_ Il parait que des personnes hauts-placées seraient gravement malades. _ Il parait que ça se bécotte "au bal de la Rose". _ Il parait que des créanciers en sont après un des conseillers de Ridolbar.
Ses yeux noirs piqués de bleu scrutèrent froidement les alentours. La cendre, la pluie et la neige remontaient d'Inoa et balayaient la colline dans d'épais tourbillons blancs. Au-dessus de lui, le ciel était toujours d'une noirceur d'encre, tourmenté de zébrures orange. L'orage tournerait vite à la tempête, et des soldats en avaient manifestement trouvé l'épicentre. Il les entendait avancer péniblement dans la montée du tertre. D'un pas vif, il prit la direction opposée, qui conduisait à la taïga, dans la pente des falaises. Il rabattit sa capuche sur sa tête et commença à courir, la main accrochée au catalyseur de son épée pour économiser ce qui lui restait de ressources. Il n'avait fait aucune réserve d'énergie. Sans cette pierre, il était condamné. Il devait trouver Fenris. Il avait sûrement amarré la goélette sur une plage accessible, il fallait descendre des falaises. Ils se croiseraient probablement en route.
Il entra dans la forêt au pas de course et dévala le coteau dans la brume entre les grands pins décharnés. S'il réussissait à traverser le bois et à atteindre la route de la plage, il s'en tirerait. Déjà, il entendait des bruits de cavalcades et des aboiements en alfari derrière lui. A l'évidence, on avait dû suivre ses empreintes facilement jusqu'à la forêt, mais dans la pénombre, au couvert des branches des résineux, ses traces seraient certainement plus difficiles à remonter. Il devait seulement réussir à les semer. Au moment où il sauta par-dessus un arbre déraciné, de longues flèches sifflèrent autour de lui mais, mal dirigées tandis qu'il bondissait et se rétablissait à l'extrême limite de s'étaler de tout son long, elles transpercèrent seulement les pans de sa cape et se fichèrent dans des troncs d'arbres sur son chemin. Avec un rapide coup d’œil en arrière, parmi les volutes de neige qu'ils soulevaient dans leur sillage, il estima leur nombre à une quinzaine d'archers et d'arbalétriers, puis il bifurqua brusquement à sa droite et s'enfonça dans un bosquet de sapins touffus et d'arbustes épineux pour échapper à leur champ de vision. Quand il s'en extirpa, il progressa encore sur une vingtaine de mètres, silencieusement, et se plaqua contre le tronc large d'un pin, dans un renfoncement rocheux, pour reprendre sa respiration. Il tendit l'oreille. Les soldats, à leurs voix, se dispersaient pour couvrir plus de terrain, comme il l'avait espéré. C'était bien.
Il attendit seulement quelques minutes avant de percevoir le bruit sourd d'un homme qui saute d'une hauteur dans un amas de neige, et comme le type s'élançait vers l'avant pour reprendre sa traque, Léo sortit brutalement de sa cachette, posa ses yeux bleutés sur l'arc de son adversaire et avant qu'il n'ait le temps de hurler pour signaler leur position ou même de s'arrêter, il le saisit par le bois de son arme et le projeta violemment sur le côté. En un instant, Léogan était sur lui, comme un fauve, il lui attrapa la tête et lui brisa les cervicales d'un coup sec. Aussitôt il se releva, examina farouchement les alentours, accrocha l'arc de son ennemi tombé et son carquois à son épaule et reprit sa fuite dans le brouillard. Plus loin, il se plaqua derrière un autre conifère aux branches hautes, pistant l'un de ses chasseurs qui avait pris de l'avance sur lui, et, placé en surplomb, il le cribla d'une flèche unique qui lui traversa la gorge dans une percée de lumière, entre les ramures alourdies de givre de trois sapins. Le corps du soldat s'écroula silencieusement dans la nuit et Léogan remit son arc à l'épaule pour continuer de se ménager une route sûre dans le secteur du bois qui menait à la plage. Il tendit de nouveau une embuscade en calculant à l'oreille la trajectoire d'un Sindarin, qu'il surprit dans un bosquet en le frappant du tranchant de la main dans la jugulaire, dont il transperça la poitrine de son épée, et auquel il soutira une dague qu'il rangea à sa ceinture, puis il estima avoir déblayé raisonnablement le terrain, et il courut, et courut encore.
Soudain, une secousse incroyable ébranla l'air, dans un mugissement de tonnerre qui lui souffla les tympans, les arbres ployèrent et la terre explosa sous l'impact de la foudre. Propulsé en arrière par le choc en même temps que les sapins, éclatés, déchirés tout à coup par la force de l'éclair, Léogan vola sur quelques mètres et se cassa la figure sur le ventre dans un angle improbable au milieu des fougères. Ses iris bleus clignèrent frénétiquement et il s'ébroua, en plaquant immédiatement une main sur sa lèvre fendue et sa joue écorchée, dont il s'empêchait de ressentir la douleur, et d'où il put extraire une grosse écharde qu'il scruta une seconde avant de la lancer par terre. Il y avait également un éclat de bois qui s'était enfoncé dans sa botte jusqu'à percer son mollet. Son regard se posa froidement dessus. Plus tard. Il se remit à nouveau sur pieds, dans un paysage lunaire, où les cimes des pins encore debout brûlaient d'un feu orageux et où les arbres tombés incendiaient les bois enneigés. La fumée lui piquait les narines.
Et là, en un instant, dans le vacarme du cataclysme, il reconnut derrière lui le bruit d'une arbalète qu'on arme. Un tic lui agita la paupière. Il tourna la tête brièvement, avec une bouffée d'adrénaline, afin d'estimer la trajectoire du trait. Il eut à peine le temps de bondir sur le côté d'une impulsion des bras, et le carreau arriva sur lui, à l'endroit où sa poitrine se trouvait une fraction de seconde plus tôt. La flèche traversa ses vêtements et sa protection en cuir, déchira les muscles de son bras gauche et se ficha dans son humérus en crissant et cisaillant ses nerfs. Faéris. Un soupir lui échappa mais il fit face aussitôt au cousin d'Elerinna, qui se tenait à couvert, tapi dans une fosse en surplomb. Il le reconnut à sa tignasse opaline, mais surtout à sa façon de tenir son arbalète, qui n'était pas commune. Des souvenirs défilèrent à toute vitesse sur ses yeux. Faéris avait toujours été un tireur d'exception et un fin mécanicien, il utilisait une arbalète à répétition, Léogan n'avait pas le temps de s'occuper de son bras, les tirs suivants le cribleraient de traits dans la seconde. Aussitôt, d'un bond précis, il se jeta à couvert également et une série de carreaux suivit sa trajectoire, sans le toucher heureusement. Il entendit Faéris jurer, dans sa fosse. Le souffle maîtrisé à la seconde près, Léo jeta un œil à la blessure de son bras, la main droite crispée sur son catalyseur, qui scintillait de plus en plus faiblement. Il devait se débarrasser de Faéris avant de se trouver à court d'énergie divine, sans quoi il finirait par se faire descendre avant d'avoir pu seulement croiser Fenris. Pour ça, il devrait tenter un corps à corps. Avec son arbalète à répétition, son adversaire était mieux équipé que lui, un combat à distance le perdrait. Dans ce cas, il faudrait ne lui laisser aucune prise possible. Quitte à rendre le soin de son bras plus difficile, ultérieurement. Léo fixa l'empennage d'un regard opaque. De toute façon, au point où il en était, il était davantage question de sauver de lui-même ce qui pouvait être sauvé. Il valait mieux s'en tirer plus ou moins entier que ne pas s'en tirer du tout. Sa main droite quitta sans hésiter son catalyseur et se referma sur l'empennage du carreau – et aussitôt, son bras explosa de douleur. Il serra les dents de surprise et réprima un gémissement en se crispant de tout son corps, sa respiration s'emballa et sa main libre, la gauche, tâtonna à son fourreau pour retrouver un contact avec le catalyseur. Quand elle l'agrippa, ses yeux scintillèrent à nouveau d'un éclat bleuté et la douleur se tut. Il rétablit doucement ses constantes et son attention retourna à sa tâche. Il n'était pas avisé de chercher à extraire le carreau lui-même, il était possible que la pointe reste fichée dans son os, il avait besoin d'une force de traction plus importante pour la dégager de là. Alors, d'un geste sec, il se contenta de casser le trait en deux, laissant seulement deux à trois centimètres de bois dépasser de sa chair, pour d'une part faciliter ses mouvements et empêcher Faéris de saisir littéralement une opportunité de prendre le dessus, et d'autre part laisser de la marge à des soins éventuels plus tard. Il jeta l'empennage ensanglanté dans la neige, cracha de la salive et commença à ramper dans la partie basse de la végétation, fronçant du nez en remarquant les traces rouges qu'il laissait dans son sillage.
Ha, Fenris, c'est le moment ou jamais de ramener tes miches, si tu prétends mériter ton titre de chevalier servant...
Il ne percevait pas le moindre bruit du côté de Faéris. Réflexe de traqueur de Canopée, il devait s'être simplement immobilisé en attendant de déceler du mouvement dans les fourrés. Et il avait bien raison. De là-haut il avait une vue imprenable sur son gibier, si tant est qu'il décide de sortir de sa cachette. Seulement, une fois qu'il se fut trouvé un tronc d'arbre mort où il put s'adosser, bander silencieusement son arc et encocher une flèche, Léogan n'avait plus l'intention de bouger d'un poil. Faire le mort était certainement la meilleure façon de faire descendre l'oiseau de son perchoir. Son souffle se condensa dans l'air glacial.
Pendant un long moment, les deux hommes se tinrent inertes chacun dans leur tranchée. Léogan respirait à peine.
« Et tu comptes rester terré combien de temps dans ton trou, petit fumier ? »
Il ne répondit rien. En haut de la butte, Faéris commençait à s'impatienter.
« GALDOR ! ADARIL ! PAR ICI ! »
Galdor et Adaril ne répondirent pas non plus. Sous la chape assourdissante du tonnerre, sur chaque crépitement de l'incendie qui naissait dans la forêt et faisait craquer la neige régnait un vide sépulcral. Un rictus narquois se dessina sur le visage de Léogan.
Il fallut encore quelques minutes au commandant des forces des Lanetae pour comprendre que ses deux hommes ne le rejoindraient pas et qu'il devrait vérifier sans couverture qu'il avait bien touché et étendu sa cible. Léogan l'entendit se glisser à son tour dans la végétation et descendre à pas de loup de son promontoire. Il tendit plus sensiblement la corde de son arc entre ses doigts nus. Son ennemi apparut finalement, dans un halo de lumière projeté par les flammes. Il était vêtu d'un manteau, mais on devinait assez aisément que la fourrure cachait une armure de plaque, qui cliquetait régulièrement tandis qu'il avançait. Léo prit une inspiration imperceptible et dirigea sa flèche un peu plus haut, de sorte à viser la tête du chien qui flairait sa piste.
« Tu sens si fort la poudre prête à brûler et exploser, mon ami, que tu devrais nourrir quelques inquiétudes. Si fort, que je te retrouverais même dans le noir... Ou serait-ce la puanteur de ton cadavre ? »
La pointe de la flèche de Léogan suivait la tête de Faéris jusqu'à trouver un angle de tir infaillible, tandis que celui-ci dépassait la souche morte derrière laquelle il était planqué.
« En parlant de cadavre, j'ai trouvé celui d'Elerinna que tu as laissé derrière toi, poursuivit Faéris, d'une voix poisseuse d'acidité. Défiguré et égorgé dans la neige. J'espère presque que tu agonises quelque part dans le coin, que je puisse au moins te rendre la pareille. »
Il s'éloignait. Cet abruti lui tournait le dos et s'éloignait. Et sa fenêtre de tirs possibles – de tirs faillibles – se réduisait à mesure qu'il avançait dans le bois. Cinq ou six noms d'oiseaux traversèrent l'esprit de Léogan alors qu'il décidait enfin de tirer une flèche, une seule, qui ne pouvait pas atteindre la tête découverte du Sindarin, mais qui déchira son carquois d'arbalète et propulsa dans la neige tous ses carreaux en réserve. Surpris, Faéris se retourna avec un grondement de colère et chercha des yeux d'où pouvait venir le projectile, l'arbalète en avant.
« Bien visé, Léo, siffla-t-il. Tu peux pas t'empêcher de faire le malin, tu sais que ça te perdra. »
C'est ça, ouais. Allez approche, amateur. Léogan encocha très silencieusement une nouvelle flèche, mais le chasseur avait prudemment choisi de se mettre à couvert, plutôt que de ramasser les traits qu'il avait perdus. Il revenait sur ses pas, le bruit de son armure le trahissait. Et bientôt, Léo le trouva, son angle de tir.
La corde de son arc vibra et sa flèche siffla dans l'air vif de la nuit. Faéris était à quelques mètres à peine, le trait fusa sur les gantelets de son armure et son arbalète lui bondit des mains. Ce fut cet instant précis que choisit Léogan pour lâcher son arc et se précipiter sur lui de tout son poids. Tirant au clair le couteau dont il avait délesté un des malheureux qu'il avait tués, il le flanqua contre un arbre d'un violent coup de pied dans le poitrail et s'apprêta à plonger sa lame dans une interstice de son armure en l'abattant avec force, mais Faéris, quoi qu'à moitié sonné, retint son bras d'une poigne féroce – et il fallait lui reconnaître qu'il était en meilleure disposition physique que Léogan pour l'heure. Il lui suffit d'un poing envoyé en plein thorax pour repousser son adversaire qui s'abattit par terre. Insensible à la douleur néanmoins – en tout cas autant que sa magie le lui permettait, c'est-à-dire avec des oscillations sensitives très troublantes – Léogan ne s'en formalisa presque pas et attrapa l'arbalète pour mettre en joue, mais Faéris expédia un coup de pied dans l'arme qui valdingua par-dessus la tête éberluée de Léo, avant d'écraser sa poitrine sous sa botte. Il s'effondra contre le sol. Ses pupilles bleues s'éteignirent dans la noirceur de ses yeux et il sentit toute la morsure de ses brûlures sur ses membres et son buste, la déchirure de son bras et le picotement de son mollet le percuter comme un taureau en pleine charge. Il était incapable de se reconcentrer assez pour retrouver l'usage de sa magie. Ses mains tâtonnèrent autour de lui et la droite se referma par chance sur quelque chose.
« Comment as-tu pu... ? Comment as-tu osé nous faire une chose pareille ? – ...j'en sais rien, suffoqua Léogan, d'une voix rauque, j'essaie des trucs, j'y vais au culot. »
Et d'un large balayage du bras, il frappa avec une branche dans les jambes de Faéris qui trébucha en arrière et libéra sa poitrine de la pression qu'y exerçait sa botte. Secoué d'une quinte de toux douloureuse, Léo repuisa de nouveau de l'énergie dans son catalyseur et attrapa l'arbalète avant de se relever en chancelant pour faire face à son ennemi.
« Oh, Faéris ! »
Il lui envoya violemment l'arbalète contre la poitrine et Faéris la réceptionna de force, le souffle coupé. Le temps qu'il retrouve contenance, Léogan le repoussa d'une main jusqu'au bord du talus d'arbustes, et, empoignant l'arme de nouveau, flanqua un violent coup de botte dans le genou de son adversaire qui s'écroula en arrière dans un cri et dégringola dans la pente enneigée. Sans plus de cérémonie, Léo s'élança à son tour, l'arbalète sous le bras, et dévala la butte à toutes jambes pour prendre de la distance dans l'obscurité d'un sous-bois. Tout était à recommencer. Ils allaient à nouveau se lancer sur ses traces.
Et puis cette arbalète ne lui servait à rien d'autre qu'à l'encombrer, quand Faéris disposait des seules munitions ! Du moins, il restait trois carreaux de réserve, il s'agissait d'en faire bon usage.
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Sujet: Re: Discombobulate [PV Fenris] Dim 21 Juin - 19:07