psychopathe.

Alba l’a fit sortir de ses pensées en répondant à ses excuses. A vrai dire, il en faisait de même après l’avoir mise dans une situation indélicate. Puis, il exprima son admiration pour son don. Si le Zélos connaissait ses autres pouvoirs… Une surprise qu’il ne tardera pas à découvrir d’ici quelques mois. Mais il était vrai que ce don lui avait permis de sauver sa vie plus d’une fois. Le compliment du zélos en fit rougir la Sindarine qui ne répondit rien de plus à cela. Elle se contenta juste de l’emmener dans les rues, écoutant la musique au loin et lui demandant où aller.

“Pour vous, je suis prêt à fuir au bout du monde.”

Voilà encore une phrase qui rendit les oreilles pointues de la jeune femme aussi rouge qu’une tomate. Surtout qu’il lui soufflait ça tendrement au creux de l’oreille. Aucun doute qu’il savait s’y prendre avec les femmes… Naïa baissa aussitôt son regard vers les pavés de la ruelle en espérant, en vain, que le Zélos ne la verrait pas aussi facilement intimidé. “Mais je pense qu’il est plus sage de rester dans Heldor ce soir, au risque de s’attirer les foudres de votre compagnon et de mon jeune maître.” Naïa hocha simplement la tête comme pour dire qu’elle comprenait tout ça. Était-elle soulagée et déçue ? Les deux se valent. Bien qu’ils en riaient ensemble, jamais Naïa n’oserait fuir avec un étranger dans la nuit sans prévenir. Elle était déjà bien trop attachée à son oncle et Clyde. Et puis… Partir sans Vhenanra aurait été le comble ! D’un autre côté… Elle avait la sensation qu’elle pourrait vivre de folles aventures en compagnie du Zélos. Et ce serait pour son plus grand plaisir. Mais alors qu’elle songeait encore à tout ça, Naïa sentit légèrement les doigts du Zélos sur son cou. Elle baissa son regard et vint à comprendre qu’il attachait son masque pour en faire comme un collier temporaire. La jeune barde releva sa tête et pu voir Alba sourire.

Ces dents de Zélos pourraient faire peur à plus d’une personne vu d’aussi près. Mais ce n’était guère le cas de la Sindarine. Il ajouta qu’il lui offrirait un bien meilleur collier la prochaine fois qu’ils se verraient. C’était donc véritablement une promesse de retrouvaille ? Naïa eut un sourire tendre et vint à se mettre sur la pointe des pieds pour déposer un petit baiser sur la joue du “valet”.

“J’en prends note Harl, mais la simple idée de vous revoir me remplit déjà le cœur de joie.”

En faisait-elle trop ? Sans doute mais la sincérité s’entendait à sa voix. Pour sa part, elle se retenait bien de faire des promesses. Peut-être qu’elle aussi pourrait lui faire un cadeau… Peut-être mais elle s’en abstiendrait. Pour la simple et bonne raison qu’elle était la future comtesse de Ditham et qu’il n’était qu’un valet. Cela ferait des rumeurs bien mal placées pour chacun d’eux. Pire, peut-être qu’Alba se retrouverait dans une position inconfortable avec ses maîtres. Peut-être qu’on le soupçonnerait de l’avoir volé… Rien que pour tout ceci, l’idée était mauvaise.

Au même moment, Alba proposa de manger. C’était sans doute une bonne idée car l’alcool faisait encore effet et embrumait un petit peu l’esprit de la demoiselle. Sûrement que grignoter pourrait atténuer les effets de la boisson. Se tenant à son bras, ils se dirigèrent tous deux au stand où se trouvait les pommes d’amour. Sucreries que Naïa n’avait jamais goûté. Vu que son nom indiquait “amour”, elle était persuadée que c’était uniquement pour les couples. Idée probablement stupide mais n’était-elle pas un peu candide à certains moments ?

Il y avait des enfants qui les regardaient tous les deux. Naïa les regardaient avec beaucoup de tendresse. Partant encore une fois vers des pensées lointaines qu’on évitera d’expliquer. Alba leur adressa la parole pour demander plus d’infos sur les événements de la ville.

"Si vous voulez faire plaisir à votre amoureuse, il faut l’amener sur les berges du fleuve ! C’est là-bas que vont tous les amoureux !"

Naïa se mit à rougir de plus belle à cette simple phrase. Même “Harl” semblait décontenancé et allait répondre: “Ce n’est pas…” avant de se raviser. Naïa haussa les sourcils, surprise qu’il ne contredise pas plus. Il se contenta même d’offrir une pomme aux trois petits. Bon… Bha à réflexion faite, ce n’est pas uniquement pour les amoureux. Si elle avait su plus tôt, elle aurait moins le sentiment d’être inculte. D’ailleurs, Alba lui en tends une à son tour et Naïa décide de le taquiner un peu:

“Et bien, mon cher et tendre compagnon, que me suggérez-vous donc pour notre soirée romantique ?”

Elle se mit à glousser. Amusée par la situation. Pourtant, c’était certainement un jeu perdu d’avance. Ignorant qu’Alba pourrait être bien plus fort qu’elle à ce jeu. Le Zélos lui expliqua d’ailleurs ce que Naïa avait déjà entendu. Mais elle lui laissa le plaisir de l’énoncer. Il avait même un sourire enjôleur, ce qui fit rougir de plus belle la Sindarine.

Par où commencer ? Elle avait bien envie d’aller sur cette barque et de suivre les lanternes encore un petit peu. Parmi l’une d’elles, se trouvaient la sienne dans tout ce tas. Avec elle, ses vœux et ses envies d’une vie plus sereine. Elle avait également envie de se retrouver seule avec le Zélos sans crainte qu’on vienne la déranger. Peut-être que Clyde était d’ailleurs à sa recherche. Si elle était sur une barque, il serait difficile pour le rouquin de la suivre.

D’un autre côté, c’était “pour les amoureux” comme disait le petit jeune plus tôt. Est-ce qu’Alba y verrait un message involontaire si elle lui répondait qu’elle voulait se rendre au fleuve ? Et puis, les festivités sur la place d’Heldor devaient aussi valoir le coup d'œil…

“Je… Je ne sais pas.” mentait-elle. “Tout m’ira si je suis en votre compagnie”, cette fois, c’était la vérité.

Sans rien dire de plus, elle regarda sa pomme et murmura un “bon appétit” avant de croquer dedans. Après avoir légèrement mâché, elle releva son regard comme surprise. Ses yeux semblaient briller de plaisir.

“C’est vraiment bon ! Si j’avais su, j'en aurais mangé bien plus tôt !”

Elle éclata de rire face à sa propre bêtise. Peut-être que les enfants ont tort. Peut-être que la barque est pour tout le monde ? Peut-être devrait-elle arrêter de se poser trop de questions ? D’ailleurs, ne s’en posait-elle pas trop en ce moment-même ?

“J’aimerais bien suivre les lanternes sur le lac… Je crois. Est-ce que cela vous irait ?”

Et attendant son aval, elle se colla à nouveau au bras du Zélos tout en dégustant sa pomme. Vraiment délicieux… Quelles autres surprises pourrait donc lui concocter son partenaire ?