Question de point de vue [PV: Calixte]

Depuis quelques temps déjà, Amaryl subissait de nombreux fléaux: un manque de population, une économie digne d'un village de paysans, une chaleur écrasante, la menace d'une épidémie, et le caractère irascible d'Urkrass, son intendant général.
Il ne se passait pas un jour sans que la glorieuse masure des érudits d'Argyrei ne résonne de la voix braillarde du Zélos, pour qui rien n'était jamais à sa place. Sa présence en était presque devenue habituelle, à tel point que la garde elle-même n'y faisait plus attention.

On pouvait malgré tout lui accorder que la situation financière du pays était un véritable calvaire à gérer. Les habitations qui n'avaient pas été ensevelies par les sables étaient presque toutes vides. Seuls restaient les plus âgés, incapables de travailler au grand air, et sans un sou en poche. Impossible d'obtenir la moindre activité, et donc le moindre impôt. Amaryl s'était tristement placée dans un cercle vicieux difficile à résoudre. Même en y mettant de son temps, de sa poche et de sa sueur, Urkrass peinait à obtenir des résultats.

- Un médecin, bon sang! beugla-t-il, en gesticulant violemment face à un vieil homme visiblement peu rassuré. Tout ce que je demande, c'est un fichu médecin! Ne me dîtes pas qu'il n'y a pas un seul pochtron dans cette tour capable de différencier sa main gauche de sa droite!!!

La colère du marchand semblait plus ou moins justifiée, bien que le pauvre hère n'y pouvait rien changer. Les années passant, le Cercle des Eclaris s’affaissait, à l'image de la ville. Le simple fait que les médecins viennent à manquer dans la région était un signe du déclin d'Argyrei. Cela aurait été inimaginable quelques décennies plus tôt.
La situation était encore plus préoccupante alors qu'une étrange épidémie touchait la plupart des grandes agglomérations. Le désert était plutôt épargné, grâce à une population sous-numéraire et aux échanges rares avec l'extérieur. Cependant, Amaryl en subissait les conséquences de plein fouet: la maladie était l'un des pires ennemis du commerce.

- Je te le répète depuis une semaine, homme de peu de patience! Les soigneurs de la maison sont en pleine concertation, et les autres font le tour des villages voisins. Il faut bien que quelqu'un s'occupe de passer le mot, sans cela la maladie se répandra comme une trainée de poudre. Ce n'est pas ce que nous voulons, si...?

Urkrass connaissait le vieil homme depuis de longues années, et tous deux avaient appris à travailler de pair. Ces deux là formaient un duo cocasse: un marchand Zélos grincheux on ne peut plus terre à terre et un ancien accueillant très accessible. Ce dernier, répondant au nom d'Hakim, dépassait en âge l'intendant, mais les deux discutaient à pied d'égalité.

- Et qu'est-ce que tes érudits peuvent bien trouver à se dire pendant une semaine d'un fléau dont on ne sait presque rien...?! Fais-en descendre un immédiatement, avant que je ne décide d'en attraper un moi-même!

- Tu n'oserais pas! Grompeck ou non, ce serait un véritable affront! Calmes ta colère, veux-tu? J'ai fait convoquer un médecin pour toi, mais tu vas devoir te montrer discret...

- Qu'est-ce que tu me racontes là, vieux fou? répliqua le Zélos, qui cherchait à comprendre ce qu'on lui cachait. As-tu quelqu'un de disponible, oui ou non?

Hakim parut embarrassé, observant par dessus son épaule comme s'il craignait d'être épié. Urkrass et lui étaient les seuls présents dans la pièce, mais il arrivait que des oreilles indiscrètes traversent les couloirs.

- Promets-moi simplement que tu n'ébruiteras pas l'affaire, entendu? C'est un médecin venant d'Eridiana. Tout le monde s'accorde à dire que ses talents sont exemplaires, mais la maison Eclaris serait sans dessus-dessous si elle apprenait qu'un potentiel porteur de Sarnahroa s'était introduit en ville. Après tout, les médecins font partie des premiers exposés...

Urkrass hésita, puis haussa les épaules. Il avait lui-même le projet de faire entrer sa femme à Amaryl, ce dont Hakim était au courant, aussi joua-t-il profil bas.

- Soit dans ce cas. Et qui est ce soigneur dont tu fais tant d'honneurs?

- Son nom est Telenna, Calixte Telenna. Tu l'as certainement déjà croisé ici, bien que ses activités principales se concentrent sur le continent. Il devrait arriver au crépuscule, vous n'aurez qu'à discuter pendant la nuit... mais pas un mot aux autres, c'est comprit?

Le marchand écarta les bras, en signe d’apaisement. La situation semblait enfin se dénouer, et cela satisfaisait amplement Urkrass.

- Je l'attendrai dans mes quartiers, promit-il, en saluant son collègue. Grâce à toi, Amaryl ne s'effondrera peut-être pas demain...!

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Question de point de vue [PV: Calixte] Pluu

Artiste Snod Snow

Alors qu'il se tenait debout face à une armée de parchemins en désordre, l'intendant fut tiré de ses pensées par le cliquetis du rideau de perle, suspendu au dessus de la porte. Le professeur Telenna était arrivé plus tôt que le Zélos ne l'avait imaginé, aussi remit-il sa comptabilité à plus tard pour aller à la rencontre de son invité.

Urkrass apparu dans l’entrebâillement de son bureau, vêtu d'une toge blanche particulièrement épaisse. Un feu jeune crépitait dans le foyer, unique rempart face aux nuits glaciales du désert. Deux coussins étaient posés à même le tapis, encadrant un élégant narguilé d'où s'échappait un fumet subtile. Sur une table basse, éclairées par les flammes dansantes, luisaient diverses pâtisseries d'Argyrei: loukoums, cornes de gazelles, baghrirs, ghoribas et dattes fourrées. Une théière aux effluves de menthe siégeait fièrement au milieu, rappelant la masure des Eclaris à son apogée. La conversation risquait de durer un moment, et l'hospitalité était une règle d'or de la famille Grompeck.

Le marchand salua son invité d'un hochement de tête, le gratifiant de l'un de ces grommellement dont lui seul avait le secret. Il jaugea l'individu du regard, un sourcil levé: le médecin était vêtu d'un costume on ne peut plus citadin, chose on ne peut plus rare dans le désert. Une telle silhouette aurait vite fait d'alerter les esprits, aussi Urkrass espérait-il que personne d'autre que Hakim ne l'avait croisé.

- Vous n'êtes pas facile à joindre, docteur Telenna, fit-il remarquer. Mon nom est Urkrass Grompeck, fils de Yahiir Grompeck. Je suis l'intendant de cette cité, et j'ai besoin de vos services.

Le Zélos avança sa carcasse massive, et s'installa sur l'un des coussins, invitant le voyageur à faire de même. Il chercha à distinguer les traits de l'homme qui se trouvait en face de lui, et qui lui parurent étrangement fins. A condition d’omettre la rondeur de ses oreilles, Urkrass l'aurait volontiers pris pour un Sindarin. Il laissa le temps à Calixte de prendre place, tandis qu'il remuait le charbon du narguilé.

- Traverser les colonnes d'Ebreus n'est pas une entreprise facile, je suis impressionné, admit le marchand. Je tâcherai de ne pas vous faire perdre votre temps.

Il marqua une pause, laissant au médecin le loisir de s'exprimer avant d’entamer le sujet.

" Je sais qui vous êtes, Intendant Grompeck. Votre réputation vous a précédé. Pour être venu mainte fois dans votre ville afin de retrouver mes frères éclaris, j'ai pu entendre le bien de vos intentions pour faire renaître cette cité. Vous avez toute mon admiration. "

" Il est vrai que le chemin est plutôt dangereux, mais si on sait se montrer prudent et que l'on connait la route, ce n'est pas pire qu'ailleurs. Je n'ai donc aucun mérite à être ici en un seul morceau. Par contre, je suis curieux de connaître les raisons de ma venue. Pourriez-vous m'éclairez un peu? "

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Artiste Snod Snow

A entendre ses louanges de la bouche d'un inconnu, Urkrass eu une impression d'irréalisme. La plupart de ses collaborateurs étaient réticents à lui accorder le moindre crédit, du moins au premier entretien. Cela dit, il était rassuré de savoir que les Eclaris lui faisaient confiance. En ces temps difficiles, il valait mieux ne pas laisser les vielles rancunes l'emporter.

Le docteur fut rapidement installé, ce qui réjouit son hôte. Il ne serait pas dit que la famille Grompeck manquerait à l’hospitalité légendaire des peuples du désert. Naturellement, l'homme chercha à connaître les raisons de sa venue, ce qui amena Urkrass à en venir aux faits.

- Je suppose que vous avez une petite idée de ce que traverse le continent depuis quelques temps. Argyrei s'est effondré, et cette étrange peste n'a rien de rassurant. Si la maladie est aussi foudroyante et contagieuse qu'on se plait à le dire, Amaryl risque de ne pas s'en relever.

Le marchand tira une bouffée du narguilé, puis expira après un bref instant, emplissant la pièce d'un nuage de fumée fruitée.

- Les médecins de la Masure sont considérés comme sages et expérimentés... mais cherchez un peu parmi la paperasse, et vous découvrirez que la quasi-totalité d'entre-eux sont sur la rubrique nécrologique. Les Eclaris sont sages, mais orgueilleux... C'est pourquoi j'ai besoin du soutien d'un pratiquant de l'extérieur.

Le zélos reposa le tube de la pipe à eau, puis posa devant lui un étrange sac de toile. Il semblait relativement lourd pour sa taille, comme s'il contenait un bloc de glace. De sa main noueuse, il en vida le contenu sur le tapis. Sans grande surprise, il s'agissait d'un cœur de sphène.

- Pardonnez-moi de vous couper l’appétit, s'enquit-il. Je suppose que cela vous est familier. L'un de nos citoyens s'est effondré ce matin même. Nous sommes une poignée à Amaryl à penser que l'étude de ces cœurs cristallisés peut aider à enrayer la maladie... malheureusement, les hommes de science s'abritent derrière une morale illusoire, et refusent d'y toucher.

Urkrass se pencha en avant, et prit une mine on ne peut plus sérieuse. Ses traits étaient dures, ceux d'un homme concerné.

- Ma caravane s'apprête à faire le voyage jusqu'à Tyrhénium, afin de ramener une cargaison de ces cailloux à Amaryl... Hakim fait en sorte de résonner le Conseil Eclari pour que des études soient faites. J'ai besoin de votre soutien: si rien n'est fait, c'est le continent entier qui est en péril.

L'intendant se redressa, et vint se poser à droite de la cheminée. Il ne laissait rien transparaître, sinon cet air grave qui le caractérisait.

- La communauté n'est pas riche, mais je peux vous promettre une bonne compensation. Disons, 300 dias pour votre appui au conseil, et 500 de plus pour votre participation aux études. Je sais que cela peut paraître contre nature, mais en de telles circonstances, tout est question de point de vue...