Thimotée Levius

Les deux soldats relâchèrent l’homme qu’ils tenaient par les épaules. Ce dernier s’effondra sur ses genoux. Il leva finalement les yeux et se rendit compte que le Nouveau Roi se tenait debout face à lui, une main appuyée sur le pommeau de son épée, l’autre sur la hanche.

L’homme ne put que constater la véracité de ce qu’il avait précédemment entendu sur Thimotée Levius. Le visage dur du Roi était au diapason de ses souffrances passées. La sévérité de ses traits, doublée de la droiture de sa posture, révélait que l’ancien Prince était devenu un homme nouveau. L’homme se sentait dévisagé pas les yeux noisettes du Roi. Malgré bien des meurtrissures qui aujourd’hui encore fendent son cœur, le Roi d’Eridania était un fort bel homme au charisme étonnant. Avec ses cheveux bruns à la fois longs et courts systématiquement coiffés sur le côté, Thimotée faisait toujours soigné et propre sur lui. Sa barbe, rasée avec minutie, complétait ce sentiment d’importance.

Son armure affichait les écussons d’Eridania. Lustrée et finement forgée, elle resplendissait sous le soleil radieux de la capitale. Parfois, il la complétait d’un long manteau de fourrure d’une valeur inestimable, qu’il enfilait par-dessus.

A sa ceinture pendait comme de coutume une dague dont le manche était incrusté d’une pierre de sphène, son catalyseur. La dague était une version unique que Thimotée avait acquis lors d'un voyage dans Cimmerium.

Bien entendu il se tenait à une distance éloignée de l’homme, dont les bras étaient perclus de plaques grises. Un malade. Un malade qui avait tenté de pénétrer dans le Palais Royal, accusant les maux de la capitale et du royaume sur l’arrivé de ce nouveau Roi…

Thimotée réfléchissait en face du malade. Dans le temps, il fut un Prince très apprécié pour sa proximité du peuple. Grand altruiste, il était considéré comme un chef au grand coeur. Mais les rumeurs avérées quant à sa décadence s'étant propagées dans le royaume, il devait aussi faire à cette vision d’un homme assombri et ivrogne qu'une partie de la population avait de lui. Certes, le peuple avait à nouveau cru en lui et en sa promesse de combattre l’insécurité du royaume mais l’homme qui lui faisait face était la preuve vivante – ou du moins partiellement vivante – que cette conviction n’était pas unanime et que le royaume restait partagé quant à sa reprise du pouvoir.

Pourtant, quelque chose en lui avait rugit et s'était révolté. Pour une raison qu'il se gardait d'expliquer aux autres, il avait jugé le changement nécessaire. Il avait réalisé que fuir son destin n'était pas provisoire. Thimotée avait compris ce qu'être l'unique descendant et héritier des anciens Rois d'Hespéria signifiait. Il se sentait désormais à même de supporter ses responsabilités. Il se sentait capable de reprendre son titre légitime et d’affronter les maux d’Eridania, un par un, et jusqu’à son dernier souffle s’il le fallait.

Thimotée était un homme galant et généreux. Gentilhomme particulièrement intelligent et vif d'esprit, le désespoir s'empara du Palais Royal quand il commença à sombrer dans la folie suite à la mort de son enfant, de sa femme et à la triste révélation de son père. Devenu quelqu'un de brisé, il ne fut plus que l'ombre de lui même.

Aujourd'hui, il est de retour sur son trône. Il se veut l'avenir d'Eridania. Il donne le sentiment d'être de retour à la raison, plus motivé que jamais. Les motifs de ce soudain revirement restent inconnus, et Thimotée préfère rester discret à ce sujet.

Il n’est pas de héros que le destin n’a pas torturé. Dernier et unique descendant des anciens Rois d’Hespéria, Thimotée n’avait rien d’un héros encore quelques semaines de cela, lorsqu’il buvait sans relâche pour noyer son chagrin dans les dangereux bas-fonds de la capitale. Passif face à la lente mais continuelle dégradation d’Eridania, il allait même jusqu’à représenter l’anti-héros. Facilement manipulable, fuyant sans cesse ses responsabilités, Thimotée Levius n’avait ni l’étoffe d’un Prince, ni l’étoffe d’un héritier des anciens Rois d’Hespéria.

La perte respective de sa bien-aimée, pourchassée par son père, puis celle de son enfant le déchirèrent. Deux immenses tragédies qui brisèrent l’homme au plus profond de lui. La haine que Thimotée voua à feu son père n’arrangea rien.

Thimotée a grandi en homme respecté. Aimé de son peuple, il montrait altruisme et grandeur d’esprit. Toujours prêt à aider ceux dans le besoin, il était un Prince chéri par la masse. Grand meneur d’homme également, chef inné, éloquent et charismatique, il aurait été voué à de grandes choses sans son manque d’ambition.

S’il y avait un fond à toucher, Thimotée s’écrasa dessus lors de la mort de son père. Lorsqu’il était tombé fou de cette femme lhurgoyf, son père s’était empressé de le marier par intérêt à une femme terran de haute stature avec qui il ne partageait rien. Pour son père, ce fut un succès car l’honneur de la famille fut sauf. Pour Thimotée, ce fut un désespoir qui ne s’atténua que lorsque sa femme tomba enceinte. Hélas, comme poursuivi par sa mauvaise étoile, Thimotée vit alors son enfant et sa femme mourir dans pendant l’accouchement. Détruit par cet événement, le Prince assista ensuite au trépas de son père, qui dans ses derniers mots et dans un rictus satisfait confessa avoir ordonné la traque de la femme lhurgoyf tant aimée.

Thimotée avait alors tourné les talons et laissé son père mourir seul. Seul, le Prince Levius l’était. Sombrant dans la folie, il n’était pas à même de régner. Il quitta alors le Palais Royal, avant d’y revenir, puis de repartir à nouveau. Ces va-et-vient devinrent réguliers. Assombri, il n’était plus le Prince que le peuple appréciait. Les rumeurs croissaient quant à la nature des nouvelles fréquentations du Prince. S’adonnant à des plaisirs interdits, vivant dans le péché, Thimotée sombrait dans un abîme dangereux.

Puis Dreak mourut et le jugement de Torenheim se conclut. Lorsque Thimotée l’avait appris, il était assis confortablement dans un immense canapé en cuir du Palais Royal, un verre d’alcool fort dans la main, à fixer sans émotion le foyer de la cheminée. Sans que personne dans la salle ne comprenne pourquoi – si ce n’est Thimotée lui-même bien sûr – l’héritier envoya alors son verre dans le feu et renversa la table finement sculptée qui lui faisait face. Le cri qu’il poussa à cet instant ne fut pas un cri de désespoir, mais un cri de colère. Un véritable hurlement de rage.

Moins d’une semaine après, Thimotée se mit à la tâche de reprendre ce qui lui revenait de droit, en redonnant à son peuple le Prince autrefois tant apprécié, et désormais Roi. Avant de remonter sur le trône, il donna un discours à Eridania qui fut retranscrit dans le reste du royaume. Un discours qui secoua tout Eridania.

« Peuple d’Eridania. Habitants d’Hespéria. Je vous ai tourné le dos. Je vous ai laissé tomber. J’ai échoué là où mes ancêtres ont réussi. Mais aujourd’hui, je vous reviens. Je vous reviens plus fort que jamais. Plus déterminé que jamais à combattre ce qui ronge notre royaume. Notre royaume exceptionnel. Je vous reviens avec la promesse d’un royaume sûr et sans-danger. A ce jour, peuple d’Eridania, je suis de nouveau votre Roi. Nous sommes à l’aube d’un changement, et d’une nouvelle politique. Ma politique. Une politique centrée sur les citoyens d’Eridania, assurant sécurité et pérennité. Torenheim sera enfermé dans la cité d’Umbriel, à la place qu’il mérite. La place d’un meurtrier. »

Après un silence volontaire dont l’objectif était d’accentuer ses prochains mots, Thimotée continua.

« Eryllis, Ladrinis et Nérozias seront bannis d’Eridania. En menaçant la paix de nos citoyens, ils ont trahis notre confiance, et ont prouvé qu’ils ne méritent pas notre hospitalité. »

Il se concentra à ne pas laisser sa voix tremblée sous les émotions lorsqu’il termina son discours.

« Peuple d’Eridania, je suis de retour. Le Nouveau Roi. »

Thimotée n'a rien n'oublié de son passé. Qu'il s'agisse de son éducation chevaleresque et guerrière ou de ses tragédies amoureuses et familiales, il n'a rien n'oublié. Il entend mener une politique bien différente de celle de son père et de celle de Dreak. Par la force de son caractère, le Nouveau Roi espère bien prouver à son peuple qu'il a ce qu'il faut pour suivre la trace de ses ancêtres et mener le royaume à sa splendeur d'antan.