[Gléno - An 1305] Une mission nébuleuse

« Tu as bien compris ton rôle ? »

Adhuain leva un sourcil d’étonnement. Depuis son recrutement, toutes les missions qu’il avait réalisées pour les Ladrinis possédaient un objectif facilement identifiable mais, cette fois-ci, le terran ne comprenait pas le but de sa mission.

Devant son air surpris, son commettant esquissa un rictus. L’inconnu s’était présenté sous le nom de Dix-Sept, un surnom très étrange qui ne donnait aucune piste quant à ses origines ou sa signification. L’individu, de petite taille, accentuait sa maigreur en revêtant des habits moulants aux couleurs de la nuit, abrités sous un grand pardessus noir à capuche. Son visage, tantôt masqué par un capuchon, tantôt par le masque étrange qui lui barrait la moitié supérieure de la figure, ne laissait apparaître qu’une dense barbe noir et un sourire aux dents jaunies par les excès.

« Alors ? »

Le terran acquiesça d’un bref geste de la tête. La tâche qu’il lui avait été confiée ne devrait pas lui poser trop de problème, du moins c’est l’analyse qu’il avait faite de la situation.

« Tu ne poses pas de questions ? »

Cette fois-ci, ce fut Adhuain qui lui offrit un sourire.

« Comme si vous alliez me répondre »

« Hahaha je t’aime bien toi ! Bon allez, au travail ! »

Maara, Ignias et Talum se hissaient haut dans le ciel quand le terran se présenta devant la double porte du plus grand – et de l’unique – casino de la Cité. Ce dernier était connu pour être un endroit fastueux, décoré dans un style baroque, surchargé de peintures, de sculptures et d’œuvres d’art en tout genre. Tenu d’une main de maître, l’établissement n’était pas un lieu de débauche comme les autres ; l’ambiance habituellement malsaine des salles de jeu avait laissé place à un univers coloré, excitant les sens et le désir, transportant les joueurs dans un monde presque irréel, leur faisant perdre la notion du temps et de l’espace.

Lorsqu’il entra dans les lieux, Adhuain fut accueilli par des valets charismatiques, aux vêtements parfaitement coupés et aux manières irréprochables.

« Bonjour et bienvenue Aux Mille Couleurs. Pour votre sécurité et celle des autres clients, je vous prie de bien vouloir laisser vos armes et vos effets personnels dans les vestiaires situés sur votre gauche. »

Malgré ses réticences, le terran se plia aux exigences du domestique et laissa son manteau ainsi que ses armes dans l’un des nombreux casiers libres. Il tourna la clé verrouillant le compartiment et fourra la clé dans l’une des doubles poches de sa veste.

Traversant le hall, il aperçut un panneau invitant les visiteurs à se restaurer à l’étage. Aux abords de l’escalier, un tableau affichait le menu aux prix étonnamment abordables. Cet établissement semblait avoir été créé pour, d’une part inciter tout à chacun à entrer – que ce soit pour se sustenter, pour s’amuser ou même pour découvrir des œuvres rares – , et de l’autre pour inciter à les captifs à rester et à dépenser le plus possibles. La tenancière des lieux était intelligente, sans doute une fine stratège ou une psychologue aguerrie, à moins qu’elle n’ait reçu des conseils pour construire un endroit aussi dangereux.

Continuant sa route, il passa entre les tables de jeux sans vraiment s’y attarder – comme s’il avait peur qu’un regard suffise à le faire plonger dans une addiction éternelle – et s’installa au bar, dans l’attente de passer sa commande.

Le "Aux milles couleurs" était un ancien lieu de plaisir qui faisait aussi office de modeste maison de jeux autrefois. Mais l'ancienne propriétaire n'avait pas les mêmes ambitions que Deirdre. En effet, cette dernière voulait se faire un nom, un nom qui soit connu dans tout Isthéria, que l'on sache qui elle était... ou plutôt ce qu'elle voulait qu'on croît qu'elle était. Bien évidemment, tout n'était pas que pure manigance, la gorgoroth aimait l'argent pour ce que cela offrait : le luxe. Le luxe d'une belle maison, le luxe de ne pas être trop rapidement prise de haut, le luxe de lui permettre de trouver les bonnes personnes. Une petite revanche sur la "vie" quand on était né dans les quartiers populaires de la cité maudite d'Amaryl. Mais son nom... elle voulait qu'il parvienne aux oreilles de ceux qui la croyaient trépasser, qu'ils viennent à elle si seulement ils en avaient le courage.

Pour cette raison, lorsqu'elle avait repris l'établissement, elle fit le choix de le développer dans la direction des jeux d'argent plutôt que des gens de compagnie. Pourquoi? Parce que des femmes de joie, il y en avait partout, notamment à Tyrhénium. Mais des maisons de jeux ayant de la prestance? Il y en avait bizarrement peu. Oh! Il y avait toujours quelques tripots malfamés par ci par là, les jeux annuels qui se déroulaient dans l'arène mais... rien de l'envergure de son établissement. Et comme les vices des Hommes étaient toujours les mêmes depuis des siècles et des siècles... Deirdre ne pouvait que s'engouffrer dans la brèche.

Bien évidemment, avant d'en avoir les moyens, elle avait écumé des années et des années à mettre son argent de côté, à mener une vie plutôt nomade à se créer un personnage tout en vaquant à chercher des solutions à ses envies de vengeance que le temps n'avait jamais tari. Alors imaginer bien qu'elle conservait toujours un œil particulièrement acéré sur ses affaires, et si on venait à la chercher, elle se trouvait souvent dans ses établissements. Ce soir là n'échappa pas à la règle. Elle veillait au grain, ses yeux dorés posées sur la foule, balayant les visages des habitués ou des non initiés. Ce fut ainsi qu'elle découvrit un nouveau visage qui éveilla son intérêt.

Généralement, ceux qui venaient ici se rendaient directement aux tables afin d'observer les manières de jouer ou bien aux restaurants. L'inconnu lui, préféra directement le bar, comme s'il attendait quelqu'un ou espérait que quelqu'un vienne à lui. Il serait donc chanceux ce soir.

La jeune femme, tout en prenant soin de sourire et saluer ceux qui la reconnaissait, se rendit d'un pas décidé au comptoir où elle fit signe à son employé.

" Peux-tu me servir un verre d'Ambremort s'il te plaît? Je t'en serais grée. "

A ces mots, la jeune femme prit place sur le tabouret au côté du terran inconnu. Elle se tourna rapidement vers lui pour lui offrir son sourire le plus chaleureux qui soit.

" Si vous ne savez pas quoi commander, sachez que je vous conseille la même boisson que moi. A Phelgra, ils ont bien des manières mais leur alcool est de qualité. "

Toujours souriante, la gorgoroth lui tendit alors la main afin de se présenter.

" Je me présente : Deirdre Luberym. Je suis la maîtresse de ces lieux. J'espère que vous le trouvez à votre goût? "

On pouvait penser bien des choses de la ladrini, mais quand il s'agissait d'essayer de se montrer charmante, elle savait tout à fait y faire. Question de métier.